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des Sciences -Université d'Antananarivo - Madagascar ..... C'est une série de 7
exercices corrigés concernant le changement de référentiel et la composition ...
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B.-F. Leguévelde Lacombe
Voyageà Madagascaret aux îles ComoresTome 1
PRÉFACE.
Louvrage que joffre aujourdhui au public a été composé sur les notes et documents que jai recueillis dans mes voyages à Madagascar et aux îles avoisinantes.
Dans mes rapports avec un grand nombre de géographes français et étrangers, jai acquis la conviction que les ouvrages publiés depuis le commencement de ce siècle sur lîle de Madagascar nen donnent que des notions fort imparfaites, pour ne pas dire erronées. Je nen excepterai pas la compilation du révérend W. Ellis. Quoique intitulé Histoire de Madagascar, ce livre nest, en réalité, quune relation des essais infructueux tentés par la Société des Missions de Londres pour établir le christianisme dans cette île. Le désir de se justifier de navoir pas réussi dans ses projets a, plus que tout autre sentiment, donné lieu à cette publication. Je mabstiendrai de porter un jugement sur le mérite littéraire de ce livre ; mais je puis dire quil ne traite guère que dune seule province, celle des Hovas, et quun grand nombre de faits, dont jai été le témoin oculaire, mont paru y être défigurés par lesprit de fanatisme religieux.
Ces considérations me portent à espérer que mon ouvrage sera favorablement accueilli du public.
Mon séjour à Madagascar, aux îles Comores et à la côte orientale dAfrique, a été de huit années.
Jai vécu au milieu des Malgaches plutôt en Malgache quen Européen ; revêtu du costume national, armé de la zagaïe, jai partagé les fatigues de leurs guerres et de leurs grandes chasses ; étendu sur la natte, dans leurs cases hospitalières, jai écouté leurs poétiques histoires et les chants mélancoliques de leurs ménestrels ; enfin, jai accepté le surnom de Lava-lef (grande zagaïe) quils mont donné dune voix unanime, à cause de mon ardeur à poursuivre le sanglier dans leurs antiques forêts et dans leurs immenses savanes.
De retour dans ma patrie, il était de mon devoir de faire part à mes compatriotes des connaissances locales que javais acquises, le plus souvent au milieu des dangers et des souffrances, afin que mon expérience ne fût pas perdue pour ceux qui seraient tentés de parcourir les mêmes contrées, soit dans un but scientifique, soit dans un but commercial.
Plusieurs savants ont encouragé la publication de mes voyages.
Lérudit et respectable académicien M. Eyriès, dont les travaux ont tant contribué à répandre le goût de la géographie, ma honoré dune bienveillance pour laquelle je le prie de recevoir ici lexpression de ma vive reconnaissance.
Sur la recommandation de M. Mignet, directeur des archives du ministère des affaires étrangères, M. Barbier du Bocage, géographe du même ministère et conservateur du Dépôt des cartes et plans, ma ouvert avec une obligeance extrême lentrée de cette riche collection, où les savants de toutes les nations ont maintefois puisé des documents de la plus grande importance.
M. dAvezac, dont les ouvrages, récemment publiés par la Société de Géographie, sont connus de tous les véritables amis de la science, ma rendu des services qui mont été précieux et dont je garderai toujours le souvenir.
Jai reçu également de M. Daussy, ingénieur hydrographe en chef et conservateur-adjoint au dépôt de la marine, des marques dintérêt dont je lui suis très reconnaissant.
Je noublierai pas non plus lassistance éclairée que jai trouvée en M. Eugène de Froberville. Ce jeune écrivain, dont les recherches se sont spécialement dirigées vers la géographie et lethnographie de Madagascar, a bien voulu associer son nom au mien, et résumer rapidement lhistoire, si peu connue, de cette intéressante contrée.
NOTICE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LÎLE DE MADAGASCAR.
PRÉCIS GÉOGRAPHIQUE.
§ 1. Étendue de lîle. Montagnes et rivières. Insalubrité des côtes. Vents. Marées. Température. Minéraux. Mines dor et dargent. Houille. Fertilité du sol. Forêts. Productions végétales. Animaux.
Lîle de Madagascar, située dans la mer des Indes, est séparée de lAfrique par le canal Mozambique. Sa longueur est de 285 lieues et sa largeur moyenne de 40 lieues ; la partie du nord se rétrécit considérablement et se termine en pointe au cap dAmbre par 12° 12 lat. S. La distance de Madagascar à lÎle-de-France (Maurice), colonie anglaise, est de 190 lieues, et à lÎle-Bourbon, colonie française, de 150 seulement.
On conçoit que laspect dun pays aussi étendu doit varier comme son climat. Madagascar, vu de la mer, présente trois chaînes successives de montagnes dont les nuances passent, en saffaiblissant, du vert, propre aux végétaux qui y croissent, à une teinte bleuâtre à peine distincte des nuages.
Ces montagnes, dont la chaîne principale sappelle les Ambohitsmènes (montagnes rouges), traversent toute lîle du nord au sud. Les plus élevées sont celles dAnkaratra, au sud dAncove ; dIangougoura ou Vigagoura, au nord dAntscianac ; de Mataoula, près de la baie de Passundava (côte N.-O.). Les monts Vouipitou dans Ancaye, Miangara dans Ancove, de Béfourne dans la province des Bétanimènes, et dAmbohifoutsi dans le sud de lîle, sont encore remarquables par leur hauteur. Les missionnaires anglais doutent de lexistence des Ambohitsmènes et affirment que ce nom est inconnu chez les Malgaches. Des renseignements dignes de foi ne nous permettent pas de partager leur doute. Quant à labsence de cette dénomination dans la langue malgache, les missionnaires se trompent très certainement ; ce nom peut ne pas exister dans le dialecte hova quils paraissent avoir étudié plus particulièrement, il peut même ne pas être connu du peuple chez qui on place ces montagnes, mais il est positif que les habitants des côtes, depuis lextrémité la plus méridionale de lîle jusque vers la latitude de Tamatave, désignent, sous le nom dAmbohitsmènes, les principaux pitons de la chaîne qui occupe le centre de lîle, et souvent toute la chaîne elle-même.
Du plateau central sabaissent vers chaque flanc de lîle de nombreuses ramifications, qui forment dadmirables vallées arrosées par une innombrable quantité de rivières et de ruisseaux. Plusieurs de ces cours deaux sont navigables pour des bateaux jusque dans lintérieur des terres ; mais leurs embouchures sont presque toujours obstruées par les sables quamoncèlent, sur la côte orientale, le mouvement général de la mer dorient en occident et la continuité des vents dest pendant plusieurs mois de lannée, et sur la côte occidentale, les courants qui portent tous avec force vers les terres.
Le refoulement des sables, en sopposant à lécoulement des eaux dans la mer, forme sur une grande partie du littoral des marais où le luxe de la végétation activée par la chaleur et lhumidité est prodigieux. La décomposition des plantes et la stagnation des eaux y produisent des miasmes pestilentiels, causes du fléau connu sous le nom de fièvre de Madagascar dont tout étranger devient bientôt victime. Cest à ces miasmes mortifères, qui enveloppent lîle presque en entier durant environ six mois de lannée, que Madagascar doit son funèbre surnom de cimetière des Européens.
Lintérieur de lîle, dont le sol est fort élevé au-dessus du niveau de la mer, est au contraire très sain. Ses habitants, en arrivant sur la côte, nen sont pas moins soumis, comme les Européens, à linfluence malfaisante de lair quon y respire, et rapportent souvent en eux les principes du mal dont ils succomberont dans le climat salubre de leur pays. Un étranger échappe quelquefois à la violence des premières atteintes de la fièvre, qui, après une courte disparition, le surprend de nouveau et lemporte subitement.
Il y a deux saisons sur le littoral oriental de Madagascar : la première, nommée par les traitants européens la bonne saison, commence en mai et finit vers le milieu du mois doctobre. La chaleur est alors tempérée ; de très fortes brises soufflent pendant le jour du S. au S.-E., et la nuit du S. au S.-O. ; elles renouvellent lair et empêchent les eaux stagnantes de sévaporer. La seconde, ou la mauvaise saison, commence vers la fin du mois doctobre et continue jusquà la fin du mois davril. Le temps le plus chaud et le plus malsain est en janvier, février et mars ; les pluies dorage font déborder les ruisseaux et les rivières qui inondent tout le pays. Les vents qui règnent pendant cette saison sont ceux du N. au N.-E. pendant le jour et du N. au N.-O. pendant la nuit ; ils sont faibles et entremêlés de calmes. La chaleur, dont rien ne combat lintensité, développe alors, dans les immenses marécages où les matières végétales et animales sont en pleine décomposition, des vapeurs infectes et le plus souvent mortelles.
À la Côte de lOuest, la brise du N.-E. règne perpétuellement doctobre en avril ; le reste de lannée elle varie du S. à lO. depuis midi jusquau soir ; pendant la nuit, elle passe du S. à lE. et se fixe le matin dans cette dernière aire de vent.
Quant aux marées, elles sont très inégales : sur la côte occidentale, elles montent de six à neuf pieds, tandis que sur la côte orientale elles nen dépassent jamais trois.
La température des provinces de lintérieur est moins élevée que celle des côtes. Le froid est très vif dans les vallées dAntscianac, dAncove, des Betsilos, depuis juin jusquen septembre, et on y éprouve même en décembre et en janvier un froid souvent piquant. Pendant lété, cest-à-dire doctobre en mai, le thermomètre atteint 29 degrés centigr. ; dans lhiver il descend à 4 degrés. La grêle tombe souvent en grande quantité dans les montagnes et nuit beaucoup aux récoltes ; les grêlons sont quelquefois de la grosseur dun uf de pigeon. Les gelées blanches, le givre, les brouillards, y sont très communs, mais on ny voit jamais de neige, même sur les pics les plus élevés.
Les ouragans, ce fléau de Maurice et de Bourbon, viennent quelquefois ravager la partie de Madagascar située sous la même latitude que ces îles.
Le sol de la plus grande partie de lîle est dune formation primitive ; le granite, la siénite, des blocs énormes de quartz blanc et rose, sy rencontrent fréquemment. Des traces de volcan éteint existent surtout chez les Betsilos, et M. Leguével de Lacombe en a vu dans la province de Ménabé, près du mont Tangoury, auquel se rattachent des traditions curieuses qui viennent confirmer ces conjectures tirées de létat actuel du terrain. Des voyageurs ont assuré à Dumaine quil existait un volcan au nord de la baie de Diégo-Suarès, près dune petite île nommée par les navigateurs européens île boisée ou woody ; mais personne na vérifié ce fait.
Les tremblements de terre sont assez fréquents à Madagascar. Lorsque ce phénomène se manifeste, les naturels sortent de leurs cases et se mettent à frapper avec la main de petits coups contre les murs ; pour agir ainsi, ils ne donnent aucune raison, sinon que cest la coutume. Un usage analogue et tout aussi inexplicable sobserve pendant les éclipses de lune et de soleil : on tire des coups de fusil à balle contre ces astres, et chacun allume un petit feu clair devant sa porte.
On trouve dans les montagnes des blocs de cristal de la plus grande beauté et de dimensions extraordinaires. On en voit, selon Fressange, qui ont jusquà vingt pieds de circonférence. Une des montagnes de Béfourne en est toute parsemée ; lorsque le soleil y darde ses rayons, elle brille dun éclat magnifique. La grande quantité de sable dont le sol de lîle est couvert doit sa présence aux débris de ces cristaux ; on pourrait en retirer un verre dune très belle qualité, précieux surtout par sa grande limpidité.
Un traitant nommé Valigny possédait un morceau de cristal long denviron un pied et demi sur huit pouces de large, au milieu duquel on voyait, les ailes déployées, une mouche commune qui semblait vivante. Dans un petit village nommé Machouara, situé à environ trois lieues de Manahar (baie dAntongil), M. Leguével de Lacombe en a vu un bloc à sept faces de trois pieds de haut sur quinze pouces de large, dune transparence admirable. Ce qui lui donne une grande valeur, cest que deux poissons sy trouvent cristallisés et conservent dans ce prisme léclat et la fraîcheur de la vie. Tous les deux paraissent être des poissons deau douce ; le plus grand est rouge, il a environ sept pouces de longueur et ressemble aux poissons rouges quon voit en Europe dans des bocaux ; lautre est blanc et na pas plus de quatre pouces. Les habitants du village rattachent à ce bloc des croyances superstitieuses et ne permettraient pas quon lenlevât.
Les pierres précieuses que lon trouve à Madagascar ne sont ni très belles ni très variées ; ce sont, entre autres, des améthystes, des aigues-marines et des opales.
Madagascar est riche en minéraux utiles ; on y a trouvé du cuivre, de létain et du plomb ; les naturels assurent que leur île possède des mines dargent. Quelques Français, qui anciennement parcouraient le sud de lîle, rapportent avoir vu de la poudre dor entre les mains des naturels. Un Anglais, nommé Francis Lloyd, affirme avoir été témoin de lessai que lon fit, dans le XVIIe siècle, devant le conseil privé, de sable aurifère apporté de Madagascar, et dont la qualité fut trouvée bonne. M. Leguével de Lacombe a recueilli chez les Sakalaves de Menabé des traditions quil a consignées dans son voyage, et qui concordent assez avec les détails rapportés par Flacourt dans son Histoire de la grande isle Madagascar :
« Jai appris, dit ce vieil écrivain, que vers le nord de la rivière dYonghe-lahé, il y a un pays où lon fouille de lor. Et jay tousiours ouy dire par les grands dAnossi (province de la côte orientale, partie sud), que cest vers ces pays-là quest la source de lor
»
Les provinces centrales abondent en minerais de fer que les naturels, et particulièrement les Hovas, savent fondre et travailler avec habileté. Suivant un Arabe qui avait été envoyé par le sultan de Mascate comme ambassadeur auprès de la reine dAncove, une mine de houille existerait à peu de distance de Tananarivo, capitale de cette contrée.
Le récit de cet homme, qui, en 1835, était à Londres, et communiqua à plusieurs savants les détails quil avait recueillis pendant ses voyages, a toute lapparence de la vérité ; il donne avec exactitude le nom des rivières et des villages quil avait traversés en se rendant à Tananarivo. Cest à Andavi, à environ une lieue au N. ou N.-O. de la capitale, quil vit dimmenses forges dirigées par un Français du nom de « Doroïte », suivant la prononciation arabe ; 380 jeunes Malgaches y apprenaient lart de fabriquer des fusils ; le combustible quon y employait pour la fonte du fer était bien de la houille, et cette assertion est dautant moins suspecte que le voyageur examina cette production dans les forges et dans la mine elle-même.
Le sol de Madagascar est en général fertile et susceptible de cultures très variées. Les terres des provinces du nord sont noires et vigoureuses. Celles du milieu de la Côte de lEst sont sablonneuses jusquà une ou deux lieues de la mer ; plus loin la végétation devient très riche ; le sol rouge des Bétanimènes est très productif. Dans le sud, cest-à-dire vers Sainte-Luce, le terrain est mêlé de sable, mais il est supérieur aux terres qui avoisinent le Fort-Dauphin et le cap Sainte-Marie. La partie peu montagneuse du pays des Sakalaves-du-Nord est fertile surtout près des rivières et des marais, et abonde en fataka et en esquine, fourrages excellents. La plus grande partie des plateaux de lintérieur est au contraire rocailleuse et stérile ; le terrain y est en général ocreux et ferrugineux. Dans la province dAndrantsaï quhabitent les Betsilos, les terres sont noires, brunes, rouges, jaunes et blanches. Le sol rouge y est extrêmement productif et le plus commun.
Dimmenses forêts vierges traversent lîle dans plusieurs directions. La difficulté dy pénétrer, provenant soit des inextricables lacis des broussailles et des arbrisseaux qui croissent sous les grands arbres, soit de linsalubrité de ces retraites profondes où lair ne parvient quà peine, en rendra les innombrables productions longtemps inconnues aux botanistes européens.
Voici le fragment dune lettre que le naturaliste Commerson écrivait à Lalande en 1771, après avoir passé quatre mois à Madagascar : « Quel admirable pays que Madagascar ! Il mériterait seul non pas un observateur ambulant, mais des académies entières. Cest à Madagascar que je puis annoncer aux naturalistes quest la terre de promission pour eux ; cest là que la nature semble sêtre retirée comme dans un sanctuaire particulier pour y travailler sur dautres modèles que sur ceux où elle sest asservie ailleurs : les formes les plus insolites, les plus merveilleuses, sy rencontrent à chaque pas. Le Dioscoride du Nord (Linné) y trouverait de quoi faire dix éditions de son Système de la nature, et finirait par convenir de bonne foi que lon na encore soulevé quun coin du voile qui la couvre
» En effet, MM. Hilsenberg et Bojer, qui ont les premiers visité lintérieur de lîle dans un but scientifique, avouent quils nont fait que tracer une bien faible esquisse de ces inépuisables richesses naturelles que limagination même ne saurait se représenter. Contentons-nous de citer parmi les productions végétales le ravinala (urania speciosa), le filao (casuarina equisetifolia), lambaravatsi (cytisus cajan), arbre sur lequel on élève des vers-à-soie, le rafia, sorte de sagus, lavoha (dais madagascariensis), dont on a tiré une espèce de papier grossier, larékier, le vakoa (pandanus), lazign (chrysopia fasciculata) et le vounoutre ou arbre chevelu, employés dans la construction des pirogues, le tandrou-roho (hymanea) qui fournit la gomme copale, plusieurs espèces dhibiscus et de mimosa, le songo-songo, belle espèce deuphorbe qui sert à défendre lenceinte des terres cultivées, le ravintsara (agathophyllum aromaticum), sorte de canelle dont la noix et la feuille ont un parfum exquis, le poivre sauvage, le gingembre, le tabac, la canne à sucre, le coton, le tanghin (tanghinia veneniflua), qui tient une place si terrible dans la procédure criminelle des indigènes, le bélahé dont lécorce amère est estimée des naturels pour ses vertus médicinales, larrivou-taon-velou (ce nom signifie mille ans de vie) (exacum var.), panacée des Malgaches, le maïs, le mil ; enfin la plus utile production de cette terre, le riz, dont les botanistes ont énuméré onze variétés. Le cocotier, le bananier, différentes sortes dignames, le manioc, des haricots et des plantes cucurbitacées et crucifères, etc., servent aussi à la nourriture des naturels.
Les forêts et les lacs sont habités par une foule doiseaux imparfaitement connus encore ; en outre, les perroquets, les pigeons, les sarcelles, les pintades, les faisans, y volent par milliers. Parmi les oiseaux de proie, il faut mentionner le vouroun-doule (leffraye) qui inspire aux Malgaches une terreur superstitieuse, et le vouroun-mahère, sorte de grand-faucon dont limage, portée en décoration par Radama, est figurée sur le pavillon hova.
Lîle renferme les animaux les plus utiles à lhomme : les troupeaux de bufs sauvages ou domestiques y sont nombreux. Ce sont des bufs à bosse, ou zébus, dont il existe trois espèces, le zébu ordinaire, le buf sans cornes, appelé bouri, et le buf à cornes pendantes. Ces animaux sont la principale richesse de lîle doù il sen exporte une grande quantité pour lapprovisionnement des îles Bourbon et Maurice. Les moutons à grosse queue de lespèce de ceux du Cap, les cochons, les sangliers, les chiens, les chats domestiques et sauvages, y sont aussi en grand nombre, ainsi quune foule de plus petits quadrupèdes, entre autres, laye-aye (sciurus madagascariensis) et le tandrec, qui sont propres à Madagascar ; les makis (lemur) abondent dans les forêts.
Le monstrueux caïman (crocodile), qui infeste les lacs et les rivières, joue un grand rôle dans les traditions et les murs malgaches. Lexposition aux caïmans remplace lépreuve du tanghin chez les Anta-ymours. Les lézards, les caméléons, des serpents énormes, mais peu ou point venimeux, doivent être cités parmi les reptiles ; parmi les insectes, des papillons magnifiques, le précieux ver-à-soie, les scorpions, les sauterelles dévastatrices, une araignée extrêmement venimeuse.
Enfin les côtes ainsi que les rivières et les lacs fourmillent de poissons curieux et variés.
§ 2. Population probable. Peuples divers de lîle. Origine de cette diversité. Dénomination des divers peuples. Caractères physiques qui les distinguent. Caractère général des Malgaches. Indolence. Superstitions. Qualités morales. Serments du sang. Hospitalité. Amour maternel. Vénération pour les morts. Religion. Fêtes. Musique. Poésie.
Il paraît difficile dévaluer la population de Madagascar dune manière satisfaisante. Rochon, avec sa légèreté accoutumée, la porte à quatre millions ; Cossigny, qui travaillait sur dassez bons documents, à deux millions ; les missionnaires anglais, de quatre millions cinq cent mille âmes à cinq millions ; le prince Corroller, à quatre millions quatre cent cinquante mille âmes. Rien nest moins admissible que les données sur lesquelles ces deux derniers calculs sont basés. Les missionnaires sappuient sur un recensement ordonné par Radama, roi dAncove, qui navait en son pouvoir aucun moyen pour sassurer de la population des provinces étrangères ; le chiffre présenté par les missionnaires sapplique-t-il à la population de lîle entière ? ils le disent, mais sont loin de le prouver. Les calculs du prince Corroller sont encore plus imparfaits. Ayant appris des officiers des districts hovas que lîle entière renfermait plus dun million de maisons, il a conclu, sur une moyenne de cinq habitants par feu, que la population totale de Madagascar était de 4,450,000 âmes. En admettant avec Corroller que la moyenne des habitants par case soit de 5, et le nombre de ces cases de plus dun million, deux assertions fort hasardées, lopération du prince offre une monstrueuse erreur, car plus dun million multiplié par cinq produit nécessairement plus et non pas moins de cinq millions ainsi quil le calcule. Mais ce nest pas tout : après lui avoir passé ce chiffre de 4,450,000 comme étant celui de tous les habitants de lîle, ou est fort surpris de voir quil ne lapplique quaux sept territoires occupés par les Hovas, cest-à-dire Ancove, Antscianac, le pays des Sakalaves, celui des Bezonzons, des Bétanimènes et des Betsimsaracs ; il ne fait pas la moindre mention des autres provinces malgaches, en sorte que lon serait autorisé à les croire tout-à-fait désertes. Plusieurs voyageurs, qui ont résidé 25 et 30 ans à Madagascar, disent dans leurs notes que cette île nest pas peuplée en raison de son étendue ; telle était lopinion de Mayeur et de Dumaine ; Rondeaux nestimait quà un million la population totale. Selon M. Barthélémy de Froberville, dont les recherches sétaient spécialement dirigées sur ce sujet, elle ne doit pas sélever à plus de seize cent mille âmes.
Des peuples distincts et plus ou moins nombreux se partagent le sol de lîle. Quoique ces tribus diffèrent sous plusieurs rapports les unes des autres, on peut toutefois les ramener à deux types principaux qui indiquent bien leurs origines diverses : lun caractérisé par un teint cuivré ou plutôt olivâtre et des cheveux longs et plats ; lautre par un teint noir ou brun foncé et des cheveux frisés et crépus. Ces deux types ne se trouvent pas dans toute leur pureté, et leur mélange a produit de nombreuses variétés qui participent plus ou moins de lun et de lautre ; mais ce mélange nest pas si accompli que lon ne puisse sans peine retrouver à quelles contrées du globe appartient chacune de ces deux races. La constitution physique de la race noire, au nez aplati, aux lèvres épaisses, aux cheveux crépus, indique assez quelle est originaire dAfrique, ce que confirme lexamen des mots et des usages qui lui sont propres, tandis que la langue, les murs, le caractère de la race olivâtre, appartiennent incontestablement aux peuples malais. La présence de ceux-ci à Madagascar paraît dabord fort extraordinaire, mais on se lexplique facilement au moyen des traditions populaires.
Ce ne fut pas la tempête qui porta dans la grande île les enfants de larchipel indien : peuple navigateur et hardi, les Malais arrivèrent à Madagascar sur une flotte nombreuse et dépossédèrent ou exterminèrent la race indigène connue sous le nom de Vazimbas, dont les usages et les grossières superstitions, tels que la tradition nous les rapporte, ont une si grande ressemblance avec ceux des sauvages Zimbas, que lon ne doit pas hésiter à les considérer comme issus dune commune patrie. Les derniers descendants de cette race persécutée, qui ne tardera pas à disparaître entièrement, existent encore sur la côte occidentale de lîle, où, séparés des autres insulaires et entourés dun respect superstitieux, ils exercent létat de médecins et de devins.
Plusieurs émigrations dArabes ont aussi eu lieu sur la côte orientale de Madagascar dans les temps modernes. Ces étrangers ont eu autrefois une grande puissance sur les habitants du sud, où leurs familles jouissaient de nombreux privilèges ; ils adoptèrent la langue et quelques superstitions malgaches, sans cesser de cultiver les traditions de leurs pères.
Tels sont les éléments qui se sont combinés pour former la population malgache.
Les principaux peuples de Madagascar sont :
1. Les Antancars, parmi lesquels on remarque une peuplade du nom dAntratsi, et un grand nombre dAntalotches, descendants de marchands arabes.
2. Les Antavarts, composés des Antimanahar, des Sambarive, des Antantsiniane, des Zaffirabé (qui occupent la baie dAntongil), des Antivakaï, des Zaffibala (habitants des environs de Tintingue), des Antivongou (la plus méridionale des peuplades Antavarts).
3. Les Betsimsaracs, dont une peuplade, les Zaffi-Brouhaï ou Ibrahim, habite lÎle-Sainte-Marie.
4. Les Bétanimènes.
5. Les Ambanivoules.
6. Les Bezonzons.
7. Les Affravarts.
8. Les Antatschimes.
9. Les Anta-ymours, habitants de la province de Matatane.
10. Les Chavoaïes, sauvages et peu nombreux, habitant les montagnes, ainsi que les deux tribus suivantes.
11. Les Chaffates.
12. Les Vourimes.
13. Les Antarayes, composés des peuplades Antabasses, habitants de la vallée dAmboule et des environs de la baie de Sainte-Luce, des Taïssambes, etc.
14. Les Ant-anossis, habitant les environs du Fort-Dauphin.
15. Les Ant-Androui, parmi lesquels sont les Ant-ampâtes et les Caramboules, à lextrémité méridionale de lîle.
16. Les Mahafales.
17. Les Machicores.
18. Les Anta-Fierène, habitants de la baie de Saint-Augustin.
19. Les Anta-Ména-bé, ou Sakalaves-du-Sud, dont les armes ont été redoutables aux Hovas eux-mêmes.
20. Les Ant-Ambongous, sauvages chez qui lon na pas encore pénétré.
21. Les Sakalaves-du-Nord, autrefois puissants, aujourdhui dominés par les Hovas.
22. Les Ant-antsianacs.
23. Les Ant-ancayes.
24. Les Hovas, maîtres dun grand nombre de provinces quils ont conquises depuis trente ans.
25. Les Betsilos, montagnards braves et industrieux.
Les Antancars, qui habitent les environs de la baie de Diégo-Suarez, ressemblent beaucoup aux Cafres ; comme eux ils ont les cheveux laineux, les lèvres épaisses et le nez épaté. Ils sont plus sauvages que leurs voisins ; on ne trouve pas chez eux cette vivacité, cette adresse, cette intelligence des populations Betsimsaracs ; leurs villages, peu considérables, ne contiennent que vingt ou trente cases petites, malpropres et peu solides, dont la construction exige à peine une demi-journée de travail.
Parmi les peuples de la Côte de lEst, les Betsimsaracs et les Bétanimènes sont les plus remarquables à cause des relations continuelles que les Européens entretiennent avec eux depuis environ deux siècles. Ils sont, comme leurs voisins les Antavarts, les Ambanivoules, etc., grands et bien faits ; leur couleur est le marron plus ou moins foncé ; leurs cheveux sont en général crépus ; ceux qui les ont légèrement ondulés ont une constitution moins vigoureuse, avec des traits plus réguliers et plus délicats ; leurs yeux ont une expression de douceur et de bonté qui inspire immédiatement aux Blancs une confiance dont ils savent fort bien tirer parti. Les Betsimsaracs ont tous les vices de la civilisation sans en avoir les qualités ; cinquante Hovas suffiraient pour les mettre tous en fuite, tant ils sont paresseux et lâches. Menteur par habitude, et rampant par intérêt, le Betsimsarac se prosterne aux pieds du premier Blanc qui possède une bouteille darack, ou une aune de toile de coton ; il lui prodigue les épithètes les plus adulatrices ; il lappelle son maître, son roi, son dieu, et promet de le servir jusquà la mort. Mais à peine a-t-il obtenu les objets de sa convoitise quil va rire avec ses camarades de la sotte crédulité de celui qui vient de céder à ses prières et à ses protestations de dévouement. Ce fut cependant sur des promesses faites par de telles gens que les chefs des dernières expéditions françaises à Madagascar consentirent à les prendre pour auxiliaires. Les habitations de ce peuple sont propres et leur costume très soigné ; ils aiment à pérorer, et sont plus habiles à manier la parole que le javelot national ; ils naiment dans la guerre que ces kabar solennels où, le bâton blanc à la main, les orateurs déploient dans de longues harangues les richesses de leur imagination et celles dune langue admirablement harmonieuse.
Les Bétanimènes diffèrent des Betsimsaracs en ce quils sont moins forts, moins actifs, moins bavards et moins poltrons. Presque tout le riz qui sert à la consommation des îles de France et de Bourbon est vendu par les Betsimsaracs et leurs voisins du nord ; ils fournissent aussi à ces colonies une immense quantité de bufs, quils vont chercher dans louest chez les Sakalaves.
Les Affravarts forment une petite peuplade de guerriers, dont la bravoure et lintrépidité ont été souvent redoutables à leurs voisins.
Les Antatschimes, limitrophes des Affravarts, sont grossiers et superstitieux ; cependant ils accordent au voyageur lhospitalité la plus généreuse. Ils naiment point à voir les étrangers sétablir dans leur pays. Lorsque le capitaine Arnoux, qui fonda létablissement agricole et commercial de Mahéla, commença à cultiver les environs de Mananzari, le chef le fit appeler, et après lui avoir demandé sil ny avait pas de terre dans sa patrie, et quel droit il avait sur celle des Malgaches, il le condamna à une forte amende et fit détruire toutes ses plantations.
Les Anta-ymours, habitants de la province de Matatane, sont les plus superstitieux dentre les Malgaches ; ils disent que leurs ancêtres sont venus de la Mecque, et ils montrent des manuscrits fort anciens quils assurent tenir de leurs pères. Ces volumes sont écrits en caractères arabes que les Anta-ymours savent tous lire et écrire. Flacourt et Benyowsky ont transcrit plusieurs de ces manuscrits dont le plus curieux et le plus intéressant est lhistoire de létablissement des Zaferamini ou Zaféraminians dans lîle de Madagascar. Les Anta-ymours ont dans leurs villages des écoles où les enfants des deux sexes apprennent la lecture, lécriture et le calcul. Cétait parmi eux que le souverain hova, Dianampouine, choisissait ses secrétaires et les instituteurs de ses enfants ; Radama les conserva près de lui jusquau moment où il adopta les caractères de lécriture européenne. Ces peuples ont le teint cuivré, les yeux vifs, les cheveux crépus ; ils sépilent le haut de la tête et conservent un grand nombre dusages arabes.
On trouve encore dautres Malgaches dorigine arabe dans le nord et dans louest de lîle. Ces peuplades brutes et malpropres ont eu pour aïeux des Arabes mahométans qui, attirés à Madagascar par le commerce, se sont mêlés avec les naturels et ont fini par se fixer dans le pays ; on les nomme Antalotches.
Les Bezonzons, peuplade peu nombreuse qui habite entre les Hovas et les Bétanimènes, sont des hommes de haute taille, gros et robustes ; leur cou est court, leur peau noire ou brun foncé et leurs cheveux généralement crépus. Le roi dÉmirne, qui les soumit à sa domination, les exempta du service militaire pour en faire les portefaix et les messagers de son gouvernement. Leur caractère est naturellement doux et paisible, mais ils ont plusieurs fois donné des preuves de fermeté et de courage.
Les Ant-ancayes, leurs voisins, sont moins noirs ; ils ont les cheveux longs et droits, les yeux petits et enfoncés, le regard dur et féroce ; ils ressemblent du reste beaucoup aux Hovas.
Les Ant-antsianacs et les Sakalaves, qui occupent toute la côte occidentale, tiennent à la fois de lAfricain et du Hova ; ils sont petits et forts sans être corpulents ; leurs membres sont musculeux et bien conformés ; leur teint est dun noir foncé ; leurs traits sont réguliers ; leur allure est libre et engageante ; leurs cheveux sont noirs et brillants. Ils ont les yeux noirs, le regard pénétrant et les mouvements libres et pleins de dignité. Tous les voyageurs saccordent à louer le caractère de cette race. Le Sakalave, indolent pendant la paix, est prompt à prendre les armes pour défendre son pays contre les attaques de ses ennemis ; il est brave, énergique et résolu. Ses qualités morales le font aimer des étrangers. Quoique plein de sagacité, il est moins rusé et moins menteur que les autres Malgaches, et surtout les Hovas. Toutes les familles princières de Madagascar, et celle même qui règne actuellement à Tananarivo, assurent quelles sont originaires de Ména-bé, capitale des Sakalaves-du-Sud. En effet, ces peuples ont été longtemps les plus puissants de Madagascar ; ils ont tenu les Hovas sous leur domination, et lorsque ces derniers ont étendu leurs conquêtes chez tous leurs voisins, les Sakalaves-du-Sud les ont toujours repoussés de leur territoire. Le pays sakalave nourrit une innombrable quantité de bufs.
Les Betsilos, ou Hovas du Sud, ressemblent assez aux Hovas ; ils sont comme eux de petite stature, élancés, agiles et libres dans leurs mouvements ; ils ont les cheveux noirs, longs, et le teint quelquefois cuivré, plus souvent dun bistre foncé ; mais leurs murs douces, leur prédilection pour les paisibles travaux de lagriculture, enfin labsence de lénergie, de ladresse et de la ruse, qui ont rendu les Hovas souverains de la plus grande partie de lîle, en font un peuple tout-à-fait différent de celui dont ils portent le nom.
Les Hovas, dont les récentes conquêtes ont rendu le nom célèbre, habitent de stériles vallées au centre même de lîle. Nous avons déjà dit que leurs traits avaient conservé dune manière assez frappante ceux de la race malaise. En effet, leur taille nest pas haute quoique assez bien prise ; leur teint est olivâtre, et, chez quelques individus, il est moins foncé que celui des habitants du midi de lEurope ; les traits de leur visage ne sont pas saillants, et leur lèvre inférieure dépasse la supérieure, comme dans la race caucasienne ; ils ont des cheveux noirs, droits ou bouclés, des yeux de couleur marron ; ils sont agiles et vifs, mais ils manquent de force et se laissent facilement abattre par la fatigue. Lintelligence des Hovas est très développée, et leur habileté dans plusieurs branches de lindustrie, et notamment dans la fonte et le travail des métaux, est un de leurs traits les plus remarquables. Ils fabriquaient autrefois de fausses piastres dEspagne dont limitation était si parfaite que les Blancs eux-mêmes y ont longtemps été trompés. La mention de ce fait nous amène naturellement à parler de leurs qualités morales, qui sont loin de mériter des éloges comme leur aptitude aux arts manufacturiers. Le peuple hova réunit en lui tous les vices des autres peuples de Madagascar ; comme des plantes nuisibles sur un terrain favorable à leur croissance, les mauvais penchants sont fortement enracinés dans leur cur et semblent y puiser une sève qui fortifie encore leur vitalité.
Nous allons maintenant tracer le caractère du peuple malgache, en indiquant les particularités des différentes races ou tribus.
Les naturels de Madagascar sont curieux, superficiels, superstitieux, ambitieux, vindicatifs, sensuels, hospitaliers, compatissants, complaisants, crédules, prodigues, un jour sédentaires, un autre cultivateurs industrieux, le lendemain guerriers. Ils manifestent une grande aversion pour tout exercice, soit corporel, soit intellectuel. « Ils sont lâches et paresseux avec délices, dit M. P. Jourdain ; sils travaillent, ce nest que par force ; sans quoi ils consommeraient leur vie dans loisiveté et les divertissements avec une insouciance étonnante. En un mot, leur jeunesse se passe dans loisiveté, et leur vieillesse dans une indolence qui nest jamais troublée par les remords. Ils ne regrettent point le passé et nappréhendent pas lavenir ; nul projet de fortune ne les occupe. Vivant au jour le jour, le présent est tout pour eux, et ils passent leur vie à dormir, chanter ou danser, dès quils ont du riz, du poisson ou des coquillages. Le travail, pour eux, consiste à construire des cabanes, abattre des arbres et nettoyer un peu la terre qui doit recevoir le riz ; ils ne se fatiguent pas, comme on peut le croire, et dailleurs se consolent en buvant de larack. Quils soient malades, ils boivent et mangent comme à lordinaire, sans se soucier de la vie ou de la mort. »
Lindolence, léloignement pour un travail soutenu, se manifestent plus chez la race noire que chez la race au teint clair. Il est juste de dire quen revanche lambition, la convoitise et lamour de la vengeance ont moins dempire sur celle-ci. Ces violentes passions semblent être le mobile des efforts que font les descendants des envahisseurs malais pour acquérir quelques connaissances dans les sciences. Le désir de la domination a seul dévoilé aux princes hovas les avantages de léducation pour le peuple qui les a aidés à conquérir la plus belle portion de leurs possessions actuelles ; ce fut le seul motif qui les poussa à accueillir les missionnaires anglais et à favoriser lenseignement des éléments de la science parmi les habitants de leur royaume. On na pas assez fait la part de leur politique et de leur ambition dans létablissement des écoles à Tananarivo. Les missionnaires, comme tous les convertisseurs à vues étroites, ont cru quils devaient faire marcher de front lenseignement de leur croyance et celui de lalphabet. Ils avaient réussi dans lOcéanie ; ils échouèrent à Madagascar, parceque le gouvernement y est fort, quil a un merveilleux instinct de conservation, et quil comprend que, pour un douteux accroissement de puissance, il ne faut pas compromettre une autorité bien établie. Mais nanticipons pas sur un sujet dont nous nous occuperons bientôt ; quil nous suffise de dire que les Hovas ne désirent la science que pour mieux tromper, mieux dominer, mieux opprimer les autres peuples de lîle.
Les superstitions des Malgaches sont nombreuses ; elles détruisent en quelque sorte les plus doux sentiments de la nature. Ainsi, une mère se soumet sans remords à labominable coutume qui ordonne de faire périr son enfant né dans un jour malheureux ; ainsi, un chef malade ne sopposera pas à ce que lon administre le tanghin à tous ses esclaves, à tous ceux qui lui sont chers, persuadé, comme eux, que sils ne sont pas les auteurs de sa maladie ils sortiront sains et saufs de cette terrible épreuve. Il est difficile de se faire lidée des absurdités et des barbaries que cette coutume fait sans cesse commettre aux naturels. La mort dun homme, par exemple, est toujours attribuée aux maléfices de quelque ennemi ; lâge, les infirmités, la maladie du défunt ne sont jamais pris en considération. En conséquence, on fait prendre le tanghin à toute sa famille afin de connaître lauteur de sa mort. La croyance aux esprits et aux revenants exerce aussi un empire universel sur ces peuples. Drury a vu un Malgache tellement fasciné par cette foi ridicule, que, pour obéir à lordre dun esprit qui lui était apparu pendant son sommeil, il se fit tirer un coup de fusil par son propre frère. Celui-ci, tout aussi absurde que le visionnaire, se prête à cet acte inhumain dans la ferme persuasion quil apaisera seulement ainsi le courroux du génie. Les deux martyrs de lignorance populaire procèdent avec sang-froid à laccomplissement de lordre supérieur. Le crédule patient se place à trente pas, recommande à son frère de le bien viser, lencourage en lui disant que le génie, satisfait de leur obéissance, détournera la balle ; le coup part, atteint la victime à la cuisse et lestropie pour le reste de ses jours.
La dissimulation, le mensonge, la fourberie, loin dêtre considérés par les Hovas comme des vices, sont au contraire lobjet de leur sincère admiration. Dans leur opinion, la mauvaise foi et la ruse sont des signes de capacité, dhabileté, de talent ; aussi sefforcent-ils de favoriser chez leurs enfants le développement de ces penchants funestes. On conçoit quels avantages ce système déducation doit procurer aux Hovas dans toutes leurs transactions commerciales ou politiques avec dautres peuples. Leurs diplomates sont doués dune finesse et dune astuce dont les Européens ont peu lidée. Un des reproches qui ont le plus contribué à dépopulariser lenseignement du christianisme à Tananarivo était la défense que faisait cette religion de mentir même pour tromper les ennemis du pays.
La sensualité est un vice général à Madagascar. La chasteté, même chez la femme, ny est point considérée comme une qualité. À peine âgées de douze ans, les filles se livrent à tous les excès du libertinage ; elles continuent ce genre de vie jusquà ce quelles se marient ; alors seulement elles cessent davoir des amants. Cependant les lois de la fidélité conjugale, observées parmi quelques peuplades, sont souvent transgressées dans dautres. La polygamie est en usage ; mais une seule des femmes a le titre de vadi-bé ou épouse principale. Livrognerie na aucune borne dans quelques provinces ; dans dautres ce vice est moins répandu : chez les Hovas, lusage des boissons fermentées est un crime puni de mort. Cette sévérité des lois démontre assez combien le penchant de ce peuple pour les liqueurs spiritueuses est vif et dangereux.
Jusquà présent nous navons considéré le Malgache que sous son aspect défavorable, et nous arrivons avec plaisir à lénumération de ses bonnes qualités. Si elles ne compensent pas ses vices, elles atténuent du moins limpression fâcheuse que fait naître en nous le spectacle de son ignorance et de son abaissement.
Un vieux voyageur, dont les notes sont inédites, après avoir décrit les murs des Malgaches, sexprime en ces termes : « Faisons donc honneur au caractère de ces peuples des grandes qualités quils possèdent, et rejetons sur létat dignorance et de barbarie, inhérent à toute société naissante, les grands vices quon leur reproche. Ajoutons-y labus de notre supériorité : ils étaient faibles, nous ne fûmes que des tyrans. » Ce voyageur, dont le nom ne nous est pas parvenu, aimait les Malgaches et sefforce toujours de les excuser. Presque tous les Européens qui ont habité longtemps Madagascar sen reviennent, ainsi que lui, enthousiastes de cette contrée et comme ensorcelés par ses habitants ; ils désirent y retourner ; ils se plaisent à se rappeler la vie quils y ont menée ; ils en font le sujet continuel de leurs entretiens. Linterprète Mayeur, retiré à lÎle-de-France après avoir servi trente ans les intérêts de son pays à Madagascar, se costumait comme un Malgache, sentourait desclaves venus de cette île et conservait au milieu des colons européens le genre de vie dun chef malgache, ne pouvant se décider à abandonner des habitudes qui lui rappelaient les instants les plus heureux de son existence.
Il y a certainement dans ce charme quexerce Madagascar sur les Blancs quelque chose qui, tout inexplicable quil est, parle en faveur des habitants.
Les liens de la famille et de lamitié sont très respectés à Madagascar ; lanimadversion publique vengerait loubli dans lequel un parent ou un ami laisserait son parent ou son ami malheureux. Le serment du sang est une des coutumes les plus remarquables et les plus bienfaisantes des Malgaches. Peu scrupuleux sur la violation de la foi jurée, ces peuples nont guère de confiance quau serment du sang, inviolable entre particuliers, mais qui nest pas toujours tel entre chefs. Le serment du sang est une pratique admirable par ses résultats ; il unit à jamais deux particuliers, qui dès-lors se protègent et sassistent comme sils étaient parents. Sil a lieu de particulier à particulier, les deux familles ne font plus de différence entre les individus ; le fils de lun devient le fils de lautre ; les deux contractants sont frères et admis dans les deux familles où ils sont reconnus comme parents.
Cette coutume par laquelle, suivant la belle comparaison des naturels, deux hommes deviennent lun pour lautre « comme le riz et leau, » cest-à-dire inséparables, cette coutume, disons-nous, honore un peuple à peine sorti de la barbarie, et sallie parfaitement avec la généreuse hospitalité quil exerce envers tous les étrangers. Un voyageur européen arrive dans un village ; il est immédiatement accueilli par le chef qui lui cède sa plus belle case, lui envoie du riz, des poules, des fruits, et lorsque sa suite est nombreuse, un ou plusieurs bufs. Le Malgache pauvre qui voyage entre sans en être prié dans la première case quil rencontre ; le propriétaire est-il à prendre son repas avec sa famille, létranger sassied auprès deux et met sans façon la main au plat ; le kabar ou récit de ce quil a vu est le seul écot quil ait à payer ; encore nest-il pas tenu de dire son nom ni ses desseins. Lhospitalité est une qualité tellement inhérente au caractère malgache, que dans tous les grands villages on trouve toujours une espèce de hangar public où les voyageurs viennent se mettre à labri du soleil ou de la pluie, en attendant quon leur ait préparé un logement gratuit.
Lamour des femmes malgaches pour les enfants que la coutume a épargnés fait honte à la tendresse maternelle des Européennes. Les soins quelles leur donnent servent en même temps à prouver lattachement quelles portent à leurs maris. On voit souvent des nourrissons de trois et quatre ans courir après leur mère et réclamer leur pitance accoutumée. Une mère ne quitte jamais son enfant dans les travaux de la campagne ; dans les voyages elle le porte sur la hanche ou sur le dos, au moyen dune pagne. On aime à trouver une coutume qui ordonne aux enfants de présenter, dans certaines occasions, à leur mère, une pièce de monnaie que lon nomme le fofoundamoussi, cest-à-dire le souvenir du dos, en reconnaissance de laffection quelle leur a montrée en les portant si longtemps dans la pagne. Laffection des naturels pour leurs enfants dégénère en faiblesse à mesure quils grandissent ; on leur laisse faire tout ce quils veulent, et ils ne tardent pas à prendre les vices quenfantent loisiveté et la dissipation. Pour se justifier de cette coupable condescendance, les parents sappuient sur un raisonnement dont il est difficile de leur faire comprendre la fausseté : « Dans lenfance, disent-ils, lhomme na pas assez de raison pour être corrigé, et dans lâge de raison il doit être maître de ses actions. » Leur autorité est pourtant immense, car ils ont jusquau droit de vendre un enfant désobéissant et entêté.
La vénération des naturels pour les morts est profonde ; annuellement, à un jour fixé, chaque famille visite le tombeau de ses pères, et y renouvelle les sacrifices qui ont accompagné les funérailles. La superstition, la crainte des revenants, se mêlent bien un peu à ces hommages solennels, mais il y a néanmoins dans le cur du Malgache un grand et pieux respect pour ses ancêtres, dont la volonté, soigneusement accomplie, passe de génération en génération comme une loi dans les familles.
Ce serait ici le lieu de parler de la religion des Malgaches, sujet obscur dont lexamen nous entraînerait trop loin. Quil nous suffise de dire que les habitants de Madagascar nont pas de religion proprement dite ; ils croient à la post-existence des hommes, et nont jamais songé à la nature de cette seconde vie ; la croyance aux peines et aux récompenses après la mort ne fait pas partie de leurs idées religieuses ; quelques individus croient à la métempsychose, mais dune manière très vague ; ils ont tous foi en la puissance de deux génies supérieurs, lun bon, Zanaar, lautre mauvais, Angatch, ayant chacun, sous ses ordres, des génies subalternes ; mais ces deux principes ne sont pas des divinités, en ce sens quils nont pas à juger les actions des hommes, et quils se bornent lun à présider aux bonnes actions, lautre aux mauvaises.
Les amulettes, les charmes, les préservatifs contre tous les maux, contre tous les accidents, les augures, etc., jouissent dun grand crédit et forment une branche de revenus activement exploitée par les ombiaches ou devins. Les Hovas ont une grande amulette nationale quen certaines occasions lon promène en procession avec dautres moins puissantes.
Les Malgaches observent des fêtes à certaines époques de lannée ; lusage de la circoncision, qui est général, est pour eux loccasion de grandes réjouissances dont la licence la plus effrénée et livrognerie la plus dégoûtante font presque tous les frais ; mais lobscurité la plus profonde couvre le but et lorigine de ces cérémonies. Interrogé sur ses croyances, le Malgache se contredit à chaque instant ; pressé de questions, il répond tranquillement : « Je ne sais pas ; nous navons jamais songé à cela ; nous suivons ces croyances parceque nos ancêtres nous les ont transmises. » Les superstitions de Madagascar nous ont fait leffet de lambeaux arrachés à des religions diverses ; le sabéisme, le fétichisme et le mahométisme ont fourni quelques croyances superstitieuses aux Malgaches avides dhistoires surnaturelles.
Comme tous les peuples indolents et sensuels, les Malgaches aiment passionnément la poésie et la musique ; seuls au fond des bois, ou réunis pour les travaux des champs, elles sont leur plus doux passe-temps. Le soir, dans les villages, on les voit sassembler pour écouter les chansons que lun dentre eux improvise sur une mélodie connue ; ils répètent en chur le refrain ou laccompagnent en frappant dans leurs mains pour marquer le rythme. Les paroles de ces chansons se composent en général de phrases courtes et sans trop de liaison entre elles. Elles ont quelquefois un sens moral ou satirique ; le plus souvent elles contiennent une simple image, souvent insignifiante comme dans ce couplet : « Hé ! hé ! hé ! zalahé ! (ô hommes) la lune regarde vos rizières, la lune dans le ciel bleu, hé ! hé ! hé ! » Les mélodies sont en général monotones. Elles ont cependant un certain charme qui provient de leur étrange tonalité ; lexemple suivant nous fera mieux comprendre :
Les instruments de musique sont très imparfaits ; le son en est faible et désagréable ; le plus commun est fait avec un bambou gros comme le bras ; au moyen dun couteau on détache, dans lécorce filandreuse de ce roseau des filets qui, soutenus par de petits chevalets, forment les cordes ; on lappelle le marouvané. Cest linstrument de prédilection des Malgaches. Lorsque lesclavage existait à lÎle-de-France et que lon y importait les noirs de Madagascar, plusieurs colons défendirent à leurs esclaves de jouer sur le marouvané, parceque les sons de cet instrument éveillaient si vivement dans leurs curs le souvenir de la patrie, de la famille et de la douce liberté, quils périssaient de nostalgie ou, bravant tous les dangers, sembarquaient dans des pirogues et se dirigeaient vers cette grande terre doù ils avaient été arrachés.
Il existe à Madagascar des hommes qui se livrent spécialement à la culture de la poésie et de la musique : ce sont les sékatses ou ménestrels. Ils voyagent sans cesse et chantent leurs compositions chez les chefs qui, en retour, leur font des présents considérables. Leur esprit est vif et ingénieux, leur imagination féconde et leur diction pleine de charme ; cest dans leurs uvres que lon peut se faire une idée de la richesse de la langue des Malgaches et de la grandeur de leur poésie.
Nous ne terminerons pas ces notions sur le peuple de Madagascar sans dire quelques mots dune prétendue race de nains nommés Kimos, qui habiteraient la partie la plus sauvage des Ambohitsmènes, au sud des Betsilos. Le naturaliste Commerson, dont le nom a fort heureusement dautres titres à la célébrité, est le premier écrivain qui soit entré dans quelques détails sur ces pygmées, et se soit livré à une dissertation pour démontrer leur existence. Avant lui, le judicieux Flacourt avait pris des informations à ce sujet, mais il ne nous fait part que du résultat de ses recherches : « Ce sont, dit-il, des fables que racontent les joueurs dherravou (ménestrels malgaches). » Ce témoignage, dun homme qui, par son long séjour et ses recherches à Madagascar, la sagacité et lexactitude de ses descriptions, mérite toute confiance, est pour nous dun grand poids.
Le ton de la lettre de Commerson a souvent fait naître en nous lidée quelle était une plaisanterie spirituelle dont labbé de Choisy (ou celui qui la fait parler) avait donné lexemple un siècle auparavant. En effet, il sadresse aux amateurs du merveilleux quil a révoltés en réduisant à six pieds la taille prétendue gigantesque des Patagons, et leur offre en dédommagement « une race de pygmées qui donne dans lexcès opposé. » Il décrit minutieusement ces demi-hommes ; il fait connaître leur caractère, leurs murs, leur adresse, leur intelligence et leur ardeur belliqueuse « qui se trouve être en raison double de leur taille. » Il parle ensuite de leur pays, de leurs troupeaux, de leurs occupations. Cette relation, qui est à peu près complète, serait des plus satisfaisantes, si le style en était moins léger, si lauteur avait été témoin oculaire de ce quil rapporte, et sil nen avait pas recueilli les détails de la bouche des naturels ; ces éternels conteurs pouvant bien les tenir eux-mêmes des joueurs dherravou, dont le métier est de chanter des fables nationales.
Legentil a réfuté victorieusement toute cette histoire dont maint savant a été la dupe, et que réveille encore de temps en temps quelque auteur paradoxal.
Ce na pas été sans surprise que nous avons vu les missionnaires anglais ressusciter dernièrement les Kimos. Leurs connaissances se bornant à la province des Hovas, ils ont retrouvé les Kimos chez les Hovas ; ils observent bien des différences, par exemple, celle de la taille, mais cest pour eux une bagatelle ; ils ne sy arrêtent pas : « Le point le plus sujet à controverse de cette relation concerne, disent-ils, la taille des Kimos ; il doit y avoir là quelque erreur ; presque tout le reste est croyable. » À ce compte les voyages de M. Lemuel Gulliver sont authentiques, car les relations imaginaires peuvent être assimilées à des paysages de fantaisie : dès que lon en retire le merveilleux, dès que tous les éléments en sont pris dans la nature, le hasard peut faire que le peintre ait, sans le savoir, représenté un site réel. Du reste les pages que les missionnaires ont consacrées à lexamen de cette question sont un monument curieux de lesprit dinterprétation chez des écrivains qui ont une opinion préconçue.
La fable des Kimos ou peuple de nains existe en Afrique, doù elle aura passé à Madagascar. À Mombase, le lieutenant Thomas Boteler, qui faisait partie de lexpédition du capitaine Owen sur la côte dAfrique, reçut des naturels lassurance positive quil existait, à un mois et demi de marche dans lintérieur, un district peuplé par une race de pygmées dont la taille atteignait à peine trois pieds. Ce peuple sappelait Mberikimo. La ressemblance de ce nom avec celui des Kimos nest pas assez grande pour que lon puisse en tirer la conséquence de leur parenté, mais le renseignement de Boteler, constatant chez des Africains lexistence de récits absolument semblables à ceux que lon a recueillis à Madagascar, méritait dêtre signalé.
Avant le récit de Commerson, il existait, comme nous venons de le dire, des relations sur les prétendus nains de Madagascar. Furetière nous apprend quil circulait vers la fin du XVIIe siècle des copies dune lettre fort curieuse où il en était fait mention ainsi que dune foule dautres prodiges à Madagascar ; il ne désigne lauteur que par ces mots : lillustre abbé de ***. M. Ternaux-Compans à qui nous devons la communication des merveilleuses raretés bibliographiques de sa collection, nous ayant indiqué à la Bibliothèque Royale un manuscrit de labbé de Choisy sur un sujet pareil, nous nous sommes convaincu que nous avions sous les yeux une des copies dont parle Furetière, et qui divertissaient tant la société parisienne de son époque. Elle est intitulée : « Lettre envoyée de San Jacob en lisle de Madagascar à M. labbé de Marins par M. labbé de Choisy
et qui a esté adressée à M. labbé de Saint-Martin, escuyer, seigneur de la Mare du désert, premier docteur en théologie de luniversité de Rome, et protonotaire du Saint-Siège, pour la faire voir au public. »
La simple mention de ce dernier personnage connu par sa laideur, son costume grotesque, ses habitudes ridicules, sa vanité, son ignorance et sa crédulité, suffit pour indiquer que cette pièce est un piège tendu aussi bien à la simplicité des amateurs de prodiges quà lignorance vaniteuse de labbé de Saint-Martin. Nous ignorons si labbé de Choisy en est ou non lauteur ; quoiquil en soit, elle contient un passage qui trouve naturellement sa place après la lettre de Commerson sur les Kimos, le voici textuellement :
« Les Tarisbos sont des petits hommes sauvages habitant les sapinières. Le plus grand de ces petits nains na pas dix-huit pouces, ils vivent en société comme les autres hommes. Leur plus ordinaire occupation est la chasse dont ils se nourrissent. La graine de pomme de pin leur sert de pain ; leur breuvage est de leau, dans laquelle ils écrasent des fraises et des groseilles rouges quils ont abondamment dans les bois et les montagnes. Ils ont guerre continuelle avec les grands magots à cul-bleu. Les Européens qui traffiquent en cette coste là, leur apportent des pistolets de poche avec lesquels ils épouvantent ces magots et en tuent même quelquefois. Ces petits drôles sont aussi fiers que les lions qui habitent auprès deux dans les montagnes. Ils nourrissent de petits animaux semblables à nos renards et de la même taille qui leur servent de monture pour courir à la chasse le long des rochers les plus escarpés. Ces nains parlent et conversent ensemble comme les autres hommes. Il y en a dans cette ville plus de trente, tant mâles que femelles, que les marchands nourrissent pour leur plaisir, et comme ils ont appris à parler bon portugais, on a jugé de là quils sont créatures raisonnables
Ils se marient comme les sauvages et vivent beaucoup moins brutalement. Ils sont gaillards et ont de lesprit comme des singes. »
Cette lettre est de 1685, cest-à-dire de plus de vingt ans postérieure à lexcellente histoire de Flacourt. Labbé de Saint-Martin en fut-il seul la dupe ? Il est permis den douter, lorsque lon réfléchit que lopinion, sincère ou non, de Commerson sur les pygmées, a rencontré des partisans dans un siècle éminemment sceptique, et que même de nos jours il se fabrique sur Madagascar des morceaux non moins fabuleux, dont les journaux de Paris font de temps en temps loffrande à leurs abonnés, persuadés quils trouveront quelque lecteur disposé à y ajouter foi.
PRÉCIS HISTORIQUE.
I. RELATION DES EUROPÉENS AVEC MADAGASCAR, DEPUIS LA DÉCOUVERTE JUSQUÀ LA CESSION DE LÎLE-DE-FRANCE AUX ANGLAIS, EN 1814.
§ 1. Notions des Arabes sur Madagascar. Découverte de lîle par les Portugais. Visite de Tristan dAcunha. Expédition portugaise et premières relations avec les Malgaches. Les Anglais et les Hollandais.
Après avoir esquissé les traits caractéristiques des principales nations malgaches, nous croyons utile de présenter le résumé des rapports que les peuples dAsie et dEurope ont eus avec Madagascar.
Les commentateurs des géographes anciens semblent avoir eu un penchant décidé à reconnaître Madagascar dans toutes les îles de la mer Érythrée (la mer des Indes) auxquelles ils ne pouvaient appliquer un autre nom moderne. Il y avait de ladresse dans le choix quils faisaient de cette île pour se tirer de leur embarras scientifique, car, pour me servir des paroles dun homme qui fut lui-même un commentateur effréné : « Ubi desinit cognitio, ibi fingendi incipit licentia ; » (Vossius) Madagascar nétant que fort imparfaitement connu, leurs assertions passaient sans discussion. Cest ainsi que pour cacher une ignorance quils considéraient à tort comme déshonorante, ils ont accollé au nom de Madagascar, les noms de Phébol, de Menuthias, de Cerné, et quils ont reconnu dans cette île celle que décrit Diodore dans sa gullivériade dIambulus. Lexamen des textes anciens où ces noms se trouvent mentionnés nautorise nullement à adopter ces explications tourmentées. Les connaissances des Grecs et des Romains étaient très bornées sur les îles occidentales de la mer Érythrée, et il a fallu tout le courage, toute la hardiesse des scholiastes modernes, pour se livrer à de longues dissertations sur les maigres notions quils nous ont transmises.
Il nen est pas de même des Arabes. Leurs ouvrages géographiques nous apprennent dune manière certaine quils faisaient un grand commerce sur la côte orientale dAfrique et dans les îles qui lavoisinent. Ce fut vers le VIIe siècle quils se fixèrent aux îles Comores et sétablirent sur la côte Nord-Ouest de Madagascar. Le géographe Edrisi, qui vivait dans le XIIIe siècle a donné une description de la grande île et de son archipel sous le nom de Zaledj. Il rapporte aussi un fait curieux que nous reproduisons textuellement :
« On dit que, lorsque létat des affaires de la Chine fut troublé par les rébellions, et que la tyrannie et la confusion devinrent excessives dans lInde, les habitants de la Chine transportèrent leur commerce à Zaledj et dans les autres îles qui en dépendent, entrèrent en relations et se familiarisèrent avec ses habitants, à cause de leur équité, de la bonté de leur conduite, de laménité de leurs murs et de leur facilité dans les affaires
»
Le fond de ce récit est sans doute vrai, mais les motifs qui guidèrent les Asiatiques dans le choix de leur nouvelle patrie sont évidemment des ornements du conteur arabe : la mauvaise foi, la finesse et la lenteur des Malgaches et des Comorois dans la conclusion dun marché, sont passées en proverbe aux îles Maurice et Bourbon.
Les relations des Arabes et des Chinois avec Madagascar sont confirmées par le célèbre voyageur Marco Polo ; il recueillit de leur bouche les détails curieux quil publia à son retour de la Chine en 1298. Il est le premier écrivain qui ait mentionné le nom (Madeigascar) sous lequel cette île a été désignée depuis.
On sétonnerait que les Portugais, dont les flottes se rendaient chaque année dans lInde, depuis 1497, date du premier voyage de Vasco de Gama par le cap de Bonne-Espérance, naient pas abordé à Madagascar avant lannée 1506, si lon ne savait que leurs flottes saventuraient rarement loin des côtes, sur une mer quils ne connaissaient pas, et que la superstition avait remplie dinnombrables dangers. Ce fut la tempête qui poussa sur « une terre inconnue, de fort grande étendue, revêtue de forêts épaisses et abondante en bestiaux », que lon sut plus tard être Madagascar, une flotte de huit vaisseaux qui revenaient de lInde en Portugal sous la conduite de Fernan Suarez. Jusqualors, les seuls renseignements que lon possédât sur cette île se bornaient à lancienne et imparfaite description de Marco-Polo, et aux relations encore plus vagues des Arabes qui y trafiquaient. Quelques mois après cette découverte fortuite, Ruy Pereira, capitaine dun des navires qui formaient la flotte de Tristan dAcunha, ayant été séparé de ses compagnons par une tempête, aborda à Madagascar : la fertilité de cette terre le frappa à tel point quil se dirigea immédiatement vers Mozambique où il espérait rencontrer Tristan dAcunha, pour engager lamiral à visiter cette île que lon disait abondante en épiceries et surtout en gingembre. DAcunha sy rendit en effet, parcourut la côte occidentale, étudia les productions et les murs des habitants, et dessina la carte de ses découvertes. Le soin quil mit à recueillir ces renseignements lui a fait attribuer par quelques historiens la découverte de lîle entière, et lui a mérité léloge que Camoens met dans la bouche de la nymphe au dixième chant de sa Lusiade : « Quel astre nouveau brille sur les côtes sanglantes de Mélinde ? Cest ce guerrier vainqueur de Lanno dOja et de Brava, le valeureux Tristan dAcunha, dont le nom vivra toujours sur les rivages de Madagascar et dans les îles du midi. »
Les rapports qui parvinrent au roi Emmanuel sur les productions de Madagascar engagèrent, en 1509, ce monarque à envoyer Jacques Lopez de Siqueira dans cette île. Le but principal de ce voyage était de vérifier si, comme on le disait, il sy trouvait de largent et des épices. Quoique le rapport de cet envoyé ne confirmât en aucune manière lopinion populaire, il se fit lannée suivante une expédition dont Juan Serrano eut le commandement. Ce navigateur reçut lordre daller prendre une connaissance exacte de lîle et des avantages que le commerce pouvait en retirer ; il devait en même temps y établir une traite.
Telles furent les premières relations queurent les Portugais avec Madagascar. Leurs opérations commerciales ny prirent jamais aucune importance ; elles se bornaient à lexportation de quelques esclaves quils achetaient des Arabes fixés dans les ports du Nord-Ouest. Quelques moines sétaient établis dans ces comptoirs et avaient fait parmi les naturels des tentatives de conversion qui neurent aucun succès et se terminèrent même par le massacre des ecclésiastiques.
Depuis près dun siècle les Portugais étaient les maîtres du commerce de lInde, lorsque les Hollandais et les Anglais commencèrent à y trafiquer. Ces nouveaux concurrents, qui se disputaient souvent le butin, leur ravirent un à un les principaux ports où leurs flottes venaient jadis jeter lancre, et semparèrent du commerce qui prit bientôt un accroissement immense entre les mains des nouveaux-venus.
Les avantages que Madagascar offre à lindustrie devaient naturellement passer inaperçus dans la lutte acharnée que ces deux puissances maritimes se livrèrent par la suite. Quelques postes furent fondés par les Anglais sur la côte occidentale, mais ils eurent à peine une année dexistence. LInde attirait seule alors les regards de lEurope, non-seulement à cause de la facilité quon trouvait à sy enrichir, mais aussi à cause de lantique civilisation, des murs polies, et du luxe de ses habitants. On conçoit que Madagascar devait être dédaigné par le voyageur qui avait visité Cananor, Calicut et les autres cités des côtes de Malabar et de Coromandel. Quel intérêt pouvait avoir, après le spectacle de ces contrées opulentes, laspect des chétives cabanes, du rivage malsain et du peuple presque nu de lîle Saint-Laurent, comme on appelait alors Madagascar ?
§ 2. Établissement dune compagnie française pour lexploitation du commerce de lîle. Pronis et Fouquembourg. Fondation du Fort-Dauphin. Étienne de Flacourt. Champmargou.
Les Français se mêlèrent peu à la grande querelle des Hollandais et des Anglais. Sils expédiaient des navires dans la mer des Indes, cétait pour surprendre et combattre les bâtiments des nations en guerre avec la France, « et non-seulement ceux-là, comme le dit naïvement Cauche, mais encore les vaisseaux des Mahométants et Gentils, qui traffiquaient ès seins Persique et Arabique. »
Lusage du temps permettait alors ces pirateries que les Hollandais et les Anglais étendaient, selon les circonstances, aux bâtiments des nations amies et à ceux mêmes de leurs compatriotes. Madagascar était le refuge habituel de ces corsaires, qui, lorsque les prises navaient pas été bonnes, trafiquaient avec les naturels, et rapportaient en Europe de la cire, de lébène et des cuirs. Les Français comprirent les premiers limportance de cette île et sy établirent. Une compagnie se forma en France en 1637, et reçut, en 1642, du cardinal de Richelieu, grand-maître, chef et surintendant-général du commerce et de la navigation de France, son privilège exclusif du commerce avec « Madagascar et les costes adjacentes. »
Pronis et Fouquembourg, agents de cette compagnie, arrivèrent dans lîle avec douze Français, et sétablirent à Mangafiaf ou Baie de Sainte-Luce (côte S.-E.), du consentement du chef de la province. Un renfort dhommes arriva quelque temps après ; mais la fièvre fit de tels ravages dans la petite colonie que Pronis dut chercher une habitation moins insalubre. Les cases de Saint-Pierre (cest ainsi quon nommait le lieu où lon sétait dabord fixé) furent donc abandonnées pour celles que le petit nombre dhommes épargnés par la maladie venaient de construire, un peu plus au sud, sur la presquîle de Tolang-hare.
Cest en cet endroit, qui prit plus tard le nom de Fort-Dauphin, que la France a prodigué en pure perte lor et le sang de ses enfants. Guerres souvent injustes contre les naturels, discordes intérieures, révoltes contre lautorité du gouverneur, trahisons odieuses, tels sont les faits quoffre lhistoire de ce funeste établissement. Des plans excellents qui auraient eu les plus heureux résultats sils avaient été suivis à la lettre, étaient acceptés par le gouvernement, mais dans lexécution on en violait lesprit, on retombait sans cesse dans les anciennes fautes.
Après Pronis, dont lintelligence nétait pas à la hauteur de sa charge, vint, comme gouverneur, le sieur Étienne de Flacourt qui nous a laissé une longue et intéressante histoire de son administration. Les vues de Flacourt, homme énergique et éclairé, étaient très sages ; son système aurait amené la prospérité dans la colonie, si la Compagnie lui avait expédié les secours quelle sétait engagée à lui fournir. Son activité se déploya cependant dune manière remarquable. Quoique privé de toutes ressources au milieu dune population que laffaiblissement des Français rendait arrogante, accusé sans cesse par ses administrés, il sut maintenir son autorité, et fit en outre entreprendre dans lintérieur et sur les côtes des voyages dexploration, qui servirent, avec ses propres recherches, au précieux livre quil nous a laissé sur Madagascar.
Les gouverneurs qui lui succédèrent navaient pas ses talents, et ne purent surmonter les difficultés de leur position. Parmi eux, Champmargou se fit seul remarquer ; sa constance et sa fermeté reculèrent mais ne purent prévenir linstant où la puissance française devait disparaître de Madagascar. À sa mort la catastrophe arriva : les Français, au moment de quitter lîle, tombèrent victimes dune conspiration dans laquelle leurs alliés mêmes étaient entrés. Un navire, qui en se rendant à Surate avait relâché au Fort-Dauphin, ayant aperçu le signal de détresse quon lui faisait du rivage, recueillit dans sa chaloupe le petit nombre de ceux qui avaient échappé à la zagaïe des naturels.
Ce fut sous le gouvernement de Champmargou que le père Étienne, directeur de la mission, poussé par un zèle inconsidéré, essaya de convertir au christianisme un chef influent dans la province et allié des Français ; cette tentative coûta la vie à lardent ecclésiastique, et fit perdre à ses compatriotes un précieux appui, dans un moment où la trahison diminuait le nombre de leurs partisans. Il ne faut pas cependant attribuer à laversion pour la religion chrétienne le massacre du père Étienne ; ce fut son entêtement et la violence de son caractère qui lentraînèrent à sa perte. Les Malgaches venaient en grand nombre se faire baptiser, pourvu quon les laissât vivre à leur manière. Vers lannée 1670, il y avait plus de mille chrétiens parmi les naturels, mais cinquante à peine vivaient daprès les lois de lÉvangile.
§ 3. De Maudave rétablit le Fort-Dauphin. Histoire de la colonisation de Benyowsky. Établissement dans la baie dAntongil. Obstacles et revers. Retour de fortune. Grand kabar des naturels. Élévation de Benyowsky au pouvoir souverain. Séparation davec la France. Départ de Benyowsky. Son retour et sa mort. Appréciation de son caractère. Tentative du général de Caen à Tamatave.
Depuis cette époque, la France a songé plusieurs fois à reprendre possession des points de la côte orientale quelle avait occupés. En 1768, M. de Maudave alla relever les ruines du Fort-Dauphin. Grâce à une modération et à un système déconomie bien entendu, ce gouverneur serait parvenu à faire prospérer son entreprise, si la jalousie de ladministration de lÎle-de-France et les continuels changements de politique dans la métropole navaient sans cesse mis des entraves à laccomplissement de ses projets.
En 1773, le baron ou comte de Benyowsky reçut du gouvernement la mission de fonder un grand établissement dans la baie dAntongil. Lhistoire de ce célèbre aventurier, dont le caractère et les projets ont été étrangement calomniés par Rochon et la secte des économistes, trouve ici dautant mieux sa place que sa conduite envers les Malgaches, son plan de gouvernement, ses vues davenir, tous ses actes enfin, devront un jour servir de modèles au gouvernement qui voudra fonder un établissement durable à Madagascar.
Après sa merveilleuse évasion du Kamtschatka, le comte polonais Maurice de Benyowsky, dont les aventures romanesques sont trop connues pour que nous ayons besoin de les rappeler ici, se rendit à lÎle-de-France. Ce fut là sans doute quil conçut lidée dun établissement à Madagascar, idée qui rencontra dès-lors des oppositions implacables dans le gouvernement même de la colonie. Arrivé en France en 1772, Benyowsky réussit à obtenir le commandement dune expédition considérable à Madagascar ; mais à lÎle-de-France ses projets, traités de fous et dabsurdes, furent si longtemps entravés, quil ne put venir mouiller dans la baie dAntongil que le 14 février 1774. Il sétablit immédiatement sur les bords de la rivière Tungum-baly, dans un endroit quil nomma Louisbourg ; les chefs et les députés des districts environnants vinrent immédiatement sengager par serment à coopérer de tous leurs efforts à la prospérité de létablissement. Les Zaffi-Rabé seuls ayant rompu leur serment et menaçant la sûreté de la colonie, Benyowsky leur acheta leurs villages, et sut plus tard échapper à une tentative dempoisonnement de la part de ces ennemis acharnés.
Poussé à bout, il les contraignit par la force à se réfugier au fond des forêts, et dans la suite les peuplades alliées se chargèrent de la répression des Zaffi-Rabé et des autres ennemis de létablissement. Mais la fièvre avait déjà fait des ravages irréparables. Après avoir vu mourir près de lui son fils unique et son ami, le major de Marigny, dont lassistance lui avait été toujours dune grande utilité, il fut atteint lui-même de la fièvre, et obligé de se faire transporter dabord dans lîle Marosse (nommée par lui île dAiguillon), où lair est moins insalubre quà Louisbourg, puis à un endroit appelé la Plaine-de-Santé, situé à neuf lieues environ dans lintérieur.
Cependant la haine des gouverneurs de lÎle-de-France poursuivait sans relâche Benyowsky. Lemployé au magasin de Louisbourg étant mort de la fièvre, un autre intendant fut envoyé de lÎle-de-France avec des ordres secrets qui eussent ruiné de fond en comble le nouvel établissement sans la vigilance de son chef. Toutes ces difficultés ne le décourageaient pas : daprès ses ordres, des interprètes parcouraient les provinces les plus reculées de lîle, établissaient des marchés, et faisaient, en son nom, des alliances avec les chefs qui navaient pu se rendre à lassemblée générale et prêter le serment dusage. Avec laide des naturels on entreprenait de tous côtés des routes, des canaux ; on construisait des forts et des bâtiments spacieux. Chaque jour on voyait arriver des députés à Louisbourg, soit pour offrir des secours contre les Zaffi-Rabé, soit pour solliciter des traités avec létablissement. Dans un voyage que Benyowsky fit à Foulpointe, les Bétanimènes, les Fariavahs et les Betsimsaracs le choisirent pour arbitre de leurs différends, et conclurent, sur son avis, une paix qui devait avoir les résultats les plus favorables à létablissement français. Le kabar où se discuta cette importante affaire était composé denviron vingt-deux mille naturels.
À son retour à Louisbourg, Benyowsky apprit que les Zaffi-Rabé, au nombre de trois mille, avaient paru en armes dans les environs et avaient demandé à présenter leurs plaintes au gouverneur. Il nhésita pas à se rendre dans leur camp, accompagné dun interprète seulement ; mais à peine avait-il achevé de répondre au discours des chefs, quil se vit entouré et menacé par eux. Il allait succomber quand cinquante Malgaches, conduits par un officier européen, arrivèrent de létablissement et attaquèrent les Zaffi-Rabé avec vigueur. Benyowsky échappa comme par miracle à la mort ; tandis quil parait avec son épée les coups quon lui portait, il entendit des chefs sécrier : « Cest un ampoumchave (un sorcier), nous sommes perdus ! »
Cependant trois années sétaient écoulées sans nouvelles dEurope, et Benyowsky aurait succombé sous lattaque des Sakalaves du Nord sans le secours de tous les peuples de la Côte de lEst, qui prirent les armes en sa faveur et repoussèrent lennemi. Abandonné par la métropole, poursuivi par les intrigues du gouvernement de lÎle-de-France, Benyowsky résolut alors de profiter dune circonstance que le hasard avait fait naître il y avait déjà plus dun an, et bientôt ses affaires prirent une face toute nouvelle.
Au commencement de lannée 1775, il avait appris quune vieille Malgache, nommée Suzanne, quil avait ramenée de lÎle-de-France, disait avoir été vendue aux Français en même temps que la fille de Ramini-Larizon, dernier chef suprême de la province de Manahar (sur la rive méridionale de la baie dAntongil), et déclarait en outre que daprès certaines marques elle reconnaissait en Benyowsky le fils de cette princesse, et par conséquent lhéritier des Ampanzaka-bé, dignité éteinte depuis la mort de Ramini-Larizon. Les récits merveilleux de la vieille avaient fait une vive impression sur les chefs des environs : ils sétaient assemblés plusieurs fois et avaient déclaré quils nattendaient que le moment favorable pour reconnaître le sang de Ramini. À la même époque, un vieillard de Manahar, qui se disait inspiré, prédisait que de grands changements allaient avoir lieu dans le gouvernement de lîle, et que le descendant de Ramini se ferait bientôt connaître.
Chez un peuple superstitieux comme les Malgaches, ces bruits ne pouvaient manquer dagiter les esprits. Le 16 septembre 1776, douze cents hommes, précédés de leurs chefs, arrivèrent devant la maison de Benyowsky et demandèrent à lui faire une communication importante. Lorsque les saluts dusage eurent été échangés, Rafangour, le chef de la nation des Sambarives, se leva, et sadressant au gouverneur : « Béni soit le jour qui ta vu naître, dit-il dun ton solennel ; bénis soient tes parents, qui ont pris soin de ton enfance ; bénie soit lheure où tu posas ton pied sur le sol de notre île ! Les chefs malgaches ayant entendu dire que le roi de France avait lintention de te retirer de ce pays, et quil était fâché contre toi parceque tu avais refusé de faire de nous des esclaves, se sont réunis et ont tenu des kabars pour aviser à ce quil faudrait faire si ces rapports étaient vrais. Leur amour pour toi moblige en ce jour à te révéler le secret de ta naissance et de tes droits sur cette immense contrée dont tous les habitants tadorent. Oui, moi, Rafangour, le seul survivant de la famille de Ramini, je renonce à mes droits sacrés pour te déclarer le seul héritier légitime de Ramini. Zanaar, le bon Génie, qui préside à nos kabars, a inspiré tous les chefs à le reconnaître pour leur ampanzaka-bé, et à jurer quils ne tabandonneront jamais et quils protégeront, au prix de leur vie, ta personne contre les violences des Français. » Dautres discours furent prononcés par les chefs ; puis, en quittant leur nouvel ampanzaka-bé, tous se prosternèrent jusquà terre, marque dun respect qui nest dû quà la dignité souveraine.
Après le départ des Malgaches, trois officiers de létablissement, accompagnés de cinquante hommes, vinrent trouver Benyowsky, et lui déclarèrent que les intrigues du gouvernement de lÎle-de-France les avaient décidés à unir leur sort au sien, à ne jamais labandonner. Sur les remontrances de Benyowsky, ils répondirent quils sétaient entendus avec les chefs de la province, et quaucune considération ne pourrait les porter à se départir de leur projet.
Le lendemain un grand kabar eut lieu. Après avoir renouvelé leur déclaration de la veille, les chefs engagèrent Benyowsky, au nom du peuple malgache, à quitter le service du roi de France et à indiquer la province où il voudrait résider, afin quon y élevât une ville. Benyowsky répondit que son intention était bien de se démettre de ses fonctions de gouverneur ; mais que larrivée des commissaires, qui devaient dans peu visiter létablissement, pouvait seule le dégager de ses serments envers la France. Quant à la ville dont on projetait la fondation, il ajouta que lemplacement le plus convenable serait le centre de lîle, ce qui lui donna occasion de développer le plan de gouvernement quil conviendrait dadopter. Lorsquil eut fini, un des chefs reçut de lassemblée lordre de veiller à ce quaucune tentative ne fût commise contre la vie ou la liberté de leur ampanzaka-bé. Les commissaires royaux arrivèrent le 21 septembre 1776, et jusquau 27, visitèrent toutes les parties de létablissement. Après avoir remis à Benyowsky un certificat constatant la régularité de toute son administration, et reçu de lui la démission de sa charge, ils sembarquèrent précipitamment dans la crainte de la fièvre.
Dès lors, Benyowsky se considéra comme chef suprême de Madagascar. Le 10 octobre, il convoqua un kabar général des peuples malgaches, et accomplit toutes les cérémonies du grand serment. Le 11, lacte solennel et définitif qui constatait son élévation à la dignité dampanzaka-bé fut lu trois fois à haute voix et signé par trois des plus puissants chefs de lîle : Iavi, roi de lEst (dont Foulpointe était le chef-lieu), Lambouine, roi du Nord, et Rafangour, chef des Sambarives (habitants des environs de la baie dAntongil). Les chefs de toute la côte orientale, depuis le cap dAmbre jusquau cap Sainte-Marie, sétaient rendus à cette assemblée, dans laquelle plus de 50,000 Malgaches se prosternèrent devant leur nouveau souverain.
Les 13, 14 et 15, la constitution malgache, dont le premier et principal article instituait un conseil suprême de vingt-deux personnes choisies parmi les chefs des diverses nations, fut proposée et acceptée. Benyowsky fit alors connaître aux chefs la nécessité de conclure un traité avec la France ou tout autre pays, afin dassurer lexportation des produits de lîle ; il ajouta quil avait lintention de partir pour accomplir ce dessein. Le vieux chef Rafangour sécria que cétait courir à sa perte, et engagea lassemblée à ne point donner son assentiment à une telle imprudence ; mais, après une longue délibération, il fut décidé que lampanzaka-bé se rendrait, comme il le désirait, en France ou ailleurs, avec de pleins pouvoirs pour traiter au nom de la nation malgache, mais quil reviendrait à Madagascar, soit quil réussît, soit quil échouât dans ses projets.
Enfin, le 10 décembre de la même année, Benyowsky sembarqua sur le Bel-Arthur, brick quil avait frété. En séloignant des rivages de Madagascar, il put voir la multitude qui sy était rassemblée pour lui souhaiter un heureux voyage, et conjurer les maléfices dAngatch (le mauvais Génie) ».
À son arrivée en France, Benyowsky eut de longues et vives explications avec le gouvernement, dont il obtint enfin une épée dhonneur comme récompense de sa conduite, qui avait eu déjà un éloquent avocat dans le célèbre docteur Franklin. Mais le ministère rompit toutes relations avec le souverain de Madagascar, qui alla vainement offrir ses projets de traité à lAutriche et à lAngleterre. Son absence se prolongea ainsi jusquen 1785. Le 7 juillet, il arriva à lîle Nosse-Bé, dans la baie de Passandava, et se rendit par terre à la baie dAntongil. Lambouine, roi du nord, et une foule dautres chefs laccueillirent avec un enthousiasme qui montrait que leur attachement pour lampanzaka-bé navait pas diminué. Après avoir choisi pour sa capitale le village dAmboudirafia, où il construisit un fort, Benyowsky commença les hostilités contre les Français en semparant de leur magasin à Angoncy. Il envoya un détachement de cent hommes pour les chasser de Foulpointe ; mais larrivée de lOsterlay, flûte du roi, commandée par M. de Tromelin, fit avorter cette tentative.
Pendant que Benyowsky fortifiait sa résidence, établissait des postes à Manahar et dans dautres villages de la province, et soccupait de lamélioration du sort de ses sujets, une expédition se préparait contre lui à lÎle-de-France. Soixante hommes du régiment de Pondichéry débarquèrent à Angoncy et arrivèrent sans résistance au pied du fort de Mauritiana, où Benyowski sétait renfermé avec deux blancs et trente naturels. Un feu de mousqueterie sengagea entre la troupe et la petite garnison du fort qui, par la fuite des Malgaches, se vit bientôt réduite aux trois Européens. Au moment où Benyowsky allait mettre le feu à une de ses pièces dartillerie chargée à mitraille, une balle latteignit au sein droit et il expira quelques minutes après. Son corps resta trois jours sans sépulture ; ce fut M. Lasalle, un de ses officiers, qui le fit enterrer, et planta les deux cocotiers que lon voit encore sur sa tombe.
Telle fut la fin de cet homme extraordinaire dont les Malgaches révèrent encore la mémoire et auquel les Français nont rendu quune justice tardive. Il avait de grandes vues et des qualités inestimables ; il était extrêmement brave, généreux et juste ; il punissait et récompensait toujours à propos ; son esprit était plein de grâces, et son caractère, de douceur et daffabilité ; il aimait à causer, mais il parlait peu de lui-même et savait écouter avec complaisance ; il sexprimait avec facilité en neuf langues différentes. Un homme qui a vécu longtemps près de lui, et qui shonore de lavoir servi, complète son portrait en ces termes : « Benyowsky était grand et bien fait ; il avait une figure ronde, un air martial, les yeux noirs et les cheveux dun brun foncé ; son nez était un peu gros et ses lèvres minces ; il boitait des suites dune blessure quil avait reçue dans les guerres de Pologne. »
Létablissement de Benyowsky fut le dernier essai de colonisation tenté par les Français sur une échelle un peu vaste à Madagascar. On ne peut sempêcher de regretter que des efforts si souvent répétés naient rien pu fonder de stable, soit, comme le dit un auteur du siècle dernier, par un effet de cette légèreté que nous reprochent les autres nations, et faute de pouvoir suivre une entreprise dès que les commencements en sont malheureux, soit manque de fonds considérables et proportionnés aux premières dépenses quil était à propos de faire.
Après la mort de Benyowsky, le gouvernement des îles de France et de Bourbon reprit, à Madagascar, linfluence quil avait été sur le point de perdre. Des chefs de traite furent rétablis sur plusieurs points de la côte orientale. En 1804, le général de Caen soccupa dintroduire une bonne organisation dans ces postes, qui navaient été jusqualors que de simples entrepôts de bufs et de riz. Il ordonna que Tamatave fût choisi comme chef-lieu en place de Foulpointe ; il y fit construire un fort, quelques ouvrages de défense, et projetait dautres travaux, lorsque la corvette anglaise lÉclipse, capitaine Lynne, mouilla dans la rade (1811), et somma le commandant, Sylvain Roux, de remettre à S. M. Britannique tous les établissements occupés par les Français. Quoique déjà informé de la capitulation de lÎle-de France, Sylvain Roux ne rendit les postes qui étaient sous son autorité quavec des conditions très honorables. Quelque temps après, une garnison anglaise assez forte y fut envoyée, mais la plus grande partie des hommes qui la composaient ayant été moissonnés par les fièvres, le gouvernement se décida à ny laisser que des agents, comme cela se pratiquait du temps des Français.
II. RÉCIT DES ÉVÉNEMENTS SURVENUS À MADAGASCAR DEPUIS 1814 JUSQUÀ CE JOUR (1840).
§ 1. Prétentions des Anglais sur Madagascar. Établissement des Français à Sainte-Marie. Désastres de cette expédition. Vues ambitieuses des Anglais. Première tentative détablissement au port Louquez. Projets de sir Robert Farquhar.
Le traité de Paris, du 30 mai 1814, rendit à la France ses anciens droits sur Madagascar. Larticle 8 stipule en effet la restitution des établissements de tous genres qui nous appartenaient hors de lEurope avant 1792, à lexception de certaines possessions, au nombre desquelles ne figure point Madagascar. Mais comme cet article portait en même temps cession à la Grande-Bretagne de la propriété de lÎle-de-France et de ses dépendances, sir Robert Farquhar, gouverneur de cette colonie devenue anglaise, prétendit que les établissements de Madagascar se trouvaient implicitement compris dans la cession, comme ayant été rangés au nombre des dépendances antérieurement à 1792.
Cette interprétation erronée du traité de Paris donna lieu entre les cabinets de France et dAngleterre à une négociation à la suite de laquelle le gouvernement anglais reconnut que la prétention élevée par sir Robert Farquhar nétait nullement fondée, et adressa à ce gouverneur, sous la date du 18 octobre 1816, lordre de remettre immédiatement à ladministration de Bourbon les anciens établissements français à Madagascar.
En 1818, Sylvain Roux fut envoyé à la Côte de lEst sur la flûte le Golo, commandée par M. le baron Mackau, afin dy examiner quel serait le lieu le plus convenable pour la formation dune colonie. Il visita Tamatave pour connaître les dispositions de son ancien interprète Jean René ; celui-ci, devenu chef indépendant, refusa de recevoir une garnison française. Sylvain Roux porta dès lors ses vues sur la petite île de Sainte-Marie, qui, par un acte conclu le 30 juillet 1750, entre Bétie, reine de Foulpointe, et le chef de traite Gosse, appartenait aux Français. Sylvain Roux revint en France, et présenta, comme un gage des dispositions favorables des Malgaches, le jeune Bérora, fils de Fiche, chef du canton dYvondrou, et Mandi-tsara, dernier rejeton de Tsifanin, chef de Tintingue. Une expédition fut décidée quelque temps après, et Sylvain Roux en eut le commandement avec le grade de capitaine de vaisseau. Soixante ouvriers militaires, quelques colons et un état-major complet partirent sur la gabarre la Normande et sur la goëlette la Bacchante, et débarquèrent à Sainte-Marie au mois doctobre 1821.
On ne comprend pas quun homme qui avait vécu tant dannées à Madagascar, et qui connaissait par conséquent linsalubrité de la côte, ait choisi, pour sy établir, une époque aussi rapprochée de lhivernage, dont la funeste influence ne pouvait manquer de se faire sentir sur les Européens quil amenait avec lui.
Il paraît que Sylvain Roux, qui avait rempli dignement les fonctions dagent commercial, était loin davoir ce sang-froid et cette fermeté nécessaires au chef dune colonie naissante et doù dépend souvent tout son avenir ; car sa présence desprit labandonna dès que la fièvre commença à exercer ses ravages dans létablissement. Il ne survécut pas longtemps lui-même aux malheureux que son imprévoyance avait conduits au tombeau.
Pendant que notre gouvernement sefforçait de ressaisir la possession de ses anciens établissements, lAngleterre, qui nous avait enlevé lÎle-de-France, songeait de son côté à semparer du commerce de Madagascar. Déjà en 1815 une malheureuse tentative avait été faite au port Louquez ; limprudence du capitaine anglais, qui avait frappé le chef Tsitsipi dans un moment de colère, fut suivie daffreuses représailles. Tous les Anglais furent massacrés le lendemain, à lexception dun seul qui séchappa dans un canot. Le capitaine Lesage fut envoyé, le 23 avril 1816, pour réclamer justice de cet attentat et rétablir le poste de Louquez. À son arrivée il convoqua un kabar où Tsitsipi fut condamné à mort ainsi que ses complices ; le chef fut pendu sur le lieu même où avait été commis le massacre. Cependant, vers la fin de lannée, létablissement fut abandonné par M. Pye qui en était commandant. Lenvoi du capitaine Lesage avait encore pour but de sassurer par des lettres et des présents lalliance du roi des Sakalaves-du-Nord et des principaux chefs de la côte orientale.
À la même époque, le gouverneur de Maurice, sir Robert Farquhar, fut chargé de faire cesser la traite des esclaves qui approvisionnait cette île et celle de Bourbon. Pour y parvenir, il fit poursuivre par les corvettes de la station les nombreux négriers quon armait secrètement. Des gardes-côtes furent établis tout autour de lîle Maurice, mais le débarquement des esclaves ne sen faisait pas moins la nuit avec une adresse qui déjouait toutes les mesures prises par lautorité. Des nombreux rapports faits au gouvernement par les inspecteurs, il résultait que la plus grande partie des esclaves introduits récemment dans la colonie étaient des Malgaches, que les colons préféraient aux Cafres, parce quils étaient plus intelligents et devenaient meilleurs ouvriers. M. Schmidt, grand-juge, apprit dailleurs, par les nombreux procès quil était appelé à instruire et à juger, que le grand pourvoyeur des esclaves de Maurice était le souverain des Hovas, Radama, qui commençait à se faire un nom à Madagascar, et en donna avis à sir Robert Farquhar. Connaissant dès lors la source du mal, le gouverneur résolut de la tarir en sadressant directement à Radama.
Telle fut lorigine des premières relations queurent les Anglais avec le roi dÉmirne ; mais avant den raconter les diverses phases, je crois utile de faire connaître ce quétait alors le pouvoir nouveau qui sélevait au milieu de lîle.
§ 2. Histoire de Dianampouine, roi dÉmirne. Étendue de son autorité. Avènement de Radama, son fils, en 1810. Mission de Chardenaux à Émirne. Radama confie linstruction de ses jeunes frères au gouvernement anglais. Mission du capitaine Lesage. Obstacles quil rencontre à Tamatave. Sa réception à Tananarivo. Signature dun traité secret avec Radama. Retour de Lesage à Maurice.
Jusquà lépoque où Dianampouine, père de Radama, devint grand chef (manjaka) de Tananarivo, aujourdhui capitale dAncove, les Hovas nétaient connus que comme un peuple intelligent et habile dans lart de fabriquer les étoffes et de fondre le fer. Divisée en plusieurs cantons, ayant chacun son chef particulier, la province était sans cesse le théâtre des guerres que ces petits rois se faisaient entre eux. Il était très rare que les hostilités se portassent sur les terres des peuples voisins, dont les forces étaient alors supérieures à celles des Hovas divisés.
Cette agitation du peuple hova avait pour cause le peu détendue et de fertilité de leur territoire. Un prince habile à leur tête, et ils débordaient de toutes parts dans les provinces voisines. Dianampouine fut ce prince : chef obscur dun canton à environ quinze lieues de Tananarivo, il se rendit maître par la force des armes de tout le pays occupé par les Hovas, et malgré lopposition que lui suscitaient les chefs vaincus, il affermit assez son autorité pour pouvoir étendre sa domination sur des peuples étrangers.
Cétait un homme dun caractère énergique, entreprenant, et à la fois plein de sagacité et de ruse. Quoique lambition le rendît parfois cruel et sanguinaire, il sut se rendre populaire en faisant administrer avec impartialité la justice à ses sujets, et contribua beaucoup au perfectionnement de leur industrie. Les lois quil établit furent religieusement observées par les Hovas ; ce qui donne la mesure de son autorité. Celles qui défendaient, sous peine de mort, lusage des boissons fermentées et du tabac froissaient des penchants et des habitudes enracinés chez ce peuple ; cependant personne néleva la voix pour réclamer contre des édits qui ordonnaient des privations aussi dures. Sous Radama, lusage du tabac seulement fut permis ; livrognerie resta toujours considérée comme un crime.
Dianampouine mourut en 1810 à lâge denviron soixante-cinq ans, après avoir régné vingt-cinq à trente ans. Il laissait à son second fils, Radama, un royaume déjà puissant qui réunissait sous la même autorité toutes les divisions dAncove, une grande portion dAntscianac, dAncaye et de la province des Betsilos. Laîné des fils de Dianampouine, après avoir commandé larmée des Hovas et contribué à la conquête du pays des Betsilos, avait été mis à mort par lordre de son père, pour sêtre fait le chef dune conspiration tendant à le renverser.
Radama avait dix-huit ans, et il faisait la guerre aux Bezonzons lorsquil fut appelé à prendre les rênes du gouvernement. Ce nétait pas encore lAfricain éclairé que nous ont peint sous des couleurs si brillantes les flatteries des missionnaires anglais, mais cétait un jeune homme intelligent, brave, ambitieux, désireux daccroître ses connaissances par des relations avec les Européens que son père avait déjà attirés à Tananarivo en ouvrant un marché desclaves dont les chefs de la Côte de lEst étaient les agents les plus actifs. À cette époque on eût vu celui qui affecta plus tard toutes les pompes de la royauté, assis sur une natte de jonc, revêtu du lamba national, au milieu de sa case construite en bois et totalement dépourvue de meubles européens.
Tel était alors le jeune chef dont le gouvernement anglais recherchait lalliance et lamitié. Il envoya dabord auprès de lui un ancien traitant, nommé Chardenaux, pour lengager à conclure un traité de commerce avec lAngleterre et à envoyer à Maurice quelques enfants de sa famille qui y seraient élevés aux frais du gouvernement. Radama accueillit avec empressement ces premières ouvertures, et confia à Chardenaux ses deux frères, Maroutafik et Rahovi, lun âgé de douze à treize ans, lautre de onze ans. Les enfants furent accompagnés à Maurice par plusieurs officiers du roi et différents chefs de la côte, qui revinrent à Madagascar après avoir rempli leur mission.
Enhardi par cette marque de confiance de la part de Radama, sir Robert Farquhar expédia, en qualité dagent général à Tananarivo, le capitaine Lesage, qui venait darriver du port Louquez. Lesage partit avec plusieurs personnes chargées de le seconder dans les observations quil devait faire en traversant le pays de la côte à Tananarivo. Il avait aussi une escorte dune trentaine de soldats, destinée à frapper les regards du monarque hova par lappareil de la discipline et de luniforme européens ; enfin, il était porteur de riches présents qui devaient achever de gagner les bonnes grâces de Radama.
Après avoir séjourné quelque temps à Tamatave, où il parvint à séduire, par des dons et des promesses, le chef Jean René, Lesage témoigna le désir dentreprendre un voyage dans lintérieur et de visiter Radama, dont il avait entendu parler, disait-il, comme dun homme extraordinaire. Jean René, alors enthousiaste des Anglais, loin de sopposer à son départ, lui facilita les moyens de lexécuter en lui procurant des hommes pour le transporter avec sa suite et ses bagages. Le chef de Tamatave était loin de penser quil travaillait ainsi à la destruction de sa propre indépendance ; Fiche, son frère, chef dYvondrou, qui connaissait et détestait les Anglais, se montra plus prévoyant et moins facile à séduire. Depuis larrivée de Lesage, il venait fréquemment à Tamatave, et toujours pour reprocher à Jean René son trop de confiance, et lui prédire quil aurait bientôt sujet de sen repentir ; mais celui-ci, aveuglé par lespoir de la considération et de la puissance que lon avait eu soin de lui faire entrevoir comme récompense de sa docilité, demeura sourd à ces sages et utiles avertissements.
Il paraît que Fiche poussa lesprit dhostilité contre les Anglais jusquà leur refuser des pirogues et des vivres pour leur voyage. Quoi quil en soit, le capitaine Lesage se mit en marche vers Tananarivo, tantôt traversant des rizières inondées, tantôt gravissant des montagnes escarpées, par des routes tracées à peine, et au milieu de la saison la plus défavorable de lannée. Sa petite troupe, diminuée par les fièvres et les fatigues, atteignit enfin la capitale des Hovas, et Lesage y fit son entrée solennelle au milieu dune immense population accourue pour voir les étrangers.
Lautorité absolue dont jouissent les souverains hovas rend leur abord plus imposant que celui des autres princes ou chefs de Madagascar. Radama reçut lagent anglais, assis sur une espèce de trône (lapa), environné de ses ministres et de ses officiers, dans une salle spacieuse ornée de fusils et de quelques canons. Après avoir remis ses lettres de créance, Lesage fut accueilli par le jeune monarque avec une politesse et des manières nobles quil navait encore aperçues chez aucun autre chef de lîle. Il en reçut plus tard des marques dun vif intérêt ; sa santé navait pu résister aux fatigues du voyage, et il sentit peu après son arrivée les premières atteintes de la funeste fièvre du pays.
Radama prodigua les soins les plus tendres au malade quil fit traiter par les médecins hovas. Au sortir dune longue période dinsensibilité, Lesage apprit la mort de sept de ses compagnons. Il se hâta dès-lors de remplir sa mission, et fit le serment du sang avec Radama le 14 janvier 1817. Ce ne fut que le 4 février suivant quils arrêtèrent les bases dun traité secret qui devait être ratifié plus tard par le gouverneur de lîle Maurice. Le lendemain, lenvoyé anglais prit congé du roi, laissant auprès de lui deux militaires pour instruire son armée aux manuvres européennes. Lun, nommé Brady, simple sergent, se fit aimer du peuple et du souverain par ses qualités, et parvint aux plus hautes dignités hovas ; lautre se rendit au contraire odieux aux naturels par son extrême sévérité, et ne joua aucun rôle important à Madagascar. À peine arrivé à Tamatave, Lesage, dont létat laissait peu despoir de guérison, sempressa de retourner à Maurice pour y rendre compte de sa mission.
§ 3. Retour des frères de Radama avec leur gouverneur Hastie. Portrait de cet agent secret du gouvernement de Maurice. Il trouve Radama à Tamatave. Conquêtes du jeune monarque. Envahissement du territoire de Jean René. Traité de paix de Manaarez. Entrée de Radama à Tamatave et fuite de Fiche à lÎle-aux-Prunes.
Cependant les deux jeunes frères de Radama, envoyés à lîle Maurice, avaient été confiés aux soins dun homme qui devait un jour acquérir une grande influence à la cour de Tananarivo.
Hastie, sergent dans un régiment en garnison à lîle Maurice, sétait fait distinguer du gouverneur par son courage et sa présence desprit dans lincendie qui détruisit une partie du Port-Louis. Cétait un homme adroit, insinuant, peu scrupuleux sur le choix de ses moyens dinfluence, et déjà il avait été employé dans lInde à des missions de confiance, mais peu honorables. Ce fut lui qui donna aux jeunes Hovas les premiers éléments de léducation et qui les reconduisit à Madagascar, en 1817, sur la frégate le Phaéton, muni probablement dinstructions secrètes auprès de Radama.
Au moment même où le Phaéton approchait des côtes de Madagascar, Radama, enhardi par ses premiers succès, avait poussé ses conquêtes jusque sur les frontières des Bétanimènes, et, à la tête dune armée de 25,000 hommes, il menaçait denvahir le territoire de Fiche et de Jean René. Un tel déploiement de forces commença à donner des craintes sérieuses au chef de Tamatave : il reconnut trop tard la vérité des prédictions de son frère et la fausseté des promesses de lagent anglais, qui lavait assuré de lappui de son gouvernement, et lavait engagé à rester dans linaction en lui peignant Radama comme le chef dune horde de sauvages, qui noserait pas sattaquer à lui. Il lui fallut donc se mettre à la hâte en état de résister au torrent dévastateur qui descendait des montagnes. Fiche consentit à abandonner momentanément Yvondrou, pour venir, avec ses sujets et ses alliés, se réunir, à Tamatave, aux forces que son frère y voulait concentrer.
Jean René réussit, en peu de temps, à entourer la place dun double rang de palissades, flanquées aux angles et aux endroits faibles de toubis (petits forts), et défendues par deux pièces de campagne en bronze, qui avaient appartenu à lancien agent français, et sur leffet desquelles il comptait beaucoup pour jeter lépouvante parmi les troupes de Radama. Il espérait trouver dans les traitants français, que le trafic des esclaves avait attirés sur la côte, des auxiliaires intelligents et disposés à faire le service de ces deux pièces de canon ; il comptait dautant plus sur ce secours, que son autorité, en se substituant à celle des petits chefs de la côte, avait supprimé une foule de vexations tyranniques auxquelles les commerçants européens étaient soumis avant lui.
Le traitants approuvèrent les dispositions de Jean René, et sengagèrent à le soutenir de tout leur pouvoir ; mais Radama étant venu camper près de la rivière de Manaarez, les plus influents dentre eux, aveuglés nous ne savons par quel prestige, peut-être par lespoir dobtenir, à des conditions avantageuses, les esclaves que le conquérant traînait, disait-on, à la suite de son armée, manquèrent à leurs promesses, et se rendirent à son camp pendant la nuit. Jean René, réduit à ses propres ressources, dans une place mal défendue, tomba dans le découragement, malgré les exhortations de son intrépide frère, qui navait que des forces médiocres et des soldats peu dévoués. Le chef de Tamatave était occupé des moyens de sortir honorablement de sa position fâcheuse, lorsque lagent anglais, Pye, qui avait succédé à Lesage, et Brady, intervinrent comme médiateurs auprès de Radama. Celui-ci, qui croyait à son ennemi des ressources imposantes, et qui navait eu jusqualors en sa possession aucun port de mer, était pressé dentrer à Tamatave, et consentit de traiter avec lui dégal à égal.
Dès que Fiche entendit parler de négociations, il semporta violemment contre son frère, et ne voulant pas rester le témoin du traité honteux qui se préparait, il se fit transporter avec sa famille à lÎle-aux-Prunes par le capitaine français Arnoux. Il se montra du reste fort prudent en agissant ainsi, car il savait que du moment où le roi dÉmirne semparerait de sa personne, rien ne pourrait le sauver de la mort. Il lavait trop profondément offensé en lappelant blanc-bec dans une assemblée pour en espérer merci. Quelques personnes nous ont assuré que lexpédition de Radama contre les états de Jean René et de Fiche navait dautre but que de venger cette injure ; nous croyons quil se joignait à ces sentiments damour-propre des motifs dambition, et que ceux-ci eurent une part non moins grande dans cette détermination.
Lagent anglais, voulant favoriser les vues de Radama, décida Jean René à fixer un jour pour arrêter les conditions du traité. Il fut convenu que le chef de Tamatave se rendrait à moitié chemin de Manaarez, accompagné dun détachement de sa garde, et que Radama, avec un nombre égal de soldats, le viendrait joindre au rendez-vous fixé.
Lentrevue eut lieu, et les parties étant tombées daccord, un projet de traité fut signé le même jour sous linfluence de lagent anglais. Radama y reconnut Jean René comme chef héréditaire de Tamatave ; mais il lui enleva la souveraineté du pays des Bétanimènes quil venait de soumettre, et linvestit seulement du titre de gouverneur-général de cette province. Jean René fut obligé de subir cette clause qui le mettait sous la suzeraineté du roi des Hovas, pressé quil était par les circonstances et par les instances de M. Pye, qui venait de recevoir des instructions de lîle Maurice, par lesquelles le gouvernement anglais ne reconnaissait que Radama pour roi de Madagascar. Le traité garantissait en outre la liberté et la franchise du port de Tamatave pour les sujets hovas, et contenait des clauses dalliance offensive et défensive entre les deux chefs, en maintenant toujours le droit de suzerain au roi dÉmirne.
Un grand kabar eut lieu le lendemain à Manaarez ; Jean René sy rendit avec ses principaux officiers pour faire le serment du sang avec Radama, qui voulait cimenter leur union dune manière solennelle en présence des deux peuples.
§ 4. Départ dHastie pour Tananarivo. Réception de lagent anglais. Premières négociations pour labolition de la traite des esclaves. Kabar convoqué à cet effet. Succès dHastie. Traité signé avec Radama. Retour dHastie à Maurice. Fidélité rigoureuse du roi dÉmirne. Honteuse rupture du traité par les Anglais. Occasion dinfluence offerte au gouvernement français.
Après avoir ainsi heureusement terminé cette grande affaire, et fait les dispositions nécessaires pour lexécution du traité, Radama reprit la route de Tananarivo, tandis que le précepteur de ses frères, James Hastie, qui entre autres présents conduisait au roi des Hovas des chevaux de prix, luxe inconnu encore à Madagascar, se voyait obligé de suivre un chemin plus long et plus praticable pour amener sains et saufs ses beaux quadrupèdes à Tananarivo.
Malgré les difficultés du voyage, que sa bonne constitution et son caractère entreprenant lui firent heureusement surmonter, Hastie atteignit la capitale le 16 août 1817. La cour du palais était pleine de soldats rangés en ligne, et le roi y était assis sur une estrade ; dès quil aperçut Hastie, il laissa éclater sa joie, lappela près de lui et lui serra cordialement la main. Les naturels qui faisaient partie de la suite de lagent anglais, après avoir remis à un officier placé près de la porte les piastres que la coutume ordonne de présenter aux souverains hovas en signe dhommage, lorsquon les aborde, se mirent à chanter et à danser. Le roi, ayant commandé le silence, adressa à ses soldats un discours dans lequel il les engagea à bien accueillir tous les étrangers qui viendraient le visiter dans leur pays, et particulièrement les Anglais. Radama portait alors pour la première fois un habit duniforme rouge et un chapeau militaire qui lui avaient été envoyés de lîle Maurice, un pantalon bleu et des bottes vertes.
Après cette entrevue publique, à laquelle il avait cherché à donner de la solennité, il accompagna Hastie dans la maison qui lui était destinée. Là, il se débarrassa dune partie de son costume et sassit à terre ; puis il présenta Brady à son hôte, disant que ce nétait plus un simple soldat, mais son capitaine. Quelques verres deau-de-vie à laquelle, malgré la loi du pays, Radama fit autant dhonneur que les enfants dAlbion, achevèrent de donner à la conversation un caractère deffusion dont Hastie consigne avec complaisance les détails dans son journal.
Après avoir rempli sa mission apparente et remis à Radama les présents dont il était chargé, lagent anglais toucha plusieurs fois la question de la vente des esclaves, dont le capitaine Lesage avait déjà entretenu le roi pendant son séjour à Tananarivo, et parvint à le convaincre des bienfaits qui résulteraient pour son peuple de labolition de ce commerce inhumain. Ce ne fut pas toutefois sans lui promettre, de la part du gouverneur de Maurice, des indemnités considérables en argent, et surtout en armes et en munitions de guerre, que Radama ne pouvait se procurer autrement que par la vente des prisonniers de guerre aux traitants européens. Le monarque malgache eut de la peine à obtenir ladhésion de ses conseillers à cette mesure. Il faut dire que son esprit vacillait journellement sur cette question, dont il comprenait toute la gravité. Quoiquil penchât en faveur de la mesure, il représentait avec vérité à Hastie que son peuple aimait largent autant que lui, souverain, aimait la gloire, et que priver ses sujets du seul moyen dacquérir des richesses, leur serait aussi dur quà lui de rester dans linertie ; que sil leur défendait de vendre leurs prisonniers, ils ne voudraient plus faire la guerre ni défendre leur pays ; car la valeur des travaux dun esclave ne compensait pas les frais de nourriture et de vêtements ; et dailleurs, ajoutait-il, les esclaves deviendraient bientôt tellement nombreux que si les maîtres ne les vendaient pas ils pourraient bien vendre leurs maîtres.
Toute la rhétorique du diplomate anglais échouait devant ces arguments dont il ne pouvait nier ni la force ni la justesse ; il eut recours à plusieurs philanthropiques mensonges dans ses longues conversations avec Radama. Celui-ci sétant aperçu que lAnglais biaisait, et même altérait quelquefois la vérité dans ses assertions, le lui reprocha en termes fort vifs et lui défendit de paraître en sa présence pendant huit jours. Au bout de ce temps, il rentra en grâce auprès du roi, mais ses discours artificieux ne furent pas de sitôt oubliés. Hastie comprenant quil rencontrerait toujours chez Radama des irrésolutions, tant quil naurait pas un Hova influent pour seconder ses efforts, sadressa au premier ministre, jeune homme dont, en peu de temps, il gagna lamitié au point de lui faire partager entièrement les vues du gouverneur Farquhar, et de sen faire un avocat persuasif auprès du roi. Son espoir fut cependant trompé dans un kabar de 5,000 personnes que le ministre convoqua à leffet de connaître lopinion du peuple sur labolition de la traite des esclaves. Le bon sens populaire vit clairement que les Anglais nattachaient tant dimportance à cette mesure que parce quelle leur était avantageuse, et des orateurs hardis demandèrent tout haut « si le roi était devenu lesclave des Anglais. » Ces paroles enflammèrent Radama de fureur ; il protesta quil serait le maître de son peuple et quil le forcerait à lobéissance. Hastie eut soin de lentretenir dans ces bonnes dispositions, et, le lendemain matin, il fut convenu que le traité serait signé à Tamatave par lagent anglais Pye, au nom de sir R. Farquhar, et par les ministres du roi dÉmirne. Laccès de colère passé, Radama parut se repentir de sêtre tant hâté dans sa détermination ; mais Hastie sut si bien manuvrer que la convention fut exécutée. Le traité, qui fondait linfluence anglaise sur la terre de Madagascar sous lapparence dune uvre de haute philanthropie, fut signé le 23 octobre 1817 par les ambassadeurs de Radama et MM. Stanfell, capitaine de la corvette le Phaéton, et Pye, agent du gouvernement anglais à Madagascar.
Cette concession valut à Radama, entre autres avantages matériels, lengagement pris par sir R. Farquhar de lui payer 1,000 piastres en or, 1,000 piastres en argent, et de lui fournir 100 barils de poudre de 100 livres chacun, 100 fusils de munition avec leur fourniment complet, 10,000 pierres à fusil, 400 vestes rouges et même nombre de chemises, pantalons, souliers, chaussettes, schakos ; 12 sabres de sergent avec leurs ceinturons ; 400 pièces de toile blanche (coton de lInde), 200 de toile bleue ; enfin un habillement complet de grande tenue, chapeau, bottes, etc., pour la personne du roi, et deux chevaux. Le tout pouvait sévaluer à 2,000 livres sterling (50,000 francs).
Une proclamation des ministres de Radama promulgua le traité, menaçant de lesclavage et de la confiscation de ses biens, toute personne coupable de la vente dun esclave destiné à lexportation. Hastie partit alors pour lîle Maurice, où il reçut les félicitations de sir R. Farquhar, puis il se hâta de retourner, avec de nouvelles instructions, en qualité dagent anglais, auprès de Radama, qui lui témoigna aussi sa satisfaction de la conclusion de cette affaire et fit publier en français et en malgache la proclamation de ses ministres sur les divers points de lîle.
Radama se montra scrupuleux observateur du traité quil avait signé ; il ne souffrit même pas quon en fît la critique, et trois de ses proches parents payèrent de leur tête les paroles imprudentes quils avaient publiquement proférées contre le traité et contre lAngleterre, « un pays, avaient-ils dit, qui nagissait que par des motifs dintérêt. » Il nen fut pas de même de lautre partie contractante, à la grande honte du gouvernement anglais. Le général Hall, ayant remplacé par intérim sir R. Farquhar qui était allé faire un voyage en Angleterre, méprisa la convention faite avec un chef de sauvages et refusa de remplir les engagements contractés par lagent anglais, quil rappela à Maurice.
Radama apprit cette violation inattendue et ne voulut pas dabord y croire, mais force lui fut bientôt de se rendre à lévidence. La traite des esclaves fut de nouveau permise, et, dans son irritation, le roi dÉmirne ne dissimula pas ses dispositions à favoriser les Français au détriment des Anglais qui lavaient trompé. Plusieurs chefs de la côte, que la crainte de Radama et les présents de sir R. Farquhar avaient seuls contenus jusqualors, laissèrent éclater leurs véritables préférences, et lon ne saurait dire jusquà quel point les eût pu conduire cette disposition des esprits si, dans ce temps, le gouvernement de Bourbon se fût trouvé en état de se mettre au lieu et place de la nation dont Radama venait dêtre dupe. Mais la lenteur du gouvernement français à profiter des circonstances, lexiguïté des moyens employés dans lexpédition de Sylvain Roux à Madagascar, et plus que tout cela le retour de sir R. Farquhar, calmèrent peu à peu les ressentiments des Malgaches.
§ 5. Nouvelle mission dHastie. Première apparition des missionnaires anglais. Appréhensions du révérend Jones. Progrès rapides de la civilisation à Émirne. Le Grand-Maréchal Robin. Tentative dHastie pour renouveler le traité rompu. Sanglants reproches de Radama. Sage discours dun vieux conseiller du prince. Grand kabar convoqué à Émirne. Éloquence de Rafaralah. Radama redoute le sort de Louis XVI. Signature dun nouveau traité. Campagne désastreuse contre les Sakalaves-du-Sud.
Aussitôt que sir Robert eut repris les rênes du gouvernement de lîle, il songea à réparer léchec survenu à lhonneur et aux intérêts anglais par la faute du général Hall. Il envoya de nouveau Hastie à Tananarivo et lui adjoignit cette fois un aide spirituel, le révérend Jones, que la Société des Missions de Londres avait envoyé pour jeter sur cette terre les semences évangéliques. Lesprit de nationalité est si vivace dans le cur dun Anglais quil se mêle aux sentiments qui paraissent le moins le comporter ; il domine jusquà ces âmes que la religion semble avoir détachées des intérêts humains, de sorte quen fondant une école dans une hutte et en baptisant quelques sauvages, les hommes évangéliques se trouvent avoir un jour, sans le vouloir sans doute, préparé lasservissement du pays au commerce et à lautorité britanniques. Le gouverneur de lîle Maurice connaissait lhistoire des missions anglaises dans les grandes îles de la mer du Sud ; aussi aida-t-il de toute son influence la tentative de M. Jones.
Hastie et son compagnon de voyage partirent donc pour Tamatave en septembre 1820. De ce port, ils se mirent en marche vers la capitale, quoiquils nen eussent pas encore reçu lautorisation du roi, ce que les Européens de Tamatave considérèrent comme une grande imprudence. À mi-chemin Hastie reçut de Radama une lettre en créole dans laquelle il lengageait à ne rien craindre, « lassurant quil nétait pas aussi prompt quon le disait à couper les têtes ; » cette assurance alarma considérablement le missionnaire Jones, dont le nom ne figurait pas dans la missive royale. Les avertissements des traitants de Tamatave lui revenant en mémoire, il manifesta une grande envie dattendre, dans le village où il se trouvait, les ordres de la cour ; mais Hastie le décida à continuer sa route. « Je connais le roi, lui dit-il ; si ma tête est sauve, la vôtre le sera. »
La traite des esclaves, un instant défendue, se poursuivait alors avec activité ; les voyageurs rencontraient à chaque instant des troupes nombreuses desclaves que des traitants européens conduisaient vers la côte. Près de la capitale, des routes bien entretenues attestaient les efforts de Radama pour améliorer létat du pays. Au pied de la colline sur laquelle est située Tananarivo, deux aides-de-camp bien montés et en brillants uniformes vinrent annoncer à Hastie que S. M. les recevrait à quatre heures. Plus loin le Français Robin, secrétaire de Radama, vint, une montre à la main, fixer le moment du départ ; il luttait évidemment contre le chagrin que lui causait larrivée des Anglais et la réception brillante dans laquelle il était forcé de jouer un rôle.
Après avoir gravi la colline entre une baie de soldats habillés et disciplinés à leuropéenne, au bruit des canons et au son des tambours qui remplissaient la cour du palais, lagent anglais et sa suite furent reçus par le roi lui-même, qui les introduisit dans un appartement meublé et décoré avec une véritable magnificence. Laccueil de Radama fut cordial et affectueux ; il fit dîner avec lui les deux voyageurs, et le repas fut servi avec luxe dans de la vaisselle dargent, dont la plus grande partie était de fabrique indigène. Tant de changements opérés depuis son départ indiquaient à ladroit Hastie les rapides progrès du monarque à demi sauvage dont il devait exploiter les tendances civilisatrices.
Le lendemain, Hastie eut un entretien particulier avec Radama ; il sefforça de lui expliquer que le traité violé par le général Hall navait pas eu la sanction royale, mais que sir R. Farquhar, étant revenu de Londres avec des pleins-pouvoirs à cet effet, nul homme au monde noserait rompre la nouvelle convention quils feraient ensemble. La réponse de Radama, pleine darguments solides, fit connaître à Hastie les difficultés énormes de son entreprise. « Jai signé ce traité, dit-il, contre lavis de mes nobles, de mes conseillers, de ceux même qui ont pris soin de mon enfance ; pour compenser les pertes que la cessation du trafic des esclaves devait occasionner à mes sujets, jai promis de leur distribuer une partie des objets mentionnés dans ce traité ; il na pas été exécuté, quoique jaie rempli et au-delà mes engagements. Que puis-je leur dire, moi qui ai servi dinstrument pour les tromper ? Leur proposerai-je le rétablissement dune mesure qui, après avoir coûté la vie à trois personnes du sang royal et à plusieurs autres individus, doit immanquablement les appauvrir ? Ils maccuseront de navoir pour objet que des avantages personnels, et de les sacrifier à lespoir de recueillir des bénéfices dont moi seul je jouirais. Et dailleurs pourront-ils croire à la sincérité des Anglais, après une si odieuse violation de la foi jurée ? »
Hastie reconnut la justesse des reproches que le roi adressait à son pays, mais en bon diplomate il en rejeta tout le poids sur le général Hall. Radama répondit que son amitié pour lAngleterre le portait à oublier la faute quelle avait commise, mais quil nen était pas de même de ses sujets ; il fit remarquer à Hastie que leurs progrès dans la civilisation, depuis son départ de Tananarivo, étaient dus au commerce des esclaves qui avait pris une extension considérable, et avoua quil craignait presque une insurrection générale sil manifestait lintention de se fier de nouveau aux Anglais, dont le nom, devenu synonyme de faux et de menteur, était passé en proverbe parmi le peuple.
Le jour suivant, Hastie eut une conférence avec un vieillard qui avait élevé Radama, et qui conservait sur lui une grande influence. Après avoir écouté avec attention tous les raisonnements de lagent, il lui présenta les objections que le roi avait déjà développées la veille ; puis il ajouta : « Le sang de ceux qui ont souffert la mort à cause de ce traité a imprimé sur le nom anglais une tache quil ne sera pas facile de laver. Je crois bien que tu parles sincèrement, mais tout ce que tu avanceras natteindra pas son but. Le roi a arrêté le trafic des esclaves ; il a mis à mort des gens qui navaient fait que critiquer ses actes ; il a risqué sa vie, la sûreté de son gouvernement, et finalement il a été obligé de reconnaître quil avait eu tort
La mesure que tu proposes aura pour résultat de nous priver de tout notre bien-être : nous ne fabriquons ni poudre ni fusils, nous navons quune industrie peu avancée, et nous sommes par nature un peuple indolent. Qui fournit à nos besoins ? les traitants desclaves ; ce sont deux que nous recevons tout ce que nous possédons. Que retirons-nous des Anglais ? Rien ; ils nont point de rapports avec nous. Ils ont fait des promesses et ne les ont pas tenues ! Le roi, en permettant de nouveau la traite, nous donna lassurance que ce commerce ne serait jamais interdit ; nous consentîmes à augmenter dune piastre, cest-à-dire à doubler le droit quil recevait pour chaque vente desclaves. Cet accroissement de revenu lui a procuré les moyens daider aux progrès que tu as remarqués chez les Hovas, et au retour dune expédition que nous venons de faire chez les Sakalaves-du-Sud, où nous avons éprouvé beaucoup de fatigues, nous avons donné une permission générale de vendre les esclaves. »
Le discours du prudent vieillard résumait parfaitement lopinion du peuple. Il ne voyait que les intérêts immédiats, tandis que Radama rêvait la souveraineté de lîle entière, et la fondation dun royaume puissant par les armes comme par lindustrie. Le monarque malgache voulait que son nom fût inscrit dans lhistoire ; cest en partie à cette noble ambition que les Anglais ont dû le bon accueil quils ont reçu de lui. Ladroit Hastie, qui paraît, dès ses premières conversations, avoir démêlé ce sentiment dans le cur du roi, sut toujours, dans la suite, en tirer un grand parti pour faire adopter les plans quil croyait utiles à la politique de la Grande-Bretagne.
Vaincu par les promesses et les flatteries de lAnglais, Radama consentit à renouveler le traité, mais il fallait obtenir lassentiment du peuple. À cet effet, le roi fit convoquer un grand kabar, où il expliqua clairement les intentions du gouvernement anglais et les avantages qui résulteraient de cette alliance pour la terre de Madagascar. Ses propres ministres accueillirent son discours par de sourds murmures, et lancien souverain dAntscianac, Rafaralah, lun des plus puissants chefs de lîle, prit la parole pour lui répondre. Il retraça lhistoire du traité dalliance de 1817, et sétendit sur tous les avantages qui résultaient de ce traité, puis, arrivant à sa rupture de la part du gouvernement anglais, il se tut, comme sil était incapable dexprimer lindignation quil ressentait dune aussi lâche conduite ; son éloquent silence produisit un tel effet sur lassemblée que le rejet de la proposition parut dès ce moment assuré. Il séleva un grand tumulte de voix, et dans la confusion qui suivit, le roi dit à Hastie : « Vous voyez : je suis disposé à lalliance, mais mon peuple ne lest pas. Celui même qui ne possède ici ni une piastre, ni un esclave, sera contre moi
Jai entendu parler de la conduite des Français envers un de leurs derniers rois ! »
À force de démarches, dactivité et dadresse, Hastie parvint pourtant à vaincre les répugnances de Radama et de ses ministres ; le traité fut de nouveau signé. Radama y fit stipuler la condition expresse : « Que le gouvernement anglais élèverait à ses frais vingt jeunes Hovas, dix à Maurice et dix à Londres, et les instruirait aux arts et aux métiers européens. » La traite des esclaves fut de nouveau abolie, et les Anglais reprirent à Madagascar une influence, qui, nétant pas fondée sur la sympathie populaire, mais sur la volonté dun mortel, ne devait durer que quelques années.
À cette époque, Radama fit, contre les Sakalaves-du-Sud, une expédition gigantesque, et qui peut donner une idée du degré de puissance auquel il était parvenu. Il partit avec 70 à 80,000 combattants ; mais lapprovisionnement de cette immense réunion dhommes avait été si mal combiné, que lissue de la campagne fut désastreuse ; 25 à 30,000 hommes y périrent de faim ou de maladie. Cette guerre se renouvela encore lannée suivante, et Radama ayant eu quelques succès, le chef des Sakalaves, Ramitrah, lui proposa une alliance qui fut acceptée. Pour mieux cimenter cette paix, il épousa la fille de ce chef, nommée Rasalime.
§ 6. Premiers travaux des missionnaires. École publique. Progrès de la mission. Mort dHastie. Regrets publics de Radama. Appréciation de lagent anglais.
Dès que le drapeau anglais flotta à Tananarivo à côté de celui dÉmirne, M. Jones reçut lautorisation douvrir une école qui réunit quelques élèves. Ce fut le 8 décembre 1820 que commença lenseignement des missionnaires ; lannée suivante M. Griffiths et sa femme vinrent y coopérer. Radama leur avait permis dinstruire son peuple, sans pourtant autoriser la prédication du christianisme, dont il ne se faisait alors aucune idée. Il fit bâtir, pour M. Jones, une case commode, et, lorsquelle fut achevée, il vint la consacrer en y jetant de leau et en y faisant les cérémonies habituelles. Ces pratiques superstitieuses, qui neussent pas manqué dattirer la colère des pieux missionnaires, si elles avaient été le fait des catholiques romains, paraissent avoir singulièrement flatté leur vanité. Les commencements de leur séjour à Madagascar furent marqués par une extrême tolérance et une sage attention à ne pas enfreindre les coutumes nationales. Nous nous plaisons à citer la conduite de Mme Griffiths qui vint offrir au roi les premiers ouvrages de couture achevés par ses élèves, pour suivre la coutume antique qui ordonne de présenter au souverain les premières productions, soit de la terre, soit de lindustrie, cest-à-dire un échantillon de tout ce qui est nouveau pour le pays.
De tels actes, disons-le en passant, eussent gagné aux missionnaires les curs des naturels, et plus tard ils eussent pu, sans obstacles, faire leurs affaires de religion. Cest ainsi quils se fussent montrés dignes du titre de civilisateurs dun peuple à demi barbare ; cest ainsi quils se fussent montrés vraiment supérieurs aux missionnaires catholiques, et quils eussent donné de la valeur à leur critique, souvent injurieuse, des travaux de ces modestes et dévoués propagateurs de la foi chrétienne, qui, eux, ne redoutaient pas la mort et nattendaient pas de passeports pour pénétrer au sein des peuplades les plus barbares.
Les progrès de la mission, à laquelle étaient venus se joindre plusieurs autres personnes envoyées par la Société, et notamment des imprimeurs avec des presses et des caractères, allaient toujours croissant. Lexamen des écoles, fait en 1826 par Radama lui-même, constata la présence de 2,000 écoliers. Deux années plus tard, la mission comptait trente-deux écoles disséminées dans le pays dÉmirne et plus de 4,000 élèves.
Au commencement de 1826, Hastie avait été appelé à Tamatave auprès de Jean René dont la fin approchait. Après la mort de ce chef, qui lui avait confié lexécution de son testament, il fit un voyage à lîle Maurice, où il arriva fort malade lui-même ; il avait fait à bord du navire une chute violente, dont les effets furent aggravés par une série dautres accidents. Un mieux sétant manifesté dans son état, il était revenu à Madagascar, où Radama lavait accueilli avec toutes les démonstrations dune sincère amitié. Cependant sa guérison nétait quapparente ; le mal fit des progrès effrayants, et le traitement quil suivit en prenant de fortes doses de calomel, moyen curatif généralement employé par les Anglais dans lInde, accéléra sa fin qui eut lieu le 8 octobre 1826.
Pendant la maladie de Hastie, Radama témoigna souvent son inquiétude, et en même temps la haute opinion quil avait des talents de son conseiller : « Jai perdu, dit-il, un grand nombre de mes sujets, de mes soldats et de mes officiers, et plusieurs marousérana (ou nobles du plus haut rang) ; tout cela nétait rien comparé à la perte dAndrian-Assi. Il a été lami sincère, lépoux de Madagascar
Il sest montré supérieur à tous les agents qui lont précédé, et personne ne légalera parmi ceux qui lui succéderont ; personne ne ressentira comme lui cet intérêt pour Madagascar. Il en viendra beaucoup qui se vanteront, mais pas un qui fasse autant que lui, et termine les pénibles travaux quil a commencés
»
Hastie fut enterré dans la chapelle des missionnaires ; le roi, la famille royale, les juges, les officiers et un immense concours de peuple assistèrent à ses funérailles.
Les missionnaires anglais ont toujours fait le plus grand éloge dHastie dans leurs publications. On a dit cependant quils ne vivaient pas dans la meilleure intelligence, que lagent anglais ne les épargnait pas dans ses conversations, et que sil neût craint de saliéner les bonnes grâces de sir Robert Farquhar leur zélé protecteur, il les eût fait expulser par Radama auprès de qui il se plaisait à les tourner en ridicule. Ceux-ci affirmant de leur côté quils doivent à Hastie la faveur dont ils ont joui pendant quelques années, il est difficile de discerner quelle était vraiment leur position respective.
La mort dHastie fut une véritable perte pour lAngleterre dont il avait puissamment servi les intérêts. Quoique les moyens quil employait pour réussir ne fussent pas toujours délicats, il y aurait de linjustice à lui contester une grande habileté. Il avait un esprit pénétrant, une connaissance parfaite des hommes et des affaires quil savait conduire avec adresse ; et, lorsquil croyait pouvoir être utile à son pays, il ne reculait devant aucun péril. Sa veuve, à laquelle il na laissé pour héritage quune maison à Tananarivo, a demeuré quelque temps dans la capitale des Hovas, et habite aujourdhui lAngleterre où elle surveille léducation de son enfant ; elle reçoit pour cet objet une pension du gouvernement.
§ 7. Maladie et mort de Radama (1828). Avènement de Ranavalou, sa femme et sa sur. Récit officiel des funérailles du roi. Richesses enfouies dans son tombeau. Portrait de Radama, par le prince Corroller. Lettre autographe du roi malgache.
Radama ne survécut pas longtemps à lagent anglais. Dans ses dernières années le monarque africain se livrait chaque nuit à des excès qui eurent bientôt détruit sa constitution, toute robuste quelle était. Il revint déjà malade de Tamatave à la fin de 1827 ; dans le cours de lannée suivante, la maladie prit un caractère plus grave, et il rendit le dernier soupir le 24 juillet 1828.
Cet événement fut soigneusement caché, et le 29, le peuple fut convoqué en kabar solennel pour prêter le serment de fidélité à la personne quil plairait au souverain de choisir pour son successeur au trône, décision prise, disait-on, par Radama lui-même qui sentait sa fin prochaine. Le matin du 10 août, laffaire fut décidée et le bruit courut que Ranavalou, la première femme (vadibé) et la sur de Radama, avait été désignée pour lui succéder. Le 11 août, en effet, la proclamation de la mort de Radama et de lavènement de sa première femme eut lieu dans un kabar solennel.
Le premier acte de la reine fut de régler le deuil général et la cérémonie des funérailles. En voici la relation telle quelle a été écrite par le prince Corroller ; on reconnaîtra sans peine au style emphatique de cette description quelle est luvre dune douleur officielle et quelle a été rédigée par un des principaux personnages de la cour de Radama.
« Le 24 juillet 1828, à deux heures de laprès-midi, S. M. Radama-Manjaka mourut à lâge de 37 ans, après une maladie de huit mois. Sa mort prématurée plongea ses sujets dans une douleur profonde. La ville de Tananarivo noffrit plus quun aspect lugubre : les maisons furent fermées ; la consternation était peinte sur toutes les figures, et le morne et triste silence qui régnait sur les places publiques nétait interrompu que par les gémissements des habitants.
« Daprès un ancien usage, hommes, femmes et enfants, de quelque rang et, classe quils fussent, se rasèrent la tête en signe de deuil.
« Ce ne fut que le 11 août au matin que la mort du monarque fut rendue publique, et dès lors on commença à tirer des coups de canon de minute en minute jusquau coucher du soleil.
« Le 12 au point du jour, les batteries et linfanterie firent tour à tour des décharges jusquau soir.
« Le dedans et le dehors du palais furent tapissés en toile blanche et bleue, et le chemin qui conduit de la porte ouest de Bessakane au bas de lescalier de Tranou-Vola, fut couvert de toile noire, et lon plaça des deux côtés de ce chemin une double haie de la garde-royale en grande tenue, et ayant leurs fusils et leurs zagaïes renversés ; les officiers portaient des écharpes de crêpe noir, et les caisses des tambours en étaient couvertes ; les tambours frappaient de minute en minute un coup de baguette sans faire de roulement.
« Au sud, et près de lescalier, étaient placées trois bandes de musiciens militaires qui jouaient des airs analogues à la cérémonie funèbre.
« Vers onze heures du matin, le cercueil en bois, couvert dun velours cramoisi et orné de franges et de glands dor aux quatre coins, contenant les restes de S. M. Radama-Manjaka, fut porté par 60 officiers supérieurs et déposé dans une salle de Bessakane où il resta jusquau lendemain.
« La vue du cercueil du roi renouvela la douleur des habitants ; les cris et les gémissements recommencèrent comme sils leussent perdu une seconde fois.
« Le major-général Brady, le prince général Corroller, le commandant en chef des ateliers royaux, Louis Gros, et le révérend docteur Jones, missionnaire anglais à Madagascar, furent choisis pour porter les coins du drap.
« Bessakane fut tapissé en étoffes de soie du pays, de diverses couleurs, et on y plaça une division pour faire le service pendant la nuit.
« Le 13, les missionnaires et les Européens qui se trouvaient à Tananarivo, après en avoir obtenu la permission de la reine, portèrent le cercueil et les restes du feu roi, de Bessakane à Tranou-Vola. Dans la cour de ce palais on avait élevé un magnifique catafalque, ayant deux escaliers à lest et entouré dune balustrade lancéolée et à colonnes dorées ; le dessus de ce catafalque était couvert dune tente dont lintérieur était de drap fin écarlate, avec des franges et des galons en or et en argent, et à lextérieur de larges galons dor cousus ensemble étaient placés de six pouces en six pouces. Sur les colonnes on avait assujetti des lampes sépulcrales en argent, dautres en verre et des chandeliers dorés représentant des soleils en cristal avec des rayons dorés ; enfin des lustres étaient attachés aux colonnes qui sont dans la cour et des bougies placées de distance en distance.
« Sous ce superbe mausolée était réunie la famille royale, qui faisait paraître une douleur encore plus vive que celle du peuple ; des jeunes filles vêtues en blanc avec une ceinture noire entouraient le cercueil et tenaient des éventails dont elles se servaient pour chasser les mouches.
« Non loin de ce catafalque, des ouvriers travaillaient à faire le tombeau. Vers quatre heures de laprès-midi on y renferma, daprès un ancien usage du pays, tous les effets précieux de Radama, tels que des couverts dargent dEurope et du pays, et en grand nombre ; de la vaisselle plate, des soupières et des vases dor et dargent dont le gouvernement anglais avait fait présent au roi ; de grands bols en cristal et en porcelaine de Sèvres dont plusieurs étaient très riches ; des gobelets de tout genre et en quantité ; des poires à poudre dont une en or, imitant une corne, travaillée et sculptée par M. Langlade de Maurice ; des fusils de chasse garnis en argent ; des zagaïes et des lances sculptées et ornées dor, dargent et de pierreries ; des sabres, des épées, des poignards arabes et malais ; des montres et des pendules à répétition et à musique ; des tabatières en or, des chaînes dor dEurope et du pays, des bagues en diamants, des épingles montées avec des pierres précieuses et une infinité de bijoux de toute espèce ; des malles dhabits brodés en tous genres et du linge fin ; des bottes et des éperons de différents métaux ; des chapeaux galonnés avec leurs riches plumets ; les portraits à lhuile de S. M. T. C. Louis XVIII, de Frédéric-le-Grand, de Napoléon, du roi dAngleterre ; plusieurs autres en gravures fines de Napoléon, de Kléber, de Masséna, de Marceau, de Desaix, de Bernadotte, dEugène de Beauharnais, de Poniatowski et dautres personnages illustres. On y déposa encore une infinité de tableaux et de gravures coloriées représentant diverses vues dEurope, de combats sur terre et sur mer, depuis le commencement de la révolution française jusquà la déchéance de Napoléon ; on y déposa aussi pour une valeur de 350,000 piastres dEspagne tant en lingots dor et dargent quen toutes sortes de monnaies dEurope et des Indes.
« À six heures du soir, on transféra le corps du roi dans un cercueil en argent qui avait été placé dans le tombeau ; 14,000 piastres dEspagne furent fondues et employées à la confection de ce cercueil.
« Six magnifiques chevaux furent sacrifiés sur le tombeau de ce monarque et 20,020 bufs furent également sacrifiés dans la capitale et dans les provinces voisines. »
Suivant le même prince Corroller, qui a publié le portrait physique et moral du roi, Radama était de petite taille ; il avait cinq pieds au plus, mais il était bien fait, et ses traits étaient agréables ; ses yeux, petits et brillants, étaient surmontés de beaux sourcils et bordés de cils très longs ; sa couleur était olive clair ; il avait la peau fine, une jolie main et un petit pied. Son caractère était affable ; sa conversation, douce, agréable et séduisante. Il avait lesprit vif, subtil, méfiant et rusé. Il était excessivement orgueilleux, vain, plein dostentation en public, et si accessible à la flatterie que son peuple finit par lui rendre des honneurs comme à un Dieu, sans quil en manifestât de déplaisir. Brave, intrépide, impétueux, il devait à ces qualités mêmes la violence de caractère qui lui fit commettre des actes injustes et sanguinaires. Cétait, après tout, un homme dune intelligence élevée, et qui recherchait avidement les moyens daccroître son instruction et celle de son peuple. Il a marqué son règne par des événements qui feront époque à Madagascar : la conquête de presque toute lîle, lorganisation dune armée régulière et disciplinée à leuropéenne, labolition de la traite des esclaves, lintroduction dune foule de métiers européens, ladoption des caractères français pour lécriture de la langue malgache, et létablissement dun système déducation publique, sont, entre autres, des événements qui attacheront le nom de Radama à lhistoire de la civilisation de Madagascar, et qui font regretter que cet homme remarquable soit mort avant davoir accompli la grande tâche quil avait entreprise.
§ 8. Position critique des missionnaires. Départ de deux dentre eux. Rencontre du prince Ratef et de sa femme. Mort violente de ces deux infortunés. Sanglants auspices du nouveau règne. Arrivée de Robert Lyall, successeur dHastie. Expulsion de lagent anglais. Rupture solennelle du traité de Radama. Cérémonie du sacre de la reine. Discours dintronisation. Serment de fidélité.
La mort du roi changea les affaires des missionnaires à Madagascar : ils perdaient en lui leur protecteur assidu contre les insinuations perfides des devins et des gardiens des idoles. MM. Bennet et Griffiths, ayant voulu quitter la capitale, en furent empêchés par la reine, qui leur fit dire quelle était maîtresse de fixer le jour de leur départ. Il était évident que lon voulait intercepter toute communication avec la côte, où la nouvelle de la mort du roi nétait pas encore parvenue. Ce ne fut que le lendemain des funérailles que les deux étrangers reçurent lordre de partir. M. Griffiths, qui faisait partie de la mission anglaise, dut promettre quil ne quitterait pas Madagascar, et laissa en otage sa femme et son enfant à Tananarivo. Vers le milieu de la route, ils rencontrèrent le prince Ratef et sa femme (la sur aînée de Radama). M. Bennet raconte dune manière touchante cette triste et dernière entrevue. « Nous vîmes tout de suite quils allaient se jeter dans la gueule du tigre. Ils vinrent dîner avec nous, mais le repas resta plusieurs heures servi sans que personne y touchât un morceau. Ils sentaient que leur arrêt de mort était signé ; lorsquils apprirent la fin cruelle de leur fils si jeune et si plein despérances, il est impossible de décrire la douleur affreuse qui se peignit sur leurs visages ; aucune parole humaine ne saurait rendre cette agonie et le temps nen effacera jamais limage de mon souvenir. » »
Le prince, en se séparant de M. Bennet pour gagner la côte, lui offrit son lamba de soie en souvenir. Nayant pu trouver à sembarquer pour Maurice, où les deux Anglais lui avaient assuré quil trouverait protection, le malheureux Ratef fut pris dans les bois par les soldats de la reine ; traduit devant un tribunal dassassins, il fut condamné à mort et exécuté près de la capitale. Sa femme, qui était enceinte, fut bannie dabord, puis percée de coups de zagaïe avec lenfant quelle portait dans son sein. Rafaralah, le brave et intelligent gouverneur de Foulpointe, ne tarda pas à subir le même sort, ainsi que Ramananoule et plusieurs autres grands personnages, dont la mort violente a rendu si terribles les auspices du règne de Ranavalou. Les prétextes de ces exécutions sanguinaires ne manquèrent pas au gouvernement : Rafaralah périt pour ne sêtre pas rasé la tête et navoir pas pris assez promptement le deuil du souverain.
Lusage du pays, qui suspend toutes les affaires durant le deuil national, avait comprimé davance les mouvements populaires et permis à ceux qui avaient trempé leurs mains dans le sang pour mettre Ranavalou sur le trône de combiner leurs mesures afin de maintenir son pouvoir usurpé. Il entrait dans leurs vues sans doute de détruire linfluence anglaise et dannuler le traité fait par Radama, car ce fut pour ainsi dire le premier acte du gouvernement.
Après la mort dHastie, son successeur, M. Robert Lyall, arrivé à Tamatave à la fin de 1827, ne put se rendre à Tananarivo avec sa famille avant le mois de juillet de lannée suivante, au moment même où Radama rendait le dernier soupir. Sa présentation ayant été retardée par le deuil général, il demeura dans la capitale jusquau 28 novembre, jour où la reine lui fit déclarer quelle ne se regardait pas comme liée par le traité signé avec Radama, et quelle refusait de le recevoir en qualité dagent du gouvernement anglais. La saison nétait pas favorable, Lyall avait retardé son départ jusquau mois de mars 1829, et il était sur le point de quitter Tananarivo, lorsquun matin il se vit assailli dans sa case par une multitude fanatisée, à la tête de laquelle étaient le gardien de lidole Ramavali et les ombiaches de la ville. Ils lui déclarèrent que lidole lui ordonnait de les suivre au village dAmbohipena, à six milles de la capitale, où elle lui ferait signifier ses volontés. Sans avoir le temps de se vêtir, ni de prendre congé de sa famille, M. Lyall fut entraîné avec laîné de ses fils au milieu dune épouvantable procession jusquà Ambohipena ; là un des missionnaires vint le délivrer et lui annoncer que sa famille allait le suivre à Tamatave. La raison assignée à cet outrage fut que lagent anglais avait fait approcher son cheval dun village consacré à Ramavali, et quil sétait attiré la colère de cette idole en envoyant ses domestiques dans les bois voisins à la recherche de papillons et de serpents.
Le jour même on déclara dans un kabar convoqué à cet effet que ces violences avaient eu lieu par lordre exprès des idoles ; puis on lut une ordonnance de la reine qui déclarait nuls les traités faits par Radama avec les Anglais, parcequils lavaient disait-on, ensorcelé, et quen lui faisant abandonner les usages de ses ancêtres ils avaient causé sa mort prématurée. Les porcs et les chats que les Anglais avaient introduits à Tananarivo furent compris dans la proscription, et avant la nuit ils furent tous zagaïés ou chassés de la ville. Cet événement fit tant dimpression sur M. Lyall que peu de temps après il fut frappé daliénation mentale et mourut à Maurice des suites de cette maladie.
Cependant la durée du deuil national, ordinairement dune année, fut abrégée par la reine, qui la réduisit à dix mois, et se fit couronner en grande pompe le 11 juin 1829. Dans le cérémonial bizarre de ce sacre à demi-sauvage, il faut remarquer le discours de la reine au moment de son intronisation.
Après avoir salué nominativement chaque tribu lune après lautre, elle continua ainsi : « Si vous ne me connaissez pas encore, cest moi, Ranavalou, qui parais devant vous. » Ici le peuple poussa des acclamations bruyantes. « Dieu, reprit-elle, a donné ce royaume à mes ancêtres, qui lont transmis à Dianampouine et celui-ci à Radama, à condition que je lui succéderais. Nest-ce pas vrai, Ambaniandrou (mes sujets) ? » Dune voix unanime on cria : Cest vrai ! » Je ne changerai point, ajouta-t-elle, ce quont fait Radama et mes ancêtres ; mais jajouterai à ce quils ont fait. Ne croyez pas que je ne saurai point gouverner, parceque je suis une femme ; ne dites point : Cest une femme ignorante et faible, elle ne pourra pas régner sur nous. Ma plus grande sollicitude et mon étude seront toujours daugmenter votre bien-être et de vous rendre heureux. Entendez-vous cela, Ambaniandrou ? Tous répondirent : Oui ! »
Après ce discours, les chefs de chaque tribu, les représentants de chaque district ou province, les généraux au nom de larmée, les Européens, etc., furent admis à prêter serment. Plus de 60,000 personnes assistaient à cette solennité.
§ 9. Expédition française sur la Côte de lEst. Précis des événements qui avaient amené cette attaque. Protestation de Radama contre les prétentions françaises. Prise du fort Dauphin par les troupes Hovas. Avanie de la reine contre les traitants français.
Des bruits sinistres étaient venus troubler les fêtes du nouveau règne. Ramanétak, le cousin favori de Radama, prince entreprenant, brave et aimé des Hovas, faisait, disait-on, de formidables préparatifs de guerre dans le nord, tandis que le gouvernement français envoyait une flotte pour reprendre ses anciennes possessions de la Côte de lEst. On fut bientôt délivré de la peur de Ramanétak, car celui-ci, craignant le sort de son frère Ramananoule, sétait enfui à lîle dAnjouan, ajournant ses projets de vengeance à des temps plus opportuns.
Il nen était pas de même de lexpédition française qui savançait effectivement sous les ordres du capitaine de vaisseau Gourbeyre.
Cette expédition avait pour but de réclamer une réparation aux outrages que les établissements français avaient reçus du gouvernement de Radama, lorsque celui-ci eut définitivement conclu une alliance avec les Anglais. Déjà, en plusieurs circonstances, le commandant de notre colonie de Sainte-Marie avait eu à protester contre les mesures hostiles que le gouverneur de Maurice prenait contre les Français, soit ouvertement, soit sous le prétexte dune protection quil aurait été obligé daccorder au roi des Hovas ; et ici nous sommes forcés de reprendre notre récit de plus haut.
En 1821, la corvette anglaise le Menaï, commandée par le capitaine Moresby, avait paru sur la rade de Sainte-Marie pour demander, au nom des autorités anglaises du Cap de Bonne-Espérance et de Maurice, à quels titres les Français étaient venus dans cette île, et quels étaient leurs projets sur Madagascar. Le commandant de Sainte-Marie, Sylvain Roux, avait répondu quil agissait en vertu des ordres du roi de France, et quil avait informé de sa mission le gouverneur du Cap de Bonne-Espérance ; que du reste, il ne se croyait point obligé de faire connaître les lieux de la côte où il pourrait lui convenir détablir ses postes ; que tout le littoral oriental appartenait à la France, et quil protestait davance contre toute atteinte qui serait portée à son droit de propriété.
Cet événement donna lieu à quelques explications entre le gouverneur de Bourbon et le gouverneur de Maurice. Ce dernier en profita pour déclarer : 1° Quil ne considérait Madagascar que comme une puissance indépendante, actuellement unie avec le roi dAngleterre par des traités dalliance et damitié, et sur le territoire de laquelle aucune nation navait de droits de propriété, hors ceux que cette puissance serait disposée à admettre ; 2° quil avait été notifié par cette même puissance au gouvernement de Maurice et au commandant des forces navales britanniques dans ces mers, quelle ne reconnaissait de droits de propriété sur le territoire de Madagascar à aucune nation européenne.
La doctrine établie par cette déclaration différait étrangement de celle que le même gouverneur avait professée, lorsque, considérant lAngleterre comme substituée aux droits de la France sur Madagascar par la cession de lîle Maurice et de ses dépendances, il avait, en 1816, prétendu, au nom de son gouvernement, à la propriété et à la souveraineté de nos anciennes possessions de Madagascar.
Quoi quil en soit, cette même déclaration et la conduite ultérieure des Anglais en ces parages ne purent laisser aux commandants de Bourbon et de Sainte-Marie aucun doute sur les mauvaises dispositions du gouvernement de Maurice, et sur les obstacles quapporterait à nos projets linfluence quil exerçait auprès des deux principaux chefs du pays, Radama et Jean René.
La conduite imprévoyante de Sylvain Roux vint accroître les difficultés de son administration, dont le désordre avait déjà été signalé au gouvernement de Bourbon. Dans la vue de lutter contre linfluence anglaise, il provoqua, le 20 mars 1822, une déclaration dobédience et de vassalité de la part des chefs betsimsaracs qui occupent la côte de la Grande-Terre, la plus voisine de Sainte-Marie, déclaration au moins intempestive, en ce quil navait à sa disposition aucun moyen de soutenir les droits quelle attribuait à la France.
À peine cet acte fut-il parvenu à la connaissance de Radama que ce prince fit publier (13 avril 1822), sur la côte orientale de Madagascar, une proclamation qui déclarait nulle toute cession de territoire quil naurait pas ratifiée ; et, afin de montrer quil était disposé à appuyer cette arrogante prétention par la force, il envoya sur la même côte un corps de trois mille soldats hovas. Ces soldats, commandés par Rafaralah, étaient accompagnés de lagent britannique Hastie et de quelques militaires anglais. Sur la fin de juin 1822, ils semparèrent de Foulpointe, ancien chef-lieu des établissements français de Madagascar, et assirent leur camp près de la pierre même qui constatait les droits de la France.
Radama en personne arriva à Foulpointe dans le mois de juillet 1823 ; des troupes hovas se rendirent à la Pointe-à-Larée, incendièrent les villages de Fandaraze et de Tintingue, pillèrent tout sur leur passage, et enlevèrent un troupeau de bufs que ladministration de Sainte-Marie avait laissé en dépôt à la Pointe-à-Larée.
M. Blevec, successeur de Sylvain Roux qui avait succombé aux fièvres du pays, protesta hautement contre ces déprédations et « contre le prétendu titre de roi de Madagascar, illégitimement pris par le roi des Hovas. » Cette protestation fut portée à Radama par M. Thoreau de Molitord, commandant de la Bacchante, qui eut avec le souverain malgache plusieurs entrevues dans lesquelles Jean René servit dinterprète.
Le résultat des explications verbales données par Radama fut « quil reconnaissait comme appartenant en toute propriété à la France lîle de Sainte-Marie, vendue autrefois à cette puissance par les naturels, mais quil ne reconnaissait ni à la France, ni à aucune autre puissance étrangère, des droits à la possession daucune partie de la grande île de Madagascar ; quil permettait seulement aux étrangers de toute nation de venir sy établir en se soumettant aux lois de son royaume, et quà légard du titre de roi de Madagascar, il le prenait parcequil était le seul dans lîle qui fût capable de le soutenir. »
Après avoir adressé à M. Blevec un manifeste rédigé dans ce sens, il sembla un moment vouloir attaquer Sainte-Marie ; mais il nexécuta point ce dessein et se dirigea vers le nord de lîle avec 15,000 hommes de troupes, pour aller, disait-il, châtier les naturels qui avaient levé létendard de la révolte. Il laissa néanmoins des détachements hovas plus ou moins forts sur divers points de la côte orientale, et Foulpointe continua dêtre occupé par ses soldats.
Il est à remarquer que pendant son séjour sur la côte, Radama fut sans cesse entouré de militaires et de marins anglais. Le capitaine Moorsom, commandant la frégate lAriadne, alors mouillée à Foulpointe, le reçut plusieurs fois à son bord avec tous les honneurs dus à la royauté ; les toasts les plus fraternels étaient portés dans ces occasions. Mais on peut mettre en doute, du côté des Hovas du moins, la sincérité de toutes ces démonstrations damitié ; car lorsque leur roi se rendait sur la frégate, ils exigeaient que plusieurs officiers du bâtiment restassent en otage, et chaque fois que le navire faisait un mouvement, la foule assemblée sur le rivage, et inquiète du sort de Radama, sécriait : « Bon ! le voilà parti ! il sen va ! on lenlève ! »
Quelques jours après ces réceptions, lAriadne transporta Radama et sa suite dans la baie dAntongil, doù il se rendit dans le nord.
Deux années se passèrent sans agression de la part du roi dÉmirne ; mais, vers le commencement de lannée 1825, un corps de deux mille Hovas vint camper à peu de distance du Fort-Dauphin, alors occupé par un poste français composé dun officier et de cinq soldats.
Sil existait à Madagascar un point dont la possession nous fut légitimement acquise, cétait assurément le Fort-Dauphin. Il était donc difficile de penser que Radama pût songer à envahir une contrée où jamais un Hova navait paru, et avec laquelle ce prince navait même eu, à aucune époque, la moindre communication. Cependant le général Ramananoule notifia à lofficier français quil était envoyé par Radama pour prendre possession du fort. Le 14 mars 1825, les Hovas entrèrent de vive force dans la place ; le pavillon français fut arraché et remplacé par celui dÉmirne. Lofficier et les cinq soldats furent faits prisonniers, mais on les remit aussitôt en liberté.
Lorsque la nouvelle de cette agression, que lon devait considérer comme une déclaration de guerre, arriva à Bourbon, le gouverneur écrivit à Radama une lettre menaçante, mais il crut devoir temporiser jusquà ce que le gouvernement de la métropole lui eût fait connaître ses intentions.
De nouveaux événements vinrent bientôt compliquer la situation politique de lîle. Deux soulèvements éclatèrent au mois de juillet 1825 contre les Hovas : lun dans la province des Betsimsaracs, lautre dans la province dAnossi, du côté du Fort-Dauphin.
Les Betsimsaracs avaient été excités à la révolte par le commandant de Sainte-Marie, qui encourut le blâme du gouvernement de Bourbon parcequil navait pas les moyens de soutenir efficacement les insurgés. Leurs actes furent promptement réprimés, grâce aux Anglais dont linfluence à Madagascar se manifestait en tout et partout à cette époque.
Hastie se trouvait à Foulpointe, lorsque la rébellion éclata dans la province ; il résolut de larrêter à son début. Ayant aperçu en mer un bâtiment de guerre anglais, il fit tirer du fort un coup de canon dans le but de faire savoir au commandant quil désirait communiquer avec lui. Ce navire était le Leven que lhydrographie des côtes dAfrique et de Madagascar occupait alors ; M. Vidal, le capitaine, vint mouiller dans la rade, et ayant appris de lagent anglais létat des choses, consentit de grand cur à transporter des troupes hovas à la Pointe-à-Larrée pour surprendre les derrières de lennemi. Le secret étant nécessaire pour cette opération, on gagna de nuit la Pointe-à-Larée et les rebelles furent bientôt forcés de rentrer sous lobéissance de Radama.
Le soulèvement qui avait eu lieu dans le sud ne fut pas aussi aisément réprimé ; les Hovas se virent absolument cernés du côté de la terre par les habitants du territoire dAnossi unis à leurs voisins. Cette situation était critique ; Ramananoule, ne sachant comment sen tirer, se décida à écrire à M. de Freycinet, gouverneur de Bourbon, pour le prier de faire parvenir à Tamatave deux paquets destinés lun à Radama, lautre à Jean René.
Cette démarche plaça M. de Freycinet dans une position délicate. Loccasion était favorable pour rentrer en possession du Fort-Dauphin : il suffisait denvoyer un bâtiment de guerre sur les lieux afin dexterminer les troupes qui loccupaient ; mais ce coup de main neût eu dautre résultat que la reprise momentanée de notre ancien poste, car le gouvernement de Bourbon navait point de forces disponibles pour continuer la guerre. Or un tel succès, demeurant isolé, ne pouvait porter atteinte à la puissance de Radama, et il fermait la voie à toute conciliation, tandis quun acte de générosité pouvait frapper lesprit du roi malgache. M. de Freycinet répondit donc à la confiance de Ramananoule en faisant parvenir à Tamatave les paquets de ce général. Il profita de loccasion pour écrire à Radama : après lui avoir rappelé brièvement les actes dhostilité dont les Français avaient à se plaindre, il lui offrait de désigner de part et dautre une personne de confiance pour arriver à la conclusion dun traité dalliance et damitié. Rafaralah, chef des troupes hovas à Foulpointe, sur qui la noble conduite du gouverneur de Bourbon dans cette circonstance avait paru faire une grande impression, avait aussi dépêché un courrier à son souverain pour lui représenter limportance dun traité dalliance avec le gouvernement français.
Dans sa réponse, dont chaque expression trahissait une plume anglaise, le roi des Hovas reproduisait hautement ses prétentions à la souveraineté exclusive de Madagascar, et terminait en disant quil accueillerait honorablement à Tananarivo une députation solennelle qui lui serait envoyée pour la négociation projetée. M. de Freycinet ne trouva pas quil fût convenable daccéder à une pareille proposition, et laffaire en resta là.
Dans lannée 1826 les plus insignes vexations commencèrent à être exercées par les Hovas contre les traitants français, et particulièrement contre ceux de Sainte-Marie. M. de Cheffontaines, qui avait succédé à M. de Freycinet, comprit que lexistence de cette colonie était menacée, et insista (22 décembre 1826) auprès du ministre de la marine sur la nécessité de prendre enfin un parti décisif ; il exposa les suites du système de temporisation et de condescendance suivi jusqualors dans les affaires de Madagascar, et déclara quil valait mieux abandonner sans retard Sainte-Marie, si lon ne se décidait pas à tirer une vengeance éclatante des insultes faites à la nation, et à rétablir notre autorité sur un pied respectable à Madagascar. Le gouverneur proposait en conséquence denvoyer à Sainte-Marie plusieurs bâtiments de guerre avec quatre ou cinq cents hommes de débarquement, et daugmenter en outre la garnison, dun corps de noirs.
Cette expédition aurait exigé des dépenses auxquelles le budget ne pouvait subvenir. Le ministre de la marine pensa que lenvoi de nègres Yolofs engagés au Sénégal suffirait pour satisfaire les besoins les plus urgents ; deux compagnies de cent Yolofs furent formées en 1828 et transportées à Sainte-Marie par la corvette la Meuse ; mais le conseil privé de Bourbon, après un examen approfondi de la question, reconnut quil fallait évidemment des forces beaucoup plus considérables pour nous mesurer avec Radama, dont la puissance allait toujours croissant, et qui comptait sous ses drapeaux jusquà quinze mille hommes de troupes bien disciplinées et bien organisées.
Sur ces entrefaites Radama mourut et la reine Ranavalou monta sur le trône dÉmirne.
Cet événement sembla devoir changer létat des choses à Madagascar. Le ministre de la marine, M. Hyde de Neuville, peu disposé à accroître les dépenses de son département, pensa « quil ne devait plus être question de prendre de vive force la côte de Madagascar et de loccuper, mais seulement dassurer la réussite de négociations ayant pour objet de rétablir nos droits sur certaines parties du littoral, et notamment sur celui de Tintingue ; de replacer sur des bases solides nos relations de commerce et damitié avec les peuples madécasses ; de reprendre, sil était possible, notre ancienne influence dans le pays ; et enfin de préparer la formation à Tintingue dun établissement maritime, qui, dans le cas dune guerre avec lAngleterre, devait être dun très grand prix pour la France. »
Sur le rapport du ministre, une ordonnance royale décida, le 28 janvier 1829, quune expédition, dont elle donnait la composition, aurait lieu au plus tôt, et que le capitaine de vaisseau Gourbeyre en aurait le commandement. La direction de cette entreprise fut laissée au conseil privé de Bourbon qui, depuis lannée 1826, navait cessé de réclamer lintervention des armes pour mettre un terme aux mesures vexatoires dont les traitants français étaient lobjet.
Lorsque les bâtiments et les troupes expédiées de France se trouvèrent réunis à Bourbon (juin 1829), le conseil délibéra sur la marche quil convenait dimprimer aux opérations de lexpédition et remit à M. Gourbeyre des instructions détaillées.
§ 10. Arrivée du capitaine Gourbeyre à Tamatave. Refus de passeports pour les commissaires français. Fortifications de Tintingue. Commencement des hostilités Prise de Tamatave. Désastre de Foulpointe. Revanche de la Pointe-à-Larrée. Le général Tazo. Diplomatie des Hovas. Évacuation de Tintingue. Causes probables de cet échec.
Le 15 juin 1829, le commandant partit de Bourbon avec la frégate la Terpsichore, la gabarre lInfatigable et le transport le Madagascar. Il arriva devant Sainte-Marie le 19.
Après avoir visité en détail la belle baie de Tintingue et rallié la corvette de charge la Nièvre, la gabarre la Chevrette et laviso le Colibri, qui avait porté au gouvernement de Maurice lavis du départ de lexpédition, M. Gourbeyre mit sous voile et mouilla le 9 juillet sur la rade de Tamatave.
Le lendemain, le commandant, accompagné des principaux officiers de la division, alla faire visite au gouverneur Andrésoa qui les reçut poliment, mais fut très réservé. M. Gourbeyre lui annonça que sa mission était toute pacifique, et quil avait des présents à envoyer à la reine Ranavalou, de la part du roi de France. Il ajouta quil désirait avoir des saufs-conduits pour les officiers qui seraient chargés daller à Tananarivo offrir ces présents à la reine. On avait engagé les maremites (hommes à gages) nécessaires pour porter les deux envoyés et leurs effets à la capitale, lorsque Andrésoa déclara quil navait pas lautorisation de leur délivrer des passeports ; il leur conseilla toutefois de se mettre en route, les assurant quils en recevraient avant davoir atteint Tananarivo. Ce refus inattendu contrariait tous les projets ; le commandant ayant dailleurs remarqué quil se faisait des préparatifs de défense dans le fort, et que des troupes hovas avaient été envoyées à Tintingue, se détermina, pour ne pas perdre un temps précieux, à se rendre à Foulpointe, après avoir clairement notifié à la reine nos prétentions, et fixé un délai de vingt jours pour sa réponse.
Avant de partir, le commandant fit savoir à Andrésoa combien il était surpris que sa visite neût pas été rendue, et lui fit demander les motifs de cet oubli ou de cette négligence des formes usitées. Le chef malgache fut fort étonné lui-même de la réclamation, car il ignorait quune visite, même désagréable, était un honneur quil fallait sempresser de rendre ; il envoya cependant Philibert, grand-juge de Tamatave, lexcuser auprès du commandant.
M. Gourbeyre, comme on le voit, mettait un soin extrême à ce que le cérémonial saccomplît dans toutes les circonstances. Cela nétait pas facile, et il sexposait à perdre son temps en voulant apprendre la politesse aux Malgaches.
À Foulpointe, où la division arriva en quelques heures le 20, la réception des Français fut plus amicale ; le gouverneur Rakéli paraissait cependant inquiet ; il était évident quil avait reçu des ordres de la reine, et quil prévoyait une fin sanglante à tous ces pourparlers.
Après avoir visité Sainte-Marie, la division vint mouiller le 29 dans le port de Tintingue. On sy livra immédiatement aux travaux de fortification et détablissement ; les officiers de la Chevrette levèrent le plan de la baie et balisèrent les passes. De toutes parts on rivalisait de zèle et dardeur, et les constructions étaient assez avancées le 25 pour quon pût planter le mât de pavillon de létablissement. Les remuants Betsimsaracs, à la bravoure desquels on eut trop de confiance, vinrent en foule féliciter le commandant, et lui faire des offres de services et des protestations de dévoûment quil accepta.
Vers la même époque, un envoyé hova vint porter une lettre de la reine au commandant ; cette missive étant écrite en malgache, on ny put rien comprendre. Ranavalou paraissait y protester contre notre présence sur la côte.
Nous ne croyons pas faire un reproche aux officiers de lexpédition en disant que cette importante entreprise manquait de guides qui eussent une connaissance approfondie de la langue et des usages malgaches. Lancien secrétaire de Radama, Robin, qui sétait enfui de Tananarivo, dans la crainte des persécutions auxquelles étaient en butte les serviteurs du feu roi ; Robin, disons-nous, eût rendu de grands services au commandant, en léclairant sur létat réel des choses chez les Hovas ; mais il avait déjà été expédié vers le prince hova Ramanétak, dont la reine redoutait les attaques comme on la vu précédemment. Ramanétak était alors à Anjouan (îles Comores) avec quelques centaines de partisans ; Robin lengagea à se rendre sur la côte nord-ouest de Madagascar, à y soulever les Sakalaves-du-Nord, impatients du joug hova, et à sefforcer de conquérir le trône de Radama auquel il a des droits. Ce plan que Ramanétak adopta avec joie, et qui, en cas de succès, offrait les plus grands avantages à la France, neut pas même un commencement dexécution, parceque lon ne mit à la disposition du prince que soixante fusils et vingt barils de poudre. Ramanétak, qui manquait darmes, ne pouvait songer à attaquer avec des moyens aussi misérables une armée formidable comme létait alors celle de la reine. Il ajourna ses projets de conquêtes, après sêtre fait une idée peu flatteuse de la générosité et de la puissance françaises.
Cependant, sur plusieurs points de la côte les Français étaient maltraités par les autorités hovas, et un traitant de cette nation, naufragé à Fénérif, avait même été vendu publiquement par le chef de ce village ; le capitaine Gourbeyre se décida à répondre par la force à ces actes dhostilité.
Le 10 octobre 1829, la Terpsichore, la Nièvre et la Chevrette, vinrent sembosser à 300 toises du fort de Tamatave, où le prince Corroller commandait depuis quelques jours. Le lendemain, une déclaration de guerre fut remise au gouverneur, et les trois navires commencèrent le feu. En peu dinstants le fort fut détruit, la poudrière sauta dès les premières bordées. Les troupes de débarquement se rendirent à terre, et poursuivirent, jusque dans les montagnes dYvondrou, lennemi qui laissa en notre pouvoir vingt-trois canons ou caronnades et plus de deux cents fusils. Les Hovas furent ensuite débusqués dun fort retranchement quils avaient élevé à Ambatoumanouk, près de la rivière dYvondrou ; ils déployèrent dans cette affaire un courage dont on ne les croyait pas capables.
La nouvelle de notre victoire enflamma lenthousiasme ordinaire des Betsimsaracs. Ce peuple tapageur et fanfaron offrit de se soulever de nouveau contre lautorité de la reine ; il ne demandait que huit jours pour exterminer nos ennemis. Cette bravade neut pas cette fois de succès auprès du commandant, qui les remercia de leurs bonnes dispositions, et ne voulut pas leur laisser, comme ils le demandaient, un bâtiment avec un détachement français.
Les Français nobtinrent pas à Foulpointe, où ils arrivèrent le 27, le même avantage quà Tamatave. Le débarquement seffectua en bon ordre, mais une sortie inattendue et furieuse de Rakéli vint mettre la confusion dans les rangs ; quelques tirailleurs se voyant près dêtre tournés par lennemi, battirent promptement en retraite, et entraînèrent le plus grand nombre des soldats vers les embarcations. Le brave capitaine Schll, commandant de Sainte-Marie, perdit la vie dans cette affaire ; seul avec deux marins, enfoncé dans un marécage jusquà la ceinture, il sétait défendu héroïquement contre quinze Hovas, jusquà ce que ses forces leussent abandonné.
Dans lespoir deffacer le souvenir de cette journée, le 3 novembre, M. Gourbeyre conduisit sa division à la Pointe-à-Larrée où les Hovas avaient établi un poste militaire qui menaçait à la fois nos établissements de Tintingue et de Sainte-Marie. La victoire fut complète. Malgré la courageuse résistance des Hovas, les Français pénétrèrent dans le fort ; on sy battit avec acharnement ; les Hovas fléchirent enfin et prirent la fuite. Ils perdirent dans cette journée 125 hommes et eurent 55 blessés ; on remarqua que la plupart des canonniers avaient péri sur leurs pièces. Nous neûmes que onze tués.
Il est juste de dire que toutes les précautions avaient été prises pour assurer le succès de cette attaque, et que le moral des troupes avait été relevé par les pressantes harangues du commandant.
Le bruit des succès obtenus par les Français causa une terreur panique dans la population dÉmirne ; mais la reine ne manifestait aucune crainte pour sa puissance ; elle répétait le mot avec lequel Radama avait coutume de répondre aux menaces dinvasion des Français : « Quils essaient, disait-elle, jai à mon service le général Tazo (la fièvre endémique), entre les mains duquel je les laisserai quelque temps, et je suis sans crainte sur les résultats. »
Cependant deux envoyés du gouvernement hova vinrent trouver M. Gourbeyre, pour traiter de la paix. Ils déclarèrent que la reine était disposée à accorder toutes les réparations demandées par la France, et établirent les bases dun traité dont la ratification par Ranavalou devait avoir lieu au plus tard le 31 décembre. Cette ratification fut refusée sans quon ait pu en connaître la cause.
Il fallut dès-lors songer à recommencer les hostilités. Un renfort de 800 hommes de troupe légère, deux compagnies de Sénégalais, un certain nombre dartilleurs et un matériel de guerre proportionné, furent demandés au gouvernement de la métropole, et expédiés par elle sur trois bâtiments de guerre.
Lorsquon lit les instructions que le ministre adressa en cette circonstance au gouverneur de Bourbon, instructions dans lesquelles il recommandait de conclure au plus tôt une paix honorable avec les Hovas, on se demande quel fut le but dun armement aussi considérable. La devise du ministre paraissait être léconomie ; cétait dans un but économique quil désirait voir la fin des hostilités ; sous ce rapport il mérite des éloges. Mais comment le concilier avec lui-même quand il organise à grands frais une expédition dont on pouvait fort bien se passer, du moment quil ne sagissait plus de faire la guerre ?
Toute lannée 1830 se passa de part et dautre en intrigues où les Hovas se montrèrent nos maîtres, il faut le reconnaître. M. Gourbeyre repassa en France afin de sinitier aux mystères de la politique du ministre.
Dans cet intervalle, la révolution de juillet saccomplit. Au milieu des circonstances graves où cette révolution plaçait la France, on reconnut quil était nécessaire de faire cesser le plus promptement possible les dépenses extraordinaires quoccasionnait Madagascar. Le désir de sattirer lamitié de lAngleterre, qui avait plusieurs fois manifesté de linquiétude sur nos actes dans cette île, entra peut-être pour beaucoup dans cette détermination. Sur lavis du conseil damirauté il fut décidé (27 octobre 1830) : 1° que lon rappellerait immédiatement en France les quatre bâtiments de guerre affectés à lexpédition, et tout ce qui, en infanterie et en artillerie, excéderait leffectif des garnisons ordinaires de Bourbon et de Sainte-Marie ; 2° que le gouverneur de Bourbon serait chargé de négocier avec la reine des Hovas un traité où lon sabstiendrait, au besoin, de discuter la question de souveraineté, et qui aurait pour but essentiel de régler les relations commerciales entre la France et Madagascar. Lévacuation de Tintingue et de Sainte-Marie devait aussi avoir lieu.
Comme la colonie de Bourbon souffrait beaucoup de cette guerre, ses caboteurs nétant plus admis dans les ports de la Côte-de-lEst, et les approvisionnements en riz et en bufs quelle tire annuellement de Madagascar lui faisant faute depuis longtemps, M. Duval-Dailly, alors gouverneur de Bourbon, sempressa dexécuter les ordres du ministre. Dans le but dobtenir de la reine Ranavalou un traité de commerce plus avantageux, il lui présenta lévacuation de Tintingue comme une compensation des avantages réclamés par la France. Cette proposition ne fit sur elle dautre effet que de lui donner une triste opinion de lhabileté et de la droiture des Français, car elle savait que lévacuation était déjà ordonnée. Toujours inébranlable dans sa résolution, elle refusa, comme au premier jour de nos relations avec elle, dentendre à aucune proposition darrangement ou de traité.
Cette dernière tentative ayant ainsi échoué, on soccupa activement de lévacuation de Tintingue. Elle seffectua paisiblement du 20 juin au 30 juillet 1831. Un corps de 3,000 Hovas savança seulement jusquen vue de rétablissement, mais il ne fit aucune démonstration hostile. Les fortifications furent détruites et on mit le feu aux constructions dont les matériaux ne pouvaient être emportés. Le personnel et le matériel furent transportés soit à Bourbon, soit à Sainte-Marie, dont lévacuation fut indéfiniment ajournée afin de protéger les colons qui sy étaient établis sur la foi des promesses du gouvernement.
Dès que les Français eurent quitté la grande terre, les Hovas massacrèrent un grand nombre de Betsimsaracs qui avaient reconnu lautorité de la France et construit des villages sous la protection du fort.
Telle fut la fin de la dernière expédition envoyée par la France à Madagascar. Cet échec vint confirmer le reproche maintes fois répété depuis un siècle, que nous ne savons ni créer ni gouverner des colonies. Il ne nous appartient pas de signaler les causes de nos désastres dans ce malheureux essai ; des fautes furent commises par la métropole indécise et parcimonieuse, par ladministration de lîle Bourbon, au commerce de laquelle, il faut le dire, la prospérité de Madagascar porterait un coup funeste, enfin par les officiers chargés de lexécution de lentreprise, qui ne paraissent pas avoir eu cette unanimité de vue ni cette bienveillance réciproques que lon aime à trouver parmi des concitoyens éloignés de leur patrie et entourés de dangers.
§ 11. Haine croissante de Ranavalou contre les missionnaires. Anecdote. Projets dexpulsion des Anglais. Discours violent dun chef à la reine. Effet de son éloquence. Édit royal qui interdit la pratique du christianisme. Nouvel édit de proscription contre les chrétiens. Exécution rigoureuse de lédit. Départ des missionnaires (1835). Appréciation de leurs travaux et motifs de leur expulsion.
Lexpédition française, en obligeant le gouvernement de Ranavalou à ne songer quà sa défense, avait produit une diversion favorable à létablissement des missionnaires anglais. Durant ces années de trouble et dinquiétude, ceux-ci purent activer en paix leurs travaux de traductions pieuses et recruter de nombreux élèves dans les familles hovas, ce quils neussent pas osé faire durant la vie de Radama, car le roi leur avait plusieurs fois manifesté son mécontentement de leur zèle trop ardent : « Si vous continuez de la sorte, leur disait-il, vous mettrez en vérité mon royaume sens dessus dessous. »
Le gouvernement de la reine observa en silence ce mouvement extraordinaire de la propagande chrétienne, dont il ne soupçonnait pas la puissance. Il sinformait aussi des résultats quobtenaient les missions établies dans lOcéanie. Le tableau des malheurs dont ces îles sont frappées, depuis la révolution quy a causée lintroduction de lÉvangile, éclaira la reine sur les dangers qui menaçaient son autorité. Cependant elle ne songea pas encore à poursuivre ses projets dexpulsion contre les étrangers, avant davoir obtenu deux tout ce quils pouvaient enseigner à son peuple dans lart de travailler les étoffes, le fer, le bois, et de construire des machines.
Ce fut en 1835 quelle laissa éclater ses intentions. Depuis quelque temps, elle se montrait assidue au culte des idoles de son pays, et lhostilité des missionnaires contre les objets de ce culte lui devint odieuse et insupportable comme à son peuple. Cette haine se manifesta par une menace violente devant la chapelle anglaise : Ranavalou sortait de maladie et allait en procession solennelle remercier lidole du recouvrement de sa santé ; en passant auprès de la chapelle les chants sacrés vinrent frapper son oreille : « Ils ne se tairont pas, dit-elle avec rage, jusquà ce que la tête de lun dentre eux soit tombée ! »
Les murmures de la superstitieuse population, en voyant les attaques sans cesse renaissantes des étrangers contre les objets de leurs antiques croyances, augmentaient de jour en jour. Un grand coup se préparait ; voici les détails curieux de cette catastrophe tels que les révérends les rapportent eux-mêmes :
« Dans cet état des affaires, disent-ils, un chef influent et dun rang élevé se présenta au palais, demandant à voir la reine. Admis en sa présence : Je suis venu demander une zagaïe à votre majesté, dit-il, une zagaïe acérée et brillante ; accordez-moi ma requête. Interrogé pourquoi il désirait avoir une arme. Pourquoi ? reprit-il, cest que jai vu le discrédit et la honte jetés par les étrangers sur les gardiens sacrés de cette terre, sur la mémoire des illustres ancêtres de votre majesté, à la protection desquels notre contrée doit son salut ; cest que les curs de ce peuple sont détournés des coutumes de nos ancêtres et de celles de votre majesté ; cest que les instructions, les livres, la fraternité de ces étrangers, ont déjà gagné à leurs intérêts bien des hommes puissants dans larmée et dans le gouvernement, bien des hommes libres et un nombre immense desclaves ; cest que tout cela nest fait que pour préparer larrivée de leurs compatriotes, qui fondront sur nous au signal que tout est prêt et sempareront dautant plus aisément de notre pays que le peuple est déjà prévenu en leur faveur. Telle sera lissue de leurs enseignements, et comme je ne veux pas vivre pour voir une telle calamité infligée à mon pays, et nos propres esclaves employés contre nous, je viens vous demander une zagaïe pour me percer le cur, afin de mourir avant la venue de ce jour fatal.
En entendant ce discours, on dit que la reine fut si violemment émue quelle versa des larmes de douleur et de rage à plusieurs reprises, et resta muette plus dune demi-heure ; puis elle sécria quelle mettrait fin au christianisme, quand il en devrait coûter la vie à tous les chrétiens de lîle. Le plus profond silence régna dans le palais ; la musique, les danses, les amusements ordinaires, furent suspendus durant quinze jours entiers. La cour était comme frappée dune grande calamité nationale, pendant que la consternation régnait dans toutes les classes de la société. »
Pendant ces quinze jours de deuil public, des mesures furent prises pour abolir le christianisme. Un premier message de la reine enjoignit aux missionnaires de respecter les coutumes du pays, tout en suivant librement les leurs, et de sabstenir de baptiser ses sujets ou de leur faire célébrer le dimanche, choses formellement contraires aux coutumes ou lois hovas. Voici la traduction littérale de ce document qui résume parfaitement la politique du gouvernement à leur égard :
Tananarivo, 26 février 1835.
« À tous les Européens, Français et Anglais,
« Ceci est pour vous entretenir, mes amis et parents, des intentions que vous avez manifestées à mon pays denseigner lhabileté et la science : je vous en remercie. Cela mest très agréable que vous nayez pas changé, car jai remarqué (je nai pas oublié) lintention que vous avez manifestée a Radama et aussi à moi.
« Et aussi je vous avertis vous tous, Européens, que tandis que vous demeurerez dans mon pays, vous pouvez, entre vous, observer toutes les coutumes de vos ancêtres (cest-à-dire votre culte et vos lois), et vos propres coutumes (vos usages) ; et soyez sans crainte, car je ne change pas les coutumes de vos ancêtres, ni vos propres coutumes, parceque lintention que vous avez manifestée à mon pays est bonne. Cependant, quoique je vous dise cela (faites attention que), quiconque viole la loi de mon pays est coupable. Et ceci nexiste pas seulement dans ce pays, mais par toute la terre. Partout où lon viole la loi du pays, on est coupable.
« Et de plus, je vous dis explicitement, que si mon peuple changeait les coutumes de ses ancêtres, et ce qui a été transmis de la lignée antique de mes prédécesseurs et dAndrianampouinimérine et de Radama, jabhorrerais cela, car je ne puis permettre de changer ce quont établi mes ancêtres. Je nai point de honte ni de crainte de maintenir les coutumes de mes ancêtres. Mais sil y a de lhabileté et de la science qui puissent procurer des avantages à mon pays, à cela je donne mon assentiment ; néanmoins je ne peux permettre quon abandonne les coutumes de mes ancêtres.
« Or donc, en ce qui touche les cérémonies religieuses, soit le dimanche, soit les autres jours, et le baptême, et lexistence de la fraternité (ou des assemblées), ces choses ne peuvent point exister chez mes sujets dans ce pays. Quant à vous, Européens, faites ce quordonnent les coutumes de vos ancêtres et vos propres coutumes.
« Mais sil y a en vous des connaissances dans la science et dans les arts qui puissent faire du bien a mes sujets dans ce pays, enseignez-les leur, car cela est bon.
« Je vous dis donc ceci, mes amis et parents, afin que vous le sachiez.
« RANAVALOU MANJAKA. »
Il ne fut répondu aux représentations des missionnaires que par un édit plus rigoureux encore, publié solennellement dans un kabar convoqué le 1er mars 1835, et auquel assistèrent plus de 150,000 indigènes de tous rangs. Cette pièce, qui détaille avec soin les griefs du gouvernement hova contre le christianisme, mérite aussi dêtre citée.
« Je viens vous le déclarer, Ambaniandrou (les Hovas), je ne suis pas une souveraine qui trompe, et vous nêtes pas des sujets trompés ; cest pourquoi je vais vous dire ce que je me propose de faire et comment je vous gouvernerai. Quel est lhomme qui voudrait changer les coutumes de vos ancêtres et des douze souverains de cette contrée ? À qui le royaume a-t-il été laissé en héritage par Dianampouine et par Radama, si ce nest à moi ? Hé bien ! si quelquun dentre vous veut changer les coutumes de vos ancêtres et des douze souverains, jabhorre cela, dit Rabodo-Nandrian-Impoinimerina.
« Maintenant, quant à avilir les idoles, à traiter la divination de plaisanterie, à renverser les tombes des Vazimbas, je déteste ces crimes, dit Ranavalou-Manjaka ; ne faites point cela dans mon royaume. Les idoles, dites-vous, ne sont rien. Nest-ce pas par elles que les douze rois ont été établis ? et maintenant elles seraient changées au point de ne devenir rien ! La divination que vous traitez de la même manière, et les tombes des Vazimbas, ne sont-ce pas là des témoignages de leur puissance ? Le souverain lui-même les regarde comme sacrées, et vous, le peuple, vous les estimeriez moins que rien ! Cest là mon affaire, dit Ranavalou-Manjaka, et je tiens pour criminel quiconque en mon pays les détruit (les tombes).
« Quant au baptême, aux associations, aux lieux de prière autres que les écoles, et aux prescriptions du dimanche, combien y a-t-il donc de souverains sur cette terre ? Nest-ce pas moi, moi seule qui règne ? Ces choses ne se doivent pas faire, elles sont illégales dans mon pays, dit Ranavalou Manjaka, car elles ne font point partie des coutumes de nos ancêtres, et je ne changerai point leurs coutumes, excepté pour les choses qui peuvent être utiles au bien de mon pays.
« Eh ! bien donc, je vous accorde un mois pour vous dénoncer, vous qui avez reçu le baptême, qui faites partie des associations ou qui allez prier dans des maisons séparées, dit Ranavalou-Manjaka ; et si vous ne venez pas dans ce délai, et attendez dêtre découverts et accusés par dautres, je vous déclare dignes de mort, car je ne suis pas une souveraine qui trompe, et mes sujets ne doivent pas être trompés. Remarquez bien le délai fixé, cest un mois à partir du coucher du soleil, que je vous donne pour confesser votre état coupable, et voici la méthode que vous suivrez. »
Après avoir décrit la manière dont les diverses catégories de coupables devront saccuser elles-mêmes, lédit royal se termine ainsi :
« Vous, écoliers, écoutez mes ordres : tant que vous serez écoliers, et recevant linstruction des Européens dans leurs maisons, observez le dimanche ; cependant, ce sera pour les leçons seulement que vous devrez lobserver, et non pour toute autre chose quelle quelle soit ; et plus tard, dès que vous aurez quitté les écoles, vous nobserverez en quoi que ce soit le dimanche ; car, moi la souveraine, je ne lobserve pas du tout, et pareille chose ne doit pas avoir lieu dans le pays, dit Ranavalou-Manjaka.
« Et puis, quant à votre mode daffirmer, vous dites : Cest vrai, et lorsquon vous répond : Le jurez-vous ? Vous dites encore : Cest vrai.
« Cest étonnant ! car que signifie ce mot : Cest vrai ?
« Souvenez-vous que ce nest pas au sujet de ce qui est sacré dans le ciel comme sur la terre, et qui a été tenu pour sacré par les douze souverains, ni pour offense aux idoles sacrées, que vous êtes accusés maintenant, mais parceque votre conduite nest pas daccord avec les coutumes de vos ancêtres, et cest ce que jabhorre, dit Ranavalou-Manjaka. »
Plusieurs chefs intervinrent pour faire modifier la rigueur de cet édit, en proposant de ne pas lui donner deffet rétroactif et de ne pas exiger que les coupables se dénonçassent eux-mêmes. Tout fut inutile, et le lendemain la reine fit publier par ses officiers quau lieu dun mois elle ne donnait quune semaine pour se dénoncer. Nayant dautre alternative que lobéissance ou la mort, les nouveaux chrétiens, peu soucieux des palmes du martyre, courbèrent la tête devant lédit royal, et vinrent en foule remettre entre les mains dofficiers désignés à cet effet les exemplaires des livres saints quils tenaient des missionnaires. Plus de quatre cents officiers furent privés de leur grade, et parmi le peuple les coupables furent condamnés à des amendes plus ou moins fortes.
Abattus par ce dernier coup, les missionnaires abandonnèrent Tananarivo les uns après les autres ; le plus grand nombre partit le 18 juin 1835.
Ainsi finit la tentative religieuse de la société des missions ; uvre philanthropique et digne déloges sous un rapport, mais étroitement liée, malgré tout, aux vues ambitieuses et envahissantes de la politique anglaise. Le bon sens malgache avait redouté le sort des habitants de la péninsule du Gange et des îles Océaniques, et le plus sûr moyen dy échapper lui parut être lexpulsion des dangereux étrangers et lanéantissement des idées nouvelles qui se présentaient sous la forme religieuse.
Radama avait permis la prédication du christianisme parcequil savait que les missionnaires mettaient cette condition à lenseignement des sciences et des arts, et que dailleurs il se sentait assez fort pour étouffer dans le cur de son peuple les principes dégalité que la nouvelle croyance y aurait introduits. La conduite de Ranavalou envers les néophytes eût été un jour la sienne sil eût vécu plus longtemps ; la persécution eût suivi de même ces chrétiens, fanatiques à ses yeux, qui disaient tout haut que les grands sur la terre seraient les plus humbles dans le ciel, et peut-être les apôtres de lÉvangile eux-mêmes neussent-ils point été épargnés par lui comme ils lont été par la reine.
Il faut bien le reconnaître : les missionnaires ne durent leurs succès éphémères à Madagascar quà des circonstances entièrement indépendantes de leurs enseignements religieux ; ce fut leur habileté comme professeurs et comme ouvriers qui favorisa seul leurs efforts. Le mysticisme ny eut aucune part, car le peuple ny a point de religion ni de culte, point didée dun être immatériel et tout-puissant, ayant une volonté, une colère, une jalousie, point de divinités enfin, auxquelles on eût pu substituer Jehovah et le Christ. Le respect inviolable aux lois existantes, lobéissance aveugle au gouvernement établi, étaient en outre des obstacles contre lesquels les prédications chrétiennes devaient se briser.
Espérons que la défaite des évangélisants servira denseignement aux convertisseurs européens ; espérons de plus quil se trouvera un jour des hommes assez généreux, assez tolérants, pour porter aux Malgaches les bienfaits dune instruction quils réclament à grands cris, sans exiger deux une renonciation absolue à leurs antiques coutumes, et sans tenter de détruire à priori les principes qui constituent leur ordre social.
§ 12. État actuel de lîle. Nouvel échec dun envoyé français à Tananarivo. Situation précaire des traitants européens. M. Delastelle. Expédition anglaise de 1838. Persistance de la reine à refuser toute relation avec les étrangers. Position menaçante de Ramanétak à Anjouan. Révolution imminente à Madagascar.
Depuis le renvoi des missionnaires anglais, le gouvernement hova eut à réprimer de puissantes rébellions dans les provinces du sud ; les actes de la plus horrible cruauté signalèrent ses victoires. À légard de la France, on crut pendant quelque temps quil se départirait de cette humeur intraitable dont nous avons déjà fait mention. Le ministre de la marine, M. Duperré, chercha à tirer parti de cette apparente disposition favorable, en envoyant à Tananarivo (décembre 1837) un capitaine de navire, quil chargea de stipuler un traité de commerce et damitié avec la reine. Arrivé dans la capitale, lenvoyé se convainquit de la persistance du gouvernement à ne lier aucune relation avec les étrangers. Les conseillers de la reine lui firent savoir dun ton de fort mauvaise humeur « quon ne pouvait accéder aux articles du traité de commerce quil présentait, et quon le ferait sortir du pays sil en reparlait. »
Sur la côte, le gouvernement hova conserve toujours la même attitude vis-à-vis des Européens, sur lesquels il exerce une surveillance active. Les traitants se plaignent hautement des persécutions dont ils sont lobjet ; ils attribuent ces mauvais traitements à linfluence quun Français, M. Delastelle, a acquise depuis plusieurs années sur lesprit de la reine, pour laquelle il est venu dernièrement (1839) à Paris faire des achats considérables en ameublements, bijoux et autres objets. M. Delastelle est en effet un des conseillers de Ranavalou, en ce qui concerne la politique commerciale ; il a été élevé à la dignité dandrian (prince), et il jouit dans le royaume dAncove des mêmes droits que les classes les plus privilégiées. Il dirige avec habileté une grande plantation de cannes à sucre et dindigotiers, fondée à Mahéla par le capitaine Arnoux et M. Rontaunay de lîle Bourbon, dans les bénéfices de laquelle la reine a une forte part.
En 1838, un capitaine appartenant au cabotage de Maurice, ayant failli être victime dun guet-apens de la part des Hovas, le gouverneur, sir William Nicolay, expédia deux corvettes pour exiger une réparation de cet outrage. Des munitions de guerre avaient été embarquées sur ces deux bâtiments, car on était décidé à agir avec rigueur, dans le cas où la réparation désirée ne serait pas accordée. Lorsque ces navires arrivèrent à Tamatave, ils y trouvèrent le Lancier et le Colibri, corvettes françaises, envoyées par le gouverneur de Bourbon pour demander au gouvernement hova des explications sur son refus de fournir des vivres à la colonie de Sainte-Marie. Lapparition des navires de guerre anglais jeta la consternation parmi les naturels et leffroi chez les traitants, qui ont acquis lexpérience quà la moindre agression de la part des étrangers les ordres du gouverneur hova sont dincendier les propriétés des Blancs. Les craintes de ceux-ci se réalisèrent. Dans la nuit le feu se déclara, mais grâce aux secours que les marins français portèrent immédiatement on se rendit bientôt maître de lincendie. Le commandant du Lancier, M. Laroque de Chanfray, dont la courageuse conduite a maintes fois été de la plus grande utilité au commerce français, exigea, le lendemain, de Ramanache, gouverneur du fort, une garantie qui donna aux Européens un peu de sécurité et leur permit de continuer leur trafic.
Nous ignorons si lexpédition anglaise atteignit ou non le but de sa mission. Quoi quil en soit, les dernières nouvelles reçues de lîle Maurice nous apprennent que, vers le commencement de lannée 1839, un particulier de Maurice sétait rendu à Madagascar, avec lautorisation du gouverneur, dans le but dengager la reine à permettre le départ de huit cents de ses sujets pour la colonie, que laffranchissement des esclaves avait privée des bras nécessaires à lexploitation des sucreries. Ses propositions nayant pas été accueillies, il a quitté Madagascar après un très court séjour.
Linsuccès de cette dernière tentative démontre que la reine est absolument déterminée à navoir aucun rapport avec les Blancs, soit quelle craigne leurs envahissements, soit quelle nagisse que sous linfluence de quelques Européens établis auprès delle.
Les actions de Ramanétak, qui a des prétentions au trône, et paraît décidé à les faire valoir, inquiètent beaucoup Ranavalou. Il a été élu sultan dAnjouan, où il sétait réfugié à la mort de Radama, et il observe de loin tout ce qui se passe dans la capitale. En février 1838, le gouvernement dÉmirne eut avis dun fort soulèvement chez les Sakalaves-du-Nord, où Ramanétak a un grand nombre de partisans, et lon craignait quil ne fût à leur tête. Il a écrit lui-même à la reine et à lun des ministres hovas « quil viendrait bientôt la voir ». Cette nouvelle causa une grande agitation à Tananarivo ; les troupes furent assemblées et exhortées à soutenir la cause de la reine. La terreur avait sans doute grossi les objets, car jusquà présent Ramanétak sest borné à préparer les voies qui doivent le mener au trône, en soudoyant des émissaires parmi les grands et dans larmée où il sest fait beaucoup damis. Il a une tête excellente, et son courage est reconnu de tous les Hovas : nous le verrons bientôt marcher vers Émirne et semparer du pouvoir après une lutte courte, mais sanglante. La popularité de son nom, son intelligence et son énergie, permettent de présumer pour lui la victoire, et lhistoire des rois hovas rend probable leffusion du sang dans cette révolution nouvelle.
Paris, le 1er mars 1840.
VOYAGES
À MADAGASCAR
ET
AUX ÎLES COMORES.
CHAPITRE Ier.
Arrivée à Madagascar. Jean René. Tamatave. Les chiens malgaches. Les maremites.
La colonie anglaise de lîle Maurice entretient de fréquentes relations avec Madagascar ; des caboteurs y transportent continuellement des bestiaux et du riz quil est facile de se procurer en abondance sur la côte orientale de la grande île. Une portion considérable de la population noire de lîle Maurice a été amenée de Madagascar, alors que la traite était encouragée par ladministration, et aujourdhui même on voit arriver au Port-Louis un grand nombre de Malgaches libres, dont loccupation est de soigner les bufs dans les navires qui font ce commerce.
Il est certes bien étonnant que les créoles de cette île, placés dans des circonstances si favorables pour acquérir des connaissances approfondies sur Madagascar et son peuple, naient en général sur ce pays que des notions imparfaites et fort vagues. Je ne fus pas longtemps parmi eux sans mapercevoir quils ne connaissaient à peu près rien sur la grande île qui leur fournit presque exclusivement leur nourriture. Ainsi ils me la représentaient comme un nouvel Éden, où les plus riches productions de la nature étaient étalées avec magnificence, et où les blancs récoltaient sans semer. Ils mentretenaient dune reine de Bombetok dont la puissance égalait la richesse, et des présents superbes que les blancs recevaient delle. Cependant un étranger qui, sur la foi de leurs récits, serait parti pour Bombetok sans marchandises et sans argent, eût été exposé à y mourir de misère, car la souveraine de cet Eldorado qui nexistait que dans leur imagination était morte dès le siècle dernier. Cétait principalement sur Émirne et sur son roi Radama que lon me racontait des merveilles dignes de figurer dans les Mille et une Nuits. Ce prince, me disait-on, répand lor à pleines mains sur les blancs qui daignent voyager dans ses états ; il leur accorde le commandement de ses corps darmées ou les nomme gouverneurs de provinces riches et fertiles. Enfin, pour me donner une idée complète de son opulence et de sa prodigalité, on massurait que son palais était couvert en piastres dEspagne.
Jécoutais avec complaisance ces histoires à lhabitation dYemen où javais quelques parents, et javoue que des descriptions si séduisantes avaient excité mon désir de voir une contrée qui, exagération à part, ne pouvait manquer de mintéresser vivement, lorsque le capitaine Arnous de Marseille me proposa de laccompagner à Madagascar où il se rendait dans le but de visiter les établissements quil possédait sur la Côte de lEst. Jacceptai son offre, et après avoir acheté quelques marchandises et les médicaments nécessaires pour combattre les maladies du pays, je quittai Maurice sur la goélette lAlcyon à la fin davril 1823 ; nous relâchâmes à lîle Bourbon, et fîmes voiles quelques jours après pour Madagascar.
Favorisés par les vents, le troisième jour nous découvrîmes lîle aux Prunes et les récifs de Tamatave ; à midi nous donnions dans la petite passe et nous apercevions le pavillon du chef Jean René qui avait adopté pour symbole la représentation en couleur rouge et noire dun taureau, dun coq et de deux zagaïes en croix sur un fond blanc.
Jean René naquit au fort Dauphin, dune femme antatschime dont les ancêtres, jadis chefs des Bétanimènes, avaient été faits prisonniers de guerre. Son père nommé Boucher était Français et agent de la Compagnie des Indes ; il jouissait à Madagascar dune certaine considération. René passa son enfance à Maurice et y reçut un commencement déducation. Il avait à peine quinze ans quand Boucher lenvoya à Foulpointe avec des recommandations pour Dumaine, agent du gouvernement, qui lemploya dans ses bureaux.
En 1797 les Anglais sétant emparés de cet établissement, la palissade fut abandonnée par le commodore aux naturels qui la démolirent. Lagent français, quelques soldats qui composaient la garnison, et René lui-même furent contraints de sen retourner à Maurice.
Un an après cet événement, Boucher confia quelques marchandises à son fils et lenvoya à Tamatave où il sétablit comme traitant ; Sylvain Roux, agent consulaire, ayant remarqué son intelligence et les progrès quil faisait dans létude de la langue malgache, le prit sous sa protection et parvint à le faire nommer interprète du gouvernement. Jean René occupait encore cet emploi lorsquil sut profiter des malheurs de Sialan et de Simandré, chefs de Tamatave et dYvondrou, et leur enlever le pouvoir quil partagea avec son frère Fiche.
À lépoque où jarrivai à Madagascar, il se qualifiait de prince héréditaire de Tamatave et de commandant des Bétanimènes pour Radama. Lorsque dans la suite je me liai damitié avec lui, je lui conseillai dabandonner ce dernier titre et de prendre celui de gouverneur général des Bétanimènes, qui convenait mieux à la dignité dont il était revêtu. Il adopta dès lors ce changement auquel Radama donna son adhésion.
Les Malgaches lappelaient Ampanzaka-Mena, le roi rouge, à cause de son teint cuivré. Il était petit, trapu, mal fait et défiguré par la petite-vérole. Quoique sans éducation il avait lhabitude du monde et des affaires, et faisait les honneurs de sa maison avec autant daisance et de dignité quun grand seigneur dEurope. Il aimait beaucoup à pérorer ; aussi les discussions et les procès étaient-ils devenus choses essentielles son existence. Je lai vu souvent exténué et hors dhaleine après les longs discours quil se plaisait à prononcer dans les assemblées. Ses idées navaient point de suite, et son imagination vagabonde enfantait en un jour vingt projets quil abandonnait le lendemain pour en caresser de nouveaux. Chef ambitieux et négociateur adroit, il était parvenu à soumettre, sans coup férir, la plupart de ses voisins. Il avait environ cinquante ans lorsque je le vis pour la première fois.
Tamatave, qui nétait autrefois quun petit village de pêcheurs, est devenu le principal marché sur la Côte de lEst ; lair y est moins insalubre quà Foulpointe ; il y a beaucoup moins de bois et de marais ; sa rade spacieuse et sûre est aussi plus fréquentée par les marchands de Maurice et de Bourbon. Sa population est de huit cents à mille habitants.
On ne voit à Tamatave aucun édifice remarquable, si ce nest lhabitation royale, construite en bois comme celles de nos colonies ; les autres sont des cabanes dont les feuilles du ravinala entrelacées forment les murs ; elles sont petites et peu solides. Les blancs ont élevé pour leurs établissements de commerce quelques grands magasins bâtis à la manière du pays et entourés de palissades. Les cocotiers sont les seuls arbres que lon rencontre sur ce plateau aride et couvert de sables mouvants ; mais à peu de distance du village une végétation des plus vigoureuses déploie toutes ses richesses.
Lhivernage était passé ; cependant on voyait encore dans les marais des cadavres de bufs et de moutons dont la décomposition avancée répandait dans lair des miasmes infects. Ces bestiaux avaient été frappés par la foudre ou entraînés par les torrents que les pluies avaient subitement formés, du sommet des montagnes où ils cherchaient quelques brins dherbe épargnés par la mousson.
Quoi quil en soit, les orages devenus moins fréquents permettaient au soleil dabsorber une partie des eaux dont les savanes de Madagascar sont inondées pendant quatre mois, et je navais plus à craindre la brise brûlante et suffocante du nord-est dont les étrangers redoutent avec raison linfluence.
Curieux de voir Radama dont le nom était dans toutes les bouches, et qui devait arriver bientôt à Vobouaze, chef-lieu de la province des Bétanimènes, jacceptai avec empressement loffre que me fit René dune recommandation pour ce prince.
Ce voyage avait un autre but : jespérais y trouver loccasion de satisfaire mon goût pour la chasse. Depuis que jétais à Tamatave, je battais tous les matins les bois des environs accompagné dun parent de Jean René, nommé Rapelapela, qui, en reconnaissance de quelques cadeaux, avait promis de me faire connaître les diverses manières de chasser du pays. Il était suivi dun petit chien de race malgache quà son poil fauve, ses oreilles droites, son museau alongé et sa queue longue et fourrée, lon aurait pris pour un renard ; la ressemblance eût été parfaite si ses jambes avaient été plus grêles et plus courtes.
Un grand nombre de ces chiens qui sont sans doute originaires de lîle vivent sauvages dans les forêts, en y chassant pour leur propre compte. On apprivoise difficilement ceux que lon prend tout petits dans la cavité dun rocher ou de quelque vieux tronc darbre. Lorsquils mènent la vie domestique ils paraissent avoir moins dinstinct que les nôtres ; ils sont hargneux, nobéissent pas toujours à la voix de leur maître et ne chassent quen vue de la curée. La manière dont ils poursuivent le gibier est cependant assez ingénieuse. Il est impossible sans eux dapprocher les pintades qui courent avec tant de vitesse que je nai jamais pu en tirer à moins de cent pas. Lorsque nous en faisions lever une compagnie, mon guide, avec lil exercé dun chasseur, remarquait larbre quelles choisissaient pour remise, lindiquait aussitôt au chien qui y courait, en grattait le tronc, et aboyait avec ardeur ; dès-lors nous navions plus à craindre de voir les pintades senvoler ; elles restaient immobiles sur les branches, et, la tête cachée dans leurs plumes, elles faisaient entendre un petit gémissement. Javais quelquefois le temps de tirer et de recharger deux fois avant quelles songeassent à abandonner leur retraite ; mais à peine les aboiements du chien avaient-ils cessé que le charme était détruit : la terreur des oiseaux se dissipait, et ils séloignaient en criant. Je me dégoûtai bientôt de cette chasse et je labandonnai pour suivre les naturels à celle du sanglier. Elle me causa dabord beaucoup de fatigues, mais finit par mêtre utile sous plus dun rapport.
Quoique les Malgaches soient dadroits tireurs, ils chassent rarement au fusil ; ils conservent leur poudre pour la guerre ou pour célébrer la naissance de leurs enfants et les funérailles de leurs parents. Cest peut-être lune des causes de labondance du gibier dans leurs forêts, sur leurs lacs et sur leurs rivières, abondance que doit augmenter encore leur indifférence pour ce genre de mets.
Chez quelques peuplades de Madagascar qui ont une origine arabe, on ne mange pas de sanglier et on ne lui donne la chasse que par excès de zèle religieux. Jai connu dans le pays de Matatane de dévots personnages qui, dans leur haine pour lanimal immonde, simposaient les privations les plus dures, afin de pouvoir acheter des chiens propres à cette chasse. Parmi dautres peuplades, les chefs en général et ceux qui veulent acquérir la réputation de braves, se livrent à cet exercice et paient souvent un bon chien jusquà cinq esclaves ou cent bufs.
Les arbres des forêts sont tellement rapprochés et touffus, les sentiers si étroits et embarrassés par tant de lianes et darbustes épineux, que les Malgaches regardent comme impossible de se servir de fusils pour chasser le sanglier, et ne sarment que de zagaïes courtes quils font forger exprès. Jen fis faire plusieurs à Tamatave et je mexerçai quelque temps à lancer ces javelots que mon guide savait manier avec beaucoup dadresse. Daprès ses avis, je fis avec de la rabane, toile légère fabriquée par les naturels, une petite tente semblable à celles que les chasseurs du pays élèvent au milieu des bois. Il me conseilla aussi dacheter quatre chiens dAncaye et dengager dix maremites pour porter mon bagage dans une forêt des Bétanimènes où des chasseurs fameux devaient bientôt se réunir. Les maremites sont des hommes libres qui sengagent au service des personnes qui se livrent au commerce. Cela sappelle faire karamou. On distingue dans ces sortes dengagements le grand et le petit karamou. La durée du premier est dune lune ; au bout de ce temps il faut le renouveler ; le second na lieu que pour les travaux à forfait, tels que la construction dune case ou dun magasin, le chargement ou le déchargement dun navire. Il existe une autre espèce de karamou : cest celui que les maremites contractent avec un voyageur ; ils prêtent serment chez le chef du district de le servir, de le défendre et de le protéger pendant toute la durée du voyage. Ce serment nest point prononcé par les maremites eux-mêmes, mais par leur milohanh ou capitaine ; ils se bornent à répondre eh ! (oui) aux différents articles dont elle se compose. Le prix du grand karamou à la Côte de lEst se paie en une quantité de toiles blanches et bleues équivalant à 4 piastres, dans le sud, cest-à-dire à partir de Mananzari, le paiement du grand karamou se fait en ravake ou verroteries de Venise. Les naturels préfèrent être employés à forfait, et ne contractent quà contre-cur le grand karamou avec un individu qui ne réside pas dans le pays. Quant au karamou de voyage, on conçoit quil varie selon les distances à parcourir. La moitié du paiement des maremites doit se faire en marchandises avant le départ chez le chef qui a reçu leur serment, et ne leur est livré quà leur retour. Dans le cas où lun dentre eux aurait enfreint la moindre des conditions jurées, le chef dépositaire devrait au voyageur la portion des marchandises destinée à lauteur de linfraction. Cette formalité du dépôt nest pas usitée sur tous les points de la côte orientale.
Nayant encore aucune connaissance des coutumes malgaches, javais recommandé à Rapelapela de sy conformer partout où nous passerions ; mon intention était de me borner à tout observer attentivement et de profiter des explications que me donnerait tant bien que mal mon guide qui avait résidé quelque temps à Maurice et y avait appris à parler un peu le français.
La veille du départ, mes porteurs divisèrent mon bagage en plusieurs petits paquets, dont chacun pesait tout au plus quinze livres, et les emballèrent dans des feuilles de vakoa pour les préserver de lhumidité, précaution nécessaire dans un pays où il pleut presque tous les jours. Deux de ces paquets attachés aux extrémités dun bambou que lon porte sur lépaule font la charge dun homme.
CHAPITRE II.
Départ pour Vobouaze. Yvondrou. Costumes et pirogues des indigènes.
Le 8 juin 1823, vers midi, je me mis en route à pied, ne tenant aucun compte des prédictions de quelques blancs établis à Tamatave, qui, même le matin et le soir, nosaient sortir quempaquetés dans un hamac. Ils mannonçaient que la fièvre et une mort prochaine seraient les suites inévitables de ma témérité.
En quittant Tamatave, nous suivîmes la côte au sud et passâmes à un quart de lieue de ce port la petite rivière de Manaarez, qui prend sa source dans les montagnes dAmbanivoule. Ces montagnes couvertes de bois sont bornées au nord par les Antavarts, au sud par les Bétanimènes, à louest par les Bezonzons et à lest par les Betsimsaracs. Elles sont moins hautes que celles des Bétanimènes, et renferment trente ou quarante villages tout au plus.
Après quatre heures de marche sous un soleil ardent, nous aperçûmes le village dYvondrou situé sur une hauteur à peu de distance de la mer et sur la rive droite de la rivière du même nom, qui prend sa source dans les montagnes dAmbanivoule, près du village de Hénabé (beaucoup de viande).
Yvondrou est peu considérable ; lhabitation du chef, composée de plusieurs cases, est la seule qui se fasse remarquer ; elle est entourée par un triple rang de palissades.
Lorsque nous fûmes arrivés près des premières cabanes, mon guide me conseilla de tirer un coup de fusil et denvoyer au chef un maremite pour lui annoncer notre arrivée. Nous entrâmes ensuite dans le village et allâmes nous établir sous un hangar qui ressemblait aux anciennes halles de nos petites villes. Cétait un toit de feuilles de ravinala soutenu par de jeunes arbres dont on avait enlevé lécorce. Les étrangers attendent dans cette sorte de caravansérail un logement que le chef a toujours soin de leur faire préparer. Nous venions dy déposer notre bagage, lorsque mon maremite vint nous rejoindre accompagné dun officier du chef, qui nous conduisit dans une case construite comme toutes celles du village, en bois et en feuilles de ravinala, mais plus grande et plus propre. Cétait la principale demeure du chef, qui, pour se conformer à lusage, me la cédait pour une nuit. Elle ne formait quune seule pièce ; deux ampitakh my attendaient auprès du feu. Mes maremites, après avoir déposé mes paquets et leurs zagaïes, allèrent sasseoir auprès deux, et répondirent eh ! à leur salut plein de bienveillance : Finart-nareo ! Bonjour, vous autres.
Quelques minutes après, deux vieillards vinrent me complimenter de la part du chef. Leurs cheveux, à demi-laineux, étaient divisés en cinq ou six tresses terminées par de grosses touffes. Mon guide me fit remarquer quils avaient eu soin de se parfumer, ce dont je métais déjà aperçu, car leurs barbes et leurs chevelures exhalaient une insupportable odeur dhuile de ricin, qui dégouttait encore sur la pièce dindienne à fond blanc et à grands ramages dans laquelle ils étaient drapés. Deux esclaves, qui navaient pour tout vêtement quune étroite tunique de rabane, les suivaient avec les présents dusage. Lun portait quelques poules, quil affectait de faire crier pour me les faire remarquer ; lautre du riz cru dans un grand plat de bois rouge. Lenvoyé qui portait la parole prit, en terminant sa harangue, une pincée de riz quil goûta, afin de nous faire connaître quil ne contenait aucune substance malfaisante.
Je mempressai, dès quils furent sortis, douvrir mes paquets, auxquels il eût été impoli de toucher avant leur visite.
Afin de ne pas avoir à revenir sur le costume des Malgaches de la côte orientale, qui est le même partout, à de légères différences près dans la qualité des vêtements et dans la façon de les porter, je crois utile den donner rapidement la description.
Le principal et souvent lunique vêtement des habitants de cette côte est le sadik ou seidik, pièce de toile large dune demi-aune et longue dune aune. Ils lattachent négligemment autour des reins, en ramènent les deux bouts entre leurs jambes, et, après les avoir fixés dans les plis de la ceinture, les laissent pendre lun en avant, lautre en arrière, sans dépasser le genou ; quelquefois les deux extrémités du seidik sont réunies en avant comme un tablier. Les chefs sen entourent ordinairement le corps sans en relever les bouts entre les jambes. Le simbou ou simébou est la toge des Malgaches ; cest une pièce détoffe denviron quatre aunes de long sur trois de large. Ils sen drapent à la manière des Grecs et des Romains, ou le portent roulé en ceinture au-dessus du seidik, lorsquils veulent avoir leurs mouvements libres.
Les femmes portent le seidik, mais plus long que celui des hommes ; elles se drapent aussi du simbou, mais souvent elles sen enveloppent entièrement jusque sous les bras. Cest ainsi quon les voit sortir le matin. Vers une heure après midi elles se revêtent de leur kanezou, espèce de corsage dont les manches descendent jusquau poignet, et qui leur serre tellement la poitrine et les bras quil est très difficile de lôter sans le déchirer : elles le jettent lorsquil est sale, préférant en faire un neuf que de prendre la peine de le laver. Le seidik ne se joint point à cette espèce de spencer, et leur laisse tout le tour du corps à découvert sur une largeur denviron un pouce : le simbou se porte alors comme un schall. Les satouks, coiffure commune aux deux sexes et assez semblable pour la forme au bonnet de nos avocats, sont des toques en jonc ; elles sont toujours plus larges que la tête, et parconséquent fort incommodes ; aussi ne sen coiffe-t-on que pour se préserver du soleil.
Depuis Angoncy jusquà Mananzari seulement, cest-à-dire sur les points de Madagascar les plus fréquentés par les blancs, les femmes dans laisance et les élégants barapip, espèce de fats aimés de la population féminine, portent aux oreilles de grands anneaux dor, et des colliers en cheveux, que lon expédie des îles Maurice et Bourbon. Les bokhs ou broches en or, de la dimension dun écu de trois francs et légèrement bombés, se placent sur le devant du kanezou et sur une ligne verticale. Ces ornements sont connus partout où lon porte des kanezous.
Cétait la première fois que jallais faire un dîner malgache. Mon guide se chargea de lapprêter ; il consistait en poulets coupés en très petits morceaux, et bouillis avec du piment et des feuilles de citrouille et de morelle : cest ce que les Malgaches appellent le roh.
Nous eûmes pour nappe une feuille de ravinala qui aurait été assez grande pour couvrir une table de dix couverts. Des fragments de cette feuille utile servent de plats, dassiettes, et, ployés dune certaine façon, de tasses et de cuillers que lon renouvelle à chaque repas. Le riz nous tint lieu de pain, et, après le dîner, nous bûmes du ranoupangh, que les Malgaches croient très salutaire, et dont ils ne peuvent jamais se passer. Cette boisson nest que de leau bouillie dans la marmite où lon a cuit le riz, et aux parois de laquelle la croûte brûlée (ampangh) de ce grain sest attachée.
Fouhi-loh, chef dYvondrou, que je fus visiter le soir, mattendait avec impatience ; car larrivée dun blanc était toujours un événement dans un pays où lon nen voit que rarement. Les femmes du chef étaient assises sur la plus fine de leurs nattes à dessins coloriés, pour recevoir avec honneur le vahinhamini-tani-bé, le voyageur de la grande terre (la France) ; leurs cheveux étaient tressés comme ceux des hommes, mais leur costume était différent : elles avaient un kanezou en indienne de couleur tendre où se remarquaient cinq ou six bokhs. Ce premier vêlement était couvert dun simbou de paliaka à carreaux verts et rouges qui leur servait de manteau ; elles avaient pour bracelets des manilles ou gros anneaux dargent, et pour colliers des grains de verre colorés ; coutume étrangère, du reste, aux peuplades de la Côte de lEst, et quelles tenaient de leurs ancêtres, les Zaféra-minian, race venue de lAsie dans des temps très reculés.
Ces femmes, malgré leur teint cuivré, étaient assez jolies ; elles avaient le sourire doux et gracieux, et leur physionomie se rapprochait beaucoup de celle des Européennes.
Fouhi-loh me procura, moyennant six brasses de toile bleue, trois pirogues dont javais besoin pour traverser les lacs.
Il y a plusieurs sortes de pirogues à Madagascar : les pirogues en planches, les pirogues dune seule pièce, les pirogues à balancier, et celles que construisent les Antaymours, race dorigine arabe.
Les pirogues en planches que les Malgaches appellent lakan-drafitch ou lakan-pafan (traduction littérale de la dénomination française) sont composées de dix-sept pièces, sans compter les bancs dont le nombre varie suivant les proportions de lembarcation. Il y a dabord la quille, qui dordinaire est faite dune seule pièce de bois tirée dépaisseur, et dans les proportions de longueur quon veut donner au bateau, de lazign (chrysopia fasciculata), arbre de haute futaie, résineux, et dont le bois est de couleur jaune. Cet arbre vient très droit et ne pousse de branches quà son sommet en forme de couronne. Il sélève jusquà soixante pieds et plus, et devient assez gros pour donner deux pieds déquarrissage. On appelle cette pièce travaillée en quille montsifou (courbé par le feu). Trois planches adaptées de chaque côté sur la quille forment la pirogue. Comme larrière est plus large que le devant, ces planches sont également plus larges dans la partie destinée à border la poupe.
Les planches employées à la construction des bateaux sont faites de bois de saré ou de takamaka. Les Malgaches les tirent de larbre qui peut leur donner les dimensions dont ils ont besoin. Ils le fendent en deux avec de petites haches et le réduisent ensuite avec une patience sans égale à lépaisseur qui leur convient. La planche qui tient à la quille se nomme fanganban (ce qui est en dessous), celle du milieu anak-amalou (littéralement lenfant dune anguille), celle de dessus, qui est la troisième et la dernière, souit (résistance) ; celle den bas na dalonge ni devant ni derrière ; mais la seconde et la troisième en ont une, celle-là sur larrière, et celle-ci sur lavant. Quatre petites pièces, dun équarrissage plus fort que lépaisseur des planches, et disposées deux à la poupe et deux à la proue, achèvent et couronnent les deux extrémités. Il y a dans chaque bateau sept, huit et jusquà neuf bancs placés à égale distance les uns des autres. Dans le milieu et sur le devant on en met deux lun sur lautre ; on les perce pour y placer les mâts, dont le pied repose dans une carlingue pratiquée à cet effet sur la quille. Les bancs se nomment sakan (largeur) ; celui de derrière, qui forme une espèce de tillac et qui sert de siège au timonnier, sappelle sakanpoulan (qui a la queue coupée, qui na rien derrière lui).
La forme du bateau a assez de ressemblance avec la moitié dune noix de coco ; cest un ovale alongé et plus relevé sur larrière que sur lavant.
La première planche est adaptée à fleur sur la quille ; ce qui rend ces embarcations sujettes à la dérive quand elles vont vent large ou au plus près.
À la partie supérieure de la quille, dans lintérieur du bateau, sont autant de trous, ou pour mieux dire de poignées, quil doit y avoir de bancs dans la pirogue. Jignore si elles sont travaillées dans le bois même ou ajoutées ; elles ont pour objet de recevoir une forte tresse de vounoutre, qui, passant dans dautres trous pratiqués aux bancs, sert à les assujétir. Lextrémité de chaque banc est en outre fixée par deux chevilles de bois sur la troisième planche du bordé.
La quille et les deux premières planches de chaque côté sont percées dans leur épaisseur à sept pouces de distance et à trois de profondeur. La troisième ne lest que dun côté. On commence à assujétir la pièce destinée à former la quille par le moyen de deux gros morceaux de bois auxquels sadaptent deux chevilles de deux pouces de diamètre ; les deux morceaux de bois sont profondément enfoncés en terre à une distance proportionnée à la longueur quon veut donner à la quille droite. Ensuite on fait entrer les deux chevilles dans deux trous préparés davance dans la quille ; on les coince de manière à la forcer de prendre la courbure quelle doit avoir aux deux extrémités. On consolide ce premier travail par des arcs-boutants.
La quille ainsi préparée, on garnit les trous quon y a pratiqués de chaque côté, de chevilles plates quon a soin de bien rendre et de couper à la longueur de trois pouces. Ensuite en guise détoupe on prend la moëlle (falafa) de la côte de la feuille du ravinala. On enfile dans les chevilles saillantes deux longueurs de ce filament lune sur lautre. Puis on présente la première planche garnie de trous prêts à recevoir les chevilles. On la force à grands coups de masse, on la serre, on la joint. La planche a déjà reçu la forme quelle doit avoir pour sadapter exactement à la quille ; et lorsquelle est parfaitement rendue, on passe dans les trous pratiqués à lune et à lautre pièce une tresse de vounoutre en plusieurs doubles qui sert damarrage, lie fortement les deux pièces ensemble, donne de la solidité à louvrage, et met lembarcation en état de tenir la mer et de porter de fortes charges. Les planches supérieures sajustent de la même manière.
Une pirogue de sept bancs doit avoir en longueur dix-huit pieds, et douze dans sa plus grande largeur. Elle porte trois milliers pesants, avec son équipage composé de six hommes et dun patron. La pirogue de huit bancs doit avoir vingt pieds de long sur treize et demi de large. Elle porte cinq milliers, un équipage de quatorze rameurs et un patron. La pirogue de neuf bancs, la plus grande en usage, peut porter dix milliers et son équipage composé de quinze personnes. Elle a trente pieds de long sur vingt de large.
En 1774, linterprète Mayeur, ayant reçu lordre de se rendre de Foulpointe à la baie dAntongil près de Benyowsky, gouverneur de létablissement français, et damener le plus de monde quil lui serait possible, sembarqua dans une pirogue de neuf bancs. Il prit avec lui cent vingt maremites, vingt passagers, leurs munitions, leurs armes, leurs effets ; léquipage était composé de vingt hommes, ce qui faisait en tout cent soixante-une personnes. « M. le baron Benyowsky, qui ne mavait point vu débarquer, dit Mayeur, fut extrêmement surpris de voir tant de monde et dapprendre quil nétait arrivé quune seule pirogue, et cependant il est très vrai que nous étions plus gênés que chargés. »
Les voiles sont faites de rabanes et gréées avec des sivarnes comme celles de nos chaloupes. Il y en a deux à chaque pirogue. Elles servent de tentes pour camper dans les endroits où lon fait halte.
Ces sortes de bateaux portent bien la voile, vont très vite et font quelquefois trente lieues dun soleil à lautre ; mais nayant point de quilles saillantes, comme je lai dit plus haut, ils sont bien plus sujets à la dérive que nos chaloupes. Il faut remarquer que les naturels voyageant en pirogues couchent tous les soirs à terre. Ils ne faisaient jadis usage que de la pagaïe ; depuis quelque temps ils connaissent laviron.
Le gouvernail de la pirogue est un grand aviron fait du même bois que la quille ; il est assujéti à la poupe par des estropes placées des deux côtés. Lorsquon est à la voile et que les vents sont forts, il y a jusquà quatre avirons pour gouverner et deux hommes à chaque.
Les Antaymours établis sur la côte orientale, au sud des Antatschimes, ont des pirogues moins grandes que les lakan-drafitch, mais construites avec plus de soin encore ; néanmoins même avec du lest elles sont trop légères et trop rases pour porter la voile ; elles sont commodes et sûres pour naviguer sur des côtes où la mer est toujours houleuse, et pour franchir les barres que lon rencontre à Namour, à Faraon et à Matatane. Ces pirogues sont terminées en pointe et ont la forme du coquillage que lon nomme moule. Quand elles sont montées par un certain nombre de pagaïeurs, leur marche est bien supérieure à celle des grandes pirogues de la Côte de lEst ; les planches qui les composent sont plus minces, plus unies et mieux jointes ; dabord réunies, emboitées et cousues avec du fil de rafia, elles sont ensuite calfatées et enduites dune sorte de bitume qui empêche leau dy pénétrer et les préserve de la piqûre des vers. Les Antaymours dirigent ces embarcations avec de très courtes pagaïes ; celle qui sert de gouvernail est beaucoup plus large que les autres.
Quand on mouille sur la côte de Matatane, qui paraît inaccessible, on est étonné de voir ces pirogues franchir si légèrement les barres : on ne peut se faire une idée de la vitesse avec laquelle elles effleurent leau. Ladresse des pagaïeurs, dont lhabitude avant daborder un navire est den faire plusieurs fois rapidement le tour en poussant des cris de joie, est en vérité admirable ; ces embarcations ont souvent jusquà vingt pagaïeurs, mais ne portent point de fortes charges.
Les lakan-an-kongoutch (littéralement pirogue-jambe) sont dun seul arbre ; le bois de takamaka sert principalement à leur construction.
Elles sont en général très longues et très étroites ; leurs extrémités se terminent en pointe et sont ornées dune boule grosse comme le poing.
Après avoir abattu larbre, on le coupe en longueur, on le creuse avec de petites haches, des gouges et du feu. Lorsquon la mis dépaisseur partout, on le force à souvrir en le chauffant en dedans, ensuite on y place des bancs qui servent de siège et empêchent en même temps que la pièce ne se referme ; la largeur dépend de la grosseur de larbre dont on nenlève que lécorce. Mayeur a vu une de ces pirogues porter jusquà huit milliers avec un équipage composé de huit rameurs et dun patron ; elle avait trente pieds de long, cinq de large et six de profondeur. Il sest rendu du Cap de lEst à Foulpointe, tantôt à la voile, tantôt à la pagaïe, et toujours en dehors des récifs, dans une pirogue semblable, avec autant de sécurité quil leût fait dans une chaloupe dEurope ; en revanche ces canots sont quelquefois si petits et si vacillants quune longue habitude et lattention la plus grande à en suivre les mouvements nempêchent pas que lon ny chavire.
Les naturels qui habitent le littoral, les îles ou les bords des rivières, sont presque tous constructeurs ; on est étonné de leur voir donner aux pièces de leurs pirogues en planches les diverses formes et proportions quelles doivent avoir pour se rapporter entre elles avec justesse, quand on songe quils nont ni lignes, ni règles, ni compas, et quils ny parviennent quavec le secours de quatre misérables outils qui feraient honte à nos plus médiocres ouvriers. Leur antsi est une petite hache de deux à trois pouces de large sur quatre à cinq de long ; leur vi-lahé (vihi, fer, outil ; lahé, mâle) est une espèce de serpe qui leur tient lieu dherminette pour déligner les planches et les dôler ; leur fohtre ressemble à nos gouges ; il remplace la tarière qui ne leur est point connue ; il a comme nos ciseaux un manche de bois sur lequel on frappe avec un maillet. Le fohtre se tient avec la main droite, et il faut sans cesse le faire tourner ; on obtient ainsi des trous parfaitement ronds, et jamais le bois néclate. Leur fangaok (racloir) est un morceau de fer plat et tranchant des deux côtés ; les deux bouts en sont pointus et recourbés ; et une petite anse ou poignée de bois, à laide de laquelle on le promène en travers sur la planche pour la polir, en occupe le milieu.
Les pirogues de la Côte de lOuest, depuis la baie de Passandava jusquà Mouroundava, sont beaucoup plus petites que les précédentes, mais aussi légères, et aussi commodes pour franchir les barres ; elles sont faites dun seul arbre creusé ; leur forme est celle dun croissant, et leur fond est évidé comme un V ; trop étroites pour se tenir à flot, elles sont soutenues par un ou deux balanciers, sorte de petit radeau assez semblable à la charpente dun tabouret, et tenu à distance de la pirogue par une gaule en bois léger attachée sur le plat-bord. Quelques-unes de ces pirogues à balanciers ont jusquà trois bancs, mais deux personnes ont de la peine à sy tenir assises de front. Les plus grandes ne porteraient pas un poids de plus de cinquante hommes. Un patron couché sur larrière les dirige seul avec une pagaïe ; elles sont soutenues par leurs balanciers, portent bien la voile et marchent avec une grande rapidité.
CHAPITRE III.
Le coq du voyageur. Le houchouk. La rivière dYvondrou. Lurne sacrée. Le vouroun-saranoun, oiseau immortel.
Je ne pris congé du chef quà une heure assez avancée et je me hâtai de gagner ma case. Jallais métendre sur une natte lorsque mon guide me dit : « Nous avons oublié une chose importante ; le coq du voyageur nest point encore acheté ; si vous voulez, jirai le chercher, quoiquil soit déjà un peu tard ; car il serait imprudent de se mettre en route sans lui. »
Je lautorisai à faire ce quil croirait nécessaire, et quelques minutes après il mapporta un coq blanc qui lui avait coûté aussi cher que dix coqs ordinaires. Je le priai de mexpliquer à quoi cet animal pourrait nous être utile. « À beaucoup de choses, me dit-il, pourvu quil ait toujours du riz et de leau ; nous allons traverser les lacs où les agents dAngatch (le mauvais génie), fils du géant ennemi des Malgaches, attendent les voyageurs sans expérience, tantôt sous la forme hideuse dun caïman qui fait chavirer leur pirogue et les dévore, tantôt sous celle dun sirira à tête rouge ou dun vouroun-kouik au plumage brillant qui se laissant prendre et caresser par létranger jette sur lui des mouchaves (sorts) funestes.
« Le coq blanc, continua-t-il, est loiseau chéri du géant Dérafif, fils de Zanaar, le protecteur des habitants de cette terre. Il a le pouvoir de nous soustraire aux embûches des mauvais esprits ; il exercera sur les chefs des villages où nous passerons une influence favorable et les disposera à nous bien recevoir ; enfin, lorsque nous serons dans la forêt, il préservera nos chiens de la dent meurtrière du sanglier, qui, frappé de vertige, viendra lui-même se précipiter sur le fer aigu de nos zagaïes. »
Les rayons du jour avaient pénétré entre les feuilles mal jointes de notre cabane, et le coq avait déjà chanté plusieurs fois, quand la voix de mon guide méveilla : « Lahé, disait-il, en secouant mes maremites profondément endormis, avia maladia amini lakanes : Hommes, venez vite aux pirogues. »
Mes paquets étant prêts, je crus que nous allions nous embarquer à linstant même, et je me levai pour suivre mes gens qui se dirigeaient vers la rivière ; mais mon guide me désabusa, et me conseilla daller me reposer encore ; curieux cependant de voir ce quils allaient faire, je les suivis jusque sur la rive ; là, je massis au pied dun vieux manguier sur un gazon plus doux que la natte qui mavait servi de lit.
Ils entrèrent tous dans la rivière et y restèrent accroupis pendant quelques minutes ; puis ils se lavèrent avec soin le visage, les bras et les oreilles, et surtout la bouche et les dents.
Lorsquils eurent terminé cette ablution (mambouie) que tous les Malgaches, à lexception des Hovas, pratiquent le matin et le soir, ils senveloppèrent de leur simbou et regagnèrent notre case à pas lents, la tête basse, avec cette mollesse, cette nonchalance quils expriment parfaitement par ladjectif mavouzou, débile, impotent, paresseux, etc.
Je leur offris en rentrant une partie des viandes que javais fait cuire la veille, présumant que, dans un pays où il ny a pas dauberges, il serait difficile de trouver à déjeûner. Aucun cependant ne voulut y toucher ; déjà ils sétaient partagés le houchouk, quils savouraient avec délices, et quils préféraient, à cette heure, aux provisions quils voyaient étalées sur ma natte.
Pendant ce temps, le plus jeune de mes maremites prit un morceau de bois, au milieu duquel il fit un trou rond ; il y plaça lextrémité dune baguette en bois, quil fit ensuite pivoter avec la plus grande vitesse entre les paumes de ses mains. Je vis bientôt la flamme pétiller dans des feuilles sèches quil avait disposées de manière à recevoir la première étincelle produite par le frottement.
Voulant partir de bonne heure, afin de pouvoir me reposer pendant les heures où la chaleur est la plus forte, jengageai Rapelapela à faire armer tout de suite les pirogues ; mais il massura que mes maremites, dont la lenteur commençait à mimpatienter, ne se mettraient en route quaprès avoir pris leur sossoua : cest de leau de riz que les Malgaches ont lhabitude de boire le matin.
Enfin, après une heure dattente, nous partîmes sur la rivière dYvondrou ; la plus grande des pirogues contenait les bagages, la plus petite était montée par les maremites les moins actifs, les mavouzou, comme on les appelle en riant, à qui javais confié mes chiens ; enfin jétais étendu, dans la plus légère, sur un treillage en bambou, couvert de feuillage. Rapelapela mavait recommandé de ne jamais me lever sans le prévenir, car le moindre mouvement brusque pouvait faire chavirer la barque, qui navait ni quille, ni gouvernail. Assis sur le devant, il était armé dun long bambou, avec lequel il nous faisait éviter les écueils, et facilitait la manuvre dans les sinuosités de la rivière, qui pouvait avoir à peu près deux portées de fusil de large.
Il y avait un quart dheure que nous avions quitté Yvondrou, quand Rapelapela me dit que nous étions arrivés près du bois qui renfermait lantique urne de granit rouge apportée à Madagascar par les Zafféraminians ; je lui témoignai le désir de voir ce vase dont Jean René mavait parlé, et nous abordâmes aussitôt à lentrée dun petit bois, situé sur la rive droite du fleuve ; là nous trouvâmes un sentier étroit que nous suivîmes pendant cinq ou six minutes, et qui nous conduisit à une place circulaire couverte de sable très fin, et denviron douze pieds de diamètre, au centre de laquelle est lurne. Son pied est cassé, et elle sappuie sur le sable que lon a amoncelé pour la soutenir. Elle a la forme dune jarre malaise ; sa hauteur est de quatre pieds environ, et sa plus grande largeur de deux pieds. Son piédestal est recouvert de terre, et paraît reposer sur quelques marches dont la première est seule visible.
Aussitôt que nous fûmes près de lurne, les maremites coupèrent plusieurs rameaux des arbres voisins, et en balayèrent le sable. Ils se prosternèrent ensuite devant le vase, et le prièrent de leur être favorable. Je voulus creuser la terre autour du piédestal avec ma zagaïe, afin den connaître la forme et la grandeur ; mais mes gens men empêchèrent en disant que cétait une profanation. Ils massurèrent quil recouvrait un riche trésor, mais quil nétait permis à personne dy toucher sans exposer de nouveau le pays aux malheurs quavaient jadis causés les combats de Dérafif (génie de leau) et du géant son ennemi (le génie du feu). Ils ne me permirent quavec beaucoup de peine dapprocher de ce vase mystérieux, et murmurèrent hautement en voyant que jy gravais les initiales de mon nom avec la pointe de ma zagaïe. Le lendemain, un orage violent ayant éclaté, les Malgaches des environs dirent que cétait leffet de mon imprudence. Les chefs et quelques habitants dYvondrou allèrent même sen plaindre à Jean René.
Après avoir employé une heure à visiter ce curieux monument, nous gagnâmes les pirogues et nous continuâmes notre voyage.
La rivière dYvondrou offre à lil du voyageur toutes les merveilles dune végétation puissante. Des bois gigantesques en suivent le cours, et, enlacés aux flexibles rameaux des palmiers, forment des bosquets aussi impénétrables aux rayons du soleil quà lhomme. Leurs branches, qui souvent ploient sous le poids de fruits savoureux, venaient se plonger dans les eaux en passant pardessus nos têtes, et nous cachaient la rive opposée. Des lianes indigènes, admirables par leur délicatesse, par les formes de leurs feuilles et les vives couleurs de leurs fleurs, sétendaient darbre en arbre, comme un vaste réseau de soie verte. Mais ces ombrages attrayants sont la retraite de terribles caïmans et de sangliers non moins redoutables.
Nous suivions ces rives pittoresques ; notre marche était lente, et souvent entièrement arrêtée par des troncs darbres que lâge ou la tempête avait abattus, et qui, couchés en travers sur leau et dans les endroits où elle est peu profonde, retenaient une masse considérable de végétaux que le courant y accumulait sans cesse. Mes maremites étaient alors obligés de se mettre à leau pour débarrasser ces obstacles et frayer un passage à la pirogue.
Le milieu de la rivière était généralement libre, et la navigation y aurait été beaucoup plus facile que près des bords ; mais le courant y était plus rapide, et aurait exigé lemploi des pagaïes au lieu du long bambou qui servait seul à nous faire avancer : pour lindolence des Malgaches, cétait une considération dun grand poids.
Au reste, je nétais pas fâché de ces retards qui me donnaient le loisir dexaminer les objets nouveaux dont jétais entouré. Les oiseaux qui peuplent ces forêts attiraient surtout mon attention. Tantôt jadmirais le plumage brillant du colibri, que je voyais pour la première fois ; tantôt jécoutais le chant mélancolique de la veuve, et le caquetage des perruches noires qui se balançaient sur les branches les plus élevées des arbres voisins.
Les perroquets noirs, le ramier vert, le pigeon bleu ou hollandais et une foule dautres oiseaux annonçaient aussi leur présence, le premier par un cri âpre et perçant, les autres par de doux roucoulements ou des sifflements prolongés. Les aigrettes seules restaient silencieuses et immobiles sur le bord de leau où elles guettent les petits poissons pour les harponner de leur long bec ; jen tuai plusieurs, et je fus fort étonné de leur maigreur extrême. Leurs plumes sont remarquables par leur blancheur et leur finesse.
Tout-à-coup mon guide sécria : « Le caïman nest pas loin ; voilà le vourounsaranoun ; et dirigeant ma vue vers un bassin formé par les eaux débordées de la rivière, il me fait remarquer sur une feuille de songe un oiseau gros comme un pigeon dont la tête et le corps étaient roux et les plumes de la gorge et de la poitrine tachetées de blanc et de noir ; je fus extrêmement étonné que son poids ne fît pas enfoncer la feuille légère sur laquelle il se reposait.
Avant découter les explications que mon guide paraissait disposé à me donner, je me mis en état de tirer ; mais les maremites, au risque de faire chavirer la pirogue, se levèrent précipitamment et détournèrent le canon de mon fusil en me suppliant dépargner le vourounsaranoun. Ma mort, me dirent-ils, suivrait bientôt la sienne. Mais leurs exhortations et leurs sinistres prédictions ne firent quexciter mon désir de posséder cet oiseau ; ma pirogue nen étant pas alors à plus de dix pas, je fis feu, tandis que mes compagnons consternés sécriaient : « Tsiari, tsiari, vazah, mati anao, non, non, blanc, tu mourrais ! » À mon grand étonnement, le vourounsaranoun ne fut pas atteint ; il ne bougea même pas. Je tirai mon second coup presque à bout portant ; cette fois il senvola lentement et alla se poser quelques pas plus loin.
Les maremites se mirent alors à rire ; je sus plus tard la véritable cause de leur gaîté, mais alors je croyais que ma maladresse seule lavait excitée, et le dépit augmenta mon trouble. Je tirai encore quatre fois sur le maudit oiseau avec le même malheur, et je chargeais mon cinquième coup, décidé à le poursuivre jusquau soir sil le fallait, lorsque la baguette de mon fusil méchappa des mains et tomba dans la rivière.
Cet accident acheva de me déconcerter et provoqua de nouveau le rire bruyant des Malgaches.
« Zanaar te protège, dit Rapelapela, puisque le vourounsaranoun na pas permis que ton plomb latteignît. Ami et protecteur des hommes, il leur annonce toujours la présence du caïman, aussi est-il révéré de tous les bons Malgaches.
« Le vourounsaranoun est immortel, mais il se laisse quelquefois frapper. Les ampoum-chaves (sorciers), ces enfants dAngatch et les blancs qui ne sont pas aimés de Zanaar, peuvent seuls lui donner la mort, mais ils ne voient jamais deux fois le riz mûrir dans nos houraks (rizières). »
Malgré le pouvoir que les naturels attribuent au vourounsaranoun, jen ai tué plusieurs pendant mon séjour à Madagascar. Mais la scène que je viens de raconter et le récit de mon guide se présentaient toujours à mon souvenir au moment où je les visais.
Cet oiseau, qui ressemble au ramier, na quun corps frêle et décharné à peine gros comme celui dune fauvette. Ses plumes fines et abondantes causent seuls son volume énorme et sa légèreté. On le voit toujours posé sur les feuilles de songe, où il reste longtemps immobile. Ses pattes ne sont point palmées.
CHAPITRE IV.
Les Ampanires. Un pangalame. La sorcière du lac Nossi-bé. Les Kimosses. Les lacs Rassoua-bé et Rassoua-massaye. Un kabar. Village de Vavoune. Repas servi dans un vase affecté par les blancs à un autre usage.
Nous arrivâmes vers le milieu du jour à lendroit où lon quitte la rivière pour gagner le lac Nossi-bé. Mes maremites ayant mis les pirogues à terre, nous nous retirâmes pour dîner dans une hutte entourée de filaos (casuarina). Cétait la demeure dune famille ampanire.
Les Ampanires forment une caste particulière ; cest la plus pauvre dentre toutes les races malgaches et celle qui mérite le plus de lêtre. Leur indolence et surtout leur malpropreté les ont fait mépriser des autres insulaires ; il est, en effet, difficile de rencontrer plus de paresse et dinsouciance : ils ne veulent point se donner la peine délever des troupeaux, ni de cultiver le riz, et consacrent à peine un jour pour la construction de leurs cases. Leur nom indique leur unique industrie. Ils font le sel dans de grands vases de terre que lon voit toujours sur le feu dans leurs cabanes ; ils ne quittent jamais les environs de leur demeure ; ce sont les acheteurs de sel qui viennent les trouver.
En entrant dans leur habitation enfumée, je vis des hommes bien différents des autres Malgaches chez qui la propreté est une qualité générale. Ils avaient les yeux chassieux, les cheveux et le corps couverts de suie. Hommes et femmes nétaient vêtus que dun petit seidik décorce darbre. Plusieurs enfants se roulaient sur un lambeau de natte couvert de cendres.
On nous offrit des coquillages boucanés et un poisson grillé dans une feuille de ravinala, que je trouvai délicieux, quoiquil eût été cuit avec ses intestins et ses écailles.
En quittant mes hôtes je leur fis cadeau de deux brasses de toile bleue dont ils parurent enchantés ; car ils déployèrent une activité qui ne leur est pas ordinaire en aidant mes pagaïeurs à transporter les pirogues.
La rivière dYvondrou est séparée du lac Nossi-bé par une langue de terre que les Malgaches nomment pangalame. On trouve en beaucoup dendroits de Madagascar ces sortes disthmes qui sopposent au transport des produits de lintérieur sur la côte. Lorsque les Malgaches sont en grand nombre, que les sentiers sont dégagés darbustes et de lianes, ou que leurs pirogues sont petites et légères, ils portent ces embarcations sur leurs épaules pour traverser les pangalames.
Les grandes pirogues, trop lourdes pour être portées, sont traînées, ce qui les détériore beaucoup. Ce travail, de quelque manière quil se fasse, est toujours lent et ennuyeux pour le voyageur, les maremites sinquiétant peu du temps quils y emploient, pourvu quils ne se fatiguent pas. Pour sencourager, ils poussent des cris comme les porteurs de palanquins dans les colonies ; ils courent un instant avec leur fardeau, puis le déposent à terre et restent souvent pendant près dun quart dheure à se reposer. Il nous fallut à peu près une heure pour traverser le pangalame du lac de Nossi-bé qui na pas plus de deux cents pas de longueur.
Pendant que les Malgaches embarquaient mon bagage et préparaient les embarcations, je considérais avec un plaisir infini cette immense plaine deau sur laquelle nous allions voguer : sa surface était aussi calme que celle dun bassin ; ma vue qui cherchait à en mesurer létendue se perdait au loin. Cependant, en regardant attentivement, je découvrais dans le nuageux lointain des montagnes, des arbres et des cases doù sortait de la fumée.
Ma vue se promenait avec bonheur sur de pittoresques îlots couverts de plantes et darbres inconnus dans nos contrées et remplis de milliers doiseaux ; on napercevait aucune trace de culture, mais on entendait mugir les bufs à loupe vacillante, que les habitants des environs y transportent pour les engraisser, après leur avoir fendu loreille dune manière particulière afin de les reconnaître quand ils veulent les tuer.
Des volées doiseaux aquatiques, qui sabattaient en plusieurs endroits du lac sur des poissons quon voyait fuir épouvantés, achevaient danimer ce charmant paysage. Une spatule rouge que je tuai au vol attira surtout mon attention. Cet oiseau, remarquable par sa belle couleur de feu, est aussi gros quune oie ; son bec ressemble à linstrument de chirurgie dont il porte le nom. Jajustais un kabouk, sorte de cygne gris orné dune crête bleue et rouge, quand on mappela pour le départ.
Jétais déjà couché dans ma pirogue lorsque mon guide me dit : « Avant de pousser au large, il est nécessaire que je te parle de Mahào la sorcière : prévenu du danger qui te menace, tu léviteras en gardant le silence auquel sont assujétis, depuis sa mort, ceux qui traversent le lac de Nossi-bé où elle commande encore à Sakare et à Bilitch, génies malfaisants qui planent sur les eaux.
« Tu dois, ajouta-t-il, apercevoir au milieu du lac une île plus grande que les autres : là vivait autrefois une femme aussi méchante que belle, Mahào, fille dun chef puissant des Antaymours, nommé Dian-Ansaïe. Ce prince lui avait enseigné tous les secrets de lart magique que ses aïeux avaient apporté de lArabie, afin quelle pût être utile aux hommes. Mais Mahào surprit un jour son époux endormi sur le sein dune jeune esclave ; après lavoir poignardé, elle jura une haine implacable à tous les hommes, et dès-lors elle ne fit usage de sa science que pour leur nuire.
« Dian-Ansaïe, effrayé des crimes de sa fille, la chassa de ses états avec plusieurs femmes ses complices. Elles se réfugièrent dans lîle que nous allons côtoyer.
« Là les fils des principaux chefs de la contrée venaient tour-à-tour rendre hommage à ses charmes ; elle feignait de répondre à leur amour et les attirait dans son palais où elle les enivrait de délices ; mais ils payaient bien cher les faveurs quelle leur accordait. Après avoir goûté pendant trois jours et trois nuits les douceurs de lamour, ils recevaient de cette femme cruelle un philtre dont les effets leur étaient bientôt funestes. Les uns, saisis de vertiges, se précipitaient dans le lac, les autres se frappaient eux-mêmes de leurs zagaies.
« De cette façon périrent beaucoup de chefs et de vaillants guerriers, entre autres tous les fils de Béman, à lexception du plus jeune que Zanaar avait choisi pour venger la mort de ses six frères. Daprès les conseils du savant Ratsara, de la lignée des Zafféraminians, il se rendit dans lîle, et, pour mieux cacher son dessein, sabandonna aux voluptés dont Mahào entourait ses victimes ; mais saisissant linstant où elle se livrait au sommeil, il sempara dune dent de géant qui la rendait invulnérable, et la perça de plusieurs coups. Cependant un autre talisman qui élevait Mahào au rang des génies lui donna le pouvoir de nuire aux hommes même après sa mort.
« Elle repose au fond du lac, et la voix dun homme suffit pour réveiller ses anciennes haines. Gardons-nous donc bien de parler, car elle nous entraînerait immanquablement dans les cavernes où elle fait sa demeure. » Ici Rapelapela se tut et les pirogues se mirent en marche.
Jeus assez dempire sur moi pour garder, pendant la traversée qui dura jusquau soir, le silence que les Malgaches mavaient recommandé. On mavait averti à Tamatave que la moindre imprudence pourrait causer ma perte ; linquiétude que je remarquais dans les yeux de mes pagaïeurs, et la présence de plusieurs caïmans dont les têtes paraissaient au-dessus de leau, nétaient guère propres à me rassurer : le récit de mon interprète avait singulièrement augmenté leur peur. Je craignais quau moindre bruit ils ne fissent chavirer les pirogues en voulant se précipiter dans le lac pour gagner à la nage la rive la plus proche.
Le lac Nossi-bé a environ huit lieues de tour ; sa profondeur en beaucoup dendroits est de quinze à vingt brasses.
À peine touchions-nous à lautre rive que les Malgaches se mirent à injurier la prétendue magicienne dont nous venions de quitter le domaine ; ils saisirent sur le rivage des cailloux et des morceaux de bois quils lancèrent vers le lac en poussant des cris affreux, et ce fut avec beaucoup de peine que je parvins à faire cesser leur tapage et leurs vociférations.
La nuit était déjà avancée quand nous quittâmes le lac Nossi-bé : le ciel, couvert de gros nuages précurseurs de lorage, était si obscur que sans les brillants essaims de mouches phosphoriques qui éclairaient notre marche, nous eussions eu quelque difficulté à trouver le chemin qui conduit au village de Fitanou. Ces mouches, que lon voit par milliers à Madagascar, sont plus nombreuses pendant lhivernage que dans la bonne saison.
Nous étions à Tanfoutchi (terre blanche). Après avoir marché un quart dheure, nous entendîmes le bruit des vagues qui se brisent sur les récifs dont la côte est bordée et viennent rouler avec fracas sur les sables mouvants du rivage.
Nous couchâmes à Fitanou, chef-lieu du district de Tanfoutchi, et nous neûmes quà nous louer de laccueil de ses habitants qui nous aidèrent le lendemain à transporter les pirogues sur le lac Iranga.
Ce lac est beaucoup plus petit que celui de Nossi-bé ; on ny trouve que quatre à cinq brasses de fond. De là japercevais à louest cette chaîne de montagnes qui succèdent aux forêts de la côte ; ses pics, couverts en partie par le brouillard, présentaient diverses formes que le mirage rendait en ce moment encore plus bizarres ; les Malgaches croient y voir des figures danimaux monstrueux et en tirent des présages sinistres ou favorables.
Les plus hautes de ces montagnes ont douze et quinze cents toises au-dessus du niveau de la mer ; les Malgaches, avides de traditions merveilleuses et portés à lexagération comme tous les peuples de lOrient, prétendent que quelques-unes élèvent leur cime jusquaux cieux dont elles soutiennent la voûte ; ils disent quelles sont habitées par les Kimosses, race de nains qui vivent dans les cavernes et se nourrissent seulement du lait de leurs troupeaux, car ils ont horreur du sang et de la chair des animaux.
Lhistoire de cette prétendue race de pygmées ayant été répétée par presque tous les écrivains qui ont parlé de Madagascar, jai dû recueillir à ce sujet les renseignements les plus minutieux. Jai souvent témoigné le désir de les visiter moi-même et jai plusieurs fois engagé des guides pour me conduire dans leur retraite ; mais au moment du départ ils étaient forcés de mavouer quils ne connaissaient pas la véritable résidence de ces nains, dont lhistoire leur avait été transmise par leurs ancêtres. Les Malgaches les plus raisonnables et les principaux chefs men ayant dit autant, jai considéré jusquà présent lexistence des Kimosses comme fabuleuse. Jai bien rencontré quelques nains malgaches dans mes voyages, mais ils étaient, ainsi que ceux dEurope, issus de parents dune stature semblable à la nôtre.
Sur les hauteurs de Manamboundre, chez les Antarayes, jai connu un nain bien conformé dont la taille ne dépassait pas trois pieds. Il avait trois femmes dune taille ordinaire, ce qui métonna dabord, sachant que les femmes malgaches ne peuvent souffrir les petits hommes auxquels elles donnent le sobriquet de zaza-voua-koutouk, mais jappris quil était riche. En quittant le lac Iranga, les maremites sarrêtèrent un instant pour préparer le houchouk. Pendant quils faisaient sécher le tabac, mon commandeur me dit : « Nous devons encore aujourdhui nous défier des mouchaves (sortilèges) ; car nous allons traverser le lac Rassoua-bé où le géant du feu commande ; jai eu soin dapporter de Tamatave des fanfoudis (charmes protecteurs) qui lempêcheront de nous nuire, pourvu que nos pirogues ne contiennent aucunes provisions cuites ; car lui seul prétend avoir le droit de disposer du feu, dont il est le père et le souverain. Permets-moi donc dexpédier par terre, avec ton biscuit et les viandes, deux de nos gens qui nous rejoindront avant le soir ; pour ce matin, tu seras forcé de te contenter de quelques bananes. » Ici mon guide tira plusieurs colliers dun pli de son simbou, et en remit un à chacun de nous ; ils étaient composés de morceaux de racines odorantes et de tuyaux de bambou, qui renfermaient des petites bandes de papier jaunâtre fabriqué par les indigènes, sur lesquelles étaient tracés des caractères arabes. Ces talismans sont vendus dans toutes les parties de lîle par les Antaymours que ce commerce enrichit.
Le lac Rassoua-bé est beaucoup plus grand que celui que nous avions traversé la veille ; il peut avoir douze ou treize lieues de tour ; les îlots sont moins nombreux et moins grands que ceux du lac Nossi-bé. Il abonde en poissons et en oiseaux aquatiques, mais lon ny voit aucun caïman ; mes maremites mempêchèrent par crainte superstitieuse de tirer sur les canards sauvages, les sarcelles, les poules deau, les aigrettes, qui venaient folâtrer autour de nous, mais ils harponnaient sans scrupule les poissons avec des zagaïes minces qui ne sont employées quà la pêche. Pour les attirer ils faisaient sauter autour des pirogues une petite planche taillée en forme de poisson et coloriée avec des sucs de plante ou la sève de quelques arbres.
Le mulet, la carpe et le gourami sont les meilleurs poissons deau douce de Madagascar ; ils sont abondants et très gras après lhivernage. Le mulet est plus gros de corps que celui dEurope, mais sa tête terminée en pointe est beaucoup plus petite ; il a le goût du saumon ; les plus grands ont trois pieds de longueur. Ce poisson nest pas mangeable sil est pris sur un mauvais fond ; la vase que lon trouve dans ses intestins lui communique sa mauvaise odeur et le rend détestable.
Le gourami est un poisson plat qui devient plus grand que le turbot ; sa chair est blanche et délicate. La carpe ne diffère pas de la nôtre.
On trouve à Madagascar un poisson monstrueux qui ressemble à la vieille ; ses écailles sont tachetées de brun, de jaune et de vert. Sa chair est insipide et dégoûtante tant elle renferme dhuile ; il devient aussi gros que les plus forts marsouins et dévore quelquefois des enfants qui se baignent. Il est probable que cest la vieille dEurope qui va sengraisser dans leau douce, car on la rencontre toujours près de lembouchure des rivières.
Le lac Rassoua-bé est uni au lac Rassoua-massaye par un canal étroit, où lon trouve à peine assez deau pour les pirogues ; nous nétions que depuis quelques minutes dans ce détroit quand un homme qui portait trois zagaïes sur lépaule sarrêta devant nos canots ; il sortait dun bois épais, où nous venions dentendre la voix de plusieurs personnes : aussitôt que les Malgaches laperçurent, ils cessèrent de pagaïer pour écouter son kabar.
Le mot kabar, qui sapplique généralement à une assemblée où lon discute les affaires publiques, sert aussi à exprimer le rapport que sont obligés de se faire deux ou plusieurs personnes qui se rencontrent. Les nouvelles se propagent de cette manière avec la plus grande rapidité.
Dans les détails dont lusage exige un compte-rendu exact, on ne doit pas omettre les moindres circonstances. Par exemple, deux voisins se quittent en sortant de leur village ; lun va chercher son troupeau dans la prairie située à une petite distance de sa maison ; lautre va puiser de leau à la rivière, qui nest guère plus éloignée de la sienne ; sils se rencontrent à leur retour, ne fût-ce quun quart dheure après, ils se croient obligés de sarrêter et de se dire tout ce quils ont vu sur leur chemin, neussent-ils rencontré quune poule, une caille ou un papillon.
Létranger nous raconta quil venait du pays des Antavarts où il avait perdu son troupeau par suite dun procès (sahali) et quil avait le projet délever sa cabane près de la rivière dAndévourante, car il avait entendu dire que le poisson y était abondant. Sa famille retardée par les rouin-dambou (lianes épineuses qui obstruent les sentiers) le rejoignit quelques instants après.
Sa femme me parut jeune et jolie, quoique le hâle eût grossi ses traits ; elle était coiffée dun satouk ou bonnet de voyage en jonc. Elle portait sur son dos à la manière du pays, cest-à-dire attaché avec une ceinture de nattes, un enfant de sept à huit mois ; tout son bagage consistait en une siron-kell, boîte ou corbeille de jonc, unique meuble des Malgaches, qui renferme toute leur fortune ; un petit garçon saccrochait à un pan de son simbou et se laissait traîner.
Je consentis volontiers à donner passage à ces pauvres gens qui sinstallèrent immédiatement dans une des pirogues que javais louées à Yvondrou.
Nous eûmes bientôt traversé le lac Rassoua-massaye, et le soleil nétait pas aux deux tiers de sa course lorsque nous rejoignîmes mes deux maremites à la halte que nous leur avions assignée à Vavoune.
Le village de Vavoune situé près de la mer contient tout au plus trente cases. Le chef accompagnait ceux qui me firent le présent dusage ; il minvita à partager son roh et il eut la bonté de le faire apporter dans ma case, plus grande et plus commode que celle où ma venue lavait forcé de se reléguer.
Tandis quun esclave disposait les feuilles de ravinala qui devaient recevoir le riz, le chef suivi de deux autres domestiques allait chercher le dîner que javais accepté. Il ne tarda pas à revenir. Une simple panelle de fabrication indigène renfermait le riz, mais le vase de faïence qui contenait le roh était de fabrique européenne ; son aspect excita les murmures dadmiration de tous les assistants qui ne le voyaient que dans les jours de grande solennité ; aussi le chef paraissait-il fier de posséder cette merveille et me regardait-il en souriant, comme sil eût attendu un compliment de ma part.
Je craignis dhumilier un homme qui mavait si bien accueilli et cependant je naurais pas voulu pour tout au monde toucher au mets servi dans un vase tel que celui-là ; Rapelapela, qui en connaissait aussi bien que moi lusage, et qui sétait aperçu du dégoût que jéprouvais, me tira dembarras en expliquant au chef à quoi les blancs lemployaient ; personne ne voulut dabord le croire, mais lorsquil se fut assuré que mon interprète ne plaisantait pas, tous les Malgaches se mirent à rire et jetèrent aux chiens du village le malencontreux repas.
Je métais aperçu que mon hôte prenait plaisir à me voir, et je lengageai à passer la soirée avec moi. Il se dédommagea de la perte de son dîner en mangeant une partie du mien, et se consola facilement, avec quelques bouteilles darrack que je lui donnai, du petit échec damour-propre dont javais été la cause involontaire.
CHAPITRE V.
Forêt de Vavoune. Le baba-koute. Les makis. Le vari. Les tendracs. Le voun-tsira. Réunion des chasseurs malgaches. Rencontre de deux serpents monstrueux. Chasse aux caïmans. Moyen employé par les naturels pour les prendre. Pipée malgache.
Dès quil fit jour nous quittâmes le village de Vavoune et nous nous dirigeâmes vers la forêt. Les chemins qui y conduisent passent à travers des marais et sont couverts de broussailles. Nous marchions depuis quelque temps dans la forêt lorsque nous entendîmes les cris lamentables des baba-koutes.
Le baba-koute est une espèce de singe ; les plus grands ont trois pieds de hauteur : ils vont presque toujours par troupes et nhabitent que les grands bois ; leur poil est ras et de la couleur de la souris ; ils nont pas de queue. Ces animaux, qui ont physiquement du rapport avec lorang-outang, ont, comme lui, plusieurs des habitudes de lhomme ; ils se tiennent naturellement debout ou assis ; leur cri est triste, il ressemble à celui dun homme qui souffre ; la première fois que je lentendis, je crus que cétait la voix de quelque voyageur assassiné qui luttait contre la mort.
Les naturels craignent les baba-koutes ; ils disent que ces singes étaient autrefois des hommes, mais que pour se soustraire au travail, qui est le devoir de tout membre dune société, ils se retirèrent dans les bois, et que Zanaar, indigné de leur paresse, rendit leur race inférieure à la nôtre, et les métamorphosa.
Mon guide, qui connaissait tous les chemins de la forêt, où il avait déjà chassé plusieurs fois, me conduisit dans un endroit où je pus approcher dun baba-koute : il était assis sur une branche, presque au sommet dun arbre élevé ; je le tirai avec des chevrotines ; mais la blessure que je lui fis était sans doute légère, car il ne changea pas de place, et pencha seulement la tête en avant ; je tirai une seconde fois, et toute la charge ayant porté dans ses reins, il tomba près de moi : sa vue me fit frissonner, tant je lui trouvai de ressemblance avec lhomme ; un sentiment de tristesse sempara de moi, et laspect des objets intéressants qui menvironnaient ne parvint pas à leffacer entièrement.
Les Malgaches, joyeux de la mort du singe qui leur assurait un régal, me demandèrent la permission de sarrêter un instant : ils allumèrent un grand feu dans lequel ils passèrent plusieurs fois le corps du pauvre animal, et après en avoir gratté le poil ils le coupèrent par morceaux et se le partagèrent ; cette opération me causa tant de dégoût que je méloignai deux ; jallai à la recherche des oiseaux, dont les cris frappaient de tous côtés mon oreille, en attendant quils fussent prêts.
Je tuai quelques merles (hourouve) semblables aux nôtres, mais plus petits, et une espèce de faisan que les Malgaches appellent lapira tsi-akoho, dont le plumage est mêlé de blanc, de brun et de noir, et le bec à peu près le même que celui dune bécasse ; cet oiseau est un mets délicat ; la chair de la poitrine surtout a un goût exquis.
La voix des chiens nous annonça quils rencontraient du gibier ; je crus que cétait des pintades, parcequils aboyaient au pied dun arbre ; mais mes compagnons qui sempressèrent de les rompre me dirent que cétait des makes ou makis, et me firent comprendre que les chiens qui sadonnaient à cette chasse nétaient plus propres à celle du sanglier.
Il y a plusieurs espèces de makes à Madagascar ; les plus petites et les plus jolies sont de la grandeur dun chat ordinaire, mais plus minces ; leur fourrure tachetée de gris, de blanc et de noir, ressemble à celle de lhermine, et pourrait avoir de la valeur en Europe sil était possible de la conserver : on sen procurerait des milliers, car les forêts sont peuplées dune innombrable quantité de ces animaux.
Le museau de la make est noir et alongé comme celui du renard, ses oreilles sont étroites, effilées et courtes, sa queue est longue et fourrée. La make rousse est un peu plus grosse que les autres espèces ; sa chair est aussi bonne que celle du lièvre, qui na jamais pu sacclimater à Madagascar.
La plus grande de toutes les makes (le vari) est noire et blanche, son crâne est couvert dun poil noir, court et luisant, et sa tête entourée dun bandeau de longs poils blancs ; elle a au cou une sorte de fraise noire qui contraste singulièrement avec lextrême blancheur du reste du corps ; ses pattes sont couvertes jusquau genou de poils noirs, disposés exactement comme des gants à la Crispin ; sa queue est dun noir luisant. Les makes de cette espèce sont plus longues et plus grosses quun angora ; elles sont dun naturel plus doux que les autres, quoiquelles ne soient pas faciles à apprivoiser.
Nos chiens avaient à peine quitté les makes quils rencontrèrent un tendrac (centenes spinosus, Desmarets). Après lavoir poursuivi pendant quelques minutes, ils sen emparèrent. Cet animal nest pas un des moins curieux quil y ait à Madagascar ; il est gros comme un lapin domestique ; ses formes et son organisation ne diffèrent pas beaucoup de celles du hérisson ; il se terre au mois davril dans un trou de deux ou trois pieds de profondeur, où il reste dans un état de torpeur jusquen décembre. Quoiquil ne prenne pas de nourriture pendant ce sommeil de sept mois, il sengraisse dune manière prodigieuse et perd cette odeur insupportable et ce goût plus fort que celui de venaison quon trouve à sa chair quand il est errant pendant lhivernage.
On connaît les endroits où les tendracs se sont terrés, par la présence de monticules, semblables à ceux qui couvrent des trous de taupes ; les petits garçons ont lhabitude dy fouiller et les en arrachent avec beaucoup dadresse ; cependant il arrive quelquefois que le tendrac, dont ils troublent le sommeil léthargique, les mord assez fortement pour leur faire lâcher prise.
La chair de cet animal, quand il a été quelques mois en terre, a le goût de celle du cochon de lait ; il a ainsi que lui une couche de graisse ou panne à laquelle jai trouvé plus de saveur. Les Malgaches, et surtout les Hovas, en sont très friands.
Tandis que je considérais mon tendrac que je venais de soustraire à la dent des chiens, jentendis dans le feuillage un léger bruit, et ayant cru voir un écureuil je me mis à sa poursuite et labattis ; cétait un voun-tsira ; il est plus gros, plus court et plus gracieux que notre écureuil ; sa queue est moins grande et moins touffue, mais son poil est plus court, plus fin, et sa couleur plus agréable ; on le voit toujours sautant de branche en branche pour chercher des ufs doiseaux, sa nourriture favorite.
Il était environ midi lorsque nous arrivâmes à lendroit de la forêt où les chasseurs auxquels nous devions nous réunir sétaient établis. Nous avions fait tout au plus trois lieues au S.-S.-O. depuis notre départ du village de Vavoune.
Dans un endroit fourré du bois, près dun ruisseau deau limpide qui coulait sur un lit de gravier, on avait élevé pour les chefs des tentes semblables à celle que javais fait faire à Tamatave. Leurs officiers et leurs esclaves étaient logés dans des barraques de feuillage dont chacune contenait tout au plus quatre personnes.
Un des chasseurs, qui fixa particulièrement mon attention tant par sa couleur que par la noblesse de son maintien, était Simandré dont je ne connaissais pas encore lhistoire et les malheurs. Je remarquai aussi deux frères, chefs de Maroussic, qui étaient venus au rendez-vous de chasse quoique leurs états en fussent éloignés de plus de quinze lieues ; ils étaient accompagnés du jeune chef de Mitinandre, leur voisin et leur ami.
Les chasseurs ayant décidé que nous laisserions reposer les chiens de meute durant deux jours, je mamusai pendant ce temps à chasser la perdrix, la caille, la poule deau et la bécassine.
Les perdrix de Madagascar sont semblables à nos perdrix grises, mais plus petites que celles-ci ; les naturels les appellent tohtoh. On ne les voit jamais par compagnies de plus de neuf ou dix, parceque lhumidité soppose au développement des couvées ; elles ne se lèvent jamais à la remise, aussi sont-elles faciles à prendre avec des chiens dressés exprès qui les suivent à pas de loup et finissent par les saisir ; jen arrachai quatre de la gueule du chien de mon guide dans un très court espace de temps. Elles se tiennent toujours dans les lieux humides, près des rivières et des marais.
On rencontre dans les mêmes endroits la bécassine et la poule deau. La première est assez rare ; elle est la même que celle dEurope et aussi difficile à tirer. Lautre est plus grosse quune poule ; son plumage est violet, son bec et ses pattes rouges ; sa chair est moins bonne dans lhivernage que dans lautre saison.
On trouve aussi près des marais une sorte de petit faisan gros comme une perdrix, dont la chair est encore plus délicate que celle du nôtre ; il est couvert dun joli plumage bleu ; son bec, ses pattes et une partie de sa tête sont rouges.
Nous trouvâmes en chassant beaucoup de hérissons (sora), que les Malgaches font bouillir avec des herbes et quils trouvent très bons. Nous allions rentrer au camp, la chaleur ne nous permettant plus de continuer notre chasse, quand japerçus dans le coin desséché dun marais deux serpents enlacés qui dormaient.
Lun était plus gros que la cuisse dun homme ; lautre était tout au plus comme le bras dun enfant. Je les montrai à mes compagnons en manifestant lintention de les attaquer ; mais ils sen éloignèrent avec horreur et firent tout ce quils purent pour me détourner de mon projet. Je glissai des chevrotines dans mon fusil et je tirai à dix ou douze pas ; le plus petit des deux serpents ne fut pas atteint et se sauva dans la bruyère voisine. Lautre reçut la charge au milieu du cou ; il dressa la tête en sifflant et mordit près de lil mon braque qui sétait élancé sur lui. Le sang que je vis couler de la blessure de mon chien, lorsquil me rejoignit en criant, maffligea dautant plus quil venait dEurope et que je naurais pas pu le remplacer à Madagascar.
Je craignais que le reptile ne fût venimeux, mais je fus bientôt rassuré en voyant que non-seulement le chien nétait pas malade, mais quil mangeait comme de coutume. Jai tué depuis à Madagascar plusieurs serpents qui nétaient pas plus dangereux que celui-ci.
Quoi quil en soit, il me fallut tirer une seconde fois pour lachever, car les Malgaches nosaient pas sen approcher, quoiquil fût mortellement blessé. Je le mesurai ; il avait seize pieds de long ; sa peau avait une couleur et un éclat que je nai pas remarqués dans les autres serpents.
Les naturels, toujours superstitieux, me dirent que celui-ci nétait vu que très rarement, et quil était toujours le présage de quelque malheur ; quil dormait le jour sur la terre et quil se tenait la nuit sur les arbres, doù il descendait pour sucer le sang des bufs qui ne sont pas parqués.
Jeus beaucoup de peine à décider mes maremites à porter mon serpent ; ce ne fut quà force de promesses que je les déterminai à le placer sur un brancard.
Arrivé dans la forêt, tous les chasseurs accoururent pour le voir, mais personne ne voulut se charger de le dépouiller. Je fus donc obligé de le suspendre à un arbre et de le préparer moi-même. Il avait une couche de graisse de plus dun pouce dépaisseur ; sa chair était courte et aussi blanche que du veau. Je fis cadeau de sa peau que je bourrai, après lavoir frottée de savon arsenical, à un ami qui la donna au docteur Labrousse, médecin en chef de la colonie de Bourbon. Jai su depuis quon lavait apportée en France pour un musée.
La chasse au sanglier ne devant avoir lieu que le surlendemain, il me restait un jour que je destinai à celle des caïmans. Les Malgaches, en mavertissant que mes balles de plomb samortiraient sur leurs écailles, brisèrent une petite chaudière en fonte dont les morceaux devaient servir à charger nos armes.
Plusieurs chasseurs ayant offert de maccompagner, se procurèrent des pirogues dans lesquelles nous nous embarquâmes au point du jour. Après avoir vogué pendant quelque temps sur une rivière assez large, où je ne voyais pas de caïmans, nous entrâmes dans un de ses bras où leau était plus tranquille : çà et là sélevaient des touffes de joncs et de roseaux. Une forte odeur de musc répandue autour de nous annonça la présence des caïmans, et nous en vîmes bientôt plusieurs dont les têtes surnageaient ; je les aurais tirés si mes compagnons ne meussent pas engagé à attendre une proie plus sûre. Ils men montrèrent bientôt plusieurs qui dormaient au soleil sur lherbe ; les parties les plus vulnérables de leurs corps, qui sont le défaut de lépaule et la gorge, étaient à découvert. Jen atteignis un à dix ou douze pas, et il fit de vains efforts pour se traîner jusquà la rivière ; les autres sy précipitèrent si vivement, au bruit de la détonation, quils donnèrent à nos pirogues un violent mouvement de roulis qui neût pas permis de sy tenir debout.
Mes pagaïeurs dirigèrent la pirogue, en poussant des cris de joie, vers le caïman blessé qui se débattait encore, et sen approchèrent avec précaution ; ils eurent beaucoup de peine à lachever avec leurs zagaïes. Cet amphibie était un des plus grands que jaie vus pendant mon séjour à Madagascar ; il avait environ quatorze pieds de longueur.
Le caïman nattaque jamais lhomme pendant le jour. Jai souvent traversé dans de fragiles pirogues, qui ne peuvent contenir quun seul homme, des rivières remplies de ces énormes animaux, et jai toujours remarqué quils fuyaient dès quils mapercevaient. Il mest arrivé de voyager avec des bufs, et sils men ont enlevé quelques-uns, ces accidents ont toujours eu lieu dans la nuit. Le caïman ne dévore jamais sa proie dans leau ; après lavoir saisie il la tient à la surface et plonge de temps en temps pour la noyer ; quand elle est morte il la traîne à terre et la cache dans un lieu couvert près du rivage, où il ne manque pas de venir tous les jours en manger une partie. Les ufs du caïman sont ronds ; il les dépose sur le gazon où le soleil les fait éclore ; je nen ai jamais trouvé plus de deux au même endroit.
Si mon premier coup de fusil fut heureux, les autres neurent pas le même succès ; jen blessai encore plusieurs autres, mais nous ne pûmes pas nous en emparer parcequils étaient trop près de la rivière où ils avaient le temps de se précipiter avant notre arrivée.
Les Malgaches ont une manière de les prendre plus facile et moins dispendieuse ; ils font avec une espèce de bois très dur un émérillon qui ressemble à ceux dont on se sert sur les navires pour pêcher les requins ; ils y accrochent pour appât un morceau de buf, et le déposent sur le bord des rivières où ils savent quil y a beaucoup de caïmans ; plusieurs hommes cachés dans les joncs tiennent une corde à laquelle cet appareil est fixé, et attendent que lanimal lait avalé ; puis deux ou trois dentre eux résistent aux efforts quil fait pour se débarrasser, pendant que dautres lattaquent par derrière avec de fortes zagaïes et le tuent.
Avant de quitter la rivière, je vis sur un îlot un jeune Malgache qui prenait des sarcelles au filet, blotti sous des feuilles de ravinala qui le couvraient entièrement ; il faisait une espèce de pipée en secouant plusieurs sarcelles, dont les cris attiraient des oiseaux aquatiques quil enveloppait alors dans sa tonnette de fil de rafia.
En revenant au camp nous traversâmes une plaine où je tuai quelques cailles qui sont beaucoup plus petites que les nôtres, quoiquelles en aient la forme et à peu près le plumage : les plus grosses sont aussi petites quune alouette ; on trouve cependant à Madagascar des cailles de lespèce dEurope ; mais je nen ai vu que dans le royaume dÉmirne.
CHAPITRE VI.
Grande chasse au sanglier. La curée. Les exploits de Mara-mass. Vénération pour les chasseurs du sanglier. La chasse recommence. Nuée de sauterelles. Un esclave empoisonné par la piqûre dune araignée. Traitement du malade par le massage. Pêche du caret à lembouchure de lAndévourante. Trafic de lécaille. Le corbigeau. Pêche de la baleine. Fêtes, cérémonies et conjurations des naturels à cette occasion. Départ pour Vobouaze par Andévourante.
Enfin le jour de la grande chasse arriva : elle commença avant le jour. Les Malgaches ny suivent pas lordre et la méthode que les Européens ont coutume dobserver. Ils ne savent pas instruire ni conduire leurs chiens avec autant dhabileté. Quand ils veulent les faire quêter, ils les excitent en jetant un cri particulier, et en frappant plusieurs fois sur leur cuisse avec le plat de la main.
Les chiens débusquent promptement le sanglier, sils le rencontrent dans le bois ; cependant quelquefois celui-ci se retranche dans un fourré et sy défend longtemps avec courage. Il est plus difficile à lancer, sil sest réfugié dans un hourak (rizière), surtout dans la saison où le riz est mûr, parcequalors il devient très gras, ce qui le rend lourd et paresseux.
Ces sangliers sont de deux espèces ; la plus nombreuse est de la grosseur des nôtres. Leurs soies sont dun brun foncé et deviennent très dures quand ils sont âgés ; ils ont les habitudes du sanglier dEurope, mais la structure de leur tête est différente ; celle de la laie est beaucoup plus alongée que celle du mâle : elle a aux joues des os saillants qui laissent à peine apercevoir ses yeux dans les cavités profondes qui existent entre ces os et ceux du front.
Si la tête de la laie est curieuse, celle du sanglier est tout-à-fait hideuse ; chez lui, les os de la face sont plus saillants et se terminent en pointe en plusieurs endroits ; il a au-dessus du nez deux excroissances noires, longues de deux à trois pouces et grosses comme le doigt ; la tête est beaucoup plus forte que celle de notre sanglier ; elle nest pas proportionnée au corps ; la chair des laies, quand elles sont pleines, est tendre, grasse et dun goût agréable.
Les sangliers de la petite espèce sont assez rares ; leur poil est roux ; ils ont le corps beaucoup plus petit que les autres, mais leur conformation est la même. Malheur aux chasseurs qui les attaquent, sils nont pas une bonne zagaïe et une grande habitude de la manier ! il mest souvent arrivé dans une seule chasse de voir éventrer deux ou trois chiens. Ces sangliers sont toujours maigres et choisissent pour retraite les lieux les plus sauvages et les plus escarpés ; leur chair est filandreuse et dun goût désagréable.
Le premier sanglier que nos chiens rencontrèrent était vieux, aussi eurent-ils beaucoup de peine à le lancer. Les Malgaches se placèrent autour du fourré où il résistait comme dans un fort aux chiens les plus courageux qui le harcelaient continuellement ; il sortit enfin et chacun de nous lui lança sa zagaïe, mais comme il passait un peu loin il ne reçut que de légères blessures. Six chasseurs sélancèrent à la suite des chiens pour les appuyer ; ils poussaient de temps en temps, afin de les encourager, certains hurlements prolongés « hé-houh ! » qui remplacent les sons du cor ; nous suivions la chasse moins vite queux, ayant seulement soin de nous diriger du côté où nous entendions la voix des piqueurs et des chiens.
Après avoir été mené pendant deux heures, le sanglier se rapprocha du lieu où il avait été lancé, et il nen était pas éloigné, lorsque le changement de la voix des chiens et les cris des chasseurs qui les excitaient nous apprirent quil était forcé. Nous nous hâtâmes de courir sur lui pour secourir nos chiens avec lesquels il était aux prises, mais comme je navais pas encore lhabitude de marcher dans les sentiers difficiles, et que jétais sans cesse arrêté par les branches et les ronces qui les embarrassent, jarrivai trop tard pour lui porter mon coup de zagaïe.
Les chiens haletants, la langue sèche et pendante, entouraient la bête abattue et se disputaient, en attendant la curée, le sang qui coulait à grands flots de ses blessures.
Les Malgaches élevèrent un bûcher et préparèrent le sanglier comme le baba-koute que javais tué quelques jours auparavant. Ensuite ils le suspendirent à une branche darbre, louvrirent et le dépecèrent, après avoir eu soin de frotter avec son sang la tête et les pattes de tous les chiens, et leur en avoir fait boire à chacun quelques gouttes dans une cuiller en feuilles de ravinala ; ils prétendaient que cette précaution était nécessaire pour donner le goût de la chasse à ceux qui ny étaient pas encore accoutumés et pour augmenter lardeur des autres.
Quoi quil en soit, on distribua aux chiens la moitié du sanglier quils dévorèrent en un instant ; le mien seul refusa de prendre part à la curée : cétait un grand braque qui navait pas plus de trois ans. Les Malgaches me dirent quil avait poursuivi le sanglier avec plus dacharnement encore que les autres ; cramponné sur lui à linstant de sa mort, il lui mordait les oreilles et il ne le lâcha quaprès lavoir vu sans mouvement.
Je considérai mon chien comme gâté puisquil sadonnait à cette chasse, et en effet il narrêta plus depuis ce jour, mais il devint dans la suite le meilleur limier de Madagascar. Plusieurs chefs qui le convoitaient men ont offert souvent un grand nombre de bufs et plusieurs esclaves. Il avait dabord un défaut dont lexpérience finit par le corriger ; il sélançait sur le sanglier sans prendre la précaution de lattaquer de manière à éviter ses défenses, aussi recevait-il souvent des blessures profondes. Il nétait pas rare de me voir rentrer suivi de Malgaches qui portaient deux ou trois sangliers et mon chien sur des brancards de bambou.
Dans une chasse que je fis à Foulpointe avec le prince Rafaralah, Phanor, connu des Malgaches sous le nom de Mara-mass, força presque seul un sanglier quil avait mené pendant tout un jour et qui mourut sans avoir reçu un seul coup de zagaïe, tant ses fatigues avaient été grandes. Son foie était presque décomposé et sa chair si mauvaise que les Malgaches eux-mêmes refusèrent den manger ; mon chien resta huit jours sur la litière après ce bel exploit. Phanor avait tant dinstinct et sa passion pour la chasse était si forte que, tandis que javais la fièvre, il appuyait tous les matins ses pattes sur mon lit et semblait me demander en pleurant quand nous irions dans la forêt ; souvent il partait seul et rentrait couvert de boue et de sueur.
Ce fidèle et courageux compagnon de mes voyages, dont le corps était couvert de cicatrices, fut sabré en 1826 par des Arabes inhospitaliers dans mon naufrage à lîle Mohély ; sa mort me causa des regrets qui ne purent seffacer que longtemps après que jeus quitté les lieux où il avait péri.
Le foie et le cur du sanglier que nous venions de tuer me procurèrent un excellent déjeûner. Après nous être reposés pour laisser passer la chaleur qui devenait insupportable, nous rentrâmes en chasse, mais nous nous fatiguâmes inutilement, car nos chiens, dont lestomac était plein, nétaient plus disposés à quêter ; cependant ils lancèrent un marcassin qui les amusa quelque temps et quils finirent par prendre. Il est très rare que les chiens malgaches rencontrent après midi, et pour quune chasse au sanglier soit heureuse, il est nécessaire de se trouver dans le bois quelques instants avant le jour.
En regagnant nos tentes nous passâmes près dun petit village dont les habitants nous firent présent dun buf. À Madagascar on a tant de vénération pour ceux qui chassent le sanglier, que partout où ils passent on leur offre de pareils dons. Les chasseurs sont même autorisés par la coutume à disposer, dans un pressant besoin, des choses qui leur sont nécessaires à la vie. Cest un privilège que lon est convenu de leur accorder pour les indemniser des dangers quils courent et les récompenser des services quils rendent en protégeant la propriété de tous contre les ravages quy causent les sangliers. Dans les contrées où les chasses ne sont pas fréquentes, ces animaux sont en si grand nombre quils dévastent les rizières et détruisent une partie des récoltes de maïs. Jai vu plusieurs fois des champs de manioc (jatropha manihot), quils avaient fouillés, où il ne restait plus un seul morceau de ces racines utiles ; partout la terre remuée avec régularité aurait pu faire croire quon lavait disposée exprès en monticules.
Le lendemain nous partîmes un peu tard, et cependant notre chasse fut heureuse, car à midi nous avions déjà tué deux laies, et blessé mortellement deux sangliers que les chiens abandonnèrent après avoir suivi longtemps les traces de leur sang. Un Malgache qui se trouvait auprès de moi fut blessé par un de ces animaux. Le fer et une partie du bois de sa zagaïe restèrent dans le corps de lanimal. Les naturels éviteraient ces accidents qui arrivent assez fréquemment, sils sarmaient de bonnes zagaïes et sils avaient soin de les essayer avant de sen servir.
Les deux sangliers que nous avions perdus furent trouvés morts dans le bois quelques jours après. Dans le ventre dune des laies il y avait neuf ftus que nous distribuâmes aux chiens ; cette quantité de petits était un véritable phénomène et étonna beaucoup les Malgaches ; depuis, jai souvent tué des laies pleines qui ne portaient jamais plus de deux ou trois petits.
Le sanglier de Madagascar a plus de peine que le nôtre à se faire à la vie domestique. Jai pris plusieurs fois des marcassins de tous les âges, et je nai jamais pu réussir à les élever : ils se laissaient mourir de faim ; je suis cependant parvenu à en garder un pendant un mois, et quoiquil neût encore perdu aucune de ses habitudes sauvages, javais lespoir de lapprivoiser, car il mangeait ; cependant il mourut de tristesse peu de jours après son arrivée à Bourbon où je lavais envoyé.
Fatigué dun exercice auquel je nétais pas encore accoutumé, je commençais à massoupir sous ma tente, quand un cri parti du camp me détermina à me lever pour en connaître la cause ; mon guide vint en même temps mengager à sortir, pour voir, disait-il, une chose curieuse, et qui ne manquerait pas de métonner.
Nous sortîmes, et il me montra un gros nuage noir qui obscurcissait lair : je ne compris pas pourquoi les Malgaches avaient les yeux fixés vers ce point ; mais il mexpliqua bientôt, dun air triste, que cétait des sauterelles, qui, dans un jour, allaient dévorer tout le riz en herbe.
Je considérai avec plus dattention la masse noire et compacte qui savançait avec un sourd bourdonnement, et au bout de quelques minutes je vis lessaim destructeur sabattre sur la terre et en couvrir presque toute la surface.
Ces sauterelles ressemblent à la cigale dEurope : elles ont le corps gris et les ailes dun brun foncé ; les Malgaches, mais particulièrement les Hovas et les Antatschimes, les considèrent comme un mets des plus délicats ; ils les font bouillir, après leur avoir cassé les ailes, quils vannent, et ne mangent pas autre chose tant quil en reste ; jen goûtai et les trouvai aussi bonnes que des crevettes.
Si ce fléau paraissait tous les ans il détruirait entièrement les moissons, car il exerce ses ravages, sans discontinuer, pendant neuf ou dix jours. Les naturels prétendent que quand ces sauterelles se retirent elles se jettent à la mer et sy noient.
Un accident qui eut lieu le même jour occupa beaucoup les chasseurs. Un jeune esclave fut piqué par une grosse araignée noire que les Malgaches redoutent avec raison ; elle est presque aussi grosse que les petits crabes connus dans lInde sous le nom de tourlourous : elle est velue et a sur le dos trois ou quatre taches jaunâtres ; cette araignée est rare et ne se trouve que dans les forêts les moins fréquentées ; elle se loge en terre dans de petits trous qui ressemblent à ceux des mulots.
Je remarquai chez le jeune homme qui venait dêtre piqué une irritation nerveuse que la peur augmentait peut-être encore. On fit venir lampaanzar, qui prescrivit des bains de vapeur, composés dune décoction de diverses plantes quil désigna.
Le tremblement du malade augmentait visiblement ; deux personnes suffisaient à peine pour le soutenir au-dessus de la panelle qui contenait le bain : il avait la langue sèche et les yeux enflammés, et il avalait avec beaucoup de peine quelques gorgées dune infusion de plantes aromatiques dont je ne connaissais ni le nom ni les vertus. Lorsquil eut pris son bain on létendit sur une natte, et lon fit venir des femmes pour le masser : il tomba bientôt dans un assoupissement auquel succédèrent des syncopes : la peau était restée sèche malgré la température élevée du bain, les extrémités devenaient froides, et des mouvements convulsifs annonçaient une fin prochaine ; en effet, le lendemain jappris que le jeune homme était mort. Je demandai à voir le corps, qui ne différait pas des morts ordinaires ; je remarquai seulement à la piqûre une petite tumeur entourée dun cercle violet. Les Malgaches disent quil arrive très rarement quon rappelle à la vie ceux qui ont été piqués par cette araignée.
Javais souvent entendu parler du caret qui produit lécaille, et que beaucoup de personnes confondent avec la tortue de mer, quoiquil soit dune espèce différente. Nous trouvant dans la saison de la ponte, mon guide me proposa de passer deux jours, pendant lesquels la chasse au sanglier allait être suspendue, à lembouchure de la rivière dAndévourante, où les tortues et les carets ont lhabitude de venir déposer leurs ufs.
Je consentis avec empressement à cet arrangement. Favorisés, comme nous létions alors, par un beau clair de lune, cétait une véritable fête que de passer une nuit sur une plage sauvage que le pied de lhomme navait peut-être jamais foulée, et où je verrais dun côté la nature étalant ses richesses, et de lautre lOcéan roulant ses vagues sur des sables arides : ce contraste devait avoir pour moi des charmes que tout voyageur comprendra.
Le caret (testudo imbricata) est conformé comme la tortue de mer, quoiquil ne devienne jamais aussi gros ; il nen diffère que par sa coquille, couverte de treize feuilles décaille ; sa tête est plus longue, et est terminée par un bec qui ressemble à celui du perroquet.
Quoique les habitudes du caret soient à peu près les mêmes que celles de la tortue de mer, il est beaucoup plus difficile à élever : quand il est jeune un seul rayon de soleil suffit pour crisper son écaille et le faire périr. Jen ai gardé longtemps dans des baquets deau de mer ; je les nourrissais avec du poisson et des intestins de volaille quils dévoraient avec une grande avidité.
Pour que lécaille du caret soit bonne, il faut quil ait au moins trois ans. Les Malgaches, qui ne savent pas la détacher, exposent lanimal à laction du feu ; aussi les feuilles quils vendent sont-elles presque toujours endommagées, ce qui en diminue la valeur. Pour les obtenir en bon état il faut enterrer le caret dans le sable, après lavoir tué ; quelques jours après, son corps se décompose et lécaille se détache facilement.
Il y a deux espèces décaille, la rouge et la blonde ; dans lInde la dernière est plus estimée que lautre ; jen ai vendu à lîle Bourbon jusquà quatorze piastres la livre.
Nous gagnâmes la côte pour nous rendre à Andévourante, mon guide trouvant ce chemin plus court et plus facile. Nous rencontrâmes sur le rivage plusieurs volées de corbigeaux (courlis de Madagascar) qui se laissaient approcher à une demi-portée de fusil ; jen tuai quelques-uns que je fis cuire en route et que je trouvai aussi délicats que des bécasses.
Le courlis de Madagascar est un peu plus gros que la bécasse, son plumage est de la même couleur, sa tête est plus grosse et son bec légèrement recourbé ; il a la poitrine large et charnue et devient très gras pendant lhivernage ; dans lautre saison, sa chair est coriace et huileuse.
Jabattis aussi des alouettes de mer qui avaient un goût de poisson pourri ; je terminai ma chasse en tuant une espèce de héron, près de lembouchure de la rivière dAndévourante, où nous arrivâmes après quatre heures de marche au sud-est.
Ayant remarqué sur la rive opposée un endroit commode pour camper, je voulus traverser le bras de mer où je ne devais avoir de leau que jusquà la ceinture ; mais un de mes maremites, qui était du pays, men empêcha en me racontant que quelques mois auparavant un Malgache y avait eu la jambe coupée par un requin. Il fallut donc expédier un homme pour demander une pirogue aux habitants dun petit village situé non loin de là, ce qui prit, comme de coutume, plusieurs heures, car dans ce pays le temps nest compté pour rien.
Nous passâmes donc leau et je fis élever la tente à une petite distance de la mer ; assis sur la grève, je mamusai une partie de la journée à regarder les frégates donner la chasse aux fous.
La frégate est un oiseau grand comme un dindonneau ; son envergure de huit à neuf pieds nest pas proportionnée à son corps qui est dune maigreur extraordinaire ; il se balance continuellement dans les airs et imite parfaitement les mouvements du tangage et du roulis dun bâtiment ; cest ce qui lui a fait donner son nom. Linstinct de cet oiseau, que la nature na pas conformé pour la pêche, le porte à guetter les fous, qui, quoique stupides, sont dadroits pêcheurs ; lorsquils sélèvent avec le poisson quils viennent de prendre, la frégate, à qui le nom de corsaire eût encore mieux convenu, sabat sur eux comme lépervier, et leur serrant le cou, les force à ouvrir le bec et sempare de leur proie sans leur faire de mal.
La frégate contient beaucoup dhuile que les Malgaches et les habitants des îles Séchelles emploient en liniments contre les rhumatismes chroniques ; jai vu quelques personnes sen servir pour des affections semblables, et quoiquelle ne soit pas un moyen curatif, jai remarqué quelle apportait à leur état beaucoup de soulagement.
Je vis passer un grand nombre de baleines, suivies presque toutes dun ou de plusieurs baleineaux ; les naturels attaquent ces derniers et les harponnent avec beaucoup dadresse ; ils trouvent un goût exquis à la chair de ce cétacé, quils mangent avec son huile puante et nauséabonde.
Dans la saison où les baleineaux sapprochent des côtes, les habitants des montagnes descendent pour prendre part aux dégoûtants festins dont leur chair fait tous les frais.
Le harponneur qui leur procure ce régal est considéré comme un personnage important ; le soir, les jeunes filles célèbrent le courage quil a montré en attaquant le monstre ; et, à la clarté des feux quon allume exprès, elles représentent en son honneur des pantomimes mêlées de chants. Le matin, lorsquil séloigne du rivage dans sa pirogue, les sorciers de la contrée le couvrent de rameaux sacrés et font des conjurations à la mer pour quelle lui soit favorable ; la foule joint ses vux à leurs cérémonies magiques et attend, dans lanxiété, les résultats de lexpédition.
Les Malgaches nosent point attaquer les grosses baleines ; dès quils les aperçoivent ils sen éloignent avec rapidité ; ils en ont tellement peur quils abandonnent aussitôt le baleineau quils ont pris.
Il paraît que la chair du baleineau est favorable à la santé, car les Malgaches engraissent toujours dans la saison de cette pêche. La peau de ceux qui étaient antérieurement atteints de maladies cutanées, devient douce et luisante, après avoir suivi quelque temps ce régime. Jai mangé plusieurs fois du baleineau que javais fait bien dégraisser et jen ai trouvé la chair aussi bonne que celle de la tortue de mer.
La nuit était bien avancée quand nous aperçûmes deux carets qui venaient déposer leurs ufs sur le rivage, où nous étions en embuscade depuis fort longtemps ; nous nous en approchâmes doucement et nous les vîmes creuser des trous et enfouir leurs ufs dans le sable à un pied environ de profondeur.
Aussitôt que nous entendîmes le bruit de leurs nageoires, dont ils frappaient le sable en se traînant du côté de la mer, mon guide me prévint quil était temps de sen emparer ; nous courûmes sur eux et nous les renversâmes sur le dos, sans éprouver la moindre résistance. Les Malgaches massurèrent que nous pourrions les laisser dans cette position jusquau lendemain, sans quils parvinssent à se retourner.
Nous prîmes dans le sable plusieurs ufs que je fis cuire en rentrant : on ne put pas les faire durcir, quoiquon les eût laissés très longtemps bouillir ; la glaire en était dégoûtante, le jaune fade et insipide.
Les ufs du caret sont ronds et un peu plus gros que ceux de la poule ; jen ai trouvé souvent jusquà trente et quarante dans chaque trou ; quand ils éclosent on voit le sable couvert dune multitude de petits carets qui sefforcent de gagner la mer ; ils ne sont pas alors beaucoup plus gros que des hannetons.
Quelques personnes prétendent que la chair du caret est un poison ; cependant jen ai mangé plusieurs fois à Madagascar sans quelle mait causé la moindre indisposition.
Un homme venu de la forêt mannonça le lendemain un accident qui maffligea : le chef de Mitinandre avait été tué par un sanglier quon avait trouvé mort auprès de lui ; une autre nouvelle qui mintéressait personnellement, et que jappris le même jour, me décida à laisser la chasse, et je pris de suite la route dAndévourante pour me rendre à Vaubouaze où le roi Radama venait darriver.
CHAPITRE VII.
Andévourante. Portrait des Bétanimènes. Réception faite au voyageur par les jeunes filles. Chants et danses à ce sujet. Visite de Sirira, fille de Siavok, et de sa mère. Le ralouba. Danseurs de profession ; leurs costumes et leurs murs. Rencontre singulière de la maîtresse de Benyowsky. Attachement des Malgaches à leurs coutumes. Histoire dun jeune prêtre indigène. Le serment du sang ; détails de cette cérémonie solennelle. Liste civile du chef. Comment les Malgaches entendent le droit de propriété.
Jentrai à Andévourante le 18 juin. Ce village considérable, bâti sur la rive gauche de la rivière du même nom, contient environ cinq cents cases ; sa population est de dix-huit cents à deux mille âmes, les étrangers compris.
Aussitôt que le chef eut appris notre arrivée, il quitta sa case qui nétait guère plus belle que celle du chef dYvondrou et nous y fît conduire par deux de ses ampitakes ou ministres.
Je remarquai à Andévourante plus de gaîté et dactivité quailleurs. Je trouvai les hommes plus propres, les femmes plus jolies et mieux vêtues ; les cases étaient aussi plus commodes ; celle que nous habitions avait une tapisserie de nattes, luxe auquel je nétais pas accoutumé.
Ils doivent cette aisance au grand nombre et à la fertilité de leurs rizières et aux rapports fréquents quils ont avec les commerçants de la Côte de lEst, qui viennent chez eux acheter du riz pour Maurice et Bourbon.
Les Bétanimènes ne se bornent pas, comme les habitants dYvondrou, à procurer aux étrangers un logement et des vivres, ils daignent aussi soccuper de leurs plaisirs et célèbrent leur venue par des fêtes publiques.
Je respirais la brise fraîche du soir à la porte de ma cabane, dont javais fait ouvrir les panneaux à coulisses, lorsque jentendis des chants de femmes : « Voilà, me dit mon guide, les jeunes filles du pays qui se disposent à te faire une visite ; elles viendront ici tout-à-lheure te fêter et te réjouir. »
En effet, la lune qui nétait voilée par aucun nuage me permit bientôt de distinguer plusieurs files de jeunes filles qui chantaient une ballade malgache.
Elles étaient rangées devant plusieurs longs et gros bambous que deux dentre elles tenaient à la hauteur de lestomac, et sur lequel elles frappaient la mesure avec des baguettes dun bois noir.
Lorsquelles furent arrivées devant ma case, elles formèrent un demi-cercle au milieu duquel deux des plus jolies et des mieux parées se mirent à exécuter des danses où elles ne se faisaient faute de prendre les postures les plus lascives ; elles agitaient une baguette couverte en drap rouge, qui paraît être un objet indispensable à tous les danseurs de Madagascar ; les autres répétaient en chur le refrain suivant : « Hé-hé-hézalahé, zalahé ! sara zanaar anao véavé anao : vazahamni tani-bé mandré inkio ! hé-hé-hé ! » Ô hommes, ô hommes ! le destin vous favorise ainsi que vos femmes ; le blanc de la grande terre (lEurope) couche en ces lieux !
Jappris que les deux danseuses étaient filles du chef du pays, Siavok, qui était venu sasseoir à ma porte sous un large parasol quun esclave tenait ouvert ; elles sapprochaient souvent de moi sans cesser leurs mouvements et leurs gestes qui nétaient point équivoques. Rapelapela mayant averti quil serait impoli de ne pas en choisir une, je cédai à ses conseils répétés plutôt quà leurs provocations.
Aussitôt que jeus désigné laînée des deux surs, qui avait tout au plus seize ans, des cris de joie se firent entendre de toutes parts ; sa mère sempressa de me la conduire et me remercia plusieurs fois de lhonneur que je faisais à sa famille.
Cependant la foule sétablit près de ma case autour dun grand feu que les principaux magistrats avaient fait allumer pour le ralouba, orgie nocturne où les naturels se livrent à des excès de boisson et de débauche. Tandis que les hommes et les vieilles femmes vidaient une dame-jeanne darak, dont je venais de leur faire présent, les jeunes filles chantèrent un épithalame en mon honneur.
On fit venir aussi deux danseurs qui se trouvaient en ce moment dans le village ; ils consentirent à prendre part à la fête et la rendirent encore plus brillante quon ne lavait espéré.
Les danseurs forment une classe distincte à Madagascar, mais ils ny sont pas en grand nombre. Ils ont des murs et des usages particuliers et vivent isolés ; ils ne se marient jamais, et affectent de la haine et du dégoût pour les femmes dont ils portent cependant le costume, et dont ils imitent la voix, les gestes et toutes les habitudes ; ils portent aux oreilles de larges anneaux dor ou dargent, des colliers de corail ou de grains de verre colorés, et des manilles dargent ; ils sépilent avec soin la barbe ; enfin ils contrefont si bien les femmes que souvent on y est trompé. Au reste ces danseurs ont des murs simples et sont très sobres ; ils voyagent continuellement et sont bien accueillis partout où ils passent ; ils reçoivent même quelquefois des présents considérables. Jai vu des grands, quils avaient amusés pendant quelques jours, leur donner à leur départ jusquà deux et trois esclaves. Ce sont les poètes ou les bardes de Madagascar ; ils improvisent des rapsodies à la louange de ceux qui les paient.
Dès que je fus rentré dans ma case avec Sirira, cétait le nom de la jeune fille que javais choisie, sa mère vint my trouver ; elle était accompagnée dune petite vieille qui paraissait habituée à nos usages ; malgré ses cheveux blancs et les rides profondes dont ses joues étaient sillonnées, on remarquait en elle des vestiges de traits réguliers et délicats ; elle saperçut de la surprise que me causaient ses manières et son langage et chercha sans doute à laugmenter en me disant en français : « Habitez-vous Paris, Monsieur ? la cour réside-t-elle toujours à Versailles ? la reine Marie-Antoinette vit-elle encore ? » À ces questions je ne pus maîtriser une exclamation de surprise, car depuis que je voyageais dans la mer des Indes, javais toujours entendu parler créole aux Malgaches et jétais loin de mattendre à trouver parmi des gens à demi-sauvages une femme qui paraissait avoir connu notre civilisation. Il était évident quelle navait pu saisir à Madagascar cet accent, ce maintien de la bonne compagnie française. Comme elle voyait que je désirais delle quelques explications à ce sujet, elle ajouta : « Si je connais vos usages, cest que jai parcouru lEurope avec le baron Benyowsky. Jai partagé sa bonne et sa mauvaise fortune ; il memmena en France et me présenta à la cour de Louis XVI où tout le monde me fit accueil. Jétais à Angoncy, dont mon père était chef, quand le baron Benyowsky, trahi par tous les siens, osa résister seul aux troupes envoyées contre lui de lîle de France. »
Elle me raconta comment cet intrépide Polonais chargea et pointa lui-même, contre les soldats qui couvraient la grève, les canons de son petit fort, quoiquil fût souffrant de la fièvre ; comment frappé par une balle il tomba en embrassant la pièce quil allait décharger. Les larmes qui coulaient sur le visage de la vieille, agitée par ses souvenirs, la forcèrent de suspendre son récit, quelle reprit bientôt en ces termes : « La vie métant devenue insupportable à Angoncy où javais assisté à la fin tragique du blanc que jaimais, je vendis les bufs et les cases de mon père aux Français qui sétaient emparés au nom de leur roi des établissements du baron, et laissant à lun de mes neveux le pouvoir que jétais appelée à exercer, je me retirai chez les Bétanimènes, où je vis heureuse depuis près de quarante ans.
« Si vous alliez à Angoncy, les Malgaches vous conduiraient dans la plaine de Santé ; là reposent les restes du héros. Si vos guides nont pas de poudre, ils vous en demanderont pour charger leurs armes, car ils croiraient insulter à la mémoire de celui que lon appelait Zanaar ou le bon génie, sils visitaient son tombeau sans tirer quelques coups de fusils, marque dun respect profond.
« Mais, dis-je à Rava, cétait le nom de la vieille, si Benyowsky nétait pas mort, vous eussiez préféré sans doute la vie douce et agréable de nos cités à celle que vous menez dans cette île.
« On voit bien, répliqua-t-elle aussitôt, que vous connaissez peu les Malgaches ; ils laisseraient sans regret vos palais dEurope pour leurs cabanes et leurs forêts ; ils préfèrent à votre cuisine parisienne un jambon de sanglier boucané ou un poisson bouilli avec du gingembre et du piment. Si je supportai pendant quelque temps le séjour ennuyeux de vos villes et la tristesse de vos réunions, cest que javais lespoir de revoir un jour mon pays ; si je me soumettais à la gêne des vêtements dans lesquels vos femmes sont emprisonnées, cest que je voulais plaire à celui que jaimais. Non, votre civilisation na pour les Malgaches aucun attrait ; je vais vous en citer un exemple.
« Pendant que le baron Benyowsky commandait à Madagascar, un jeune homme dAngoncy, qui paraissait plus intelligent et plus avide de nouveautés que les autres, fut par ses soins envoyé en France et placé dans un collège. Lorsque ses études furent terminées, on le fit entrer dans un séminaire où il reçut les ordres religieux, après avoir étudié la théologie ; ceux qui sintéressaient à ce jeune Malgache, comptant sur leffet de sa prédication, sempressèrent de lenvoyer en mission dans son pays. Cependant les sermons quil faisait à ses compatriotes, loin de les toucher, excitèrent au contraire leur hilarité, et le prêtre malgache saperçut bientôt quil ne convertirait personne. Mais attaché encore à ses devoirs il disait tous les jours la messe dans une petite chapelle que ses protecteurs lui avaient donné les moyens délever ; les Malgaches que la curiosité y conduisait trouvèrent ridicule quen officiant il bût seul contre lusage du pays, qui veut que lon partage également entre les assistants tout ce qui se boit et se mange. Enfin leurs plaisanteries finirent par prendre un caractère plus sérieux ; les anciens sassemblèrent et décidèrent que la messe leur paraissait une cérémonie où la sorcellerie avait une grande part ; que celui qui la célébrait devait être un ampoumchave ou sorcier malfaisant, et que, pour sen assurer, il était convenable de lui faire prendre le tanghin.
« Instruit du sort qui lattendait, le missionnaire préféra lapostasie au martyre et renonça pour toujours aux fonctions sacerdotales ; il prit le simbou, le seidik et la zagaïe, et ne se fit pas prier pour reprendre également son premier genre de vie. Il est mort il y a quelques années à Angoncy, chez un de mes parents dont il avait épousé les deux filles. »
Je me procurai le lendemain des renseignements sur cette femme dont les malheurs mavaient intéressé ; on massura quelle avait toutes les habitudes des Malgaches ; vêtue comme eux, elle couchait sur une mauvaise natte, mâchait le houchouk et faisait ralouba quand elle pouvait se procurer de larak pour senivrer. Malgré lattachement quelle avait eu pour Benyowsky, elle offrait, me dit-on, quand elle était encore jeune, ses faveurs au premier venu, suivant lusage de son pays.
Un parent du chef dAndévourante, que les Malgaches appelaient Loha-mena (tête rouge), descendit des montagnes où il commandait pour prendre part à la bonne fortune de sa famille et pour voir létranger avec qui elle venait de sallier ; il me fit quelques présents et me témoigna tant daffection que je consentis à contracter avec lui une parenté plus intime, en échangeant le serment du sang.
On appelle serment du sang, à Madagascar, lengagement que prennent deux personnes, de saider réciproquement pendant la durée de leur existence et de se considérer comme sils avaient une origine commune. Cette fraternité qui sétablit entre elles les oblige à se porter mutuellement des secours ; ce serait un grand crime que dy manquer. Dans un cas pressant ou de nécessité, lun des frères de serment a le droit de disposer des biens de lautre, sans que celui-ci puisse sen plaindre. Les frères de sang doivent se traiter avec plus dégards encore que sils étaient de véritables frères, parceque cest le hasard, disent les Malgaches, qui fait les frères, tandis que ceux-là le deviennent par leffet de leur volonté.
Nous nous réunîmes donc chez Siavok où lon procéda à la cérémonie : un vieillard presque septuagénaire, ancien ministre du chef, remplissait les fonctions de prêtre et de magistrat : ses traits fortement prononcés, sa tête chauve, son front couvert de larges rides, ses sourcils blancs, épais et arqués, mavaient mis sous linfluence dune émotion que je ne pouvais maîtriser.
Le vieillard prit dans son seidik un rasoir et deux petits morceaux de sakarivo (gingembre), une balle, une pierre à fusil et du riz en herbe, puis il mêla à tous ces objets quelques grains de poudre quil prit dans sa corne de chasse. Après avoir déposé sur la natte qui couvrait le plancher le rasoir et le gingembre, il mit le reste dans un bassin deau limpide quun esclave venait dapporter ; prenant ensuite deux zagaïes des mains dun officier du chef, il plongea la plus grande dans le bassin, et lappuya au fond du vase. Il se servit de lautre zagaïe pour frapper sur le fer de la première, comme les nègres sur un tam-tam, en prononçant la formule du serment.
Il me demanda plusieurs fois, ainsi quà mon futur parent, si je promettais de remplir tous les engagements que le serment mimposait ; sur notre réponse affirmative, il nous prévint que les plus grands malheurs retomberaient sur nous si nous venions à y manquer. Puis il prononça les conjurations les plus terribles en évoquant Angatch le mauvais génie ; ses yeux sanimèrent par degrés, et prirent une expression tout-à-fait surnaturelle, lorsquil nous dit dune voix sonore et fortement accentuée : « Que le caïman vous dévore la langue ; que vos enfants soient déchirés par les chiens des forêts ; que toutes les sources se tarissent pour vous, et que vos corps abandonnés aux vouroundoules (effraies) soient privés de sépulture, si vous vous parjurez ! »
Cette première partie de la cérémonie terminée, le vieillard fit à chacun de nous avec son rasoir une petite incision au-dessus du creux de lestomac, imbiba les deux morceaux de gingembre du sang qui en coulait et me donna à avaler celui qui contenait le sang de Loha-mena, tandis que celui-ci en faisait autant de lautre morceau. Il nous fit boire aussitôt après, dans une feuille de ravinala, une petite quantité de leau quil avait préparée. En sortant pour nous rendre à un banquet de rigueur servi sur le gazon, nous reçûmes les félicitations de la foule qui nous entourait.
Une femme peut faire le serment du sang avec un homme ; deux femmes peuvent aussi le faire entre elles. Quoique le serment du sang ne soit pas toujours observé religieusement par les Malgaches, il peut être utile à un étranger. Je lai contracté plus de quarante fois dans le cours de mes voyages.
Surpris de voir le chef indiquer tous les jours ceux de ses sujets qui devaient lui fournir des bufs, du riz et des volailles, je demandai sil navait pas de propriétés, puisquil était obligé davoir recours à ses sujets pour ses besoins journaliers.
« Il est plus riche que ceux qui lui donnent, me répondit mon interprète, si lon peut appeler richesses les troupeaux et les esclaves quil possède ; mais la coutume malgache oblige le peuple à nourrir ses chefs.
« Au reste, nos propriétés ne consistent pas en terres, ainsi quà lîle Maurice. Ici chacun a le droit de sétablir où bon lui semble ; les Malgaches sont en général pasteurs ou pêcheurs, mais celui qui veut faire un tavé (cultiver un champ) choisit un endroit à sa convenance, et met le feu aux arbustes et aux plantes qui y croissent ; il attend pour cette opération un jour où la brise souffle avec force : cest en cela que consiste la prise de possession ; mais le terrain brûlé ne lui appartient que jusquaprès la récolte ; si, après cette préparation, un autre venait le cultiver, un troisième lensemencer et un quatrième récolter, la moisson appartiendrait au premier. » Cest ainsi que les juges lont souvent décidé, même lorsquil était prouvé que le premier occupant avait abandonné le champ. Il est rare que les Malgaches cultivent plusieurs années de suite le même terrain.
CHAPITRE VIII.
Fêtes et réjouissances à la naissance dun garçon ; indifférence pour les filles. Cérémonie du mampila ou horoscope. Danses guerrières. Funérailles dun grand personnage. Le bobre africain. Chants improvisés et repas funèbres. Procès criminels. Le tanghin. Épreuves préparatoires. Grand kabar. Détails du sahali. Le traonfadi ou case du repentir. Lampananghin ; sa bonne foi et son incorruptibilité. Prompts effets du poison. Allocution au patient. Influence de cette coutume sur la population. Les délateurs et la confiscation. Pénalité infligée à laccusateur. Histoires de la veuve de Zaka-vola et du prince Ratef. Opinion de Radama sur le tanghin. Distinction du tanghin civil et du tanghin criminel.
Un personnage marquant, dont la famille était puissante, et qui lui-même exerçait auprès de Siavok les fonctions dorateur officiel ou dampitakh, vint me prier dassister à une fête quil donnait pour célébrer la naissance dun garçon que sa femme venait de mettre au jour.
À Madagascar la naissance des filles ne donne lieu à aucune réjouissance ; cet événement paraît produire, au contraire, un sentiment pénible sur tous les membres de la famille. Si cest un garçon lallégresse est générale, après toutefois que les parents ont consulté lombiache, astrologue et médecin, qui décide sil doit vivre ou mourir ; car sil était né dans une heure ou un jour réputés malheureux, il serait, ou précipité dans une rivière, ou exposé dans une forêt, ou enterré vivant ; malheureusement pour les Malgaches leurs astrologues reconnaissent un grand nombre dheures et de jours malheureux.
Je me rendis chez le père du nouveau-né, que je trouvai entouré des plus proches parents ; aidé par un ombiache, il était occupé à planter en terre sa plus belle zagaïe quil ornait de guirlandes de feuillage, à la tête de la natte où lenfant reposait ; lombiache sen approcha avec son mampila, tira lhoroscope, et la famille attentive attendit avec anxiété le résultat de ses calculs cabalistiques.
Cependant on suspendit au cou du nouveau-né des fanfoudis pour le préserver des mouchaves que les agents du mauvais génie devaient répandre autour de sa natte.
Après que lombiache eut annoncé larrêt du destin, qui était favorable, les assistants sempressèrent de féliciter le père de lenfant sur le sort heureux que lombiache venait de lui prédire. Ils furent tous invités au banquet qui se termina par des danses guerrières exécutées par les jeunes gens du pays. Plusieurs champions simulant un combat feignaient de se porter des coups de zagaïe quils paraient avec leurs boucliers ; cette fête se prolongea bien avant dans la nuit.
Le hasard, qui mavait favorisé en me procurant loccasion de prendre part aux fêtes de la naissance dun enfant malgache, me fournit quelques jours après celle dassister aux funérailles dun des principaux habitants dAndévourante.
Lorsque jentrai dans la case du défunt, je trouvai ses proches parents occupés à le laver avec une décoction daromates ; après lavoir couvert de colliers de racines et damulettes qui devaient en éloigner les génies malfaisants, ils le transportèrent dans un lieu solitaire de la maison et il ne fut plus permis à dautres queux den approcher ; quelques vieux esclaves dévoués à la famille étaient chargés dentretenir un grand feu dans le lieu où le corps était déposé.
Le temps était beau ; je me rendis avec les parents et les amis du défunt au pied dun arbre voisin. Là, tout le monde se mit à manger du buf que lon faisait rôtir sur un brasier autour duquel nous étions assis.
Le soir des chants funèbres accompagnés par le bobre africain préludèrent aux danses qui ne finirent quau jour : des churs de jeunes filles répétaient le refrain des chansons improvisées pour lévénement, en frappant en mesure sur des bambous.
Le mort ayant laissé beaucoup de bufs, on en sacrifia encore le lendemain et les jours suivants ; lassemblée ne se sépara que lorsquils furent presque tous consommés ; cest ainsi que lon honore le défunt : quelques parents enlevèrent alors presque furtivement le corps et lui rendirent les derniers devoirs ; car il nest pas permis à dautres den approcher et de laccompagner au lieu de la sépulture.
Les Malgaches ne soccupent pas plus des femmes à leur mort quà linstant de leur naissance.
Un jour que je mentretenais avec Siavok sur les coutumes de son pays, un homme vint et lui dit : « Ampanzaka, mon frère est sorcier ; ses maléfices font mourir les bufs et les hommes : il est nécessaire de lui donner le tanghin. Voici des têtes et des pattes de poulet qui prouvent que mon accusation est fondée. » Le chef le renvoya au juge et lui ordonna de revenir aussitôt quil aurait sa décision.
Je priai Rapelapela de me dire quel rapport pouvaient avoir des poulets mutilés avec la sorcellerie, de quel poids pouvait être leur témoignage contre laccusé, et quelles suites pouvait avoir un procès sans corps de délit, puisque laccusation nétait basée que sur un crime imaginaire. Il sempressa de répondre à mes questions et mexpliqua ainsi celle affaire.
La noix du tanghin (cerbera tanghin) est un poison végétal très subtil, que les Malgaches emploient dans les épreuves quils font subir aux criminels. Ce poison est administré le plus souvent dans les affaires de sorcellerie, qui se terminent, presque toujours, par la mort violente des accusés, Zanaar ne permettant pas que leurs crimes restent impunis.
Laccusateur sadresse dabord au juge qui renvoie à lampananghin. Lorsque celui-ci connaît les motifs de ses soupçons, il commence sur de petits poulets les épreuves préparatoires dont les résultats doivent déterminer, sil y a lieu, la mise en prévention ; il dit à ses poulets, en leur faisant avaler du tanghin délayé dans un peu deau : « Si tu es sorti du ventre dun buf, meurs. » Sil meurt, cest une présomption contre laccusé. Il fait ensuite la contre-épreuve en disant : « Si tu es sorti de la coque dun uf, meurs ; si tu es sorti du ventre dun buf, vis. » Si le poulet meurt, cest encore une prévention.
Cette épreuve est continuée jusquà sept fois, et sil y a trois chances en faveur de laccusation, lampananghin remet les têtes et les pattes des poulets morts à laccusateur, qui, après avoir averti le chef, les présente au juge, pour quil fixe le jour du sahali ou procès. « Si tu veux, ajouta mon interprète, assister aux épreuves qui vont avoir lieu, le chef ne sy opposera pas, mais tu seras forcé de passer avec nous dans la forêt la nuit qui les précédera. »
Jacceptai cette proposition, et laccusateur étant venu annoncer au chef que le sahali était fixé au lendemain, je partis le soir même avec tous ceux qui y étaient intéressés.
Nous marchâmes longtemps dans la forêt avant datteindre un ruisseau dont la situation permettait de voir les premiers rayons du soleil. Il était nuit lorsque nous y arrivâmes, mais on voyait à la lueur blafarde de la lune, en partie voilée par un nuage, une cabane en feuillage qui paraissait avoir été élevée récemment ; car les feuilles qui la composaient avaient encore toute leur fraîcheur ; cétait ce que les Malgaches nomment traonfadi, ou case du repentir, dont lapproche est défendue.
La veille du jour fixé pour lépreuve, le juge, les témoins, laccusé, lampananghin et enfin tous ceux qui doivent assister au procès, sont contraints de passer la nuit dans cette hutte mystérieuse ; nous y entrâmes : aussitôt quon y eut fait du feu, le juge en fit garder lentrée par deux hommes armés de zagaïes à qui il ordonna de rester là jusquau jour.
Le lendemain nous nous rendîmes au ruisseau voisin et nous nous y baignâmes. Laccusé entièrement nu fut ensuite placé sur le gazon, et les assistants se réunirent en kabar et formèrent le cercle autour de lui. Alors le juge commença le sahali, en faisant connaître à lassemblée le but et les motifs de laccusation ; lorsquil eut fini son discours lampananghin sapprocha de laccusé dont la contenance était calme, et délayant avec de leau du ruisseau, dans une cuiller en feuille de ravinala, une petite quantité de lamande de tanghin quil avait râpée avec un caillou, il la lui fit avaler ; deux ou trois minutes après il lui présenta une tasse deau de riz.
Cependant le poison, qui ne tarda pas à agir sur la malheureuse victime, provoqua dabord une sueur froide, puis une violente irritation nerveuse et par moments des syncopes ; pendant que le patient luttait contre lactivité du venin, lampananghin lui dit : « Mon frère, si le tanghin te cause de si grandes souffrances, cest que tu as sans doute à te reprocher dautres crimes que celui qui ta conduit ici. Dans ta jeunesse tu as peut-être entretenu un commerce incestueux avec ta mère, avec ta sur, ou avec quelque parente plus âgée que toi ; confesse-moi les fautes ; avoue-moi tous tes crimes, et tes douleurs cesseront aussitôt. »
Linfortuné, dont les entrailles étaient déchirées, déclara dans son délire tout ce que lampananghin voulut, et on ne manqua pas de dire après sa mort, qui ne tarda pas à le délivrer de ses souffrances : « Cet homme était bien criminel, il vient de faire laveu de ses forfaits ! » Son confesseur et ses bourreaux minspirèrent tant dhorreur que je me hâtai de méloigner pour prendre avec mon guide le chemin dAndévourante où nous arrivâmes avant midi.
Cette législation absurde et barbare, qui a pesé pendant des siècles sur les peuples de lEurope, est un des principaux obstacles à laccroissement de la population à Madagascar : il ne se passe pas de jour où elle ne cause la fin de quelque chef de famille. Lempire du préjugé est si puissant sur ces peuples quil étouffe en eux les premiers sentiments de la nature ; car il nest pas rare de voir des enfants accuser de sorcellerie leurs parents, et solliciter avec opiniâtreté les épreuves du fer rouge et du poison qui doivent les en séparer pour toujours.
Les lois malgaches favorisent les délateurs ; les riches surtout ont à redouter les accusations et sont à la merci de tous ceux qui convoitent leur argent ou leurs troupeaux ; car si dans ces procès les accusés succombent, ce qui arrive presque toujours, leurs biens sont partagés en trois lots : lun est confisqué au profit du chef, lautre est destiné à lentretien de ses officiers, et le troisième appartient au dénonciateur. Mais sil arrive que le hasard ou une constitution robuste procurent au patient des évacuations promptes et abondantes, et que son innocence soit proclamée, laccusateur en est quitte pour quatorze piastres de dommages-intérêts.
La croyance des Malgaches dans lefficacité de ce moyen pour découvrir le crime ou linnocence est universelle. Plusieurs exemples démontrent que laccusé lui-même apporte une confiance illimitée dans ses résultats. Je nen citerai que deux.
Depuis bien des années, la femme de Zaka-vola, dernier chef malate de Foulpointe, vivait à Yvondrou où elle sétait réfugiée après la mort de son mari quon laccusait davoir fait assassiner. Elle demeurait chez ses fils, dont lun, Fouhiloh, était chef du village. Lautre étant tombé malade pendant que jétais à Tamatave, en 1823, à mon retour de la campagne des Vourimes, Jean René, qui avait été aidé par lui dans son usurpation, me pria daller le voir et de lui porter quelques médicaments. Je le trouvai dans un état dhydropisie si avancé que je neus aucun espoir de le guérir ; il mourut en effet le surlendemain. Deux ou trois jours après, le chef Fouhiloh tomba malade, ce qui donna un nouvel aliment aux bruits qui sétaient déjà répandus dans la contrée sur sa mère que lon croyait la cause de ces malheurs. Ses parents firent part à Jean René de lintention où ils étaient de donner le tanghin à la veuve de Zaka-vola. René mengagea de partir immédiatement pour Yvondrou afin de les détourner de leur projet. Je guéris Fouhiloh de son indisposition qui provenait plutôt de la peur que dautre chose ; il me promit alors de parler en faveur de sa mère dans le kabar et de sopposer à ce quon lui administrât le tanghin. Il obtint quelle serait seulement chassée du pays, car des soupçons planaient encore sur elle. Lorsque la vieille eut eu connaissance de cette détermination, elle se mit fort en colère, disant quelle voulait se laver de lodieuse accusation dampoumchave, et que personne ne voudrait lui accorder lhospitalité tant quelle serait considérée comme sorcière ; elle fit tant que le tanghin fut ordonné. Elle le prit et mourut.
Le jeune Ratef, fils dun chef puissant dAncaye, province conquise par les Hovas, était lami, le confident, le compagnon de plaisir de Radama, roi dÉmirne, auquel il communiqua la gale, maladie très commune chez les Hovas. Les Ombiaches, qui craignaient linfluence du favori sur lesprit du prince, laccusèrent davoir jeté un sort sur lui et conseillèrent de lui faire prendre le tanghin. Radama sy opposa, mais Ratef, qui sétait aperçu que sa faveur avait baissé, résolut de se soumettre aux épreuves judiciaires. Il eut le bonheur de vomir le poison et de regagner les bonnes grâces de son souverain.
Ce nétait point par fanatisme que Radama laissait subsister dans ses états la coutume barbare que je viens de décrire. Souvent Jean René, Hastie et moi nous lavons engagé à labolir en faisant valoir le renom qui lui en reviendrait en Europe, renom dont il était si envieux. « Trouvez-moi, répondait-il, un impôt qui comme celui-ci remplisse mes coffres, et fournisse aux besoins de mon armée. »
Lorsquil y a doute dans les procès civils, le juge éclaire sa conscience en faisant administrer le tanghin à un chien quil ordonne de saisir sur la voie publique. Les mêmes cérémonies que celles des procès criminels, à la confession près, sobservent dans cette circonstance. Le propriétaire du chien na droit quà un dédommagement équivalant à une piastre ; aussi avais-je soin de ne laisser jamais mes chiens errer le soir.
Plusieurs voyageurs nont pas connu cette distinction dans lépreuve du tanghin ; ils ont cru que les usages barbares des sahali criminels avaient été modifiés depuis lagrandissement de la puissance de Radama, et que le tanghin ne se donnait plus quà des chiens ou à des poulets. En ce qui touche ces derniers animaux, je viens dexpliquer comment ils ne servent quaux épreuves préparatoires pour décider la mise en prévention.
CHAPITRE IX.
Adieux et cadeaux faits à Siavok et à Sirira. Village de Maramandia. Takon ou brancard de voyage. Arrivée à Vobouaze. Description de la ville. Conjurations dun enchanteur contre lorage. Le résident anglais, M. Hastie. Présentation à Radama. Portrait du jeune conquérant. Ses aides-de-camp et ses pages. Luxe de la cour malgache. Dîner à la table royale. Ordre et détails de service. Musique militaire entendue pour la première fois par Radama. Effets inattendus de la musique sur son organisation nerveuse. Grande fête religieuse du Bain. Croyances des Hovas.
Quoique ces fêtes et ces cérémonies barbares meussent vivement intéressé, javais prolongé mon séjour à Andevorande plus longtemps que je ne lavais projeté, et je quittai ce village le 27 juin.
En prenant congé du chef qui avait exercé lhospitalité envers moi dune manière si généreuse, je lui donnai plusieurs brasses de toile et un bonnet de laine rouge quil conserva pour se parer les jours de fête. Je fis cadeau à Sirira de quelques aunes de toile blanche et de belle indienne de diverses couleurs. Lun et lautre admirèrent longtemps ces présents. À linstant où nous nous rendions aux pirogues, mon commandeur mayant rappelé que javais oublié de laisser un souvenir à la mère, je lui envoyai une pièce de mouchoirs à carreaux rouges quelle trouva magnifique.
Fatigué de mon voyage et ne me sentant pas capable de le continuer à pied à travers le pays montagneux où nous allions entrer, il me fallut, après avoir traversé la rivière dAndévourante, marrêter au village de Maramandia pour construire un brancard.
Maramandia est situé sur la rive droite de la rivière en face du village dAndevorande. Ce village est le plus considérable que lon rencontre sur la route de Vobouaze ; il est entouré de marais couverts de riz.
Les brancards dont les Malgaches se servent pour faire voyager leurs femmes, ou pour se faire transporter eux-mêmes quand ils sont malades, sont très commodes, quoiquils soient fort simples ; ils sont composés de deux longs morceaux de bois qui servent de supports à un siège en bambou dont on peut abaisser le dossier si lon veut se tenir couché ; ces brancards nommés takon sont portés sur les épaules de quatre hommes, qui peuvent suivre avec leur fardeau un cheval au grand trot, pourvu quils se relèvent souvent. On prend toujours douze ou seize porteurs pour un voyage un peu long.
Aussitôt que mes maremites meurent installé sur leur takon, ils prirent la route de Vobouaze, situé à une demi-journée de marche dans le nord-ouest dAndevorande.
Les sentiers qui y conduisent sont tellement boueux et glissants quil faut toute ladresse et lhabitude des maremites pour ne pas sy rompre le cou ; ils rencontrèrent plus dobstacles encore pour gagner la crête de la montagne où est situé le village ; nous y arrivâmes cependant vers deux heures.
Vobouaze a plus lair dune ville que Tamatave ; elle est entourée de palissades et ses portes sont en bois ; les maisons sont nombreuses et assez bien alignées, mais il serait difficile de trouver des rues plus étroites et plus malpropres. Elles étaient encombrées de soldats hovas, quoique la plus grande partie de larmée de Radama, qui y avait établi son quartier-général, fût campée hors de la ville.
Lorsque je pénétrai dans le village, la foule suivait un courrier chargé dannoncer au roi larrivée prochaine de lagent politique du gouvernement anglais, Hastie, qui attendait au pied de la montagne.
Le chef de Vobouaze nexerçait plus aucun pouvoir dans la ville occupée par larmée hova, et mon commandeur fut obligé de sadresser au prince Ramanétak, aide-de-camp du roi, pour obtenir un logement quil sempressa de me faire donner.
Un orage ayant éclaté quelques instants après notre arrivée, mon hôte fit venir un enchanteur pour conjurer le mauvais temps. Les sorciers de cette espèce ne sont pas rares à Madagascar ; ils prétendent commander à la foudre et aux éléments. Quand lorage gronde avec force, les riches les appellent chez eux et les paient toujours généreusement.
Lenchanteur traça un cercle autour de notre case en prononçant à voix basse des paroles magiques, puis il souffla sur les assistants de la poussière préparée avec certaines racines. Lorsque la cérémonie fut achevée, il ne manqua pas de dire que, sil navait point été appelé, la maison eût été infailliblement renversée et tous ses habitants réduits en cendres.
Je reçus le lendemain la visite dHastie que javais connu à Tamatave et jacceptai loffre quil me fît de me présenter à linstant même à Radama.
Ce prince, qui venait de terminer sa toilette du matin, lorsque nous entrâmes chez lui, avait le costume européen et la mise recherchée de nos fashionables. Petit et fluet, il était cependant bien fait et dun extérieur agréable ; ses traits étaient ceux dun Malais quoique plus délicats ; sa peau était aussi plus blanche et plus fine, ses yeux mobiles et pleins de feu. Ses tics nerveux et sa parole vive et saccadée annonçaient tout dabord la pétulance de son caractère. Ses cheveux noirs et luisants étaient coupés très ras, sa barbe épilée avec soin lui donnait lair dun adolescent : personne naurait cru quil avait vingt-six ans.
Je lui présentai, en labordant, une piastre dEspagne quil prit en souriant, puis je lui remis la lettre du prince de Tamatave.
Il se hâta de louvrir et de la parcourir : « Moi bien content voir blanc, me dit-il dans le jargon créole ; vini ici tout-à-lhère avec missié Hastie pour dîner. » Jallais répondre à son compliment et le remercier de son invitation, mais il ne men laissa pas le temps. Nous tournant brusquement le dos, il passa dans une pièce voisine où des députés dAnboudéhar attendaient une audience.
À six heures nous nous rendîmes chez le roi, et à mon grand étonnement je vis cinq couverts mis sur une table ronde ; la nappe et les serviettes étaient blanches et fines, la vaisselle, les couverts et les gobelets en vermeil ; plusieurs carafes de cristal taillé, pleines de Madère et de vin du Cap, brillaient à la clarté des nombreuses bougies que supportaient des flambeaux dargent.
Le prince Ramananoule, aide-de-camp du roi, était chargé de nous recevoir et portait un brillant uniforme anglais.
Aussitôt que lon eut servi, Radama parut suivi de Ramanétak et de plusieurs jeunes Antaymours, sorte de pages dont les fonctions consistaient à servir le roi à table. Leur costume plutôt indien que malgache était riche et avantageux ; ils avaient une tunique blanche plissée dont la ceinture en satin cramoisi était ornée de petites plaques dor ; ils portaient en sautoir une écharpe de soie bleue à franges qui soutenait un poignard recourbé comme ceux des Arabes.
Lhabit de Radama était de drap rouge, chamarré dor ; il portait des épaulettes dofficier-général ; une étoile émaillée et entourée de pierres fines, sur laquelle était représenté un vouroun-mahère tenant un rameau dans son bec, brillait sur sa poitrine ; il avait adopté depuis peu cette décoration dont il voulait faire un ordre militaire, le vouroun-mahère ayant toujours été lemblème de prédilection de sa race, et lobjet dun respect superstitieux chez les Hovas.
Lordre des services était le même quen Europe, le maintien des convives aussi décent ; les mets étaient nombreux, succulents et délicats ; ils consistaient en grande partie en gibier rôti ou apprêté avec des sauces fortement épicées. Je goûtai des deux plats que le prince préférait à tous les autres ; cétait un veau à létat de ftus et des tendraks rôtis. Le potage, que je trouvai délicieux, était composé de bouillon de pintades et de riz.
Radama, qui vidait à chaque instant son verre, me pria cependant de ménager mes deux voisins, dont le madère, disait-il, pourrait échauffer les jeunes têtes. Je fis la sottise de lui répondre que je le croyais encore plus jeune queux. Mon observation parut lui déplaire, et lagent anglais, qui connaissait son côté faible, mayant fait un signe, jajoutai que lempereur Napoléon, dont il devait avoir entendu parler, était petit et navait pas plus de barbe que lui. Cette comparaison dont il parut flatté, dissipa à linstant même le nuage que javais remarqué sur son front, et il proposa un toast à la mémoire du conquérant français.
Nous étions au dessert, et jattendais avec impatience leffet que la musique allait produire sur les organes du roi, qui me paraissait doué dune grande sensibilité. Lagent anglais avait ramené de Maurice douze jeunes Hovas destinés à composer la musique militaire de Radama ; il navait pas voulu lui donner connaissance de leur arrivée, afin de mieux observer limpression quil recevrait des sons de divers instruments dont il ne pouvait avoir aucune idée, et que la surprise devait augmenter encore.
Ces jeunes gens, qui avaient étudié pendant trois ans à Maurice, étaient en état de jouer quelques morceaux faciles. Ils attendaient dans une case voisine des ordres pour commencer.
Dès que Radama les entendit, toutes ses facultés semblèrent suspendues et il resta durant quelques minutes dans un état complet dimmobilité ; son il était fixe, son cou tendu et sa tête penchée du côté où les musiciens étaient cachés. Tout-à-coup, comme sil eût été sous linfluence dun rêve, il posa les mains sur son front et les retira presque aussitôt, en poussant un cri qui nous effraya.
À cette première explosion de plaisir succédèrent des trépignements, des éclats de rire et des pleurs qui annonçaient à Hastie un succès complet ; le roi embrassait tout le monde et ne reconnaissait plus personne.
Lagitation des autres convives nétait pas à beaucoup près la même ; ils paraissaient écouter avec plaisir des sons quils entendaient pour la première fois, mais ils étaient assez maîtres deux-mêmes pour ne pas manifester leur joie par des éclats bruyants, tandis que Radama, dominé entièrement par ses sensations, ne voyait plus même les objets qui lentouraient.
Lorsque nous prîmes congé de lui, non-seulement il ne répondit pas à notre salut, mais il ne parut pas même sapercevoir de notre départ ; il ne se coucha pas cette nuit et fit jouer ses musiciens jusquau matin.
Hastie mavertit que le jour suivant était consacré au jeûne, et que la coutume des Hovas exigeait quils le passassent dans la solitude ; en effet, je remarquai que les rues et les marchés furent déserts jusquau soir.
Quoique les Hovas naient ni temples, ni culte, ils célèbrent à la fin de la lune davril une fête qui paraît avoir de la ressemblance avec le béiram des Mahométans ; ils rappellent la fête du Bain ; on tue, durant cette fête, dans le royaume dÉmirne et ses dépendances, plus de mille bufs ; le jeûne qui la précède nest pas dune lune comme le ramadhan, mais seulement dun jour.
Lagent anglais vint me prendre quelques instants avant le coucher du soleil, et nous nous rendîmes ensemble chez le roi. On nous fit entrer dans une salle spacieuse, disposée pour la circonstance. Radama, ses femmes, ses officiers, et un grand nombre dhommes et de femmes hovas étaient tous vêtus dun simbou de toile de coton blanc, drapé à la manière des anciens. Ils se tenaient debout dans le recueillement le plus profond.
Le roi, qui paraissait remplir les fonctions de pontife, sapprocha dune petite table couverte dune nappe très blanche, sur laquelle il y avait une aiguière dargent pleine deau ; il y mit deux pièces de monnaie, lune dor, lautre dargent, et après avoir prononcé à voix basse quelques paroles en malgache, il y trempa un rameau et aspergea tous les assistants ; ceux-ci poussèrent alors des cris de joie et allèrent se plonger jusquau cou dans la rivière la plus prochaine.
Si lon demande aux Hovas de qui ils tiennent cet usage, et depuis quelle époque ils lobservent, tout ce quils répondent, cest quil leur a été transmis par leurs ancêtres qui lont apporté de leur pays.
Les réjouissances et les sacrifices qui suivirent cette cérémonie durèrent pendant trois jours ; le quatrième on mannonça la visite de Hastie et du prince Ramanétak ; celui-ci venait de la part du roi pour minviter à un grand kabar, auquel assisteraient toutes les peuplades soumises à Émirne ; le lieu du rendez-vous était une plaine peu éloignée de la ville. Cétait une sorte de Champ-de-Mai où Radama devait paraître au milieu de son armée, entouré de toute la pompe dun triomphateur, pour dicter des lois aux nations vaincues et apaiser leurs querelles particulières.
Je saisis avec joie cette nouvelle occasion de satisfaire ma curiosité ; mais une chose membarrassait : je navais pas de cheval et je savais que tous les officiers de létat-major étaient bien montés ; jen parlai à Ramanétak, qui répondit à mon interprète que sa majesté y avait songé, et que lun de ses chevaux était à ma disposition.
La fête qui venait davoir lieu me servit de prétexte pour demander à Ramanétak quelle était la croyance religieuse des Hovas :
« Nous admettons, ainsi que tous les Malgaches, me dit-il, deux principes qui gouvernent le monde, et qui ont chacun une portion égale dautorité : lun bon que nous appelions Zanaar, lautre méchant que nous nommons Angatche ; nous regardons comme inutile de prier le premier, puisquil ne peut avoir la volonté de nous faire du mal ; mais nous invoquons le second, et pour empêcher quil ne nous nuise, nous lui sacrifions même quelquefois, à la pleine lune, des taureaux noirs qui ont une marque blanche au front.
» Nous avons des ombiaches et des ampaanzares de plusieurs classes, qui sont prêtres, médecins et devins tout à la fois ; ils savent conjurer les génies malfaisants et nous préserver de leurs maléfices ; ils nous préviennent des pièges quils doivent nous tendre et nous donnent les moyens de les éviter. »
CHAPITRE X.
Grande revue de larmée hova. Disposition des tribus vaincues. Linfanterie ; son uniforme. Les artilleurs. La garde royale des sirondas. Les chanteuses de larmée célèbrent les hauts-faits de Dianampouine et de Radama. Les ombiaches et le fanfoudi-bé. Létendard de Tippou-Saëb. Radama et son cortège. Maladresse des artilleurs. Le roi reçoit le serment de fidélité des nations vaincues. Promulgation du code militaire des Hovas. Les soldats commerçants. Pénalité des déserteurs. Exigences de létiquette hiérarchique. Privilèges des soldats.
À une heure, ainsi quil était convenu, je me rendis chez Hastie et je trouvai à sa porte deux chevaux qui nous attendaient ; il me conseilla de me méfier de celui qui métait destiné : cétait un très beau cheval arabe qui, ayant été monté trop jeune par des nègres qui navaient pas su le manier, était devenu tellement vicieux que les Hovas nosaient plus sen servir. Radama, ayant appris que jétais un ancien officier de larmée impériale, me lavait donné exprès pour juger de mon savoir-faire, et il se disposait à rire à mes dépens, si je ne parvenais pas à le dompter.
Aussitôt que la musique eut annoncé que le roi se mettait en marche, lagent anglais monta à cheval. Je cherchais à en faire autant, mais jeus beaucoup de peine à approcher de mon coursier qui dès quon le touchait se cabrait et ruait sans cesse.
Je parvins cependant à mélancer sur lui, et il partit alors avec une rapidité qui me fit presque perdre haleine. Il était difficile de sen rendre maître, car il avait la bouche gâtée ; je le laissai donc galoper pendant quelques minutes dans des terres labourées, et lorsque je maperçus quil commençait à se fatiguer, je tournai bride et je rejoignis le cortège royal, qui nétait pas encore rendu au lieu de la réunion. Radama, mayant aperçu, parut étonné de me voir encore en selle et me fit signe dapprocher. Pendant quil me félicitait sur mon adresse, mon maudit cheval se cabra de nouveau et je fus contraint de méloigner.
Au milieu dune plaine assez grande pour faire manuvrer une armée de quatre cent mille hommes, on voyait les diverses tribus que les Hovas avaient subjuguées : elles étaient campées avec ordre ; on avait eu soin de laisser entre elles un intervalle assez large pour le passage des troupes dÉmirne. Des hommes qui représentaient des peuplades étaient assis à quelques pas en avant des groupes, et attendaient en silence les ordres du conquérant. Sur leurs visages que les uns cachaient dans les plis de leurs simbous et que les autres penchaient vers la terre, étaient peints la honte, la consternation et le désespoir.
Cependant larmée savançait au pas ordinaire. Des tambours qui battaient fort mal ouvraient la marche et se faisaient entendre lorsque les musiciens étaient fatigués. Plusieurs régiments dinfanterie les suivaient ; ils étaient composés de jeunes gens des premières familles dÉmirne, ou des peuplades réunies à cet empire par Dianampouine et par Radama. Tous ces soldats avaient luniforme anglais moins les souliers, et des fusils sans baïonnettes.
Un homme revêtu de luniforme de colonel parcourait les rangs et se donnait une peine infinie pour les aligner : cétait Brady, vieux soldat anglais, mulâtre de la Jamaïque ; attaché au service de Radama comme instructeur de son armée, il était parvenu à lorganiser et à la discipliner. Brady était précieux pour Radama qui leût difficilement remplacé. Du reste il ne savait pas même lire, et nétait propre quà former des machines à fusil.
Plusieurs compagnies de canonniers marchaient à la suite des fantassins. On avait choisi pour cette arme les plus beaux hommes du pays ; le costume quils portaient leur donnait un air martial et laissait paraître leurs formes athlétiques. Cétait une tunique blanche dont le bas était garni dune bordure bleue à dents de loup ; un simbou de toile bleue quils portaient en sautoir leur couvrait une épaule et soutenait leur cimeterre ; ils conduisaient le matériel de larmée, composé de quatorze bouches à feu, tant obusiers que pièces de campagne en bronze de deux, de quatre et de huit.
Le corps des sirondas venait après lartillerie ; il était composé en grande partie desclaves africains, espèce de janissaires qui entouraient le roi et lui servaient de gardes-du-corps : les sirondas obéissent à des chefs particuliers quils choisissent eux-mêmes ; leur général était alors un Cafre nommé Reinseroube, en qui Radama avait une confiance aveugle. Cet officier portait un uniforme très riche ; mais à cause de son origine il ne lui était pas permis de sasseoir à la table du roi, qui le faisait servir sur une natte à côté de lui, quand il linvitait à dîner.
Les sirondas étaient au moins au nombre de cinq mille ; leurs costumes étaient plus beaux et mieux entretenus que ceux des autres fantassins. Radama chargeait toujours leurs officiers de lexécution des grands personnages dont il voulait se défaire.
Les chanteuses drapées dans leurs longs manteaux blancs suivaient le corps des sirondas. Leurs hymnes, qui rappelaient les traits de courage des guerriers morts en combattant, inspiraient à ceux qui leur avaient survécu le désir de les imiter.
Au bruit des clochettes attachées à leurs ceintures, on reconnaissait derrière les danseuses les ombiaches et les ampaanzares qui se tenaient auprès du roi ; ils paraissaient tous très âgés ; une sorte doriflamme quils portaient devait, disaient-ils, rendre la nation hova toujours victorieuse. Les soldats hovas ont la plus grande vénération pour cet objet quils appellent fanfoudi-bé.
Un ancien officier de Dianampouine, choisi parmi ceux qui jouissaient dune grande réputation de bravoure, accompagnait les devins et portait un drapeau déchiré, où étaient représentés des croissants et dautres figures dont je ne pus pas deviner le sens.
Cet étendard, dont les broderies étaient riches, avait appartenu à Tippou-Saëb, sultan du Maïssoure. Les Anglais, qui lavaient pris par mégarde dans les magasins de lîle Maurice pour en faire présent au roi dÉmirne, voulurent le retirer aussitôt que leur agent leut reconnu ; mais Radama qui le trouvait beau ne voulut pas le rendre.
Au milieu dun état-major brillant et nombreux et sous un dais de satin cramoisi orné de franges et de glands en or et porté par quatre esclaves richement vêtus, on voyait Radama qui montait un cheval arabe, pur sang, richement caparaçonné ; sa housse de velours enrichie dor et de pierreries faisait encore ressortir ses formes gracieuses ; sa bride, sa martingale et jusquà sa crinière étaient parsemées de pierreries étincelantes.
Le roi avait le même costume que la veille ; mais sa tête était ornée dun diadème entouré de rubis ; il portait à la ceinture un sabre et des pistolets damasquinés. Deux pages, semblables à ceux qui nous avaient servi la veille, marchaient à côté du roi et agitaient des éventails en plumes daigrettes pour éloigner les mouches.
Brady ayant fait ranger les troupes en bataille, la fête commença par une salve de cent coups de canons, que les artilleurs eurent beaucoup de peine à exécuter ; deux hommes périrent victimes de leur inexpérience et cinq ou six autres furent blessés grièvement. Les généraux et les officiers, nayant pas lhabitude du cheval, furent obligés de mettre pied à terre ; le roi seul ne descendit pas : arrêté au milieu de la plaine, ses yeux qui exprimaient à la fois lorgueil et la joie parcouraient tour-à-tour les groupes des peuples quil venait dasservir.
Bientôt il donna lordre de faire approcher leurs chefs qui, courbés dans la poussière, lui prêtèrent le serment de fidélité et reçurent des chaînes en argent, denviron deux pieds de longueur, et dont les anneaux étaient aussi gros que ceux des fers des galériens. Radama les avait apportées de Tananarivo pour augmenter léclat de son triomphe. Après cette cérémonie, Radama fit un long discours. Je ne comprenais pas encore la langue malgache, mais ses ennemis, eux-mêmes, disaient que sa parole était éloquente. Le roi lut ensuite un code militaire rédigé de concert avec lagent britannique. Daprès les dispositions de ce code et les ordonnances qui le précédaient, le roi exerçait seul le pouvoir. Depuis sa mort, les ordonnances de la reine sont contresignées par sept officiers du palais élus par larmée.
Larmée hova a reçu depuis 1820 une organisation régulière ; elle est recrutée comme en France, mais les soldats sont forcés de sentretenir eux-mêmes : ils portent luniforme anglais et sont assujétis à la discipline la plus sévère. À la moindre faute un soldat est condamné aux fers pour plusieurs années ; sil meurt avant davoir subi sa peine, ses parents ne peuvent disposer de son corps, ni même lui ôter ses fers, avant que le temps de sa punition soit écoulé.
Les militaires de tous les grades, quand ils ne sont pas de service, ont une semaine par mois pour aller par détachements commercer dans les campagnes. Le roi donne à chacun pour le trafic, selon son grade, un capital de quelques piastres ; cest lintérêt de cet argent qui les fait vivre ; mais si par malheur il leur arrive de toucher à cette masse, qui est la propriété du roi, et quil demande quand il lui plaît, ils sont sévèrement punis. Tout officier ou soldat, qui quitte dans les combats le poste qui lui a été assigné, est condamné à périr sur un bûcher. Les fautes dinsubordination sont punies avec tant de rigueur par les lois dÉmirne, que cest toujours en tremblant quun soldat aborde son chef. Si un officier a des ordres à prendre dun supérieur, il se prosterne la face presque contre terre, et reste dans cette posture humiliante jusquà ce quil plaise au chef de lui répondre et de le congédier. Lorsquun général reçoit une lettre de la reine, il se met à genoux et sincline trois fois avant de la prendre et de la décacheter.
Si la plupart des lois militaires sont sévères chez les Hovas, quelques-unes accordent aux soldats certains privilèges dont les bourgeois sont privés ; elles leur donnent, par exemple, des garanties contre linfidélité de leurs femmes ; car ladultère, qui nest à Émirne ni un crime, ni un délit, ni même une action déshonnête, est puni de mort quand le mari est à la guerre ou absent pour le service du roi.
Larmée défila devant Radama, après avoir exécuté plusieurs feux de peloton avec vivacité et précision, et le cortège se dirigea vers la ville, où lon sacrifia un grand nombre de bufs qui furent distribués aux soldats.
CHAPITRE XI.
Murs privées des Hovas. La polygamie leur est permise. La prostitution en honneur dans les premières familles du pays. Formalités du mariage et de la répudiation. Prééminence de la vadi-bé ou première femme. Trésors enterrés avec les morts ; conséquences de cette coutume. Lois criminelles. Trait de justice et de générosité de Radama envers des marchands étrangers.
Le lendemain du kabar militaire je fus rendre au prince Ramanétak la visite que je lui devais ; il avait répondu dune manière si polie aux questions que je lui avais faites sur la religion de son pays, que je menhardis à linterroger sur les murs hovas. Cest à lobligeance de ce chef intelligent et éclairé que je dois la plupart des renseignements consignés dans ma relation.
« La polygamie, me dit-il, nous est permise ainsi quaux autres Malgaches, et nos usages ne diffèrent pas beaucoup de ceux des Betsimsaracs, que tu connais. À Émirne, les riches et les gens aisés usent largement du droit quils ont de prendre plusieurs femmes, et sont ce que nous appelons mampirafes. Il nest pas rare de trouver, parmi les grands, des hommes qui ont huit ou dix femmes ; le prince Rafaralah, mon parent, en a quatorze, et moi, qui suis très jeune encore, jen ai déjà six. Chez nous, ajouta-t-il, la prostitution est encouragée, honorée même, et les filles des premières familles du pays font ce que nous appelons karamou (marché) de leurs charmes, et nont aucune honte de vendre leurs faveurs au premier venu ; nous nous gênons même encore moins que les autres Malgaches ; car il nest pas rare de voir au marché de Tananarivo des individus de sexes différents enveloppés dun seul simbou, qui, ne les couvrant quimparfaitement, laisse plus que deviner leur occupation.
« Cependant le mariage a chez nous des formes plus régulières que dans les autres parties de lîle : ceux qui veulent prendre une femme se présentent chez un magistrat spécial qui reçoit leur déclaration et perçoit un droit dune piastre ; quand ils veulent la répudier, ils préviennent cet officier et paient le même impôt. Quoique la coutume nous permette de répudier notre première femme que nous appelons vadi-bé, ou épouse principale, il est rare que nous le fassions, surtout lorsque nous sommes dans une position aisée ; mais nous avons le droit dexiger delle quelle nous donne successivement pour femmes ses surs cadettes et ses parentes plus jeunes quelle. Nous faisons bâtir pour chacune de nos femmes une case où elle vit séparément. »
Ramanétak, voyant que je lécoutais avec intérêt, et que je tenais note de tout ce quil disait, prit une pincée de houchouk et continua ainsi : « Un de nos usages que tu trouveras sans doute bizarre, cest denterrer avec les morts une grande partie de leur argent ; il y a eu dernièrement à Tananarivo un kabar pour savoir sil était convenable de déposer dans la tombe dun homme riche, qui venait de mourir, une balle de toile quil laissait à ses héritiers ; on consulta les anciens, qui décidèrent, après une délibération de plusieurs jours, quil suffisait denterrer les piastres pour obéir à la coutume. Ces dépôts sont toujours respectés, et celui qui tenterait de les violer serait considéré comme ampoumchave, et condamné à subir lépreuve du tanghin.
« Cet usage est la cause de la rareté du numéraire à Émirne ; il arrivait même fréquemment que si un chef de famille mourait sans laisser dargent, ses enfants sadressaient aux usuriers et engageaient leurs personnes, afin de se procurer quelques piastres quils enterraient avec leur parent. Le roi, qui voyait les inconvénients de cette coutume, vient de faire une loi qui défend aux créanciers dexiger de leurs débiteurs les sommes qui auraient été empruntées pour être déposées dans le cercueil de leurs parents. »
Je remerciai Ramanétak des détails curieux dans lesquels il était entré, et comme il se disposait à sortir pour aller chez le roi, je le priai auparavant de me dire comment on punissait à Émirne les voleurs et les assassins.
« Un homme convaincu de vol, me dit le prince, est condamné à payer quinze bufs à la partie lésée ; sil ne les a pas, elle est autorisée à garder le voleur ou à le vendre comme esclave.
« Nos lois punissent de mort les assassins, si la victime a été frappée avec un instrument tranchant, et elles infligent le même châtiment aux auteurs de toute blessure, fût-elle légère, si elle a été faite avec le fer. »
Ramanétak me fit observer que cette loi était indispensable dans un pays où le peuple toujours armé est disposé par inclination ou par habitude à faire couler le sang. Le crime est considéré comme beaucoup moins grave, si les coups ont été portés, soit avec un bâton, soit avec toute autre arme. Dans ce dernier cas, le coupable a la faculté de sarranger avec la famille du défunt en lui payant des dommages-intérêts.
En rentrant chez moi, je trouvai Hastie qui mattendait ; la conversation roula naturellement sur les Hovas et lui fournit loccasion de me raconter une anecdote qui faisait tant dhonneur à Radama quelle accrut encore lidée que javais déjà de sa supériorité.
Peu de temps après son avènement au pouvoir, deux marchands créoles, venus de Tamatave pour traiter des esclaves à Tananarivo, furent sur le point dêtre victimes de la cupidité des habitants de la capitale qui convoitaient leurs marchandises.
Quelques affiliés au complot trouvèrent le moyen de mettre le feu au palais du roi, qui nétait alors quune grande case malgache, et accusèrent de ce crime les marchands étrangers. Lincendie ayant fait des progrès rapides dans un bâtiment construit en bois et en feuillage, on entendit bientôt lexplosion de plusieurs barils de poudre que Radama conservait chez lui.
Le peuple crut le roi mort : la sédition prit de la consistance, et les factieux sétant portés en foule chez les blancs, semparèrent de leurs marchandises et de leur argent, et les eussent zagaïés, sils ne sétaient pas hâtés de prendre la fuite.
Cependant, le roi, qui venait déchapper au danger et qui connaissait les mauvais penchants de son peuple, fit appeler sur-le-champ ses ministres, et leur demanda où étaient les étrangers. Dès quil sut quon les avait pillés et quils sétaient enfuis de la ville, il ordonna daller promptement à leur recherche et de les lui ramener.
Ces malheureux erraient à demi-nus dans la campagne et faisaient de vains efforts pour trouver la route qui conduit à Ancaye ; ils se crurent perdus quand ils se virent entourés par des soldats hovas qui les conduisirent devant Radama. Ce prince les accueillit avec bonté et parut affligé de leur état.
« Rassurez-vous, leur dit-il, je prends sous ma responsabilité tous les étrangers qui ont assez de confiance en moi pour voyager dans mes états, et je ne souffrirai jamais quaucune violence leur soit faite : je punirai les coupables, mais il faut dabord que je vous rende ce que vous avez perdu. Que possédiez-vous avant lincendie ? Des marchandises et trois mille piastres dEspagne, répondirent les marchands étonnés. Comme toutes les piastres se ressemblent, répliqua le roi, je vais prendre celles-ci de mon trésor, » et il fit signe à son caissier dapporter la somme quils avaient mentionnée et quil leur donna.
Puis se tournant vers les ministres, il leur dit en leur remettant la note des marchandises dérobées : « Si ce soir, lorsque le soleil aura cessé déclairer Tananarivo, ces objets ne sont pas retrouvés et rendus, je vous ferai trancher la tête à tous. Tâchez de ne pas oublier que mon devoir moblige à rembourser ces étrangers de mes propres deniers, ne leur manquât-il quune pièce de toile ou une masse de rassades. »
Si lon considère que Radama navait encore que dix-sept ou dix-huit ans lorsquil tint cette belle et sage conduite, qui eût fait honneur à un prince civilisé, et quà cette époque il devait avoir toutes les habitudes dun sauvage, puisquil navait pas encore communiqué avec les agents de lAngleterre, on est forcé de ladmirer et de regretter quil nait pas vécu plus longtemps. La véracité de ce récit ma été confirmée par Jean René et par plusieurs autres personnes dignes de foi.
CHAPITRE XII.
Caractère des fièvres de Madagascar. Maladie et souffrances du voyageur. Retour à Tamatave. Expédition de Jean René contre les Vourimes. Murs de cette peuplade belliqueuse. Intrépidité de son chef Jakamaef. Départ avec larmée. Jean René au village de Mitinandre. Réunion de Jean René avec la division du prince Ratef. Portrait de ce général et du major Ratsi-atou. Rataf, frère de Radama. Description de larmée dexpédition. Lavant-garde hova. Les corps des Betsimsaracs et des Bétanimènes. Première étape à Vatou-mandré.
Des douleurs aux articulations et une pesanteur de tête insupportable mannoncèrent que jallais avoir la fièvre du pays ; je craignais dautant plus les atteintes de cette maladie, quà lîle de France et à Tamatave on me lavait dépeinte avec des couleurs qui étaient bien propres à malarmer.
Cependant les fièvres endémiques de Madagascar, et ce sont les seules qui y règnent, ne sont pas différentes de celles de la Zélande et de Rochefort ; elles sont toujours bilieuses, car elles sont causées par le voisinage des marais, et ne deviennent putrides ou malignes que lorsquon les néglige ou quon emploie dans leur traitement des médicaments contraires ou insuffisants.
Jétais décidé à faire usage des moyens curatifs que le capitaine Arnous mavait indiqués ; il avait sur cette matière une expérience de plusieurs années, et, selon moi, cela vaut mieux que des systèmes basés seulement sur la théorie.
Laccès qui me prit avant le jour fut violent ; jeus dabord beaucoup de peine à obtenir une transpiration qui finit par devenir très abondante. La fièvre diminua un peu, mais elle durait encore à midi avec une soif si ardente que plusieurs bouteilles de limonade navaient pu la calmer. Ce fut alors que je me décidai à mêler un grain de tartre stibié à douze grains dipéca que je délayai dans un verre deau tiède ; jen bus la moitié ; cette dose était assez forte, car une demi-heure après elle me procura de nombreuses évacuations dune bile jaune et épaisse.
Ces vomissements me soulagèrent un peu, mais la fièvre ne me quitta pas ; elle prit au contraire de laccroissement dans la nuit, et comme je maperçus que ma tête sembarrassait, je nhésitai pas à appliquer aux jambes de larges vésicatoires qui produisirent de bons effets.
Le lendemain, lorsque je maperçus que la fièvre avait diminué, je pris du quinquina à forte dose ; jemplis une cuiller à bouche de cette substance que je délayai dans un peu de vin et que je bus dheure en heure. Je commençais à midi et je finissais à cinq heures. Dans la nuit la fièvre diminua, et le jour suivant, à midi, elle avait cessé tout-à-fait.
La faiblesse qui succéda à cette secousse, et la gêne que me causaient les plaies que javais aux jambes, ne me permettant plus de suivre la cour de Radama et dassister à ses fêtes, je profitai dune visite quil me fit pour prendre congé de lui, et je lui promis de le revoir à Tamatave où il devait se rendre dans peu de jours.
Pour éviter lembarras de voyager avec son armée, qui ne manquerait pas de semparer des meilleurs logements dans les villages où je serais obligé de marrêter, je repris aussitôt le chemin de ce port, où jarrivai bien portant huit jours après avoir quitté Vobouaze.
Jean René, qui connaissait la perfidie des Hovas, nétait pas dupe des assurances damitié et des protestations de dévouement quil recevait sans cesse de Radama. Il avait raison de redouter sa visite, car à peine fut-il entré à Tamatave, quau mépris du traité de Manaarèse, conclu trois ans auparavant sous les auspices et avec la garantie dun agent de la Grande-Bretagne, il y établit une garnison sous prétexte que Jean René, à qui il venait de confier une mission importante pour le sud, ne pourrait pas veiller à la conservation de ce port.
Jean René, qui déjà me faisait part de ses chagrins et me consultait dans ses affaires, ayant été forcé daccepter le commandement dune armée destinée à soumettre les Vourimes, mengagea à laccompagner pendant cette campagne qui devait durer plusieurs mois.
Les Vourimes habitent dans lintérieur de hautes montagnes que lon aperçoit de Matatane ; leur pays, à louest, est borné par les montagnes des Betsilo, au sud par les montagnes dAmbohitsmène, au nord-est par les montagnes des Antatschimes.
Plus sauvages que les peuplades qui les entourent, les Vourimes, ne tirant de leur sol aride et rocailleux que des subsistances insuffisantes, étaient forcés, pour sen procurer, de faire continuellement des incursions sur le territoire de leurs voisins, et comme ils sont adroits et braves, qualités quils doivent peut-être à leur état de pauvreté, ils réussissaient presque toujours à faire des prisonniers et à ramener dans leurs montagnes assez de riz et de buf pour satisfaire à leurs besoins.
Depuis quelque temps surtout, cette peuplade soutenait avec avantage la guerre de partisans qui la faisait vivre ; elle devait ses succès à un chef nommé Jakamaef, que les Malgaches appelaient Mangalatch-bé, ou grand voleur.
Lintrépidité de cet homme lavait rendu redoutable ; ses voisins, qui le croyaient protégé par un génie malfaisant, nen parlaient quavec crainte, car il avait, disaient-ils, le pouvoir de deviner leurs pensées, et sa vengeance était toujours terrible. Son nom épouvantait les petits enfants de la contrée, qui cessaient de crier quand leurs parents les menaçaient de son arrivée.
Le prince de Tamatave moffrit pour ce voyage le meilleur de ses chevaux ; mais trop faible encore pour le monter, je le confiai à lun de mes maremites.
Radama ayant été forcé de quitter Tamatave inopinément pour se rendre dans le nord, où les Malates sagitaient alors, je pris congé de lui, et je me mis en route avec Jean René le lendemain, 25 juillet.
Larmée, qui nétait encore composée que de Betsimsaracs, devait se rendre à marches forcées à Mitinandre où le prince Ratef lattendait avec une division hova. Il meût été impossible de marrêter en chemin pour voir le pays ; je pris donc le parti de me faire porter dans un hamac que je fis couvrir dune tente afin de me mettre à labri de la pluie abondante qui ne cessa de tomber que le troisième jour de notre voyage, peu dinstants avant notre arrivée à Mitinandre.
La rivière de Mitinandre se prolonge dans le S.O. et prend sa source dans le S. des montagnes de Béfourne. Le village de Mitinandre, qui prend son nom de la rivière, est situé sur la rive gauche à une portée de fusil de son embouchure. Le territoire de Mitinandre est fertile en riz et en céréales de toute espèce ; mais nayant ni port, ni rivière navigable qui lui permette découler ses produits, ce pays ne fait aucun commerce.
À peine étions-nous descendus de nos brancards que nous reçûmes la visite du prince Ratef et du major Ratsi-atou. Le premier, revêtu dun uniforme dofficier de hussards, était coiffé dun énorme colbak qui lui couvrait une partie des yeux ; lautre, grand et courbé, avait laccoutrement que prennent quelquefois les bateleurs pour faire leurs parades : un habit rouge, dont les revers, les parements et le collet paraissaient avoir été noirs, flottait sur son corps décharné et lui descendait jusquaux talons ; ses épaulettes aussi petites que celles que nos officiers portaient sous le règne de Louis XIV, semblaient avoir plus dun siècle dusage tant elles étaient sales et usées ; un petit chapeau à cornes, bordé de vieux galons faux, donnait à cette figure noire et sèche laspect dun singe arrivé à la caducité.
Les deux visiteurs étaient suivis dun personnage encore plus ridicule ; il avait la figure dun idiot ; son costume était un large simbou de soie bariolée ; sa coiffure, une toque de satin rouge garnie dun galon dor. En regardant avec attention cette espèce de crétin, on doutait que la nature leût fait ainsi, car ses yeux qui peignaient si bien leffroi avaient par moment une expression plus posée et semblaient annoncer encore quelques vestiges dintelligence. Quoiquil eût tout au plus vingt ans, il semblait épuisé par les infirmités et les souffrances ; son front était chauve et ridé, ses cheveux en désordre flottaient sur ses épaules : ce malheureux, que la politique de Radama avait jugé nécessaire de dégrader ainsi, était Rataf son propre frère. Ratsi-atou son geôlier devait un jour devenir son bourreau. Je lui demandai sil allait exercer un commandement dans larmée ; il me répondit dun ton niais que son frère, ne voulant pas quil fût militaire, lavait envoyé pour apprendre de lesprit avec les blancs.
Jean René annonça que lon partirait le lendemain ; avant le jour jétais en marche avec larmée ; mes forces étaient revenues, et je profitai du beau temps que présageait un ciel pur et étoile pour continuer mon voyage à cheval.
La division hova nous servait davant-garde ; les soldats qui la composaient étaient presque tous des alliés dÉmirne soumis par Dianampouine et par Radama. On les reconnaissait aux tatouages qui couvraient leur corps ; ils étaient nus ; les officiers eux-mêmes navaient pas encore duniformes ; les principaux seulement étaient couverts dune toutourane (toile de coton commune) et armés dun coutelas ; les soldats avaient, comme ceux de Radama, de bons fusils anglais sans baïonnettes.
Les Betsimsaracs et les Bétanimènes, que Jean René avait recrutés en route, étaient mieux vêtus queux, mais ils étaient loin davoir leur attitude belliqueuse. Ils marchaient en désordre et séloignaient de larmée pour chercher des fruits ou du miel sauvage dans les bois.
Létape fut longue et je trouvai ce voyage assez ennuyeux ; nous marchions au S.O. sur la grève, ce chemin étant le plus beau et le plus facile ; je ne vis pas de ces paysages frais et animés que javais si souvent admirés dans mon premier voyage ; je napercevais autour de moi que des sables arides ou des rochers battus par les vagues ; et le chant mélancolique du corbigeau qui fréquente ces parages nétait guère propre à me distraire ; aussi la vue du port de Vatou-mandré où nous devions passer la nuit me causa-t-elle beaucoup de plaisir. Il faisait encore jour lorsque nous y entrâmes. Le chef qui vint nous recevoir paraissait très âgé ; il avait au front une loupe aussi grosse quune orange. Il me pria de lextirper, car il avait entendu dire que les blancs étaient de grands médecins.
Vatou-mandré, qui signifie rocher dormant, tire probablement son nom dun énorme rocher noir près duquel le village est bâti ; ses campagnes sont moins fertiles que celles de Mitinandre, mais ses cases sont plus jolies et ses habitants plus affables. Cest la ville frontière des Bétanimènes ; son port serait commode pour lembarquement des productions de cette contrée si la passe nétait pas bouchée pendant une partie de lannée par les sables qui sy amoncèlent. Cependant, si les Malgaches étaient moins paresseux, ils réussiraient à la tenir toujours libre, car toutes les fois quils ont voulu sen donner la peine, ils sont parvenus à la déboucher. Ce port serait dautant plus utile quil est le seul dans la province des Bétanimènes et que son mouillage est assez sûr. Le village est situé près de la mer, sur la rive droite de la rivière du même nom dont le cours est à peu près le même que celui du Mitinandre.
Quelques heures après notre arrivée à Vatou-mandré, un officier de larmée vint annoncer à Jean René quun blanc descendait des montagnes à la tête de trois cents Malgaches ; il parut en effet bientôt et demanda au général en chef la permission de suivre larmée pour faire la guerre en partisan avec les Malgaches quil avait amenés ; cétait un petit homme maigre et jaune qui pouvait avoir trente ans ; il nous dit quil était né à Candie, et nous raconta quaprès avoir déserté du service dAli-Pacha pour suivre des Anglais dans lInde, il les avait quittés pendant une relâche à Tamatave et était venu tenter fortune à Madagascar où il était arrivé presque nu ; que sétant avancé dans les terres, il avait reçu lhospitalité des naturels qui bientôt sétaient attachés à lui et avaient fini par le prendre pour juge de leurs différends ; il paraît quil jouissait dune grande influence dans son district, puisquil était parvenu à y lever un corps franc, décidé à le suivre partout et à lui obéir comme à son chef.
CHAPITRE XIII.
Entrée à Maroussic Engagement avec les Affravarts sur la place du village. Effets dune pièce de canon dans cette attaque. Abondance et voracité des rats. Préjugés des Malgaches à légard des chats et des porcs. Kabar convoqué par Jean René. Les chefs de Maroussic se soumettent à Radama. Cérémonie à cette occasion. Forêt et rivière de Maroussic. Préparatifs dune chasse au bison. Halte dans la forêt.
De Vatou-mandré nous nous dirigeâmes toujours au S.-O. En suivant la côte, nous arrivâmes, après quatre heures de marche, à la rivière de Maroussic qui prend sa source dans les montagnes des Affravarts, à trois journées de marche du village de Maroussic, situé sur sa rive droite à un quart de lieue à louest de son embouchure.
Jean René, nosant pas entrer à Maroussic, campa dans une savane près du village ; il pensait que si ses habitants étaient disposés à nous bien recevoir, ils lui enverraient des députés, mais personne nayant paru pendant toute la journée, le lendemain, les soldats chargèrent leurs armes et larmée se mit en marche avec plus dordre que de coutume. Les Hovas, plus habitués à la guerre que les autres, furent chargés dattaquer le village. Les Betsimsaracs et les Bétanimènes formaient le centre et la réserve.
Les deux tiers de larmée étaient déjà à Maroussic sans avoir rencontré dautre obstacle que les palissades dont le village était entouré et à travers lesquelles les Hovas eurent bientôt fait une brèche ; les cases étaient désertes et tout portait à croire que les habitants les avaient abandonnées pour se retrancher dans quelque bois des environs. Cétait lopinion de Jean René, qui, rendu sur la place, allait sétablir dans lhabitation du chef, lorsque plusieurs balles vinrent siffler à nos oreilles et blessèrent quelques-uns de nos hommes.
La fusillade était vive. Elle partait de trois magasins à riz, situés à lun des angles de la place. Ces bâtiments étaient élevés de terre sur des piliers denviron quinze pieds de haut. Les Affravarts sétaient servi, pour y monter, dune échelle quils avaient eu soin de détruire. Cette position leur était avantageuse, car elle dominait toutes les rues et particulièrement la place où le gros de larmée se trouvait en ce moment.
Jean René eut beaucoup de peine à retenir les Betsimsaracs et les Bétanimènes, qui, voyant tomber leurs compagnons, fuyaient en poussant des cris affreux : les Hovas, seuls, faisaient bonne contenance.
Le général en chef fit approcher une petite pièce de campagne de deux quil avait apportée de Tamatave. Un ancien canonnier des Cypayes, employé à son service, se hâta de la charger à mitraille et fit feu sur les retranchements.
À peine en eut-il tiré trois coups que les Affravarts, nétant plus protégés par leurs fragiles remparts, abandonnèrent les meurtrières quils y avaient pratiquées, cessèrent le feu et demandèrent à capituler. Jean René, qui ne voulait que leur soumission, reçut leurs otages, et leur assigna un quartier pour se retirer en attendant le kabar, quil convoqua pour le lendemain.
Les Hovas furent sur pied pendant la nuit afin de surveiller les Affravarts dont on suspectait encore les intentions, mais il fut impossible de placer un poste de Betsimsaracs, car ils tremblaient encore au souvenir de la décharge quils avaient entendue le matin.
Les meilleures cases ayant été dévastées par eux après que le danger fut passé, il me fallut coucher dans celle du prince Ratef ; la mousquetterie y avait occasionné moins de dégâts que dans les autres.
Fatigué davoir passé une nuit sous la tente et une partie du jour au soleil, je mendormis bientôt profondément, et il était déjà tard le lendemain lorsque mon domestique, qui mapporta un bain de pieds, me dit en se disposant à me les laver : « Vazah valava mihine nongoutoh anao ; blanc, les rats tont mangé les pieds. » Je crus dabord quil plaisantait, car il faisait quelquefois le facétieux, mais je maperçus bientôt que les rats mavaient en effet rongé la plante des pieds jusquau vif. Lindor, cest le nom que je donnais à mon petit nègre, sempressa de visiter mon paquet, et me fit voir un habit neuf que les rats avaient mis hors détat dêtre porté. Le général Ratef ne fut pas plus heureux que moi, car ces animaux avaient fait à son manteau de soie une multitude de trous.
Le pays des Affravarts est riche en troupeaux ; ses pâturages sont vastes et ses rizières fertiles ; mais les rats sy sont tellement multipliés quils en dévorent une partie des récoltes ; ils étaient si familiers à Maroussic que jétais obligé, quand je mangeais, davoir quelquun uniquement chargé de les empêcher de sauter sur les plats.
Un préjugé soppose à lintroduction des chats dans cette contrée ; les Affravarts les appellent sakatoufes angatch (compagnons du diable) ; un habitant, fût-il ministre ou prince, qui oserait en élever un, serait considéré comme sorcier et forcé de prendre le tanghin.
Le kabar convoqué pour sentendre avec les Affravarts eut lieu à midi ; deux frères qui exerçaient le pouvoir à Maroussic, ceux-là mêmes que javais rencontrés à la chasse de la forêt de Vavoune, se rendirent sur la place où Jean René, après avoir entendu leurs orateurs, auxquels les siens répondirent, leur fît prêter serment de fidélité à Radama en présence du peuple et de larmée.
On égorgea ensuite un taureau noir dont le front avait une petite tache blanche et que pour cette raison les Malgaches choisissent toujours pour victime, et chacune des parties contractantes, les témoins et les principaux du peuple et de larmée, plongèrent tour à tour leur zagaïe dans ses flancs en prononçant la formule et les imprécations exigées par la coutume.
Les chefs de Maroussic, qui avaient une figure ouverte et des manières franches et loyales, se soumirent sans difficulté à payer le tribut que Jean René leur imposa pour les punir de leur résistance, et consentirent volontiers à lui fournir un corps dauxiliaires que le plus jeune offrit de commander lui-même ; ils avouèrent quils avaient été bien disposés à se défendre, mais que le canon dont ils ne connaissaient pas encore les effets les avait intimidés.
Les Affravarts sont en général grands et bien faits, leurs traits sont fortement prononcés et leur physionomie pleine de franchise ; ils ont les cheveux droits et la peau cuivrée comme les Betsimsaracs ; plus guerriers que les Bétanimènes leurs voisins, ils les ont vaincus souvent, quoique leur peuplade soit moins nombreuse.
Forcé de passer trois jours à Maroussic pour attendre lexécution du traité imposé par Jean René, je consentis à accompagner le fils de lun des chefs de ce pays à une partie de chasse quil me proposa.
La forêt qui nest pas éloignée de la ville est une des plus belles et des mieux boisées que jaie vues dans lîle ; on y trouve non seulement des sangliers, mais des bisons ou bufs sauvages ; cétait ceux-ci que nous devions attaquer.
Je savais déjà me servir de la zagaïe que javais souvent lancée en chassant le sanglier, mais le jeune prince de Maroussic massura que le bison appelé par les Malgaches ombè-hala (buf des bois) était plus terrible encore que le sanglier, et quune chasse finissait rarement sans quon y perdît plusieurs chiens ou quelques hommes ; il me donna des zagaïes plus longues et plus fortes que celles que jemployais contre les sangliers, mais ne trouvant pas ces armes assez sûres, je pris mon fusil à deux coups et des pistolets à double détente dont je connaissais la justesse et la portée.
Nous traversâmes après midi la rivière de Maroussic qui était couverte de canards sauvages et de sarcelles, et nous fûmes camper sur une hauteur à une demi-lieue environ dans lépaisseur de la forêt. Nous avions plus de trente chiens quon avait eu soin de coupler et une escorte de vingt hommes armés.
Une cascade, dont les eaux tombaient en lames argentées sur le rocher auprès duquel nos tentes étaient dressées, répandait autour de nous cette fraîcheur que le voyageur respire avec tant de délices, après une marche longue et pénible ; le soleil rouge et pur disparaissait à lhorizon, et déjà les oiseaux qui couvraient les arbres dont nous étions entourés avaient salué de leur dernier chant lauteur de la lumière et de la vie. Les Malgaches se hâtèrent de cuire les nombreuses provisions que nous avions apportées ; ils trouvèrent dans le bois même le piment, la ravin-sara (agathophillum aromaticum, Lin.) et le gingembre nécessaires pour les épicer ; quelques bouteilles de vin dont je métais muni contribuèrent à égayer ce repas sauvage, lun des plus agréables que jaie faits à Madagascar.
CHAPITRE XIV.
Rencontre dans la forêt. Le chasseur noir. Histoire de Simandré. Éloquence naturelle aux Malgaches. Leurs orateurs, exercés dès lenfance, égalent les plus célèbres de lEurope. Exemples et autorités citées à lappui de cette assertion. Les Malates. Origine de Simandré. Il épouse la fille de Sialan. Portrait de Volalande. Rivalité avec Jean René. Piège quil tend à Simandré et à Sialan. Funestes effets de lengagement solennel pris par ceux-ci. Ils sont dépossédés par René et Fiche. Fuite et malheurs de Simandré. Vains efforts quil fait pour se venger de René. Il surprend Fiche et le tue. Terribles représailles. Fin du récit de Simandré.
Nos chasseurs joyeux allaient vider auprès du feu plusieurs bouteilles darak que je venais de leur donner, lorsque lécho de la forêt répéta des accents plaintifs et touchants :
« Cest Simandré ! sécria mon compagnon, le plus brave et le plus malheureux des Malates ; il était venu parmi nous pour combattre Jean René, son ennemi mortel ; hier, encore, il était dans notre grand toubi où il nous encourageait à nous défendre ; il priait Zanaar de diriger le plomb de sa carabine sur la poitrine du meurtrier de ses parents. »
Ici Razouma, dabord ému par la voix de son ami, parut regretter den avoir trop dit ; il se tut tout-à-coup et fixa sur moi ses yeux inquiets et troublés ; il connaissait ma liaison avec René, et craignait sans doute les résultats de son indiscrétion qui pouvaient être funestes à son père.
Je mempressai de le rassurer, et je lengageai à faire venir Simandré, que javais déjà vu à la chasse et dont je désirais connaître les aventures.
Plusieurs Affravarts se mirent à courir dans le bois en poussant des cris qui leur servaient désignai pour communiquer avec le proscrit, et bientôt lhomme mystérieux parut ; il était suivi par plusieurs chiens.
Simandré, que les Malgaches appelaient le chasseur noir, navait pas plus de vingt-cinq ans, et cependant on voyait déjà sur son front des rides prématurées. Sa stature était haute, son port noble et ses manières aisées ; ses yeux creux et cernés, ses joues aux pommettes saillantes, ses lèvres sèches et gercées, annonçaient quil avait souffert. Au désordre de sa barbe et de ses cheveux qui flottaient en touffes inégales sur ses épaules osseuses, on devinait lagitation de son âme ; quoiquil fût mulâtre, la couleur de sa peau était un peu foncée, mais ses traits et la coupe antique de son visage attiraient lattention et commandaient le respect ; un simple simbou de pagne noire le couvrait depuis la ceinture jusquaux reins. Ses armes étaient un faisceau de zagaïes et une carabine, dont le bois garni de petits clous dorés, rangés symétriquement, représentaient des têtes doiseaux de proie et de reptiles.
Errant dans les forêts, il navait plus pour amis que quelques chiens qui, plus fidèles que ses courtisans, navaient pas refusé comme eux de partager sa mauvaise fortune.
« Salut à toi, me dit Simandré en sapprochant ; quoique tu sois devenu lami dun traître, je noublie pas mes connaissances de la forêt. Te souviens-tu du sanglier de la Montagne-Rouge que ton mara-massou lança ? ah ! il eût mieux fait de me déchirer les flancs que déventrer mon pauvre Léla-mèna ! Mais toi qui viens de Tamatave, as-tu vu la vallée de Taniou ? Les restes de ceux dont le souvenir fait mon supplice sont-ils toujours privés de sépulture ? La terre, arrosée de leur sang, produit-elle, au lieu de ronces, des ravines odorantes et des fleurs aussi belles que leurs curs étaient purs ? Le Vouroundoule des rochers noirs de Manourou a-t-il été moins cruel que le bourreau de ma famille ? Après sêtre rassasié de la chair de ma femme et de mon fils, a-t-il épargné du moins leurs ossements blanchis par la rosée du soir ? »
Les muscles du chasseur se contractèrent en prononçant ces derniers mots ; ses yeux qui peignaient la haine et la vengeance semblaient lancer des éclairs. Son ami cherchait à le calmer, jessayai de le consoler, mais nos efforts furent inutiles ; ses membres tremblaient, et la sueur qui coulait sur sa poitrine oppressée annonçait que laccès touchait à son dernier période ; bientôt linfortuné se tordant les bras tomba sur le gazon en maudissant lauteur de ses maux.
Cependant le calme de la faiblesse finit par succéder au délire des passions ; Simandré, épuisé par une abstinence de plus dun jour et par une agitation continuelle, vint sasseoir auprès de nous et me pria de lui pardonner son emportement que des souvenirs cruels avaient causé.
Je parvins à lui faire manger quelques fruits, et il consentit à prendre un verre de Madère qui rétablit bientôt ses forces. Je cherchai à me lier avec lui : il hésita dabord, car son âme était trop ulcérée pour quil pût croire à la sensibilité dun homme ; cependant, en lui prodiguant des soins, je parvins à gagner sa confiance, et il se détermina à me raconter ses malheurs.
Les Malgaches sétaient endormis auprès des feux presque éteints de leurs bivouacs ; le jeune chef de Maroussic était retiré depuis longtemps sous sa tente ; nous étions seuls éveillés dans la forêt avec les chiens sauvages dont nous entendions les hurlements au loin ; le bruit des eaux du torrent et les reflets pâles de la lune, qui disparaissait à chaque instant sous des nuages chargés dorage, donnaient au site que nous avions choisi une teinte lugubre qui disposait à la mélancolie, et ajoutait encore à lintérêt du récit que jallais entendre.
« Jaime dautant plus les blancs, et surtout les Français, dit Simandré, que mon père qui était Malate devait le jour à lun de tes compatriotes. Ma mère, unique rejeton de lantique famille des chefs dYvondrou, neut pas de peine à lui frayer les chemins du pouvoir, car il était chéri du peuple qui ne cessait dadmirer sa bravoure et sa loyauté.
« Exercé depuis son enfance à manier la zagaïe à la chasse et à la guerre, il réunissait à lesprit et à la bravoure des blancs la vigueur et ladresse des Malgaches ; aussi fut-il élu chef à lunanimité. Peu dannées après il mourut en défendant son territoire que ses ennemis avaient envahi.
« Si mon père me laissa des souvenirs honorables, il me légua des guerres difficiles quil me fallut soutenir dès les premières années de mon adolescence ; jeus le bonheur de les terminer toutes heureusement en faisant plusieurs traités de paix avantageux qui me promettaient des jours prospères ; javais alors la faiblesse dy croire, tant les rêves despérance et de bonheur ont dempire sur lesprit de lhomme sans expérience, qui ne sait pas que la vie nest quun tissu plus ou moins long de misères et de souffrances !
« Mon ennemi Sialan, chef de Tamatave, issu comme moi de sang européen, avait une fille dont les attraits excitaient ladmiration de tous les hommes de la contrée ; les récits que jentendais faire de sa beauté, de son esprit et de sa douceur, exaltaient mon imagination ardente ; et plus il métait difficile de la voir, plus il me semblait quelle méritait mon amour.
« Je renversai tous les obstacles qui sopposaient à une entrevue, et après avoir fait des concessions à Sialan, je parvins à obtenir une trêve qui devait me rapprocher de lobjet de mes pensées.
« Le jour tant désiré arriva : Sialan me présenta sa fille, et sa vue acheva dégarer ma raison, car elle était plus belle encore que les portraits quon men avait faits. Étranger, jamais Zanaar ne te procurera la contemplation dune pareille merveille, mais si tu veux en avoir une idée juste, consulte ces hommes de lArabie que le commerce a attirés chez nous et qui sont connus sous le nom dAntalotches ; ils te liront dans un vieux manuscrit, quils tiennent dun génie puissant de leur pays, un passage où il a décrit les traits, les grâces et les formes ravissantes de Volalande ; mais ne ty trompes pas, ce nest pas dune mortelle que lauteur parle, car ma maîtresse était la seule qui fût si séduisante ; il leur peint des filles célestes qui doivent après leur mort, si leur Allah a été satisfait de leur conduite en cette vie, les plonger dans un océan de délices.
« La fille du chef de Tamatave, élevée par son père avec plus de retenue que les autres femmes malgaches, parut cependant, après quelques entretiens, partager le feu qui me consumait. Léducation que javais reçue de mon père mavait aussi inspiré du dégoût pour les plaisirs faciles que nos lois et nos usages nous permettent de goûter avec toutes les femmes ; il me fallait à moi un amour plus épuré, et il est probable que si je neusse pas rencontré la vierge que je voyais depuis longtemps dans mes rêves, je serais resté toute ma vie insensible au milieu des beautés dont mon rang et mes richesses massuraient la possession.
« Un homme dune origine semblable à la nôtre vivait alors à Tamatave et avait des relations avec Sialan ; cétait René, fils dun blanc et dune femme antatschime. Quoiquil fût laid, son visage était gracieux, sa parole douce et persuasive ; mais lambition et le mensonge qui sétaient fixés dans son cur dirigeaient toutes les autres mauvaises passions qui lanimaient et sopposaient au développement de quelques bonnes qualités quil tenait de la nature. Ce fut sans doute Angatch qui me le fit connaître, puisque cest à sa perfidie que je dois tous mes malheurs. Prends garde à toi, Lava-lef ! il te trahira si son intérêt lexige, car il a la finesse du vountsira, la malice du babakoute et la férocité du caïman des lacs !
« Jean René, avide de pouvoir, avait depuis longtemps des vues ambitieuses sur Tamatave et sur Yvondrou quil destinait à son frère Fiche. Pour se mettre en position dexécuter ses projets dusurpation, il avait demandé pour femme la fille de Sialan dont il convoitait aussi les charmes ; et comme il savait dissimuler, il avait dévoré sans se plaindre laffront que le refus du père lui avait causé. Ses liaisons avec lui étaient au contraire devenues plus intimes depuis cette époque.
« Dès quil sut que Volalande métait destinée, il vint me féliciter et me demanda mon amitié que jétais trop simple et trop crédule pour lui refuser.
« Quoique Jean René ne fût quun marchand, il exerçait à Tamatave une influence assez remarquable, et les Betsimsaracs, séduits par ses largesses, commençaient à sattacher à lui. Ses fonctions dinterprète du gouvernement français le mettaient en rapport avec tous les blancs qui avaient pour lui de la considération. Cétait dans ses magasins que leurs marchandises étaient déposées ; lui-même possédait plusieurs centaines de barils de poudre, un grand nombre de caisses de fusils, des toiles et de larak quil employait à se faire des partisans, car la passion des Malgaches pour cette boisson spiritueuse est extrême.
« Des agents intelligents quil avait su choisir intriguaient pour son compte auprès des Malates du nord et chez les peuplades encore sauvages établies sur les montagnes. Ils parvinrent à le décider à faire la guerre à Sialan.
« Quelques-uns de mes sujets gagnés par leurs promesses enlevèrent en même temps des troupeaux et des esclaves sur les terres des Bétanimènes et incendièrent un village. Ceux-ci, me rendant responsable de ces actes dhostilités dont ils auraient dû me demander satisfaction, firent cause commune avec les ennemis de Sialan, et les coalisés se mirent en marche pour nous attaquer.
« Cette agression inattendue nous jeta dans la consternation, car nous étions loin dêtre en mesure de résister à lennemi qui nous menaçait. Sialan, dépourvu de munitions de guerre, navait que quelques fusils en mauvais état ; les miens ne valaient pas mieux, et des guerres continuelles avaient épuisé toute ma poudre. Il fallut donc sadresser à René qui en était abondamment pourvu.
« Le traître jouissait de notre embarras et de nos craintes ; déplorant notre malheur, il feignit dy prendre part et proposa de nous secourir ; ce fut précisément ce qui nous perdit.
« Dans un kabar que nous convoquâmes exprès il sobligea à nous fournir des fusils, des munitions de guerre et de larak pour encourager nos soldats, mais ce fut à une condition, dont il avait déjà calculé les avantages : il nous fit jurer, à la manière du pays, que, si nous étions vainqueurs, nous lui reconnaîtrions le droit de partager avec nous lautorité, dans le cas où, une lune après la guerre terminée, nous nous trouverions dans limpuissance de lui rembourser ses marchandises. Pourquoi Zanaar nous laissa-t-il plonger nos zagaïes dans les flancs du taureau ? Pourquoi le géant ne commanda-t-il pas à la foudre de nous réduire en poussière, lorsque nous prêtâmes ce serment funeste qui fut la cause de tous nos malheurs et le prétexte de notre ruine ?
« Les Betsimsaracs sont peu guerriers, moi-même je ne pouvais compter, pour résister à des ennemis si nombreux, que sur une seule caste, celle des Zafféraménians originaires de lArabie, établis à Yvondrou depuis des siècles.
« Jean René avait employé une partie de ses richesses à acheter plusieurs centaines dAfricains dont il sétait fait une garde dévouée ; il nous les proposa pour auxiliaires et demanda à marcher lui-même contre nos ennemis.
« Nous eûmes encore la faiblesse dy consentir, car nous étions sans méfiance et nous ne savions comment nous y prendre pour témoigner notre reconnaissance au perfide qui voulait nous dépouiller.
« Une bataille eut lieu derrière les montagnes que tu dois avoir vues entre Yvondrou et Tamatave, et dont René ta parlé peut-être quoiquil ne sy soit pas signalé par de brillants exploits.
« Trop lâche pour prendre part au combat dont il avait dirigé les préparatifs, il en attendait les résultats dans un village éloigné, bien disposé à rentrer à Tamatave si nous éprouvions le moindre revers ; je dois rendre justice à ses miangourandes qui combattaient à mes côtés et dont jadmirais la valeur.
« Quoi quil en soit, nos ennemis en déroute nosaient plus nous attendre et au bout de quelques jours ils nous firent proposer la paix que nous acceptâmes ; ce fut alors que René triomphant sapprocha pour en régler les conditions.
« Il commençait déjà à garder moins de mesure envers nous. Cependant nous fûmes tranquilles jusquà la fin de la lune, mais celle qui lui succéda devait éclairer nos désastres.
« Sialan était rentré à Tamatave ; moi je jouissais à Yvondrou des douceurs de mon nouvel hymen, car Volalande sétait associée à ma destinée.
« Le temps fixé pour rembourser René étant expiré, il vint, entouré de sa garde, nous sommer de remplir nos engagements.
« Nous étions réunis en kabar sous les cocotiers de Tamatave pour aviser aux moyens de le payer, car nous nous étions aperçus quil nous avait suscité mille embarras pour nous empêcher daccomplir nos promesses.
« Nos principales ressources consistaient en bufs et en riz ; mais les blancs, qui sans doute avaient pactisé avec René, refusaient de les acheter ; nos premiers orateurs insinuaient déjà à la multitude quil eût été peut-être plus avantageux de partager avec lui notre autorité que de charger le pays du remboursement dune dette aussi énorme. Nous ne pûmes donc que lui demander du temps ; il refusa den accorder, et le peuple, à compter de ce jour, consentit à le reconnaître pour notre égal.
« Sialan, affaibli par lâge et par le malheur, ratifia cette transaction honteuse et eut bientôt sujet de sen repentir, car il fut déposé peu de temps après.
« Je quittai le kabar sans dire un mot, bien décidé à ne pas céder pour Yvondrou comme Sialan venait de le faire pour Tamatave. René vint bientôt my attaquer avec son frère. Je résistai longtemps, mais accablé par le nombre, après avoir soutenu un siège de plusieurs mois, jabandonnai mes toubis que lennemi avait trouvé le moyen dincendier, et enlevant dans mes bras mon épouse évanouie, je la transportai dans une caverne de la forêt voisine, où peu dinstants après elle mit au jour un fils, quoique lépoque fixée par la nature pour sa naissance ne fût point encore arrivée.
« Quelques-uns de mes fidèles Zafféraminians qui me rejoignirent bientôt maidèrent à emporter la mère et le nouveau-né.
« Aussi agité quune laie qui vient déchapper avec ses marcassins au fer des chasseurs et à la dent des chiens, et frémissant à lidée dune nouvelle poursuite, je profitai dune nuit sombre pour gagner les montagnes où il me restait encore quelques amis, qui furent assez généreux pour sexposer au ressentiment du vainqueur en nous donnant lhospitalité.
« Aussitôt que jeus pourvu à la sûreté de ma famille, je pus me livrer tout entier à mes projets de vengeance. Je visitai les chefs de plusieurs tribus puissantes, mais je trouvai leurs curs desséchés par légoïsme ; je leur fis part de mes malheurs et les priai de me fournir les moyens de les réparer : ils me les refusèrent. Dans une position semblable, ils neussent pas imploré en vain mon assistance quelques années auparavant. Indigné de leur ingratitude et froissé par tant dinjustice, je commençais à ne plus croire aux affections qui lient les hommes, et jétais tenté de penser que lintérêt, couvert du masque de lamitié quil profane, tient presque toujours sa place dans les relations quils ont entre eux.
« Mon étude du cur humain ne datait que du premier jour de mes revers, et cependant javais eu déjà loccasion de remarquer que la plupart de mes semblables, loin de saider entre eux à supporter les peines de la vie, étaient au contraire disposés à se réjouir des souffrances dautrui et se plaisaient à comparer létat de misère de ceux-ci au bien-être dont ils jouissaient, quoiquils ne le dussent souvent quà un crime heureux.
« Fatigué de solliciter de faux amis dont je navais pas même obtenu un témoignage dintérêt, je pris la résolution de madresser à un homme que je navais jamais vu, mais dont la bravoure et les brillants faits darmes faisaient ladmiration de tous les Malgaches. Cétait Rafaralah, chef dAntscianac.
« Avant dentreprendre mon voyage, je voulus voir les deux objets qui mattachaient encore à la vie, et les trouvant trop près de Tamatave et de René, je les conduisis chez un parent qui me devait ses troupeaux et son aisance ; je pensais que là ils auraient moins à craindre, car son habitation était située dans un lieu presque sauvage, près de la vallée des Bezonzons. Cependant, lorsque je les pressai contre mon sein en les quittant, un frisson me saisit ; mon cur se serra et une voix intérieure sembla me dire : « Tu ne les reverras plus. » Si javais écouté le pressentiment que Zanaar menvoyait, peut-être aurais-je évité bien des maux ; si, renonçant à la guerre et à la vengeance, javais élevé ma cabane près dun lac ou dune rivière, où ma pêche eût fourni aux besoins de ma famille, jaurais pu compter encore quelques jours heureux ; mais une fatale nécessité mentraînait sans doute malgré moi vers un gouffre de misère.
« Je trouvai dans Rafaralah lhomme généreux que je cherchais ; il avait connu le malheur depuis son enfance et nétait point insensible aux maux dautrui. La guerre quil soutenait depuis longtemps contre les Amboa-lambes (les Hovas) ne lui permettait pas de se joindre à moi pour attaquer mon ennemi, mais il engagea plusieurs de ses sujets à me suivre, et partagea avec moi les munitions de guerre qui lui restaient.
« Le petit nombre dhommes qui consentirent à maccompagner ne formaient quun faible détachement ; mais cétait ce quil me fallait pour le coup de main que je voulais tenter. Je pris le costume dAntscianac que portaient mes compagnons ; je fis tresser mes cheveux à la manière de leur pays et nous nous dirigeâmes vers Tamatave, en poussant devant nous quelques bufs ; ce qui nous donnait plutôt lair de marchands que de guerriers.
« Je restai dans les bois dont je connaissais les solitudes, et jenvoyai lun de mes gens dans le village où il feignit de vouloir vendre des bufs : les nouvelles quil me rapporta me désolèrent, car je vis limpossibilité de frapper mon ennemi.
« Enfermé dans une case semblable à celles du pays des blancs, la seule de ce genre qui fût à Tamatave, il eût fallu franchir un mur en bois de plus de trente pieds de hauteur, dont elle était entourée, pour parvenir jusquà lui ; encore eût-on couru le risque dêtre aperçu par ses Cafres féroces qui faisaient le jour et la nuit une garde vigilante jusque dans des guérites, placées à chacun des angles de la partie supérieure de cette muraille, garnie elle-même de pieux en fer, aussi aigus que nos zagaïes.
« Je me vis donc forcé de différer lexécution de mes projets sur Tamatave, et nous nous approchâmes dYvondrou, où la manière de vivre de Fiche, qui suivait les usages malgaches, nous permettait despérer plus de succès.
« À Yvondrou lhabitation du chef est située sur les bords de la rivière, et il était facile de se rendre en pirogue jusquà lune de ses portes ; lautre se trouve en face et à une petite distance du village dont la population est nombreuse ; ce ne fut pas celle-ci que nous choisîmes pour lattaquer.
« Lun de mes Zafféraminians avait conservé des relations avec son frère, qui métait resté fidèle et quune famille nombreuse entièrement composée de femmes avait pu seule empêcher de venir partager mon sort. Il habitait une maison retirée dans un petit bois qui nétait pas éloigné de la rivière dYvondrou ; ce fut chez lui que nous nous rendîmes le soir. Il nous procura des pirogues et des pagaïes, et lorsque la nuit fut avancée, favorisés par un beau clair de lune, qui me semblait un heureux présage, nous débarquâmes sans bruit près de la petite porte par laquelle on communiquait de la maison du chef avec la rivière.
« La palissade nétait pas haute, nous leûmes bientôt franchie ; mais le bruit que nous fîmes éveilla plusieurs chiens, et lun des hommes placés en sentinelle à la porte de Fiche poussa un cri dalerte. Heureusement pour nous, il ny avait là quun petit nombre de Malgaches que notre attaque inopinée déconcerta ; cependant ils firent feu sur nous, mais ne blessèrent personne. Japerçus Fouhi-loh, mon ancien ministre devenu celui de Fiche, qui prenait la fuite et cherchait à gagner la grande porte pour se rendre au village. La vue du traître me causa tant démotion que je tirai aussitôt sur lui, mais je ne pris pas le temps dajuster, il échappa à la punition que je destinais à ses crimes.
« Nous néprouvâmes quune faible résistance et nous fûmes en un instant les maîtres de la case que Fiche habitait ; nous le trouvâmes étendu sur sa natte, entouré de ses femmes et de plusieurs bouteilles darak ; son ivresse était si complète quil neut pas la force de se lever pour se défendre. Il saisit une zagaïe quil sefforça de me lancer, mais son coup mal assuré ne matteignit pas, et déjà le fer de la mienne avait pénétré dans sa poitrine ; plusieurs coups que mes compagnons lui portèrent presque en même temps mirent promptement un terme à ses souffrances. Jétais à moitié vengé, mais je neus pas le temps de jouir des dernières angoisses de mon ennemi ; je contemplais ses traits défigurés par la mort, quand jentendis une fusillade qui sengageait très vivement dans la cour. Cétait une partie de mes gens que les habitants du village attaquaient avec furie ; je mempressai daller les secourir.
« Jespérais que ma présence en imposerait à mes sujets, je me trompais, car elle produisit un effet tout contraire. Aussitôt quils me reconnurent, leur rage sembla saccroître et tous les coups furent dès lors dirigés sur moi ; plusieurs de mes gens furent tués et jeus beaucoup de peine à gagner le rivage avec ceux qui me restaient. Nos pirogues ny étaient plus, nos ennemis ayant eu soin de nous ôter notre unique moyen de retraite. Mon sang coulait abondamment des blessures que javais reçues et mes forces commençaient à mabandonner ; cependant, aimant mieux devenir la pâture des caïmans que de tomber vivant entre les mains de mes barbares sujets, je mélançai dans la rivière et gagnai non sans peine la rive opposée ; des balles que jentendis siffler à mes côtés et que je voyais effleurer leau ne matteignirent pas, mais une perte considérable de sang mayant épuisé, je tombai sur le sable sans connaissance et presque sans vie. Hélas ! si javais péri sur cette plage, tous mes maux eussent été finis, mais Angatch men réservait dautres pour les premiers moments de ma convalescence.
« Le jour ne tarda pas à paraître : une vieille femme qui venait puiser de leau me vit ; elle sapprocha croyant que jétais endormi, mais dès quelle aperçut des taches de sang sur le sable, saisie dhorreur elle recula et allait se retirer, quand me regardant avec plus dattention elle me reconnut pour son ancien maître. Cétait Vouloumanoure, vieille esclave que javais affranchie en récompense des longs services quelle avait rendus à ma famille. Dès quelle se fut assurée que mon cur battait encore et que mon souffle nétait pas entièrement éteint, elle laissa là son bambou et courut chercher son fils, jeune pêcheur qui me transporta dans la misérable cabane quils habitaient ensemble à quelques pas de la rivière.
« Vouloumanoure avait entendu le bruit du combat dYvondrou et se doutait du carnage que lon y avait fait. Ne me croyant pas en sûreté chez elle, elle ne voulut pas my laisser ; après avoir fait jurer à son fils quil garderait le secret, elle laida à me transporter dans sa pirogue et me conduisit chez son frère, pauvre Ampanire qui demeurait à quelques lieues de là.
« Vouloumanoure était née dans le pays des Sakalaves du sud et connaissait, comme toutes les femmes de cette nation guerrière, les plantes utiles aux blessés. Aussitôt que nous fûmes arrivés chez son frère, elle métendit auprès dun grand feu sur une natte quelle avait eu soin de couvrir de ses vêtements les plus propres, dans la crainte que mes plaies ne senvenimassent ; ensuite elle alla chercher dans le bois les médicaments qui métaient nécessaires ; à son retour, elle essaya de me faire avaler quelques gouttes dune infusion de safran mêlé avec des gommes et des plantes dont elle connaissait les vertus et qui réussirent en peu de temps à me rappeler à la vie.
« Pendant mon séjour chez lAmpanire, jétais sans cesse occupé de ma famille et de mes malheureux compagnons restés entre les mains des Anta-Yvondrou. Les douleurs que me causaient mes blessures encore ouvertes nétaient rien auprès de linquiétude que jéprouvais sur le sort des deux êtres qui métaient chers ; jétais éloigné deux depuis longtemps, je navais pas de leurs nouvelles, et mon état de souffrances ne me permettait pas de penser à les rejoindre ; des songes horribles mépouvantaient toutes les nuits et venaient encore accroître mes chagrins ; je voyais toujours dans mes rêves des chairs palpitantes et des yeux qui roulaient comme ceux des mourants.
« Le fils de Vouloumanoure venait souvent me voir ; il mapprit que Sialan était caché dans les bois des environs ; je le priai de lui faire parvenir quelques mots que jécrivis sur une feuille de bananier avec la pointe de ma zagaïe.
« Peu de temps après, cétait au milieu dune nuit orageuse, le craquement de la foudre venait déveiller mon vieil hôte et sa sur, la pluie résonnait en tombant sur les feuilles sèches qui couvraient notre cabane, et la hideuse chauve-souris, que les éclairs effrayaient, battait des ailes et poussait son cri sinistre. Plusieurs coups que nous entendîmes frapper à la porte me firent tressaillir ; javais lidée que ce ne pouvait être quun message de mort ; mais Vouloumanoure reconnut la voix de son fils et se hâta douvrir.
« Le pêcheur était accompagné dun vieillard ; cétait Sialan que le chagrin avait rendu méconnaissable. À son abord sombre et glacé, à ses yeux ternes et rougis par les pleurs, je devinai quil avait à mannoncer quelque grand malheur, car il navait jamais été ambitieux, et la perte du pouvoir auquel il attachait peu de prix navait pas pu laffliger de la sorte. Je nosais pas linterroger, mais lui-même madressant la parole me dit :
Aiguise le fer de la zagaïe, car le désir de la vengeance est le seul sentiment qui puisse désormais te donner la force de supporter la vie. Je vivais retiré près de Tamatave depuis que mon perfide collègue men eut fait chasser ; là quelques amis qui métaient secrètement attachés me rendaient compte de ce qui sy passait ; ils mapprirent ton expédition dYvondrou, mais la joie quelle me causa ne fut pas de longue durée. René, avide du sang des Malates, neut pas de peine à trouver loccasion de le répandre ; ton parent gagné par ses émissaires, sacrifiant à lavarice son honneur et le souvenir de tes bienfaits, consentit à leur livrer ta famille en échange de quelques marchandises dEurope.
Les victimes traînées à Tamatave furent réunies à tes fidèles Zafféraminians et à quelques guerriers dAntscianac, faits prisonniers à Yvondrou, et le soleil du lendemain éclaira une scène dhorreur.
René avait fait transporter le corps de son frère dans la plaine de Taniou. Cest là, près de son mausolée, que les prisonniers furent conduits. La plupart des Betsimsaracs, qui révéraient et chérissaient ma fille, firent tout ce quils purent pour la sauver ; les blancs, touchés de compassion pour les innocents quon allait immoler, offrirent à René des sommes considérables pour les soustraire à la mort, mais le tyran fut inflexible ; il ordonna aux Miangourandes de frapper ton fils. Le pauvre enfant fut massacré dans les bras de sa mère, qui bientôt tomba elle-même percée de plusieurs coups de zagaïes. Quatorze personnes, parmi lesquelles se trouvaient plusieurs de nos parents et de nos amis, furent ensuite sacrifiées aux mânes de Fiche. Jean René, vêtu dun habit de fête, triomphait au milieu des morts.
Je ne fus informé de ces cruautés que le soir ; si javais connu plus tôt mon malheur, je serais allé moffrir aux coups des bourreaux et jaurais partagé le sort des victimes ; cependant, je profitai de lobscurité de la nuit pour me traîner auprès delles ; mes jambes fléchissaient et jétais forcé de mappuyer sur quelques amis qui mavaient promis de maider à enlever ces corps chéris pour leur donner la sépulture ; mais je neus pas même cette consolation, car le sanguinaire René avait placé des gardes auprès deux. Ils nous empêchèrent den approcher ; ces soldats étaient des Betsimsaracs à qui javais fait du bien lorsque jétais chef ; je les suppliai tant que mes larmes les touchèrent ; ils consentirent à me donner des cheveux de la femme et de ton enfant ; aie toujours devant tes yeux ces tristes restes de ta famille assassinée, porte-les toujours sur ton cur ; puisse ce talisman te préserver des pièges des méchants ! puisse sa vue et les pensées quelle produira tinspirer le courage de vivre pour nous venger ! Moi, vieillard faible et inutile, étranger désormais sur la terre où je suis né, je mourrai errant et misérable, car le sang des anciens Malates est à jamais tari. »
Simandré, dont je partageais lémotion, ouvrit son simbou et détacha un sachet de soie bleue quil portait sur sa poitrine ; cétait le dernier présent de son beau-père, il renfermait une partie des restes précieux de ceux quil avait aimés.
Après que le chasseur les eut couverts de ses baisers et de ses larmes, il se leva, me fit un signe dadieu et disparut bientôt entre les arbres. Il se rendait à Amboudéhar pour engager Fouhirandre à sopposer au passage de larmée de Jean René.
CHAPITRE XV.
Chasse au bison. Départ de Maroussic. Riant aspect du pays. Village et port de Manourou. Commerce qui sy fait avec Maurice et Bourbon. Le chef Fouhi et sa religion. Entrée dans le territoire des Antatschimes. Le chef Fouhirandre. Ordre de larmée. Village de Taleva-lahé. Arrivée à Amboudéhar. Réception au son du cor. Le pont-levis. Entrée au conseil de Fouhirandre. Portrait du vieux chef. Apparente soumission des Antatschimes. Attaque soudaine et impétueuse de Fouhirandre. Déroute de larmée. Simandré dans la mêlée. Le voyageur rejoint René à Ombé-madinic. Pertes de larmée. Bravoure des Bétanimènes et des Betsimsaracs. On traverse les villages de Mahitzy, Zaza-kout, Benguy-mahia. Le Mangourou. Amboua-massiac, Azon-lahé, Ranou-vola, Raharaha, Ompissa. Descente en pirogue jusquà Mananzari.
Le chant des coqs sauvages (akoho ala) éveilla bientôt les Malgaches qui se disposèrent à entrer en chasse ; la fatigue de la nuit et le souvenir du chasseur noir, dont le récit touchant mavait profondément attristé, mempêchèrent dy prendre beaucoup de part.
Plusieurs bisons furent lancés et poursuivis par nos chiens, mais un seul tomba sous les coups des chasseurs. Cet animal ne diffère pas des autres bufs de Madagascar ; cependant je lui trouvai les cornes plus courtes, le poil plus lisse, les crins plus longs et mieux fournis ; quand il est excité par les chiens, son il devient ardent et féroce. Sa chair est maigre, sèche et coriace.
Nous rentrâmes de bonne heure à Maroussic ; je me gardai bien de parler à Jean René de ma rencontre de la forêt ; il mannonça que nous partirions le lendemain pour Manourou, les Affravarts ayant rempli tous leurs engagements envers lui. Il était déjà tard lorsque nous quittâmes Maroussic pour nous rendre à Manourou qui nen est quà une journée de marche au S.-O.
Nous suivîmes encore la côte et nous eûmes bientôt dépassé la forêt de Maroussic qui sétend dans une autre direction que celle où nous étions. Je maperçus que le pays dans lequel nous entrions ne ressemblait pas à celui que nous venions de traverser. Nous avions devant nous des plaines immenses et des marais couverts de riz ; leau des rivières était jaune comme les terres où elles coulaient, et leurs bords, dégarnis darbres, nétaient couverts que de quelques herbes courtes qui semblaient ny croître quavec peine ; les campagnes nétaient pas mieux boisées que le rivage. Je voyais beaucoup de villages dont les maisons me paraissaient nombreuses et mieux construites que celles des Bétanimènes ; des plantations de cannes à sucre et de tabac, des champs de maïs, de choux, dognons, annonçaient que les peuplades que jallais visiter avaient quelques idées dagriculture.
Jean René, certain dêtre bien accueilli à Manourou dont le chef était son ami, se disposa à y aller coucher ; mais il nous fallut beaucoup de temps pour gravir avec nos bagages le rocher escarpé et presque inaccessible au sommet duquel ce village est bâti.
Le district de Manourou est peu considérable ; son mouillage est très mauvais, sa passe étroite et difficile est entourée de brisants dont laspect fait frémir ; cependant les récoltes des environs étant abondantes, quelques bâtiments de Bourbon et de Maurice sexposent à mouiller sur un fond de corail où ils perdent souvent des ancres, pour enlever le riz, la cire, le tabac et la gomme copal, quon obtient là pour des marchandises de peu de valeur. Le riz que lon traite à Manourou est très blanc et de bonne qualité ; cest le plus beau de Madagascar et le plus estimé des marchands.
Avant dentrer à Manourou, larmée fit halte dans une grande plaine marécageuse où Jean René reçut un messager du chef Fouhi. Une demi-heure après, nous étions au village de Manourou, situé sur la rive droite de la rivière du même nom. Cest la résidence du chef. Un autre village est bâti sur une montagne près de la mer et sur la rive gauche ; cest sur cette montagne que sont construites les cases de traite des Européens.
Jean René voulant passer la nuit dans ce dernier village, où lair est plus salubre que dans les marais, nous traversâmes la rivière en pirogues.
Le chef, nommé Fouhi, vint nous faire une visite. Cétait un petit vieillard abruti par lusage immodéré quil faisait de larak ; il ne manqua pas de nous montrer, ainsi quil le faisait à tous les étrangers qui sarrêtaient dans son village, un gobelet dargent quil conservait comme une relique, nosant pas sen servir dans la crainte daltérer le brillant du métal ; il le tenait de M. Boucher, père de Jean René, devenu son frère de serment, pendant quil voyageait à Madagascar pour la Compagnie des Indes.
La nièce du chef laccompagnait ; cette femme, nommée Calou, était célèbre par sa beauté et par ses aventures : elle avait plus de trente ans au moment où je la vis, et cependant elle était remarquable encore par ses formes admirables et qui rappelaient les lignes élégantes et pures des statues antiques. Elle était veuve dun vieux négociant arabe que le commerce avait conduit à Madagascar.
Nous étions chez les Antatschimes et nous allions entrer, en quittant Manourou, sur les terres de Fouhirandre, principal chef de cette peuplade.
Nous ne restâmes quun jour à Manourou. En quittant ce village, nous fîmes route au sud. Fouhirandre, quoique très âgé, aimait encore la guerre ; il était redouté des Malgaches et surtout des Bétanimènes quil avait attaqués et vaincus plusieurs fois. Laccueil quil venait de faire à trois envoyés dÉmirne, chargés par Radama de demander sa soumission, donnait lieu de croire quil était disposé à lui résister : après avoir brûlé en leur présence le pavillon quils avaient ordre de lui donner, il avait fait zagaïer les deux messagers plus âgés et renvoyer lautre à Tananarivo pour rendre compte des résultats de leur mission.
Jean René, qui sattendait à un combat, eut soin de visiter les armes et de les faire charger avant le départ. Larmée marchait dans le même ordre que pour lattaque de Maroussic ; les volontaires du Grec Nicolle, qui, nouveau Léonidas, avait choisi le poste le plus périlleux, servaient déclaireurs et précédaient lavant-garde composée dHovas et commandée par Ratef ; les Affravarts, divisés en deux détachements, marchaient en tirailleurs et couvraient ses flancs ; Jean René se tenait à larrière-garde où il avait conservé une compagnie délite de la division hova pour résister au premier choc de lennemi en cas de surprise, si, tournant la position, il venait attaquer les derrières. Larmée nallait pas vite ; on était forcé de faire souvent des haltes ; les Malgaches, nétant pas assez vêtus, souffraient beaucoup de la pluie qui tombait continuellement. Après avoir fait environ une lieue au S.-O., nous nous arrêtâmes au village de Taléva-lahé, à lentrée de la forêt de Fandrona ; le chef de ce village, nommé Labavat, nous offrit du miel et des bananes.
Après une demi-heure de repos, nous continuâmes notre route au sud pendant une heure environ dans la forêt de Fandrona ; nous entrâmes ensuite dans des plaines fertiles couvertes de villages et de plantations de riz, de maïs et de tabac ; nous couchâmes dans le plus considérable de ces villages, que les Malgaches nomment Filoufac ; il est situé à un quart de lieue environ dans le sud de la forêt ; ses cases sont grandes et plus solidement construites que celles du nord.
Le lendemain, au point du jour, nous partîmes du village, et après avoir marché pendant quatre heures dans la même direction que la veille, nous aperçûmes Amboudéhar.
Amboudéhar, situé sur la rive droite du Mangourou, ne diffère pas des autres villages malgaches ; ses vastes magasins à riz et la maison du chef sont seuls remarquables ; les fortifications qui entourent ce village annonçaient quil avait été construit par un guerrier. Il était défendu par un fossé profond et par un triple rang de palissades garnies de raquettes.
Les sons du cor qui partirent du fort métonnèrent lorsque nous fîmes notre entrée dans la ville, car cétait pour la première fois que jentendais cet instrument à Madagascar. Les maisons étaient presque toutes abandonnées, ce qui nous porta à croire que tous les hommes propres au combat sétaient retirés dans la place. Jean René, après avoir choisi des positions et placé des postes, envoya Ratef et Ratsi-atou en parlementaires auprès de Fouhirandre ; je demandai à les accompagner, ce qui me fut accordé.
Lorsque nous nous présentâmes aux portes du fort, le cor se fit encore entendre, et peu dinstants après un Malgache parut à une large meurtrière pratiquée dans une espèce de guérite qui dominait la palissade extérieure.
Dès quil connut lobjet de notre mission, il fut en rendre compte au chef qui donna lordre de nous recevoir. On abattit sur le fossé un pont-levis, si lon peut donner ce nom à un faible châssis composé dun cadre garni de feuillages, sur lequel nous passâmes ; on nous fit traverser une cour spacieuse où étaient un grand nombre de Malgaches armés de fusils et de zagaïes ; au bout on voyait une case étroite et élevée surmontée dune espèce de donjon ; là demeurait le chef ; on nous y fit monter par une échelle qui servait descalier.
Fouhirandre présidait alors son conseil composé de plus de vingt guerriers ; une chaise en bois grossièrement sculptée lui servait de trône, un esclave à genoux tenait au-dessus de sa tête un parasol à carreaux blancs, bleus et rouges. Ce chef était aussi noir quun Cafre ; ses yeux louches et faux donnaient à son visage balafré une expression dure et repoussante. Il nétait pas mieux vêtu que le plus pauvre des Malgaches ; un mauvais seidik de grosse toile le couvrait depuis les genoux jusquà la ceinture ; son simbou, de la même étoffe, déjà usé, nétait pas assez grand pour le couvrir entièrement et laissait voir de larges cicatrices sur sa poitrine velue ; il avait une barbe grise épaisse, et sa tête était couverte dune forêt de cheveux laineux ; il paraissait avoir au moins soixante ans et était encore robuste, quoiquil eût passé la plus grande partie de sa vie à la guerre. Ce chef était aimé des Antatschimes, quil traitait plutôt comme des camarades que comme des sujets ; il leur distribuait toujours le butin quil rapportait de ses expéditions et ne gardait de son propre bien que ce quil lui fallait pour vivre. Il était dune sobriété assez rare chez les Malgaches ; la plupart du temps, un peu de riz suffisait à ses besoins.
Non-seulement Fouhirandre ne se leva pas pour recevoir les officiers hovas, mais il ne daigna pas même répondre à leur salut ; il chargea lun de ses ministres de sexpliquer avec eux. Il eut pour moi plus dégards, sans doute parceque jétais un blanc, car il minvita à masseoir près de lui sur un petit tabouret ; sa sur quil avait fait appeler nous servit dinterprète : elle était fille dun blanc et avait résidé plusieurs années à lîle de France où elle avait appris le français ; un fils quelle avait eu dun médecin de cette colonie est aujourdhui grand-juge à Foulpointe ; il sappelle Henri Senec du nom de son père.
Après de longues discussions, Ratef et Ratsi-atou se retirèrent ; ils paraissaient satisfaits de leur entrevue. Je restai à dîner avec le chef qui avait fait beaucoup dinstances pour me retenir et qui chargea sa sur de nous apprêter un repas créole.
Jean René mannonça, lorsque je rentrai, que Fouhirandre avait consenti à reconnaître lautorité de Radama ; en effet le lendemain ce chef parut au kabar quon avait réuni sur la place ; il nétait suivi que dune faible escorte. Lorsquil se retira après les cérémonies du serment, Jean René ordonna aux Betsimsaracs de faire une décharge de mousqueterie, mais une balle, qui se trouvait sans doute par hasard dans lun des fusils, traversa la cuisse dun jeune homme qui marchait auprès du chef dAmboudéhar.
Ce fut le signal dun combat terrible qui ne tarda pas à sengager ; Fouhirandre, croyant ou feignant de croire quon avait voulu lassassiner, se mit à la tête de ses troupes qui sortirent du fort et nous attaquèrent avec tant de furie que les Hovas eux-mêmes, culbutés par le premier choc, furent forcés de battre en retraite.
Jean René se hâta de prendre la fuite et perdit une grande partie de ses bagages. Japerçus Simandré dans la mêlée ; il faisait un carnage affreux et cherchait des yeux le général en chef qui nétait déjà plus à portée de sa carabine. Quoique je neusse rien à craindre de Fouhirandre, je regrettais de navoir pas pu suivre larmée ; mais la case que jhabitais se trouvant à lune des extrémités du village, je neus pas le temps de réunir mes maremites. Je fus donc obligé davoir recours à la sur du chef qui était restée presque seule dans le fort, car les Antatschimes étaient encore à la poursuite de larmée de Jean René. Cette femme me procura une mauvaise pirogue dans laquelle je traversai le Mangourou ; après avoir marché jusquau soir vers le sud, en suivant la rive gauche du Mangourou, je marrêtai pour coucher au village de Ratsar-Zanaar, où je me décidai à attendre des nouvelles de larmée.
Ratsar-Zanaar, situé sur la rive gauche du Mangourou, est un petit village qui ne contient pas plus de trente cabanes, et dont les environs sont couverts de rizières.
Le jour suivant un maremite que javais envoyé à la découverte de lannée de René étant venu mannoncer quelle était campée près du village de Ombé-madinic (le petit-buf), je quittai Ratsar-Zanaar vers midi, et je marchai jusquau soir à louest, en suivant toujours la rive gauche du Mangourou ; je rencontrai les avant-postes de larmée où je pris un guide qui me conduisit à Ombé-madinic.
Ce village est composé denviron soixante cases ; cest un chef-lieu de district ; la pente des montagnes des Antatschimes commence à sy faire sentir.
Jappris là que les pertes de larmée étaient considérables ; mais les Hovas et les Affravarts seuls avaient souffert ; car les Betsimsaracs et les Bétanimènes avaient fui avec tant de vitesse que les balles navaient pu les atteindre.
Le 12 juillet nous nous mîmes en marche vers louest dans les montagnes et nous nous arrêtâmes au petit village de Mahitzy, situé sur la rive gauche du Mangourou ; nous continuâmes à marcher jusquau soir dans la même direction, et le soleil était couché quand larmée campa près du village de Zaza-kout où nous passâmes la nuit.
Le village de Zaza-kout est situé sur la rive gauche du Mangourou ; ses cases sont petites et malpropres ; ses habitants, sans industrie comme tous les montagnards antatschimes, ne vivent guère que de lait et de fruits ; les bananes y sont très abondantes.
Le 13, nous levâmes le camp et nous arrivâmes pour dîner au village de Benguy-mahia où je vis beaucoup de chèvres dune petite espèce que lon appelle cabris aux îles Maurice et Bourbon ; leurs cornes sont courtes, leur poil est ras, et presque toujours de couleur fauve ; elles donnent très peu de lait. Benguy-mahia signifie chèvre-maigre.
Après un instant de repos, nous suivîmes un bras du Mangourou qui court au sud-est ; nous arrivâmes la nuit au village de Voulou-mas où nous couchâmes.
Le 14, nous marchâmes au sud-ouest et nous campâmes pour dîner au village dAmboua-massiac (ou chien dangereux), situé sur la rive droite du Mangourou ; dAmboua-massiac, nous suivîmes toujours au sud le cours du Mangourou. Nous nous arrêtâmes pour la nuit près de Vouï-bé (beaucoup de montagnes), village situé sur la rive droite du Mangourou, et plus grand que tous ceux que nous avions rencontrés jusqualors dans les montagnes des Antatschimes.
Nous traversâmes le Mangourou dès quil fit jour, et après avoir marché au sud jusquà une heure environ, nous fîmes halte un instant au village dAzon-lahé, ou du tambour.
Le soir nous rencontrâmes de belles cascades formées par la rivière de Mananzari ; cest près de ces cascades quest situé le grand village de Ranou-vola, ou eau dargent ; nous y couchâmes.
Le 16, nous suivîmes le cours de la rivière de Mananzari, qui se dirige au sud-est ; nous nous arrêtâmes vers une heure au village de Raharaha et nous campâmes le soir près du village de Fihiratse, ou de la veillée.
Le 17, nous continuâmes à marcher au sud-est, nous dînâmes au village de Monhali ; le soir nous arrivâmes à Ompissa, ou la chanteuse.
Le chef du village nous apprit que la rivière de Mananzari était navigable en pirogue jusquà la côte. Jean René donna lordre au major Ratsiatou de nous rejoindre à Mananzari, et le prince Ratef ayant remis le commandement à cet officier, nous nous embarquâmes tous les trois dans une grande pirogue et nous descendîmes la rivière, sans nous arrêter, jusquà Mananzari.
CHAPITRE XVI.
Mananzari et son mouillage. Visite à létablissement du capitaine Arnous. Mahéla, et son commerce de riz. Départ pour le pays des Ranoumènes. Île Karmichouk. Dispersion subite des Ranoumènes. Arrivée à Namour. Accueil du chef de ce village. Faraon. Présage funeste pour les Malgaches. Larmée manque de vivres. Le voyageur se rend seul à Faraon pour traiter des provisions. Description de Faraon. Résolution de Dianansaïe ; dialecte particulier de son peuple. Larmée continue sa route en brûlant les villages des Antaymours.
Le village de Mananzari, où nous arrivâmes très tard dans la soirée, est situé sur la rive droite et à deux portées de fusil dans le nord-est de la rivière. Son mouillage est très loin de la terre et nest pas sûr, quoiquil soit abrité par une pointe de sable couverte darbres.
Le lendemain de notre arrivée à Mananzari, jallai visiter une plantation de cafiers, faite depuis peu de temps par le capitaine Arnous ; la beauté de ces arbres métonna ; elle pouvait donner une idée de la végétation à Madagascar, car ils étaient aussi avancés que ceux que javais vus à lîle Bourbon, quoiquils neussent que la moitié de leur âge.
Le 20, je me rendis à Mahéla, petit village situé à dix lieues environ dans le nord de Mananzari, près de la mer, et qui ne vaudrait pas la peine quon en parlât si quelques Français, attirés par les belles récoltes de riz que produit son territoire, ne sexposaient pas aux plus grands dangers pour lexporter. Le mouillage entouré décueils est à plus dune lieue du rivage, et un capitaine assez courageux pour y jeter une ancre doit sestimer très heureux quand il ne la perd pas ; car les bâtiments, ballottés sans cesse par les vents et les courants, brisent souvent leurs chaînes, et sils ne sont tenus que par un câble, il est bientôt coupé par le corail dont le fond est parsemé.
Revenu le 21 à Mananzari où larmée resta quatre jours, je me décidai à visiter le pays des Ranoumènes et je quittai Mananzari en pirogue, accompagné dune femme du pays nommée Rava, après avoir promis à Jean René de le rejoindre à lembouchure de la rivière de Namour.
Après un trajet dune heure au S.O. nous abordâmes à Karmichouk, grande île située sur la rivière de Mananzari. Elle est assez fertile en riz, mais on ny voit pas un seul arbre ; le peuple qui lhabite se nomme Ranoumène, ce qui signifie eau rouge ; ses murs sont plus douces que celles des Antatschimes dont il est tributaire ; il est pasteur et pêcheur.
Les Ranoumènes sont petits, mais bien faits ; leur physionomie annonce le calme et la douceur ; ils ont beaucoup moins de cheveux et de barbe que les Antatschimes ; leur organisation physique paraît aussi plus délicate.
Aussitôt quils eurent appris mon arrivée, ils mapportèrent des vivres en abondance ; les uns étaient chargés de riz et de fruits, dautres me donnaient, pour quelques grains de verre, des paniers pleins de chapons, des ufs, du poisson et des carottes dexcellent tabac. Je continuais mes échanges quoique la nuit fût déjà avancée, quand un coup de fusil que nous entendîmes les dispersa comme une volée doiseaux ; mes hospitaliers Ranoumènes senfuirent épouvantés, sélancèrent dans leurs pirogues et laissèrent en un instant le village désert.
Le coup de fusil qui leur avait causé tant de frayeur était parti dune grande pirogue qui côtoyait lîle ; elle était conduite par un seul homme que mes maremites reconnurent : cétait un miangourande de Jean René nommé Béniola, il aborda bientôt et nous raconta quayant été envoyé devant larmée avec la pièce de campagne, la frayeur lavait saisi en se trouvant seul la nuit dans un pays étranger, où il napercevait pas dhabitation, ce qui lavait décidé à tirer un coup de fusil.
Lorsque nous partîmes de Karmichouk lîle était encore abandonnée, les pacifiques Ranoumènes sétaient cru sans doute attaqués la veille par toutes les forces de Jean René. Nous laissâmes notre pirogue sur la rive gauche et nous gagnâmes la côte que nous suivîmes au S.O. jusquà un petit village dAmpanires.
La nuit sapprochait lorsque nous arrivâmes à un second village dAmpanires situé à lembouchure de la rivière de Namour et près duquel je rejoignis larmée ; les habitants nous procurèrent des pirogues avec lesquelles nous remontâmes. Après un trajet dune heure à louest, nous aperçûmes Namour située sur la rive gauche de la rivière de ce nom qui prend sa source dans les montagnes des Antatschimes, et bâtie sur une montagne de terre rouge ; cest le premier grand village du pays des Anta-ymours que lon rencontre en allant dans le sud. Les campagnes de ce pays sont aussi nues que celles que lon rencontre en allant de Maroussic à Manourou, le terroir est le même ; on ny voit que quelques cocotiers et des orangers dont les fruits sont délicieux. Les maisons de Namour sont plus élevées et plus solides que celles des autres villages malgaches, mais elles sont moins propres et moins aérées.
Le chef de Namour vint nous recevoir au pied de la montagne, et nous accompagna jusque dans le village ; en abordant René il se prosterna à la manière des Orientaux ; chaque fois quil passait devant nous il se tenait courbé et fixait ses yeux à terre ; ses officiers faisaient de même. Jean René fut content de laccueil des habitants de Namour, et, après avoir exigé du chef le serment de fidélité à Radama, il se dirigea sur Faraon.
Ce village nétant quà une journée de marche de Namour, nous espérions que larmée trouverait sur la route assez de vivres pour sy rendre, et que nous pourrions y coucher le soir même ; nos prévisions ne se réalisèrent pas : tous les villages où nous passions étaient abandonnés, et le pays dépourvu de subsistances ; on ny voyait pas un seul buf.
Cette émigration des habitants à lapproche de larmée inquiétait René qui supposa que les Anta-ymours sétaient concentrés à Faraon dans lintention de se défendre.
Parti le 28 au matin de lembouchure de la rivière de Namour et suivant la côte au S.O. nous nous arrêtâmes vers midi près dune petite rivière où il ny a que quatre ou cinq cases dAmpanires ; jusquau soir larmée suivit la même direction et campa sur le rivage.
Le lendemain 29 elle prit position près de la rivière de Faraon.
Faraon, bâti sur une grande île à peu près au centre de la rivière, est fortifié et peut contenir huit cents cases. Nous nen étions pas à plus dune demi-lieue. Lesprit des Malgaches fut ici frappé dun présage quils considérèrent comme sinistre : plusieurs vaches noires, que les Anta-ymours, après avoir tué leurs veaux, avaient laissées dans la savane où nous étions campés, couraient çà et là, et beuglaient pour les appeler.
Leau de la rivière étant saumâtre, quelques Betsimsaracs, qui sétaient éloignés du camp pour en chercher de potable, revinrent tout épouvantés annoncer une nouvelle qui avait accru encore la frayeur des soldats de René ; ils avaient trouvé un ruisseau deau limpide, que les Ombiaches avaient entouré de fanfoudis, dont les effets devaient, disaient-ils, causer la mort de ceux qui seraient assez téméraires pour en approcher ; ils avaient vu les ravines ou feuilles qui servent aux enchantements suspendues au-dessus de la source où étaient aussi déposés des chiens et des veaux morts, offerts en sacrifice à Angatch.
Les Malgaches nayant plus de riz étaient obligés de vivre de racines quils faisaient bouillir. Jean René manquait de forces pour attaquer le second village des Anta-ymours où sétait réfugiée une grande partie de la tribu. Dailleurs il eût fallu du temps pour construire des pirogues ou des radeaux, et le découragement commençait à semparer des soldats.
Je proposai à René daller acheter des vivres à Faraon, où ma qualité de blanc me mettait à labri de toute insulte. Jétais curieux de connaître ce village, le plus considérable du pays des Anta-ymours après Matatane. Une chose membarrassait : je navais pas de pirogue et il eût fallu plus dun jour pour en faire une ; les miangourandes, à qui je promis une récompense, eurent bientôt levé cette difficulté ; ils découvrirent une petite pirogue cachée dans un bois des environs et me lapportèrent quelques heures après.
Aucun Malgache ne voulut maccompagner à Faraon ; la femme de la tribu des Zafféraminians, que javais amenée de Mananzari et qui connaissait les usages des Anta-ymours pour avoir déjà voyagé dans leur pays, consentit à me suivre et à me servir dinterprète.
Je brisai une caisse de sapin pour faire deux pagaïes, et Rava et moi nous nous embarquâmes avec de la poudre, des piastres dEspagne et de la toile. La pirogue étant légère, nous neûmes pas de peine à la conduire jusquà lîle où les avant-postes de lennemi nous arrêtèrent. On envoya un officier auprès du chef ; il revint un moment après nous annoncer quil nous était permis dentrer dans la place.
Le village de Faraon était assez bien fortifié, les palissades en étaient longues et leurs extrémités terminées en pointe ; je remarquai pour la première fois à Madagascar des chevaux de frise.
Le chef était un jeune homme appelé Dianansaïe ; il me reçut assez bien, mais après que Rava lui eut expliqué que jétais étranger aux affaires malgaches, et que le commerce et la curiosité mavaient seuls conduit dans son pays, il devint encore plus affable ; il me permit dacheter dans la ville tous les vivres dont javais besoin. Je lui fis cadeau dune pièce de toile et dun peu de poudre, et je métablis dans la case où les habitants, prévenus que je voulais acheter du riz et des poules, ne tardèrent pas à men apporter. Ils ne voulaient les échanger que contre de la poudre, ce qui prouvait quils étaient disposés à se battre. Je ne pus traiter que deux sacs de riz, ma pirogue nétant pas assez grande pour recevoir une charge plus forte.
Avant de quitter Faraon, je parcourus le village que je trouvai beaucoup plus grand que Namour, mais construit de la même manière. Les rues étaient encombrées dhommes armés, et la palissade me parut renfermer au moins dix mille hommes ; cétait beaucoup, la population de lîle entière nétant pas de plus de trois millions dâmes.
En prenant congé du chef, je lui demandai sil désirait faire savoir quelque chose à Jean René. « Dis-lui, me répondit-il, que je ne refuse pas de reconnaître lautorité de Radama, mais que je ne veux pas que ses soldats viennent occuper mon pays, car je suis capable de le défendre moi-même. Quil vienne attaquer Faraon, et il verra si les Anta-ymours savent aussi bien se servir de la zagaïe que du manpila ! » Dianansaïe prononça ces paroles avec tant dintention et dénergie que je remarquai plus son accent que celui des autres Anta-ymours que javais entendus parler. Les gens de cette tribu parlent lidiome malgache, mais ils ont un dialecte particulier et une prononciation différente ; ils traînent les dernières syllabes des mots et chantent leurs phrases comme un récitatif.
Jean René fit distribuer à ses soldats le riz que javais rapporté, et, se voyant forcé dabandonner Faraon, il marcha dès le lendemain sur Matatane, après avoir donné à ses officiers lordre dincendier tous les villages des Anta-ymours quils rencontreraient. Jen vis brûler un assez grand nombre avant darriver à lembouchure de la rivière dItapoul où nous nous arrêtâmes un instant. À midi, nous étrons sur le bord de la rivière de Matatane.
CHAPITRE XVII.
Rivière et village de Matatane. Honteuses coutumes des Anta-ymours importées par les Arabes. Leur respect pour lautorité des chefs. Différence des épreuves subies dans les procès criminels suivant les localités. Épreuve du flot de la marée au Fort-Dauphin. Exposition aux caïmans chez les Anta-ymours. Histoire de la jeune Rakar, accusée de relations criminelles avec un esclave. Courage héroïque de la jeune fille. Issue de lépreuve épouvantable quelle subit.
La pointe de Matatane savance dans le sud assez loin dans la mer ; les Malgaches disent quelle a été formée par un bras du géant ennemi des Malgaches, qui fut coupé par Dérafif, leur génie protecteur.
Nous remontâmes en pirogues la rivière de Matatane et nous arrivâmes, après un trajet dune heure et demie, au N.-O., au village de ce nom, situé sur une grande île près de la rive droite. Il est composé denviron huit cents cases solidement construites, et fortifié à la manière du pays. Matatane est la capitale des Anta-ymours et la résidence du chef ; sa population est moins considérable que celle de Faraon.
Ratsimitouvion, alors leur chef, fut déposé peu de temps après ; il passait pour un homme avare, ivrogne et cruel. Tous les étrangers qui avaient voyagé dans son pays se plaignaient de sa mauvaise foi. Il nous reçut cependant très bien, parcequil avait alors besoin de lappui du roi des Hovas dont il était le frère de serment ; cétait lui qui fournissait au prince des secrétaires et des pages, et il avait depuis fort longtemps reconnu sa suzeraineté.
À Matatane, je remarquai à la suite des troupeaux, comme je lavais déjà fait à Namour, une vache plus belle et mieux soignée que les autres ; elle était grasse, son poil était court, propre et luisant ; ses cornes étaient ornées de guirlandes de fleurs et de plantes odorantes, que le pâtre avait soin de renouveler tous les soirs quand il revenait du pâturage.
Je demandai à la femme zafféraminiane qui me servait de cicérone et dinterprète, car je ne savais pas encore le malgache, à quoi cet animal servait. « Aux plaisirs du maître, me répondit-elle ; chaque chef de famille a la sienne. Quand un Anta-ymour arrive de voyage, après sêtre absenté de sa maison, ne fût-ce que pendant une nuit, la coutume exige quil se purifie avec cette vache avant quil lui soit permis dapprocher de la couche conjugale ; sa vadi-bé elle-même lui en interdirait lentrée, si elle navait pas été présente à ce honteux accouplement. Nous reprochons aux Anta-ymours leur goût pour la bestialité, et nous les appelons manabadi-aombé, ou épouseurs de vaches. »
Quelque dégoûtant que soit cet usage, jai cru devoir en parler, parcequil est né dun vice que Moïse reprochait aux Israélites et dont il ordonna le châtiment ; il est probable que les Arabes lauront apporté chez les Anta-ymours. Il peut servir, dailleurs, à donner une idée de leur morale relâchée et du peu de délicatesse de leurs goûts. Le récit de mon interprète ne mayant pas satisfait, parceque je doutais de sa véracité, je priai Jean René de demander au chef si je pouvais y ajouter foi ; il affirma quelle ne men avait point imposé et que les Anta-ymours tenaient cette coutume de leurs ancêtres.
Quoique les chefs de cette tribu soient élus par le peuple, on a pour eux, pendant quils exercent le pouvoir, un respect qui tient de ladoration ; mais si une récolte de riz vient à manquer ou sil survient toute autre calamité, on les dépose aussitôt, quelquefois même on les tue, et cependant on choisit toujours leur successeur dans leur famille.
Pendant notre séjour à Matatane, on était occupé dun procès fameux qui devait être bientôt jugé. Je trouvai si étrange leur manière de procéder, dont je me fis rendre compte, que je priai Jean René de rester dans ce village quelques jours de plus quil navait lintention de le faire, afin de pouvoir assister à ces curieux débats.
À Madagascar, les épreuves du tanghin et du fer chaud ne sont pas les seules en usage ; les formes et les instruments de supplice varient selon les lieux et les habitudes des peuples qui les emploient.
Au Fort-Dauphin, cest au pied de la roche dItapère que les gens accusés de crime ou de sorcellerie subissent lépreuve consacrée par la coutume du pays. Là, cest le plus ou moins de brise ou le degré délévation de la marée qui décident du sort des infortunés quon y conduit. Ils doivent se tenir debout, les mains appuyées sur le rocher fatal et les jambes dans la mer jusquaux genoux, pendant un intervalle de temps dont la durée est fixée. Si les vagues qui viennent toujours se briser avec fracas sur les récifs dont cette côte est hérissée ne leur couvrent quune partie des cuisses, ils sont proclamés innocents. Mais si par malheur, une goutte deau détachée de la lame vient à mouiller la partie supérieure de leur corps, ils tombent à linstant percés de plusieurs coups de zagaïe.
À Matatane, cest aux caïmans quon laisse le soin de rendre la justice.
On attendait avec impatience la pleine lune. Dès quelle parut, le juge convoqua les parties intéressées et fit avertir le chef qui devait se trouver au kabar avec sa famille ; quelques heures après, il était alors environ dix heures, lassemblée se réunit dans une plaine marécageuse près de laquelle était une très large rivière qui servait de retraite à un grand nombre de caïmans.
La proie quon leur destinait cette nuit-là était une jeune fille denviron seize ans, dune figure douce et dun maintien modeste, quun parent jaloux et cupide accusait davoir eu des liaisons damour avec un esclave ; crime réputé horrible à Matatane et surtout dans la caste des Zanak-andia où cette jeune fille était née : son père, mort quelques années auparavant, était un chef puissant des montagnes ; il navait pas laissé denfant mâle.
Le chef ordonna à Rakar, cétait le nom de la jeune fille, de sasseoir au milieu du cercle où elle écouta patiemment le discours du juge, qui, après avoir parlé de la violation des anciennes coutumes, devenue, disait-il, fréquente depuis quelque temps, commença le sahali par un exposé de laffaire.
Lorsquil eut reproduit les dispositions à charge et fait connaître les motifs sur lesquels laccusation sappuyait, il adjura Rakar davouer son crime ; mais elle lui répondit dun ton ferme : « que les caïmans jugeraient si elle était coupable et que lon saurait bientôt la vérité. » Alors le juge la livra à lombiache qui lui prit la main et la conduisit à la rivière.
Le triste sort de cette jeune fille mavait touché et jaurais donné volontiers toutes mes marchandises pour la sauver si la chose eût été possible ; je le proposai au chef qui sourit et ne daigna pas même me répondre.
Lorsque Rakar eut entendu la conjuration de lombiache qui commandait aux caïmans de la saisir et de la dévorer si elle était coupable, elle se tourna vers ses compagnes qui lavaient suivie jusquau bord de leau et les remercia du témoignage dattachement quelles venaient de lui donner ; elle leur demanda un ruban pour attacher ses cheveux dont les tresses lauraient embarrassée en nageant ; ensuite elle ôta son simbou et son seidik et sélança nue dans la rivière.
Je frémissais en la voyant entourée de caïmans dont les têtes surnageaient et qui semblaient la poursuivre ; tous les yeux étaient fixés sur elle, car sa jeunesse intéressait la plupart des assistants qui admiraient en même temps son courage.
La lune éclairait cette scène affreuse et me permettait de suivre tous les mouvements de la jeune fille ; elle nageait dune vitesse étonnante ; bientôt elle arriva près dun îlot couvert de joncs qui servait de repaire aux caïmans. Cétait le lieu désigné pour lépreuve ; Rakar ne craignit pas de la subir, car elle plongea trois fois devant lîlot fatal. Chaque fois quelle disparaissait, je perdais lespérance de la revoir ; cependant elle eut le bonheur déchapper aux griffes hideuses du caïman, et quelques minutes après elle était au milieu de nous et recevait les félicitations de la foule qui poussait des acclamations de joie.
Le délateur de Rakar fut condamné à lui payer des dommages-intérêts si considérables que leur valeur excédait celle de ses troupeaux et de ses bufs ; mais comme cette jeune fille avait un bon cur, elle consentit à lui en faire la remise et labandonna à ses remords.
CHAPITRE XVIII.
Larmée continue sa marche. Villages de Sahada et dAmpa-minta. Montagnes des Chavoaïes. Indices de mines ferrugineuses. Huttes des Chavoaïes. État grossier et misérable de cette peuplade. Ignorance où ils sont des autres habitants de lîle. Leur origine probable. Leurs croyances. Pays des Chaffates. État sauvage dans lequel ils vivent. Excursion à Fahandza, leur principal village. Panique des habitants. Entrevue avec un vieillard Chaffatte. Discours singulier du vieux sauvage. Terreur superstitieuse des Chaffates à la vue du voyageur à cheval. Nourriture de ces peuples. Mission de Ratsiatou. Entrée dans les montagnes des Vourimes. Village de Hantsy-lava. Froid excessif du climat. Jean René sur le point dabandonner la campagne. Nouvelles de Ratsiatou. Le bourreau malgache. Trahison des ministres de Jakamaëf. Entrée à Mononga-bé, capitale des Vourimes. Retour de larmée. Halte à Sakaléon. Ombé-marou, ville principale de ce district. Richesse du chef Vouaré. Les Vourimes prêtent le serment de fidélité. Fouhirandre soppose au passage de larmée sur son territoire. Maladie grave et guérison merveilleuse de Jean René. Arrivée à Tamatave.
Quoique fatigué des impressions de la veille, il me fallut, le 5 août, suivre larmée qui se mettait en marche pour attaquer les Vourimes ; Jean René ne pouvant pas, disait-il, rester un jour de plus à Matatane sans déranger son plan de campagne.
La première journée ne fut pas pénible ; nous quittâmes Matatane en pirogues et nous allâmes vers le sud. Le soleil se couchait lorsque larmée sarrêta et planta ses tentes sur une colline assez riante doù nous apercevions les montagnes quil nous fallait gravir pour atteindre lennemi. Nous étions campés près du village de Sahada, situé sur la rive gauche de la rivière de Matatane.
Le 7, après une journée de marche au sud-ouest dans des plaines marécageuses, nous nous arrêtâmes au village de Ampa-minta, situé à une portée de fusil de la petite rivière de Mahitzy, qui prend sa source dans le pays des Chavoaïes. À une demi-journée de la rivière commencent les montagnes des Chavoaïes.
Ces montagnes sont peu fertiles, nous les traversâmes le 8 en nous dirigeant toujours au sud-ouest. Il était facile de sapercevoir que nous marchions sur des mines de fer ; le sol aride et brun était couvert de petits cailloux noirs qui blessaient encore moins les pieds durcis des Malgaches que ceux de mon cheval qui nétait pas ferré, suivant lusage de ces pays.
On rencontrait quelques villages dont les huttes, composées de branches darbres grossièrement juxtaposées en forme de tentes, semblaient plutôt destinées à abriter des animaux quà loger des créatures humaines. Ceux que le destin avait condamnés à vivre et à mourir dans ces huttes, exposés au froid et à la pluie, paraissaient cependant satisfaits de leur état grossier et misérable ; notre passage était venu troubler pour un instant leur tranquillité et leur bonheur. Ils navaient peut-être jamais eu lidée de lexistence dautres êtres queux-mêmes, et ils prenaient la fuite dès quils nous apercevaient. Les Chavoaïes ne connaissaient ni largent ni la toile dont ils navaient jamais entendu parler ; leurs vêtements étaient des nattes grossières quils fabriquaient avec les joncs de leurs marais. Si nous parvenions à atteindre quelques-uns de ces sauvages, ils ouvraient des yeux hébétés et la sueur leur inondait le visage en nous approchant. Quand nous leur prenions quelques poules nous leur donnions des grains de verre colorés quils estimaient plus que de lor, car ils connaissaient lusage des rassades, unique ornement de leurs femmes et de leurs filles qui pour la plupart vont toutes nues jusquà lâge de puberté.
Ces sauvages descendent probablement des habitants primitifs de Madagascar ; ils disent que leurs ancêtres ont toujours habité cette île et faisaient partie dune peuplade très nombreuse que la guerre a dispersée. Je leur trouvai beaucoup de ressemblance physique avec les Ranoumènes ; leurs cheveux sont tressés de la même manière, et leurs habitudes aussi paisibles ; leurs croyances aux deux principes et aux sorciers sont les mêmes que celles des Antatschimes ; ils ne communiquent cependant ni avec eux ni avec les Anta-ymours leurs voisins, et ne sortent jamais de leurs montagnes.
Après une journée de marche dans les montagnes des Chavoaïes, larmée campa près dune source. Un petit village qui nen est pas éloigné avait été abandonné par ses habitants.
Le pays des Chaffates dans lequel nous entrâmes, le lendemain 9, est un peu moins stérile, mais encore plus sauvage que celui des Chavoaïes. Là il ny a pas dassociations dhommes assez nombreuses pour composer des villages ; aussi ny voit-on que des hameaux formés de la réunion de douze ou quinze cases.
Le costume des Chaffates est plus misérable encore que celui de leurs voisins ; leurs montagnes étant plus élevées, ils nont pas comme eux des marais qui leur procurent du jonc pour faire des nattes ; presque tous nont quun seul petit morceau décorce darbres pour couvrir leur nudité.
Nous marchâmes pendant deux jours à louest dans les montagnes ; les sentiers commençaient à devenir difficiles et larmée était forcée de faire de fréquentes haltes. Je profitai de ce retard pour visiter le pays des Chaffates ; je pensais que si je me rendais seul à leur grand village, il me serait facile, en attendant larmée, de faire connaissance avec quelque indigène dont je pourrais obtenir des renseignements sur les ressources et les usages de sa peuplade.
Je me mis donc en route à cheval, nayant pour escorte que mes maremites et quelques miangourandes de la garde de René. Nous rencontrâmes bientôt plusieurs Chaffates, mais il nous fut impossible den aborder un seul ; dès quils nous apercevaient, ils se sauvaient avec tant de vitesse que mon cheval au galop naurait pas pu les atteindre si létat de la route meût permis de les poursuivre.
Jespérais causer moins de frayeur aux habitants de Fahandza, leur village principal où jentrai avant larmée, après deux jours de marche toujours à lO. et dans les montagnes. Mais à notre arrivée lépouvante fut générale ; les mères se hâtèrent denlever leurs enfants et de prendre la fuite ; les hommes les suivirent en poussant des cris de terreur et laissèrent le village absolument désert. Maîtres de la place, les maremites neurent pas la peine de faire cuire le dîner des pauvres Chaffates ; ils sen régalèrent sans scrupule.
Lun deux, qui alla chercher dans le village du tabac pour faire son houchouk, revint un instant après mannoncer quil avait découvert un homme ; je mempressai de me rendre auprès du sauvage.
Je trouvai étendu sur des feuilles sèches un vieillard que ses infirmités avaient pu seules retenir dans sa cabane ; il était tellement épouvanté quun bégaiement convulsif lempêchait darticuler ; il me fallut du temps pour le rassurer, et lorsquil fut un peu plus calme il me parla, en termes emphatiques, comme font tous les Malgaches, des motifs qui avaient fait déserter le village. Jai conservé soigneusement ses paroles qui caractérisent bien lesprit superstitieux et ignorant de cette peuplade : « Quoique ta couleur ne soit pas la même que la nôtre, me dit-il, les Chaffates tauraient reçu comme un frère si tu tétais présenté seul chez eux, car ton corps, tes bras et tes jambes ne diffèrent pas des nôtres quoiquils soient couverts de richesses dont lusage nous est inconnu, et dont nous navons pas besoin ; mais nous avons appris par le kabar des Chavoaïes larrivée de larmée que tu protèges ; ils tont vu monté sur une bête effroyable, dont la bouche est armée de fer et qui nobéit quà toi seul. Nous avons appelé les ombiaches et consulté le mampila qui nous a prévenus du danger qui nous menaçait ; cet animal, nous a-t-il dit, est venu pour vous exterminer tous ; il tient dAngatch et du géant votre ennemi le pouvoir magique quil exerce ; aucun Malgache na pu rapprocher sans mourir ; car sa force est si extraordinaire que dun coup de pied il tue cent hommes ; il fait trembler la terre quand il la frappe du pied ; sa course est encore plus rapide que celle dun sanglier qui fuit devant les chiens ; il se nourrit de chair humaine et dévorerait les soldats du roi rouge eux-mêmes si lombiache blanc ne le lui défendait pas. Telle a été la réponse du mampila qui nous a été transmise par nos ombiaches ; toi qui dois être beaucoup plus puissant queux, puisque tu commandes à ce monstre, dis-lui dépargner un pauvre vieillard qui na plus que peu de jours à vivre et dont les chairs desséchées ne seraient pour lui quun maigre repas. »
Les Chaffates appelaient mon cheval Bakou-bak et disaient que larrivée de cette bête avait été prédite à leurs aïeux : ils assuraient quun animal tout-à-fait semblable à celui quils voyaient figurait dans leur tradition ; il devait venir du côté de lorient pour détruire les peuplades malgaches.
Leffet quavait produit mon cheval sur les Chavoaïes et les Chaffates me suggéra lidée daccréditer les fables auxquelles il avait donné lieu. Jannonçai donc au vieillard que les Chaffates ne devaient pas redouter la colère du monstre qui nétait envoyé que pour exterminer les Vourimes, dont les brigandages ne pouvaient rester impunis.
Larmée narriva que le soir à Fahandza et ny trouva pas de vivres, lobscurité ne permettant pas de découvrir les plantations des Chaffates. Ce village est situé près dune belle rivière ; ses cabanes sont nombreuses, mais petites et misérables.
Les Chaffates ne voyagent jamais ; leurs montagnes ne produisent que très peu de riz, mais on y trouve du maïs dont ils font griller les épis avant leur maturité ; cest leur principale nourriture avec du lait quils font cailler dans de grands bambous.
Le gros de larmée se reposa à Fahandza pendant deux jours et ne parvint à se procurer des vivres quen allant à la maraude, car les bufs et même les poules avaient été enlevés du village. Jean René donna le commandement dune partie de la division hova au major Ratsiatou et lenvoya en avant-garde dans le pays des Vourimes dont nous nétions pas éloignés.
En quittant Fahandza nous marchâmes au S.-E. et nous arrivâmes le soir près des sources dune belle rivière dont je ne pus savoir le nom ; larmée y éleva ses tentes et nous y passâmes la nuit. Nous avions rencontré dans la journée plusieurs villages abandonnés.
Le 17 août, nous pénétrâmes dans le pays des Vourimes, après une journée de marche au S.-O. Les montagnes étant très escarpées et les sentiers qui y conduisent presque impraticables, je fus forcé de renvoyer mon cheval à Matatane ; jessayai de me servir dun brancard, mais les porteurs glissaient à chaque instant sur des terres argileuses et sur des rochers couverts de mousse au pied desquels étaient des précipices effrayants : il me fallut y renoncer et continuer mon voyage à pied.
Le lendemain, marchant au S.-O., nous rencontrâmes le village de Hantsy-lava qui peut avoir trois cents cases. Larmée campa le soir sur une très haute montagne où le froid était si vif que les Betsimsaracs et les Bétanimènes, qui ny étaient pas accoutumés, avaient de la peine à tenir leurs armes et à porter leur bagage.
Les Vourimes, prévenus de notre arrivée, avaient eu soin de détruire leurs plantations et avaient incendié plusieurs de leurs villages ; dautres avaient été abandonnés.
Sur la crête de la montagne où nous étions campés, les Malgaches ne trouvaient pas de bois pour se chauffer ; la désertion avait éclairci les rangs de larmée, et Jean René, qui commençait à désespérer du succès de la campagne, avait réuni sous sa tente le prince Ratef et ses principaux officiers pour délibérer sur le parti à prendre.
On commençait à discuter la question quand plusieurs coups de fusil vinrent jeter lalarme dans le camp que lon crut assailli par Jakamaëf à la tête de ses intrépides Vourimes ; mais la joie vint bientôt succéder à cette terreur panique, car les avant-postes reconnurent dans ceux quon avait pris pour des ennemis un détachement de la brigade confiée à Ratsiatou.
Lofficier qui le commandait demanda à parler au général en chef et fut introduit dans la tente de René où le conseil était encore assemblé. Un homme qui tenait un sac dune main et un sabre nu de lautre marchait à côté de lui. Un simbou blanc et rouge quil portait en sautoir laissait à découvert ses larges épaules et ses bras nerveux ; une courte tunique de soie rouge, à laquelle étaient suspendues des clochettes, descendait jusquà ses genoux ; ce personnage était un bourreau. Chacun des bataillons de larmée hova a le sien qui suit partout le commandant.
Lenvoyé de Ratsiatou, avant de parler, fit un signe au bourreau qui ouvrit son sac et en tira par les cheveux une tête ensanglantée ; puis sapprochant du général en chef, il se prosterna à terre et la déposa à ses pieds. Alors lofficier prit une posture semblable et présenta à Jean René une lettre de Ratsiatou. Tous les yeux des assistants, qui exprimaient à la fois la curiosité et lincertitude, étaient fixés sur le général pendant quil lisait. Enfin René se leva et dit : « Gloire à Radama Manjaka ! Jakamaëf a été puni et les Vourimes seront bientôt défaits. » Il ordonna ensuite au bourreau de parcourir les bivouacs, la tête de Jakamaëf à la main, afin de ranimer le courage des soldats ; il le fit précéder par deux miangourandes qui sonnaient de lantsive pour appeler ceux que la peur avait éloignés du camp. La tête de Jakamaëf fut envoyée dans la nuit à Tananarivo, et aussitôt quil fit jour, larmée, rassurée, fit route au N.-O.
Pendant deux jours nous marchâmes toujours dans les montagnes des Vourimes, et à la fin du troisième nous fîmes jonction avec la brigade de Ratsiatou qui nous attendait dans le village de Mononga-bé.
Ce village, capitale des Vourimes, est composé de sept ou huit cents cases solidement construites ; il est fortifié à la manière des Malgaches et traversé par lun des bras de la rivière de Mananghare. On y voit à lO. les montagnes des Betsilos, au S.-O. les montagnes dAmbohitsmène, au N.-E. les montagnes des Antatschimes. Dans les environs de Mononga-bé, et en général dans tout le pays des Vourimes, on trouve des traces de volcan, des rochers noirs et des excavations considérables ; cest dans ces cavernes que les Vourimes se retirèrent pendant la guerre.
Cette peuplade sétait dispersée ; des détachements de larmée rencontraient tous les jours des familles qui fuyaient et quils faisaient prisonnières ; enfin les débris de la tribu nous envoyèrent des députés qui firent leur soumission.
La défaite des Vourimes et la mort de leur chef, au moment où Jean René allait être forcé dévacuer leur territoire, étaient le résultat des machinations de Ratsiatou, qui, au moyen de présents considérables, était parvenu à corrompre les deux principaux ministres de Jakamaëf. Ces traîtres avaient profité, pour appeler les Hovas, dun moment où presque toutes les forces de la tribu marchaient contre René. À un signal convenu, Ratsiatou et ses soldats, embusqués dans les environs de Mononga-bé, furent introduits dans le grand toubi, et massacrèrent le chef endormi ainsi que tous ceux qui sy trouvaient, à lexception des deux perfides ministres.
La fatigue que javais éprouvée pendant la guerre, le froid et les privations quil mavait fallu supporter, furent sans doute les principales causes de la maladie dont je fus atteint deux jours après notre arrivée à Mononga-bé ; cétait une ophtalmie avec une fièvre continue et une courbature générale.
Nétant pas pourvu de médicaments convenables, je fus forcé davoir recours aux médecins malgaches qui mappliquèrent plusieurs ventouses avec des cornes de mouton ; les scarifications quils me firent étaient très douloureuses et ne me soulagèrent pas. Je ne parvins à me guérir quà Sakaléon, sur la côte, avec des sucs de plantes et la moëlle dune espèce de figuier que mon ampaanzar mappliqua autour des yeux.
Mon état ne sétant pas amélioré lorsque nous quittâmes Mononga-bé, je fus contraint de menfermer dans un hamac, et il me fut impossible de continuer mes observations sur la route de Sakaléon, où des guides fournis par les Vourimes nous conduisirent en quatre jours.
Le pays de Sakaléon, district des Antatschimes, est beaucoup moins grand que celui des Bétanimènes, mais son sol est presque aussi fertile ; il est arrosé par plusieurs belles rivières, dont la plus large, étant navigable jusquà Mahéla, permet dy transporter tout son riz et beaucoup de bufs dans de grandes pirogues.
Le village de Ombé-marou, chef-lieu du district de Sakaléon, est bâti sur une montagne de terre rouge située sur la rive gauche de cette rivière ; des plaines fertiles entourent cette montagne.
Nous nous dédommageâmes à Sakaléon des privations quil nous avait fallu supporter chez les Vourimes ; partout où nous passions, les habitants sempressaient de nous offrir des subsistances ; ils donnaient aux soldats du riz, du maïs, des ignames, des patates sucrées, des cannes à sucre et des bufs ; aux chefs, des oies, des canards et des chapons, qui sont plus nombreux dans cette contrée que dans toutes les autres parties de lîle.
À notre arrivée, le chef, nommé Vouare, se présenta chez René ; cétait un homme denviron quarante-cinq ans à qui son état de réplétion permettait à peine de marcher. Les Malgaches prétendaient quil possédait des richesses considérables ; ils disaient dans leur langage figuré que ses troupeaux étaient si nombreux que quand ils marchaient le soleil était obscurci par la poussière que leurs pieds soulevaient.
Jean René, enchanté de la beauté du pays et de laffabilité de nos hôtes, se décida à y passer quelques jours et fit prévenir les Vourimes quil attendrait là les principaux représentants de la peuplade pour leur faire connaître la volonté de Radama ; il les avertit en même temps que sils voulaient racheter leurs prisonniers, il les rendrait moyennant une rançon de cinq piastres par tête, payable en numéraire ou en bestiaux. Les Vourimes ne tardèrent pas à venir, et après avoir prêté le serment dusage, plusieurs chefs de famille rachetèrent leurs femmes et leurs enfants.
En quittant Sakaléon, nous nous dirigeâmes sur Amboudéhar ; mais Fouhirandre, qui avait eu le temps de se préparer à la guerre, fit défendre à Jean René de passer sur son territoire ; et comme celui-ci navait pas assez de forces pour lattaquer, larmée fut obligée de descendre sur le rivage quelle suivit jusquà Mitinandre, où René tomba dangereusement malade.
Le chef malgache eut dabord recours aux médecins du pays, mais son état devenant de plus en plus alarmant, ceux-ci déclarèrent quils ne connaissaient plus aucun moyen de le sauver. René, qui avait confiance en moi et qui me croyait plus de connaissances en médecine que je nen avais réellement, sans doute parcequil voyait que je me traitais moi-même quand jétais malade, me pria dessayer sur lui quelques-unes des drogues que javais dans ma petite pharmacie ; jhésitai dabord, car aucun de ses parents nétait là et je craignais que les Malgaches ne cherchassent à me rendre dès-lors responsable des suites fâcheuses que pouvait avoir sa maladie. Je consentis cependant à lui administrer quelques drogues qui me valurent bientôt la réputation dun médecin habile ; la nature opérant sans doute plus que le remède, une crise eut lieu et le sauva.
Aussitôt que Jean René fut guéri, nous nous rendîmes à Tamatave où Coroller fît célébrer larrivée et la convalescence du général en chef par des fêtes et des sacrifices qui durèrent plusieurs jours.
CHAPITRE XIX.
Accueil gracieux et reconnaissant des neveux de Jean René. Départ pour le Nord avec Arnous. Débarquement à Foulpointe. Kalou, la mulâtresse. Visite au gouverneur de Foulpointe. Sa maison. Sa garnison. Histoire de sa lutte contre Radama. Paroles héroïques quil adresse à son vainqueur. Sa fin malheureuse. Caractère de cet homme remarquable. Présentation à ses femmes. Son portrait en costume de chef antscianac. Accueil quil fait aux Français. Gravité noble de ses manières. Case élégante du gouverneur. Environs et village de Foulpointe. Industrie des tisserands antscianacs établis auprès de Rafaralah. Comment ils lissent leurs admirables pagnes. Lépreux. Maladie plus hideuse encore que la lèpre. Horreur des indigènes pour les malheureux affectés de cette maladie. Cimetière de lancien établissement français. Dîner chez le gouverneur. Toilette européenne de ses femmes. Occupation du dessert. Nouveau moyen de transport.
Les neveux de Jean René, le prince Coroller, et le grand-juge de Tamatave, Philibert, que javais vus pendant mon premier séjour à Tamatave, ne se lièrent avec moi quà mon retour de la guerre des Vourimes ; ils vinrent, le jour de mon arrivée, me remercier des soins que javais pris de leur oncle durant sa maladie, et mengager, de sa part, à quitter létablissement dArnous pour aller occuper un logement plus commode et plus agréable. Cétait une jolie case composée de plusieurs pièces ; elle était située au milieu dun jardin, et ombragée par de magnifiques orangers qui, tous les ans, produisaient des fruits délicieux. Jean René allait quelquefois se reposer dans cette maison de plaisance où il avait réuni toutes les commodités de la vie.
Jacceptai loffre du chef, et le soir même jétais installé dans ma nouvelle habitation qui valait mieux que toutes celles de Tamatave, autour desquelles on ne voyait aucune trace de végétation. Jean René ne borna pas là ses attentions pour moi ; il me fallut consentir à prendre mes repas chez lui, et si je manquais une fois de my rendre, il ne se mettait à table quaprès être venu lui-même sinformer des motifs qui mavaient retenu.
Il y avait onze jours que jétais à Tamatave, où lon me considérait plutôt comme un parent du chef que comme un étranger, lorsque le capitaine Arnous vint dans ce port avec une cargaison de toiles et darak. Après avoir chargé de bufs le beau trois-mâts de Saint-Malo, le Courrier des Indes, quil avait nolisé à Maurice, il mit à terre quelques marchandises, et se disposa à partir pour le nord où il devait faire plusieurs escales.
Curieux de faire un voyage qui ne devait pas durer plus de quinze jours, je membarquai encore une fois avec lui sur la goélette lAlcyon. Le 15 septembre 1823, à sept heures du matin, nous quittâmes la rade de Tamatave et nous suivîmes la côte jusquà Foulpointe, où nous mouillâmes avant la nuit. Le gouverneur de ce port et de toute la côte jusquà Angoncy, était alors le prince Rafaralah, dont Simandré mavait fait un si grand éloge ; Arnous, qui saperçut que jétais impatient de le voir, se hâta de faire les dispositions nécessaires à la sûreté de son navire, et me proposa daller à terre le soir même ; nous nous embarquâmes dans son canot, et en quelques minutes nous atteignîmes la Pointe-aux-Bufs.
En entrant dans la plaine de sable quil faut traverser pour se rendre aux établissements des traitants, japerçus sur la droite quelques canons de fonte en batterie ; ils me paraissaient plus propres à nuire à ceux qui auraient eu limprudence de sen servir, quà leurs ennemis. Un officier des douanes se détacha du poste établi près de cette batterie, et vint nous demander, suivant lusage, le nom de notre bâtiment et celui de son capitaine.
Aussitôt que nous fûmes entrés dans létablissement dArnous, nous reçûmes la visite de Kalou que javais vue pour la première fois à Manourou ; elle arrivait du sud où un procès lavait retenue plusieurs mois ; son habitation de Foulpointe était voisine de la nôtre. Cette mulâtresse avait depuis longtemps des relations intimes avec Rafaralah, et exerçait sur lui plus dinfluence que ses propres femmes qui en étaient jalouses : elle se hâta daller lui annoncer notre arrivée, et revint bientôt accompagnée dun de ses officiers détat-major qui nous conduisit chez lui.
La demeure de Rafaralah était plus considérable et mieux fortifiée que celle du chef de Tamatave ; elle avait été élevée sur les ruines de lancien établissement français dont les Hovas sétaient emparés daprès les conseils de lAnglais Hastie ; on y voyait encore quelques parcs, de vieilles murailles et une pierre sur laquelle on lisait la date de notre prise de possession.
Létablissement hova était défendu par une double enceinte de fortes poutres, qui avait plus de vingt pieds de hauteur, des parapets appuyés contre la première palissade donnaient la facilité de servir un grand nombre de pierriers placés de distance en distance devant des embrasures, et soutenus par de forts montants à pivots.
Deux factionnaires placés à la porte de cette forteresse nous portèrent les armes à notre entrée ; nous traversâmes une vaste cour où étaient les logements des soldats, et nous entrâmes, par une petite porte, dans une seconde cour séparée de la première par une troisième palissade ; là on voyait la maison du gouverneur ; elle était construite à la manière dÉmirne, mais plus grande et mieux distribuée que toutes celles que javais vues. Une espèce de donjon, qui ressemblait à un pigeonnier, sélevait au-dessus du toit. Un peloton de vingt-cinq hommes, rangés en bataille devant cette maison, nous rendit, lorsque nous parûmes, les mêmes honneurs que les sentinelles de la première porte.
Deux officiers supérieurs, qui se promenaient dans une espèce de vestibule, nous conduisirent dans la salle de réception où Rafaralah nous attendait avec trois de ses femmes ; il se leva dès quil nous vit, remit sa zagaïe à un esclave, et vint nous présenter la main en nous disant : « Sariante, sariante ! portez vous bien ! »
Rafaralah était né à Antscianac, pays situé à peu près au centre dune chaîne de montagnes qui sétendent depuis le nord dÉmirne jusquaux frontières des Sakalaves. Son père, chef indépendant et courageux, avait fait longtemps la guerre à Dianampouine, mais devenu son prisonnier, il avait eu la tête tranchée à Tananarivo.
Quoique Rafaralah fût très jeune alors, il avait juré de venger la mort de son père, et fait aux Hovas une guerre dextermination qui dura plusieurs années. Cette nation était devenue puissante par ses alliances et ses conquêtes, et Rafaralah lui résistait encore quoique ses ressources fussent presque entièrement épuisées. Sa capitale étant enfin tombée au pouvoir du jeune conquérant Radama ; il répondit à celui-ci, qui lui demandait une contribution de guerre : « Si cest mon argent que tu veux, va chercher dans les cadavres de tes soldats les piastres de mon trésor qui nous ont servi à leur donner la mort, car elles ont remplacé les balles dont nous manquions depuis longtemps. »
Tant de bravoure et de persévérance touchèrent Radama : il invita son fier ennemi à se rendre à sa cour où il le traita si bien quil parvint à lui faire oublier ses anciens motifs de haine ; il lui donna pour femme la plus jeune de ses surs, et quelques années après il lenvoya comme gouverneur à Foulpointe.
Il était encore en 1828 dans ce port, lorsquà la mort de Radama une révolution de palais porta Ranavalou au trône, au mépris des lois du pays qui interdisent aux femmes de régner. Rafaralah, quun ordre secret de la reine condamnait à mourir, reçut chez lui, sans se méfier du parjure, le major Rakeli, son frère de serment, chargé de lexécution de cet ordre ; le gouverneur commençait à lire la lettre que Rakeli venait de lui remettre de la part de la souveraine, lorsquil saperçut que sa maison était investie par un corps dHovas qui déjà avaient pénétré jusque dans son appartement. Sélançant vers un cabinet où son sabre et ses pistolets étaient suspendus, il sécria : « Ne souillez pas ma maison de mon sang ! Emmenez-moi dehors, afin que le ciel puisse être témoin du crime que vous allez commettre. » Il neut pas le temps de se défendre, car le perfide Rakeli lui porta plusieurs coups de sabre et fit rouler sa tête sur le parquet : on lenvoya à Tananarivo, et son corps sur lequel on sacrifia ses chevaux et ses chiens fut abandonné aux oiseaux de proie.
Le lâche qui venait dassassiner Rafaralah était désigné par la reine pour lui succéder ; il prit le commandement du fort qui fut le prix du sang de son frère et la récompense de sa perfidie.
Cest le même Rakeli qui, en 1829, fut nommé major-général après avoir repoussé nos soldats et qui porta depuis comme un trophée la décoration du capitaine Schll dont il fit placer la tête sur une zagaïe, plantée à lendroit du rivage de Foulpointe où les balles des Hovas avaient atteint notre brave compatriote.
Rafaralah nous fit asseoir auprès de lui et nous présenta à ses femmes ; la plus jolie et la plus jeune était la sur de Radama ; elle ressemblait beaucoup à son frère ; les autres avaient des traits grossiers et des figures peu séduisantes. Lune delles, née chez les Sakalaves, sétait parée comme les femmes de cette contrée ; je nai jamais vu de coiffure plus ridicule que la sienne. Ses longs cheveux à demi-laineux étaient étendus dans tous les sens et formaient une espèce dauréole qui avait plus de trois pieds de circonférence ; ils étaient parsemés de coquillages brillants et de grains de corail ; elle avait le front ceint dun bandeau de grenat au milieu duquel était un ornement en nacre de perles. Toutes avaient aux bras plusieurs grosses manilles dargent, et étaient drapées dans des simbous de soie bariolés.
Rafaralah était, ce jour-là, revêtu de son costume national, celui des chefs dAntscianac. Il avait alors environ soixante ans ; cétait un homme grand, maigre, un peu courbé, mais dune complexion robuste ; les fatigues de la guerre navaient pas blanchi ses cheveux, et les blessures dont son corps était couvert navaient point altéré sa santé. Les Malgaches admiraient encore la vigueur de son bras et son adresse à lancer la zagaïe ; il maniait aussi bien nos armes à feu et tirait le fusil et le pistolet mieux que beaucoup dEuropéens.
Son costume était plus riche que les uniformes anglais que javais vus à Vobouaze et je le trouvai bien plus noble et plus imposant. Pour se conformer au nouvel usage et aux ordres de Radama, ce chef sétait fait couper les cheveux, mais il avait conservé cette précieuse dépouille quil avait fixée à son satouk-bé ou bonnet, afin de pouvoir porter quelquefois dans son intérieur le costume de son pays auquel il était toujours attaché. Cette sorte de perruque était retapée en rouleaux et ressemblait à celles que portent les jokeys anglais ; lhuile de palma-christi la rendait luisante. Le satouk avait la forme dun schako de hussard ; il était en soie bleue et entouré de deux galons, lun dargent, lautre en soie rouge ; deux gros glands de soie jaune tombaient sur une garniture en fil dargent dont le bonnet était couvert à la hauteur du front et descendaient de chaque côté sur les cheveux en forme de dents de caïmans ; quatre paquets de plumes daigrettes noires courbées en forme de croissants faisaient le tour du bonnet et complétaient cette coiffure bizarre.
Rafaralah avait un collier de barbe qui ne paraissait pas quand il était vêtu à leuropéenne, car le roi imberbe dÉmirne avait défendu aux soldats de se laisser croître la barbe ; ses épaules étaient couvertes dun lamba de soie posé en écharpe dont les couleurs étaient riches et variées ; ce lamba était soutenu par des cordons de soie bleue réunis autour du cou au moyen dune agrafe. À cette espèce de collier était fixée une chaîne en argent qui soutenait deux ornements de ce métal faits par les Ant-antscianacs, dans chacun de ces ornements étaient enchâssées trois dents de caïmans qui renfermaient des parfums et des talismans préparés par les ombiaches. La même chaîne soutenait une grande corne de chasse en argent dun beau travail ; elle était accrochée à la ceinture du chef et appuyée sur son côté gauche.
Il avait un seidik de soie rouge dont la partie supérieure était couverte dune large ceinture faite aussi par ses sujets dAntscianac. Ce travail était admirable : la soie, largent, les perles et le grenat y avaient été entrelacés avec goût et les couleurs harmonieusement distribuées ; la partie inférieure de cette magnifique ceinture était garnie dun ornement doré qui figurait de grandes dents de caïman. Il avait aux poignets des bracelets dargent massif et aux bras de doubles manilles en fils dargent mêlés de soie. Ses pieds étaient nus et ornés seulement de fortes manilles en argent ; à son bras gauche était un bouclier recouvert dun cuir de buf au poil tigré, et sa main droite était armée de la zagaïe de parade en argent.
Tous les Malgaches estimaient Rafaralah et ses ennemis eux-mêmes vantaient son courage. Il recevait avec bonté tout le monde et savait aussi bien se faire aimer des étrangers que des Hovas, car il rendait justice à tous sans égards ni pour le rang ni pour la fortune ; il savait apprécier les bienfaits de la civilisation et protégeait toutes les entreprises quil croyait susceptibles daméliorer le sort de ses compatriotes. On navait à lui reprocher dautre faiblesse quun amour immodéré pour les femmes : il en avait quatorze. Pendant que jétais à Foulpointe, un messager de Radama vint lui annoncer que sa vadi-bé, convaincue dadultère avec un de ses esclaves, avait été mise à mort à Tananarivo.
Le gouverneur nous accueillit de la manière la plus gracieuse ; après plusieurs questions qui toutes étaient relatives aux guerres de la France ou à son industrie, il fit apporter du vin et des liqueurs et porta plusieurs toasts à nos guerriers ; il ne voulait pas nous laisser sortir avant que les bouteilles ne fussent vides ; il nous pressait de boire, et quand nous cédions à ses instances, il disait avec gravité en remplissant nos verres : « Grand merci, monsieur ! » cétait à peu près tout ce quil savait de français ; quand notre interprète Kalou lui avait transmis les réponses que nous faisions à ses questions, il sinclinait et disait encore dun ton respectueux : « Grand merci ! »
La nuit était avancée quand nous quittâmes Rafaralah ; il nous fit accompagner jusquà notre demeure par deux officiers quil avait chargés de nous inviter à dîner pour le lendemain. Jétais enchanté de ma nouvelle connaissance, car jaimais mieux la simplicité du chef dAntscianac que les manières brusques et capricieuses du roi des Hovas.
La fatigue du voyage et de la soirée nous retint au lit plus longtemps que de coutume, et il était plus de midi lorsque nous sortîmes le lendemain. Nous nous arrêtâmes à une petite distance de létablissement dArnous pour considérer une case nouvellement construite ; je la trouvai supérieure à celles des Malgaches, et même à celles des blancs ; cétait pour Madagascar un véritable palais. Kalou, qui nous servait de cicérone, nous dit quelle appartenait au gouverneur qui en avait donné le plan lui-même à des ouvriers hovas. Je demandai à voir lintérieur de cette case, et Kalou nous y fit entrer ; deux pièces proprement tapissées composaient le rez-de-chaussée ; un escalier large et assez commode conduisait au premier étage où étaient deux grandes chambres et un cabinet proprement décorés ; on faisait dans cet appartement des préparatifs pour nous recevoir, car cétait là que Rafaralah devait nous donner à dîner.
En sortant de la case de Rafaralah, nous nous dirigeâmes vers le village bâti sur un terrain uni près dune vaste plaine de terre rouge qui servait de champ de mars aux soldats de la garnison ; cette plaine est bornée au S-O. par des marais couverts de riz. Les environs de Foulpointe me parurent beaucoup plus fertiles que ceux de Tamatave, mais ils doivent être plus insalubres, car ils sont boisés et marécageux.
Le village, composé denviron deux cents cases, pouvait contenir une population de mille à douze cents âmes ; je trouvai les cases plus grandes, plus régulières et mieux alignées que toutes celles que javais vues sur la côte ; les rues étaient larges et propres. Jy remarquai beaucoup détrangers que le commerce des bufs et du riz avait sans doute attirés sur ce point.
Une partie du village était occupé par des Ant- antscianacs que Rafaralah avait emmenés de son pays ; on y voyait aussi quelques Antalotches. Les premiers travaillaient à diverses pièces dorfèvrerie ou tissaient des lambas de soie et de coton que je trouvai magnifiques. Leurs métiers, simples et ingénieux, étaient à peu près les mêmes que ceux des gens du pays qui fabriquaient des rabanes et des pagnes. Sur de petits piquets enfoncés dans la terre étaient posés des montants de bambou ou autre bois léger ; les fils étaient liés au bout du métier sur une traverse de bambou ; cette traverse, attachée sur les montants, reposait sur dautres traverses placées de distance en distance. Le tisserand se servait dune aiguille de bois évidé couverte de fil dans sa longueur, et dune espèce de lame de sabre en bois qui lui tenait lieu de peigne ; à mesure quil travaillait, il roulait sa toile autour dune pièce de bois carrée, dont les deux bouts étaient percés, et la faisait entrer dans deux forts pieux de bois ferrés par le bout.
Il faut aux Malgaches une patience admirable pour confectionner ces tissus, car les fils de rafia (sagus raffea, Lin.) quils emploient nont pas une aune de longueur, et ils sont obligés de les nouer à chaque instant, mais ces nuds sont faits avec tant de soin quils ne paraissent pas dans la toile ; les pièces de pagne, qui ont ordinairement de quatre à cinq aunes de longueur sur trois quarts de large, se vendent quatre et cinq piastres dEspagne quand elles sont très fines ; il faut au moins trois mois pour en faire une.
Je navais pas encore vu de lépreux à Madagascar ; jen rencontrai à Foulpointe plusieurs chez lesquels cette maladie hideuse me parut très avancée ; ils vivaient parmi les autres Malgaches et ne paraissaient pas leur inspirer le moindre dégoût, quoiquil leur manquât plusieurs doigts aux pieds et aux mains. Une autre maladie aussi dégoûtante que la lèpre est plus commune dans cette partie de lîle quailleurs ; cest le tomboutaïe, que les Malgaches croient contagieux et quils redoutent plus que toutes les autres maladies ; le tomboutaïe est probablement une affection siphilitique négligée ; quelques enfants en sont attaqués comme leurs pères ; leurs corps et leurs visages sont couverts de tubercules violettes et répandent une odeur infecte. Les yeux de ces malheureux sont presque entièrement fermés par les pustules enflammées qui les entourent ; leurs mains sont pleines de crevasses hideuses et purulentes. Dès que les Malgaches saperçoivent quun homme est atteint de cette maladie, ils le relèguent dans les bois et lui défendent dapprocher des villages ; sa famille lui porte des vivres pour les besoins journaliers, mais personne noserait entrer dans la case (traonfadi) où il se retire. Nous quittâmes le village vers trois heures, et avant de rentrer à létablissement dArnous, nous visitâmes lancien cimetière situé derrière le fort, au milieu dune plantation de tamariniers et de bois noirs ; une multitude de grosses pierres, indices des ravages de la fièvre, couvraient les restes de nos compatriotes. La mousse nous empêcha de lire les inscriptions quon y avait gravées.
À cinq heures, Kalou, qui nous avait quittés pour faire sa toilette, vint nous chercher pour aller chez le gouverneur qui lavait invitée à dîner avec nous. Elle était vêtue à leuropéenne et parée de ses plus beaux atours ; ses oreilles et ses doigts étaient ornés de brillants. Nous nattendîmes que quelques minutes un officier détat-major qui nous conduisit chez Rafaralah.
La maison de plaisance où il nous recevait nétait pas gardée comme le fort ; on ny voyait pas un seul soldat. Le couvert était mis dans lune des salles du premier étage, où de jeunes esclaves proprement vêtus servirent le dîner dès que nous fûmes entrés. Rafaralah ne portait pas son riche et pittoresque costume de chef antscianac, et javais de la peine à le reconnaître. Il était vêtu, comme les officiers de Radama que javais vus à Vobouaze, dun uniforme de général anglais. Ses femmes avaient aussi changé de toilette ; elles sétaient affublées de belles robes détoffes de soie et de divers colifichets que la femme du gouverneur Farquhar leur avait donnés quelques mois auparavant lors de sa visite à Foulpointe sur la corvette le Menai. Ces vêtements anglais leur seyaient encore plus mal que ceux de leur pays et il était facile de sapercevoir quils avaient été ajustés par des femmes de chambre malgaches, qui, nayant jamais assisté à des toilettes européennes, navaient pas su mettre à leur place des objets quelles voyaient peut-être pour la première fois de leur vie.
Deux aides-de-camp de Rafaralah faisaient partie des convives ; la femme du plus jeune de ces officiers était presque blanche et dune très jolie figure : elle ressemblait plutôt à une Portugaise quà une Malgache. Un troisième personnage nommé Chrétien, invité par Rafaralah, vint aussi prendre part à la fête ; cétait un vieux créole de Maurice, accablé dinfirmités, à qui Rafaralah, son frère de serment, donnait les moyens de subsister ; il avait été banni de Tamatave par Jean René pour avoir fait le commerce des esclaves après labolition de la traite par Radama. La table était servie avec le même décorum que celle de Radama, et les mets étaient à peu près les mêmes : les femmes et les hommes eurent pendant tout le repas un maintien décent, qui métonna. Au dessert, le gouverneur fit apporter des plumes, de lencre et du papier, et chacune de ses femmes se mit à écrire quelques mots français. Afin de me faire juger de leurs talents, elles me priaient de comparer leurs écritures et de dire quelle était celle qui avait le mieux réussi ; ma décision transportait de joie celle que je désignais comme la plus habile ; les autres prenaient un air triste et recommençaient plusieurs fois le même travail.
Nous sortîmes, avec Rafaralah, vers onze heures, car il couchait toujours dans le fort. En le quittant, à la porte de sa case, je fus surpris de voir trois vigoureux esclaves saccroupir, baisser le dos, et ses femmes sauter sur leurs épaules et séloigner de nous avec leurs singulières montures qui sen allaient au grand trot. Lusage de se faire porter par des hommes, dune maison à une autre, existe encore chez les Hovas ; la reine actuelle dÉmirne se fait souvent porter ainsi dans les rues de Tananarivo, quoiquelle ait plusieurs palanquins.
CHAPITRE XX.
Départ de Foulpointe. Village de Mahambou. Rade de Fénérif. Singulier traitement de la rougeole. Retour de plusieurs pirogues malgaches de la pêche de la baleine. Culture et commerce des environs de Fénérif. Habileté des indigènes dans la navigation. Leur bonne foi dans les transactions avec les Européens. Île Sainte-Marie. Climat funeste et aspect désolé de cet établissement français. Tristes restes de lexpédition de 1820. Résidence et bureaux du commandant. Fortifications. Anciens habitants de lîle. Habitants actuels. Abondance des baleines sur les côtes. Passion des Malgaches pour la chair des baleineaux. Lhéritier présomptif du chef de Tintingue. Améliorations de rétablissement sous ladministration de M. Tourette. Seconde visite à Kalou. Horreur des femmes malgaches pour le caméléon. Description et murs de ce joli animal. Dernière entrevue avec Rafaralah. Relâche à lîle aux Prunes. Aspect de cet îlot inhabité. Chasse aux chauves-souris. Retour à Tamatave. Détails sur la famille de Jean René. Portrait du prince Coroller.
Le lendemain, 17 septembre, nous reçûmes, au moment où nous allions nous embarquer, un billet de Rafaralah, écrit par lui-même en créole ; il était ainsi conçu : « Moi appelle vous pour dézener. » Nous chargeâmes lofficier qui nous le remit de remercier pour nous son général, nos affaires ne nous permettant pas un plus long séjour à Foulpointe.
Nous appareillâmes vers midi, et quelques heures après nous étions en vue de Mahambou où nous donnâmes un pied dancre. Le mouillage est peu distant de la terre, et le village, bâti sur un monticule à cent pas tout au plus du rivage, est composé de quarante à cinquante cases. Arnous, qui avait là un poste pour la traite du riz, fit présent au chef de son bonnet de laine rouge que celui-ci trouvait magnifique.
Nous ne nous arrêtâmes à Mahambou que le temps nécessaire pour débarquer quelques marchandises, et nous suivîmes la côte jusquà Fénérif où nous nous rendîmes en quelques heures.
La rade de Fénérif est la plus mauvaise de la Côte de lEst ; le mouillage est très loin de la terre ; les courants sont si violents que les bâtiments y sont sans cesse ballotés par le tangage et par le roulis. À la moindre apparence de mauvais temps ils sont obligés de prendre le large, car cette côte est entourée décueils, ce qui rend les communications avec la terre très difficiles et lembarquement toujours lent. On voit dans le N.-O., entre le mouillage et la terre, une petite île qui servait de sépulture aux Malates ; aujourdhui encore tous les chefs de la contrée y sont enterrés. On y avait transporté, la veille de notre arrivée, le corps du dernier chef de Fénérif, qui, pour se guérir de la rougeole, se plongeait, jusquau cou, dans les eaux vives dun bassin formé par une source qui nest pas éloignée du village et quune ceinture darbres au feuillage épais privait entièrement des rayons du soleil.
En allant à terre dans le canot de lAlcyon, nous vîmes rentrer cinq grandes pirogues qui ramenaient chacune un baleineau harponné par les Malgaches ; plus de six cents personnes qui poussaient des cris de joie les attendaient sur la grève. Ces pirogues avaient à la proue un pavillon blanc, qui nest hissé que lorsque la pêche a été heureuse. Plusieurs Malgaches se jetèrent à la nage à lapproche des pirogues, afin daider, en tirant sur le cable, à mettre les baleines au plein. Les harponneurs étaient debout sur lavant des embarcations, la tête haute, le regard fier et leur harpon à la main ; lorsque les baleines furent échouées ils leur lancèrent presque tous en même temps leurs harpons, et sélancèrent sur le sable. À peine furent-ils à terre que la foule les entoura ; chacun exalta leur adresse et leur courage ; puis plusieurs hommes semparèrent deux et les portèrent en triomphe au village.
Arnous avait à Fénérif un établissement pour la traite des riz, dirigé par un vieux marin nommé Jollet. Ce fut là que nous couchâmes. Les environs de Fénérif sont moins marécageux que ceux de Foulpointe ; aussi ce pays passe-t-il pour être moins malsain ; on y cultive beaucoup de riz de marais et de terre, mais le dernier est préféré dans le commerce ; les deux récoltes de riz que lon fait tous les ans suffisent pour charger quatre ou cinq bâtiments du port de deux mille tonneaux ; on y traite aussi de la cire et des pagnes.
Les habitants de Fénérif sont les meilleurs marins de la Côte de lEst et même de lîle entière ; ils construisent de belles pirogues quils vont vendre à Foulpointe, à Tamatave et plus avant dans le sud ; ils prennent sur les récifs des hourites (espèce de sèches) et les vendent sur la côte aux Malgaches qui sont en général très friands de ce mets.
Nous nous reposâmes un jour à Fénérif où Arnous avait quelques affaires dintérêt à régler avec les Malgaches ; là, je fus témoin de la bonne foi des indigènes dans leurs relations avec les blancs.
Arnous avait vendu à crédit depuis trois ans des marchandises à un habitant de lintérieur qui demeurait à plusieurs lieues de Fénérif et quil connaissait à peine ; cet homme, ayant appris larrivée de son créancier, lui amena fidèlement le nombre de bufs quil avait promis de lui fournir.
Le 19 septembre, nous appareillâmes de Fénérif et nous fîmes route pour Sainte-Marie où nous mouillâmes dans laprès-midi. Un pharmacien, nommé Marcage, délégué du chirurgien-major, vint faire la visite de santé et nous annonça que le docteur Marquis, médecin en chef de la colonie, venait dêtre arrêté. Il était, en effet, détenu sur laviso le Colibri, mouillé à une petite distance de nous. Ce médecin, accusé davoir enlevé les fonds de la caisse du gouvernement, après la mort du commandant Sylvain Roux, fut traduit depuis à lîle Bourbon devant un conseil de guerre et acquitté.
Nous nallâmes que le lendemain faire une visite au commandant qui nous reçut fort bien et nous invita à dîner ; il était arrivé depuis peu de temps à Sainte-Marie pour remplacer M. Sylvain Roux.
Lîle Sainte-Marie ne produit presque rien, nest utile à rien, et cependant elle figure encore sur le budget de nos colonies pour une somme annuelle de soixante mille francs quil serait possible de mieux employer. Des chevaux, des bufs, des ânes que lon y avait transportés dEurope y sont tombés victimes des influences du climat ou des plantes vénéneuses qui leur servent de pâture. On a remarqué que les bufs venus de la grande terre, qui nest quà trois lieues de Sainte-Marie, dépérissaient et mouraient sils restaient quelque temps dans cette petite île ; le gibier, dont les espèces sont si nombreuses et si variées à Madagascar, ny existe pas ; on ny entend même pas les oiseaux babillards qui égaient les solitudes et divertissent le colon de ses douloureuses pensées.
Il restait à peine cinquante hommes de lexpédition de 1820 et la plupart étaient dans un état maladif. Lhôpital, situé sur une hauteur de lîlot Louquez et battu par les vents du large, était plein de malades ou plutôt de mourants ; quelques-uns étaient affectés dhydropisie, dautres dobstructions au foie ; les convalescents, appuyés sur un bâton, se traînaient avec peine ; des jeunes gens de vingt-cinq ans, qui, trois ans auparavant, étaient pleins de santé et de vigueur, paraissaient en avoir soixante, tant ils avaient souffert des suites de la fièvre et du régime malsain auquel ils avaient été soumis.
Laspect de Sainte-Marie avait dû contribuer aussi à porter le découragement dans le cur des Français que lon y avait envoyés. Son rivage désert, ses campagnes sans la moindre trace dhabitation ni de culture, ses forêts darbres du voyageur dont les larges feuilles, lentement balancées par la brise, faisaient entendre leur triste sifflement, avaient dû leur inspirer des idées mélancoliques et des pensées de mort.
Les bureaux du gouvernement, situés sur lîlot Louquez, étaient établis dans une misérable case malgache composée de deux pièces. Celle du fond servait de cabinet au commandant ; elle navait pas de plancher ni même de natte ; deux ou trois ouvertures pratiquées dans le frêle mur en ravinala livraient passage à lair, et, quand le soleil incommodait, étaient masquées par des rideaux de rabane qui tenaient lieu de persiennes. Cette case navait pas de portes, mais des panneaux de feuilles entrelacées à la manière du pays (tamiens).
Je métonnai que les administrateurs de Sainte-Marie neussent pas cherché, depuis trois ans que la colonie était établie, à se procurer un local plus digne de la France.
Aucunes fortifications navaient été commencées sur lîlot ; mais le commandant avait le projet dy faire un ouvrage à cornes quil a, je crois, exécuté depuis ; il avait fait placer un poste sur une montagne très élevée qui dominait le gouvernement ; quelques pierriers que lon y avait montés mettaient à labri dune surprise et pouvaient en imposer aux Hovas, si Radama, comme on paraissait le croire, se décidait à faire un débarquement dans lîle.
Je vis sur la rade la gabare la Normande qui servait de ponton ; elle était couverte de feuilles de ravinala qui lui donnaient un aspect lugubre. Lorsque la fièvre sétait manifestée pour la première fois à Sainte-Marie, lhôpital nétant pas encore construit, les malades avaient été entassés dans son entrepont et presque tous y étaient morts, ce qui la faisait regarder en quelque sorte comme un cercueil par ceux qui avaient survécu.
Ce bâtiment quon avait ainsi abandonné était cependant encore neuf et avait dû coûter beaucoup à la France ; il aurait pu servir pendant un grand nombre dannées si on avait voulu veiller à sa conservation ; jai appris que, par suite de cet état de délaissement, on avait été forcé de le démolir.
Sainte-Marie, connue anciennement sous le nom de Nossi-Ibrahim, île dAbraham, était habitée autrefois par une colonie dArabes que lon appelait Zaffe-Ibrahim, lignée dAbraham, sans doute parcequils se disaient les descendants de ce patriarche. Je demandai st ces hommes, qui devaient avoir la même origine et les mêmes usages que les Zafféraminians, étaient encore dans lîle ; on me répondit que presque tous lavaient quittée depuis longtemps et sétaient établis sur divers points de la côte de Madagascar ; il me fut impossible den voir un seul.
La plupart des habitants de Sainte-Marie étaient des Antavarts ou des Betsimsaracs réfugiés sur cette île pour se soustraire au joug des Hovas ; quelques-uns étaient venus sy établir pour la pêche. On trouve sur les côtes de Sainte-Marie une grande quantité de poissons, et pendant la mousson du S.-O. les baleines y sont nombreuses. Les Européens pourraient en prendre une grande quantité, sils voulaient se tenir, dans la saison où elles passent, à lentrée du canal qui sépare Sainte-Marie de la grande île, mais ils ne pourraient pas compter pour cette pêche sur lassistance des Malgaches qui soccupent eux-mêmes à poursuivre les baleineaux.
MM. Albrand et Carayon, planteurs européens établis à Sainte-Marie, avaient eu lidée dacheter aux Malgaches tous les baleineaux quils prendraient. Après avoir contracté un marché avec les indigènes, ils avaient fait venir de Bourbon des chaudières et tous les ustensiles nécessaires à la pêche des baleines dont ils se proposaient dextraire de lhuile.
La saison de la pêche arrivée et le premier baleineau pris, les Européens offrirent aux pêcheurs soixante piastres quils étaient convenus de leur donner pour chacun de ces cétacés ; mais ceux-ci se prirent à rire en leur disant que pour quatre fois autant dargent ils ne livreraient pas les produits de leur pêche, parcequils aimaient mieux faire bonne chère que daccumuler des piastres dont ils navaient aucun besoin. Cette réponse peut donner une idée de linsouciance des Malgaches et du peu de valeur des engagements quils contractent avec les blancs.
Nous vîmes à Sainte-Marie le jeune Manditsara, fils dun traitant malabare nommé Glon ; ce jeune homme devait hériter de Tsifanin, chef de Tintingue, dont il était le petit-fils. Son état de faiblesse et dapathie ne promettait pas beaucoup au gouvernement français qui lavait fait élever à ses frais.
Pendant trois jours que nous restâmes à Sainte-Marie, il plut presque continuellement, ce qui nous empêcha de visiter létablissement de M. Albrand, situé à quelques lieues du port. Ce mauvais temps nétonnait pas les colons : ils nous dirent quil durait les trois quarts de lannée et que souvent lon était plus dun mois sans voir le soleil. Le capitaine Arnous traita avant notre départ de quelques pagnes et de très beaux coquillages : cest à peu près tout ce que lîle produit. Les bufs, les poules et les canards, qui viennent de la grande terre, y sont presque aussi chers quà Bourbon.
On assure que létat de Sainte-Marie sest beaucoup amélioré depuis cette époque, que des maisons solides et commodes comme celles de Bourbon y ont été bâties, quune immense quantité de terres a été défrichée et plusieurs chemins pratiqués pour communiquer avec lintérieur ; enfin que la population sest considérablement accrue par lémigration des Malgaches qui sétaient mis sous la protection des Français en 1829, et qui sembarquèrent avec eux en 1832 lorsquils abandonnèrent aux Hovas le fort de Tintingue. Toutes ces améliorations sont dues, dit-on, au courage, à lactivité et à la persévérance de M. Tourette, dernier commandant, qui était parvenu à faire construire, avec quelques ouvriers militaires de la marine, un brick de deux cents tonneaux employé aujourdhui à faire le cabotage pour lapprovisionnement de la colonie. Malheureusement cet administrateur habile na pu résister longtemps aux influences pernicieuses du climat ; sa mort a été une calamité pour létablissement et une véritable perte pour la France.
On rencontre dans les forêts de Sainte-Marie de beaux arbres propres à la construction des vaisseaux. Si la rade était plus grande et plus sûre, et le climat moins mauvais, nos bâtiments, qui font la navigation de lInde, pourraient être réparés, dans cette île, à bien meilleur compte quà Maurice où une mâture coûte quelquefois le quart de la valeur du navire ; mais le mouillage ny est pas sûr pendant lhivernage, et la fièvre y enlève presque tous les Européens.
Nous étions si contents de laccueil que nous avait fait Rafaralah, à Foulpointe, quen quittant Sainte-Marie nous nous dirigeâmes encore une fois vers ce port. En nous rendant à la case de Kalou que nous voulions charger dannoncer notre arrivée au gouverneur, je remarquai un caméléon suspendu par la queue à une branche darbre ; il était plus beau que tous ceux que javais vus jusqualors à Madagascar. Ses belles teintes vertes, rouges, bleues et jaunes, produisaient, au soleil, un effet admirable. Je lui présentai mon parasol, et il sy posa comme sil eût été privé. Je le portai ainsi jusque chez Kalou où plusieurs femmes étaient assemblées pour jouer au fifanga. Dès quelles aperçurent mon caméléon, elles se sauvèrent en poussant des cris ; Kalou, quoique plus civilisée, paraissait saisie de la même épouvante que ses compagnes, et il me fallut, pour les décider à rentrer, emporter mon caméléon chez Arnous où je lenfermai dans un sac.
Je leur demandai, à mon retour, pourquoi elles craignaient toutes cet animal qui me paraissait inoffensif : « Parcequavec sa langue, me répondirent-elles, il perce les yeux des femmes, et les met hors détat de trouver des maris. » Jai appris depuis, par Jean René, que lantipathie des femmes malgaches pour le caméléon avait un autre motif, et quelle se rattachait à quelque tradition superstitieuse dont je nai pu avoir lexplication.
Le caméléon est commun à Madagascar. Il mest arrivé plusieurs fois den irriter sur des toiles de diverses couleurs, et je ne les ai jamais vus changer la leur ainsi quon la prétendu. Jai remarqué seulement quils pouvaient vivre longtemps sans prendre de nourriture. Avant mon départ de Tamatave pour le pays des Vourimes, un officier de la marine marchande, nommé Danton, qui avait été mon ami denfance, me pria de lui rapporter un caméléon. Je ne tardai pas à en prendre un que jenfermai dans un sac de natte, et que joubliai tout-à-fait durant tout le voyage. À mon retour à Tamatave, je ny pensais pas davantage, quand une visite de Danton vint me rappeler ma promesse ; je fis chercher parmi mes paquets et lon trouva le sac que je me hâtai douvrir ; à mon grand étonnement, le caméléon vivait encore et ne paraissait pas avoir perdu ses forces, car ses couleurs étaient aussi vives que quand je lavais pris plus de deux mois auparavant.
Le caméléon de Madagascar se nourrit de mouches ; il les prend avec sa langue quil darde à la distance de plus dun pied ; il lance avec une vitesse étonnante cette langue qui creuse et aspire aussitôt la mouche qui se trouve prise dans cette cavité. Les belles couleurs du caméléon se ternissent dès quil est mort. Sa marche est très lente ; on le voit presque toujours suspendu à des branches darbres, par sa queue qui est très longue ; il nest pas obligé de tourner la tête de côté pour chercher sa proie, car ses yeux sont mobiles dans leurs orbites, et se dirigent dans tous les sens avec la plus grande facilité ; sa tête est plate et relevée au-dessus des yeux.
Nous ne restâmes quun jour à Foulpointe, où Rafaralah voulait nous retenir pour une partie de chasse qui devait avoir lieu le surlendemain ; il nous fallut lui promettre que, dans quelque temps, nous viendrions le visiter. Il est tombé sous les coups de la veuve de Radama avant que jaie pu exécuter ma promesse.
Le jour de notre départ, nous étant trouvés retenus par des calmes devant Tamatave, Arnous me proposa daller dans son canot visiter lÎle-aux-Prunes dont nous étions très près. Cet îlot, bien situé pour la pêche, serait habité par les Malgaches si lon y trouvait de leau douce. Nous vîmes, en abordant, plusieurs grandes pirogues au mouillage ; elles étaient pleines de poissons ; tous les soirs ces pirogues retournaient à Tamatave.
LÎle-aux-Prunes, qui na pas plus dune lieue de circuit, est couverte de mangliers ; on voit suspendues, à leurs branches, des milliers de grosses chauves-souris dont les Européens eux-mêmes trouvent la chair délicate ; nous tuâmes, en un instant, plus de cinquante de ces animaux. Le sol de lîle était couvert de coquillages brisés qui ne tardèrent pas à déchirer nos souliers. Après avoir chassé pendant quelques heures, nous rejoignîmes lAlcyon, et la brise étant venue, nous entrâmes à Tamatave avant la nuit.
Je retrouvai là mes amis, Jean René, Coroller et Philibert. Coroller, qui nétait avant mon départ que capitaine détat-major de Jean René, venait dêtre nommé colonel ; ce jeune homme, dont lexistence frêle et maladive était déjà usée par les veilles et létude, est devenu lhomme le plus influent de Madagascar, et ce nétait pas sans raisons que Jean René avait mis en lui toutes ses espérances. Favorisé par la nature, sous le rapport de lesprit et de ladresse, Coroller connaissait les hommes et les choses, et neût pas été déplacé parmi nos meilleurs diplomates européens. Cest à lui que la France doit attribuer les tristes résultats de son expédition de 1829. Il était sobre, rangé, sincèrement attaché à sa patrie adoptive, mais peut-être un peu trop ambitieux. Il navait pas un caractère impétueux comme Radama et René, et faisait tout avec calme et réflexion. Cest à tort quon lui a reproché sa partialité pour les Anglais, car il naimait que son pays et il aurait voulu le voir prospérer.
Il navait alors que vingt-et-un ans ; il était né à Maurice, dune femme malgache qui était sur de Jean René ; son père était un Bas-Breton orfèvre à Maurice ; il était à son aise, et navait rien négligé pour léducation de son fils. Coroller mourut en 1836 ; il était alors régent de Tamatave, gouverneur-général de la province des Bétanimènes, et conseiller privé de la reine dÉmirne dont il dirigeait toutes les affaires.
Jean René avait deux autres neveux, Berora, fils de Fiche, chef dYvondrou, et Philibert qui est encore grand-juge à Tamatave. Le premier, emmené en France par Sylvain Roux, avait été élevé à Paris, aux frais du gouvernement, et allait retourner à Madagascar lorsquil mourut en 1832. Lautre est aujourdhui le seul héritier mâle de la famille de Jean René.
Table des matières
TOC \o "1-3" \h \z \u HYPERLINK \l "_Toc217783504" PRÉFACE. PAGEREF _Toc217783504 \h 3
HYPERLINK \l "_Toc217783505" NOTICE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LÎLE DE MADAGASCAR. PAGEREF _Toc217783505 \h 5
HYPERLINK \l "_Toc217783506" PRÉCIS GÉOGRAPHIQUE. PAGEREF _Toc217783506 \h 5
HYPERLINK \l "_Toc217783507" § 1. Étendue de lîle. Montagnes et rivières. Insalubrité des côtes. Vents. Marées. Température. Minéraux. Mines dor et dargent. Houille. Fertilité du sol. Forêts. Productions végétales. Animaux. PAGEREF _Toc217783507 \h 5
HYPERLINK \l "_Toc217783508" § 2. Population probable. Peuples divers de lîle. Origine de cette diversité. Dénomination des divers peuples. Caractères physiques qui les distinguent. Caractère général des Malgaches. Indolence. Superstitions. Qualités morales. Serments du sang. Hospitalité. Amour maternel. Vénération pour les morts. Religion. Fêtes. Musique. Poésie. PAGEREF _Toc217783508 \h 14
HYPERLINK \l "_Toc217783509" PRÉCIS HISTORIQUE. PAGEREF _Toc217783509 \h 37
HYPERLINK \l "_Toc217783510" I. RELATION DES EUROPÉENS AVEC MADAGASCAR, DEPUIS LA DÉCOUVERTE JUSQUÀ LA CESSION DE LÎLE-DE-FRANCE AUX ANGLAIS, EN 1814. PAGEREF _Toc217783510 \h 37
HYPERLINK \l "_Toc217783511" § 1. Notions des Arabes sur Madagascar. Découverte de lîle par les Portugais. Visite de Tristan dAcunha. Expédition portugaise et premières relations avec les Malgaches. Les Anglais et les Hollandais. PAGEREF _Toc217783511 \h 37
HYPERLINK \l "_Toc217783512" § 2. Établissement dune compagnie française pour lexploitation du commerce de lîle. Pronis et Fouquembourg. Fondation du Fort-Dauphin. Étienne de Flacourt. Champmargou. PAGEREF _Toc217783512 \h 42
HYPERLINK \l "_Toc217783513" § 3. De Maudave rétablit le Fort-Dauphin. Histoire de la colonisation de Benyowsky. Établissement dans la baie dAntongil. Obstacles et revers. Retour de fortune. Grand kabar des naturels. Élévation de Benyowsky au pouvoir souverain. Séparation davec la France. Départ de Benyowsky. Son retour et sa mort. Appréciation de son caractère. Tentative du général de Caen à Tamatave. PAGEREF _Toc217783513 \h 45
HYPERLINK \l "_Toc217783514" II. RÉCIT DES ÉVÉNEMENTS SURVENUS À MADAGASCAR DEPUIS 1814 JUSQUÀ CE JOUR (1840). PAGEREF _Toc217783514 \h 54
HYPERLINK \l "_Toc217783515" § 1. Prétentions des Anglais sur Madagascar. Établissement des Français à Sainte-Marie. Désastres de cette expédition. Vues ambitieuses des Anglais. Première tentative détablissement au port Louquez. Projets de sir Robert Farquhar. PAGEREF _Toc217783515 \h 54
HYPERLINK \l "_Toc217783516" § 2. Histoire de Dianampouine, roi dÉmirne. Étendue de son autorité. Avènement de Radama, son fils, en 1810. Mission de Chardenaux à Émirne. Radama confie linstruction de ses jeunes frères au gouvernement anglais. Mission du capitaine Lesage. Obstacles quil rencontre à Tamatave. Sa réception à Tananarivo. Signature dun traité secret avec Radama. Retour de Lesage à Maurice. PAGEREF _Toc217783516 \h 57
HYPERLINK \l "_Toc217783517" § 3. Retour des frères de Radama avec leur gouverneur Hastie. Portrait de cet agent secret du gouvernement de Maurice. Il trouve Radama à Tamatave. Conquêtes du jeune monarque. Envahissement du territoire de Jean René. Traité de paix de Manaarez. Entrée de Radama à Tamatave et fuite de Fiche à lÎle-aux-Prunes. PAGEREF _Toc217783517 \h 62
HYPERLINK \l "_Toc217783518" § 4. Départ dHastie pour Tananarivo. Réception de lagent anglais. Premières négociations pour labolition de la traite des esclaves. Kabar convoqué à cet effet. Succès dHastie. Traité signé avec Radama. Retour dHastie à Maurice. Fidélité rigoureuse du roi dÉmirne. Honteuse rupture du traité par les Anglais. Occasion dinfluence offerte au gouvernement français. PAGEREF _Toc217783518 \h 65
HYPERLINK \l "_Toc217783519" § 5. Nouvelle mission dHastie. Première apparition des missionnaires anglais. Appréhensions du révérend Jones. Progrès rapides de la civilisation à Émirne. Le Grand-Maréchal Robin. Tentative dHastie pour renouveler le traité rompu. Sanglants reproches de Radama. Sage discours dun vieux conseiller du prince. Grand kabar convoqué à Émirne. Éloquence de Rafaralah. Radama redoute le sort de Louis XVI. Signature dun nouveau traité. Campagne désastreuse contre les Sakalaves-du-Sud. PAGEREF _Toc217783519 \h 70
HYPERLINK \l "_Toc217783520" § 6. Premiers travaux des missionnaires. École publique. Progrès de la mission. Mort dHastie. Regrets publics de Radama. Appréciation de lagent anglais. PAGEREF _Toc217783520 \h 76
HYPERLINK \l "_Toc217783521" § 7. Maladie et mort de Radama (1828). Avènement de Ranavalou, sa femme et sa sur. Récit officiel des funérailles du roi. Richesses enfouies dans son tombeau. Portrait de Radama, par le prince Corroller. Lettre autographe du roi malgache. PAGEREF _Toc217783521 \h 79
HYPERLINK \l "_Toc217783522" § 8. Position critique des missionnaires. Départ de deux dentre eux. Rencontre du prince Ratef et de sa femme. Mort violente de ces deux infortunés. Sanglants auspices du nouveau règne. Arrivée de Robert Lyall, successeur dHastie. Expulsion de lagent anglais. Rupture solennelle du traité de Radama. Cérémonie du sacre de la reine. Discours dintronisation. Serment de fidélité. PAGEREF _Toc217783522 \h 86
HYPERLINK \l "_Toc217783523" § 9. Expédition française sur la Côte de lEst. Précis des événements qui avaient amené cette attaque. Protestation de Radama contre les prétentions françaises. Prise du fort Dauphin par les troupes Hovas. Avanie de la reine contre les traitants français. PAGEREF _Toc217783523 \h 89
HYPERLINK \l "_Toc217783524" § 10. Arrivée du capitaine Gourbeyre à Tamatave. Refus de passeports pour les commissaires français. Fortifications de Tintingue. Commencement des hostilités Prise de Tamatave. Désastre de Foulpointe. Revanche de la Pointe-à-Larrée. Le général Tazo. Diplomatie des Hovas. Évacuation de Tintingue. Causes probables de cet échec. PAGEREF _Toc217783524 \h 99
HYPERLINK \l "_Toc217783525" § 11. Haine croissante de Ranavalou contre les missionnaires. Anecdote. Projets dexpulsion des Anglais. Discours violent dun chef à la reine. Effet de son éloquence. Édit royal qui interdit la pratique du christianisme. Nouvel édit de proscription contre les chrétiens. Exécution rigoureuse de lédit. Départ des missionnaires (1835). Appréciation de leurs travaux et motifs de leur expulsion. PAGEREF _Toc217783525 \h 106
HYPERLINK \l "_Toc217783526" § 12. État actuel de lîle. Nouvel échec dun envoyé français à Tananarivo. Situation précaire des traitants européens. M. Delastelle. Expédition anglaise de 1838. Persistance de la reine à refuser toute relation avec les étrangers. Position menaçante de Ramanétak à Anjouan. Révolution imminente à Madagascar. PAGEREF _Toc217783526 \h 114
VOYAGES A MADAGASCAR ET AUX COMORES
HYPERLINK \l "_Toc217783527" CHAPITRE Ier. PAGEREF _Toc217783527 \h 118
HYPERLINK \l "_Toc217783528" Arrivée à Madagascar. Jean René. Tamatave. Les chiens malgaches. Les maremites. PAGEREF _Toc217783528 \h 118
HYPERLINK \l "_Toc217783529" CHAPITRE II. PAGEREF _Toc217783529 \h 127
HYPERLINK \l "_Toc217783530" Départ pour Vobouaze. Yvondrou. Costumes et pirogues des indigènes. PAGEREF _Toc217783530 \h 127
HYPERLINK \l "_Toc217783531" CHAPITRE III. PAGEREF _Toc217783531 \h 139
HYPERLINK \l "_Toc217783532" Le coq du voyageur. Le houchouk. La rivière dYvondrou. Lurne sacrée. Le vouroun-saranoun, oiseau immortel. PAGEREF _Toc217783532 \h 139
HYPERLINK \l "_Toc217783533" CHAPITRE IV. PAGEREF _Toc217783533 \h 147
HYPERLINK \l "_Toc217783534" Les Ampanires. Un pangalame. La sorcière du lac Nossi-bé. Les Kimosses. Les lacs Rassoua-bé et Rassoua-massaye. Un kabar. Village de Vavoune. Repas servi dans un vase affecté par les blancs à un autre usage. PAGEREF _Toc217783534 \h 147
HYPERLINK \l "_Toc217783535" CHAPITRE V. PAGEREF _Toc217783535 \h 158
HYPERLINK \l "_Toc217783536" Forêt de Vavoune. Le baba-koute. Les makis. Le vari. Les tendracs. Le voun-tsira. Réunion des chasseurs malgaches. Rencontre de deux serpents monstrueux. Chasse aux caïmans. Moyen employé par les naturels pour les prendre. Pipée malgache. PAGEREF _Toc217783536 \h 158
HYPERLINK \l "_Toc217783537" CHAPITRE VI. PAGEREF _Toc217783537 \h 167
HYPERLINK \l "_Toc217783538" Grande chasse au sanglier. La curée. Les exploits de Mara-mass. Vénération pour les chasseurs du sanglier. La chasse recommence. Nuée de sauterelles. Un esclave empoisonné par la piqûre dune araignée. Traitement du malade par le massage. Pêche du caret à lembouchure de lAndévourante. Trafic de lécaille. Le corbigeau. Pêche de la baleine. Fêtes, cérémonies et conjurations des naturels à cette occasion. Départ pour Vobouaze par Andévourante. PAGEREF _Toc217783538 \h 167
HYPERLINK \l "_Toc217783539" CHAPITRE VII. PAGEREF _Toc217783539 \h 179
HYPERLINK \l "_Toc217783540" Andévourante. Portrait des Bétanimènes. Réception faite au voyageur par les jeunes filles. Chants et danses à ce sujet. Visite de Sirira, fille de Siavok, et de sa mère. Le ralouba. Danseurs de profession ; leurs costumes et leurs murs. Rencontre singulière de la maîtresse de Benyowsky. Attachement des Malgaches à leurs coutumes. Histoire dun jeune prêtre indigène. Le serment du sang ; détails de cette cérémonie solennelle. Liste civile du chef. Comment les Malgaches entendent le droit de propriété. PAGEREF _Toc217783540 \h 179
HYPERLINK \l "_Toc217783541" CHAPITRE VIII. PAGEREF _Toc217783541 \h 188
HYPERLINK \l "_Toc217783542" Fêtes et réjouissances à la naissance dun garçon ; indifférence pour les filles. Cérémonie du mampila ou horoscope. Danses guerrières. Funérailles dun grand personnage. Le bobre africain. Chants improvisés et repas funèbres. Procès criminels. Le tanghin. Épreuves préparatoires. Grand kabar. Détails du sahali. Le traonfadi ou case du repentir. Lampananghin ; sa bonne foi et son incorruptibilité. Prompts effets du poison. Allocution au patient. Influence de cette coutume sur la population. Les délateurs et la confiscation. Pénalité infligée à laccusateur. Histoires de la veuve de Zaka-vola et du prince Ratef. Opinion de Radama sur le tanghin. Distinction du tanghin civil et du tanghin criminel. PAGEREF _Toc217783542 \h 188
HYPERLINK \l "_Toc217783543" CHAPITRE IX. PAGEREF _Toc217783543 \h 197
HYPERLINK \l "_Toc217783544" Adieux et cadeaux faits à Siavok et à Sirira. Village de Maramandia. Takon ou brancard de voyage. Arrivée à Vobouaze. Description de la ville. Conjurations dun enchanteur contre lorage. Le résident anglais, M. Hastie. Présentation à Radama. Portrait du jeune conquérant. Ses aides-de-camp et ses pages. Luxe de la cour malgache. Dîner à la table royale. Ordre et détails de service. Musique militaire entendue pour la première fois par Radama. Effets inattendus de la musique sur son organisation nerveuse. Grande fête religieuse du Bain. Croyances des Hovas. PAGEREF _Toc217783544 \h 197
HYPERLINK \l "_Toc217783545" CHAPITRE X. PAGEREF _Toc217783545 \h 206
HYPERLINK \l "_Toc217783546" Grande revue de larmée hova. Disposition des tribus vaincues. Linfanterie ; son uniforme. Les artilleurs. La garde royale des sirondas. Les chanteuses de larmée célèbrent les hauts-faits de Dianampouine et de Radama. Les ombiaches et le fanfoudi-bé. Létendard de Tippou-Saëb. Radama et son cortège. Maladresse des artilleurs. Le roi reçoit le serment de fidélité des nations vaincues. Promulgation du code militaire des Hovas. Les soldats commerçants. Pénalité des déserteurs. Exigences de létiquette hiérarchique. Privilèges des soldats. PAGEREF _Toc217783546 \h 206
HYPERLINK \l "_Toc217783547" CHAPITRE XI. PAGEREF _Toc217783547 \h 213
HYPERLINK \l "_Toc217783548" Murs privées des Hovas. La polygamie leur est permise. La prostitution en honneur dans les premières familles du pays. Formalités du mariage et de la répudiation. Prééminence de la vadi-bé ou première femme. Trésors enterrés avec les morts ; conséquences de cette coutume. Lois criminelles. Trait de justice et de générosité de Radama envers des marchands étrangers. PAGEREF _Toc217783548 \h 213
HYPERLINK \l "_Toc217783549" CHAPITRE XII. PAGEREF _Toc217783549 \h 218
HYPERLINK \l "_Toc217783550" Caractère des fièvres de Madagascar. Maladie et souffrances du voyageur. Retour à Tamatave. Expédition de Jean René contre les Vourimes. Murs de cette peuplade belliqueuse. Intrépidité de son chef Jakamaef. Départ avec larmée. Jean René au village de Mitinandre. Réunion de Jean René avec la division du prince Ratef. Portrait de ce général et du major Ratsi-atou. Rataf, frère de Radama. Description de larmée dexpédition. Lavant-garde hova. Les corps des Betsimsaracs et des Bétanimènes. Première étape à Vatou-mandré. PAGEREF _Toc217783550 \h 218
HYPERLINK \l "_Toc217783551" CHAPITRE XIII. PAGEREF _Toc217783551 \h 226
HYPERLINK \l "_Toc217783552" Entrée à Maroussic Engagement avec les Affravarts sur la place du village. Effets dune pièce de canon dans cette attaque. Abondance et voracité des rats. Préjugés des Malgaches à légard des chats et des porcs. Kabar convoqué par Jean René. Les chefs de Maroussic se soumettent à Radama. Cérémonie à cette occasion. Forêt et rivière de Maroussic. Préparatifs dune chasse au bison. Halte dans la forêt. PAGEREF _Toc217783552 \h 226
HYPERLINK \l "_Toc217783553" CHAPITRE XIV. PAGEREF _Toc217783553 \h 232
HYPERLINK \l "_Toc217783554" Rencontre dans la forêt. Le chasseur noir. Histoire de Simandré. Éloquence naturelle aux Malgaches. Leurs orateurs, exercés dès lenfance, égalent les plus célèbres de lEurope. Exemples et autorités citées à lappui de cette assertion. Les Malates. Origine de Simandré. Il épouse la fille de Sialan. Portrait de Volalande. Rivalité avec Jean René. Piège quil tend à Simandré et à Sialan. Funestes effets de lengagement solennel pris par ceux-ci. Ils sont dépossédés par René et Fiche. Fuite et malheurs de Simandré. Vains efforts quil fait pour se venger de René. Il surprend Fiche et le tue. Terribles représailles. Fin du récit de Simandré. PAGEREF _Toc217783554 \h 232
HYPERLINK \l "_Toc217783555" CHAPITRE XV. PAGEREF _Toc217783555 \h 253
HYPERLINK \l "_Toc217783556" Chasse au bison. Départ de Maroussic. Riant aspect du pays. Village et port de Manourou. Commerce qui sy fait avec Maurice et Bourbon. Le chef Fouhi et sa religion. Entrée dans le territoire des Antatschimes. Le chef Fouhirandre. Ordre de larmée. Village de Taleva-lahé. Arrivée à Amboudéhar. Réception au son du cor. Le pont-levis. Entrée au conseil de Fouhirandre. Portrait du vieux chef. Apparente soumission des Antatschimes. Attaque soudaine et impétueuse de Fouhirandre. Déroute de larmée. Simandré dans la mêlée. Le voyageur rejoint René à Ombé-madinic. Pertes de larmée. Bravoure des Bétanimènes et des Betsimsaracs. On traverse les villages de Mahitzy, Zaza-kout, Benguy-mahia. Le Mangourou. Amboua-massiac, Azon-lahé, Ranou-vola, Raharaha, Ompissa. Descente en pirogue jusquà Mananzari. PAGEREF _Toc217783556 \h 253
HYPERLINK \l "_Toc217783557" CHAPITRE XVI. PAGEREF _Toc217783557 \h 263
HYPERLINK \l "_Toc217783558" Mananzari et son mouillage. Visite à létablissement du capitaine Arnous. Mahéla, et son commerce de riz. Départ pour le pays des Ranoumènes. Île Karmichouk. Dispersion subite des Ranoumènes. Arrivée à Namour. Accueil du chef de ce village. Faraon. Présage funeste pour les Malgaches. Larmée manque de vivres. Le voyageur se rend seul à Faraon pour traiter des provisions. Description de Faraon. Résolution de Dianansaïe ; dialecte particulier de son peuple. Larmée continue sa route en brûlant les villages des Antaymours. PAGEREF _Toc217783558 \h 263
HYPERLINK \l "_Toc217783559" CHAPITRE XVII. PAGEREF _Toc217783559 \h 270
HYPERLINK \l "_Toc217783560" Rivière et village de Matatane. Honteuses coutumes des Anta-ymours importées par les Arabes. Leur respect pour lautorité des chefs. Différence des épreuves subies dans les procès criminels suivant les localités. Épreuve du flot de la marée au Fort-Dauphin. Exposition aux caïmans chez les Anta-ymours. Histoire de la jeune Rakar, accusée de relations criminelles avec un esclave. Courage héroïque de la jeune fille. Issue de lépreuve épouvantable quelle subit. PAGEREF _Toc217783560 \h 270
HYPERLINK \l "_Toc217783561" CHAPITRE XVIII. PAGEREF _Toc217783561 \h 275
HYPERLINK \l "_Toc217783562" Larmée continue sa marche. Villages de Sahada et dAmpa-minta. Montagnes des Chavoaïes. Indices de mines ferrugineuses. Huttes des Chavoaïes. État grossier et misérable de cette peuplade. Ignorance où ils sont des autres habitants de lîle. Leur origine probable. Leurs croyances. Pays des Chaffates. État sauvage dans lequel ils vivent. Excursion à Fahandza, leur principal village. Panique des habitants. Entrevue avec un vieillard Chaffatte. Discours singulier du vieux sauvage. Terreur superstitieuse des Chaffates à la vue du voyageur à cheval. Nourriture de ces peuples. Mission de Ratsiatou. Entrée dans les montagnes des Vourimes. Village de Hantsy-lava. Froid excessif du climat. Jean René sur le point dabandonner la campagne. Nouvelles de Ratsiatou. Le bourreau malgache. Trahison des ministres de Jakamaëf. Entrée à Mononga-bé, capitale des Vourimes. Retour de larmée. Halte à Sakaléon. Ombé-marou, ville principale de ce district. Richesse du chef Vouaré. Les Vourimes prêtent le serment de fidélité. Fouhirandre soppose au passage de larmée sur son territoire. Maladie grave et guérison merveilleuse de Jean René. Arrivée à Tamatave. PAGEREF _Toc217783562 \h 275
HYPERLINK \l "_Toc217783563" CHAPITRE XIX. PAGEREF _Toc217783563 \h 286
HYPERLINK \l "_Toc217783564" Accueil gracieux et reconnaissant des neveux de Jean René. Départ pour le Nord avec Arnous. Débarquement à Foulpointe. Kalou, la mulâtresse. Visite au gouverneur de Foulpointe. Sa maison. Sa garnison. Histoire de sa lutte contre Radama. Paroles héroïques quil adresse à son vainqueur. Sa fin malheureuse. Caractère de cet homme remarquable. Présentation à ses femmes. Son portrait en costume de chef antscianac. Accueil quil fait aux Français. Gravité noble de ses manières. Case élégante du gouverneur. Environs et village de Foulpointe. Industrie des tisserands antscianacs établis auprès de Rafaralah. Comment ils lissent leurs admirables pagnes. Lépreux. Maladie plus hideuse encore que la lèpre. Horreur des indigènes pour les malheureux affectés de cette maladie. Cimetière de lancien établissement français. Dîner chez le gouverneur. Toilette européenne de ses femmes. Occupation du dessert. Nouveau moyen de transport. PAGEREF _Toc217783564 \h 286
HYPERLINK \l "_Toc217783565" CHAPITRE XX. PAGEREF _Toc217783565 \h 298
HYPERLINK \l "_Toc217783566" Départ de Foulpointe. Village de Mahambou. Rade de Fénérif. Singulier traitement de la rougeole. Retour de plusieurs pirogues malgaches de la pêche de la baleine. Culture et commerce des environs de Fénérif. Habileté des indigènes dans la navigation. Leur bonne foi dans les transactions avec les Européens. Île Sainte-Marie. Climat funeste et aspect désolé de cet établissement français. Tristes restes de lexpédition de 1820. Résidence et bureaux du commandant. Fortifications. Anciens habitants de lîle. Habitants actuels. Abondance des baleines sur les côtes. Passion des Malgaches pour la chair des baleineaux. Lhéritier présomptif du chef de Tintingue. Améliorations de rétablissement sous ladministration de M. Tourette. Seconde visite à Kalou. Horreur des femmes malgaches pour le caméléon. Description et murs de ce joli animal. Dernière entrevue avec Rafaralah. Relâche à lîle aux Prunes. Aspect de cet îlot inhabité. Chasse aux chauves-souris. Retour à Tamatave. Détails sur la famille de Jean René. Portrait du prince Coroller. PAGEREF _Toc217783566 \h 298
Note sur lédition
Le texte a été établi à partir de lédition originale.
La mise en page doit tout au travail du groupe Ebooks libres et gratuits (HYPERLINK "http://www.ebooksgratuits.com/"http://www.ebooksgratuits.com/) qui est un modèle du genre et sur le site duquel tous les volumes de la Bibliothèque malgache électronique sont disponibles. Je me suis contenté de modifier la « couverture » pour lui donner les caractéristiques dune collection dont cet ouvrage constitue le quarante-deuxième volume. Sa vocation est de rendre disponibles des textes appartenant à la culture et à lhistoire malgaches.
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Pierre Maury, décembre 2008.
A Briefe Discovery, or Description of the most famous island of Madagascar or Saint-Laurence in Asia neere unto East-India by Richard Boothby, merchant, London, printed by E. G. for John Hardesty. 1646 4° p. 6.
Par un singulier hasard, M. Leguével de Lacombe a connu le Français dont il sagit ici ; voici ce quil nous écrit à ce sujet : « Jai reconnu immédiatement par votre récit le personnage que lambassadeur arabe a rencontré près de Tananarivo : cest un jeune homme de la Franche-Comté nommé Droit, excellent armurier, que jai adressé et recommandé en 1829 au sultan dAnjouan, Abdalla-ben-Aloï. Je le fis partir de Bourbon avec le jeune Abdallah-ben-Ali, mon hôte ; celui-ci me promit de le présenter lui-même à son cousin le sultan, qui devait lemployer à la réparation de ses armes. Cest un garçon entreprenant, brave et très adroit. Il paraît que nayant pas réussi à Anjouan il aura été chercher fortune à Madagascar ; il avait des connaissances en minéralogie, et son éducation avait été moins négligée que celle de la plupart des ouvriers
»
Le laborieux secrétaire de la Société dhistoire naturelle de lîle Maurice, M. Julien Desjardins, a réuni un nombre immense de documents propres à une description générale des richesses scientifiques de Madagascar et des îles avoisinantes ; mais cet estimable naturaliste paraît plus désireux dacquérir des connaissances nouvelles que de faire part au monde savant de celles quil possède déjà. On ne peut sempêcher de regretter que ce penchant, digne des plus grands éloges lorsquil a pour but de mûrir des travaux auxquels la précipitation a toujours été funeste, prive la science des renseignements précieux que la persévérance de M. Desjardins lui a permis damasser, et dont son savoir tirerait, nous nen doutons pas, un grand parti.
Nous possédons les manuscrits de ces trois voyageurs.
Peuples de lAfrique que lon croit être les mêmes que les Gallas.
Les bornes de cette notice ne nous ont pas permis de donner à cette question un développement quelle recevra dans un travail plus étendu que nous préparons en ce moment. Nous nous contenterons de faire observer que cest dans les provinces du centre de lîle, chez les Hovas et les Ant-ancayes, que la race malaise sest conservée plus distincte. On remarque surtout le type africain chez les peuples de louest, le littoral de lest étant occupé par des peuples dont la constitution physique très variée rappelle quil fut le théâtre denvahissements successifs de la part des Malais et des Arabes, et que les Européens y ont depuis longtemps séjourné, mariés à des femmes du pays.
Ce nom ne se trouve que dans Flacourt ; Drury, qui a passé douze ans dans la province dAndroui, ne le mentionne pas.
Assemblées.
Émirne est le canton dans lequel est situé Tananarivo, la capitale du royaume hova. Prenant la partie pour le tout, nous emploierons, comme les Malgaches, cette dénomination de roi dÉmirne dans le sens de roi dAncove.
Les Ant-Ambongous, dont le pays na jamais été visité par des Européens, sont des Sakalaves indépendants.
Benyowsky, Mémoires, t. II, p. 320.
Poison violent qui sert aux épreuves judiciaires ; il est rare que les accusés en réchappent.
Vieil auteur anonyme.
On sait que le riz se sème dans leau, croît dans leau, se cuit dans leau, et fournit aux Malgaches leur boisson favorite, le ramoupangh, que lon obtient en faisant bouillir de leau dans la marmite où le grain a été cuit.
M. Baker a traduit et publié dans lAsiatic Journal, t. IX, p. 360 et le Christian Keepsake, 1835, p. 260, des fragments de poésies quil a recueillies pendant son séjour à Madagascar.
Le colère Rochon calomniait tous ceux dont les opinions différaient des siennes ; ajoutant une foi entière à lexistence des Kimos, il devait lancer quelque trait méchant contre Flacourt : « Que lon cesse enfin, dit-il, dopposer à des faits lautorité dun homme, en tout point suspect par sa haine implacable envers les Madécasses ! » (Voy. à Madagascar, p. 187.) Le reproche est aussi peu fondé que le raisonnement est faible : Flacourt a dépeint les Malgaches tels quil les a vus. La secte des philosophes et des économistes nétait pas encore née ; la géographie nétait pas encore devenue un thème pour des sermons politiques, et la sagesse, la liberté, le bonheur ne se trouvaient pas alors exclusivement chez les sauvages comme au temps de labbé Rochon. Mais en admettant que Flacourt eût détesté les Malgaches, pourquoi cette haine devrait-elle faire rejeter une assertion qui représente les Kimos comme une invention des poètes malgaches ? En quoi la non-existence des Kimos aggravait-elle les accusations fort justes de Flacourt ?
Voyage aux Indes orientales. Paris, 1779, 4°, t. II, p. 503 et suiv.
Le savant et fécond géographe M. Eyriès soccupe en ce moment dun travail sur les voyages imaginaires, travail auquel ses vastes connaissances sauront, on nen peut douter, donner un grand intérêt.
Edrisi parle dune nation de petits hommes qui habitent une île ou une contrée orientale de lAfrique. Voyez la traduction de M. Amédée Jaubert. T. V des Mémoires de la Société de géographie. Paris, 1836, p. 50.
Botelers narrative of a voy. of discovery to Africa and Arabia. Lond., 1835, t. II, p. 212.
Dans son Ana. Paris, 1696, in-12, p. 42.
Recueil historique, 4°, t. XV, Z 2284. ZF 58 (6).
Géographie dEdrisi, traduite par M. Amédée Jaubert, p. 9.
Voyages de Marco Polo, T. I des Mémoires de la Société de Géographie, page 232.
Fernan Suarez ayant, lui aussi, tracé la carte de ses découvertes sur la côte orientale qui ne paraissent pas avoir été connues de Tristan dAcunha, lorsque celui-ci partit de Portugal, on peut inférer que lesquisse hydrographique de lîle était dès-lors à peu près complète. Nous puisons ces détails dans les anciens ouvrages portugais et espagnols que M. Ternaux-Compans a eu la complaisance de mettre à notre disposition, et parmi lesquels nous citerons seulement le « Tratado que compôs o Nobre et Notavel capitao Antonio Galvaô
» 1563, in-12 ; les « Commentarios do Grande Afonso Dalboquerque. » Lisb., 1576, in-f° ; le « Compendio de las historias de los descubrimientos y conquistas, guerras della India Oriental
por D. Joseph Felipe Martinez de la Puente. Madrid, 1681, in-4° ; les « Dialogos de varia historia
Autor Pedro de Mariz
, » Coïmbra, 1598, in-4°.
«
Foy oprimeiro capitam que ali invernara, » dit Antonio Galvao dans son Tratado.
Richard Boothby, A briefe Discovery or Description of the most famous Island of Madagascar, p. 9.
Relations véritables et curieuses. Paris, Courbé, 1651, p. 3 et 107.
La royale Compagnie de France aux Indes-Orientales fut fondée par Colbert, en 1664 ; Louis XIV prit un intérêt dans laffaire, et son exemple fut imité par tous les princes du sang et par les chefs des cours souveraines. Jamais société ne fut organisée sous des auspices plus favorables ; et ce fut peut-être la grande facilité quelle trouva pour sétablir qui causa sa ruine ou du moins empêcha la réalisation des bénéfices quelle promettait à sa naissance. Elle avait trop de privilèges et trop de fonds à sa disposition ; les millions du roi, dont le but était tout politique, enfantèrent et nourrirent pendant quelque temps le gaspillage ; une fois le désordre introduit au milieu de cette entreprise commerciale et militaire, il fallut renoncer aux beaux rêves que sa fondation avait fait naître.
Voyez le récit de ce fait dans le Voyage de Madagascar par M. de V
Paris, 1722. In-12, p. 186 et suiv.
Navarette(cap) in Churchills collection of voyages. London, 1704, f°, t. 1, p. 326.
Traduction littérale du nom malgache.
Les faits singuliers qui précèdent sont extraits des Mémoires de Benyowsky : leur véracité est confirmée par les notes manuscrites dun interprète de létablissement, Mayeur, dont les opinions différaient beaucoup de celles de Benyowsky, mais qui, tout en combattant ses principes, na jamais contredit ses assertions. Cest sans doute pendant la traversée de Madagascar au cap de Bonne-Espérance que le baron écrivit ses mémoires publiés à Londres en 1790. Les détails authentiques et peu connus qui vont suivre sont puisés dans plusieurs lettres autographes, et dans les rapports faits au gouvernement de lÎle-de-France après la destruction de lempire éphémère de Benyowsky.
Deslandes, Recueil de différents traités de physique. Paris, 1758, in-12, t. III, p. 1.
Précis sur les Établissements français formés à Madagascar, imprimé par ordre de M. lamiral Duperré, ministre de la marine. Paris, Imp. Roy., 1836, in-8°, p. 3.
Nous donnons dans lappendice cet acte important, dont le gouvernement ne semble pas avoir connaissance.
Ou Dianampouine-Imérine, ce qui signifie le désir dÉmirne, province centrale dAncove.
Dianampouine était tributaire des Sakalaves-du-Sud ; ce fut Radama qui secoua ce joug en 1820.
Ce nom signifie poli, uni, glissant, rusé, fourbe. Daprès ce que nous avons dit des penchants des Hovas, on ne sétonnera pas quils donnent volontiers à un enfant le nom de fourbe et de rusé. Radama (que lon appelle aussi Lahi-Dama ou Idama, les syllabes Ra, Lahi et I, étant toutes trois des particules de noms propres ; Ra signifie sang ; Lahi, homme, mâle, I est une contraction de Lahi), Radama, disons-nous, quoique fin et rusé, naimait pas à mentir, et punissait sévèrement ceux qui voulaient le tromper ; il répétait souvent que la stabilité de son trône dépendait de deux choses : la stricte conformité à la vérité, et limpartiale administration de la justice.
Les chefs de la côte, que Jean René avait remplacés, suscitaient chaque jour aux Blancs de nouvelles tracasseries pour avoir un prétexte de les condamner à de fortes amendes. Quand ils célébraient des fêtes ou se livraient aux plaisirs du ralouba (réjouissances nocturnes qui ne sont quune série dorgies), ils obligeaient les traitants à payer des contributions extraordinaires pour subvenir aux dépenses quelles nécessitaient, et à leur fournir larack dont ils senivraient. Les traitants navaient rien de semblable à craindre de Jean René, qui ne leur faisait payer aucun impôt, et ne percevait sur leurs bâtiments dautres droits que dix piastres dancrage et une dame-jeanne darack pour ses soldats.
Ce qui causa le plus de plaisir au roi parmi ces présents, fut une pendule. Mais elle avait été dérangée et sonnait les heures tandis que les aiguilles marquaient les demies, et Radama ne pouvait dissimuler son chagrin de cet accident. Par bonheur, un jour quil était absent, Hastie découvrit la cause du dérangement de la pendule et y remédia. Quand Radama revint, sa joie neut pas de bornes ; la pendule fut placée sur un billot, et le monarque sasseyant par terre la contempla pendant une heure ; enfin quand elle sonna, oublieux de la dignité royale, il se mit à danser comme un enfant. Quant aux chevaux, à force de soins les Malgaches faillirent les faire périr.
La fortune de ce Robin est une des nombreuses preuves de la sympathie des Malgaches pour nos compatriotes. Cet homme, simple sous-officier dans un régiment colonial, sétait enfui de Bourbon à Madagascar, après quelques fautes graves contre la discipline. Il arriva à Tananarivo en 1819, gagna bientôt les bonnes grâces de Radama auquel il apprit à parler et à écrire le français, et séleva successivement jusquau grade de Grand-Maréchal dans larmée malgache. À la mort de Radama il perdit tous ces honneurs, et, comme tous les Européens qui avaient eu quelque influence auprès du roi, il fut persécuté et forcé de senfuir de la capitale.
Andrian, noble, titre de respect ; Assi est une corruption du nom dHastie.
Quoique Radama eût douze femmes, une seule était reconnue comme reine : cétait Rasalime, la fille du roi des Sakalaves-du-Sud. Celle-ci vit encore à Tananarivo, entourée dégards et de considération de la part de Ranavalou. Rasalime a une fille de quatorze ans, lunique rejeton du grand Radama. La reine actuelle a un fils qui est appelé le fils de Radama, quoiquil soit né environ un an après la mort du roi.
Cette relation diffère en quelques points de celle des missionnaires anglais. Nous avons indiqué en note les principales différences. La date de la mort de Radama qui, dans lune, est le 24 juillet, est dans lautre le 27.
Ce ne fut pas la seule manifestation de douleur quexigea lédit de la reine. Il était enjoint aux femmes de pleurer, à tout le monde de déposer les ornements et vêtements brillants, de ne brûler aucun parfum, et de ne porter que le lamba (manteau) national dont les pans devaient être soigneusement relevés. Il était aussi défendu sous peine de mort de monter à cheval, de se faire porter dans un siège à bras (takon), de jouer daucun instrument, de danser et de chanter, de coucher autrement que sur la terre, de manger sur une table, de se saluer en se rencontrant, et de se livrer à aucun travail.
Tranou-vola est la principale résidence du souverain ; Bessakane est le second palais ; il est plus spacieux que le premier.
Les Sirondahs.
Le prince Corroller avait été apprenti orfèvre à lÎle-de-France. Ces détails, dans lesquels il se complaît, montrent quil navait pas tout-à-fait oublié son ancien état.
Ce monument forme une terrasse en pierres brutes denviron trente pieds carrés et de seize pieds de haut. Il est surmonté dune maisonnette à leuropéenne, ayant une galerie tout autour et une belle glace sur chaque face. Lintérieur en est richement décoré ; on y a déposé une table, deux chaises, une bouteille de vin, une carafe deau et deux gobelets, afin que lorsquil plaira à lombre du feu roi de visiter le lieu où reposent ses restes, il puisse y imiter lombre de son père et y goûter les plaisirs qui lui étaient chers pendant la vie.
Dautres disent 150,000 ; les missionnaires fixent le chiffre à 10,300.
On y grava ces mots :
Tananarivo, 1er août 1828.
RADAMA MANJAKA,
sans égal parmi les princes,
Souverain
de lîle.
Radama était parvenu à parler et à écrire notre langue. Voici une lettre de lui adressée à M. Dayot, agent du gouvernement français à Tamatave, et dont loriginal est en la possession de M. Eyriès.
Lécriture est celle dun écolier qui nest pas encore assez avancé pour former de petits caractères ; ceux de la signature sont plus gros que les autres ; le roi devint plus habile dans la suite. Nous reproduisons ce morceau sans aucun changement à lorthographe ni à la ponctuation.
« Émyrne, le 18 may 1819.
« Monsieur Dayot jai réçu votre lettre par laquelle vous me dites que vous avez prêté sur la bonne foi à un ovas la valeur de cinq têtes vous devez être instruit Monsieur que jai dans le tems envoyé mes ministres À tamatave prévénir tous les blancs de ne rien prêter à aucun ovas parceque la Majeure partie De ceux qui descendaient à Tamatave étaient des chevaliers dindustrie. Néanmoins si je puis découvrir cet homme je le ferai saisir et Vous ferai rendre justice Si vous le découvrer de votre côté je vous autorise À vous Emparer de sa persone et de tout ce qui lui appartient (1) jai lhonneur de vous saluer,
« RADAMAMANJAKA Havane (2)
« Monsieur DAYOT. »
(1) Daprès la loi hova les débiteurs insolvables sont vendus au profit de leur créancier.
(2) Manjaka, roi ou grand chef ; Havane, parent, ami, formule de politesse.
Nous disons « français » parceque lon a prétendu que lalphabet anglais servait à écrire le malgache. Les missionnaires lont publié, mais ils ont ajouté que « le roi décida quon se servirait des consonnes anglaises et des voyelles françaises. » Chacun sait que les consonnes, à lexception du J et du W (exclus du malgache) ont le même son en français quen anglais ; or, si les voyelles et les consonnes employées pour écrire le malgache se prononcent comme en français, il est clair que lalphabet malgache ne peut être quun alphabet français, et que les Anglais nont aucun droit à lhonneur davoir fourni à ce peuple qui entre dans les voies de la civilisation les premiers caractères de son écriture. Lorsque les missionnaires proposèrent à Radama dappliquer lalphabet anglais au malgache, et lui expliquèrent les nombreuses consonnances variables de leurs voyelles, il sécria quil voulait « quun A fût un A, et non pas tantôt un É et tantôt un A. »
Le fils du prince Ratef était lhéritier du trône désigné par Radama, et ce fut là la cause de sa mort.
Nous puisons ces détails dans le Précis imprimé par ordre du ministre de la marine. Lauteur de cet excellente brochure, dont le nom ne nous est pas connu, a résumé avec une grande clarté les diverses phases de nos établissements à Madagascar depuis 1815. Lavantage quil a eu de travailler sur les documents conservés aux archives du ministère de la marine, la préservé des erreurs que lon remarque dans plusieurs publications auxquelles lexpédition de 1829 a donné naissance. Cest cette considération qui nous a déterminé à suivre son récit, tout en rectifiant quelques faits inexactement transmis au gouvernement.
La nouvelle de sa révocation arriva à Sainte-Marie quelque temps après sa mort.
Précis sur les Établissements français formés à Madagascar, p. 20 à 32 passim.
Précis sur les Établissements français, p. 36.
« A menacing letter, » disent les missionnaires.
Botelers, Narrative of a voyage of discovery to Africa and Arabia, t. II, p. 273.
Précis sur les Établissements français, p. 39. Radama envoya un renfort considérable de troupes dès quil eut connaissance de la position de son général au Fort-Dauphin.
Précis sur les Établissements français, p. 40.
Précis sur les Établissements français, p. 48.
Précis sur les Établissements français, p. 66.
Précis sur les Établissements français, p. 68.
Nous avons cru devoir conserver ce terme que les missionnaires anglais emploient toujours pour désigner lassemblage de petits morceaux de bois, divoire, de cuivre et dargent, auquel les Hovas prêtent une grande puissance ; le terme malgache est odi ou fanfoudi, cest-à-dire, charme, remède, préservatif.
Formule de la chancellerie hova et lun des surnoms de la reine.
Voir la note, page 154.
Cest-à-dire : « Votre crime nest point davoir embrassé la foi chrétienne, mais davoir transgressé les coutumes nationales, les coutumes sur lesquelles notre société est établie. »
Village dans la baie de ce nom, située sur la côte du N.-O.
Ravahini, lÉtrangère.
On appelle ainsi, aux îles Maurice et Bourbon, la portion du littoral de Madagascar qui sétend dAngontsi à Manourou.
Cet îlot, situé à une petite distance au N.-E. de Tamatave, est couvert darbres qui servent dasile à des milliers de grosses chauves-souris. Le terrain y est tellement rocailleux quil est difficile den faire le tour sans mettre en pièces sa chaussure. On ny trouve pas deau douce.
Javelot malgache, larme nationale.
Le ravinala, connu des Européens et des créoles des îles Maurice et Bourbon sous le nom dArbre du voyageur, parceque lon trouve entre les aisselles de ses feuilles de leau très fraîche et très bonne à boire, a le tronc dun palmier et les feuilles du bananier, avec cette différence que, plus épaisses et plus fortes, elles ne saffaissent pas comme celles de ce dernier arbre, mais se redressent vigoureusement et se disposent en éventail régulier au sommet de larbre. Le ravinala est très utile aux Malgaches ; son bois filamenteux sert à former la charpente, et ses feuilles les parois extérieures, les cloisons et le toit de leurs cases. Ils emploient encore sa feuille à divers usages domestiques. Le ravinala croît près des ruisseaux et dans les marécages, et non dans des lieux secs et arides, comme on la prétendu pour colorer dun peu de merveilleux la propriété quil a de fournir au voyageur altéré une boisson rafraîchissante, qui nest autre que de leau de pluie.
Saison des pluies et des chaleurs, qui commence en novembre et finit en avril. Cest alors que la fièvre décime les Européens et les Malgaches de lintérieur de lîle.
Vents périodiques et très violents.
Plaines marécageuses et couvertes de hautes herbes nommées fatake.
Les Malgaches appellent kiva les chiens inutiles, et amboa ceux qui chassent le sanglier.
Province située entre les 18e et 19e degrés de latitude S.
Pandanus ; on en distingue trois espèces : P. Hofa, P. sylvestris, P. longifolius pyramidalis. La dernière se voit à la baie dAntongil.
Ministres chargés de faire connaître les volontés du chef ; ampitakh signifie littéralement parleur.
Fouhi-loha signifie tête éventée.
Étoffe fabriquée dans lInde et connue en France sous le nom de madras.
Espèce de palmier qui porte un fruit en grappe, ressemblant assez à la noix darek, mais plus petit. Aux aisselles de ses feuilles pend un chevelu de la grosseur du fil à voile ordinaire, adhérant à larbre, qui va toujours en diminuant dans une longueur de trois à quatre pieds, jusquà devenir à son extrémité plus délié quun crin. Ce chevelu nétant partout, ni de même longueur, ni de même grosseur, a besoin dêtre assorti. Les naturels, après avoir fait un choix des plus gros et des plus forts brins, les tressent ensemble et en obtiennent un amarrage dune force et dune durée extraordinaires ; car lune des propriétés de cette production végétale est de se conserver longtemps dans leau. Le vounoutre vient très bien dans les endroits marécageux. Les Européens qui fréquentent Madagascar ne lappellent que lArbre chevelu, et en font dexcellents matelats.
La plus grande partie des détails qui précèdent ont été puisés dans les précieuses notes inédites de Mayeur, linterprète et le conseil du célèbre baron de Benyowsky. Il avait fait une étude spéciale de la construction des pirogues malgaches qui, pendant trente ans, servirent seules à ses longs voyages sur les côtes et sur les rivières de Madagascar.
Oiseaux aquatiques.
Le houchouk se compose de feuilles de tabac séchées au feu, pulvérisées dans la main et vannées sur une feuille de ravinala ; on joint à cette poudre à peu près la même quantité de cendre, également vannée. Ce mélange fait, on en prend une pincée et on la place sous la lèvre inférieure : cette préparation excite les gencives et produit une salivation abondante. Les Malgaches aimeraient mieux se passer de manger que dêtre privés de leur houchouk, et cependant, avec cette insouciance qui nappartient quà eux, ils ne sen approvisionnent jamais pour plus de deux ou trois heures. Sils sont en voyage ils sarrêtent, et toutes les exhortations du blanc qui les a engagés ne peuvent les empêcher de faire du feu pour avoir de la cendre, et de passer, avec une lenteur dont rien ne peut donner lidée, par toutes les préparations du houchouk. Son impatience, sa colère, en voyant se perdre un temps qui lui est précieux, ne servent quà les faire rire, et la seule réponse quil en obtient est celle-ci : Tsi miss houchouk, vazah marari ; sans houchouk, mon blanc, on est malade.
Cette espèce nest pas plus grosse quune mésange ; son bec est long, effilé, et légèrement arqué ; sa poitrine, remarquable par une belle couleur de feu, est entourée de plumes noires. Le reste du corps est de couleur changeante entre le jaune et un vert dragon des plus éclatants.
La veuve est commune à Madagascar ; elle est plus grosse quun chardonneret ; son dos est noir et son ventre orangé. Elle perd, à la fin de lhivernage, les plumes fines qui pendent de sa tête comme un voile.
Ils sont plus gros que les perroquets verts et gris que nous voyons en Europe et ils parlent encore plus distinctement queux, mais leur éducation exige plus de temps et de soins. Les Malgaches les appellent boéza.
Ce ramier est un peu plus grand que le nôtre ; son plumage est dun beau vert foncé. Sa chair est détestable dans la saison où il se nourrit dun fruit blanc et rond que lon trouve près des ruisseaux et dont larbre ressemble au frêne, mais elle est très délicate dans tout autre temps. Il ne shabitue pas à lesclavage ; enfermé dans une cage il devient triste et périt au bout de quelques jours.
Il est plus rare que le ramier vert, mais facile à apprivoiser. Son corps est dun bleu velouté, à lexception du cou qui est dun blanc argenté. Sa tête est ornée dune crête rouge.
Il y en a plusieurs espèces à Madagascar. Quelques-unes sont blanches et grandes comme des cygnes ; dautres sont plus petites et dun plumage cendré. Leur nom malgache est langouri.
Nom qui ne paraît pas peindre quelque trait distinctif de cet oiseau et dont voici la décomposition : vouroun, oiseau ; sara, bon ; noun pour nounou, sein, mamelles. Le nom de vouroun-pangharak voah qui signifie littéralement : oiseau pilote du caïman, lui est aussi appliqué dans certaines parties de la côte orientale, et exprime parfaitement ses habitudes.
Arum album et rubrum, plante aquatique, dont les feuilles sétalent sur leau.
Ampanire signifie fabricant de sel.
Aussi pangalane, littéralement : où il faut faire son chemin.
Maha, puissante, habile.
Bé, très ; man, riche.
Littéralement : être de bonté.
Isthme qui sépare le lac Nossi-bé du lac Iranga. Il existait dans ce lieu, disent les Malgaches, un serpent monstrueux, un fangane terrible qui dévorait les hommes et les bufs. Ses dimensions étaient telles quil pouvait entourer dans ses replis jusquà des villages de trois cents familles ; les habitants, investis de cette façon, étaient inévitablement atteints par les sept dards dont sa langue était armée, et périssaient dune mort affreuse. La désolation était à son comble quand Dérafif, le bon principe, parut dans le canton et résolut de le délivrer de ce fléau destructeur. À cet effet, il ordonne quon lui fabrique une serpe proportionnée à la taille du monstre. Muni de cette arme gigantesque, il épie linstant où le fangane se livre au sommeil, lattaque, en est vainqueur, et divise son corps en tronçons, quil disperse dans toute la contrée. La caverne où se retirait le fangane, létang où il se baignait, se voient encore à Tanfoutchi, langue de terre qui na pris, disent les naturels, cet aspect argileux et blanchâtre doù lui vient son nom, que parcequelle était le passage habituel du dragon. (Mémoire sur la langue malgache, par E. de Froberville, dans le Bulletin de la Société de géographie, n° de janvier 1839.)
Enfants de petite graine.
Cet appât sappelle tsi-komba, contraction de mitsi-komba, qui signifie faire le singe, imiter.
En malgache : zompou ou rompou.
Osphronemus olfax, Commerson.
Littéralement : ronces de cochon.
Les Malgaches renversent le riz tout brûlant de la marmitte sur ces feuilles, et le laissent ensuite suer un instant, maévouk, dans une espèce de porte-feuille de natte fine.
Petit-père ou le père-enfant.
Lapira, mot dont la signification mest inconnue ; tsi-akoho, littéralement : qui nest pas poule.
Lemur, de Linné ; en malgache, varik.
Chapelier, dans une de ses lettres à M. de Froberville, rapporte lanecdote qui a fait désigner chez les Malgaches sous le nom de voun-tsira (littéralement : suffoqué par le sel) cet animal connu par les naturalistes sous celui de mustela galera. «
Plusieurs personnes étaient occupées, dit-il, à brûler les troncs dun palmier (le sata-foutchi, qui donne par la combustion une espèce de sel assez semblable à la soude du commerce, pour entrer comme elle dans la composition du savon), lorsquils aperçurent lanimal dont jai parlé. Ils lui lancèrent aussitôt les morceaux de ce sel qui, le frappant à la tête, létourdirent et le firent tomber, ce que voyant les naturels sécrièrent : voun-t-sira, voun-t-sira ! »
Il était mulâtre.
Elle va se jeter dans le lac Rassoua-bé.
Ce nom, qui signifie il tacheté, sapplique aux chiens étrangers qui ont au-dessus de lil une tache ronde et rousse.
Médecin ; qui fait le métier du bon génie.
Le massage, à Madagascar et dans presque toutes les parties de lInde, consiste à pétrir avec les mains toutes les parties du corps dune personne couchée ; cet usage, qui nest pour lhomme en santé quun raffinement de sensualité, produit de bons effets dans plusieurs maladies.
Cet oiseau avait le cou long de deux pieds et demi au moins ; il était blanc ; son bec était noir, long et aigu ; les plumes de la partie supérieure de ses ailes étaient dun beau noir ; sa partie inférieure, ainsi que le ventre, dun gris sale ; ses pattes, qui pouvaient avoir un demi-pied de longueur, étaient jaunes et calleuses, son envergure était considérable ; il marchait lentement, la tête baissée et le cou arqué. Il me parut avoir près de quatre pieds de hauteur de la tête aux pattes. Après lavoir écorché je goûtai sa chair noire et spongieuse que je trouvai plus mauvaise encore que celle de lalbatros.
Le fou est un oiseau quon trouve dans les mers de lInde et près des îles désertes quil habite ; il est plus gros et plus ramassé que le corbeau ; son plumage est gris, mêlé de noir. Cest sans doute sa stupidité qui lui a valu le nom de fou ; souvent il se pose sur une vergue ou sur une manuvre de bâtiment, où il ne tarde pas à être pris par le mousse, car il ne fait pas la moindre tentative pour séchapper ; il se contente, lorsquon le saisit, douvrir le bec en poussant un croassement qui ressemble à celui du corbeau ; sa chair a le goût dhuile de poisson.
Le mot Zanaar ne sapplique pas toujours au bon génie ; tout événement heureux, tout objet agréable, merveilleux, incompréhensible, reçoit des Malgaches lépithète de zanaar.
Liqueur forte extraite du sucre.
On les appelle sekatses, bâtards, peut-être parcequils nont point de parents.
Nom de femme très commun, qui signifie sarcelle.
Poison violent que lon administre aux personnes accusées dun crime.
Alela vouaï : imprécation très commune dans la bouche des Malgaches. Ils la font suivre ordinairement du mot kafiri, juron qui paraît avoir été importé par les Arabes.
Le mampila est une planchette avec des bords peu élevés, divisée en quatre compartiments de diverses couleurs, par des lignes qui vont dun angle à lautre. Elle est couverte dune légère couche de sable fin, sur laquelle lombiache trace des caractères arabes, en murmurant des paroles mystiques, parmi lesquelles revient souvent le mot zan, enfant.
Ces boucliers ne sont pas employés à la guerre par les peuplades de la Côte de lEst ; ils ne sen servent que pour la danse guerrière nommée mitava. Cependant la race des Zafféraminians en porte dans les combats.
Cet instrument est simplement un long arc, fait dune tige de bambou ou dune gaule dun autre bois ; la corde qui le tend est ordinairement en fil de fer ou en laiton ; vers le tiers inférieur de la longueur du bois, est attachée la moitié dune calebasse, espèce de table dharmonie qui reçoit les vibrations de la corde par un lien également en métal qui lattire dans le sens de la calebasse. Le bobre se joue avec une petite baguette de bois ; on frappe alternativement sur lune et lautre sections de la corde. Le son en est très faible, en sorte que le rhythme paraît être le principal objet de cet instrument. Il est très répandu aux îles de France et de Bourbon. Il a été importé à Madagascar par les nombreux esclaves cafres et mozambiques que les Arabes y ont amenés.
Et aussi : tanghinia veneniflua.
Celui qui administre le tanghin, bourreau et prêtre à la fois, confesse le patient qui vient davaler le poison. Il nexiste quun seul ampananghin par district ; cest ordinairement un vieillard, pauvre, mais respecté pour sa probité ; il reçoit une légère rétribution prélevée sur les frais du procès. Sa bonne foi dans laccomplissement dun devoir quil considère comme sacré est extrême ; il serait impossible, quoi quon en ait dit, de parvenir à le corrompre, et cela nest même jamais venu dans lidée dun Malgache. Lampananghin opère aussi dans lépreuve du fer rouge lela-bi, (langue et fer), qui consiste à passer trois fois sur la langue de laccusé un fer rougi. Aussitôt que la brûlure se manifeste, on zagaïe le malheureux, qui na ainsi aucune chance de salut. Cette épreuve, que les naturels redoutent pour cette raison plus que celle du tanghin, nest point aussi commune. Laccusateur a le droit de choisir celle des deux quil veut que laccusé subisse. Les nègres de lîle de France ont aussi leurs jugements de Dieu, mais ils sont dune nature plus innocente. Ils consistent à boire de leau bénite qui, suivant eux, doit faire enfler le coupable.
Ces cases sont élevées loin des habitations, dans toutes les circonstances où les Malgaches croient voir laction des êtres surnaturels. Ainsi les personnes atteintes de certaines maladies sont aussi transportées dans le traonfadi.
Ces fils étaient déjà âgés lorsque Zaka-vola la prit pour femme.
Vo, nouvelles ; bou, pour voua, fruits, productions ; aze, darbre.
Usage antique observé toutes les fois que lon aborde un roi dÉmirne.
Littéralement : au pied du rocher.
Ce service était un cadeau de lAngleterre. Radama en avait un autre en argent quil avait fait fabriquer par les orfèvres de Tananarivo.
Les frères Ramananoule et Ramanétak, cousins germains de Radama, étaient alors ses aides-de-camp. En 1814 il nomma le premier, qui était son favori, gouverneur du port de Mazangaye et de la partie nord de la Côte de lOuest dont il venait de faire la conquête. Peu de temps après il chargea lautre de semparer du Fort-Dauphin et le nomma gouverneur-général de la Côte Sud. Ramananoule neut pas de peine à prendre cette place dont la garnison nétait composée que de quelques soldats dinfanterie et dun officier quil fit garrotter comme des esclaves, après avoir déchiré et foulé aux pieds, en leur présence, le pavillon français quils avaient défendu avec courage ; la France na point encore reçu la réparation de cette insulte.
En 1828, à la mort de Radama, Ramanétak nayant pas voulu reconnaître lautorité de la reine Ranavalou, fut poursuivi et néchappa à la mort quen se réfugiant à lîle dAnjouan où il vit encore dans lexil.
Ramananoule, sétant rendu indépendant, vécut tranquille pendant deux ans et conserva son commandement jusquà larrivée dun envoyé de la reine, qui dut rencontrer des obstacles sans nombre et courir les plus grands dangers en traversant les peuplades insoumises qui séparaient Émirne du prince rebelle. Cet agent, introduit secrètement dans le fort par le major-général Ramanache, poignarda le gouverneur au milieu de son état-major, et la garnison se soumit bientôt à la reine.
Le vouroun-mahère (oiseau fort, courageux) est un oiseau de proie beaucoup plus grand que lépervier ; il ne se trouve que sur les hautes montagnes dÉmirne et fait son nid dans les cavités des rochers les plus sauvages et les plus escarpés.
Les Malgaches sont friands de ce mets ; à Émirne les grands font toujours tuer plusieurs vaches pleines quand ils donnent à dîner à leurs amis.
Tous les mots malgaches qui renferment lidée dagence, dopération, commencent par la particule amp, ompi, ampi ; ombia-che, ou plutôt ampiassa, a pour racine assa, travail, uvre ; et ampaanzare, le mot zanaar ou bon génie.
Ce corps a dû saccroître encore depuis que la traite des esclaves est devenue impossible, puisque le gouvernement y fait entrer ceux de ses prisonniers quil juge propres au métier des armes.
Un corps de chanteuses est attaché à larmée hova et payé par létat. Pendant le combat et dans les marches pénibles, elles chantent pour encourager les soldats des hymnes nationaux et les hauts-faits de Dianampouine et des guerriers qui laccompagnaient dans ses premières expéditions. Ces femmes ont les cheveux divisés en une infinité de petites tresses ; elles portent des manilles dor et dargent, et des colliers à gros grains dor et de corail. Leurs vêtements sont soutenus par une ceinture de soie bariolée. Chaque fois que Radama sortait il était suivi dun grand nombre de ces chanteuses.
Les rois dÉmirne sont de temps immémorial possesseurs du fanfoudi-bé ; ce talisman qui porte lépithète de bé, grand, est couvert de drap rouge, bordé de galons dor : il est déposé, en temps de paix, dans la sépulture des rois, qui renferme aussi leurs richesses. Les Malgaches ont un grand respect pour les morts et napprochent de ce lieu quen tremblant. Il ny a pas chez eux dexemple de profanation de tombeau. Les ampoumchaves, seuls, sexposent quelquefois aux derniers supplices en cherchant à les violer. Les Malgaches plantent des poteaux dans les cimetières, et y attachent les cornes des bufs qui ont été tués aux funérailles. Les riches en ont un grand nombre.
Mampirafe, littéralement faire des ennemies.
À cette époque on ne trouvait pas encore à Maurice du sulfate de quinine ; aussitôt que je pus men procurer je ne manquai pas den essayer ; leffet surpassa mon attente : ce fébrifuge agissait avec plus dactivité que la poudre décorce de quinquina, et je le prenais avec moins de dégoût. Cependant jétais forcé de lemployer à des doses beaucoup plus fortes quen Europe ; souvent même jen prenais une demi-cuillerée à calé, sans quil mait jamais causé le moindre dérangement destomac.
Jai eu souvent la fièvre à Madagascar, et, en suivant le même traitement à quelques modifications près, jai toujours réussi à men débarrasser en peu de temps.
Littéralement : le don dun cur chaud, passionné.
Le roi des Hovas était tellement attaché à Ratef quil lui avait fait épouser sa sur aînée. Ratef en avait eu un fils nommé Rakoute, âgé de sept ou huit ans en 1823, pour qui Radama avait tant daffection, quétant sans enfants mâles il lavait désigné pour lui succéder. À la mort de Radama en 1828, Ranavalou, sa veuve, portée au pouvoir par une faction dont son amant Andimiazo, officier détat-major, dirigeait les menées, fit trancher la tête à Rakoute et envoya un corps darmée contre Ratef qui marchait sur Tananarivo avec le peu de troupes quil avait pu rassembler. Attaqué, fait prisonnier dans une forêt des Bétanimènes, il eut la tête tranchée. Sa femme tomba au pouvoir des soldats de la reine et fut enfermée à Vobouaze où ses geôliers reçurent bientôt lordre de la laisser mourir de faim.
Nom bizarre qui signifie non ici, cest-à-dire tête éventée.
Radama avait deux frères ; redoutant le plus âgé, moins stupide que Rataf, il saisit un léger prétexte de mécontentement pour le faire enlever secrètement de Tananarivo. En 1822, les sirondas le chargèrent de chaînes et le conduisirent dans une forêt où ils lassassinèrent. On assure que le roi navait à lui reprocher dautre crime que davoir osé commander un habit semblable au sien.
Radama envoya le seul frère qui lui restait à larmée des Vourimes, sous la garde de Ratsi-atou, à qui il recommanda de ne jamais le perdre de vue. Après la campagne des Vourimes, ce malheureux resta à Mananzari avec le major qui, en 1828, reçut de la reine lordre de le laisser mourir de faim dans un cachot.
Le lâche dévoûment de Ratsi-atou reçut la récompense quil méritait : accusé quelque temps après de concussions, il fut appelé à Tananarivo où la reine lui fit trancher la tête.
Tous les Malgaches des castes guerrières de lintérieur dont la plupart sont réunies à Émirne, ont le corps couvert de cicatrices qui représentent diverses figures. Elles sont le résultat des tatouages quon leur fait dans leur enfance avec une sorte de bistouri.
Ce Grec, nommé Nikolos et quon appelait Nicolle, était doué dune grande aptitude pour apprendre les langues ; il parlait assez bien langlais et le français, et le malgache encore mieux. Il nous suivit pendant la campagne et fit beaucoup de prisonniers qui lui rapportèrent de fortes rançons ; après la guerre il se rendit utile au prince Ratef, qui le fit nommer grand-juge à Mananzari, emploi quil a conservé sous le règne de Ranavalou.
Le même préjugé empêchait autrefois les Hovas délever des chats. Radama osa en avoir un, et quelques mois après les marchands dÉmirne payaient un de ces animaux jusquà cinq piastres à Tamatave. Si ce prince eût été moins puissant, son audace eût causé sa mort.
Les porcs étaient compris dans la même proscription que les chats ; les Hovas en avaient horreur. Radama en demanda aux Anglais et fut malade la première fois quil goûta de leur chair, tant lhabitude et les préventions superstitieuses ont dinfluence sur lesprit de lhomme et sur son organisation ; il finit cependant par sy habituer, et bientôt les habitants dÉmirne eurent un grand nombre de porcs. Tous ces animaux furent zagaïés après la mort de Radama, le jour même que les Hovas chassèrent de Tananarivo le docteur Lyall, dernier agent de la Grande-Bretagne dans cette île.
La romance que Simandré chantait ma causé la plus vive émotion toutes les fois que je lai entendue, et depuis que jai pu comprendre le sens et la portée des paroles quelle renferme, elle ma souvent arraché des larmes. Lair en est aussi triste que le sujet : ce sont les adieux déchirants quadresse à ses parents qui ne sont plus et à sa patrie, dont il est éloigné pour toujours, un jeune homme réduit en servitude. Jean René ma assuré que les esclaves qui la chantaient habituellement étaient bientôt atteints de nostalgie et finissaient par mourir.
Si ou Tsi-mandré signifie : qui ne dort pas, le vigilant.
Razouma : vendredi.
La pagne est une toile aussi fine que la percale ; elle est fabriquée par les Malgaches des côtes. Cest un tissu décorce qui ne peut pas être dun long usage, car, trop raide pour quon le lave, il se coupe dès quil est sale. La couleur ordinaire des pagnes est celle du nankin. Quelques-unes sont teintes en brun ou en noir.
Léla-mèna signifie langue rouge. Cétait le nom du chien que Simandré perdit dans notre première chasse, et quil regrettait encore.
Maison de plaisance de Jean René, située sur un rocher sauvage, près de Tamatave ; son corps et celui de son frère Fiche y sont déposés.
Le dramatique récit de Simandré pourrait étonner les personnes qui ignorent que lart oratoire est très cultivé à Madagascar et que les naturels de cette île sappliquent dès leur jeunesse à acquérir une éloquence qui égale en grandeur et en force celle que nous autres Européens admirons dans nos plus célèbres orateurs. Il faut dire que peut-être lidiome malgache se prête plus que le nôtre à lexpression des sentiments poétiques ; les images, les alliances de mots, y abondent ; les nuances les plus délicates sy font sentir. Et puis, lorateur a la liberté de composer ses mots ; à tout moment, suivant limpulsion de son génie et les mouvements de son âme, il peut créer ceux qui lui manquent. De cette mine inépuisable de signes verbaux naissent pour lui des désignations ingénieuses, pittoresques, variées, qui revêtent son style des plus brillantes et des plus riches couleurs. Les harangues malgaches atteignent souvent au sublime. « Rien nest plus solennel, écrivait à M. B. de Froberville un traitant qui avait résidé longtemps à Madagascar, rien nest plus solennel que le grand kabar des Malgaches ; cest là que la langue est dans toute sa pompe ; lEuropéen qui assiste à ces assemblées est captivé par lharmonie des sons, les mouvements et la grâce de lorateur. Le charme redouble pour celui qui comprend son discours
»
« Lorateur Rabésin, disait Poivre, avait le talent daltérer à volonté les traits de son visage ; ses discours, toujours daccord avec ses gestes, portaient toutes les apparences de la conviction ; lart démouvoir les esprits les moins susceptibles denthousiasme, et denflammer les moins irascibles, ne lui était pas étranger. » (Rochon, Voyage à Madagascar, t.1, p. 185.)
Voici, comme preuve de ce que je viens de dire, quelques discours recueillis par linterprète Mayeur ; sa véracité ma été confirmée par tous les voyageurs qui lont suivi à Madagascar. Je les extrais de son histoire de Ratsimilaho, le chef le plus célèbre de lîle entière avant Radama, le fondateur de la confédération Betsimsarac, qui navait été jusqualors (environ 1750) composée que de petites peuplades soumises au despotisme de Ramanghanou, roi des Sikouas, nation que nous connaissons aujourdhui sous le nom de Bétanimènes.
Ratsimilaho, fils dun pirate anglais nommé Tam (sans doute Tom, abréviation de Thomas), navait que dix-huit ans lorsquil résolut de délivrer son pays de loppression du tyran étranger ; il assemble dans les provinces du Nord un grand kabar et communique aux chefs réunis ses généreux desseins :
« Chefs, leur dit-il, jai vu les maux des peuples du Nord et jai voulu les soulager.
« Jai porté des paroles de paix à Ramanghanou et je nai point été écouté.
« Jai été menacé et jai fui, parceque je nai pas trouvé chez mes compatriotes du Sud, abrutis par la servitude, lassistance sur laquelle javais le droit de compter. Jai dû chercher plus loin des amis et des alliés et je suis venu parmi vous.
« Je veux venger mes frères, je veux les délivrer de lesclavage honteux auquel Ramanghanou et ses prédécesseurs les ont réduits.
« Voilà mes projets. Vous êtes réunis, quelles sont vos intentions ? Jusquoù puis-je compter sur votre concours ?
« Si vous voulez vous soustraire à la domination des Sikouas, Ratsimilaho est à vous avec ce quil possède. Vous ne serez point gouvernés en esclaves, parceque je ne suis que votre égal. Je ne vous demande que le droit de vous diriger par mes conseils, parceque notre cause est commune. Les armes et les munitions ne vous manqueront jamais ; il nest besoin que de courage et de fermeté. Mettez votre confiance en moi ; je vous promets de ne jamais la démériter et tout ira bien ! »
Les chefs se mirent à délibérer, ce qui les occupa une grande partie de la journée ; ils répondirent en ces termes à Ratsimilaho :
« Tu as conçu un projet que toi seul peux exécuter : commandes. Ta conduite envers Ramanghanou fait preuve de prudence ; ta modération égale la grandeur de tes projets ; tu ne nous affranchiras pas dun esclavage pour nous en infliger un autre : le joug de létranger est dur, mais cent fois plus odieux encore est celui que nous impose un des nôtres.
« Nous te jurons donc ici obéissance, fidélité, et un respect inviolable pour ta personne. »
Le serment se fit alors dans les formes dusage, et lon apporta les présents de bufs, de riz et desclaves. Ratsimilaho prit la parole et après avoir remercié lassemblée de la dignité quelle lui conférait :
« Ari, ari (écoutez, écoutez), chefs, dit-il ; abouchez-vous sans délai avec tous les peuples qui habitent la côte et les bords des rivières qui sont entre Manahar et Foulpointe, avec ceux de Rantabè, dAntsirak, de Tintingue, de Fandraraze, avec ceux dont le Tsimiangou, le Marimbou, lIlantsambou, le Souhi et lArafou arrosent le territoire. Ils ne mont pas accordé leur confiance, mais dites-leur ce que vous avez fait pour moi ; dites-leur que Ratsimilaho vous a promis la victoire.
« Si lennemi commun nest pas détruit, nous le forcerons du moins à rentrer dans sa province et à nous rendre notre ancienne indépendance. Comme cest par terre que doivent se porter les plus grands coups, faisons-nous des amis de tous les peuples chez lesquels nous avons à passer ; et si ces peuples refusent de se joindre à nous, répondez, chefs, faudra-t-il renoncer à nos projets ?
« Non ! sécria-t-on de toutes parts.
« Alors ils seront nos ennemis, et pour nous ouvrir un passage jusquà celui qui cause tous nos malheurs, nous renverserons tous les obstacles ! Alors nous serons pour eux de nouveaux oppresseurs !
Mais notre cause est bonne, elle est la leur ; persuadons-leur bien que nous nen voulons quaux Sikouas, et prévenons-les queux seuls seraient responsables des calamités qui résulteraient de leur opiniâtreté. »
Le kabar adopta ces résolutions, et la guerre fut entreprise contre les Sikouas. Les Betsimsaracs vainqueurs formèrent un royaume puissant qui passa de lasservissement à la prospérité la plus florissante. Les successeurs de Ratsimilaho, connu chez les naturels sous le nom de Ra-marou-manonpou (être qui commande à la multitude) et des traitants européens sous celui de Tamsimilo, furent, en 1745 ou 46, Dian-Zanaar (le bon génie ; Dian est une particule équivalente à notre vieux mot : Sire ou Messire) ; en 1767, Iavi (celui qui vient, lattendu, le désiré), et enfin Zaka-vola dont la tyrannie devint si insupportable aux naturels quune révolution dans laquelle il perdit la vie éclata vers la fin du siècle dernier, et dépouilla son fils Sass de lautorité qui lui revenait.
Il y avait à Madagascar deux sortes de Malates ; les premiers, enfants du pirate Tam, ont été puissants dans le Nord comme on le voit par ce qui précède, mais leurs vices et leurs excès finirent par les faire détester. Il ne reste plus à Madagascar quun seul de ces Malates ; cest le nommé Sass, héritier direct du pirate : il vit caché dans les bois.
Les autres, issus de Français établis à Madagascar et de filles de chefs, exerçaient le pouvoir avec plus de modération et de justice à Tamatave et à Yvondrou où ils avaient su se faire aimer. Simandré était le petit-fils dun Français nommé de Laval, chef de traite à Madagascar.
Eug. de Froberville.
Vola lande signifie : argent et soie.
Lava-lef signifie longue zagaïe ; cest ainsi que les naturels me désignaient, peut-être à cause de ma grande taille, peut-être aussi parceque je ne marchais pas sans cette arme.
Les Malgaches prétendent que tous les caïmans ne sont pas dangereux ; en quelques endroits ils sopposent même à ce quon les tue, persuadés quils portent bonheur au pays qui les révère comme des fétiches. Cette vénération tient peut-être à quelques idées de métempsycose qui leur auront été apportées par des Indiens et quils auront perdues à la suite des siècles, car ils ne peuvent pas rendre compte des motifs qui les portent à respecter cet amphibie ; allant une fois de Sainte-Luce à Chandervinangue avec un ministre de Rabé-farants, japerçus, en traversant une embouchure de rivière, un énorme caïman qui dormait à vingt pas de moi, sur un rocher : mon compagnon, qui mempêcha de le tirer, me dit quil était le protecteur du village voisin qui lui donnait souvent des veaux gras pour le régaler. Le caïman des lacs est plus fort que les autres et passe pour plus féroce.
Jean René était en effet un grand poltron. Lorsque lon allait à la chasse il restait à faire la cuisine, et disait « quil ny avait pas dhonneur à se faire tuer par un cochon. »
Ce nom se compose de mi, être ; ongou pour ongoutch, jambes ; et rande, bras ; cest-à-dire : être dévoués, ou, comme nous dirions : être corps et âme à Jean René.
Avant de devenir le lieutenant et le beau-frère de Radama, Ra-faralah avait été lun des ennemis les plus acharnés et les plus redoutables du jeune conquérant.
Cest avec de longs et gros bambous que les Malgaches puisent de leau ; ces vases ont quelquefois douze pieds de long, et sont dune contenance si grande que des navires qui navaient pas assez de pièces à eau ont pu compléter leurs provisions en sen servant.
Cest le nom du mâle de la poule deau de Madagascar.
Le Mangourou prend sa source au N.-O. dans les montagnes dAncove ; lun de ses bras passe dans les montagnes des Antatschimes qui sont situées dans le S.-O. de la ville dAmboudéhar.
On a dit que Henri Senec était un affranchi de lîle Maurice ; cest, comme on le voit, une erreur. Ce jeune homme, que lon a représenté comme détestant les Français, est, au contraire, un de leurs plus chauds partisans et a su se faire aimer de tous les Européens qui habitent Foulpointe.
Ce nom, qui signifie : qui a du bonheur, a été sans doute donne à ce village, parceque les Zafféraminians y sont influents ; leur présence est réputée un bonheur chez les naturels qui ont une foi entière en leur puissance surnaturelle.
Ymours, signifie : les Maures, les Arabes.
Lantsive est un gros coquillage qui sert de trompette à Madagascar.
Ce vieux guerrier, un moment soumis, quelque temps après révolté, résista à Radama jusquen 1827. Jean René était mort, et Coroller, alors régent de Tamatave, fut envoyé contre les Antatschimes avec une armée nombreuse ; Fouhirandre, qui avait attiré dans son parti Vouare et une foule dautres chefs plus ou moins puissants, consentit à se rendre avec eux à une entrevue que Coroller avait demandée : il était convenu que les deux armées se tiendraient éloignées, mais Coroller, qui voulait en finir avec les rebelles, manqua à sa promesse et fit embusquer des soldats près du lieu fixé pour le rendez-vous. Lorsque Fouhirandre et ses alliés arrivèrent, ils furent enveloppés par les troupes, et vingt-deux dentre eux furent décapités sur-le-champ.
Cette innovation, introduite daprès les conseils de Brady, causa une révolte à Tananarivo. Le peuple, excité par les femmes, à la tête desquelles était la mère de Radama, Ravola-massou-androu, prit les armes et se rendit sur la Place du Palais, le jour désigné pour couper les cheveux des soldats. On demandait la tête de Brady, qui eut de la peine à se soustraire à la vengeance des révoltés. Radama, averti, se rendit sur la place, harangua le peuple, et fit arrêter, par les sirondas, les chefs du complot, sans excepter sa propre mère à laquelle il voulait faire trancher la tête ; mais, lorsque sa colère fut apaisée, il lui fit grâce et borna lexécution à quelques autres femmes qui ne tenaient pas à lui par les liens du sang. En un instant linsurrection fut apaisée et la chevelure des soldats tomba.
Le fifanga est lunique jeu des Malgaches ; cest un carré long en bois rouge dans lequel il y a un grand nombre de trous régulièrement disposés ; on y met des espèces de noix de Galles qui servent de pions et que lon prend comme au jeu de dames.
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Bibliothèque malgache / 42