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Université de Nantes - Daniel Calin

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Université de Nantes Master 2 Sciences de l’éducation UFR Lettres & langage et de la formation



















A l’école des AVS 

Accompagner les processus d’inclusion des élèves handicapés ?


















Année universitaire 2009-2010
Mémoire dirigé par Yves Dutercq Guillaume Bourget






















































Au terme d’un tel investissement (car s’il n’y a pas occupation d’un emploi, quel travail !), il y a beaucoup de personnes que je souhaite remercier chaleureusement. Toutes ont contribué d’une manière ou d’une autre à ce que ce travail soit possible.

Je remercie ainsi d’abord Mélanie et Gabriel. Egalement mon papa Guy, ma maman Elisabeth et Alain et Maryvonne pour leur présence durant ces deux années, qui ont été à plusieurs égards bien difficiles – mais elles sont derrière nous désormais. Je ne peux pas non plus ne pas dédier ce travail à Julien et Marguerite, desquels je pense je tiens une disposition fortement ancrée qui est de toujours porter attention ailleurs que là où on nous somme de regarder – qui que soit ce « on » – et qui relève aussi d’une forme de conscience de classe.

Je remercie ensuite vivement toutes les personnes, AVS et EVS et anciens AVS et EVS de l’UNAISSE : sans cette aventure collective ce travail n’aurait jamais existé. Toute ma démarche de recherche s’inscrit en plein dans le cadre du travail que nous avons fourni (et fournissons encore) ensemble, qui est littéralement la condition de son existence, et qui fait que ce mémoire est largement collectif. Je le dédie ainsi également à mes copines( Mona, Mimi, Renée, Justine, Séverine, Véronique, Marianne, Cyril, Eudeline, Dominique, Françoise, Anne, Cécile, Suzy, Frédéric, Marie-Christine et Nicole, et tous les adhérents qui soutiennent et participent à l’existence et au quotidien de cette association, née pour parer à l’individualisation forcée du rapport au poste d’AVS. Au-delà des collègues et amies, j’envoie un franc salut à tous les AVS, enfants/élèves, parents et enseignants – et en particulier ceux avec lesquels j’ai travaillé. Je n’oublie notamment pas (et n’oublierai pas) Sylvie, Sylvie, Sophie, Anne et Jordan, Armelle et Audric – et toute l’école de la Ronde à Plessé où j’ai beaucoup appris, et où nous avons tous ensemble vraiment bien bossé. Il y a aussi Laurence et Anna, Nathaëlle, Laurence, Stéphanie, Maryvonne et Nolwenn – et l’école Jacques Prévert à Saffré ; Patricia et Augustin, Isabelle et Alexis, Nathalie et Pauline, Martin et Marie-Odile, Dominique et Valentin. J’ai beaucoup appris au contact de ces enseignantes et élèves – et des parents de ces derniers.

Rien n’aurait été possible sans Olivier, Céline, Isabelle, Laetitia, Nathalie et Sandrine : à tous j’envoie un clin d’œil amical. Tout aurait été plus difficile sans Gilles Paumier, Marie-Christine Philbert, Benoît Hauray et Patrice Fondain (que je salue chaleureusement). Merci également à Madame Jeannine Mage, Madame Nicole Hornung et Monsieur Patrice Lagisquet.

Je remercie aussi vivement Yves Dutercq pour les conseils qu’il a su me prodiguer – et sa patience face à certaines de mes dispositions qui ne lui ont pas rendu sa tâche de directeur de mémoire toujours très facile. Je souhaite aussi remercier particulièrement Francine Muel-Dreyfus, Eric Plaisance, Charles Gardou, Philippe Mazereau, Henri Jacques Stiker, Daniel Calin et Pascal Ourghanlian – et si je n’ai pas échangé avec chacun d’entre eux de manière égale, tous ont contribué et contribuent à diffuser d’une belle manière ce bien commun qu’est le savoir.

Je remercie pour finir ceux qui dans le passé ont lutté pour que soit permis le fait que je puisse être indemnisé par la collectivité lors de ma reprise d’étude. Sans eux, pas de formation pour moi, ni de mémoire, et rien de ce travail n’existerait. Je reste aux côtés de ceux qui travaillent à leur suite, face à la violence inouïe de l’actuel exercice du pouvoir envers tous ceux qu’il ne reconnaît pas.




« Les livres devraient toujours être lus avec le même soin qui a été mis pour les écrire ».

Henri-David Thoreau, Walden or life in the woods, 1859.





« En s’attachant à reconstruire les traits structurels que les institutions – et les postes – doivent à leur histoire, on fait de l’histoire un instrument de défense contre l’effet d’imposition idéologique exercé par les institutions qui tendent toujours à imposer leur version de l’histoire ».

Francine Muel-Dreyfus (1983) Le métier d’éducateur Paris : éditions de Minuit.





« Le problème du passage de la connaissance à l’action est probablement celui sur lequel Bourdieu et moi avons eu les discussions les plus fréquentes et les plus longues au cours des vingts dernières années. Dans les Méditations pascaliennes, il parle du fait que « les obstacles à la compréhension, surtout peut-être quand il s’agit de choses sociales, se situent moins, comme l’observe Wittgenstein, du côté de l’entendement que du côté de la volonté » [MP, p.17]. Il avait sûrement raison de penser que, en matière sociale, la volonté de ne pas savoir est une chose plus réelle que jamais […]. Mais il ne faut pas seulement vouloir savoir, il faut aussi vouloir tirer des conclusions de ce que l’on sait et, quand les conclusions à tirer sont des conclusions pratiques, on entre dans un domaine sur lequel l’intellect n’a malheureusement plus guère de prise et qu’on ne maîtrise pas mieux aujourd’hui qu’autrefois. »

Jacques Bouveresse (2003) Bourdieu, savant et politique. Marseille : Agone. p. 36





« Ma sœur Patschi me fixa exactement de la même manière que mes frères et sœurs et moi l’avions fixée des centaines et des centaines de fois, comme on fixe quelqu’un qui a un petit vélo dans la tête. Je me demandai pour la première fois si la lecture, l’écriture et la connaissance des auteurs classiques comptaient vraiment parmi les choses essentielles de la vie ».
Peter Berger (1988), La maison rouge, Paris : L’école des loisirs, p.94. Première édition : 1966.

Sommaire

Introduction

Présentation............................................................................................................ p.4

Méthodologie……………………………………………………………………. p.10

Des lectures herméneutiques..................................................................... p.11
Des entretiens avec six AVS-i................................................................... p.11
2.3 La question de la réflexivité.……………………………………………. p.16
2.4 Décrire les origines : l’entrée sociohistorique........................................... p.25
2.5 Les AVS-i et le cadre de leur existence : de l’histoire aux notions........... p.29

Présentation des AVS-i interrogés : texte et contexte............................................ p.30

3.1 Territoires et pratiques éducatives.............................................................. p.30
3.2 Milieu rural ?............................................................................................. p.33
3.3 Les AVS-i interrogés : situation dans l’espace social des positions.......... p.36

Les mots et notions autour du handicap................................................................. p.55

Chapitre 1 : Un siècle d’éducation séparée. Une histoire des relations entre éducations scolaire et spéciale 1880-2005

Genèse et constitution du champ du spécial : 1880-1940............................... p.62

La genèse de l’éducation et de l’enseignement
spécial, 1880-1909 .................................................................................... p.62

1.1.2 Ecole et anormalité...................................................................................... p.71

L’affermissement des contours du champ : 1940-1975.................................. p.75
1.2.1 Les fondements unifiants de l’inadaptation............................................... p.75

1.2.2 L’âge d’or de l’inadaptation : 1945-1975................................................... p.79
1.2.3 L’inadaptation et l’école : le temps de
l’adaptation scolaire..................................................................................... p.88

Les lois du 30 juin 1975 et l’adoption du handicap......................................... p.92

1.3.1 Origines....................................................................................................... p.92

1.3.2 Le contenu de la loi..................................................................................... p.95

Ecole et handicap après 1975 :
la dynamique formelle de l’intégration scolaire.......................................... p.99

La loi du 11 février 2005................................................................................... p.103

1.4.1 Une loi consacrant l’inclusion.................................................................... p.103

1.4.2 Une définition du handicap......................................................................... p.104

1.4.3 Handicap et difficultés scolaires................................................................. p.105

1.4.4 Le projet consacré et reçu par
un nouvel appareillage institutionnel........................................................... p.107

Chapitre 2 : Les mondes des inclusions : origines, circulation, utilisation

De l’intégration à l’inclusion : éléments historiques...................................... p.112

Les inclusions............................................................................................. p.112

Origines historiques du principe de l’inclusion scolaire............................. p.117

La circulation internationale de l’inclusion................................................ p.133

L’inclusion dans son versant scolaire.............................................................. p.147

Intellectuels et profession enseignante face à l’inclusion scolaire............. p.147

L’inclusion : proposition de définition........................................................ p.168

Les AVS-i dans le processus inclusif………………………….................. p.179

Chapitre 3 : Position et propriétés du poste d’AVS-i

L’inconscient social du poste d’AVS-i………………………………………. p.184

L’éducation spéciale contre l’éducation scolaire ?....................................  p.184
3.1.2 De la ségrégation à l’émergence de
l’accompagnement scolaire......................................................................... p.187

Accompagnants scolaires : une histoire institutionnelle................................ p.195

3.2.1 L’émergence de l’accompagnement scolaire
des enfants handicapés................................................................................ p.195

3.2.2 Du local au fédératif national..................................................................... p.199

3.2.3 La politique du flou : 2003-2009................................................................ p.209


L’accompagnement scolaire dans l’espace des positions des
agents/acteurs intéressés par l’enfance handicapée........................................ p.222
3.3.1 Les propriétés du poste................................................................................ p.224

3.3.2 Le poste d’AVS-i AED et ses principales relations :
éléments d’élucidation…………………………………………………… p.230

Chapitre 4 : (Comment) Accompagner (qui ?) selon les besoins (de qui ?) ?

La vogue et la vague de l’accompagnement........................................................ p.266

4.1.1 Un lieu commun…………………………………………………….….... p.266

4.1.2 Délitement et professionnalisation du lien social………………………... p.267

4.1.3 Définir l’accompagnement : une notion en tension……………………… p.270

Les cordes de l’instrument accompagnement.................................................... p.273

Les pratiques et postures de l’accompagnement…………………….…… p.273

Les registres de l’accompagnement…………………………….……….. p.278

Mandat et demande :
entre souci de l’autre et instance de pouvoir………..…………………..…..... p.281

Un mandat unique ?.………………………………………….……..…… p.281

Priorité au mandat, priorité à la demande……………………………..…. p.284

La domination de « l’intervention » ?......................................................... p.288

Accompagner quoi, accompagner qui ?............................................................. p.290

Répondre aux besoins………………………………………………….... p.291

Autonomie, dépendance, socialisation………………..……….…………. p.293

Ecoute et violence symbolique………………………………………….. p.296

Conclusion générale......................................................................................................... p.299
Table des matières........................................................................................................... p.306
Bibliographie.................................................................................................................... p.314
Bibliographie électronique…………………………………………………………….. p. 322
(Les annexes présentant les entretiens sont dans un document à part. )

Introduction

Présentation

1.1 Le contexte du choix du sujet
Une recherche sur le handicap et l’école et sur les AVS s’est imposée à moi, tout d’abord suite à une expérience professionnelle. J’ai en effet repris des études universitaires après notamment cinq années passées à travailler en qualité d'auxiliaire de vie scolaire individuel (AVS-i), employé par l'inspection académique de Loire-Atlantique. Ce travail consiste en l'accompagnement dans le milieu scolaire dit « ordinaire » d'élèves reconnus comme étant handicapés. Il existe au sein de l'Education Nationale depuis la rentrée de 2003, sous le statut d'assistant d'éducation (AED) et depuis 2005 (et financé seulement à 25% par l’Education Nationale) en contrait aidés par l’Etat (successivement CAE et CAV puis CUI)
J'ai ainsi travaillé, entre septembre 2003 et septembre 2008, dans deux circonscriptions rurales du nord du département de Loire Atlantique, au sein de sept établissements scolaires dont six écoles primaires, à l'accompagnement de neuf enfants, principalement en cycle 1 : ceci constitue l’ossature de ce que je nomme ici mon « parcours d’accompagnement » - nous reviendrons un plus loin sur ce terme et ce qu’il recouvre.
Dès la première année d'exercice en qualité d’AVS-i, je me suis engagé dans une organisation syndicale afin de tenter d'initier une réflexion collective sur notre condition d'AVS, ayant vite pris acte des précarités qui l'organisent, qu'elles soient de salaire, de statut, de formation ou de conditions de travail (dont l'isolement, notamment) (Concialdi, 2007). Avec d'autres collègues AVS, nous avons fondé l'année suivante un collectif AVS de Loire-Atlantique soutenu matériellement et juridiquement par un syndicat de l'éducation, le SNUipp. Ce collectif était animé par six à dix collègues. Nous avons produit un document en janvier 2007 qui se proposait de contribuer à la réflexion sur l'organisation des services d'accompagnants (aimablement publié sur le site personnel de Daniel Calin, « Psychologie, éducation et enseignement spécialisé » dans la rubrique « Tribune de l'Education », supprimée depuis lors). Nous avons travaillé à six sur ce texte, avec comme matière notre seule jeune expérience d'AVS et constatant notre condition telle que décrite ci avant.
La même année s'est opérée une recherche de jonction entre les diverses initiatives locales de regroupement d'AVS (au sein des départements). Un réseau de collectifs s'est ainsi progressivement tissé et des initiatives communes ont été prises (rencontre entre une délégation interdépartementale et le délégué interministériel des personnes handicapées, qui était alors Patrick Gohet, directeur pendant quinze ans de l’union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés  HYPERLINK "http://www.unapei.org/"UNAPEI, une des plus importantes fédération nationale – passage du privé associatif au haut fonctionnariat qui est révélateur de la structure et de l’histoire du champ de l’enfance handicapée et de ses relations à l’Etat, nous y reviendrons).
Elles ont abouti en juillet 2007 à la création de l' HYPERLINK "http://www.unaisse.free.fr/"UNAISSE, l'union nationale pour l'avenir de l'inclusion scolaire, sociale et éducative. L'objet statutaire de l'association est d'œuvrer à la reconnaissance professionnelle de l'auxiliaire de vie scolaire. Membre fondateur de cette organisation, j’en ai été un des administrateurs entre sa création et février 2010. Elle regroupe environ 200 adhérents de toute la France, des personnels accompagnants scolaires mais aussi des parents, des professionnels de l'éducation spécialisée et de l'enseignement. En marge de cette association – mais administré par la même équipe (et la même webmestre) – existe un forum d’échange entre AVS.
L'UNAISSE a très vite adhéré à la fédération nationale des associations au service des élèves présentant un handicap ( HYPERLINK "http://www.fnaseph.org/"FNASEPH), fédération qui regroupe une grande partie des collectifs associatifs qui employaient les anciens AVS alors dénommés auxiliaires d'intégration scolaire (AIS), sous contrat emploi jeune, avant qu'ils ne soient intégrés à l'EN.
Apprenant que mon employeur supprimait tous les temps pleins d'AVS pour les réduire, et refusant de me voir imposer un temps partiel que notre statut de contractuel de droit public m'empêchait de refuser, j'ai fait une demande de validation d'acquis pour une inscription en master de sciences de l’éducation qui a été acceptée – malgré que je ne sois pas titulaire d’une licence. Le travail d'AVS est très intéressant, il peut être même tout à fait passionnant, mais pour moins de 600 euros je préférais encore m'investir dans une formation universitaire propre à me permettre une mise à distance et une historicisation de ma précédente condition.
C'est dans ce contexte que je suis entré à l'Université en septembre 2008.
A ce stade, il est notable de mentionner le fait que je suis moi-même porteur d’une déficience : ce fait constitue un élément qui a constitué un point important dans le processus d’objectivation de ma démarche scientifique – j’y reviendrai un peu plus loin.



1.2 Thématique
Le sujet de ce mémoire est la question de la scolarisation des enfants en situation de handicap. A l'origine de mon travail de recherche, ma question de départ masque mal une attitude militante :
« L’action des auxiliaires de vie scolaire (accompagnants scolaires des enfants en situation de handicaps) a t-elle une spécificité qui puisse justifier de la construction d'une nouvelle profession ? »
La question de départ est, de manière générale, faite pour être insuffisante, pour que tout ce qu'elle dit sans le vouloir et tout ce qu'elle ne dit pas sans le savoir puisse être mis en relief afin d'avancer vers la problématique. Ainsi, nous pouvons constater que la question telle que j’ai pu la formuler au début de ces deux années de travail n'aborde pas celle des conditions de production de l'émergence de ce poste (on dira AVS malgré la diversité des statuts et des types de contrats engendrant une diversité des appellations pour la même fonction), qui existe depuis le début des années 1980, ni les conditions de production de son maintien depuis plus de 25 ans sous statut précaire (l'émergence de ce personnel coïncide d'ailleurs, à quelques années près, avec la création des premiers contrats précaires publics en 1983 : les TUC, travaux d'utilité collective, contrat sous lequel des AVS ont travaillé).
Du fait qu'elle soit centrée sur les AVS, elle omet également de questionner la notion éminemment marquée socialement et historiquement d'enfance handicapée et laisse supposer que le seul objet de recherche serait leur « action ».
Ces premières constatations quant à la question de départ m’ont conduit à cerner une première nécessité : mettre au jour le point aveugle que constitue la généalogie des AVS, les conditions dans lesquelles ils ont émergé, les conditions dans lesquelles ils ont traversé les quelques 25 ans de leur existence, les périodes de leur histoire institutionnelle que l’on peut mettre en évidence, le sens de ce qu'on peut identifier comme des ruptures, marquant ces mêmes périodes.
En effet, la forme objective des conditions d’emploi et de recrutement caractérisant un poste, les parts d’autonomie et d’hétéronomie qui sont propres à ceux qui l’occupent en matière de définition du contenu, de la forme et des objectifs déclarés de ses interventions (qui sont autant de produits de son histoire), déterminent très largement à la fois la façon la nature des dispositions et propriétés sociales de ceux qui sont amenés à l’occuper et la façon dont ces derniers construisent et s’approprient leurs pratiques.
Ainsi, faire l’économie d’une étude historique de ce personnel revient à consacrer sa naturalisation et à participer à une déshistoricisation qui ne peut être que très dommageable pour l’ensemble des sciences et de l’histoire de l’éducation – qui a déjà une tendance toute « naturelle » à ne s’intéresser, en terme de professions, qu’à celles qui conditionnent leur exercice à une formation qui leur permet de ne pas être considérées comme des fonctions dévaluées et déqualifiées. De ce point de vue, les AVS sont beaucoup plus proches des fonctions d’aide maternelle ou même des personnels sous contrats municipaux intervenant sur les temps périscolaires : elles et ils sont là au quotidien dans les écoles mais n’intéressent que fort peu les chercheurs, l’essentiel étant ailleurs, hors de ce point aveugle qui, a priori, ne rentre pas dans les comptes des objectifs rentabilistes à l’œuvre dans le système scolaire français, historiquement construit par et pour la performance scolaire entendue dans un strict sens de maîtrise de savoirs disciplinaires nécessaires pour le bon fonctionnement de l’emploi et de son marché. Mentionner le fait qu’au sein des métiers de l’école les cloisonnements professionnels sont redoublés de cloisonnements sociaux n’est pas qu’énoncer une évidence, c’est aussi rappeler, en terme de position sociale, le caractère éminemment reproducteur du système scolaire français – que masque mal la fiction de l’égalité des chances, pur produit idéologique répondant au principe conservateur du « tout changer [les termes, en l’occurrence] pour que rien ne change ».
Elargir le recrutement social des élites prime en effet aujourd’hui sur une réelle démocratisation de l’enseignement – et ces deux objectifs, fort différents, sont même souvent confondus par ceux qui, tout en invoquant le second, ne font en fait que travailler au premier. L’élucidation méthodique de ce qui fonde à considérer qu’il s’agit là de deux objectifs de politique publique qui sont tout à fait différent semble nécessaire.
Sur le sujet de ces processus de naturalisation qui permettent que certaines professions non enseignantes présentes à l’école soient l’angle mort des pratiques de recherche en sciences de l’éducation (et de nombreuses formes de pratiques professionnelles enseignantes également), il est d'ores et déjà possible de signaler que, lors de la reconnaissance administrative qu'a constituée l'intégration des AVS à l'EN en 2003 (intégration qui avait suscité beaucoup d'espoir chez les personnels et chez les militants associatifs – des parents, la plupart du temps, souvent enseignants), les textes définissant l'organisation de la fonction la présentaient comme un passage (forcément temporaire) vers les métiers de l'enseignement et du travail social, ce qui constitue un indice éminemment révélateur de l'embarras généré par la position inédite des AVS dans le champ éducatif français, entre éducations scolaire et spéciale et même, dans une certaine mesure, comme nous le verrons, entre éducations familiale et populaire.
Nombreuses sont les personnes, y compris parmi les acteurs même de la politique de scolarisation des enfants handicapés, (parents, enseignants, professionnels socio-éducatifs ou du médico-social, AVS, etc.) qui voient dans cette date l'acte de naissance des AVS, et confondent ainsi un changement d’employeur et de cadre juridique (de l’associatif privé à l’emploi public sous contrat de droit public, puis de droit privé avec les EVS) avec l’émergence d’un nouveau type de personnel. Nous verrons que cette émergence prend racine dans une période antérieure qui connaît des évolutions terminologiques et paradigmatiques importantes produisant un nouveau référentiel d’action publique pour le secteur de l’enfance handicapée, selon une des propriétés spécifiques du champ qu’il est d’ores et déjà utile de mentionner tant sa résonance semble aujourd’hui grande, en particulier avec le sujet qui nous concerne :
« Les temps forts de l’innovation classificatoire correspondent à des périodes où se combinent des oppositions et des luttes politiques et des entreprises de conquête de marchés professionnels nouveaux ». (Muel-Dreyfus, 1984)
1.3 Problématique
Le personnel accompagnant scolaire des enfants en situation de handicap semble avoir émergé dans le champ scolaire français au début des années 1980.
Dans un contexte de segmentation importante des territoires professionnels et administratifs organisant l'action auprès des enfants en situation de handicap, de bipolarisation historiquement très marquée du champ éducatif français (Chauvière 2000, 2001), et au sein duquel les sciences humaines et médicales jouent un rôle décisif dans le caractère dynamique des modes de définition du  problème  (Muel 1975, Pinell & Zafiropoulos 1978, Gateaux-Mennecier 2000, Stiker 1996) induisant eux-mêmes des modes différenciés de traitement, comment s'est organisée l'émergence de ce nouveau type de personnel ne relevant exclusivement ni de l'éducation scolaire ni de l'éducation spéciale ?
Que doit ce dernier à l'histoire des phénomènes concurrentiels organisés autour de l'objet  enfance arriérée / déficiente / inadaptée / anormale / handicapée mettant en jeu des acteurs scientifiques, institutionnels et professionnels luttant pour la légitimité de la définition et du traitement du problème ?
Quels sont les intérêts qui gouvernent au maintien des AVS, depuis 25 ans, dans des statuts successivement précaires dont la professionnalité n'a nul autre reconnaissance que symbolique - moteur du dévouement ? En d'autres termes : quelle est la nature de son histoire institutionnelle ? Quelle position occupent-ils dans le champ éducatif ? Autour de quelle spécificité s’organise formellement leur pratique ?
L’action des AVS semble s'articuler autour de ce qui a contribué à faire vaciller la structuration « dos-à-dos » de l'éducation spéciale et de l'éducation scolaire (Chauvière & Fablet, 2001), à savoir l'émergence de la politique d'intégration scolaire avec la loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées (surtout avec les circulaires de 1982 et 1983) puis sa consécration avec la loi n°2005-102 du 11 février 2005, se prolongeant par le nouveau paradigme de l'action publique en matière de scolarisation des enfants en situation de handicap : l'inclusion scolaire. (Gossot, 2006) La nature de cette fissure entre les deux pôles, qui se nourrissent chacun des rejets de l'autre – et qui n'existent donc que grâce aux insuffisances de l'autre – peut-elle permettre la construction d'une fonction originale ou bien, contribuant à rajouter à la segmentation professionnelle par la création d'un nouveau métier, desservirait-il « la cause de l'enfance » ? (Chauvière & Fablet, 2001).
Au-delà de ses origine et histoire spécifiques, comment peut-on caractériser le poste d’AVS-i ainsi que sa position dans l’espace des positions des autres postes intéressés par l’enfance handicapée ? Quelle y est la nature de la position du poste ? Quelles sont les exigences réellement ou potentiellement inscrites dans la position des AVS-i à l’intérieur du champ de l’enfance handicapée ? En d’autres termes, quelles sont ses propriétés ? (Muel-Dreyfus, 1983, Bourdieu, 1992)

L’histoire des origines du poste, l’histoire du poste et de sa position ainsi que ses caractéristiques objectives sont encadrés par deux notions sans lesquelles l’ensemble de l’économie du poste n’existerait pas : elles en constituent en effet les soubassements symbolique et pratique (pour la notion d’accompagnement) et sociopolitique (pour celle d’inclusion). Quelles sont les origines historiques de ces deux notions ? Dans quel contexte s’organise leur consécration ? Quel « monde » et quelle « vision du monde » s’y trouvent inscrits (Paul, 2004, Akrich, 2006, Demailly 2009) ? Quels liens peut-on tisser entre les charges idéologiques, les implications pratiques et symbolique qui caractérisent de manière spécifique les notions d’inclusion et d’accompagnement, et le poste d’AVS-i ?


Méthodologie
« La méthodologie n’est pas le précepteur ou le tuteur du savant mais toujours son élève. (…) Le fétichisme méthodologique se condamne à habiller des objets préconstruits des atours de la science. » (Loïc Wacquant, 1992)

2.1 Des lectures herméneutiques
Une partie importante de mon travail a consisté en la lecture herméneutique de nombreuses productions scientifiques, articles ou ouvrages, sur le principe de la charité herméneutique, qui attribue aux auteurs le crédit d’avoir fait choix de la meilleure manière de se faire comprendre – notre problématique n’étant pas centrée sur l’étude du traitement scientifique de notre objet de recherche.
La constitution de la bibliographie s’est effectuée selon plusieurs modalités, qui s’interpénètrent tout au long de ces deux années de travail. Une première a été une recherche génétique des travaux socio-historiques effectués sur le champ de l'éducation spéciale, de l'enseignement spécial ou de l'enfance handicapée, des travaux quoi renvoient le plus souvent les uns aux autres, par des problématiques voisines, un vocabulaire communs, et, le plus souvent, un cadre théorique partagé. La seconde modalité a été de recenser l'ensemble des textes de lois, décrets, circulaires, rapports techniques, produits sur le sujet de la scolarisation des enfants handicapés depuis les lois de 1975, puis de recenser un certain nombre de productions écrites (compte-rendu d'assemblée, statistiques, projet, déclarations, etc..) d'associations locales ou nationales ayant eu à administrer l'emploi des AVS-i pendant les années 1980 et 1990 (autant de documents essentiels que le temps imparti au présent travail ainsi que la problématique dégagée n’ont pas permis d’exploiter dans leur ensemble). Enfin, une autre modalité de constitution de ma bibliographie a été d’affiner mes recherches sur des points précis dévoilés par la constitution progressive de notre problématique, sur le thème de l'histoire de l'éducation ou de l'enseignement spécial, de la déficience, des traditions de classement et de catégorisation autour du « handicap », de celles, notionnelles, se succédant pour caractériser les politiques éducatives publiques en la matière, du cadre théorique habité, et enfin sur des points plus précis tel la constitution historique de la psychologie scolaire ou les origines de la loi de 1909 sur les classes de perfectionnement (ce sont alors de nombreuses thèses de troisième cycle nous avons pu trouver, souvent dirigées par des chercheurs occupant déjà des positions éminentes dans notre corpus bibliographique).

Par suite, la lecture et la constitution de fiches de lecture ont servi à sélectionner des éléments historiques factuels, des éléments d’analyse proprement sociologique et des éléments d’analyse sortant du strict champ de mon option théorique – mais se révélant néanmoins très opératoires, telle la notion de liminalité. Ces éléments ont été ordonnés dans l’esquisse d’un plan construit pour répondre aux éléments constitutifs de ma problématique. A mesure que s’est développé le processus de formalisation (d’écriture, en somme), ce plan s’est trouvé affiné, modifié, amélioré, avant d’acquérir finalement sa forme définitive.

Mais les éléments issus de lectures ne sont pas les seuls qui ont servi à la constitution du présent travail : nous avons également effectué des entretiens avec des AVS-i.


2.2 Des entretiens

Le choix de l’analyse s’est porté sur le poste d’AVS individuel (AVS-i), qui accompagne des enfants dans des classes « ordinaires » (non spéciales) – bien que celui d’AVS collectif (AVS-co) soit mentionné également, qui lui travaille au sein de classes spéciales (CLIS 1, 2, 3, 4 ou UPI – dorénavant ULIS – dans le secondaire). En effet, le sigle « AVS » qu’ils partagent ne doit pas laisser croire que ce sont les mêmes personnels : s’ils peuvent avoir en commun un type de contrat et des conditions de recrutement, leur poste a une généalogie et des missions tout à fait différentes.

Le choix de l’échantillon des six interviewés à été fait à partir d’une attention particulière à l’histoire du poste d’AVS, qui met en relief une parenthèse historique tout à fait singulière aux vues de ses trente-cinq années d’existence. Il s’agit de la période 2003-2009, ou 2004-2010. Cette période est en effet caractérisée par le fait que les AVS-i recrutés sous contrat assistant d’éducation (AED) cumulent deux propriétés :

une les concernant : ils ont fréquenté l’enseignement supérieur et, dans leur grande majorité, y ont obtenu un diplôme ;

et l’autre concernant le poste : le poste d’AVS-i sous contrat d’AED peut potentiellement être occupé pendant six années, ce qui est unique dans l’histoire du poste en terme de durée.

La borne « 2009 » ou « 2010 » se justifie par le fait que, progressivement, le poste d’AVS-i/AED a été pensé de plus en plus comme temporaire, ce qui n’était pas forcément le cas avant 2009.

Ces conditions fondent les AED ayant exercé ou exerçant entre 2003 et 2010 comme des exceptions historiques. A partir du postulat selon lequel cette double propriété de durée sans précédent d’occupation potentielle du poste et de fréquentation de l’enseignement supérieur est propre à constituer un élément décisif dans la construction de conditions d’appropriation du poste (et d’activation de la surface des potentialités qui y sont inscrites) qui est rendue impossible par les types de contrats précédant et suivant ceux d’assistant d’éducation AED, nous formulons ainsi volontiers l’hypothèse que les AVS de cette période ont eu la possibilité de développer des processus d’incorporation des logiques propres à leur environnement de travail (logiques institutionnelles et professionnelles) qui fait d’eux la catégorie de personnel qui a le plus exploré (et incorporé) ce qu’a pu produire la rencontre entre les propriétés du poste d’AVS-i et leurs propres dispositions sociales. En d’autres termes, nous faisons ici l’hypothèse que ces AVS-i, à mesure qu’ils occupent longtemps le poste, développent des compétences et une pratique qui sont elles aussi des exceptions historiques, et que nous souhaitons contribuer à mettre en lumière afin de comprendre ce qui se joue de l’histoire du traitement social du handicap au travers de ce poste.

Les entretiens et la question de la réflexivité

Entretenir des AVS-i tout étant moi-même un ancien AVS-i comportait des risques importants en termes d’investissement projectif. Entamer un processus d’objectivation de cet investissement subjectif s’est révélé essentiel pour contrer le danger de fausser la parole recueillie. Seulement, un choix s’est imposé à moi, du fait de la double contrainte du cadre temporel imposé par le master et de la prégnance très puissante me concernant d’un sentiment de demeurer l’un des leurs, un de ceux que j’allais entretenir. Ce choix, explicité plus loin, repose sur un double postulat :


Le travail d’objectivation de mon rapport à l’objet d’étude est transposable à la manière que j’ai eu moi-même d’occuper le poste d’AVS-i, et suffit pour me permettre d’habiter correctement – sans pour autant éviter des erreurs – la fonction d’interviewer, spécifique à la pratique de la recherche en sciences sociales ;


ne pas avoir cherché à me débarrasser absolument de la posture d’ancien occupant du poste sur lequel je questionnais les personnes entretenues, en somme le fait de simplement accepter de parler d’une pratique dont nous partagions une connaissance intime sans tentative de mise à distance de ma part autre que celles résultant du double effort que constitue le travail d’objectivation mentionné plus haut, et le fait que je menais l’entretien sur la base d’une grille construite par mes soins, ne constitue pas un danger pour un positionnement réflexif ni pour la qualité de la parole recueillie – bien au contraire.


Partant, il me faut ici mentionner le choix de conduite d’entretien que j’ai décidé d’habiter, centré sur une perspective clinique de « co-construction » et d’élucidation in situ des termes de l’échange (une partie de ce travail d’élucidation souvent entièrement renvoyé aux espaces solitaire du chercheur est ainsi ramené à l’espace de partage et d’échange que représente l’entretien, qui acquiert ainsi pour l’interviewé une dimension formatrice). Ce travail commun d’élucidation permet, de mon point de vue, de contribuer à combler ce que pointe Bernard Lahire quand il écrit que :





« Oui, les acteurs font ce qu'ils font et savent ce qu'ils savent mieux que quiconque. Oui, ils sont sans doute les mieux placés pour dire ce qu'ils font et savent. Mais, non, ils ne disposent pas immédiatement des moyens de perception et d'expression qui leur permettraient de livrer cette expérience spontanément. » (Lahire, 1998)


Ces « moyens de perception et d’expression » qui, selon Lahire, sont masqués par le « principe d’effacement » et la « contrainte de la narrativité », et qui peuvent s’avérer faire défaut aux acteurs/agents pour qu’ils délivrent leur expérience à l’enquêteur, trouvent de mon point de vue une possibilité d’émergence dans l’entretien clinique tel que je le décris plus haut – ceci relativement à ma position d’apprenti chercheur ainsi que relativement à la nature de mon champ de recherche (« on ne saurait dissocier la construction de l’objet des instruments de construction de l’objet et de leur critique », comme l’écrit Loïc Wacquant).

Les instruments de construction de l’objet sont ici, outre les lectures et le travail nécessaire d’objectivation, la méthode utilisée pour mener à bien les entretiens.


Méthode de recueil du matériau des entretiens

J’ai construit un guide d’entretien basé sur une des propriétés du poste d’AVS-i et qui veut qu’il soit potentiellement en relation professionnelle avec une multiplicité d’ « acteurs/agents » du processus de scolarisation des enfants handicapés (Mazereau, 1998) :

l’enseignant (qui peuvent être jusqu’à 4 pour les AVS-i selon le nombre possible d’accompagnement sur une année scolaire)

les élèves des classes (jusqu’à 4 classes, donc)

les parents (de l’élève accompagné et des élèves de la classe)

l’élève accompagné (jusqu’à 4)

l’équipe pédagogique (idem)

les ATSEM et personnels de mairie pour les temps périscolaires (idem)

l’enseignant référent (poste créé par la loi de 2005 et prenant suite des secrétaires de CCPE)

les professionnels du médico-social et du socio-éducatif (beaucoup d’enfants handicapés scolarisés ont un suivi annexe à l’école assuré par des structures ou des services de l’éducation spéciale – dans ce dernier cas, il n’est pas rare qu’il y ait une intervention à l’école également, comme avec les SESSAD par exemple)

les autres AVS

l’administration employeur, l’Inspection Académique

Les organismes associatifs ou autres qui assurent les 60 heures de formation dite « adaptation à l’emploi » - délivrées en cours d’occupation du poste, jamais de manière préalable.

Les AVS-i sont également en contact avec des éléments non humains :
les dispositifs didactiques et les pratiques pédagogiques (formant le système d’enseignement – et pouvant être différenciés selon les choix des potentiellement quatre enseignants avec lesquels l’AVS-i peut travailler)
- les pratiques éducatives – j’entends par-là tout ce qui a trait, au-delà des objectifs didactiques et pédagogiques (et bien qu’elles en constituent un corollaire) les postures d’adultes vis-à-vis d’enfants dans l’objectif de contribuer à la socialisation et une dynamique positive des groupes 
- la déficience, le handicap, l’infirmité.
Les six AVS-i entretenus ont ainsi été interrogés, selon les principes cliniques décrits plus haut, sur la base de « leur relation à » chacun des éléments ci avant décrits, humains et non humains.
Une question a été également posée, en guise de témoin d’une préoccupation qui ne me quitte pas depuis la première année d’exercice de cette fonction en 2003 : qu’en est-il de la prévalence des familles appartenant aux catégories populaires au sein de la population des enfants accompagnés par des AVS-i ? Afin d’aborder cette question (mais de manière limitée), et contre la doxa des classes dirigeantes qui a tendance à assimiler classe populaire, déficience mentale, délinquance, chômage et incapacités personnelles, j’ai souhaité m’enquérir auprès des AVS-i interrogés de leur représentation en la matière. C’est ainsi que j’ai frontalement demandé à chacun si de leur point de vue ils percevaient un lien de causalité entre la situation familiale et la situation des enfants – c’est à dire entre handicap et famille, entre handicap et milieu social. Le cadre de ce travail (et la faible profondeur de ma préparation et de mes questions sur le sujet) ne me permette pas d’entrer plus avant dans cette question, cependant je formule ici volontiers l’hypothèse selon laquelle il y a une surreprésentation des familles de catégories populaires au sein des enfants spécifiés comme handicapés, et que ces enfants n’ont pour autant aucune déficience d’ordre physique, mentale ou sensorielle. Seulement, pour des raisons historiques, le territoire du handicap a tendance à annexer celui de la difficulté sociale et de la grande difficulté scolaire – et de mon point de vue, cela constitue quelque chose à combattre ardemment.

2.3 La question de la réflexivité
2.3.1 Du vécu d’une condition à son historicisation et du militantisme à l’apprentissage de la recherche
Dès le départ de la réflexion autour du mémoire, j'ai pris conscience de la distance qui sépare un travail de recherche à vocation scientifique et une posture de syndicaliste ou d'associatif. Également du fait que l'invocation d'une nécessaire réflexivité par l'ancien militant devenu apprenti chercheur ne pouvait pas suffire pour désamorcer complètement le danger d'une instrumentalisation du discours à caractère scientifique à des fins politiques. Sans pour autant prétendre à éviter entièrement les effets de processus sans doute en partie inconscients, et par là même difficilement maîtrisables – a fortiori quand ma situation d'apprenti limite les possibilités d'efforts et le cadre collectif de la mise en œuvre d'une réflexivité « objectivant le sujet de l'objectivation » (Bourdieu, 1997) – il s'avère incontournable de procéder a minima à une mise en écriture des nécessités qu'il convient de mobiliser pour les atténuer.
C'est en tentant d'insérer mon travail en cours dans une généalogie de travaux ayant pour sujet de recherche des objets voisins voire similaires au mien qu'elles apparaissent le plus clairement. C'est donc en définissant la perspective, les travaux antérieurs dans laquelle il s'enracine et l'horizon spécifique qu'il dégage que mon travail peut se donner des conditions de réflexivité.
Il ne s'agit pas de refouler ou tenter d'annuler l'expérience professionnelle et militante à la base de mon intérêt pour le sujet, mais ou contraire de lui conférer son véritable statut qui est celui d'initiation à une réalité sociale (le handicap à l'école, le handicap et l'école) que j'aborde aujourd'hui à travers mon travail de mémoire sous un jour nouveau, celui de la recherche en sciences sociales. Cette perspective invite à considérer les connaissances empiriques et contextuelles, les convictions politiques, les expériences militantes construites pendant ces cinq années (auxquelles il faudrait sans doute rajouter les trois années de formation d'assistant de service social – métier que j'ai refusé d'exercer – précédant mon entrée dans la fonction d'AVS) non comme des entraves mais comme des ressources qui, au travers de la démarche consistant à les mettre à distance et à les interroger, à les déplacer d'un rôle de moteur de l'action à celui de témoins de la construction d'une nouvelle forme d'action, peuvent permettre, grâce à l'effet d'objectivation qu'entraîne la lecture de travaux sociologiques dévoilant des réalités propres aux positions que j'ai occupées mais qui m'étaient jusque là inaccessibles, de contribuer positivement à l'élaboration de mon travail de recherche.

Sur le site du laboratoire d'études sociologiques des transformations et acculturations des milieux populaires (LESTAMP), association de recherche nantaise, la sociologue Joëlle Deniaud écrit :


«  (…) On en vient non plus à confondre maladroitement sociologie et travail social, mais à jouer de leur confusion, dans un dispositif idéologique où une sociologie fermée, unique est dès lors posée comme savoir régulateur et théorie pensante des missions du travail social. Cet horizon d’une sociologie en prolongement des services sociaux, on le retrouve dans les sujets d’études des étudiants de maîtrise, dans un idéal de calque de la recherche, en manque de sponsoring, sur une supposée demande sociale, désormais envisagée, ici et maintenant, mais forcément ailleurs également, plutôt du côté de l’humus associatif, celui des structures municipales, territoriales que du côté des entreprises privées. En effet, c’est bien le monde de la non insertion, cet envers de la mondialisation en marche, qui offre aux sociologues une véritable planche de salut, si l’on en croit la litanie bien appréciée des sujets consacrés aux exclus, aux immigrés, aux précaires et autres victimes prêtes à être digérés par la bonne parole sociologique. (…) »


Je ne suis pas sociologue, bien qu’adoptant une posture socio-historique dans l’appréhension de mon objet de recherche, mais mon travail semble bel et bien concerné par ce que Deniaud nomme la « supposée demande sociale » se situant du côté de « l’humus associatif ». Etant bien considéré que ce qu’elle pointe me semble correspondre à une réalité qu’il convient de ne pas nier (et qui est même peut-être encore plus forte dans les sciences de l’éducation, sur un autre modèle), un soin particulier sera pris à ne pas glisser dans la tentation normative que ses propos décrivent.
Ce qu’exprime Joëlle Deniaud questionne le pouvoir de réfraction du champ de la sociologie, mais aussi celui des sciences de l'éducation, c'est à dire leur capacité à retraduire de manière interne, selon la logique qui leur est propre, des « contraintes ou des demandes externes », notamment politique ou relevant d’une « demande sociale » dont on est légitimement en droit de questionner le mode de production et de définition (Bourdieu, 1997). Il ne s'agit pas seulement en disant cela d'aborder le problème des parts d’autonomie et d’hétéronomie des sciences de l'éducation en tant que champ scientifique, mais de constater que ma position d'apprenti chercheur également « validé des acquis », est le produit d'une logique systémique propre au champ des sciences de l'éducation, et que la manière dont je vais aborder et réaliser mon travail ne dépend pas que de moi mais de la structure même du champ qui m'accueille, de la position que j'y occupe et des relations que j'entretiens avec ce que j'ai perçu des positions d'autres agents/acteurs.
Ma propre position est caractérisée par la place dans le cursus universitaire, passage obligé pour obtenir un droit d'entrée dans le champ, place dont les produits dits scientifiques (mémoires de master) n'ont pas a priori autant de gage de scientificité que ceux du troisième cycle, selon le niveau de formation à la recherche qui les caractérise, et évidemment que ceux des chercheurs dont c'est le métier, et qui fait que je me situe dans une zone très périphérique du champ des sciences de l'éducation, cumulant le statut d'apprenti (étudiant) de second cycle, de « validé des acquis » (donc, pour nombre d'universitaire, d'étudiant trop peu formé), et enfin prenant pour objet d'étude une question apparaissant comme marginale dans le champ des sciences de l'éducation, située à l'intersection de deux sous champs scientifiques relativement cloisonnés : celui de l'éducation scolaire ordinaire et celui de l'éducation spéciale, ou spécialisée.

La position sociale de ma déficience


« La force du regard est accentuée par la physionomie du visage stigmatisé par les traces d’un vécu sédimenté. Chacune de ses expressions trahit avec plus ou moins de transparence la vie intérieure, l’intentionnalité, le mouvement et l’action. Regards et visages jouent en effet de pair, comme capteurs et émetteurs d’émotions, mais aussi en tant que principe d’orientation et donc de projection. L’orientation du regard et la posture sont en effet des signes avant-coureurs du mouvement anticipé. Le sens de la vue exerce une place essentielle dans le fondement de toute relation intersubjective à la base de la vie sociétale, de même qu’un outil de prédilection dans les modes de la connaissance. » (Sauvageot A. (2003) L’épreuve des sens, de l’action sociale à la réalité virtuelle, Paris : PUF ; cité par Alain Blanc, 2006).


La démarche de recherche à laquelle je m’initie dans ce travail prétend modestement, car non professionnellement, tenter de contribuer au « programme d’anthropologie cognitive réflexive » défini par Pierre Bourdieu, qui mêle indissociablement le développement des connaissances sur le monde social et celui de la connaissance de ceux qui les produisent, dans un modèle principiel de pratique de la recherche qui pose comme fondateur une « objectivation participante » (Bourdieu, 2003). De ce point de vue, le cadre théorique ici habité oblige à une clarification des éléments proprement sociaux qui se trouvent actualisés dans ma propre position d’apprenti chercheur ne nourrissant pas d’ambition de concrétisation professionnelle de la pratique de la recherche – ce qui me place dans une position particulière, qu’il convient d’élucider. Sans sacrifier à une réflexivité narcissique qui se donne les atours d’un processus d’objectivation, il est notable de mentionner quelques éléments simultanément indissociables de mon intérêt pour le sujet (la scolarisation des enfants handicapés, le handicap et le personnel AVS-i), de celui pour mon cadre théorique (la sociologie de Pierre Bourdieu) et de la manière dont j’ai pu problématiser mon sujet (la position du poste d’AVS-i entre éducation scolaire et éducation spéciale).

En effet, et comme le suggère l’exergue de la présente partie, je suis moi-même porteur d’une déficience et ai occupé la fonction d’AVS-i pendant cinq années scolaires ; mon père est éducateur spécialisé et ma mère enseignante. Autant dire que la position du poste d’AVS-i semble faite pour moi : en effet, comme l’écrit Francine Muel-Dreyfus (1983) :


« S’il y a « harmonie » entre les hommes et les postes, c’est que l’histoire du poste est susceptible d’intégrer harmonieusement l’histoire sociale familiale de ceux qui occupent le poste »


Cette double propriété d’être déficient et issu de personnes occupant un poste dans des corps professionnels intermédiaires a contribué à ce que je trouve dans l’occupation du poste d’AVS-i un intérêt qui a tous les atours d’une vocation et à ce que j’intègre rapidement une structure syndicale afin de le défendre et de le valoriser.

Cette double propriété a également contribué à la construction de dispositions particulièrement bien faites pour constituer des éléments d’une réception favorable et favorisée (bien qu’autodidacte) de la sociologie de Pierre Bourdieu – vers laquelle je me suis tourné alors que, étudiant dans un école d’assistant de service social, un double questionnement portant à la fois sur mes origines paysannes et sur le caractère de contrôle social du métier que j’étais en train d’apprendre, et que je ressentais alors d’une manière très forte dans mes stages, m’avaient poussé vers le travail qu’il a produit sur le célibat paysan (« le bal des célibataires », ouvrage posthume de 2002) et vers ses ouvrages moins scientifiques des dernières années de sa vie (les « contre feux », 1 et 2, 1998 et 2001), puis vers « Ce que parler veut dire » (1982), etc. Il apparaît, et il m’apparaît, que le présent travail, s’il ne déroge pas (en tout cas autant que le permet ma position) aux conditions de scientificité et ne peut être réduit à ce que je vais énoncer, est le produit de nécessités proprement sociales qui se trouvent incarnées dans ma position sociale de personne déficiente, fils d’éducateur et d’enseignante, petit-fils d’éleveurs anciens paysans travailleurs, formé au travail social mais souhaitant devenir enseignant du premier degré, occupant une position sociale spécifique empruntant des éléments de pré-socialisation aux deux systèmes complémentaires mais opposés symboliquement que sont l’éducation scolaire et l’éducation spéciale, ancien brillant élève du scolaire mais avec une caractéristique objective, ma déficience, qui m’aurait placé probablement dans le spécial si la chirurgie n’avait pas atteint ses objectifs, ou si mes parents n’avaient pas eu les dispositions sociales (et l’opportunité historique) qui leur a permis de s’engager (et de m’engager) dans la voie de la réparation chirurgicale, ou encore si la réussite scolaire n’avait pas été permise par ces mêmes dispositions, qui ne dépendaient pas de moi.

Je n’ai ainsi pas de mérite à produire ce travail, ni à le produire de la façon dont je le produis, affirmation qui ne procède en rien d’une négation des conditions de possibilités d’une individualité ou d’une liberté, mais qui est au contraire au principe d’une meilleure connaissance de leur nature, elles si fortement revendiquées par les professions intellectuelles, dont les occupants aiment à se penser entièrement libres et (surtout) uniques sans voir qu’ils le sont d’autant moins qu’ils refusent les analyses portant au jour l’illusion sociale qui peut les pousser à nier toute surdétermination proprement sociale de leur trajectoire et de leurs choix, y compris professionnels. (Bourdieu 1984, Bouveresse 2003).

C’est une fois dégagées les conditions sociales de production de mon propre travail, et le travail réflexif de mise au jour de tout ce qui détermine mon implication et les relations préexistantes que je suis susceptible d’y investir au risque de le fausser, que je peux délaisser le « je » pour entrer de plein pied dans le « nous » de la communauté scientifique, de la communauté des chercheurs en sciences de l’éducation et plus particulièrement encore le « nous » de la communauté des (apprentis) sociologues – sans pour autant délaisser le « nous » de quiconque est intéressé par les thèmes ici abordés : le poste d’AVS, l’enfance handicapé, la politique de l’emploi et cette partition historique, toujours active malgré les évolutions législatives, entre éducation scolaire et éducation spéciale.

Au sein de ce dernier « nous », nous pensons fortement aux collègues AVS, aux anciens AVS, aux parents et aux familles, aux enseignants et évidemment aux élèves handicapés.

Le champ des sciences de l'éducation et l'objet de recherche « éducation spéciale « 
Il est fructueux de s'intéresser à ce qui caractérise ce cloisonnement disciplinaire. On peut le faire brièvement, sans prendre d'avance sur le développement du sujet, et à des fins méthodologiques, en s'appuyant sur un article de Gisela Chatelanat intitulé « Education et enseignement spécialisés : un champ fragmenté en sciences de l'éducation ? » paru dans un ouvrage collectif qu'elle a co-dirigé avec Greta Pelgrims et qui est titré « Education et enseignement spécialisé : ruptures et intégrations ». (2003).
Elle y décrit les trois modes d'insertion académique de l'éducation et de l'enseignement spécialisés en Europe.
Le premier est centré sur des approches médicales (psychiatriques notamment) et/ou psychologiques donnant une place écrasante aux « diagnostic et [aux] études des déficits, des symptômes et des lacunes du sujet apprenant » ;
le second se base sur la complémentarité des approches disciplinaires, prenant comme postulat que :
« (…) les difficultés rencontrées par le sujet apprenant résultent d'un manque de coordination et de complémentarité des professionnels ».
Le troisième, minoritaire, professe, à la suite de Moore (1974, cité par Chatelanat), que « la pédagogie spécialisée n'est que de la pédagogie, et rien d'autre. », celle qui appréhende « l'enfant tel qu'il est » (Lemoine, 1978, cité par Chatelanat).

Ce dernier mode d'insertion scientifique de la question du spécialisé (que l'épithète concerne indistinctement l'enseignement ou l'éducation) est le seul à remettre en cause la validité et la fonction de cet adjectif, la partition historiquement construite entre soin, éducation et enseignement, et le seul à (implicitement) considérer que le champ de l'éducation et de l'enseignement spécial fait partie intégrante des sciences de l'éducation.
Dans le sous champ de la recherche en éducation non ordinaire, pourrait-on dire,
« (…) le mot-clé, l'invariant autour duquel les chercheurs se rassemblent est toujours spécialisé »,
… fait remarquer Chatelanat. Elle s'interroge sur la fonction que remplit cette « mise à part d'un champ scientifique », questionne le fait de savoir si les recherches spécifiques de ces deux sous champs, qui entretiennent si peu de rapport entre eux, font naître des acquis scientifiques différenciés qui justifieraient un tel cloisonnement (« rupture »), ou si les produits de recherche ont vocation à se rencontrer et à converger (« intégration »). Nous pouvons nous interroger avec elle sur ces points, en remarquant également au passage que la bipolarisation académique entre l'ordinaire et le spécialisé reproduit de manière tout à fait fidèle (et saisissante) les réalités administratives et professionnelles propres aux deux champs.

C'est dans le troisième mode d'insertion académique de la question du spécialisé que nous nous situons ici très clairement, et dans les perspectives ouvertes par les questions posées par Gisela Chatelanat.
« Notre sujet en effet n’a pas la place ni l’intérêt qu’il mérite parce qu’on a pas encore aperçu son ampleur et sa profondeur. On le pense comme un lieu de militance et d’actions, alors qu’il constitue tout autant un sujet théorique », affirme Henri Jacques Stiker (2000b).
Se situer au sein de ce courant, dans la volonté de dépasser les segmentations et les territoires de recherches, est une prise de position qui s’opère dans la conscience de la dialectique entre la recherche universitaire en sciences de l’éducation et les pratiques professionnelles et dont témoigne l’homologie des divisions dans les structures des champs administratif, professionnel et universitaires en matière d’éducation.
Il ne s'agit pas du tout d'instruire un procès contre le milieu spécialisé et contre la recherche en éducation et enseignement spécialisés mais de s'interroger avec Chatelanat sur la fonction de cette partition dans le champ académique, sur son histoire et, au-delà, ainsi qu'esquissé par Stiker, sur la partition idoine qu'on constate dans les pratiques professionnelles, qui déterminent dans une large mesure le destin social de nombre de personnes handicapées et également le destin des « ordinaires moyens » d'être peu ou prou préservés de les côtoyer.
Un risque, parmi d’autres, est à pointer ici, puisque inhérent au courant dans lequel prétend s’insérer notre travail : celui que Monique Vial évoque quand elle revient sur « le grand remue-ménage d’après 68 », au sein duquel, écrit-elle :
« (…) professionnels de l’éducation spéciale ou chercheurs, forts de conviction marxistes, [ont] projeté sur le passé les débats où [ils étaient] alors engagés ».
Ce risque concerne le « voisinage problématique de l’histoire et de la sociologie » (Mazereau, 1998), quand des schémas explicatifs idéologiques, par manque d’objectivation, prennent le pas sur la démarche scientifique pour appréhender le passé, rendant ainsi difficile « une approche historique qui ne se trouve pas réduite à une tentative implicite d’explicitation de la réalité actuelle » (Vial, 1990). Nous tenterons de garder en mémoire cet avertissement, et de le constituer en guide de la formalisation de notre réponse apportée à la problématique que nous avons définie – mais non sans avoir ajouté que le marxisme et les différentes formes de néo-marxismes n’ont pas le monopole du risque de l’investissement idéologique travesti en scientifique.


2.3.4 Les sciences de l’éducation et l’éducation spéciale
Le département de sciences de l'éducation de Nantes offre une bonne illustration de la partition académique entre recherches sur le milieu ordinaire et spécialisé. Y étant inscrit, et l’ayant découvert il y a peu (et ayant ainsi un regard naïf de novice), il est intéressant d’en tenter une brève analyse.
Sur son site, l'Université de Nantes décrit le département comme dispensant des enseignements qui présentent « l'état actuel des savoirs » et posent « les problématiques dans le champ de la recherche en Sciences de l'Education ». Celles-ci, constituées de plusieurs disciplines, permettent « une lecture plurielle des faits éducatifs, des pratiques et des situations d'éducation ». 
Cet « état actuel des savoirs », ces « problématiques » et ces « lectures plurielles » sont à entendre comme ne relevant exclusivement que de l'éducation dite ordinaire. Car à prendre connaissance des maquettes pédagogiques, on s'aperçoit que les enseignements consacrés à l'éducation spéciale, ou aux relations entre éducation scolaire et éducation spéciale, tout comme des enseignements sur les notions historiquement et socialement marquées d’inadaptation ou de handicap sont quasiment inexistants. Il n'est donc pas dit explicitement que les faits éducatifs, les pratiques et les situations d'éducation lues de manière plurielle ne concernent pas les enfants handicapés ; c'est l'absence même de l'épithète spéciale qui nous dit sans nous dire que l'éducation en question est normale ou, pour le moins, non spéciale, c'est à dire destinées aux normaux.
A prendre ce constat au premier degré, on comprend donc que l’éducation tout court, sans le terme spéciale, ne concerne que les enfants qui se situent en deçà de cette ligne qui les sépare des handicapés, de ceux relevant du pathologique, eux dévolus à une éducation qui n'en est pas une si elle n'est pas spéciale.
Toutes les espèces d’enfants ne sont ainsi pas concernées tant par les recherches que par les enseignements qui sont sans épithète ni attribut : seuls les « moyens et bien portants » le sont : ce dont ces faits témoignent, c’est ni plus ni moins de la naturalisation, y compris dans le champ de la recherche, de l’éducation séparée et, maintenant que cette dernière est, formellement en tout cas, remise en cause, du désintérêt pour les enfants qu’elle concerne – sorte de point aveugle de la population scolaire (de manière homologue aux ATSEM, AVS, etc., dans les professions éducatives), réservé à ceux qui ont la « vocation », forcément spéciale.
Bien évidemment la situation nantaise n’est pas sur ce point singulière mais seulement révélatrice de l’ensemble du champ de recherche en sciences de l’éducation.
Sur cette prégnance du spécial et sur sa fonction de rassemblement des exclus de l’ordinaire, il est notable de rajouter deux éléments importants, signes d’une évolution des niveaux législatif et académique. La loi du 11 févier 2005 ne mentionne pas le mot spécial et, ainsi qu’en témoigne les travaux référencés dans ce mémoire, la notion commence à susciter des discussions tant sur ses vertus mystifiantes (Plaisance, 1999) que sur les fonctions que son non questionnement permet de dissimuler.

2.3.5 Conclusion
Ainsi les conditions objectives propre à ma position dans le champ, à ma position sociale et au fait que je suis porteur d’une déficience, les caractéristiques du département de sciences de l'éducation de l'université de Nantes, celles du champ plus large des sciences de l'éducation et la spécificité du capital accumulé le long de ces huit années d'interruption d'études universitaires, déterminent très largement la nature de mon travail.
Celui-ci s’inscrit également au terme d’une décennie au sein de laquelle le nombre de équivalent temps plein (ETP) de personnel accompagnant scolaire a été multiplié par 40 (entre 1998 et 2008-2009, de 670 à près de 25 000), où a été votée la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », qui dans son volet scolarisation affirme le droit de tout enfant handicapé à être inscrit « dans l'école de son quartier », et qui vient rénover entièrement la loi du 30 juin 1975 dite « en faveur des personnes handicapées » (une des « dernière loi de l'Etat providence », selon Henri Jacques Stiker (2000)).
Dans une période également où le traitement médiatique de la question du handicap à l'école s'est considérablement accrue, suite à la loi de 2005 notamment, sous des formes qui mériteraient une analyse spécifique – qui viendrait sans doute mettre en exergue parmi d'autres choses les soubassements anthropologiques de nos sociétés industrielles vis-à-vis du handicap (Stiker, 1982, 2000) et, probablement, une propension du champ médiatique à accentuer fortement les traits de ce que ses gestionnaires projettent sur le sens commun en la matière, en d’autres termes ce qu’ils pensent que les gens pensent et qu’il convient de leur fournir et de leur dire.
Visibilité médiatique et législation récente : la question de la scolarisation des enfants handicapés semble donc profiter d'une période paraissant propice à une réflexion collective sur la forme qui lui est donnée. Sans être absolument convaincu que ce soit le cas (mais en étant convaincu à la suite de Bourdieu que le contexte social, tout générateur de « modes » qu'il est, y compris sans doute dans la recherche – degrés de « réfraction » témoignant de l'autonomie des champs concernés –, ne devrait pas dans un monde de la recherche idéale constituer une matrice directe d'intérêt scientifique sans retraduction rigoureuse selon les lois internes au champ), nous désirons par ce travail contribuer à éclairer la logique spécifique gouvernant l'existence de cet accompagnement scolaire en la re-situant dans le cadre plus général de l'histoire du handicap à l'école.


2.4 Décrire les origines : l'entrée socio-historique
Vouloir faire l'histoire de l'émergence du poste d’AVS tout autant que son histoire institutionnelle, préalable indispensable selon nous à toute recherche sur ses pratiques, et vouloir caractériser la nature de sa position, c'est tenter de décrire l'évolution des relations entretenues par l'Ecole républicaine et l'enfance anormale, irrégulière, déficiente, inadaptées, handicapée (selon l'époque). C'est faire l'histoire également des relations entre l'éducation spéciale et l'éducation scolaire, ce qui revient à faire l'histoire de l'éducation spéciale, puisqu'elle s'est constituée dans une logique de « défiance réciproque » « dos-à-dos » avec l'Ecole (Chauvière 2000). Ceci bien entendu non pour faire une « Histoire générale du handicap à l'école » mais bien une sociohistoire des relations entre l'enfance handicapée, les éducations scolaire et spécialisée selon l'entrée spécifique visant à décrire les conditions de production de l'émergence du poste. Cela implique que seuls seront retenus les éléments explicatifs déterminants pour répondre de manière satisfaisante à notre problématique de mémoire de master.
« L'histoire de l'éducation spéciale est à l'origine une sociohistoire », nous explique Martine Ruchat (2003), « c'est à dire une histoire des acteurs et des mécanismes sociaux, étudiés le plus souvent à travers la question du pouvoir et des conflits d'intérêts. C'est une histoire qui met en exergue les processus de construction sociale des problèmes débouchant sur une histoire des institutions sociales, des pratiques et des discours dominants et dissidents ».
C'est dans ce cadre ''traditionnel'' de la sociologie conflictualiste que nous situons notre analyse. La « relativité des objets de l'histoire de l'éducation spéciale », ajoute Martine Ruchat, « se prête particulièrement bien à l'approche socio-historique ». Pour s'en convaincre, il suffit de mentionner ici le fait que les différentes terminologies se succédant pour catégoriser l'ensemble de cette enfance si difficilement nommable (dans l'histoire des tentatives destinées à la nommer) n'ont pas toujours désigné le même ensemble de populations catégorisées selon les taxinomies nosographiques en vigueur : l'enfance délinquante, partie intégrante de l'enfance anormale depuis la fin du XIXème siècle et englobée dans la notion générale d'enfance inadaptée codifiée en 1943 sous Vichy (Chauvière 1982), est exclue du périmètre de l'enfance handicapée, nouvelle catégorie administrative apparue avec la loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées.
Cette sociohistoire a évidemment elle-même une histoire, marquée en France par des travaux fondateurs publiés dans les années 1970. Nous avons fait le choix d’aborder au long de notre développement quelques aspects épistémologiques relatifs à l’histoire des recherches autour du handicap et de l’école, et de l’éducation spéciale, et ce plutôt que d’en faire ici, au sein de l’introduction, une présentation condensée. Ce choix s’explique par le fait que le temps consacré à ce travail nous semble insuffisant pour produire une vision d’ensemble de l’histoire de cette sociohistoire apte à être la base d’une critique scientifique et d’un positionnement suffisamment rigoureusement argumenté. C’est pourquoi les différents courants de recherche, les interprétations qu’ils suscitent et les oppositions qu’ils font naître sont dispersés dans ce mémoire au gré de la situation qu’occupent dans notre plan objet de divergences et origines de conflits entre chercheurs.
La théorie des champs (Bourdieu, 1997) est à la base de nombreux travaux, et à leur suite sera le cadre théorique dans lequel s’insérera la partie socio-historique de ce mémoire. Cette théorie, construite tout au long de la carrière scientifique de Pierre Bourdieu, est articulée autour de plusieurs concepts, dont celui de champ, qui constitue la pierre angulaire du présent travail.

2.4.1 La théorie des champs
Elaboré pour sortir de l’opposition entre internalisme et externalisme en matière d’interprétation scientifique des productions de discours (de quelque type que ce soit : artistique, juridique, scientifique, etc.), le concept de champ est central dans l’œuvre théorique de Pierre Bourdieu. Il désigne un « univers dans lequel sont insérés les agents et les institutions qui produisent, reproduisent ou diffusent les discours » artistiques, juridiques ou scientifiques, pour poursuivre avec nos exemples. « Espace intermédiaire » entre ceux revendiqués par les deux courants (idéal typiques) dont il est censé favoriser le dépassement (le texte seul, d’un côté, et l’ensemble de la société et son contexte historique de l’autre), il est doté de lois spécifiques aux objets spécifiques qui le fondent, et, « s’il n’échappe jamais complètement au contrainte du macrocosme [la société en générale], il dispose à son égard d’une autonomie partielle, plus ou moins marquée ».
Cette autonomie a comme indicateur principal ce que Pierre Bourdieu appelle le « degré de réfraction », c'est-à-dire la capacité du champ à retraduire selon les logiques qui lui sont propres les « contraintes externes ». Plus le degré de réfraction est important, plus le champ est autonome. « Inversement », ajoute Bourdieu, « l’hétéronomie d’un champ se manifeste essentiellement dans le fait que les problèmes extérieurs, notamment les problèmes politiques, s’y manifestent directement ».
Une des propriétés objectives d’un champ est qu’il est le lieu de luttes pour l’imposition de la définition légitime des lois spécifiques qui le régissent, luttes organisée autour de deux axes : le changement ou la conservation. Les structures et les dynamiques du champ sont produites par les luttes qui s’y déroulent, tout autant qu’elles les produisent. En d’autres termes, la « structure des relations objectives » entre les agents du champ détermine (« ou oriente », ajoute Pierre Bourdieu) les discours et prises de position des agents au sein du champ, aussi bien qu’elle est orientée et est déterminée par eux.
Ce qui caractérise également ces prises de position est lié à la nature du capital symbolique détenu par l’agent, capital « dont on sait qu’il est toujours fondé sur des actes de connaissances et de reconnaissance ». Ce capital symbolique (Pierre Bourdieu prend l’exemple d’une des ses formes spécifiques, le capital scientifique dans le champ académique), qui détermine le rapport aux règles du jeu propre au champ, est corrélé à l’origine sociale de l’agent : par exemple, « ceux qui sont nés dans le jeu ont le privilège de l’innéité», et ont moins besoin que d’autres, du fait de l’incorporation des lois spécifiques du champ, de retraduire sans cesse ce qui est perçu pour s’assurer la « maîtrise des lois immanentes du champ ». Le concept de capital symbolique, ainsi que la notion d’habitus, (ensemble de « dispositions acquises » d’un agent contribuant à déterminer le rapport qu’il entretient avec le champ dans lequel il se trouve) sont des outils également utilisés.
Lorsque la première partie, portant sur l’histoire du champ de l’enfance inadaptée, la place de l’école en son sein et l’histoire institutionnelle du poste d’AVS, fait mention d’agents ayant occupé des positions historiquement reconnues dans l’histoire du champ, et bien que le cadre (et l’ambition « cartographique ») de ce travail ne permettent pas de situer précisément les personnes citées dans les structures objectives du champ qui les accueille, nous tenons à préciser que le lecteur – ou un éventuel futur chercheur – éventuellement intéressé par ces points pourra les trouver, pour certains d’entre eux, dans certains des travaux référencés.
Pour résumer, « les agents sociaux sont insérés dans la structure [du champ] en des positions qui dépendent de leur capital et ils développent des stratégies qui dépendent elles-mêmes, en grande partie, de ces positions, dans la limite de leurs dispositions ». « Les personnes dans ce qu’elles ont de plus personnel sont, pour l’essentiel, la personnification des exigences réellement ou potentiellement inscrites dans la structure du champ ou, plus précisément, dans la position occupée à l’intérieur du champ » (Bourdieu, 1997, 1992)
Nous tentons dans la première partie de ce travail, en référence à cette théorie des champs qui est elle-même à l’origine, sous des formes plus ou moins différentes, de la majorité des travaux auxquels nous nous référons, de mettre en exergue à travers l’étude de son histoire la structure du champ de l’enfance inadaptée ainsi que ses propriétés propres (terme dont le sens est ici homologue à la propriété des matériaux en physique, c'est-à-dire qu’il désigne des phénomènes directement liés à la structure objective propre à chaque champ et qui lui sont donc spécifiques). La seconde partie est directement centrée sur les accompagnants scolaires : les logiques qui gouvernent à leur apparition dans le champ éducatif (que l’on peut considérer comme englobant les sous champs de l’enfance inadaptée et de l’éducation scolaire), la nature de leur position et de leur pratique et les conditions qui déterminent cette dernière.
2.4.2 Le cadre historique choisi
L’histoire du rapport des sociétés avec l’infirmité et la déficience, explique Pierre Bonjour (2006), montre qu’il y a des particularités pour chaque culture dans la façon « de [les] intégrer dans [sa] représentation du monde », de « rationaliser [son] rapport à l’anormalité ». Il en résulte, consécutivement au travail de construction de modèle d’intelligibilité des chercheurs, des paradigmes à l’aune desquels les cultures appréhendent les populations concernées. Pierre Bonjour parle par exemple des paradigmes du maléfice, de la malédiction, de la victime, qui ont pu prédominer dans les temps anciens, ceux de l’antiquité et du moyen-âge. La révolution française, en affirmant « le secours gratuit » pour les citoyens « hors d’état de travailler » inaugure le paradigme des droits de l’homme. Chacun d’entre eux, on peut le supposer, n’a pas complètement disparu et a contribué à une sédimentation complexe du rapport de nos sociétés à l’a-normal.
Pour Pierre Bonjour, le 19ème siècle est le siècle de l’émergence de paradigme de la normalisation, du retour au normal, autant que possible, par le biais d’actions d’éducation, de moralisation, d’assistance. Sur cette base se construit la triple logique à l’œuvre durant le 20ème siècle : réadaptation, euphémisation, accessibilité, qui inaugurent le paradigme de la citoyenneté. C’est cette émergence de la normalisation et de la citoyenneté qui nous intéresse.
Notre propos est centré, dans le cadre national de la France, sur l’Ecole et ses rapports avec le champ de l’éducation spéciale. Or l’Ecole de la République, telle qu’elle a évolué et que nous la connaissons aujourd’hui, s’enracine dans l’idéologie républicaine de la troisième république, tout comme la genèse du champ de l’éducation spéciale en France. Pour toutes ces raisons, le cadre historique retenu pour développer notre travail commence dans les années 1880, et ce qu’il est désormais admis de nommer les lois scolaires. Il se prolonge jusqu’à la récente loi n° 2005-102 du 11 février 2005 « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Il est notable d’ajouter que l’ensemble des recherches sociohistoriques dont nous faisons mention à plusieurs reprises dans ce mémoire et qui forme notre matière première, adoptent souvent ce même cadre historique, en tout cas en ce qui concerne sa première borne ; nous verrons pourquoi dans la première partie du présent travail.
Ce cadre est tout d’abord abordé de manière chronologique, dans une optique de « réinsérer les moments critiques dans les séries où réside le lieu de leur intelligibilité » (Bourdieu, 1984). Les « moments critiques » sont en effet nombreux dans l’histoire d’un champ dont une des propriétés est justement le renouvellement et l’innovation institutionnelle. Se centrer sur eux pourrait faire oublier que « les évènements historiques naissent au carrefour des histoires relativement autonomes » ; en l’occurrence au carrefour de l’histoire de plusieurs champs administratifs, professionnels et institutionnels, ce qui est une des structures fondamentales du champ de l’enfance inadaptée.
Les AVS-i et le cadre de leur existence : de l’histoire aux notions

Chapitre 1 : Nous présentons dans ce chapitre l’histoire, la structure et les propriétés du champ de l’enfance handicapée (ou de l’éducation spéciale), c'est-à-dire l’histoire des rapports entretenus par l’école avec ces enfants et leurs familles. Nous rappelons les logiques (professionnelles et administratives notamment) à l’œuvre dans sa dynamique.
Chapitre 2 : Nous proposons dans cette partie une analyse du soubassement notionnel traduit dans la politique publique qu’est la notion d’inclusion : son histoire et sa circulation (qui s’avère internationale) Nous en proposons une définition et une ébauche de modèle d’appréhension pour la recherche. Nous présentons également quelques esquisses d’analyses centrées sur sa réception dans le milieu académique français, et dans la profession enseignante.
Chapitre 3 : Ce chapitre est consacré à l’analyse du poste d’AVS-i, à son histoire institutionnelle, à la présentation de ses propriétés, à la rencontre de ces dernières avec celles des AVS-i interrogés. Il fournit des éléments de compréhension qui nous semble essentiels pour quiconque souhaite comprendre de quoi relève l’action des AVS-i dans les classes et/ou entamer une recherche sur ce sujet.
Chapitre 4 : Ce dernier chapitre se propose de considérer le premier référent notionnel du poste d’AVS-i, nouveau paradigme des métiers de la relation : l’accompagnement. Au travers de l’analyse sont présentées des pistes pour la recherche et des éléments explicatifs permettant de mieux cerner la pratique des AVS-i et la fonction sociale dévolue au poste.

Chaque chapitre est illustré (à des degrés différents) par des extraits d’entretien que nous avons effectué avec six AVS-i. Leurs paroles viennent ainsi tantôt à l’appui tantôt initier des analyses qui ont toutes pour double objectif de contribuer à intéresser les chercheurs aux questions abordées et de fournir aux individus qui vivent les politiques de scolarisation des enfants handicapés (quelle qu’y soit leur position) des éléments de compréhension et d’action.

Abordons dès à présent la présentation de ces AVS-i.


Présentation des AVS-i interrogés : texte et contexte

La parole des AVS-i concernant l’occupation de leur poste a été recueillie par le biais d’un enregistreur, puis saisie sur un fichier informatique. Elle est ainsi rapportée sous la forme de texte. Or, en accord avec notre option théorique, nous affirmons ici qu’un texte n’est rien sans contexte – plus précisément, un discours ne peut être intelligible sans que soit resitué à la fois les propriétés du champ qui le voit émerger tout autant que celles de l’individu qui l’énonce. L’émergence de la parole des AVS-i interrogés se doit ainsi d’être située dans un triple mouvement :


tout d’abord par rapport au champ dans lequel elle est produite – et sur lequel elle s’exprime. C’est le rôle de la première partie de ce travail que de caractériser le champ de l’enfance inadaptée ;

ensuite par rapport à la position sociale des AVS-i qui la produise ;

et enfin par rapport au cadre naturel et social dans lequel ils vivent.


Ce sont ces deux derniers points que la présente partie s’attache à élucider.

Toutes les personnes interrogées dans le cadre de cette recherche travaillent en milieu rural. Il nous semble important de s’arrêter un instant sur cette expression tant elle est imprécise tout en étant, trop souvent, reçue comme suffisante – ce qui est le propre d’un terme naturalisé, « dimension indiscutée des discussions », selon l’expression de Pierre Bourdieu. Nous allons tenter ici de fournir des éléments généraux de compréhension de ce qu’est le milieu rural, cadre de travail dans lequel les six AVS-i interrogés évoluent ; en d’autres termes, la partie qui suit s’attache à esquisser un modèle d’intelligibilité de ce qu’est une école dans un milieu rural, et plus précisément ce que sont les écoles du secteur où travaillent les AVS-i interrogés dans les spécificités du territoire où elles sont inscrites.



Territoires et pratiques éducatives

L’activité économique, les formes et les possibilités de la mobilité géographique, les traditions culturelles autochtones ou nouvellement ancrées, la pyramide des âges de la population, le renouvellement des populations, les formes de la vie naturelle, la géographie et les spécificités du climat…etc. sont autant d’éléments qui, en vertu du processus que Pierre Bourdieu modélise comme une « intériorisation de l’extériorité et extériorisation de l’intériorité », fournissent un cadre contextuel au déroulement de la vie d’un établissement scolaire. Entre les dynamiques internes au cadre symbolique de la classe et de l’école et celles des cadres national, européen et transnational qui déterminent les orientations des politiques éducatives, le cadre territorial (qui se décompose lui-même du canton à la région, selon la force des dynamiques qui les traversent) est un espace intermédiaire, un méso espace, qui correspond à ce que Nicole Ramognino nomme « l’habitat naturel et social ». De notre point de vue, il est difficile d’habiter un métier tel que celui d’enseignant – ou une fonction telle que celle d’AVS-i – sans, un moment ou un autre, ressentir la nécessité de s’attacher à connaître le territoire dans lequel il ou elle s’inscrit, puisque ce même territoire, selon des modalités différenciées propres aux logiques et aux forces sociales dans lesquelles les individus s’inscrivent, se trouve lui-même inscrit dans les corps et les esprits des enfants (et dans ceux de leurs parents) qui doivent apprendre à devenir élève.
La formation professionnelle des enseignants, restreinte à la connaissance des théories et des pratiques didactiques et pédagogiques (absolument nécessaires par ailleurs), semble prendre bien peu en compte tout ce qui lie l’exercice de ce métier avec les logiques de territoires.
Bertrand Geay et Jean-Pierre Lécureuil (2008) ont travaillé sur cet aspect, mais sur sa déclinaison spécifiquement primaire et rurale, c'est-à-dire sur la façon dont les enseignants du premier degré s’insèrent professionnellement en milieu rural. En gardant à l’esprit que cette analyse est centrée sur le métier d’enseignant, nous allons, dans l’optique de clarifier le cadre de travail des AVS-i interrogés, nous appuyer ici sur leurs travaux. Pour Geay et Lécureuil, poser la question de l’insertion professionnelle des enseignants en milieu rural revient à
« Interroger les rapports qui se sont historiquement construits entre l’école et le territoire, entre ce qui est attendu socialement et politiquement des maîtres et ce à quoi ils sont eux-mêmes disposés ».
Ce qui est « attendu socialement et politiquement » des AVS est une partie importante de la problématique du présent travail, tout autant que ce qui caractérise les évolutions « des rapports entre l’école et le territoire », notamment avec ce qu’induit la loi n°2005-102 du 11 février 2005, postulant que tous les enfants en situation de handicap ont désormais le droit d’être scolarisé « dans l’école de leur quartier ». Le travail de Geay et Lécureuil tend à montrer que :
« C’est d’une certaine façon contre les représentations les plus anciennes d’un engagement total du maître dans l’espace local, mais aussi contre le rejet de ces représentations et le primat donné à l’urbain et à tout ce qui s’y rattache que se construisent [les] pratiques et représentations professionnelle [des maîtres en milieu rural] »
Mention est faite de ce passage afin de ne pas faire l’économie d’une analyse qui contribue à esquisser un éclairage important d’une propriété générale de l’exercice du métier d’enseignant en milieu rural – étant bien considéré cette analyse éclaire également le discours des AVS-i interrogés dans la mesure où enseignants et AVS-i partagent le cadre spatial et symbolique de la classe dans leur travail quotidien.
De la même manière, il est pertinent de mentionner ce que Yves Alpes Jean-Luc Fauguet (2008) notent à propos des « enseignants des classes rurales » :
« (…) plus qu’ailleurs, [ils] convoquent souvent dans la classe l’environnement immédiat – dans sa complexité et sa diversité –, font appel bien volontiers aux connaissances pratiques et quotidiennes es enfants et de leurs parents pour illustrer les séquences d’apprentissage, et entretiennent eux-mêmes bien plus de relations sociales avec les gens et les paysages alentours. Nous sommes convaincus que cette intensité des liens sociaux a des effets positifs pour les conditions de l’étude ».
Pour toutes ces raisons, il est pertinent de poser le cadre rural de travail des AVS-i interrogés comme en premier lieu différent d’un cadre de travail qui serait spécifiquement citadin. Cette remarque est bien faite pour pointer la vigilance nécessaire quant à une tendance à une forme d’essentialisation des pratiques professionnelles (qu’il s’agisse du métier d’enseignant ou de la fonction d’AVS-i) qui peut caractériser certaines recherches en éducation : parmi les facteurs essentiels à prendre en compte pour construire des modèles rigoureux d’intelligibilité des pratiques, les rapports du professionnel avec le territoire dans lequel il travaille et ceux des élèves et familles avec le territoire dans lequel se situe l’établissement qu’ils fréquentent, occupent de notre point de vue une position essentielle.
Cette brève incise nous oblige à faire porter le regard sur les processus de différenciation à l’œuvre au sein de l’ensemble de territoires désignés par le sens commun comme relevant de la catégorie « milieu rural ». Pour élucider cet aspect, nous nous sommes basés sur la lecture et l’exploitation de deux ouvrages titrés « sociologie de l’école rurale », écrit par Yves Alpe & Jean-Luc Fauguet et publié en 2008 chez l’Harmattan, et « Géographie de l’école rurale », ouvrage collectif coordonné par Yves Jean et édité par Ophrys éditions : les éléments dégagés sont ainsi mis systématiquement en rapport avec les caractéristiques du territoire rural où résident et travaillent les AVS-i interrogés.

3.2 Milieu rural ?
« Depuis le début des années 1970, les espaces ruraux connaissent d’importantes mutations démographiques, économiques et culturelles qui brouillent les représentations traditionnelles des campagnes » (Jean, 2008)
Définir le milieu rural est une gageure pour les géographes et les statisticiens. Ces dernières années ont connu des évolutions décisives en la matière. Pendant longtemps, pour l’INSEE, ce qui a prévalu c’est le seuil de 2000 habitants en dessous duquel une commune était considérée comme rurale. En 1996, c’est le zonage en aire urbaine (ZAU) qui prend la suite de ce principe sommaire, en instituant des espaces à dominante urbaine ou rural. Dès 1998, un groupe de travail réunissant des membres de l’INSEE et de l’INRA « constate l’inadéquation de ce zonage pour une analyse fine de l’espace rural » (Alpe et Fauguet, 2008). Il propose alors de mettre en place un découpage qui s’organise autour du principe d’attraction économique et sur la « polarisation de l’espace par la relation lieu d’emploi/lieu de résidence ». Cette nouvelle approche produit quatre catégories, qui se définissent en fonction du degré d’influence urbaine :
le rural sous faible influence urbaine (20% des actifs travaillent dans le milieu urbain) ;
les pôles ruraux (offrant de 2000 à 5000 emplois) ;
les périphéries de pôles (20% des actifs travaillent dans les pôles) ;
et enfin, par défaut, une catégorie nommée « rural isolé ».
Mais en 2002, ce redécoupage connaît une nouvelle évolution, pour se transformer en zonage en aire urbaine et en aire d’emploi de l’espace rural (ZAUER), qui réduit le découpage en trois catégories :
les pôles d’emploi de l’espace rural ;
les couronnes des pôles d’emploi ;
les autres communes (toujours définies par défaut)
Le territoire dans lequel travaillent les AVS-i interrogés relève, selon la classification de 1998, des catégories « pôles ruraux » et des « périphéries de pôles », ou, selon celle de 2002, des « pôles d’emploi » et des « couronnes de pôle d’emploi ». Il s’agit d’un territoire économiquement prospère, caractérisé par une activité agricole marquée par l’élevage (dominé par la production laitière) et par une activité industrielle dynamique. Il se situe entre deux grandes villes à vocation de capitale régionale qui exercent sur lui une attraction importante en terme d’emploi – et qui fait que les zones d’attraction les plus importantes sont caractérisées par des prix de vente ou de location de l’habitat très élevés (« la ville à la campagne »), reléguant ainsi les populations à faible revenus dans la périphérie de ces deux villes ou dans les zones rurales qui en sont le plus éloignées. A titre illustratif, nous pouvons par exemple évoquer le fait qu’une des communes périphériques à une des deux grandes villes constituant les pôles urbains du territoire ici évoqué a (en 2003) 3% d’habitat social et 80 allocataires du revenu minimum d’insertion pour environ 15 000 habitants.
« La société aujourd’hui, c’est la ville ». Voici ce qu’a déclaré un responsable régional de la « politique de la ville » lors de l’ouverture d’un cours sur ce thème lors d’une formation d’assistant de service social en 2002. Cette affirmation, que j’ai pu recevoir comme une provocation mais qui n’en était pas forcément une de la part de celui qui l’a prononcée, et qui en dit long sur la doxa qui gouverne les politiques territoriales menée par les élites politiques et administratives, est utile pour introduire le fait que le milieu rural se définit aujourd’hui par rapport à la norme qu’est devenu l’espace urbain, c'est-à-dire le plus souvent par défaut – ainsi qu’on peut le constater pour les catégories visées plus haut.
Jusqu’au milieu du 20ème siècle, l’activité agricole représente la majeure partie de l’activité économique à la campagne ; en 1950, c’est encore 50% de la population rurale qui est paysanne. Aujourd’hui, cette proportion est de 15%. La population ouvrière (je ne parlerai pas ici d’« opérateur », d’ « agent de production » ou de « maintenance », termes dont certains économistes et sociologues – sans parler des médias – se complaisent à utiliser, actant dans leur usage linguistique de la volonté plus ou moins consciente d’en finir avec le mot « ouvrier ») est aujourd’hui largement plus représentée dans le milieu rural que la population agricole, et également proportionnellement plus importante que dans la plupart des zones urbaines : elle représente 36% des actifs ruraux en 2008. Le territoire dans lequel travaillent les AVS-i interrogés ne fait pas exception : il se caractérise par l’implantation, dans les « pôles d’emploi », de nombre d’usines (dont beaucoup d’agro-alimentaire), et par une faible proportion d’agriculteurs – ceci bien que le paysage soit évidemment marqué par l’activité agricole.
Cette mutation importante s’accompagne d’un phénomène de migration croisée qui tend à homogénéiser « la population qualifiée de rurale (…) du point de vue de ses caractéristiques économiques, sociales et culturelles » (Alpe & Fauguet, 2008). En effet, si, entre 1990 et 1999, 2,4 millions de personnes (dont 63% de moins de trente ans) ont quitté les zones rurales, c’est 3,5 millions qui s’y sont installés. Alpe et Fauguet dégagent trois grands types parmi ces nouveaux ruraux :
tout d’abord des ménages instruits, aisés, qui arrivent à la campagne pour le lieu de vie mais qui ne s’intègrent que peu dans les sociabilités traditionnelles existantes ;
ensuite des ménages d’inactifs, généralement âgés (à ce titre, Alpe et Fauguet rappellent que c’est 30% des habitants des communes rurales qui ont plus de 55 ans) ;
et enfin des familles en difficulté sociale et/ou financière.

Tout ceci concoure, écrivent Alpe et Fauguet, à un « contexte général d’ouverture (…) qui renforce les mutations culturelles (…) et constitue de nouvelles sources de tensions ». En effet, le voisinage de ces populations de migrants entre elles et celui avec les autochtones ancrés territorialement depuis plusieurs générations, font naître des situations de tensions (au sens sociologique du terme) qui trouve des formes de répercussions dans le périmètre de l’école.

Parmi les familles fréquentant les écoles où travaillent les AVS-i interrogés, on retrouve des représentants de trois des quatre catégories de population rurale dégagées par Alpe & Fauguet, soit :

les historiques (installées sur le territoire depuis plusieurs générations, groupe qui se décompose selon l’origine communale plus ou moins proche de la commune d’implantation de l’établissement) :

les migrants « instruits et aisés »

et les migrants « familles en difficulté ».

Dans les façons dont les enseignants évoqués dans les entretiens, ou les AVS-i entretenus, ont de se positionner face à tel ou tel enfant, on peut retrouver des clefs de compréhension (qui ne se suffisent pas à elles-mêmes, mais qui sont très importantes de notre point de vue) à la fois dans le rapport qu’entretient la famille de l’élève en question avec le territoire et dans celui qu’entretient l’enseignant lui-même, ainsi que dans la mise en rapport de ces deux rapports
Qu’en est-il par ailleurs des caractéristiques scolaires du milieu rural ? Au niveau national, 30 % des communes françaises n’ont pas d’école (en 2008), notent Alpe & Fauguet ; ce pourcentage est de 50% en ce qui concerne « les 12 départements les plus ruraux ». Ils mentionnent également le fait que ces départements connaissent une « décroissance continue du nombre des élèves, deux fois plus vite que la moyenne nationale » : plus de 2000 écoles à classes uniques ont disparu en dix ans. Elles formaient le quart des écoles en 1960, et le neuvième en 2000. Ce mouvement se traduit, à l’opposé, par un nombre croissant de « regroupements pédagogiques intercommunaux » (RPI) : 40% des écoles du milieu rural en dépendent, et « ce pourcentage ne cesse de croître ». Ces évolutions sont des conséquences directes des mutations des formes de la mobilité, qui sont indissociables de celles du marché du travail et, corrélativement, de celles du droit du travail.

Enfin, esquissons pour finir quelques traits de comparaison entre scolarisabilité rurale et urbaine : Alpe et Fauguet notent que les recherches en la matière ont montré qu’il n’y avait pas d’écart significatif en matière de résultats scolaires entre élève rural et élève urbain. Néanmoins, les représentations et les trajectoires scolaires afférentes sont clairement différenciées : si 68% des élèves du centre ville ont comme projet un diplôme de l’enseignement supérieur, ils ne sont que 38% parmi les élèves de milieu rural. De la même manière, là où 40% des élèves de centre ville expriment le désir de partir et d’aller travailler ailleurs que sur leur territoire, ils sont seulement 17% à formuler ce souhait en milieu rural.

Tous ces éléments forment un contexte général de travail des AVS-i qui doit constituer
un guide important chez le lecteur dans son appréhension de la parole des personnes interrogées – et de leur profil sociologique, que nous détaillons ci-dessous.


3.3 Les AVS-i interrogés : situation dans l’espace social des positions.

Les cinq femmes et le seul homme en fonction d’AVS-i interrogés pour mener à bien ce travail sont donc tous, au moment de l’enquête, des résidents du milieu rural où ils travaillent. Au-delà de cette réalité, et afin de les situer dans l’espace social des positions, nous avons recueilli auprès d’eux quelques éléments d’informations susceptibles d’esquisser un éclairage des logiques sociales à l’œuvre dans la production de leur point de vue que constitue la rencontre de leur position sociale avec celle du poste d’AVS-i. Nous avons notamment recueilli :

leur niveau scolaire et leur parcours de formation ;
des fragments de leur histoire sociale familiale : la profession des grands parents, celles des parents, ainsi que l’évolution de leurs situations géographique et territoriale. Ceci nous permet d’avoir une vision (certes limitée, mais ici suffisante) de la trajectoire familiale relativement à l’appartenance sociale – bref du rapport à la mobilité, indissociablement sociale et géographique ;
leur statut d’initié au handicap (ou non), c'est-à-dire, selon Erving Goffman (1975), le fait qu’ils soient ou non des personnes qui, du fait d’une position familiale ou professionnelle, connaissent les effets dans le temps et dans l’espace d’une déficience sur le quotidien de la personne qui la porte et sur son entourage ;
leur projet professionnel


L’ensemble de ces informations est présenté dans le tableau 1 (ci-dessous), puis développé ensuite de manière synthétique au sein d’une brève présentation de chaque AVS-i interrogé.


Age

Niveau scolaireProfessions des grands-parentsProfessions des parentsRapport au territoire rural considéréInitié (familial, professionnel)Projet professionnelNiveau de formationFormationCécile31IIIBTSMécanicien, ambassadrice de produit de beauté, facteur, mère au foyer
Secrétaire, chauffeur mécanicien poids lourds
Autochtone

Oui (prof.)
SophrologuePascal35IIIDUTCordonnier, militaire puis électricienProfesseur(e) d’anglais, comptableMigrant
(- de 10 ans) Oui (fam. & prof.)Prof des écoles (--)Noémie38IIMaîtrisePêcheur, vendeur Chauffeur routier, femme de ménageMigrante
(-de 20 ans)NonProf des écoles (--)Age moyen34,7Sylvie24IILicence
+ année de PE1agriculteursagriculteursautochtoneNonProf des écoles
(++)Lalie24II
Master 1Ouvrier, femme de ménage et nourrice ; agriculteurs 
Ouvrier, ouvrièreMigrante
(- de 5 ans)NonProf des écoles
(-)Julie31IIILicenceForgeron, maréchal-ferrant ; menuisier Forgeron puis serrurier en usine, secrétaireautochtoneNonProf des écoles
(+)Age moyen26,4Moyenne30,5 ans
Tableau 1 : Caractéristiques des AVS-i interrogés : anciens et nouveaux recrutés
Cécile a 31 ans au moment de l’entretien. Il se trouve que, bien qu’habitant actuellement à une trentaine de kilomètres de Julie, elle est originaire de la même commune qu’elle. Ses quatre grands-parents également. Ces derniers étaient, nous explique Cécile, « mécanicien et ambassadrice de produit de beauté, facteur et mère au foyer ». Ses parents sont devenus « secrétaire d’une agence d’assurance et chauffeur mécanicien poids lourds ». Cécile, elle, a obtenu un BTS force de vente. Elle a par suite exercé en tant qu’attachée commerciale, puis est devenue agent territorial spécialisé en école maternelle (ATSEM), avant d’entrer dans la fonction d’AVS-i :


Cécile : [l’entrée dans la fonction d’AVS-i c’est] arrivé (...) quand j’étais ATSEM à O., enfin moi avant j’étais attachée commerciale, hein, banques assurances, donc euh… j’en voulais plus hein… (…) et l’école donc recherchait une ATSEM… en CES-CEC, à l’époque… je me dis bah j’y vais, je postule quoi... forcément j’ai croisé [le directeur de l’école primaire], qui m’avait déjà vu, donc c’est passé impeccable… et j’ai fais deux ans ATSEM… ça me convenait pas, (…)…j’ai envoyé une candidature et ça s’est fait comme ça, quoi… ni plus ni moins…
Guillaume : (…) tu as postulé pour être assistante d’éducation… Pas forcément AVS-i ?
Cécile : non, pas forcément AVS-i… on m’a proposé ça en fait… ouais… sachant qu’en plus moi j’avais mentionné que je m’étais occupé [d’une petite fille pluri handicapée, NDR], si tu veux, ça s’est fait quand même relativement naturellement… (Page 23-24)


Cécile est recrutée en 2003. Cette année-là, ça fait déjà quatre ans qu’elle a entamé une formation de sophrologue. Elle a obtenu un « diplôme de praticien en sophrologie spécialisations enfance, adolescence, apprentissages, parentalité, et sophrologie appliquée au monde du travail (accompagnement des métiers médicaux et socio-éducatifs) ». Au terme de son contrat d’AVS-i, en septembre 2010, elle souhaite s’installer en qualité de sophrologue, « en libéral ou en structure ». Cécile et Noémie sont les seuls AVS-i interrogés à être parents. Cécile a également la particularité d’être la seule des six personnes entretenues à ne pas souhaiter être enseignante. Cependant, si elle nourrit un projet professionnel, Cécile n’en exprime pas moins les éléments suivants :


Cécile : (…) je ressors du contrat, tu vois, assez euh… je suis contente de ce que j’ai fait, tu vois, je pense que c’est pas anodin, dans la vie, d’avoir fait ce job pendant six ans… (…)… quand tu es pas armée, que tu arrives et que c’est la première année que tu fais ça, que tu te fais plomber, que… je sais pas… ça m’est pas arrivé mais… ça fait six ans que je fais… tu vois, tu t’armes de trucs, tu développes un sens de l’adaptation absolument efficace, c’est… mais j’en sors avec « quelles sont les perspectives derrière »… vraiment, vraiment je m’interroge…. (Page 42)



Par ailleurs, elle a eu une expérience professionnelle (deux mois et demi) qui a précédé l’occupation du poste d’ATSEM, qui contribue à lui donner une (grande) partie des propriétés d’une initiée professionnelle :




Cécile : [j’ai fait] … un remplacement avec l’association E., à O. … voilà je voulais bosser avec les gosses, et en fait y’avait une petite fille (...), polyhandicap, super lourd enfin je sais même pas si elle est encore en vie à l’heure actuelle, tu vois… et cette gosse je l’accompagnais… et chez elle, tu vois je faisais assistante de vie… auxiliaire de vie sociale… et en même temps à l’école (…) (page 23)


Recrutée en 2003, Cécile fait partie du groupe des « anciens AVS-i ».

Pascal est le seul homme de l’échantillon – ce qui est vraisemblablement assez représentatif de la part masculine des occupants du poste, et même sans doute encore surestimé. Il a 35 ans au moment de l’entretien. Ses grands-pères étaient cordonnier du côté paternel, et militaire (puis électricien) du côté maternel. Son père est devenu comptable et sa mère professeur d’anglais. Ses deux parents viennent de départements ou régions voisines, et se sont installés dans la capitale régionale du territoire ici considéré. Pascal y a effectué toute sa scolarité : il a obtenu en 1996 un DUT en informatique. Ensuite, il a travaillé pendant cinq ans en tant qu’emploi-jeune (de 1997 à 2002) au sein de l’Education Nationale en école primaire), puis a été recruté en 2003 en tant qu’AVS-i. Sa position d’aide éducateur (avec le réseau de connaissance afférent) lui a en effet permis d’être informé du basculement de cette fonction de l’associatif vers l’éducation nationale. Pascal a tenté deux fois le CRPE en candidat libre (en 2008 et en 2009), mais malgré une présence à l’oral en 2009, il n’a pas été reçu. Il est en passe d’abandonner ce projet du fait de la réforme de la formation des enseignants. Il est un habitant du « milieu rural » depuis peu d’année. C’est à ce titre un nouvel arrivant. Outre le fait qu’il est le seul représentant masculin des six personnes entretenues dans le cadre de ce travail, Pascal est aussi le seul à occuper une position d’initié familial : il a une sœur qui est en effet porteuse d’un autisme. En nous en parlant, il livre lui aussi, mais de manière distanciée, une partie du sens commun vis-à-vis du handicap, la majorité des gens (et des AVS-i) étant, dit-il, « plus à l’aise avec le handicap moteur qu’avec le handicap mental » – ce dernier étant souvent plus difficilement socialisable que le premier :


Guillaume : (…) est-ce que le fait qu’il y ait une prévalence assez nette dans tes accompagnements, de troubles autistiques et d’autisme, est-ce que c’est un choix de ta part ou est-ce que c’est quelque chose que tu as signalé, ta connaissance plus spécifique de l’autisme, à … à ton employeur, ou est-ce que c’est le hasard ?
Pascal : … c’est… j’en ai jamais parlé… donc au début c’était du hasard et puis je pense que… je pense qu’on s’est rendu compte aussi que euh…(…) en fait j’ai pu constater en parlant avec les autres AVS-i qu’il y en avait pas mal qui étaient plus à l’aise avec le handicap moteur qu’avec le handicap mental … et je pense que comme… comme l’Inspection Académique a remarqué que moi c’était plutôt l’inverse, ils ont plutôt eu tendance à me mettre sur… sur des troubles mentaux, je pense…
Guillaume : ils l’ont remarqué… mais qui ?
Pascal : euh… bah C., enseignante référente euh… du secteur du privé, qui est là depuis trois ans…et qui sait que je suis à l’aise avec les troubles autistiques… qui sait que je suis assez à l’aise avec ce type de handicap (…) (Page 38)



Cette posture d’initié familial est redoublée d’une position d’initié professionnel (les deux ne sont évidemment pas sans lien) :


Pascal : j’ai fait un stage de formation BAFA pour les CEMEA sur le thème du handicap… donc j’étais un peu aussi dans… dans le côté réflexion sur euh… sur tout ce qui est intégration via les groupes de réflexions aux CEMEA (…) [J’ai été] formateur aux CEMEA, [du coup on me] proposait régulièrement des week-end ou des mini semaines de formation sur différents thèmes…(…) je faisais pas que pour le handicap mais j’ai… j’ai fait plusieurs stages sur le thème du handicap… (Page 10-11)


Pascal fait partie du groupe des anciens AVS-i puisqu’il a été recruté en 2003. Son contrat prend fin en décembre 2010. Ensuite, il ne sait pas quoi faire – et ne cache pas être plutôt désespéré (et en colère).


Noémie a 38 ans au moment de l’entretien. Tout comme Pascal et Julie, elle n’a pas d’éléments de connaissance sur les éventuels emplois exercés par ses grands-mères (qui, quoiqu’il arrive, travaillaient au bon fonctionnement de l’économie domestique), mais seulement sur ses grands-pères. En l’occurrence, c’est même seulement la profession du grand-père paternel que Noémie connaît : il était pêcheur vendeur dans une ville portuaire. Leur fils, le père de Noémie, a émigré vers une des deux capitales régionales (voisines) encadrant le territoire où elle vit actuellement, et il y a rencontré la mère de Noémie, qui en était issue. Noémie a grandi dans cette ville et y a fait toute sa scolarité : relativement au « milieu rural », c’est donc une nouvelle arrivante, même si elle y est installée depuis une quinzaine d’année. Elle est titulaire d’une maîtrise de chimie biologique et a exercé l’emploi de caissière en supermarché puis technicienne de laboratoire. Son entrée dans la fonction d’AVS-i est consécutive à la perte de cet emploi et à la réactivation d’un ancien projet professionnel :


Noémie : donc en fait j’ai perdu mon travail. (…) [Comme] j’ai été licenciée (…) du coup j’ai décidé de refaire mon projet de devenir enseignante, donc je me suis lancée dans ce projet-là. (…) J’ai fait par le CNED et on nous proposait de pouvoir avoir droit à des stages donc je l’ai fait, et l’un des stages que j’ai fait était avec une enseignante que je connais très bien, c’était la femme du patron de mon mari. (…) La première année (…) malheureusement je n’ai pas eu le concours ; l’année d’après j’ai entendu parler de ce poste d’AVS-i (…) par le biais [de cette] enseignante (…) donc j’ai postulé et j’ai été prise (…). (Page 1)


Noémie cumule donc deux propriétés caractérisant nombre des occupants du poste d’AVS-i (AED) : elle est une aspirante enseignante ainsi qu’une mère avec une expérience professionnelle antérieure qui souhaite travailler auprès d’enfants et qui trouve dans la fonction d’AVS-i un emploi au droit d’entrée très faible et qui correspond à ces souhaits. Elle a pris connaissance de la réforme de la formation professionnelle des enseignants. Elle est en passe d’abandonner le projet de devenir professeur des écoles, jugeant trop difficile et trop long de devoir reprendre des études pour obtenir un master. Son contrat d’AVS-i se termine en août 2011 : elle ne sait pas ce qu’elle va faire par la suite. Tout comme Sylvie, Noémie n’est pas une initiée par rapport à la déficience ou au handicap. Elle traduit même une frange du sens commun par rapport aux représentations de ces derniers chez les non-initiés qu’est la frayeur, associée à la déploration :


Guillaume : (…) il y a une question que je voulais te poser aussi, c’est si tu avais (…) découvert le handicap ou la déficience avec le travail d’AVS ou si tu en avais eu des contacts avant par le biais familial ou professionnel ou autre ?
Noémie : bah c’est un milieu que je connaissais un petit peu malheureusement ayant eu un parent (…) interné à une époque… mais juste pour dépression… il avait été interné [dans un hôpital psychiatrique] (…) là si tu veux je côtoyais des gens qui venaient là uniquement pour se faire soigner au niveau des nerfs et des gens qui étaient présents mais qui étaient avec des (…) retards mentaux et tout ça donc… surtout retard mental de toute façon… donc des gens qui voilà pouvaient un peu effrayer une petite fille… moi à l’époque j’avais à peine dix ans donc euh… ils pouvaient effrayer une petite fille… (Page 14)


Noémie a commencé son travail d’AVS-i en 2004 et relève donc du groupe des « anciens AVS-i ».



Sylvie est née en 1986, elle a 24 ans au moment de l’entretien. Comme ses quatre grands-parents, ses parents sont agriculteurs, et habitent à la limite de la zone de forte influence urbaine du « milieu rural » considéré. Son père a quitté un département voisin pour s’installer avec la mère de Sylvie dans la ferme des parents de cette dernière. Considérant à la fois le phénomène de concentration des terres agricoles et la situation géographique de la ferme de ses parents, il est possible d’affirmer que ce sont des agriculteurs qui s’en sortent plutôt bien économiquement parlant. Sylvie a le projet de devenir professeur des écoles. Elle n’a pas connu de mobilité géographique importante : elle réside toujours en 2010 dans la maison où vivait ses grands-parents, et a effectué sa scolarité primaire dans sa commune d’origine (environ 5 000 habitants en 2010) et le secondaire dans une commune voisine : il s’agit donc d’une famille « historique » de la zone rurale considérée. Sylvie a par suite fréquenté l’enseignement supérieur, entre 2005 et 2009 : elle a obtenu une licence de sciences de la vie et de la terre en 2008 et l’année suivante a été professeur des écoles 1 (PE1) à l’IUFM de la ville de ses études. Elle n’a pas réussi le concours de recrutement de professeur des écoles (CRPE), et est devenu AVS-i l’année suivante. 


Par rapport au handicap, Sylvie n’est pas une initiée. Sa motivation pour entrer dans la fonction est basée sur le caractère utilitaire de son exercice, dans la perspective de son projet professionnel :




Sylvie : euh donc en fait moi j’ai voulu être AVS parce que je passe le concours de professeur des écoles, donc j’ai connu ce métier… enfin, ce métier, c’en est pas un mais je l’ai connu grâce à … aux études que j’ai faites [IUFM], finalement, et puis euh en attendant de repasser le concours euh… je me suis dit que ce serait le job idéal pour à la fois être… avoir de l’expérience, être dans une école et en même temps avoir du temps libre pour travailler… mon concours… (p 1)



Sylvie semble bien ne pas être la seule à entrer dans la fonction d’AVS-i après un échec au CRPE :



Sylvie : (…) … dans toutes les personnes qui n’ont pas eu leur concours, j’en ai retrouvé plusieurs après, avec moi, aux réunions d’AVS… ouais, ouais…il y en a quand même pas mal, ouais… parce que c’était vraiment euh… bah le job idéal pour rebosser le concours à côté et … et surtout ce qui nous manquait en PE1 c’était l’expérience, quoi…on avait fait que deux petits stages d’une semaines, alors que ça a rien à voir avec le fait d’être sur une année entière dans des écoles, quoi…(p.2)



Pour se donner le maximum de chance de réussir son concours de professeur des écoles, et du fait de la réforme de la formation professionnelle des enseignants en cours de mise en place et induisant la nécessité d’être titulaire d’un master pour entrer dans le métier, Sylvie s’est inscrite pour la session 2009-2010 dans l’Académie de Créteil. Elle souhaite donc commencer à travailler en région parisienne, avant de tenter, dès que possible, de revenir sur son territoire.

Sylvie a été recrutée en 2009, et fait donc partie du groupe des « néo-recrutés » de notre échantillon.



Lalie est née, comme Sylvie, en 1984, et a donc également 26 ans dans l’année de l’entretien. Ses grands parents sont espagnols, et arrivés en France vers 1950. Ils étaient ouvrier et femme de ménage (et nourrice) d’un côté, et agriculteurs de l’autre. Ses deux parents sont ouvriers, mais également espagnols : contrairement aux quatre grands-parents ils sont restés en Espagne, et ne sont arrivés en France qu’en 1978, installés en région parisienne, qu’ils n’ont pas quitté depuis. Lalie a fréquenté l’enseignement supérieur en île de France et n’est présente sur le territoire considéré que depuis deux ans : elle a suivi son ami venu s’installer ici pour occuper un emploi. Elle poursuit en ville ses études en sciences de l’éducation (après avoir suivi la filière de psychologie), en master 1, et réside (et travaille) « à la campagne », à quelques dizaines de kilomètres de l’Université.


Elle explique ainsi son entrée dans la fonction :




Lalie: alors c’est un peu par hasard… donc l’année dernière en fait j’étais… euh… je faisais pas d’étude, je voulais préparer des concours, et euh… donc à côté de ça je voulais travailler, j’travaillais depuis cinq ans dans l’animation donc je voulais faire un peu autre chose qui était en rapport avec les enfants, et je connaissais un maître E qui travaillait dans une école et c’est lui qui m’a proposé euh… de faire ça quoi… (Page 1)


Lalie souhaite elle aussi devenir professeur des écoles : c’est, outre celui de psychomotricienne, ce concours qu’elle évoque dans l’extrait ci-dessus. Mais elle n’est aujourd'hui « plus sûre », du fait de la réforme de la formation professionnelle impliquant de détenir un master. Elle a travaillé cinq années dans l’animation, et c’est dans ce cadre professionnel qu’elle a pu croiser des enfants en situation de handicap – mais là encore, et comme pour Noémie, sa position de non-initiée la conduit à intégrer à la géographie du « handicap » des territoires qui n’en relèvent pas vraiment :


Guillaume : … par rapport à la déficience ou au handicap, en général… est-ce que toi euh… tu avais un contact, un rapport avec la déficience ou le handicap, préalable à ton travail d’AVS-i… ?
Lalie : euh… je dirais non et je dirais oui quand même (court rire) … parce que… en même temps, en ayant fait des études de psycho, ça m’a…(…) après, le fait d’avoir été euh… enfin je suis animatrice depuis six ans, donc j’ai ... Voilà j’ai vu euh… des enfants défiler… et des enfants voilà c’est… enfin ils sont pas tous pareils quoi, et… si ça m’a permis aussi d’apprendre euh… d’avoir un autre regard et d’apprendre pas mal de choses euh… sur des difficultés ou des déficiences…(…) je dirais pas qu’un hyperactif c’est un handicap… mais bon maintenant voilà… euh j’ai eu le droit à ça, un enfant hyperactif et euh… bah faut savoir se positionner quoi…. (Page 30-31)


Ainsi, même si Lalie explicite le fait que être « hyperactif » n’est pas un handicap ou une déficience, elle les associe quand même. Ce qu’elle opère ici en fait c’est une réception de la question qui se caractérise par la survalorisation d’un élément tout à fait implicite de la notion de « handicap » rapportée à l’espace scolaire, à savoir le handicap entendu comme non-conformité scolaire et, plus largement, comme non-conformité de la dynamique socialisatrice : « j’ai eu le droit à ça, un enfant hyperactif et euh… bah faut savoir se positionner quoi…. ».

Lalie a été recrutée à son arrivée sur le territoire, soit en 2008. Elle est dans sa deuxième année d’exercice, et fait partie du groupe des néo-recrutés.



Julie a 31 ans au moment de l’entretien. Deux de ses grands-parents (les parents de sa mère) viennent de la Réunion ; son grand-père y était menuisier. Ses deux autres grands-parents sont originaires de la commune où elle et son mari sont installés, ainsi que ses parents. Son grand-père y était forgeron, puis maréchal-ferrant. Son fils (le père de Julie) est devenu à son tour forgeron, puis « serrurier en entreprise ». La mère de Julie était « couturière en usine ». De fait, Julie a un ancrage familial sur le territoire qui fait d’elle, avec Sylvie et Cécile, les seules AVS-i interrogés qui peuvent être considérées comme des « enfants du pays », entretenant avec le milieu rural un lien qui les dépasse en tant que simples individus, et qui active également des propriétés d’ordre social. Elle a occupé les postes d’ « aide-comptable », d’ « hôtesse d’accueil - standardiste » dans une agence immobilière, puis est devenue AVS-i. Julie explique ainsi son entrée dans la fonction :


Julie : comment ça s’est passé, on va dire c’est un peu le hasard des choses quoi, parce que j’ai arrêté donc mon travail (…) en tant qu’hôtesse d’accueil en cabinet immobilier, j’en avais assez quoi euh… au bout de six ans je voulais voir autre chose… disons que ça se passait pas tellement très bien, et ça faisait deux ans et demie que je cherchais du travail et que bah, étant en poste on trouve pas facilement, faut être disponible de suite, donc j’ai démissionné en fait et j’ai repris mes études… à partir de là euh… j’ai fait donc une licence en sciences de l’éducation, et comme il me manquait de l’expérience pour prétendre (…)… à l’entrée en fait au diocèse, [pour devenir enseignante dans le privé] (…) il me manquait… enfin ce que j’avais vu qui péchait un peu c’était euh… le…le contact avec un groupe, l’expérience avec un groupe…donc du coup je me suis dit il faut que j’essaie de trouver quelque chose en rapport avec ça… et puis après j’ai… bon j’avais un peu cherché sur Internet, j’avais commencé à … voir un peu euh… ce dont il s’agissait, et puis c’est par euh… c’est tout bizarre en fait… c’est par l’intermédiaire de mon mari, qui lui travaillait avec quelqu’un, et dont sa copine faisait ça… donc il m’a transmis directement les coordonnées de [l’enseignant référent], en fait euh…et puis donc j’ai pris contact comme ça, j’ai eu l’entretien donc avec lui et puis [une autre enseignante référente] (…) et puis du coup euh…. Ça s’est fait comme ça en fait, j’ai fait mon entretien, et puis ça s’est bien passé, et puis voilà quoi… (Page 1)


Julie a donc de commun avec Sylvie de considérer le travail d’AVS-i comme une expérience permettant d’optimiser les chances d’aboutissement de son projet de devenir enseignante dans le premier degré, et avec Sylvie, Noémie, Pascal et Lalie de nourrir ou d’avoir nourri ce projet professionnel. A défaut d’une réussite dans le métier d’enseignant, Julie souhaite travailler « dans un domaine lié aux enfants, à l’éducation, à l’encadrement, au soutien ». Par ailleurs, elle n’est pas une initiée aux mondes et réalités du handicap. La mention faite par nous durant l’entretien d’une question autour de l’usage des termes « déficience », « handicap » ou « troubles » fait apparaître qu’elle est soumise à la représentation dominante en matière de handicap, directement lié avec le coup de force symbolique de l’APF d’avoir su imposer son logo comme une représentation idéal typique de celui-ci, réduit dans l’imaginaire social, et loin de ce que montre la prévalence du handicap dans la population, à son seul segment « déficience motrice » :


Guillaume : (…) troubles, handicap, déficience… ? Quel mot tu dis toi ? (…)
Julie : (…) moi je dis plutôt déficience, euh… parce que en même temps… enfin c’est un peu bête à dire mais tant que c’est pas vraiment un handicap moteur et tout, j’ai du mal à placer le mot handicap pour (…) juste une déficience (…) autre quoi… mais bon après c’est… (Page 2)


Julie, recrutée en 2009, fait partie du groupe des néo-recrutés.



Anciens et néo-recrutés

Avant de prendre connaissance, tout au long du présent travail, de la parole de ces agents sociaux occupant le poste d’AVS-i, il est utile, outre de s’imprégner des éléments ci avant présentés, de garder à l’esprit une des caractéristiques les plus importantes de leur position, à savoir la durée d’occupation du poste d’AVS-i. Ainsi que nous l’avons déjà évoqué, nous avons classé les six agents en deux groupes :


les anciens recrutés, dont font partie : Cécile (2004), Pascal (2004) et Noémie (2005). Ces AVS-i ont donc au moins cinq ans d’occupation du poste derrière eux.

les néo-recrutés, groupe composé de : Sylvie (2008), Lalie (2008) et Julie (2008). Ces trois AVS-i sont toutes dans leur seconde année d’occupation du poste.


Afin de clarifier ce que peuvent représenter la différence de trois ou quatre années d’occupation du poste, nous avons construit des tableaux synoptiques représentant, pour chaque AVS-i, un parcours d’accompagnement. Ces tableaux permettent de visualiser l’ensemble des accompagnements qu’a habité l’AVS-i ; ils sont construits à partir des éléments suivants :


le genre des élèves accompagnés ;
l’année scolaire à partir de laquelle l’accompagnement a commencé ;
le nombre hebdomadaire d’heures d’accompagnement à l’année 1 de ce dernier (d’une année sur l’autre, la CDAPH peut en effet modifier le volume horaire de l’accompagnement) ;
le handicap (ou trouble ou déficience) de l’élève accompagné tel qu’il est exposé par l’AVS-i ;
le niveau scolaire des élèves accompagnés, c'est-à-dire le niveau de la classe dans laquelle ils sont scolarisés ;
le niveau dans le cursus-type, c'est-à-dire le niveau de la classe où ils devraient être par rapport à leur âge ;
la durée de l’accompagnement, c'est-à-dire le nombre d’années scolaires où l’AVS-i a accompagné un même élève ;
le fait qu’il y ait un temps partagé ou pas, en d’autres termes si l’élève partage son temps scolaire entre l’école et une structure spécialisée ;
le fait qu’il y ait un suivi médico-social et/ou RASED (on remarquera qu’un temps partagé induit obligatoirement un suivi médico-social, mais que la réciproque n’est pas vrai : le suivi peut se faire en dehors du temps scolaire)
l’orientation au terme de l’accompagnement, soit vers une structure spécialisée, soit dans la classe supérieure – et dans ce dernier cas, avec ou sans AVS-i.

Genre / année de début d’acc.Nombre d’heures (année 1)Handicap / déficience / troubleNiveau scolaireNiveau dans le cursus-typeDurée de l’acc.Temps partagé ?Médico-social à l’extérieur de l’école ? / RASED ?Orientation au terme de l’accompagnementFille04-0512Déficience motriceGSCP2 ansOuiIEM (institut d’éducation motrice)IEMFille04-059Trisomie 21GSGS1 anOuiHDJIMEGarçon04-056Retard généralGSGS1 an et demiOuiorthophoniste-Garçon05-063Ultra violentGSCE11 an---Fille05-0612EpilepsiePSMS6 moisOuiHDJ-Fille06-079Troubles psychologiquesCE1CE11 anOuiASECE2 (avec AVS-i)Garçon06-079Trouble du langageCPCP1 anOuiOui (?)
+ RASEDCE1Garçon06-0712AutismeMSMS6 moisOuiOui ?GS (avec AVS-i)Garçon06-079Retard généralGSCP2 ans et demiOuiCMPCE2 (avec AVS-i)Fille07-086Trouble de l’auditionCPCE11 anOuiOui (?)CE1 (avec AVS-i)Garçon07-089Ultra violentCPCP1 anOuiHDJITEP ?Garçon07-083PsychotiqueCE1CE12 ansOuiHDJCM1Garçon08-096TurbulentGSCP1 anOuiASEITEP ?Garçon09-1012DyslexiqueCE2CM11 anOuiOui (?)-Fille09-1012Trouble autistiqueGSCP1 anOuiHDJ-15Parcours d’accompagnement de Cécile, 2004 – 2010
Groupe des anciens recrutés




Genre / année de début d’acc.Nombre d’heures (année 1)Handicap / déficience / troublesNiveau scolaireNiveau dans le cursus-typeDurée de l’acc.Temps partagé ?Médico-social à l’extérieur de l’école ? / RASED ?Orientation au
terme de l’accompagnementGarçon04-0512AutismeMSMS2 ansOuiOui (?)CP (avec AVS-i)Fille04-053IndéfiniGSCP1 anOuiOui (?)IMEGarçon04-0512Trisomie 21PSPS2 ansOuiOui (?)-Garçon05-069Troubles autistiquesCPCP5 ansOuiOui (?)6ème (avec AVS-i)Garçon06-079Troubles autistiquesCPCP4 ansOuiOui (?)CM2 (avec AVS-i)Fille07-0812Pas définiCPCE11 anOuiOui (?)-Garçon08-093dyslexique4ème4ème1 anNonNon-7Parcours d’accompagnement de Pascal, 2004-2010
Groupe des anciens recrutés




Genre / année(s) de début d’acc.Nombre d’heures (année 1)Handicap / déficience / troubleNiveau scolaireNiveau dans le cursus-typeDurée de l’acc.Temps partagé ?Médico-social à l’extérieur de l’école ? / RASED ?Orientation
au terme de l’accompagnementFille05-069hTrouble du comportementCE1CE21 anOui HDJITEPFille05-066hMaladie orphelineMSMS1 anNonNonGS (avec AVS-i)Garçon05-069hautismeGSCE11 anOuiHDJIMEGarçon05-063hautismePSPS2 moisOuiOui (?)MS (avec AVS-i)Fille05-063hRetard d’appr. PSPS2 moisOuiOui (?)MS (avec AVS-i)Garçon06-079hEn CLIS 1--1 anOuiCMPCLIS / IME en temps partagéGarçon06-076hTroubles autistiquesCE16ème1 anNonorthophoniste
+ RASEDUPIFille07-089hTroubles du comportementCPCP1 anOuiCMPCPFille07-089hGros retard scolaire ; pas de nomCPCE21 annonorthophonisteCLISGarçon07-089hmaladie orphelineMSMS3 ansOuiHDJ, ortho-Fille08-099hTrouble de la lectureCPCE12 ans--CE2Garçon08-099hTroubles du comportementCPCP2 ansOuiCMP, SESSAS, orthophonisteCE2 (avec AVS-i)Garçon08-096hTrès grosses difficultés d’apprentissageCM16ème1 anOuiOui : SEFFIS orthophoniste6ème SEGPA13Parcours d’accompagnement de Noémie, 2004-2010
Groupe des anciens recrutés






Genre / année du début de l’acc.Nombre d’heures
(année 1)Handicap / déficience / troubleNiveau scolaireNiveau cursus-typeDurée de l’acc.Temps partagé ?Médico-social à l’extérieur/intérieur de l’école ? / RASED ?Orientation
au terme de l’accompagnementGarçon08-099hTroubles du comportement, retard scolaireGSGS1 anOuiOui (?)CP (avec AVS-i)Garçon08-099hTrouble du langageCPCE11 anOuiOrthophonisteCE1Garçon08-096hTrouble du comportementCM1CM21 anOuiOui (?)CM2 (avec AVS-i)Garçon09-1012hAutismeCPCE11 an (en cours)OuiOrthophoniste-Garçon09-1012hMaladie ? EpilepsieCM1CM21 an (en cours)OuiCMP-5Parcours d’accompagnement de Sylvie, 2008-2010
Groupe des néo-recrutés










Genre / année du début de l’acc.Nombre d’heures (année 1)Handicap / déficience / troubleNiveau scolaireNiveau dans le cursus-typeDurée de l’acc.Temps partagé ?Médico-social à l’extérieur/intérieur de l’école ? / RASED ?Orientation
au terme de l’accompagnementFille08-099hMaladie génétique, troubles autistiquesPPS PSCP1 anouiSESSADPS MS (avec
AVS-i)Garçon08-099hTrouble de l’apprentissageCPCE11 an---Garçon08-099hConséquences d’opérations chirurgicalesCPCE11 an--CE1 (avec AVS-i)Garçon09-109hDyslexie5ème 5ème 1 an (en cours)---4Parcours d’accompagnement de Lalie, 2008-2010
Groupe des néo-recrutés











Genre / année de début d’acc.Nombre d’heures (année 1)Handicap / déficience / troubleNiveau scolaireNiveau dans le cursus-typeDurée de l’acc.Temps partagé ?Médico-social à l’extérieur/intérieur de l’école ? / RASED ?Orientation
au terme de l’accompagnementFille 08-09-Troubles autistiquesPSGS1 an--PS (avec AVS-i)Garçon08-09-Troubles des apprentissagesCPCE22 ans--Garçon08-09-Trouble de l’apprentissageCPCE1 1 an--Changement d’écoleGarçon 09-10-Dysphasie2nde1ère1 an (en cours)--Garçon09-10-Maladie génétiqueCPCE11 an (en cours)--5Parcours d’accompagnement de Julie, 2008-2010
Groupe des néo-recrutés











Trisomie 21

Troubles des apprentissages, du comportement, du langage, dys-, indéfini
Autismes, troubles autistiques
Retard général, maladie mentale (psychose)
Déficience motrice ou sensorielle
Maladies, épilepsiesNombre total d’élèves accompagnés Nbre %Nbre %Cécile17640213320213171530
35 
71Pascal114343343000000714.5Noémie00861,53230000215,51326Sylvie003601200000120510
14

28
Lalie0025000000025048,5Julie003601200000120510Total2425511020362471449100
Tableau 2 : Répartition des accompagnements des anciens et néo-recrutés selon une typologie du handicap construite à partir de leurs classifications spontanées recueillies lors des entretiens






Genre masculin (féminin)
Nombre moyen d’heures par accompagnement (à l’année 1)Retard sur le cursus-typeMoyenne de la durée d’accompagnementElèves avec suivi extérieur à l’écoleElèves avec temps partagé
Nbre% Cécile9 (6)60 8,6 h8531,2 an1410014100Pascal5 (2)718,6 h2282,3 ans686686Noémie7 (6)547,4 h6461,4 - 1,2 an1185970Nombre et part d’élèves accompagnés par les anciens recrutés qui sont en retard dans le cursus-type 


16


46
Moyenne pour les anciens recrutés

1,6 anSylvie5 (0)1009,6 h4801 an51005100Lalie3 (1)759 h3751 anJulie4 (1)80 -51001,2 anNombre et part d’élèves accompagnés par les néos-recrutés qui sont en retard dans le cursus-type

12

86
Moyenne pour les néo-recrutés
1,05 anTotal / moyenne32 (17)658,6 h28571,3 an
Tableau 3 : Anciens et néo-recrutés face aux caractéristiques scolaires des élèves accompagnés
Quelques remarques sur les 49 élèves accompagnés par ces 6 AVS-i

Malgré le fait que le tableau n°2 ne soit pas construit à partir des catégorisations qu’on dira ici « officielles », il est notable d’y constater la surreprésentation très nette des « troubles de l’apprentissage, du comportement » et des « dys-» (dyslexie notamment) : ils représentent plus de 50 % de l’ensemble des 49 enfants accompagnés. De plus, 10 % des 49 enfants accompagnés par ces 6 AVS-i sont des enfants qui ont été retirés de leur famille et placés dans une famille d’accueil. S’il est possible d’être handicapé et placé en famille d’accueil, la surreprésentation des enfants qui vivent une telle situation dans notre échantillon par rapport à la population générale ne nous semble pas anodine. Sans prétendre dégager ici des éléments suffisants pour tirer des conclusions hâtives, ces remarques appellent deux questions :


n’assiste t-on pas à une forme de glissement de la grande difficulté scolaire vers les territoires du handicap, et donc d’un déplacement de la « clientèle » traditionnelle de l’enseignement spécialisé des RASED vers les AVS-i ?

N’assisterait-on pas à un glissement afférent en ce qui concerne les enfants avec des « troubles du comportement » dues à des problématiques sociales et familiales ?


Nous estimons qu’il y a ici matière à recherche.


Un impératif inquestionné : nommer et classer le handicap 

Tous les termes utilisés (à cette fin de dénomination) dans les tableaux précédents sont ceux qui sont issus des classifications spontanées des AVS-i à propos des enfants qu’ils accompagnent. La prise en compte de ce point de méthode est très importante : si en effet parfois les termes utilisés pour décrire le handicap de l’élève sont ceux qui leur ont été transmis par leur employeur l’Inspection académique, par les parents ou par les enseignants, le plus souvent les AVS-i entretenus n’ont pas de catégorie « officielle » à attribuer à l’élève qu’ils accompagnent. Ils produisent alors malgré tout une classification, une étiquette pour cet enfant, qui se rapproche plus ou moins des classifications qui sont à leurs yeux légitimes – que ces dernières soient de tradition médicale, pédagogique ou rattachées à une frange du sens commun.

Par exemple Noémie, Sylvie et Julie, dont les occupations du poste sont caractérisées par une forte hétéronomie vis-à-vis de l’enseignant, utilisent souvent le terme de troubles dont l’usage est fortement ancré dans les milieux pédagogiques (les troublés de la lecture, de l’apprentissage, du comportement, de l’attention, etc.). Cécile, de son côté, utilise plutôt des termes qui décrivent ce qu’elle a vécu avec les élèves qu’elle a accompagnés  (elle parle ainsi de deux enfants qui sont « ultra violents ») ou ce qu’elle a ressenti à leur contact (« retard général »), sans que ces classifications ne présument d’une étiologie quelconque – à l’exception de « psychotique », qu’elle est la seule à utiliser. De fait, l’usage tel quel que nous faisons de ces termes ne doit pas tromper les lecteurs et lectrices.

Le présent travail n’est pas centré sur l’analyse des termes utilisés par les AVS-i pour répondre à cet impératif de catégorisation des enfants qu’ils accompagnent (« mais qu’est-ce qu’il a, au fait ? »). Néanmoins, la mention de sa nécessité nous paraît tout à fait essentielle au regard de l’ambition cartographique de cette recherche. En outre, elle ouvre sur une autre nécessité qui est celle d’aborder la question générale des classifications du handicap – et de ce qu’implique l’usage de ce dernier terme.


Les mots et notions autour du handicap. Dire pour classer, classer pour traiter.



« Bariolés de tous les noms, comme Arlequin de ses couleurs, du fond des âges et des cultures, du fond des âmes et des systèmes, nous nous avançons désignés et ignorés, repérés et cachés, mis en scène et tenus en coulisse. (…) Qui sommes-nous ? Le dictionnaire de nos maux ressemble à certaines encyclopédies chinoises dont la logique échappe. » « L’étiquette, la catégorisation, proviennent des structurations sociales, bien davantage que du fait brut de l’atteinte physique ou psychique (…) C’est l’obligation dans laquelle se trouve la société d’attribuer le qualificatif de handicapé qui crée, socialement, le handicap »

Henri Jacques Stiker, 2000, 1982.



La « vigilance théorique » évoquée par Philippe Mazereau (1998), nécessaire pour « éviter de prendre comme instrument de connaissance ce qui devrait en être l’objet » est à l’origine de cette partie. En effet, se pencher sur l’histoire du traitement social du handicap ou, plus précisément en ce qui nous concerne, sur ce que l’histoire des relations entre institution scolaire et enfance handicapée dévoile des logiques à l’œuvre dans l’émergence des accompagnants scolaires AVS-i et dans la nature de la position du poste de ces derniers, rend incontournable la mention de la démarche d’analyse des mots et notions, et de leurs usages (à défaut de l’analyse elle-même). Le champ de l’éducation spéciale n’échappe pas à une propriété essentielle des champs, énoncée par Pierre Bourdieu, et qui se définit de la manière suivante :


« La compétition pour l’enjeu y dissimule la collusion à propos des règles du jeu », c'est-à-dire que « la participation aux intérêts constitutifs de l’ensemble du champ (qui les présuppose, et les produit par ses fonctions mêmes) implique l’acceptation d’un ensemble de présupposés et de postulats qui, étant la dimension indiscutée des discussions, sont, par définition, tenus à l’abri des discussions. ».


En l’occurrence, il est question des règles du jeu de langage, et de présupposés et de postulats notionnels. En ce qui concerne en effet, pour notre sujet, le champ de l’enfance handicapée, un mot tel que handicap participe de ces « impositions arbitraires de significations d’une telle force qu’elles passent pour évidentes » (Plaisance, 1999). Il est sans conteste du devoir d’un producteur de discours à vocation scientifique d’en tenir compte, et de le prendre à son compte.

Les intérêts en jeu dans le champ de l’éducation spéciale sont d’ordre disciplinaires (du fait du rôle prééminent des sciences médicales et humaines dans sa constitution et son histoire), institutionnels (plusieurs ministères se sont partagés et se partagent les tutelles d’un grand nombre de créations institutionnelles) et techniques (un ensemble de corps professionnels se sont soit constitués spécifiquement au sein de ce champ, soit ont constitué ce champ comme un de ceux au sein desquels ils ont un rôle à jouer). Les diverses taxinomies, classifications et catégories nosographiques qui se sont succédées pour nommer l’enfance handicapée sont nées et ont évoluées au gré de la confrontation de ces intérêts, présents dès la genèse du champ. Elles mériteraient une analyse spécifique. Certains chercheurs, comme Philippe Mazereau qui y a consacré sa thèse de doctorat en sociologie, se sont déjà attachées à ce travail tout à fait essentiel pour la compréhension générale du champ, dont la dynamique ne peut être saisie sans « une analyse de sa structure et, simultanément, (…), [sans] une analyse génétique de sa constitution et des tensions entre les positions qui la constituent ».

Charles Gardou et Eric Plaisance (2001) se positionnent dans cette même perspective d’analyse quand ils écrivent que de tels raffinements classificatoires, dont l’histoire du champ est parsemée, sont, bien que construits sur :


« (…) des bases scientifiques pourtant bien incertaines (…), en réalité orientés par la demande administrative de partage des diverses compétences ministérielles en compétition et, en fin de compte, de rationalisation des dépenses à engager pour financer des établissements ou des classes de toutes sortes ».


Ils tissent là un lien entre intérêt institutionnel et productions disciplinaires qui a déjà été abordé par d’autres. On observe un consensus assez large entre chercheurs sur cette question précise. Comme le résume Jeannine Verdès-Leroux (1978) :


« La fréquence des changements de terminologie (…) et la prolifération des classifications (…) manifestent clairement l’arbitraire de ces étiquetages et de la diversité des interventions qu’ils autorisent ».




Cette fréquence des modifications d’appellations, constitutive de la dynamique du champ, nous semble très bien résumée dans le titre d’un article dont l’objet est tout autre, mais qui a le mérite d’être opérant pour le sujet qui nous concerne : « Classement, déclassement, reclassement ».



L’exemple donné par Jacqueline Gateaux-Mennecier (1999) de la modification des normes de diagnostic de la débilité légère induite par la classification de l’OMS en 1980 est à ce titre tout à fait frappant : le résultat minimum aux tests psychométriques permettant d’éviter d’être diagnostiqué dans la catégorie débilité légère est en effet passé à cette époque de 80 à 60. Combien de personnes ont, avant 1980, reçu ce diagnostic, et se sont ainsi vues apposé le sceau d’un destin social marqué par l’éducation ou l’enseignement spécial, que ce soit en institution médico-social ou en classes de perfectionnement ?




« Combien de gens débiles sont devenus depuis lors des gens ordinaires ? » se demande Gateaux-Mennecier.




Par ailleurs, on peut citer deux autres faits, très éclairants :









sur le plan national (dans le contexte français), les classifications du handicap restent marquées par les traditions propres à chaque territoire administratif, scientifique et professionnel. Ainsi, la DGESCO utilise, pour produire des statistiques concernant la scolarisation des enfants handicapés, des catégories qui lui sont propres, et qui se retrouvent ensuite dans l’ensemble des administrations relevant de l’éducation nationale.

sur le plan international on observe les efforts des instances supranationales (notamment l’OMS et l’OCDE) pour organiser une systématisation des classifications, en tentant d’étudier et de classer les classements nationaux, qui tous diffèrent en fonction des caractéristiques sociohistoriques de chaque pays en matière d’infirmité et de déficience.



L’OCDE a ainsi produit au début des années 1990 une tripartition de l’ensemble des territoires du handicap (disability, en langue anglaise) qui reste aujourd’hui encore une référence :


« A/déficience », « origine organique attribuable à une pathologie organique ») ;

« B/difficultés », « troubles du comportement ou troubles affectifs, ou difficultés d’apprentissage spécifiques »

« C/désavantages », « qui proviennent principalement de facteurs socio-économiques, culturels et/ou linguistique ». (OCDE, 2008)


Dans la publication de l’OCDE (2008) d’où sont tirés les éléments ci-dessus, on trouve également une tentative de classement de classement : la visée unificatrice du travail effectué a en effet obligé les auteurs à tenter de faire correspondre les classements nationaux avec le classement international. Pour chaque pays membre participant à l’étude qui est présentée dans l’ouvrage sont ainsi méthodiquement rangés, dans les trois catégories A, B et C, les produits historiques que représentent leur propre système de classement du handicap.


Pour clore cette (trop rapide) mention d’éléments d’ordre statistiques, nous souhaitons citer cette phrase de Francine Muel-Dreyfus, qui appelle à un usage raisonné (et distancié) des éléments statistiques :


« Les catégories (…) telles qu’elles sont dégagées par les statistiques conduisent à constituer des groupes homogènes là où existe une hiérarchie saisie intuitivement par les intéressés eux-mêmes. [Les] chiffres ne donnent que des indications et ne sauraient faire effet de  preuve statistique.» (Muel-Dreyfus, 1983)


Il y a donc un caractère mouvant, très historiquement marqué, des mots et notions ayant servi à désigner ce qu’on nomme aujourd’hui handicap, et ayant servi, tout comme sert handicap, à marquer par l’usage du terme le droit d’entrée dans les filières spéciales, elles-mêmes très différenciées. Les modes de génération de ces deux logiques (terminologies et filières institutionnelles) sont étroitement liés.


« Cette perspective invite à appréhender les critères de classement (…) à l’aune des institutions qui se sont développées, et non de la déficience », conclut Serge Ebersold (1996).


Il est utile de rappeler à sa suite que ce mot unique de handicap, aujourd’hui dominant, fonctionne mal seul, c’est à dire sans les épithètes de mental, physique, sensoriel ou moteur qui lui sont habituellement accolés - mais qui ne permettent pas non plus de créer autre chose qu’une catégorie certes plus précise, mais toujours insuffisante. Le handicap, que Henri Jacques Stiker définit très justement comme une « infinie bigarrure », est un mot qui se trouve aujourd’hui présent dans des usages terminologiques professionnels, politiques, académiques, institutionnels et dans le langage courant. S’il est employé dans ce mémoire c’est avec une police en italique, (comme pour toutes les autres désignations, d’anormal à inadapté en passant par les vocables comme traitement, trouble ou spécial) pour marquer la nécessaire vigilance et rappeler au lecteur les mentions ici faites.

Une telle vigilance est de notre point de vue tout à fait nécessaire pour un chercheur ou un apprenti chercheur, mais constitue aussi une posture extrêmement bénéfique pour toute autre lecteur ou lectrice intéressé(e) d’une manière ou d’une autre par ces problématiques.

Tout au long du développement du chapitre premier (historique), au fur et à mesure des périodes abordées, nous aurons l’occasion de mentionner les différentes évolutions terminologiques ainsi que certaines analyses sur les implications, les origines ou les fonctions sociales de ces changements. Passons néanmoins en revue les grandes phases de ces évolutions telles qu’elles se dévoilent dans le cadre historique choisi pour cette étude.

Les enfants handicapés n’acquièrent la possibilité de se faire nommer par un seul mot générique qu’avec le milieu du 20ème siècle, et l’émergence de la notion d’inadaptation. La fin du 19ème siècle et le début du 20ème sont marqués par un foisonnement de mots et de termes à caractère savant et plus ou moins passés, par suite, dans le langage courant : on parle d’enfance irrégulière, anormale, arriérée, caractérielle, déficiente, instable, on distingue les idiots des imbéciles, les débiles profonds des légers, les éducables des inéducables, les coupables des victimes et de ceux qui sont en danger moral, etc. La médecine et la psychologie naissante jouent un rôle déterminant dans la production des ces taxinomies.

Après l’adoption de la notion unique d’inadaptation se met en place progressivement celle de handicap, consacrée législativement par la loi du 30 juin 1975 dite « en faveur des personnes handicapées ». Inadaptation et handicap coexistent depuis, avec une force plus importante pour handicap, dont l’usage a dépassé le strict champ de l’éducation spéciale, non sans conserver (et vraisemblablement acquérir) des propriétés magiques et mystifiantes, à l’instar du mot spécial (Plaisance, 1999), et sur le modèle des mots dont l’évidence n’est que trop rarement questionnée.

Les AVS, qui sont visés par le présent travail, apparus dans le champ éducatif français selon des circonstances qu’il s’attache à éclairer, sont également inscrits dans cette problématique. Sans rentrer dans les détails d’une analyse qui serait pourtant tout à fait nécessaire, comment ne pas s’interroger sur les termes utilisés pour définir les pratiques de ces personnels, ou pour les désigner eux-mêmes comme auxiliaires ou assistants ? Nous avons fait le choix dans ce mémoire d’utiliser le terme générique de personnel accompagnant scolaire, réduit circonstanciellement dans l’acronyme PAS, et ce quel que soit le moment de leur histoire abordé au cours du développement (seconde partie). Le choix du mot dérivé du substantif accompagnement n’est pas neutre : il renvoie à une conception de la nature du travail des AVS qui s’oppose à celles véhiculées par les termes précédemment cités d’auxiliaire ou d’assistant. Il trouve également dans ce travail un cadre d’analyse qui permet d’esquisser une élucidation de ce qu’il recouvre.

Le personnel AVS, dont nous détaillons les origines, l’émergence et les logiques de position, avant de nous intéresser aux notions d’inclusion et d’accompagnement qui sont au principe de son existence, a émergé au sein d’un champ dont :




« (…) on ne peut saisir les ressorts de l’existence » qu’en le resituant dans le cadre du « lent processus historique, institutionnalisé et fragile » dont il est le produit, et « non en prenant le handicap naturalisé comme point de départ de l’analyse » (Stiker, 2001).



























































Chapitre 1 : Un siècle d’éducation séparée. Une histoire des relations entre éducations scolaire et spéciale 1880-2005

Genèse et constitution du champ du spécial : 1880-1940

La genèse de l’éducation et de l’enseignement
spécial, 1880-1909 


« On fera de non-valeurs sociales souvent nuisibles, des êtres capables de rentrer dans la vie des normaux ou au moins des entités pouvant fournir un travail utile et diminuer ainsi leurs frais d’entretien. »

Docteur Jacquin, 1903, cité par Francine Muel (1975) 



1.1.1.1 Trente ans d’activité législative fondatrice

La période des années 1880 à 1909 est marquée par une « cascades de faits significatifs » d’une évolution générale importante en matière d’éducation, qui sont constitutifs de la nature de la jeune 3ème république, et à partir desquels nous allons pouvoir mentionner quelques analyses de la constitution génétique du champ de l’enfance handicapée (Stiker, 1999).

C’est d’abord la naissance de la question sociale (Donzelot, 1984), formulée en des termes qui ont depuis lors évolué, mais qui est constitutive encore aujourd’hui, et peut-être davantage dans sa nature originelle, d’une question centrale sur la nature des démocraties industrielles. C’est ensuite « l’intense activité législative et réglementaire » (Chauvière, 1999) que suscite cette question sociale, et qui caractérise ces trois décennies, notamment, pour ce qui concerne l’enfance : 1882, loi sur l’obligation scolaire ; 1889, loi sur la protection de l’enfance ; 1898, loi sur l’enfance maltraitée ; 1904, loi sur l’assistance à l’enfance ; 1909, loi sur les classes de perfectionnement ; 1912, loi sur le droit des mineurs. Ces lois concernent différents domaines de l’action publique et leurs ministères de tutelle, à savoir le judiciaire (Justice), le médical et le social (Santé, affaires sociales – assistance, à l’époque) et le scolaire (Instruction publique), qui sont précisément les trois secteurs administratifs à l’interface desquels va se construire le champ de l’éducation spéciale.

Cette série de production législative est aujourd’hui soumise à des analyses divergentes. L’une se réfère à l’intérêt de l’enfant et affirme que ce qui caractérise ces lois est avant tout le progrès de la place accordée à ce critère dans le Droit ; l’autre, tirant ses analyses des travaux de Michel Foucault ou de la sociologie critique développée à partir des années 1970, y voit davantage des mesures de prévoyance sociale, selon l’expression (non euphémisée) de l’époque, consistant en des mesures de « discrimination et de relégation sociale » (Gateaux-Mennecier, 1999) des non-valeurs que constituent l’ensemble hétéroclite des anormaux, composés alors, comme encore aujourd’hui, d’une majorité d’enfants des classes populaires. (Plaisance, 2000).

Au-delà des analyses, sur lesquelles nous reviendrons plus spécifiquement à propos de la loi de 1909, ces faits sont des signes d’une évolution de la société qui se décline jusque dans les logiques structurant ses constructions sociales, entendues comme « les façons dont [elle] élabore et traite un domaine de vie, une population, un type de rapport sociaux, en fonction des représentations qu’elle s’en fait et des catégories qu’elle y applique ». (Stiker, 1999). La construction sociale du handicap s’enracine dans ce terreau.

Dans le chapitre d’un ouvrage collectif paru en 2000, et titré « Dire et gérer l’anormalité », Olivier Faure rappelle l’origine des ces évolutions qui s’expliquent selon lui par la « prégnance de plusieurs hantises sociales » dont témoignent débats et publications de l’époque, et développées à partir de 1870. On y trouve le souci de la dépopulation consécutif à la défaite contre la Prusse, et la crainte d’une dégénérescence de l’espèce humaine (Faure rappelle d’ailleurs à juste titre que c’est en France que naît et se développe ce concept). Francine Muel (1975) parle également du poids du siècle des révolutions, et les traces que ces dernières ont laissées chez les classes dirigeantes. Ces thèmes, nous dit Faure, ainsi que « l’apogée de l’utilitarisme » qui caractérise une période d’intense développement industriel, créent un état de tension au sein des institutions sociales que sont l’école, l’industrie et la médecine, « écartelées entre deux tentations : mettre à l’écart les irrécupérables ou les intégrer à tout prix » ; tension traduite, dans le contexte de pénurie démographique, par la prééminence de la seconde option. Cette dernière va en partie fonder les raisons qui portent « le vocabulaire de l’infirmité, de l’incapacité, de l’impotence » à laisser progressivement la place, au cours du 20ème siècle, à un autre, « exprimant la philosophie du risque, de la responsabilité, de l’assurance, de la compensation et de la réparation », en un mot, du « rattrapage ». (Stiker, 1999). Il faut voir dans ce glissement, très bien analysée par Stiker, une des origines du thème très puissant aujourd’hui du retour au milieu ordinaire (ou normalisation) qu’implique le rattrapage, qui va trouver une matérialisation inouïe avec l’adoption de la notion de handicap, dans les années 1960 (à la fin d’un temps que Stiker qualifie « de latence »), terme issu du turf, et qui désigne les mesures de compensation prises pour égaliser les chances des chevaux dans une course.

L’industrialisation constitue également un vecteur important du passage d’une « responsabilité liée à la faute » individuelle à une « responsabilité sociale » que décrit Henri Jacques Stiker, et qui est inséparable de l’émergence, sur cette période, de l’ensemble des théories se donnant comme vocation de contribuer à une définition de l’action publique confrontée aux problématique diverses soulevée par la question sociale (comme le solidarisme de Léon Bourgeois, par exemple). Ses effets sur la main d’œuvre ouvrière, notamment les accidents du travail, aboutiront à la loi du 9 avril 1898 inaugurant la perspective assurantielle en la matière, jalon essentiel dans cette évolution, et qui se déroule sur l’ensemble du 20ème siècle (les effets de la masse des accidentés du travail sont d’ailleurs redoublés avec le million d’invalides qui suit la guerre 1914-1918).

Ces éléments, non exhaustifs, sont parties prenantes du contexte dans lequel s’inscrit la genèse du champ de l’éducation spécial.

Un autre aspect, tout à fait essentiel à la compréhension du champ, repose sur la nature de la dialectique entre privé et public qui s’instaure pendant cette période. Les 18ème et 19ème siècles sont caractérisés par la création d’institutions privées, le plus souvent d’obédience religieuse (congréganiste), destinées à l’éducation des jeunes déjà nommés anormaux. Quand une loi de 1850 vient légiférer sur les colonies pénitentiaires destinées aux enfants, elles-mêmes issues de l’initiative privée, elle constitue le monopole privé de fait en monopole de droit en précisant que l’Etat ne créera de colonies que si l’initiative privée fait défaut. Par suite, le caractère laïc et républicain de la 3ème république, s’il fait naître une politique de lutte contre les institutions congréganistes et en faveur d’une laïcisation de la société (aboutissant à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905), ne fait pas pour autant émerger des créations institutionnelles publiques pour pallier à la baisse de celles relevant du privé, résultant de cette lutte. Cet apparent paradoxe s’explique par le fait, nous dit Francine Muel, que :



« L’intérêt des œuvres privées, contraintes à inventer de nouveaux cadres institutionnels pour poursuivre leur action, rencontre celui des magistrats qui tentent de constituer au même moment la justice des mineurs en spécialité juridique afin de créer de nouveaux postes dans un contexte de surproduction d’étudiants en droit ».


La rencontre de ces intérêts va participer de l’émergence de la loi de 1912 inaugurant un droit des mineurs. Le champ de l’éducation spécial, ou de l’enfance handicapée, est ainsi « constamment marqué par une relation dialectique entre les innovations et la législation », conclut-elle.

Maintenant que sont posées, dans les grandes lignes, les balises historiques de cette période, fondatrice à plus d’un titre, et que nous avons pu éclairer quelques traits constitutifs du champ de l’éducation spécial, intéressons-nous à cet évènement qui suscite pour notre sujet un intérêt tout particulier : la loi du 15 avril 1909 sur les classes de perfectionnement, traduction au sein de l’école des logiques évoquées rapidement ci-dessus.



1.1.1.2 La loi du 14 avril 1909

La loi de 1909 est considérée comme l’acte de naissance de l’enseignement spécial. Elle ouvre la possibilité, sans obligation, de création de classes et d’écoles de perfectionnement dans l’enseignement primaire, destiné à des enfants nommés anormaux d’école, opposés aux anormaux d’asile, selon la terminologie des psychologues Binet et Simon, et qu’une commission visée à l’article 12 de la loi est censée identifier. A plusieurs reprises dans le processus qui a aboutit à la formalisation et au vote de ce texte de loi, de 1904 (date de la création d’une commission missionnée à cet effet) jusqu’à 1909, l’ensemble de l’enfance anormale fut directement visée – c'est-à-dire tout à la fois les arriérés moraux (ou instables), les anormaux physiques, les arriérés de l’intelligence et les enfants aveugles, sourds ou sourds-muets. A plusieurs reprises également, le périmètre fut réduit aux seuls arriérés, avant de réintégrer les enfants sourds et aveugles, pour finalement les exclure définitivement du texte. Les « problèmes politiques (rapports privé/public, laïcité et congréganiste) » déjà rapidement évoqués, « expliquent les vicissitudes particulières aux projets concernant les sourds et les aveugles ». (Vial, 1990). Aujourd’hui encore, les institutions dispensant une éducation scolaire des jeunes sourds et aveugles relèvent du ministère des affaires sociales, et non de l’éducation nationale. Le segment de l’enfance inadaptée concerné par la loi de 1909 et les classes de perfectionnement est donc composé des arriérés de l’intelligence – dont le concept de débilité prendra suite (Gateaux-Mennecier, 1990) – et arriérés moraux (ou instables et caractériels). La même année est créé le certificat d’aptitude à l’enseignement des arriérés (CAEA), par un décret du 14 août.

Si les anormaux d’école sont opposés aux anormaux d’asile dans la terminologie de psychologues très attachés à l’histoire de ce projet de loi, c’est pour une raison qui renvoie à l’histoire de la psychologie et de l’annexion par cette discipline du terrain d’expérimentation de l’enfance handicapée (Chauvière, 2000), choix dans lequel prend racine l’histoire de la psychologie scolaire. La psychologie naissante est partie prenante dans des débats scientifiques de cette époque, avec d’autres disciplines comme la médecine et avec d’autres professions comme les instituteurs ou les magistrats (chacun étant positionné sur la définition de ce qu’il considère comme devant ou ne devant pas être son segment de l’anormalité).

Cette question de la segmentation de l’enfance anormale renvoie à celle des origines de la loi de 1909, qui ont suscités des débats qui sont toujours actifs aujourd’hui, même si plusieurs travaux sont venus les éclairer de manière décisive. D’où, de l’école ou de l’asile, a donc émergé ce texte créant une filière scolaire différenciée pour les enfants anormaux ? Pour répondre à cette question il convient de faire un détour par l’histoire de la recherche socio-historique en France sur le sujet de l’enseignement spécialisé.


1.1.1.3 Aux origines de la loi de 1909

Les recherches françaises sur les filières de l’enseignement spécial et sur le champ qui les accueille, encore peu nombreuses et marquées par une prééminence féminine (ce qui, en vertu des lois sociales régissant le prestige d’un objet quel qu’il soit et donnant mesure de l’intérêt social d’un domaine, est révélateur de l’intérêt académique que le sujet suscite), a été inaugurée par la publication en 1975, dans le tout premier numéro d’actes de la recherche en sciences sociales, d’un article de Francine Muel titré « L’obligation scolaire et l’invention de l’enfance anormale », qui ouvrait la place à un questionnement jusque là quasiment inexistant. (Vial, 1990). Cet article posait notamment comme hypothèse, ainsi que le laisse suggérer son titre, que la loi d’obligation scolaire de 1882, en drainant à l’école toute une partie de l’enfance jusque là privée de scolarisation, avait fait naître au sein du corps professionnel des maîtres et de l’institution scolaire en général un souci inédit né de la confrontation avec une partie de ce nouveau et trop large public, partie composée des « plus pauvres d’entre les pauvres », qui ne pouvait faire face aux exigences de la scolarisation telle qu’elle existait sous la 3ème république :


« Il a fallu une quinzaine d’années pour que l’école primaire produise des déchets dont l’exclusion sera constitutive de l’élaboration d’un nouvel appareil idéologique : le médico-pédagogique ».


Une nouvelle frange de l’anormalité serait née de ce processus : les arriérés et les instables, nouvelles catégories produites par l’école, en sus des idiots et des imbéciles, relevant eux de l’asile ; « les futurs psychologues deviendront les spécialistes du tracé de cette frontière » en se taillant un « marché distinct de celui des aliénistes comme de celui des pédagogues ».

Ces analyses constituent un premier courant des analyses socio-historiques des logiques d’action autour de l’enfance anormale qui sont restées largement acceptées pendant plusieurs années. Le second porte une autre interprétation des origines des filières de l’enseignement spécial, et se trouve principalement référencé au travail de Monique Vial à la fin des années 1980. Il insiste sur le fait que la demande initiale ayant abouti à la création des classes de perfectionnement n’est pas d’origine interne à l’école mais provient de l’asile, en la personne de l’aliéniste Désiré Magloire Bourneville, médecin-chef du service des idiots et épileptique de Bicêtre à partir de 1879. L’importance de son action réformatrice dans de nombreux domaines est attestée par de nombreuses recherches. Il dénonce auprès de l’assistance publique de Paris les conditions de vie des enfants à l’asile, et formule des demandes précises d’amélioration de ces conditions. Face à la « quasi-indifférence des autorités (…), il se tourne alors vers l’école, suggérant la création de classes spéciales destinées aux enfants les plus adaptables ». (Plaisance, 1996). C’est à son initiative qu’est en effet menée dès 1891 la première enquête sur les enfants anormaux, à Paris, qui conclut à la nécessité de classes spéciales.

L’enjeu principal de ces divergences d’interprétation semble bien se situer sur la validité, ou non, de l’analyse selon laquelle l’obligation scolaire puis la loi de 1909 entraînent l’émergence de nouvelles catégories nosographiques telles que les mentionnent F. Muel, des catégories dont l’alibi scientifique masquerait mal la volonté de ségrégation sociale. En effet, la perspective inaugurée par M. Vial « laisse supposer que les anormaux qui peuplaient l’asile pouvaient se rencontrer à l’école et réciproquement » (Gateaux-Mennecier, 1990). Un autre enjeu est la place accordée à la nature intrinsèque de cette loi (et, indirectement, aux intentions de ceux qui l’ont porté à partir de 1904), enjeu dont la nature est homologue à celui, plus large – et qui le contient –, de déterminer si l’ensemble de la production législative autour de la protection de l’enfance participe plus d’un progrès ou d’un appareil idéologique de contrôle social prenant sa source dans le 19ème siècle.

Depuis les travaux de Monique Vial, presque aucune recherche ou produit de recherche tel qu’article ou ouvrage n’omet de faire mention de cette controverse, dont nous limiterons ici l’évocation. Nous conclurons sur ce point avec un résumé du consensus qui semble s’être construit, qui transparaît dans de nombreuses publications depuis les années 1990, complétée d’une prise de position quant à ce que nous considérons comme des connaissances dont nous devons faire la mention ici.


1.1.1.4 L’enseignement spécial : une genèse non linéaire,
une logique ségrégative



« [La notion de] perfectionnement masque la préservation morale » (Gateaux-Mennecier, 2000).



Entre les positions internaliste et externaliste évoquées ci-dessus se dessine l’appréhension d’une dynamique « non univoque, (…) mais interactionnelle ». (Gateaux-Mennecier, 1999). Les influences de l’asile et de l’école se conjuguent pour aboutir à la loi de 1909. Jacqueline Gateaux-Mennecier fait remarquer que les discours produits par le milieu hospitalier sont révélateurs de « tentative de nosologie précise », avec des « tableaux cliniques complexes » là où la notion de danger moral, « véritable leitmotiv des principales revues pédagogiques » de cette période, démontre la prégnance dans les milieux pédagogiques de notions fortement connotées moralement. L’action initiale de Bourneville, dont il est reconnu que les positions novatrices (« on pourrait dire qu’il préconisait l’intégration des enfants handicapés mentaux dans les structures scolaires ordinaires », écrit Eric Plaisance en 1996) « ne furent pas relayées comme telles par ceux qui, au sein de la commission interministérielle des anormaux à partir de 1904, travaillèrent à l’élaboration de la loi de 1909 », a été dévoyée dans le sens d’un projet dont la prévoyance sociale et le rentabilisme constituèrent les arguments principaux auprès d’un parlement certainement enclin à y être sensible.

De la même manière, nous pouvons caractériser la création des classes de perfectionnement par la loi de 1909 comme répondant à deux orientations, non exclusives l’une de l’autre : tout à la fois un souci égalitaire et démocratique et un objectif de « maintien de l’ordre et du rendement économique ». Prenant comme postulat le fait que co-existent ces deux réalités, nous pouvons dès lors affirmer qu’une analyse sur la façon dont elles peuvent être toutes les deux opérantes malgré le fait qu’elles paraissent contradictoires nous semble indispensable.

A notre sens, la réduction, présente dans les travaux fondateurs de Francine Muel, des conditions d’émergence de la loi de 1909 à des causes internes à l’Instruction Publique (et dont on peut dire, comme le souligne Mazereau (1998), qu’elle est révélatrice d’une analyse qui « ne tire pas assez parti de la dimension interrelationnelle de la notion de champ »), ne doivent pas masquer les apports fondamentaux que représentent ces travaux, qui ont été par la suite développés par d’autres chercheurs. Ainsi que l’énonce Gateaux-Mennecier, « l’élaboration des concepts est inséparable des conditions sociopolitiques qui donnent naissance à l’enseignement spécial ». Ces conditions, déjà rapidement évoquées, sont caractérisées aussi par le fait qu’elles produisent une forte « préoccupation du pouvoir politique de cette époque relativement aux mouvements sociaux. ». Francine Muel rappelle la proximité de la commune de Paris (1870). Les inquiétudes des classes dominantes (relativement aux classes populaires, ferment des révolutions) constituant la bourgeoisie républicaine sont exprimées de manière non euphémisée dans nombre de revues, elles-mêmes produites par un cortège impressionnant d’institutions que Muel nomme « organes du devoir social » (associations, comités, ligues, sociétés de patronage, etc.), dont la vocation principale explicite est la prévoyance / l’assurance sociale. Muel cite Léon Bourgeois intervenant à la tribune du 14ème congrès de la ligue française de l’enseignement (1894) : « Les esprits ont besoin, hélas, d’hygiénistes et de médecins comme les corps ». On retrouve ici l’homologie entre l’appréhension des préoccupations organiques et celles de l’esprit, avatar rapporté à l’individu de la tradition ancienne de comparaisons entre corps humain et corps social. Cette même homologie se retrouve dans la trajectoire scientifique d’Alfred Binet, passé de l’orthophrénologie (étude de la conformation des crânes et de leur lien avec l’intelligence) à l’orthopédie mentale (souci de la « conformation des pensées ») (Gateaux-Mennecier, 2000). Cette orthopédie mentale se donne comme objectif le perfectionnement, c'est-à-dire la possibilité d’envisager une entrée dans la production, en préparant les anormaux d’école à l’atelier et à l’usine, ou aux champs. C’est ce qui fonde à qualifier les promoteurs de la loi de 1909, en tout cas ceux qui, à l’instar de Binet et Simon, le devinrent à partir de 1904, de « rentabilistes » : ceux qui ne parviennent pas à devenir de possibles travailleurs deviennent dans cette perspective des « non-valeurs sociales », expression utilisée telle quelle par de nombreux contemporains.

Ce soubassement philosophique, et ses productions à vocation scientifique, contribuent à masquer le lien entre réussite scolaire et origine sociale des enfants ; la classe dirigeante de l’époque ne questionne pas et ne pense pas ce lien. « Il est tout naturel de juger l’intelligence d’un enfant d’après ses résultats scolaires », écrit Binet en 1909. (Cité par Gateaux-Mennecier, 2000, p.43).

Tous ces aspects fondent en partie la légitimité à décrire le corps naissant des enseignants spécialisés comme des répliques du colon à la mission civilisatrice, envoyée en terre étrangère ; ce qui est étranger, on le devine, ne s’appréhendant qu’en fonction d’un sentiment d’appartenance qui constitue, déjà, le fondement de la formation professionnelle des enseignants, « petite noblesse d’Etat » formée à transmettre les valeurs de l’idéal qui constitue le socle du mythe de l’école républicaine.


Avec la loi de 1905, l’école laïque entre en compétition avec l’école religieuse ; face aux peurs des parents de la « promiscuité » et de la « contagion » (que relaient Victor Duruy pour expliquer les échecs de réforme de l’école primaire, cité par F. Muel, 1975), le mythe de l’égalité doit s’incliner face à la puissance de cette concurrence, qui pousse l’école publique à soigner l’image qu’elle veut donner d’elle, une image qui se doit d’être « propre et saine ». La mission originelle du spécial trouve ici un éclairage tout à fait fondamental.



« La concurrence s’exerce à travers la morale et l’idéal professionnel. Comme les religieuses consacrées aux anormaux, les maîtres de perfectionnement, sorte de saint laïques, apôtres aux vertus évangéliques, seront marqués par la vocation ». (Vial, 1990).



Pour autant, ainsi que le souligne Mazereau (1998), « ce n’est pas en caractérisant la fonction sociale d’une institution à son origine que l’on peut être assuré de la permanence de cette fonction ». La période abordée ici, si elle est fondatrice de ce point de vue, comporte aussi d’autres points saillants. Elle est le moment où se constitue la première division du travail et des « concurrences de compétences » entre la justice (droits des mineurs en 1912), la médecine aliéniste (les asiles gardent vocation à accueillir ceux des anormaux qui ne trouvent place nulle part, nommés inéducables ou incurables), les œuvres privées (sur le segment à la fois de redressement moral – judiciaire – et relatif aux déficiences sensorielles, du « marché de l’enfance ») et, à partir de 1905, l’école publique, avec les anormaux d’école éducables, destinés au perfectionnement (Chauvière & Plaisance, 2003, 2008) que la psychométrie (qui est « plus une sociométrie », écrit Jacqueline Gateaux-Mennecier en 2000) créée à cette époque par Binet et Simon se verra chargée, surtout après 1945, d’identifier.



Penchons nous dès à présent, au-delà du texte de la loi de 1909 et de ses origines, sur les applications qu’il va recevoir dans la pratique, ainsi que sur l’ensemble des relations qu’entretiennent, jusqu’au mitan du siècle, l’enfance anormale et l’école.







1.1.2 Ecole et anormalité



« En 1936, on compte 36 classes de perfectionnement. (…) Les rares [qui sont] créées [dans l’entre deux guerre] restent des lieux de relégation pour les élèves les plus indisciplinés ».

Pinell & Zafiropoulos, 1978.



1.1.2.1 L’application de la loi du 14 avril 1909

La création des écoles et classes de perfectionnement reste très limitée jusqu’en 1945, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’obligation n’est pas mentionnée dans le texte ; c’est donc aux mairies que revient l’initiative de création. Ensuite, les moyens financiers ne sont pas assurés par l’Etat et restent ainsi à la charge des communes et des départements, ce qui évidemment n’est pas fait pour les inciter à ouvrir de telles filières. Patrice Pinell et Marcos Zafiropoulos (1978) mentionnent également le fait que la secondarisation de l’enseignement, c'est-à-dire l’ouverture du secondaire à la majorité de la population scolaire n’a pas encore eu lieu. En effet, avant 1959 et l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, l’enseignement primaire n’a pas encore le caractère de préparation au secondaire qu’il acquiert par la suite ; il est relativement autonome dans ses objectifs, qui reste limités à « l’entrée dans la production » d’une part, à l’obtention du certificat d’étude primaire (que seule une minorité d’élèves parvient à décrocher) d’autre part, et, enfin, cas exceptionnel (bon pour permettre le maintien de la légitimité du mythe égalitaire de l’école républicaine), à l’accession au lycée, qui reste réservé majoritairement à la bourgeoisie. Dans ces primes conditions, spécifiques à l’univers du premier degré, les anormaux d’école, ou ceux qui étaient susceptibles d’être identifiés comme tels, et dès lors qu’ils ne perturbent pas la classe, se fondent dans la masse de l’ensemble des élèves.

Michel Chauvière et Dominique Fablet ajoutent (2001) que « rien n’est fait pour inciter les instituteurs à se spécialiser », ce qui contribue à l’insuffisance des moyens, tant financiers qu’humains. Mais le plus important semble bien résider dans le fait que la masse des maîtres « ne semble guère avoir été touchée par les nouvelles théorisations » qui ont émergé au début du siècle (Vial, 1990) : la loi de 1909 a été portée par des spécialistes et les débats n’ont guère dépassé leur cercle. Bien sûr, les autorités scolaires, les maîtres et militants de l’instruction publique « continuent à parler des élèves qui ne tirent pas profit de l’école ou ne se plient pas à sa discipline », mais ceci en terme de « pédagogie courante, (…), générale » (Vial, 1990) et non pas en reprenant les notions d’anormalité ou d’arriération scolaire. « Ils ne semblent pas s’être appropriés les représentations nosographiques de la débilité légère », écrivent Pinell et Zafiropoulos en 1978.

Ceci a un effet direct sur les orientations que connaissent les quelques rares classes et écoles de perfectionnement ouvertes durant cette période : à l’origine destinées aux seuls arriérés perfectibles, nommés ensuite débiles légers, elles se trouvent finalement utilisées comme des « lieux de fixation des fauteurs de troubles », les instables et caractériels, ce qui « compromet la réputation et le bon fonctionnement des établissements ». Il semble que cette situation perdure jusque dans l’immédiat après-guerre (39-45) – c’est en tout cas dans cette période que l’institution réagit à cet état de fait : une circulaire du 10/02/1944 fait entrer au sein des commissions d’orientation (jusqu’ici composées, selon l’article 12 de la loi de 1909, d’un inspecteur de l’enseignement primaire, d’un instituteur de l’école et d’un membre de la famille de l’élève) les nouveaux spécialistes de la psychiatrie infanto juvénile. Puis, en 1951, une circulaire recadre le problème en énonçant que « ce sont uniquement les débiles mentaux qui doivent avoir leur place en classe de perfectionnement ».



1.1.2.2 Un « grand sommeil » ?

La guerre de 1914-1918 joue également un rôle important en ce qu’elle polarise et mobilise, dans son déroulement et dans ses effets à court et moyen terme, bien des énergies. Dans l’entre deux guerres, l’enseignement spécial n’apparaît pas comme une priorité du ministère de l’Instruction Publique devenu ministère de l’Education Nationale en 1932. Il est d’ailleurs frappant de constater dans l’ensemble des produits de recherches socio-historiques sur le sujet de l’enfance handicapée à quel point cette période se trouve absente, et cette absence ne trouve pas toujours la faveur d’une explication circonstanciée. Monique Vial note cependant que les rares créations de classes ou d’écoles de perfectionnement sont « dues à des initiatives locales, liées à l’action de personnalités médicales et d’associations militant en faveur des anomaux ».

Cette période est nommée par Pinell et Zafiropoulos « grand sommeil ». Pour autant, même si la loi de 1909 reste dans les grandes lignes inopérante, certaines évolutions, notamment institutionnelles, sont à prendre en compte, sur d’autres segments territoriaux de la division du travail administratif ou professionnel. Nous l’avons vu, l’Instruction Publique devient Education Nationale en 1932, évolution terminologique qui n’est pas sans faire montre d’une volonté d’action élargie et qui est d’ailleurs reçu avec défiance par nombre d’acteurs du privé associatif, confessionnel le plus souvent, car ressenti comme une volonté hégémonique (Chauvière, 2000, Chauvière et Fablet, 2001). Mais l’instruction publique n’est pas le seul ministère concerné par la division originelle du travail autour de l’enfance anormale à évoluer durant cette période. Une dizaine d’années avant lui est créé le ministère de la santé (1920), du rapprochement entre les trois compétences que sont l’hygiène sociale, l’assistance publique et la prévoyance sociale, détachés des ministères de l’intérieur et du travail. En 1929, à la faveur d’une loi le chargeant du « contrôle des œuvres d’assistance ou de bienfaisance privée », le ministère de la santé « intègre subrepticement le domaine socio-éducatif ». En 1933, 34 et 35, d’autres dispositions viennent consolider cette intervention. Et en 1935, la dépénalisation des jeunes vagabonds (qui participe du passage de l’enfance coupable à l’enfance victime) et, dans le cadre d’un décret de la loi de 1889 sur la protection de l’enfance, l’institution de l’assistance éducative, ne sont guère suivi d’effet en ce qui concerne l’action publique – mais beaucoup plus relayées par les initiatives privées.

Ainsi, ajoute Michel Chauvière, et malgré des tentatives de coordinations interministérielles sous le front populaire, « jusqu’à la fin des années 30, la référence [de l’action publique en matière d’enfance déficiente] reste l’Education Nationale », dans le cadre d’une réalité de son appréhension où il apparaît un fossé entre promoteurs des classifications savantes et enseignants présents dans les écoles.









































La fin du 19ème siècle et la première moitié du 20ème constituent donc le moment de la genèse du champ de l’enfance handicapée, qui s’organise sur la base d’une prime segmentation de territoires qui restent dans une large mesure, en tout cas en ce qui concerne l’école, administratifs, et peu professionnels (« créant la fonction sans créer l’organe », comme l’écrit Michel Chauvière en 1999 à propos de la loi de 1912). L’éducation nationale, la santé et la justice sont ainsi, originellement, en lutte permanente pour la définition des lieux, des formes et des objectifs d’intervention en direction de (ou sur) l’enfance anormale. Cette lutte a un lien direct avec celle des spécialistes pour l’imposition de la légitimité des classifications, qui, « se donnant pour de pures controverses scientifiques, masquent le fait qu’elles sont aussi des luttes pour des enjeux non scientifiques, notamment institutionnels, entre différents spécialistes qui défendent les intérêts propres de leur corps » (Pinell & Zafiropoulos, 1978). Parmi ces nouvelles spécialités se donnant pour terrain d’action spécial cette « espèce d’enfant » (Gateaux-Mennecier, 1999), on trouve le médico-pédagogique et la psychologie, dont les promoteurs et premiers représentants affermissent leur légitimité jusqu’aux années 1940-1950. Ces éléments conduisent à pointer la « permanence structurelle des enjeux sociaux, institutionnels et disciplinaires » qui caractérise le champ de l’enfance handicapée.

Cette division originelle du travail, où filières institutionnelles entretiennent un lien étroit avec les dénominations utilisées, ainsi que la nature particulière du rapport dialectique privé/public qui donne une place de subsidiarité à ce dernier et, tout autant, la fonction sociale originelle du champ, caractérisée par le thème de la préservation morale et des réalités de « stratégies normatives au détriment des familles populaires » (Chauvière, 2000), constituent des dynamiques centrales du champ de l’enfance inadaptée, et autant de conditions de compréhension de ses évolutions ultérieures, notamment en ce qui concerne l’école.

Enfin, les années 1880-1909 sont aussi celles où se met en place une opposition toujours très active aujourd’hui, même si elle a changé de forme, ainsi que nous le verrons. Un « schéma comme couche profonde des représentations dominantes de la question des enfants difficiles » (Chauvière & Plaisance, 2003) à savoir : les éducables à l’école, les inéducables à l’asile (ou, plus tard, dans les institutions spécialisées). Ceci même si, du fait notamment de l’action, durant le 19ème siècle, de personnalités comme le Docteur Itard, Edouard Seguin ou Désiré Magloire Bourneville, le débat éducable/inéducable (ou curable/incurable) semble se prolonger, contre l’incurabilité, en faveur de l’éducabilité.









L’affermissement des contours du champ : 1940-1975


1.2.1 Les fondements unifiants de l’inadaptation


« Le renouvellement des énoncés [et] la redistribution des compétences savantes et administratives [sont] autant de lignes de recomposition de l’ensemble du dispositif institutionnel qu’[est] le secteur de l’enfance inadaptée. »

Jean-Paul Tricard, 1981.



1.2.1.1 Vichy, le conseil technique et l’école

Le ministère de la Santé a vu à partir des années 1930 sa légitimité accentuée, en particulier parce qu’il se retrouve responsable de l’application des normes administratives qui s’imposent à toutes les œuvres privées. Le régime de Vichy va consacrer cette tendance, instituant le secteur de la santé comme principal référent administratif du champ. Dans un contexte très anti-laïc et clérical, tout à l’inverse des valeurs de la 3ème république, (et du Front Populaire), l’Education Nationale ne se trouve pas dans une position très favorable pour continuer à rester le ministère référent en matière d’enfance anormale. Ainsi, en 1943, « le pouvoir de coordination interministérielle est transféré, à sa demande, au ministère de la santé ». La même année est créé un conseil de l’enfance déficiente et en danger moral, inspiré par ce même ministère, et composé de psychiatres à orientation médico-sociale, de quelques magistrats et de personnalités reconnues en matière éducative (prêtres et laïcs).

A la fin des années 30, « le tableau des appellations en usage pour désigner de manière savante les enfants irréguliers, inassimilables, ou simplement difficiles, est des plus hétérogène ». Il est en effet le produit de l’histoire de trois systèmes (Justice, Santé, Education Nationale) ayant chacun son propre tableau de classifications qui, pour la plupart, loin de se succéder, se sont rajoutées les unes aux autres, créant un effet de sédimentation. Au sein de la Justice, les dénominations renvoient à l’histoire de l’internat, des maisons de correction, du récent droit des mineurs, etc. Du côté de la Santé, il s’agit de l’histoire de l’asile, des premiers établissements à vocation médico-pédagogique et bien évidemment des « grands noms » des médecins réformateurs. Enfin, l’Education Nationale est, elle, marquée par l’empreinte de la loi de 1909, qui implique la nécessité de distinguer les anormaux éducables, qui relèvent de son action, et les autres. Chauvière écrit que pour ce faire elle a construit deux réponses : l’échelle métrique de l’intelligence (basée sur les travaux de Binet et Simon) et l’idée d’une instance administrative d’orientation, telle la commission prévue dans la loi de 1909 – mais bien qu’aucune n’ait jamais été créée avant 1944.


Le conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral va ainsi s’attacher, d’une part, à la codification notionnelle de l’inadaptation et d’autre part à la création de structures institutionnelles, les agences régionales de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (ARSEA). « Cas juridiques d’exception » (Muel, 1980) (associations de loi 1901 au sein desquelles l’Etat impose des membres de droit dans le conseil d’administration ainsi que des statuts-types), les ARSEA se voient confier le premier ensemble de missions suivant :



ouverture de centres régionaux d’observation et de triage

création d’établissements manquants

création d’écoles de cadres rééducateurs




Et, le second, « attributs du service public » :

intégration de tous les établissements, privés comme publics 



L’affiliation aux ARSEA permet un financement public des initiatives privées, en ouvrant droit à ce financement, avec la technique des prix de journées. Il s’agit donc, pour reprendre la formule de Jean-Paul Tricard (1981), d’une véritable « étatisation parallèle », qui permet un contrôle administratif (de la répartition des équipements, du financement) sans créer d’administration nouvelle ni de corps de fonctionnaires. « La rééducation de l’enfance inadaptée prend ainsi les apparences pratiques de l’initiative privée, mais enchâssées dans une dispositif semi-public qui réalise en partie l’action publique de l’Etat », écrit Michel Chauvière. (1999)

La volonté d’inscrire la gestion de l’ensemble du secteur dans un ensemble national s’opère dans le cadre déjà en place, dans les structures du champ, de la dialectique privé/public, en se déclinant selon le caractère spécifique du contexte du régime de Vichy, selon les évolutions institutionnelles qui ont eu lieu dans la période de l’entre deux guerres. 

Autre observation relative à l’activation d’une dynamique du champ déjà mentionnée : le remaniement notionnel s’accompagne de créations administrative et législative.

Sur cette base, au-delà de la volonté d’unification notionnelle, un nouveau consensus se construit autour de deux axes : « améliorer le contrôle social des enfants et de leur famille » et reconnaître « l’utilité sociale et économique » des actions à destination de ces familles. Le second axe implique deux caractères nouveaux de la définition des actions à mettre en oeuvre: « un projet de discrimination positive à des fins curatives » et une « perspective de prévention ». Autant de principes qui ne correspondent pas à la philosophie de l’idéal de l’école républicaine, où la notion d’égalité des chances empêche toute idée de discrimination positive, et où le « traitement résiduel de l’échec scolaire » ne laisse guère de place à la prévention. Est-ce aussi pour cette raison que, en plus de l’inadéquation du régime en place avec les fondements publics et laïc de l’école républicaine, dans la composition du conseil pour l’enfance déficiente et en danger moral, aux côtés des neuropsychiatres, magistrats, prêtres et divers laïcs, on ne trouve nul inspecteur de l’enseignement, et encore moins d’instituteur ?


C’est contre l’école, et dans un contexte de « forte délégitimation de [ses] valeurs républicaines » mais aussi et surtout contre les limites d’un périmètre d’intervention que les fondements idéologiques de l’école française ne lui permettent pas de franchir, que se met en place cette nouvelle redistribution des compétences en matière d’inadaptation. Il est notable d’ajouter que cette notion, si elle va servir de référence pour l’ensemble du secteur de l’éducation spéciale, va aussi en constituer une pour l’ensemble des professionnels du travail social, pour lesquels la thématique de l’exclusion va peu à peu, dans les années 1970, se substituer à inadaptation.


A l’opposé de ce grand recul du secteur de l’école en la matière, on observe l’émergence au sein du secteur de la Santé d’une spécialité qui va jouer un rôle essentiel dans le développement ultérieur du champ : la psychopédagogie médico-sociale.





1.2.1.2 Pédopsychiatres, neuropsychiatres
infanto juvénile


La participation du corps des neuropsychiatres au conseil technique leur confère une double efficacité. Elle est à la fois institutionnelle et experte (Chauvière, 2000). L’unification notionnelle de l’inadaptation, matrice des pratiques mises en œuvre dans les centres régionaux d’observation et de triage, s’est faite au sein d’un conseil présidé par un psychiatre, Georges Heuyer. En d’autres termes, le corps des psychiatres est à la fois présent dans le moment décisif de « fixation de la doctrine » (Chauvière, 1999) et dans sa mise en pratique au travers des organes uniques d’entrée dans les filières institutionnelles de traitement que constituent les ARSEA.


Comme indice révélateur de l’importance de cette nouvelle spécialité médicale, partie des « savoirs psychiatriques, psychologiques, psychotechniques et psychopédagogiques sur l’enfant » qui ont beaucoup progressé durant la première moitié du 20ème siècle (Chauvière 1999), et partie du cadre plus général de la « médecine sociale moderne (…) qui refuse l’alternative curable/incurable » (Pinell & Zafiropoulos, 1978), on peut également citer le fait que nombre de pédopsychiatres deviennent présidents d’ARSEA, directeurs d’institutions privées ou conseillers scientifiques de ces dernières. Dans l’éducation nationale aussi ils consolident leur position : à partir de 1944 ils participent aux commissions médico-pédagogiques, porte d’entrée des classes de perfectionnement ; ils participent aussi à la formation des enseignants spécialisés.


Rappelons également le fait suivant : en 1950 se déroule la première enquête nationale de dépistage systématique des enfants déficients mentaux, sous l’égide de l’INED et à l’initiative de Georges Heuyer, qui présidait en 1943 le conseil technique, et en 1952 est créée la première revue française de neuropsychiatrie infantile. Autant d’éléments qui marquent l’émergence d’un nouveau corps professionnel et, concomitamment, du territoire professionnel qu’il commence à conquérir dans l’immédiat après-guerre, début d’une période décisive pour le champ dans lequel ils s’inscrivent.






1.2.2 L’âge d’or de l’inadaptation : 1945-1975



« La permanence d’un rapport conflictuel public/privé dont les termes se renouvellent sans cesse contribue à favoriser le caractère expansionniste de ce secteur ».

Francine Muel-Dreyfus, 1980.



1.2.2.1 Une recomposition politique après la libération

La primauté de l’initiative privée, la structure institutionnelle des ARSEA, la primauté donnée au ministère de la Santé, autant d’éléments qui ne sont pas remis en cause lors de la Libération. L’enfance inadaptée constitue pourtant à cette période un enjeu important de réorganisation de l’Etat.

Malgré les velléités d’annexion de la Santé de l’ensemble du secteur de l’enfance inadaptée (certains responsables caressent en effet l’idée d’une seule et unique tutelle qui serait ce ministère), la Justice assure son indépendance et est consacrée législativement sur le segment des « instables » et des « caractériels » par la création de l’Education surveillée avec les ordonnances de février 1945. L’Education Nationale reste elle en marge, occupée à la réorganisation de l’appareil scolaire, et connaissant une « perméabilité plus grande de collaboration avec la psychologie qu’avec la pédopsychiatrie », dont l’importance dans la reconstitution du champ se trouve elle aussi confirmée. (Tricard, 1981). Les réformes engagées sous Vichy ont ainsi mis en place un cadre d’action qui se trouve « partiellement légitimé » à la chute du régime (Chauvière, 1999, 2000). Mais il s’agit « moins d’une reconduction des orientations amorcées sous Vichy qu’une consécration des positions de pouvoir conquises au cours de cette période », écrit Jean-Paul Tricard.

En 1958 est proclamée la 5ème république. L’Etat se trouve renforcé, par le biais d’un passage d’un régime parlementaire, que constituait la 4ème république, à un régime qu’on dit semi-présidentiel. La période dite des trente glorieuses achève alors sa première décennie d’une croissance démographique et économique sans précédent. La planification acquiert dans ce contexte une importance toute particulière.

En 1964 est mise en place une grande réforme administrative issue des travaux de la DATAR, qui traduit les premiers objectifs de la planification, centrés sur l’aménagement du territoire et la reconstruction, et qui a des conséquences directes sur le champ de l’enfance inadaptée : redécoupage des 21 circonscriptions dévolues au ARSEA, création des DRASS (fusion des directions de la population, de l’action sociale et de la santé). Pour Jacqueline Roca (2001), les effets de cette réforme « annoncent la reprise en main par le ministère de la santé et le renforcement du contrôle des pouvoirs publics » sur les structures administratives et institutionnelles du champ. Les CREAI, centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptée, succèdent aux ARSEA. Quant à l’UNAR, elle disparaît au profit de deux structures : l’association française de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (AFSEA) et le centre technique nationale de l’enfance et de l’adolescence inadaptées, le CTNEAI, a qui est dévolu la fonction de recherche et d’étude. (Roca, 2001).

Mais c’est dans les décennies 1950 et 1960, et dans le contexte ci avant rappelé, que se déroule plusieurs évènements tout à fait majeurs pour la structuration du champ de l’enfance inadaptée ; évènements dont on perçoit largement encore aujourd’hui les effets.


1.2.2.2 La création des grandes associations :
APAJH et UNAPEI

En 1994, l’UNAPEI compte 65 000 adhérents, l’APAJH 25 000. Aujourd’hui encore, ce sont les premières associations du champ en terme de nombre d’adhérents, de structures gérées, de nombre de salariés et de nombre de places offertes aux enfants. Il nous semble utile ici de rappeler les origines de ces deux associations et d’en faire une analyse qui vaut comme idéal-type quant à l’importance des associations dans la dynamique du champ tel qu’il se recompose à partir des années 1940.

Le troisième plan d’équipement sanitaire et social (1958-1961) « n’est réalisé qu’à 60% pour l’enfance inadaptée », note Eric Plaisance (2000). Le reste est laissé à l’initiative privée, et c’est dans ce contexte que naissent UNAPEI et APAJH, et qu’émergent leurs premières créations institutionnelles qui viennent pallier les insuffisances de l’initiative publique.

L’UNAPEI

L’association lyonnaise de parents d’enfants retardés et inadaptés (ALPERI) est la première structure associative recensée dans les années 1940. Elle devient l’ALAPEI en 1953. En 1949, une autre structure associative est créée à Paris : les papillons blancs. Il s’agit d’une « œuvre de défense et de protection de l’enfance déficiente ». Léonce Malecot, un avocat, en est le président. Il transforme les papillons blancs en structure fédérative en 1958, destinée à rassembler l’ensemble des initiatives déjà existantes sur le territoire. Les papillons blancs deviennent l’union nationale de défense et de protection de l’enfance déficiente. Malecot décède la même année. En 1960, l’union est transformée en UNAPEI, sous titré « les papillons blancs et groupements similaires ». Elle est reconnue d’utilité publique en 1963.

Les premiers responsables des associations fédérées sont issus de la bourgeoisie (magistrats, médecins, notaires, cadres supérieurs du privé ou du public, industriels, gros commerçants.) (Pinell & Zafiropoulos, 1978) La structure fédérative ne dépareille pas : la composition du premier conseil d’administration de l’UNAPEI voit 14 membres sur 24 être des « cadres ou des professions intellectuelles supérieures », ce qui « confirme l’analyse de Pinell & Zafiropoulos selon laquelle la force des premières associations de parents réside dans la position sociale des premiers militants et responsables ». (Plaisance, 2001)
Le cadre initial est « l’action familiale », c'est-à-dire le conseil, l’aide, et le guidage des familles. En 1962-63, l’UNAPEI met par exemple en place des « rente survie », primes versées par les parents pour assurer le devenir des enfants déficients mentaux orphelins. Elle mène également des actions revendicatives auprès des pouvoirs publics. Rapidement, et selon la logique qui prédispose les associations du champ à s’emparer de telles initiatives, elle se donne comme objectif de suppléer aux carences des équipements publics en promouvant la création d’établissements spécialisés. Pour ce faire, les associations de l’UNAPEI ont recours à des personnels techniques, surtout médecins et pédopsychiatres. Ces derniers insistent pour que les associations se dotent d’équipe de techniciens, surtout neuropsychiatres, psychologues, pédiatres, psychiatres. Se constitue ainsi une alliance de fait entre les corps de neuropsychiatres et pédopsychiatres et ces regroupements, originellement socialement marqués, de familles d’enfants inadaptés mentaux. Les raisons de cette alliance trouvent leur origine dans la synchronisation d’intérêt convergents : les pédopsychiatres luttent en effet durant cette période contre l’hôpital psychiatrique, tentant d’autonomiser leur nouvelle spécialité, centrée sur l’enfance, de l’ensemble de la psychiatrie (alliés au pédiatres, qui mènent alors une lutte analogue). Les parents militants cherchent de leur côté à rompre avec l’alternative unique qui se pose pour le destin institutionnel de leurs enfants, soit : la maison ou l’hôpital. Outre les créations institutionnelles, cette alliance a aussi pour effet, concomitant, de voir les créations d’associations de parents encouragées par les spécialistes.

L’action familiale, objectif initial de l’UNAPEI, amène dès l’origine l’organisation a nouer des lien avec l’union nationale des associations familiale (UNAF). Ainsi, en 1959, le congrès de l’UNAF est consacré à l’enfance déficiente. Le professeur Lafon, président de l’UNAR, est très présent à ce congrès, et s’y exprime longuement. Une commission de l’enfance inadaptée est créée au sein de l’UNAF, à laquelle participe des membres de l’UNAPEI. Néanmoins, fait remarquer Eric Plaisance, on n’assiste pas à une fusion UNAF/UNAPEI, à laquelle pourtant on aurait pu s’attendre, « comme si les problèmes que [les parents d’enfants inadaptés] soulevaient ne pouvaient être abordés et traités dans toute leur ampleur que dans des associations qui leur soient spécifiquement consacrées ». Ceci est révélateur du fait que les « représentations anthropologiques », évoquées par Henri Jacques Stiker en 2000, guident, écrit-il, toute politique envers les personnes handicapées ; en l’occurrence, on remarque que le terme politique est à appréhender au sens large, puisqu’il concerne ici une politique associative.

Les rapports entre l’UNAPEI et les pouvoirs publics, nous l’avons évoqué à la suite de Patrice Pinel et Marcos Zafiropoulos, ont eu rapidement une certaine efficacité, en partie grâce à la proximité sociale entre les premiers responsables associatifs et les membres de la classe politique. Les rapports entre eux se déclinent à plusieurs niveaux. Avec les parlementaires, tout d’abord : un groupe parlementaire « les amis de l’enfance inadaptée » est créé, à l’instigation de l’UNAPEI, et composé essentiellement de médecins députés. Avec les ministères, ensuite : l’UNAPEI obtient très vite plusieurs audiences avec le ministère de la Santé, avec celui de l’Education Nationale. Le directeur de la population (avant 1964) est accueilli dans plusieurs de ses congrès

Ces rapports sont mus par une volonté de mesures concrètes et rapides, qui trouveraient une application par de simples réformes de la législation en vigueur. Il ne s’agit pas pour les responsables de l’UNAPEI de contribuer à un grand débat national qui pourrait aboutir à une nouvelle loi, et faire naître de nouvelles conceptions. On peut tisser un lien de cause à effet entre la nature de cette volonté et ces deux éléments d’importance que sont l’alliance objective avec des spécialistes de la psychiatrie infanto juvénile qui sont dans une période de consécration de positions de pouvoir déjà largement acquises et le fait de la prédominance de membres de la bourgeoisie parmi les responsables associatifs, part de la population qui ne se caractérise pas, pourrait on dire en usant d’un euphémisme, par un désir de transformation sociale.

L’UNAPEI a ainsi une vision de la répartition des compétences administratives qui est adossée à cette volonté militante d’améliorer ce qui existe déjà : « elle exprime non seulement sa vocation spécifique vis-à-vis des enfants déficients mentaux moyens ou profonds, mais considère aussi que ce type d’enfant relève du ministère de la Santé, laissant à l’EN la responsabilité des classes dites de perfectionnement pour déficients légers. » (Plaisance, 2001).

L’APAJH

L’association d’aide et de placement des adolescents handicapés (AAPAJH) est créée quant à elle en 1962, à l’initiative de deux enseignants du premier degré travaillant en région parisienne, tous deux adhérents au SNI, plus précisément à sa section de la seine. Un de ces deux enseignants est une enseignante, Lucie Nouet, qui est à la fois secrétaire de la commission enfance inadaptée dans cette même section syndicale et institutrice en classe de perfectionnement.

Les objectifs d’origine de cette association sont issus du constat des faibles possibilités d’insertion professionnelle des enfants des classes de perfectionnement. Dans cet perspective, l’AAPAJH se donne comme mission d’établir des liaisons entre les adolescents handicapés clientèles des ces classes et écoles, employeur, et service public

L’AAPAJH va vite élargir son champ d’action. Du côté du public, ses compétences passent au-delà des seuls déficients mentaux, clientèle des classes de perfectionnement, et s’étendent aux déficients physiques. Elle met en place, comme l’UNAPEI, un système de rente-survie et engage également, assez rapidement, des actions de créations d’établissements et de services.

Mais contrairement à la fédération d’associations de parents, l’AAPAJH des origines défend l’idée d’une responsabilité complète de l’Education nationale dans l’éducation des enfants inadaptés en général. Les caractéristiques sociales et idéologiques des premiers responsables, très différents de celles de ceux de l’UNAPEI, constituent une explication : dans le premier conseil d’administration, 8 membres sur 24 travaillent au sein de l’Education Nationale. Par suite, plusieurs évolutions vont marquer l’histoire de l’AAPAJH, à la fois dans le public concerné par ses actions et dans les missions : en 1981, elle devient l’association pour adulte et jeunes handicapés (APAJH). Les statuts adoptés en 1990, date à laquelle elle devient l’association des parents et amis de jeunes handicapés, en font une fédération, avec des comités juridiquement, administrativement et financièrement autonomes.


« L’option très nettement affirmée par les promoteurs de l’AAPAJH en faveur d’un service public et laïc d’éducation peut-elle se concilier avec les initiatives favorables à la création d’établissements relevant du secteur de l’associatif privé ? » note Eric Plaisance (2000).


Cet apparent paradoxe se trouve résolu par plusieurs prises de position le long des années 1960 : tout d’abord, l’APAJH décide de maintenir l’objectif à long terme d’un « grand service national d’éducation » concernant tous les enfants, y compris les inadaptés, mais d’acter de façon pragmatique la nécessité de pallier au déficit de l’initiative public en matière de création d'établissements. Ensuite, elle recherche activement la collaboration avec le ministère de l’Education Nationale et les services publics, et s’inscrit dans un réseau de soutien, qu’elle sollicite, comprenant notamment des syndicats de l’éducation, dont le SNI bien entendu, mais aussi la MGEN et des associations proches de l’Education Nationale.

On le voit, les origines des deux associations que sont l’APAJH et l’UNAPEI sont marquées par des relations de concurrence, et des positionnements généraux en matière de vision politique sur le sujet de l’enfance inadaptée qui diffèrent assez largement. L’APAJH se donne rapidement vocation de travailler pour l’ensemble de l’enfance inadaptée, là où l’UNAPEI restreint son champ d’action aux seuls déficients mentaux. L’une est une association familiale, initiée par des parents dont on a vu qu’ils représentaient une frange plutôt aisée de la population, et qui s’inscrit dans une logique de militantisme familiale, dont témoigne ses liens avec l’UNAF. L’autre est une association créée par des professionnels enseignants, et qui trouve sa cohérence dans un militantisme de type syndical. Le jeu des alliances que déploient les premiers militants dépend directement de ces caractéristiques. Les rapports qu’entretiennent ces deux associations avec l’Etat convergent ainsi vers une présentation d’elles-mêmes centrée sur la notion de substitut des carences
La place prise par les associations, alliées aux psychiatres infanto juvéniles, contribue à la disparition dans les années 1960 de toute une « alternative idéologique (…) et institutionnelle », comme « laisser l’enfant dans son milieu comme le défendait Deligny (…), [et construire] une collaboration étroite avec l’Education Nationale », qui était défendue par des psychiatres et psychologues proche du Parti Communiste. (Muel Dreyfus, 1980).

En 1961, en effet, 60% du secteur public est géré par des associations affiliées à l’UNAPEI. Les années 1950 et 1960 constituent, en terme de création institutionnelle mais aussi en terme de formalisation des professions éducatives, le cœur de « l’âge d’or » de l’inadaptation.
En terme de financement, et pour avoir un éclairage plus contemporain, voici ce qu’en dit Tchernonog en 2000 :


« Alors qu’elles ne représentent que 1/5 des associations du secteur sanitaire et social, [les associations de prise en charge des personnes handicapées] détiennent à elles seules un peu plus du tiers du budget total de ce secteur. (…) Elles représentent 8,5% des organisations du secteur associatif et se partagent 18,7% du budget total. (…) 80% [de ce] budget est tenu par 10% des associations ». Par ailleurs, « Entre 1985 et 2001, les moyens publics consacrés au handicap sont passés de 2,1 à 1,7 points du PIB, ce relâchement étant dû pour l’essentiel à l’Etat. »



1.2.2.3 Institutions de l’éducation spéciale : 1950, 1960


« Les raffinements de la nosographie allant de pair avec le renouvellement des équipements anciens ou la création de nouveaux équipements », selon une propriété du champ que nous avons déjà abordé, il n’apparaît pas surprenant que l’émergence de la notion d’inadaptation, et les recompositions administratives qu’elle engage, aboutisse à la création de structures institutionnelles nouvelles. (Muel-Dreyfus, 1980).


Le cadre réglementaire de 1956 qui légalise les conditions d’agréments des établissements se destinant à l’accueil de différents types d’inadaptation permet la création d’institutions financées selon la technique du prix de journée, par la sécurité sociale. Il participe de « l’accentuation des activités gestionnaires » (Plaisance, 2000) qui entre en conflit, particulièrement pour l’APAJH, avec le militantisme initial. Il offre en effet un cadre favorisant pour l’initiative de création d’établissements, notamment en ce qui concerne le financement.
Les institutions médico-pédagogiques (IMP), leur prolongement (en terme d’âge de leur clientèle) les instituts médico-professionnels (IMPro), les centres d’aide par le travail (CAT) sont créés durant les années 1960. Après eux émergent les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), les instituts de rééducation psychothérapeutiques (IRP) et les instituts médico-éducatifs (IME). Parmi ces institutions, les instituts médico-pédagogiques méritent, du fait qu’ils émergent en premier et sont ainsi symptomatiques du début de cette dynamique qui se caractérise par un foisonnement de créations institutionnelles, d’être l’objet d’une analyse spécifique.
L’alliance entre les neuropsychiatres infanto juvéniles et les premières associations de famille fédérées au sein de l’UNAPEI aboutit à la création des IMP, « réinvention du passé », selon Jacqueline Gateaux-Mennecier (2000) (elle fait allusion aux projets de Bourneville de lier les deux savoir-faire professionnels).
Selon Pinell et Zafiropoulos (1978), la prévoyance sociale est un thème toujours présent dans l’immédiat après-guerre mais qui se manifeste sur un mode euphémisé ; « euphémisation qui s’accompagne et se soutient de la production d’un discours médicalisant (…). [En effet], tous les neuropsychiatres des années 1940 et 1950 s’accordent à signaler le danger social que représente l’inadaptation des arriérés ». Une conception émerge de ce terreau, qui, si elle reste marginale, n’en constitue pas moins un héritage patent de la fonction sociale originelle du champ, et qui est caractérisée par un « processus de naturalisation de l’acte délinquant », qui devient un « produit de déficience intellectuelle ».

Les premiers IMP naissent, nous l’avons vu, de la rencontre des intérêts des premières associations de parents, cherchant, contre l’hôpital, de nouvelles solutions pour leurs enfants déficients intellectuels, et ceux des neuro et pédopsychiatres qui, eux aussi conte les psychiatres de hôpitaux, cherchent, à faire reconnaître leur spécificité professionnelle. Ces intérêts convergents rencontrent également ceux de l’Etat, qui cherche à réduire les coûts très importants des « hospitalisations à vie », ce d’autant plus que le thème de la « maîtrise des coûts » des dépenses publiques commence à devenir très présent, à la faveur d’une technicisation et d’une conception « rationalisante » de l’action publique en France, dont témoigne l’importance prise par la planification.


La rencontre de ces intérêts et les alliances qui en découlent sont une des principales raisons pour lesquelles l’UNAPEI « donne aux pédopsychiatres une place privilégiée dans les établissements qu’elle construit et qui lui appartiennent » (Pinell & Zafiropoulos, 1978).


Parmi les autres effets de ces alliances, et de l’efficacité de l’action de l’UNAPEI vers les pouvoirs publics, on peut noter l’interdiction des IMP dans les hôpitaux en 1957. Le surgissement de ces instituts dans le champ de l’inadaptation constitue une nouvelle segmentation institutionnelle. Dans les premiers temps de leur existence, cette filière va accueillir une population socialement très différenciée de celle qui peuple les classes de perfectionnement, les centres pour caractériels ou les institutions privées situées sur le créneau de l’enfance délinquante ou en « danger moral ». Pinell et Zafiropoulos affirment que la clientèle des IMP est même, dans les premières années, caractérisée par une surreprésentation des enfants des classes supérieures. « Dans ce cadre », poursuivent-ils, « le discours de l’UNAPEI va prendre une tonalité particulière ». En effet, se posant comme représentant l’ensemble des déficiences mentales, elle soutient les créations institutionnelles dans le champ de l’enfance inadaptée « au nom de la protection de l’enfance », et contribue ainsi, à l’instar du discours savant, à « la dissimulation des relations existants entre les diverses formes de débilité et l’origine sociale des sujets ».

Il apparaît nécessaire de poursuivre ces analyses aujourd’hui, puisqu’elles portent sur des temps déjà anciens si on considère la très forte plasticité qu’impliquent les propriétés du champ de l’enfance inadaptée au sein duquel, « la nécessité d’innover pour conserver est à l’origine de création institutionnelles incessantes » (Muel-Dreyfus, 1980).


Parallèlement à ces créations institutionnelles se dessinent plus précisément les contours des professions qui y interviennent, en particulier celle d’éducateur spécialisé, qui, en parallèle de l’unité de la notion d’inadaptation, se construit sur l’unité de la fonction éducative.

Professions de l’éducation spéciale


« A la fin des années 1940 », écrit Jean-Paul Tricard en 1981, « les pratiques rééducatives restent frustes et rudimentaires, sous-tendues par des idéaux charismatiques et moralisateurs plutôt que par des techniques qui ne sont encore que très approximatives ».

Le rôle des pédopsychiatres et neuropsychiatres va être décisif dans la formalisation des formations professionnelles des métiers de l’éducation spéciale, à l’instar de celui qu’ils jouent dans les nouvelles institutions. A mesure que croit leur légitimité pour nommer, classer et, dans le même temps, proposer des solutions techniques pour le travail en institution spécialisé auprès des enfants qui s’y trouvent accueillis, les corps des neuropsychiatres et pédopsychiatres affermissent leur place de spécialistes et incidemment se trouvent naturellement les mieux placés pour participer au premier plan à la définition des contours des professions et des contenus des formations professionnelles. Les années 1950 vont ainsi être déterminantes pour la constitution des professions de l’éducation spéciale. Ainsi que le résume Jean Paul Tricard, « aux tâtonnements de la philanthropie succèdent les ambitions unifiantes des techniciens ».
Ce qui semble demeurer un invariant dans les conceptions tous à la fois des « socio clercs », des « socio techniciens » et des « socio praticiens » (Tricard, 1981), les seconds contribuant donc à définir la formation des derniers, est que leur pratique et leur idéologie « tournent résolument le dos à l’école et à ses valeurs ». (Verdès-Leroux, 1978)
En effet, le corps nouveau des éducateurs spécialisés trouve des racines idéologiques et pratiques à la fois dans le catholicisme social, le scoutisme et, pour une petite part, dans des mouvements pédagogiques alternatifs ; autant de courants qui ont en commun d’avoir constitué l’Education Nationale et l’école publique comme une figure repoussoir, et même comme un anti-modèle, lui attribuant, malgré leur différence, toutes les caractéristiques antagonistes de celles dont ils se réclament. Jeannine Verdès-Leroux cite, pour l’exemple, l’auteur d’un livre sur le scoutisme, qui évoque le mépris voué par le milieu à :


« (…) ces bons élèves chez lesquels l’intelligence a desséché le cœur, paralysé l’énergie morale et affecté la loyauté »


Mais la formalisation des professions de l’éducatif « hors l’école » ne se résume pas à la mention de l’influence des neuropsychiatres et à celle des racines historiques de l’éducation spéciale. Parmi les neuro et pédopsychiatres on trouve évidemment un intérêt important pour des travaux de chercheurs comme Jean Piaget et Henri Wallon. Les mouvements pédagogiques alternatifs sont également vecteurs de référence aux « grands pédagogues » et autres « pionniers », dont les figures charismatiques deviennent rapidement centrales dans l’imaginaire collectif des métiers du social, et ce d’autant plus qu’elles n’ont pas été reconnues par l’Ecole, ou sur un mode plus indirect.

De 1958 à 1968 on assiste ainsi à la structuration des professions de l’enfance inadaptée : en 1958, des accords de travail sont signés entre l’UNAR et l’association nationale d’éducateurs de jeunes inadaptés, l’ANEJI, qui initient une codification de l’exercice du métier. En 1966 est créé la convention collective du secteur, qui est toujours active aujourd’hui. Enfin, en 1967 apparaît le DEES, le diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé.

Le secteur privé, qui se pose comme un secteur « ouvert », « dynamique », « progressiste », à l’opposé de la « routine » et de « l’immobilisme » de la bureaucratie (dont l’Education Nationale), organise la professionnalisation de ses agents sur le modèle de sa résistance idéologique au secteur public (Muel Dreyfus, 1980). Les écoles créées pour former les éducateurs et les moniteurs éducateurs sont ainsi des écoles privées, « différentes les unes des autres », qui s’inscrivent dans une politique de formation qui « échappe à la tutelle de l’Education Nationale et [qui] est reconnue par l’Etat ». Entre 1950 et 1975, on passe de 14 écoles d’éducateurs (dont 9 confessionnelles) à 40, « qui continuent à revendiquer leur personnalité malgré l’uniformité des programmes effectuée en 1967 ». Ce souci d’indépendance de la politique de formation des professionnels vis-à-vis de l’Education Nationale, note Francine Muel Dreyfus, « aboutit le plus souvent à soumettre l’enseignement aux exigences des futurs employeurs », et constitue un marqueur important de la nature de « marché ouvert » dont se revendique le secteur.
La formalisation des professions de l’éducation spéciale est corrélative d’une évolution de la conception de ses interventions. C’est dans les années 1960 qu’émerge la logique de « prévention des inadaptations », considérant que le travail éducatif est plus efficace à se porter sur le versant des conditions qui favorisent l’émergence des comportements justifiant des mesures, plutôt que seulement sur ces comportements eux-mêmes. La prévention spécialisée émerge en 1972, et les mesures dite AEMO, aide éducative en milieu ouvert, sont créées en 1970, la même année que les GAPP, groupes d’adaptation psychopédagogique à l’école : en effet, la constitution « dos-à-dos » de l’éducation scolaire et l’éducation spéciale, et les oppositions qui les fondent, impliquent également un certain parallélisme dans leur évolution paradigmatique.

C’est ainsi que la logique de prévention de l’éducation spéciale est redoublée par l’émergence de la logique de prévention de l’échec scolaire que met alors en place l’Ecole.


1.2.3 L’inadaptation et l’école : le temps de
l’adaptation scolaire


« L’ambition de l’institution scolaire à l’égard des inadaptés se limite à l’adaptation des enseignements à leur destinée sociale et, corrélativement, à l’acquisition des propriétés sociales et comportementales requises pour le marché du travail ».

Serge Ebersold & J-J Detraux (2003)



Alors que les neuro et pédopsychiatres se trouvent impliqués d’une manière très importante dans les créations institutionnelles et la structuration des métiers de l’éducation spéciale, la psychologie se tourne de son côté vers l’Ecole. L’après-guerre est l’époque de la genèse de la psychologie scolaire en France, genèse qui trouve une de ses matrices dans la reprise des travaux de Binet et de ses suivants par des psychologues comme Henri Wallon et René Zazzo.

C’est donc dans une période de recomposition que caractérisent à la fois le renouvellement notionnel de l’inadaptation, une croissance sans précédent du secteur de l’associatif privé en la matière, permise par des dispositions légales combinant financement et contrôle public à l’initiative privée, et par un intérêt de la psychologie à la problématique de l’inadaptation scolaire, que l’Ecole s’attache à travailler au segment de l’enfance déficiente qui lui est dévolu : la clientèle des classes et écoles de perfectionnement, les débiles légers.

En 1951, 20% des enfants de l’élémentaire ont plus de deux ans de retard, tandis qu’en 1960, 60% des élèves ont au moins un redoublement entre le CP et le CM2 (Pinell & Zafiropoulos, 1978). Le contexte d’explosion démographique de la population et, incidemment, de la population scolaire, joue vraisemblablement un rôle éminent dans ces faits : en 1951-52, on compte 3 917 000 élèves et en 1959-60, 5 716 000. « Dès lors », écrivent Pinell et Zafiropoulos, « se pose avec acuité la question de l’orientation vers une autre filière de ceux qui accumulent le plus de retard, et plus encore celle du dépistage de ceux qui sont voués à en accumuler ».
Après la libération, le nombre de classes de perfectionnement est ainsi multiplié par cinq en cinq ans, et à partir de 1950, il ne cesse de croître, jusque dans les années 1960. Outre la forte croissance démographique, qui n’explique pas à elle seule le phénomène, les transformations internes au système scolaire jouent également un rôle déterminant. En 1959, la scolarité obligatoire instituée jusqu’à 16 ans inaugure la secondarisation du système scolaire. On assiste à la suppression de l’examen d’entrée en 6ème et à une modification du rôle de l’école primaire, qui se meut progressivement en antichambre du secondaire pour une partie sans cesse croissante de la population scolaire. La secondarisation de l’enseignement entraîne logiquement la nécessité de création de structures spécialisées dans l’enseignement secondaire, prolongement des classes de perfectionnement du primaire. Les sections d’enseignement spécialisé sont ainsi créées en mai 1967, trois ans après qu’aient été instituées les classes de transition par un arrêté d’août 1964.

L’entrée dans ces structures spécialisées s’effectue par l’intermédiaire d’un dépistage, qui se pratique avec des outils de la psychologie scolaire naissante, et notamment le « Binet et Simon », c’est à dire le test psychométrique. La première moitié du 20ème siècle est en effet caractérisée par le développement de la psychométrie au sein de laquelle plusieurs évolutions sont à noter depuis les travaux inauguraux de Binet et Simon : réajustement de l’échelle métrique de l’intelligence, diversification des approches de la mesure expérimentale, introduction de la notion de QI. A la nomenclature initiale « idiot / imbécile / arriéré », se substitue celle de « débile profond / moyen / léger » ; elle conserve une triple catégorisation qui semble à plus d’un titre être un simple changement de notions pour décrire les mêmes groupes, avec les mêmes difficultés, si ce n’est que les frontières sont maintenant chiffrées grâce au QI. L’arrêt de la prise en compte de la débilité en fonction du seul retard scolaire, sous l’impulsion notamment de René Zazzo, et l’introduction de la notion de dynamique de développement par Piaget, contre les conceptions dites « fixistes » (qui concerne également la débilité), ouvrent la voie aux premières enquêtes de dépistage systématique. (Pinell et Zafiropoulos 1978). Une circulaire du 29 septembre 1965 instaure ainsi un ficher départemental et préconise un « dépistage méthodique » de la clientèle des classes de perfectionnement. En effet, la plupart des membres des commissions médico-pédagogiques « sont recrutés à partir de procédures empiriques, non codifiées », qui induisent des modes de recrutement variables selon les territoires (Vial, 1990). On observe ainsi une accentuation du contrôle de ces commissions par l’administration de l’Education Nationale, sur la base d’une volonté d’homogénéisation des procédures de recrutement par le biais d’une homogénéisation des outils de la psychométrie, et, ainsi, de la clientèle des classes spécialisées.

L’augmentation exponentielle du nombre de classes de perfectionnement induit un besoin croissant d’enseignants spécialisés, dont la profession connaît des évolutions décisives, encadrée notamment réglementairement par des circulaires en 1959 et 1963, des arrêtés en août et mars 1964. Concomitamment à la formalisation du métier d’éducateur, celui d’enseignant spécialisé connaît des évolutions importantes. Leur point de convergence est la reconnaissance acquise par la légitimité du discours psychiatrique. Cette dernière prédispose les responsables des formations des maîtres spécialisés à « [présenter] la pédagogie spécialisée comme une pratique en partie psychothérapeutique » (Pinell & Zafiropoulos). En 1963 le certificat d’aptitude à l’enseignement des inadaptés (CAEI) remplace le CAEA de 1909, consacrant dans les titres la nouvelle notion d’inadaptation, vingt ans après sa codification par le conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral ; temps de latence qui témoigne tout à la fois de la durée d’imprégnation notionnelle et de la situation périphérique de l’école dans le champ, et qui fait nous rappeler que le conseil technique ne comptait aucun représentant de l’Education Nationale.
Une circulaire ministérielle de 1970 affirme que l’intérêt de l’enfant est le plus souvent de ne pas quitter sa classe et d’y pouvoir bénéficier d’actions de soutien selon des modalités d’approches pédagogiques différentes. Elle inaugure, à l’instar de ce qui se passe dans la même période pour l’éducation spéciale, l’avènement de la logique de la prévention de l’échec scolaire, et institue les groupes d’aide psychopédagogique (GAPP), composés d’enseignants spécialisés et de psychologues scolaires qui interviennent auprès d’élèves en difficulté sans orientation vers des filières spéciales.
La mise en place des GAPP est indissociable du mouvement d’unification notionnelle des catégories de pensée de l’action sociale – qui, sous l’impulsion d’une frange de responsables politiques et de hauts fonctionnaires, se veut et se donne comme globale (Confère partie 1-3-, notamment page 62) :

« A l’enseignement spécialisé des années 50 et 60 se substitue durant les années 1970 un enseignement d’adaptation se fondant sur le langage de l’exclusion en lieu et place du langage de l’inadaptation » écrivent Serge Ebersold & Jean-Jacques Detraux en 2003.

La relégation des élèves trop indisciplinés hors des classes normales, produit d’une fréquente forte pression des maîtres ou directeurs qui ne rencontre pas de grande opposition des commissions médico-pédagogiques, a contribué à l’émergence de la logique préventive et des GAPP, puisqu’elle n’a cessé de poser des problèmes de décalage entre les frontières établies par les tests psychométriques (reprises par le législateur et imposées par l’Education Nationale) et la réalité du recrutement des classes et des quelques écoles nationales de perfectionnement. L’usage même de la psychométrie y a également fortement contribué. « Le débile standard, que la psychométrie a construit et que le législateur tente d’imposer par décrets et circulaires, échappe constamment à la réalité », écrit Monique Vial en 1990, qui ajoute que « jusqu’à une période récente, les maîtres de perfectionnement formés à attendre le débile conforme, ne cessent de se plaindre que leurs classes sont mal recrutées ».

« La réalité du recrutement des classes de perfectionnement ne confirme pas l’hypothèse du simple travestissement de l’échec scolaire en diagnostic de débilité mentale », note Eric Plaisance en 1996, hypothèse qui a souvent été posée dans les années 1970, dans l’ensemble des courants critiques vis-à-vis des institutions, et qu’on a pu retrouver chez des chercheurs de la sociologie critique. Il ajoute que « l’étendu du retard scolaire a toujours débordé le recrutement des classes de perfectionnement », et que « différents types de handicap ont fait partie du public de ces classes », bien au-delà du débile standard. Ainsi, pour comprendre la logique guidant le recrutement des commissions médico-pédagogique, peut-on dire que c’est « le critère de la non-conformité scolaire » qui préside.




Après la guerre de 1939-1945, la division du travail rééducatif s’organise autour de ces principes, liés à l’émergence de nouvelles catégories nosographiques, sous le vernis unifiant de l’inadaptation : à l’Education Nationale les débiles légers, au médico-social les débiles moyens et les caractériels, ces derniers dépendant à partir de 1945 de la Justice (« 85% d’entre eux sont en régime d’internat (…) dans des établissements autonomes publics ou privés », selon Pinel & Zafiropoulos, 1978) et les débiles profonds à l’hôpital ou dans les IMP. Pendant les trente glorieuses, cette segmentation va évoluer au gré des mutations structurelles du champ, notamment en matière de création d’institutions nouvelles et d’un élargissement de conception de la nature des prises en charge, qui s’ouvre vers un nouveau pan d’intervention : la prévention, qui s’applique aussi bien dans le sous-champ du spécial que dans celui du scolaire.

Les positions acquises depuis le 19ème siècle par l’initiative privée, devenue le plus souvent associative avec la troisième république, et qui ont trouvé une forme de consécration originale sous le régime de Vichy avec le dispositif des ARSEA qui permet à l’Etat de laisser faire le privé tout en lui imposant un contrôle, sont une des raisons principales qui conduit le gouvernement provisoire, lors de la Libération, à reconduire en grande partie les dispositions prises par le conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral, y compris en matière de codification notionnelle. L’inadaptation se meut progressivement en unique référence englobante, en lieu et place des multiples tableaux nosographiques qu’avaient construit, pour nommer leurs anormaux, l’Education Nationale, la Santé ou la Justice.

Cette notion, dont la construction a été réalisée sans aucune participation de représentants de l’Ecole, légitime l’émergence d’un éducateur non scolaire et constitue un puissant référentiel d’action publique qui mobilise les trois ministères (Chauvière, 1987). Les enfants concernés par cette nouvelle dénomination voient ainsi, hors l’école, se construire une multitude d’institutions au sein desquelles la profession émergente d’éducateur spécialisé est vouée à intervenir. La neuropsychiatrie infanto juvénile également, qui consolide sa position de spécialiste, et dont les compétences sont appelées tout à la fois à encadrer les professionnels de l’éducation spéciale et à les former.

Les associations, dont deux très importantes dans l’histoire du champ de l’enfance inadaptée, l’UNAPEI et l’APAJH, émergent à la fin des années 1950, et assoient progressivement, dans les deux décennies suivantes, leur rôle de gestionnaire partenaire de l’Etat. De son côté, l’Education Nationale, parallèlement à la structuration du métier d’éducateur, fait évoluer le métier d’enseignant spécialisé, qui se trouve pouvoir travailler à partir de 1970 dans les GAPP, et non seulement dans les classes de perfectionnement, dont le nombre à explosé, donnant, presque un demi siècle plus tard, une vie à la loi de 1909.

Mais l’émergence en 1958 de la 5ème république, avec la place centrale qu’elle accorde à la planification, ainsi que l’extraordinaire expansion des limites du champ, que les créations institutionnelles qui émergent selon la logique « une inadaptation, une institution » ne cessent de repousser, vont contribuer à ébranler les structures institutionnelles de contrôle (ARSEA et UNAR notamment) et les principes idéologiques (inadaptation), pour laisser place à une réorganisation formelle des structures du champ, qui prend racine dans la décennie 1960 et qui trouve une traduction avec les lois du 30 juin 1975.


Les lois du 30 juin 1975 et l’adoption du handicap


La loi du 30 juin 1975 dite en faveur des personnes handicapées est inséparable de sa jumelle, votée le même jour, portant sur les institutions sociales et médico-sociales. Ayant rappelé ce fait, nous nous intéresserons ici particulièrement à la loi dite « en faveur des personnes handicapées ».


1.3.1 Origines



« La quasi unanimité parlementaire, l’action relativement consensuelle des grandes associations, liée en partie aux travaux du plan, la politique d’action sociale à son zénith, ont fait oublié les controverses des huit années de gestation (…). »

Michel Chauvière, 2000.



1.3.1.1 Les indices de la volonté d’encadrement
réglementaire du champ

Le développement incessant du nombre et des types d’institution, permis par l’ « extensibilité infinie de la notion d’inadaptation » que porte efficacement l’encadrement institutionnel des ARSEA, commence à menacer l’unité du champ de l’inadaptation. Au même moment se produit « l’introduction de la question de l’enfance inadaptée dans les hauts lieux de la production de l’idéologie dominante » (Tricard, 1981, Bourdieu & Boltanski, 1976). Dans cet espace, et dans le cadre d’une augmentation très sensible de l’usage d’une préoccupation qui va devenir inflationniste, la « maîtrise des coûts ». Jean-Paul Tricard note, suite à l’analyse d’études commandées par les pouvoirs publics à la suite du rapport Bloch-Laîné, (en 1970, 1972 notamment), que s’y détache une « vigoureuse dénonciation de la hausse incontrôlée des dépenses ».

Les 1er et 2ème plans quinquennaux sont dédiés à la reconstruction et à la relance économique. Le 3ème plan, 1958-1961, premier de la cinquième république, élargi ses préoccupations au social et à l’aménagement du territoire ; il comporte un plan d’équipement sanitaire et social. C’est le premier à prendre en compte l’enfance inadaptée. Le 4ème plan (1961-1965) poursuit également dans cette voie. En décembre 1966, François Bloch-Laîné, ancien directeur du Trésor au ministère des Finances, directeur de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque européenne d'investissement depuis 1952, est chargé par le premier ministre de rédiger un rapport sur le secteur de l’inadaptation. Confier une telle mission à un personnage spécialiste des finances publiques traduit bien le souci posé à l’Etat par le dynamisme du champ. Le rapport de ce haut fonctionnaire, présenté au premier ministre en 1967, introduit une rupture dans la définition de l’inadaptation, en faisant évoluer son contenu des « caractéristiques quasi-naturelles des individus aux raisons diverses supposées internes et externes » (Stiker, 2000). Pour la première fois dans un document officiel, le groupe des handicapés apparaît comme un groupe particulier au sein des inadaptés, eux-mêmes redéfinis.


Tout ceci inaugure l’avènement du handicap comme objet de politique publique, ceci bien que la notion d’inadaptation soit toujours dominante ; inaugure également le processus qui va aboutir à la loi de 1975 dite en faveur des personnes handicapées.

Le rapport Bloch-Laîné va avoir pour effets plusieurs créations institutionnelles au niveau gouvernemental, créées pour coordonner le champ : un secrétariat d’état à l’action sanitaire est créé en 1968, rattaché au ministère des affaires sociales, qui devient en 1969 le secrétariat d’Etat à l’action sociale et à la réadaptation, rattaché au ministère de la Santé. Le 13 novembre 1969 émerge un groupe de travail au sein du commissariat général au plan, dénommé « intergroupe handicapés / inadaptés » ; une commission d’action sociale est créée et y est rattachée. En septembre 1970 est créé par décret un comité interministériel des personnes handicapées, composé de 13 départements ministériels et 20 associations. Enfin, un autre décret du 21 novembre 1971 crée la direction des affaires sociales, qui dépend du ministère de la santé.

Ces faits témoignent de la volonté de ceux que Guyot (2000) nomme « l’élite politico administrative » d’inscrire le handicap et l’inadaptation dans le référentiel plus large de l’action sociale, d’une action sociale globale planifiée qui « s’oppose point par point au modèle traditionnel » de l’assistance. C’est dans ce mouvement de refondation de la conception de l’action sociale, sous l’impulsion d’un petit groupe de responsables administratifs et politiques, et dans la suite de celui initié par le rapport de François Bloch-Laîné, que s’inscrit l’émergence de la loi « en faveur des personnes handicapées » de 1975.



1.3.1.2 Le partenariat état / association


L’avant-projet de loi est présenté au conseil des ministres en février 1973. Il est communiqué aux associations en juin de la même année, officieusement, « afin qu’elles puissent présenter leurs observations ». Cet avant projet est retravaillé trois fois, à chaque fois le même circuit est développé : du gouvernement aux associations, auxquelles est demandé un avis selon des conditions très précises : « il [leur] est demandé d’examiner ce texte au sein d’instances les plus restreintes possibles, en veillant à ce qu’aucune publicité ne soit donné avant son adoption par le conseil des ministres. ». (Guyot, 2000)
Le projet de loi est adopté au conseil des ministres en avril 1974, et déposé puis enregistré à l’assemblée nationale en mai. Sept mois passent avant que les débats ne commencent, en novembre 1974. (Georges Pompidou est décédé en avril, et les élections présidentielles organisées en mai voient Valéry Giscard d’Estaing être élu). Durant cette période de latence, l’activité des associations se structure, et se renforce : à l’initiative de l’APAJH est créé le « groupe des 21 », représenté par l’APF, l’APAJH et l’UNAPEI. Il est formé pour présenter au gouvernement des propositions d’amendement au projet de loi d’orientation. Il multiplie les réunions de travail avec les membres du gouvernement, réunions produisant des amendements qui sont le plus souvent adoptés. Patrick Guyot, s’appuyant sur le travail théorique de Wilson, s’attache à démontrer que l’action du groupe des 21 pendant cette période se situe plus du côté du modèle néo-corporatiste, qui se caractérise par des contacts institutionnels directs, souvent même personnels, avec les membres du gouvernement et de la haute administration.



La position de ces associations dans le champ de l’enfance inadaptée, qui se caractérise par un rôle central du fait de leur activité gestionnaire et de leur poids économique qui les positionne comme principal employeur du champ, contribue à ce que cette position, qui est celle de partenaire des pouvoirs publics (fruit de la construction historique du champ et d’une de ses principales propriétés qui est celle de la dialectique particulière privé/public), soit redoublée par leur rôle de partenaire dans le processus d’élaboration de la loi.



Ce rôle de partenaire politique est permis par (et permet aussi la construction) des dispositions à se positionner dans le jeu politique d’une manière très fine, presque politicienne (professionnelle ?), à l’opposé par exemple d’association de type contestataire. Ainsi, note Patrick Guyot, si le groupe des 21, et en particulier ses trois représentants, sont conscients de l’importance de la loi de 1975, ils savent qu’elle n’est qu’une étape faite en partie pour consacrer l’existant, et que l’essentiel se joue dans les textes d’application qui suivront le vote de la loi. Ils adoptent ainsi une stratégie à long terme, « renforçant les contacts institutionnels avec le gouvernement par l’intermédiaire de certains de ses membres ».







1.3.2 Le contenu de la loi


« La notion (…) de handicap est en fait le signe d’un changement fondamental de perception de la déficience dans la société et de son mode de traitement. »

Patrick Guyot, 2000.


Le handicap et les personnes handicapées

La loi du 30 juin 1975 est la première loi à mentionner le terme handicap, en associant son traitement à une « obligation nationale ». Son émergence en France est évidemment plus ancienne que son utilisation dans un texte législatif. Il faut suite à son passage du monde de l’hippisme à un sens étendu aux humains, dans les pays anglo-saxons, en particulier les Etats-Unis, au début du 20ème siècle. Il désigne alors surtout les accidentés du travail, ceux qui ont du fait d’un accident hérité d’un handicap qui grève leur participation à la course commune, celle du travail. L’introduction du terme en France témoigne de ce prime usage : la loi du 23/11/57 ne parle que des travailleurs handicapés.

Le soubassement anthropologique de cette notion prend racine dans la période de genèse du champ, ainsi que nous l’avons évoqué précédemment. (Confère 1.1.1). Il se caractérise par l’idée de retour à une normalité qui se trouve référée quasi exclusivement à l’occupation d’un emploi, en ce qui concerne les adultes, et à la capacité d’être scolarisé dans le milieu ordinaire, en ce qui concerne les enfants. Cette idée de retour après un détour par des mesures spécialisées censées permettre une égalisation des chances, se caractérise, au terme d’une période de latence de plusieurs décennies, par l’émergence d’une multiplication des termes qui l’implique (réinsertion, réadaptation, reclassement, rééducation, etc.), et par la consécration du terme handicap (Stiker, 1980, 1996).


« Pour une participation à part égale dans la compétition commune », note Henri Jacques Stiker, les chevaux des courses de handicap se voient confrontés à un triple mouvement : « extraction catégorielle », qui induit un classement ; puis pour chaque catégorie on prévoit « des formes et des techniques d’entraînement », c'est-à-dire une spécialisation très accentuée ; enfin, une « mise à l’épreuve » est organisée, c’est à dire un reclassement, une réinsertion. En ce qui concerne la notion de handicap, le passage de l’hippisme à la désignation de l’infirmité humaine se caractérise donc par un déplacement d’objet mais pas par un déplacement de sens, dont la structure reste la même. Il y a ainsi un « lien étroit entre le langage du handicap et la pensée dominante de notre société, l’idée de performance ».

L’émergence de cette logique est favorisée par les luttes des accidentés du travail de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, par celles des blessés de la guerre de 14-18 et également par les revendications des tuberculeux, qui, à partir des années 1930, survivent en grande majorité à la maladie. Leur point commun est la volonté commune de se trouver réintégrés dans le monde du travail, de retrouver le poste perdu ou de s’en voir attribuer un autre. L’école participe également au premier chef de l’émergence de la notion de handicap et de la logique qui la sous-tend, ainsi que l’écrit Henri Jacques Stiker :


« La normalisation progressive de l’école, de ses stades et de ses niveaux (…), met en relief tous ceux qui pour une raison ou pour une autre ne s’adaptent pas à ses standards. Là encore, la préoccupation de réintégrer un jour ou l’autre, ou du moins de normaliser, va devenir grandissante ».


L’émergence du handicap va également permettre le passage d’une logique de prise en charge à une logique de prise en compte – et le glissement n’est pas que sémantique, puisque, au-delà du (et contre le) modèle médical, c’est progressivement un modèle social du handicap qui va faire référence dans les législations et les dispositifs qui en découlent.

Il y ainsi, pour la France et relativement à la loi de 1975, deux enjeux dans l’émergence du terme handicap : le premier est d’ordre cognitif (redéfinition de l’inadaptation suite au rapport Bloch-Laîné) et le second d’ordre politique. (« par qui et comment va s’opérer la mise en œuvre de « l’obligation nationale » » ?)

La redéfinition de l’inadaptation témoigne à la fois d’une restriction et d’un élargissement de la notion : le handicap exclut les instables et caractériels devenus des délinquants mais s’ouvre, au-delà du seul périmètre de l’enfance, aux adultes. La distribution des compétences propres à la mise en œuvre de l’ensemble du circuit de prise en charge, qui implique dépistage et repérage, soins, éducation ou rééducation spéciales, est explicite dans la loi, et présente « l’obligation nationale » comme étant assurée par des institutions selon un ordre « qui n’est pas indifférent », constate Henri Jacques Stiker : « Famille, Etat, collectivités locales, établissements publics, organismes de sécurité sociale, associations, groupements, organismes et entreprises publiques et privés. »
 
La mention de ce double enjeu ne doit pas dissimuler le fait que d’une part, la loi ne propose pas de définition de la notion de handicap : les personnes qui sont concernées sont explicitées par les dispositions légales, mais le handicap reste imprécis en tant que concept. « Il y a un statut de handicapé, mais pas de définition précise », note Ebersold (1996). Handicap devient une catégorie administrative mais, au contraire de l’inadaptation, ne se trouve pas codifié. Pour autant, « le principe d’une entité englobante et aux frontières toujours incertaine est fidèlement reconduit ». (Tricard, 1981). Officiellement, cette absence de définition s’explique par le souci de « laisser la place à des évolutions ultérieures » ; dans la réalité, le choix opéré se porte sur une solution empirique, qui laisse la responsabilité aux commissions créées par la loi de définir qui est handicapé et qui ne l’est pas.
D’autre part, l’adoption de la notion de handicap a suscité beaucoup d’oppositions, en particulier celle d’une frange de la psychiatrie, et celle de l’ensemble des psychanalystes, qui l’ont critiqué au nom du rejet d’une conception de fixité de la déficience.


1.3.2.2 Raison et nature des oppositions à la loi

Le corps des médecins spécialistes (pour qui les responsables de la DAS nourrissent une certaine hostilité, selon Liberman, cité par Guyot), celui des travailleurs sociaux (dont le fondement de l’identité professionnelle, basée sur l’unité de la fonction éducative, empêche tout autant que l’absence d’organisations représentatives de considérer le handicap, secteur limité, comme support d’action collective), et quelques associations (dont le mouvement de lutte des handicapés, MDH, ou le comité de lutte des handicapés, CLH), ont tout à la fois été écartés des travaux préparatoires à cette loi, puis l’ont vivement critiqué, pour des raisons diverses. Parmi ces critiques, on peut rapporter celle qui pointe la volonté de « distribuer l’éducation en fonction des situations des uns et des autres », ce qui induit la nécessité de catégoriser les élèves de manière précoce, et d’accentuer les phénomènes de ségrégation. (Chauvière, 2000). Ayant travaillé sur ces questions à la fin de la décennie 1970, Michel Chauvière ajoute que :


« [Sa] recherche à l’époque n’a pas permis de trouver pour la période autour de juin 1975 de handicapés ou d’associations regroupant des handicapés, en accord avec l’esprit et les applications pratiques de cette loi (…) pourtant dite en leur faveur ».


Au contraire bien évidemment des associations historiques gestionnaires d’une majorité d’établissements.

Nous avons abordé l’esprit de la loi au travers de notre analyse de la terminologie du handicap et de ce qui la sous-tend. Penchons maintenant sur les applications pratiques de cette loi.

1.3.2.3 Principes généraux

Les commissions d’orientation et de dépistage créées se doivent de répondre à l’ouverture du champ aux adultes. Ainsi outre la commission départementale d’éducation spéciale (CDES), qui se décompose pour le primaire en commission de circonscription préscolaire et élémentaire (CCPE), et pour le secondaire en commission de circonscription du second degré (CCSD), un décret ultérieur de 1983 créé la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP). Dans la perspective de notre présent travail, nous nous limitons à l’analyse des CDES, directement créées par la loi (confère partie suivante).
Les interventions de l’ensemble des acteurs, dont font partie les commissions, sont coordonnées par l’Etat, par le biais d’un comité interministériel de coordination en matière d’adaptation et de réadaptation. Il est assisté d’un comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Ces deux créations répondent aux mentions faites par l’intergroupe « handicapés inadaptés » du commissariat général au plan, notamment à ses préconisations de 1971 sur la « nécessité d’une coordination permanente ». Cette dernière représente pour l’Etat la seconde face de l’ « obligation nationale » : au-delà des missions de prévention, de dépistage et de réadaptation, assurées en grande partie par l’initiative privée, se pose la nécessité pour lui d’instaurer un mode de contrôle public, sorte de « garantie républicaine ». (Stiker, 2000b)
La loi crée des droits, et un ensemble de mesures pour les concrétiser, bien qu’elle « innove marginalement », selon Guyot (2000), en accord avec la dialectique innovation législation qui constitue une des propriétés du champ. Elle entérine plutôt une évolution de la société et, de la même façon que le dispositif d’après-guerre avait légitimé les ARSEA puis créé l’UNAR, consacre législativement des positions déjà acquises. Néanmoins, les créations institutionnelles qu’elle met en place sont décisives quant à la structure du champ de l’éducation spéciale, en particulier la commission départementale d’éducation spéciale. La première raison en est que la notion de handicap ne se trouve pas définie dans la loi, et qu’il revient aux CDES de déterminer qui l’est et qui ne l’est pas – et ainsi qui peut bénéficier des droits afférents.


1.3.2.4 Les CDES, porte d’entrée vers les institutions

A l’opposé, c’est l’ensemble des orientations vers les institutions de l’éducation spéciale qui sont à mettre sur le compte de l’activité des CDES. En effet, avec elles disparaît le recrutement direct des établissements, la possibilité pour les professionnels de sélectionner leur clientèle et pour les parents de choisir l’institution dans laquelle ils souhaitent voir inscrits leurs enfants. Présidée alternativement par le directeur de la DDASS et par l’Inspecteur d’Académie, la CDES est composée de représentants du corps médical, de la caisse d’allocations familiales, de l’Education Nationale, d’associations de familles d’enfants handicapés et d’associations de parents d’élèves.

La généalogie des CDES s’établit avec les anciennes commissions médico-pédagogiques, qui assuraient jusque là « le recrutement des classes de perfectionnement, des SES et des écoles nationales de perfectionnement ». Avec la loi de 1975, elles vont désormais assurer le recrutement des IMP et IMPro. « C’est donc directement de l’école que va s’organiser le recrutement de la clientèle pour ces établissement », écrivent avec raison Pinell & Zafiropoulos en 1978.

Les CDES ont une « influence dans le maintien des formules de scolarisation spécialisée dans le secteur socio-éducatif. », écrit de son côté Eric Plaisance (1996). En effet, des recherches effectuées sur ces commissions au début des années 1990 ont montré que  « [leur] volume d’activité a un rapport direct avec l’offre d’équipement du département », en d’autre terme, plus il y a d’institutions spécialisées dans le département, plus les CDES oriente vers elles. Ainsi, résume Plaisance, l’activité des CDES dans l’orientation des enfants handicapés est l’expression d’une « double logique institutionnelle : l’exclusion du milieu ordinaire (l’école est à l’origine de la demande, le plus souvent), et le clientélisme du secteur privé ».
Cette commission commande ainsi l’accès au statut de handicapé, avec les droits afférents qui s’expriment en aides financières mais qui se traduisent aussi par des « carrières institutionnelles », selon l’expression de Jean-Paul Tricard (1981), qui se résume aussi par celle de « destin social ». L’accès à ces filières spéciales hors l’école, ou aux classes et écoles de perfectionnement, dépend donc entièrement des CDES, qui en deviennent le « sas » (Triomphe, 1999), et de son travail d’examen des dossiers des enfants. Ainsi, en milieu ordinaire ou en milieu spécialisé, se trouve assurée « l’obligation éducative » dont la loi « en faveur des personnes handicapées » fait mention


1.3.2.5 L’obligation éducative

Dans la période de préparation de la loi se déroule de fréquents affrontements entre l’Education Nationale et le ministère de la Santé, sur le sujet des compétences administratives et de leur attribution, en particulier autour de la composition des commissions et sur le sujet de l’obligation scolaire ou de l’obligation éducative. Ce débat mobilise, en la faveur de l’obligation scolaire, une bonne partie de la gauche, mais se trouve clôt par la mention dans l’article 4 de la loi du terme « obligation éducative », qui est définie comme se déroulant soit en milieu ordinaire, soit en milieu spécialisé, l’orientation étant laissée aux CDES.

Cette controverse précédant la loi est intéressante en ceci qu’elle est révélatrice du glissement du cœur du débat autour de l’enfance anormale, ou handicapée : on passe de l’opposition éducables/inéducables au début du 20ème siècle à celle d’obligation éducative/obligation scolaire. Ceci consacre en fait la victoire du principe d’éducabilité de tous les enfants. Ainsi proclamée par la loi, et s’inscrivant des structures du champ de l’enfance inadaptée devenant handicapée


Ecole et handicap après 1975 :
la dynamique formelle de l’intégration scolaire

Si on peut voir dans la formulation de l’article quatre de la loi « en faveur des personnes handicapées » de 1975 la préconisation d’une éducation qui devrait s’effectuer de préférence dans le milieu ordinaire, on peut également, et peut-être surtout, y retrouver une manifestation d’une des dynamiques fondamentales du champ, à savoir que l’entrée dans l’éducation spéciale s’effectue par rapport à la mesure de non-conformité scolaire. L’article dit en effet que tous les enfants reçoivent « soit une éducation ordinaire soit, à défaut, une éducation spéciale ».

On ne trouve pas de rappel ou de précisions réglementaires sur le sujet de l’éducation scolaire pour les enfants handicapés avant les circulaires de 1982 et 1983, produites conjointement par les ministères des affaires sociales et de l’éducation nationale. Ce sont les deux premiers textes officiels qui font mention de l’intégration scolaire. A leur suite, la loi d’orientation du 10 juillet 1989 précise que « l’intégration des jeunes handicapés est favorisée. Les établissements et services de soins et de santé y participent. ». Cette mention est complétée par une circulaires de 1991.

Ainsi réglementairement encadrée, l’intégration scolaire prend une forme qui correspond à ce que pouvait produire l’histoire des relations entre l’école et l’éducation spéciale et sa force dans le champ éducatif, une forme « à la française » qui se distingue de celle d’autres pays européens.


Dans ce modèle, l’« intégration [est] entendue comme le passage d’un enfant d’une structure éducative à une autre structure, moins spécialisée [au travers d’un] processus continuellement révisable », axé sur la « mise en pratique d’un projet intégratif » qui se doit d’articuler trois dimensions : le scolaire, l’éducatif et le thérapeutique, et que mentionne déjà les circulaires de 1982 et de 1983. (Plaisance, 1996)


Ainsi définie, l’intégration scolaire s’appréhende non comme un processus radical mais comme basé sur une multiplicité de modalités dynamiques : elle peut être individuelle (au sein d’une classe ordinaire), collective (dans une structure spécialisée de l’Education Nationale, classe annexée de perfectionnement ou, à partir de 1991, classes d’intégration scolaire (CLIS) ou unités pédagogiques d’intégration (UPI)), à temps plein ou temps partagé avec une présence dans une institution spécialisée…etc.

Le choix de ce modèle d’intégration ne fait donc que s’ajouter aux modalités existantes de scolarisation au sein des filières spécialisées, sans s’y substituer. Il s’oppose à la situation italienne, où le spécial a été aboli au profit d’une intégration radicale et complète de l’enfance handicapée dans le milieu scolaire ordinaire, ou aux situations allemandes ou néerlandaises au sein desquelles les filières entre milieu ordinaire et milieu spécialisé sont très cloisonnées et très différenciées. Entre les deux pôles italien et allemand ou néerlandais, tout se passe comme si la France avait fait le choix d’un entre-deux que dans une perspective d’analogie avec le politique on peut qualifier de « réformiste », face au choix « révolutionnaire » de l’Italie, par exemple. Les caractéristiques du « modèle français » ne sont pas sans avoir des conséquences pratiques et matérielles sur le champ de l’éducation spéciale.

Dans un article de 1999 titré « les structures de l’éducation spéciale », Annie Triomphe écrit ainsi que ce champ présente de très nombreuses structures (c’est à dire un « parc très important d’établissements ») et très peu de services (destinés à « soutenir et aider les jeunes et les parents » dans leur milieu de vie). Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui émergent après les circulaires de 1982 et de 1983, dans la voie ouverte par la nouvelle politique que constitue l’intégration scolaire, et qui contribuent à commencer de faire augmenter la part des services, au détriment de celle des établissements. Parmi les créations, on trouve : les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), les services d’accompagnement familial et d’éducation précoce (SAFEP), les services de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire (SSEFIS), les services d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à l’intégration scolaire (SAAAIS). Il est notable de constater que l’émergence du paradigme de l’intégration active également la propriété du champ selon laquelle tout changement dans les énoncés implique des créations institutionnelles ; la différence avec ce que l’analyse de l’histoire du champ nous a montré jusqu’à présent est que les énoncés qui évoluent ici sont certes d’ordre notionnel, avec l’émergence du handicap et des handicapés, mais aussi politique, par le truchement d’un nouveau paradigme de l’action publique.

En 1999 le plan dit « handiscol » se donne pour vocation de relancer la politique d’intégration, dont les effets tardent à se concrétiser. Enfin, la loi du 11 février 2005 dite « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » abroge les dispositions prises par celle du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées en créant une nouvelle armature institutionnelle et en proclamant le droit à la scolarisation en milieu ordinaire pour tous les enfants.

































La période 1945-1975 voit le handicap à la fois s’opposer et s’ajouter à la notion d’inadaptation comme référentiel dominant en matière d’action publique et privée, et permet au champ de l’enfance inadaptée, qui concernait alors seulement les enfants et adolescents, de s’élargir aux adultes. Mais la mention de cet élargissement ne suffit pas pour rendre compte du mouvement de globalisation de l’ensemble du secteur naissant de l’action sociale, tel qu’il est voulu par les dirigeants de l’époque, et qui se propose alors d’absorber le champ du handicap. Ajouter ainsi à l’analyse l’émergence, au début des années 1970, de la notion d’exclusion, qui va s’imposer progressivement comme le nouveau référentiel global de l’action publique en matière d’action sociale à la faveur de la crise économique des années 1980 et 1990, englobant tout à la fois les restes de l’inadaptation, du handicap, du chômage, de l’insertion et de la réinsertion, etc., semble tout à fait indispensable.

« La loi de 1975, pensée et préparée à l’époque de l’expansion économique, du quasi plein-emploi (…), s’est appliquée dans une période de dépression », note Stiker en 2000, provoquant ainsi une double contrainte, un double-bind : « entre un Etat-providence et un Etat qui dit ce n’est pas mon affaire ». Elle constitue également une « formalisation des rapports entre les associations spécifiques du handicap et l’Etat » qui s’organisaient déjà, comme le montre le rôle des associations gestionnaire dans la préparation du contenu de la loi, selon les principes d’un « partenariat au plus haut niveau » doublé d’une « régulation mixte ». L’importance politique progressivement prise par les associations est marquée par le nombre d’établissements gérés, le nombre de place offertes et d’enfants accueillis, le nombre de salariés ; autant d’éléments qui les amène à jouer un rôle de partenaire vis-à-vis des pouvoirs publics et non plus seulement de substitut. (Plaisance, 2000). Les associations APAJH et UNAPEI vont ainsi voir leurs intérêts converger et, de fait, leurs positions initialement antagoniques sur un certain nombre de points vont déboucher sur des prises de positions beaucoup plus proches.

Les « échecs de toutes les tentatives pour imposer un cadre national public de coordination du secteur de l’enfance inadaptée ne se comprennent que sur le fond de l’alliance stratégique entre les « œuvres » et la médecine contre toutes les menaces de nationalisation », écrit Francine Muel-Dreyfus en 1980. En effet, si la loi de 1975 est construite contre l’avis d’une frange de la psychiatrie, elle n’oublie cependant pas de réserver à l’expertise médicale une place de choix, qu’elle n’a de toute façon jamais perdue au sein des établissements privés.
Enfin, la loi de 1975 inaugure une bipolarisation du sous champ de l’enfance inadaptée, entre rééducation et réadaptation d’un côté (Santé et Education Nationale, les handicapés), et protection de l’enfance de l’autre (Justice, les délinquants).


La loi du 11 février 2005




« Le seul fait de devoir, trente ans après, réaffirmer l’égalité des droits des personnes handicapées avec celles qui ne le sont pas, ou leur citoyenneté pleine et entière, indique assez que les objectifs de la loi du 30 juin 1975 n’ont pas toujours été atteints. Il en va ainsi du principe de l’accès de droit des personnes handicapées aux institutions ouvertes à tous. »

Marie-Claude Mège-Courteix (2007)




1.4.1 Une loi consacrant l’inclusion


Nous l’avons évoqué : les termes d’inclusion ou d’éducation inclusive ne sont pas mentionnés dans le corps du texte de la loi de 2005. Mais plusieurs indices, qui forment ce qu’on peut appeler une part de l’ « esprit » de la loi, nous montre que leur absence matérielle se double d’une présence dans les principes, au contraire de la notion d’intégration. La notion d’éducation spéciale et l’épithète spéciale ne sont ainsi pas citées, d’une part, et la notion de scolarisation est abordée par le prisme du thème de l’accessibilité généralisée, d’autre part.


Un des principes de cette loi est de consacrer comme un droit l’inscription de tout enfant handicapé ou avec un problème de santé invalidant dans l’établissement scolaire le plus proche de son domicile, « l’établissement de référence ». Ce droit n’exclut ni le fait que l’inscription peut être dite « inactive », selon les termes du Ministère, ni que la scolarisation s’organise selon des modalités de temps partagé entre établissement de référence et institutions spécialisées.



1.4.2 Une définition du handicap

Une différence fondamentale avec la loi de 1975 est que la loi de 2005 propose une définition du handicap. L’article 2 de la loi du 11 février 2005 crée un article L.114 du code de l’action sociale et des familles, qui est ainsi rédigé :


« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de la santé invalidant. »


Voici ce qu’une inspectrice d’Académie et ancienne responsable du bureau adaptation et intégration scolaire à la direction générale de l’enseignement scolaire, Marie-Claude Mège-Courteix, écrit à son propos, en 2007 :


« [Elle] entend s’inscrire dans une approche « interactive » du handicap puisque c’est bien au contact de l’environnement que s’apprécient les désavantages subis par la personne, et selon que cet environnement sera restrictif ou facilitateur, la capacité d’autonomie s’en trouvera substantiellement réduite ou élargie, d’où l’importance accordée à l’accessibilité de la cité. Mais, simultanément, est retenue l’exigence d’un lien à établir entre cette limitation et l’altération d’une fonction ou un trouble de la santé dont est affectée la personne, justifiant la mise en œuvre d’un processus de compensation. C’est dire que, pour être bénéficiaire de la loi, il faut apporter la preuve que le préjudice subi est la conséquence de cette altération ou de ce trouble. »


Nous pouvons constater, au-delà de l’analyse fournie sur la question de l’évolution de la perception du handicap, que sa définition se trouve directement mis en relation avec les catégories d’accessibilité et de compensation. La construction de la définition juridique d’une notion comme le handicap semble donc s’effectuer en fonction de la structure du corpus juridique qui l’accueille et en particulier en fonction des notions et concepts qui le dominent à ce moment précis, qui induisent un mode de pensée et d’action (relatif à d’éventuels territoire professionnels) et un périmètre de mise en œuvre (relatif à la segmentation de tutelles administratives) qui leur sont directement référés. La dialectique accessibilité/compensation se trouve ainsi consacrée à la fois comme élément central de réflexion sur les principes devant guider l’action publique, comme cadre quasi exclusif de cette dernière et comme nouveaux mots magiques présidant à l’action cloisonnée de futurs et vraisemblables nouvelles partitions professionnelles.
Marie-Claude Mège-Courteix insiste dans la suite de son texte, et dans le sillage de ce qu’elle évoque dans l’analyse précitée, sur ce que cette définition, et le texte de loi qui la contient, permettent à la France « de se trouver en adéquation avec les classifications internationales ». En effet, tout comme la CIFH de 2001 a cessé de considérer le handicap comme devant relever d’un classement propre en l’incluant dans une approche globale qui met en exergue les liens qui unissent handicaps et situations de handicap d’une part, la personne handicapée et son environnement d’autre part, la définition de la loi de 2005 implique de considérer la nature du handicap non plus comme spécifiante et relative à une vision défectologique, mais comme le résultat d’une interaction dynamique entre des troubles de la santé et des situations environnementales propres à la vie sociale. Ainsi, à l’instar de la loi de 1975, et conformément à une dynamique du champ selon laquelle toute initiative législative, loin d’innover, vient consacrer des évolutions antérieures, la loi de 2005 vient acter dans le Droit des orientations préexistantes.
En ce qui concerne l’éducation, et en particulier la scolarisation, nous pouvons noter que la loi, qui comprend 101 articles, en modifie une dizaine au sein du code de l’éducation. A l’instar de l’appréciation portée par Charles Gardou sur l’inclusion, Marie-Claude Mège-Courteix écrit que « l’impact de la loi excède – et de beaucoup – le seul champ de la scolarisation des élèves handicapés ». Son volet « scolarisation » comporte quelques ruptures dans les ambitions et les orientations proposées.


1.4.3 Handicap et difficultés scolaires

L’histoire de l’enfance handicapée telle que nous l’avons abordée montre que l’école s’est constituée comme l’institution étalon de la mesure de la non-conformité. De fait, toutes les situations d’échec scolaire, ou presque toutes, étaient assimilées à un handicap ; et si ça n’était pas systématiquement le cas au niveau institutionnel ou administratif (que l’on songe aux orientations par défaut, plus ou moins automatiques, des élèves les moins bons vers les filières dites de relégation), ça l’était tout à la fois très souvent pour les familles, les professionnels et le sens commun. La loi de 2005 rompt (formellement) de manière tranchée avec ce modèle et invite, du fait des dispositions légales qu’elle institue, à faire la différence entre les échecs ou difficultés scolaires dus à des causes relevant de la définition du handicap et ceux dus à des causes qui en sont extérieures :


« Pour qu’un dossier d’enfant ou d’adolescent soit reconnu par la MDPH comme relevant de sa compétence, il devra, d’une part, être constitué à la demande exclusive de ses parents ou de son représentant légal (et non plus de l’école), d’autre part, être étayé par des éléments médicaux retenant a minima la présomption forte d’une corrélation entre les difficultés observées en milieu scolaire et « une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de la santé invalidant. » (Mège-Courteix, 2007)

Cette perspective ouvre bien des pistes d’analyse. Entre autre chose, elle pousse à interroger les origines de la volonté politique aboutissant à ces dispositions. Elle invite à interroger les pratiques pédagogiques pensées à destination des élèves qui se retrouvent en difficulté face aux exigences scolaires, et qui ne rentrent plus dans le périmètre du handicap. Elle invite également à penser celles destinées aux élèves qui y voient leurs difficultés référées. Surtout, elle commande une analyse des modalités de travail des commissions statuant sur la conformité ou non au champ des droits ouverts par la reconnaissance d’un handicap.

Cette dernière piste nous semble particulièrement importante : en effet, parmi les 49 enfants accompagnés par les 6 auxiliaires de vie scolaire individuels que nous avons interrogés, il est frappant de constater (dans le tableau 2, page...) qu’ils sont 51% à être concerné par des catégories pour lesquelles on peut soupçonner qu’elles ne recouvrent pas (ou pas systématiquement) de déficience avérée (« Troubles des apprentissages, du comportement, du langage, dys-, indéfini »).

Par contre, sur notre échantillon, les 10 % des enfants qui ont été retirés de leur famille et placés dans une famille d’accueil (5 sur 49) font partie de cette catégorie assez vague. Ce qui, en prenant en compte tous les éléments d’ordre méthodologique exposés en introduction, et sans tirer de conclusions hâtives, invite pour le moins à considérer qu’il n’est pas impossible que les CDAPH soient parfois soumises à la représentation selon laquelle les enfants issus de familles en grande difficulté sociale sont intrinsèquement handicapées, ou à tout le moins que ces commissions utilisent le dispositif AVS pour soutenir des enfants dont les difficultés (les mises en échec) n’ont rien à voir avec les territoires du handicap. Plus généralement, ces remarques invitent à questionner ce que la géographie du handicap réserve comme région, plus ou moins secrète, plus ou moins liée à une véritable déficience, aux classes populaires – et donc à questionner un éventuel usage des dispositifs légaux autour du handicap pour y reléguer des enfants qui n’ont a priori rien à y faire et qui n’en relèvent pas.


De fait, elles invitent également à questionner la nature du travail confié aux AVS-i quand celui-ci concerne des enfants dont les situations sont tellement éloignées de l’imaginaire social du handicap, de ce que les médias en montrent (le plus souvent, un enfant en fauteuil roulant ou un enfant autiste) et mêmes des réalités de la déficience.


Laissons Cécile, qui a accompagné trois enfants « placés en famille d’accueil », nous parler (succinctement) d’eux :



Cécile : (...) H. donc c’était une enfant qui était placée en famille d’accueil… euh de très gros troubles psychologiques… C’était une enfant qui a été laissée à l’abandon étant toute petite, tout le reste de la fratrie a été placé (...) (Page 6)





Cécile : alors T., un gamin qui est placé en famille d’accueil… euh là on était plus en contact avec l’ASE… euh…c’était un gamin euh… très euh… très….hyper turbulent quoi… hyper turbulent (...) et il a été déscolarisé en plus, ouais c’était euh… une vraie catastrophe, l’école ne voulait plus de lui… (...) ... il y a eu des demandes de faites en ITEP [institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, nouvelle dénomination des IR, instituts de rééducation, NDR] aussi, mais là du coup j’ai pas eu de nouvelles (Page 17-18)



Cécile : ouais…C. alors c’est pareil, ça été un truc… (...) (Les mains font un geste de ramassage)... hyper condensé, C.… y’avait urgence, j’avais trois heures, [l’enseignante référente] m’a collé là-bas, un petit bled derrière V., tu sais sur la gauche là, je sais plus comment ça s’appelle… (...) [C’était un petit garçon] ultra violent, je sais même pas ce que c’était… un truc euh… un gamin qui vivait avec sa mère, tout le reste de la famille était placé… ouais le môme il se mettait en danger, il se barrait de l’école (...) (Page 5)


Au-delà de ces éléments, la perspective ouverte par la distinction posée par la loi entre difficultés scolaires relatives à un handicap et difficultés scolaires qui n’en relèvent pas, semble se situer dans le sillage et favoriser les principes de l’éducation inclusive, et d’une volonté politique de déspécialisation ou, pour le moins, d’ordinarisation du spécialisé. Seulement, nous pouvons aussi noter qu’en l’absence de la mention de « besoins éducatifs particuliers », rejeté par le législateur, le handicap continu d’être spécifié, même s’il l’est au sein d’un milieu non spécialisé. En outre elle relève, il est de notre point de vue nécessaire de le rappeler, de l’affirmation d’intentions politique dont le rapport à leurs applications pratiques se doit d’être interrogé.

Ces dernières trouvent avec cette loi de nouvelles modalités de mise en œuvre.


1.4.4 Le projet consacré et reçu par
un nouvel appareillage institutionnel

Le point qui nous semble le plus important à présenter ici est la notion de projet, qui trouve dans la loi une place tout à fait éminente. La personne handicapée doit en effet rédiger un projet de vie – sur la base duquel est construit un plan personnalisé de compensation, dit PPC. Quant à la question plus spécifique de notre sujet, la scolarisation des enfants handicapés, elle s’effectue au travers du versant scolaire du PPC que constitue la formalisation d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS), qui consacre les orientations qu’avaient inaugurées les circulaires de 1982 et de 1983 en la matière. Le PPS doit être l’objet de l’implication de toutes les parties intervenant dans sa mise en œuvre : la famille, l’enfant lui-même, l’enseignant, les personnels spécialisés.

« La scolarisation d’enfants handicapés est appréhendée comme un acte de création particulier à chaque élève, qui repose sur la différenciation des pratiques pédagogiques, la présence de professionnels chargés d’accompagner le ou les élèves tout au long du processus de scolarisation » écrit Serge Ebersold en 2004.


L’histoire de l’intégration scolaire, ici brièvement effleurée, et celle de son corollaire l’accompagnement, montrent ce que ce fait doit à la définition progressive du travail des accompagnants comme devant être référée au projet personnalisé de scolarisation et comme ne devant s’appliquer qu’au seul élève accompagné, selon un principe considérant que l’intégration est pensée sur un mode individualisant qui pose le collectif au second plan. En ce sens, l’ « omniprésence des notions de projets, réseaux, partenariat » se trouvent justifiée puisque c’est la conjonction de l’ensemble des acteurs travaillant avec l’enfant qui est ainsi pensée comme condition de réussite du processus de scolarisation. Les accompagnants, comme les enseignants, sont ainsi invités par les textes parus depuis une dizaine d’année à « s’investir dans la définition du projet individualisé, impliquer les parents, et se concerter pour articuler leurs pratiques et leur niveau d’intervention. »

La notion de projet n’est pas sans poser quelques questions essentielles. Ainsi celle qu’a exprimée Serge Ebersold lors d’une conférence en mars 2009 : les parents d’enfants handicapés doivent, relativement à leur volonté de voir leur enfant à l’école ordinaire, formuler un projet et donc se questionner, « là où les autres parents n’ont pas à se justifier de pourquoi scolariser leur enfant ». Si la loi de 2005 consacre le droit à la scolarisation, il revient aux parents de le faire valoir au travers du projet, condition de la scolarisation.

Quel sens alors donner au projet ? Qui sert-il, au-delà des affirmations rituelles (extrêmement bien distribuées entre tous les agents) consistant à dire qu’il s’agit de « l’intérêt de l’enfant » ? Il y a ici, de notre point de vue, matière à recherche.

La notion de projet appelle également une analyse des notions de collaboration, concertation et coopération, ainsi que le laisse supposer Philippe Mazereau (2009) quand il prône en la matière, à la suite d’Edgar Morin, une « reliance éthique », qu’il définit comme émergeant « loin des binarisations de la pensée disjonctive qui peuplent nos classifications spontanées ». Se positionnant en faveur de la notion de coopération, Mazereau écrit ainsi :


La collaboration ou la concertation « ne permettent aux professionnels que de participer de façon indépendante à une tâche, sans possibilité de réciprocité ou de partage de responsabilité. (…) Avec les meilleures intentions, celles de respecter le travail des autres professionnels, de garantir la confidentialité de certaines données personnelles, nous sommes au mieux restés dans un cloisonnement et une ignorance polie des contraintes de chacun des intervenants. »



Quoi qu’il en soit, c’est un fait que le projet personnalisé de scolarisation constitue un élément incontournable de toute scolarisation d’enfants en situation de handicap, et qu’il cristallise, formellement en tout cas, les possibilités d’action des uns et des autres acteurs du processus de scolarisation, qui se situent « dans la mise en cohérence [des] interventions ».

« Formellement » car, à bien lire les entretiens réalisés avec les six AVS-i (soit plus de dix heures), on est frappés de l’absence totale de toute mention du PPS – nous avions fait le choix de ne pas questionner les AVS-i sur ce point, sentant intuitivement que la place qu’il occupe dans les textes était à peu près inversement proportionnel dans le quotidien des AVS-i. En lieu et place d’un « projet », totalement absent de la parole des AVS-i interrogés, on observe plutôt un processus de négociation et d’ajustement réciproque :



Noémie : [lors de la première rencontre avec l’enseignant] voilà donc on parle de l’enfant, on explique les difficultés de l’enfant et tout ça, euh comment après euh… ‘fin voilà on parcours tout de l’enfant, après par exemple l’enseignant des fois ne connaît pas l’enfant donc on est juste sur un dossier, toutes les deux on est dans l’inconnu, donc euh voilà on parle des fois vite fait ou des fois un peu plus de l’enfant ça dépend… ensuite euh bah l’enseignante m’explique un petit peu son fonctionnement et c’est vrai qu’après moi derrière bon bah moi je lui explique quel est mon rôle et tout ça face à l’enfant, comment … comment je peux travailler avec donc des fois elle me pose des questions du genre est-ce que je travaillerais que pour l’enfant ou est-ce que je travaillerai en groupe aussi avec l’enfant dans le groupe, donc ça je lui dit que oui, au contraire, parce que c’est vrai que ça passe par justement l’intégration de ces enfants… et euh… comment… et après souvent en … en .. j’dirais en final je viens souvent à leur expliquer voilà que moi de toute façon je ne suis pas là pour… parce que je sais des fois que les enseignants sont mal à l’aise…peuvent être mal à l’aise… moi je suis pas là pour juger qui que ce soit, moi je viens faire mon travail, je viens aider un enfant, après moi je suis dans la classe et puis après bah voilà moi j’estime que je fais partie de la classe c’est à dire que si l’enseignante a besoin ponctuellement euh de mettre en place un atelier mais qu’elle ne fait pas intervenir les enfants pour une raison x ou y, je ne vais pas attendre dans mon coin que les choses se fassent, je vais aider l’enseignante… si l’enseignante a besoin de s’absenter de la classe pour une raison aussi x ou y comme un enfant malade ou autre, si elle me demande de gérer la classe entre guillemets pendant son absence je le ferais, parce que euh je suis une adulte donc avant tout j’ai mon rôle d’adulte à faire c’est à dire face à ces enfants là qui pourraient (…) faire des bêtises (…) … ça je suis tout à fait capable de le faire et euh.. voilà… donc c’est un peu comme ça que je fonctionne (…) (Page 28)


Nous pouvons dès lors le constater : à un moment où le projet personnalisé de scolarisation, censé définir précisément les tâches de l’AVS-i (qui est un moyen inscrit lui aussi dans le PPS), devrait occuper une place centrale dans le temps préalable à l’accueil de l’élève, il est au contraire totalement absent et laisse la place à une improvisation de construction de processus de coopération.

La loi refond également complètement le paysage institutionnel qu’avait créé la loi de 1975. Des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) apparaissent qui regroupent à l’échelle du territoire du département l’ensemble des services auparavant répartis dans plusieurs administrations. Deux instances administratives sont créées, qui remplacent les CDES et COTOREP : l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation (EPE), qui a pour mission, après examen du projet de vie, d’évaluer les compétences et les besoins de la personnes handicapée et d’élaborer son plan personnalisé de compensation, et la commission des droits et de l’autonomie de la personne handicapée (CDAPH), qui permet d’ouvrir ou pas les droits en matière d’attribution de prestations (comme l’accompagnement scolaire, en fonction du contenu du PPS) ou d’orientation.

En outre, la loi substitue aux anciens secrétaires de CCPE une nouvelle fonction : l’enseignant référent, qui se doit d’être un « facilitateur de la scolarité » des enfants handicapés (Mège-Courteix, 2007), en faisant le lien entre l’EPE et la CDAPH, la famille, l’école et, éventuellement, les accompagnants scolaires. Il doit de plus animer les équipes de suivi de la scolarisation (ESS), qui réunissent l’ensemble des parties prenantes au projet personnalisé de scolarisation. Ces nouvelles dispositions, censées mettre en œuvre une logique de rupture avec les pratiques antérieures, sont relativement récentes et l’analyse ne peut d’ores et déjà se donner comme contrepoint aux discours ayant porté et expliqué cette loi. Néanmoins, nous pouvons mentionner le fait qu’ainsi que l’écrivent Patrice Pinell et Marcos Zafiropoulos (1978) à propos de la loi de 1909 :


« (...) il ne suffit pas de remporter la partie du point de vue des catégories savantes et de leur inscription dans le discours juridique ou officiel pour que soit bouleversé le fonctionnement quotidien des institutions ».


La loi de 2005, constatent Michel Chauvière et Eric Plaisance (2008), possède une forte ambiguïté car elle « énonce à la fois le droit à l’inscription en milieu ordinaire, mais laisse largement ouvertes les diverses possibilités de scolarisation effectives ». Parallèlement, la judiciarisation du droit à la scolarisation, qui est une des conséquences de l’affirmation législative des « droits de la personne handicapée », et qui est présentée par le pouvoir politique comme un progrès pour faire valoir le droit à la scolarisation, n’échappe pas à cette ambiguïté puisqu’elle demande à la fois « la possession d’un capital culturel revendicatif, des moyens pécuniaires et une subtile gestion du temps » qui sont autant d’éléments dont la distribution sociale est très différenciée. Nous pouvons enfin remarquer, à la suite de Marie-Claude Mège-Courteix, que le titre de la loi, qui réaffirme, comme rituellement, les droits égaux des personnes handicapées d’avec celles qui ne le sont pas, constitue un indice de l’échec du dispositif mis en place par la loi de 1975, notamment ce qui concerne le droit d’accéder aux espaces sociaux ouverts à tous.


Les aspects cognitifs du champ de l’éducation spéciale se sont constitués en référence aux savoirs médicaux et psychologiques, là où ceux de l’éducation scolaire sont centrés sur des disciplines comme la pédagogie et la didactique. Il y a de nombreuses oppositions entre tous ces savoirs, mais un point commun qui consiste en une « naturalisation des déficits ». Celle-ci s’organise selon une conception des diverses formes de handicap qui occulter leur « rapport avec les situations susceptibles de révéler les troubles, voire de les générer » (Ebersold, 2003), c’est à dire selon un « modèle défectologique » qui a structuré la professionnalisation du métier d’éducateur mais aussi celui de l’enseignement spécial. (Gateaux-Mennecier, 2000). Cette vision, qui ne se pense évidemment pas comme telle, s’est vue délégitimée par la loi n°2005-102 du 11 février 2005, qui porte en elle également une forme d’injonction de coopération en direction des éducations spéciale et scolaire.

Ces dernières ont constitué des métiers semblant formellement parallèles, et intervenant de plus en plus auprès des mêmes populations. Mais « entre les familles et l’Etat », écrivent Michel Chauvière et Eric Plaisance en 2008, « ces deux modèles de professionnalisation (…) ont développé des spécificités techniques et sociales correspondant à la division historique du travail rééducatif ».

L’émergence de la politique d’intégration scolaire des enfants handicapés a permis, parallèlement, celle d’un nouveau type de personnel, chargé de l’accompagnement scolaire de ces élèves, c’est à dire d’une mission dont la mise en pratique combine à la fois des éléments relevant de la tradition de l’éducation scolaire (par exemple le cadre spatial et symbolique de la classe, les objectifs d’apprentissage et de socialisation) et d’autres inhérents à la nature de l’éducation spéciale (une intervention personnalisée décidée par une commission de spécialistes, un public accompagné qui relève exclusivement de l’enfance handicapée, etc.).

Le personnel accompagnant scolaire semble donc se trouver à l’intersection des relations entre deux « plaques tectoniques » (Bordeau & Bourget, 2009), à l’interface entre deux systèmes dont le contact fait naître de nouveaux enjeux autour de la conception que chacun d’entre eux a de « la philosophie politique de l’éducation, [du] statut de l’enfant à éduquer, (…) [du] rapport à la famille, à l’Etat, à l’environnement économique, à l’insertion et même à l’orientation ». (Chauvière, Plaisance, 2008). La notion d’inclusion, nouveau paradigme de l’action publique, est elle aussi déterminée par des conceptions particulières de tous ces sujets, qui semblent lui être autant de préalables épistémologiques.

D’un point de vue pratique, les relations entre le scolaire et le spécial (qui ne se nomme plus comme tel) concernent aussi « les modes de compréhension des difficultés de l’enfant et les modèles de professionnalité à l’œuvre dans l’action éducative ». Il nous apparaît que l’existence de l’accompagnement scolaire, en tant qu’il semble se constituer comme un symptôme des difficultés pour ces deux systèmes à la fois antagoniques et jumeaux de se décloisonner – la « cloison » étant partie intégrante de leur structure –, questionne d’une manière très forte ces deux thèmes. Sa pratique, en l’absence d’institutionnalisation d’une norme légitime pouvant la définir et la circonscrire, porte également en elle les germes mêlés des traditions et des savoirs propres aux deux systèmes.

Mais qu’en est-il du nouveau paradigme d’action publique qu’est l’inclusion, consacrée par la loi du 11 février 2005 ? D’où vient ce terme et quelles sont les caractéristiques de son histoire, jusqu’à ce qu’il vienne représenter une nouvelle façon de nommer la scolarisation des enfants handicapés ?



Chapitre 2 : Les mondes des inclusions : origines, circulation, utilisation



De l’intégration à l’inclusion : éléments historiques 


Les inclusions

Etymologie

Nous l’avons évoqué, en ce qui concerne l’école la notion d’inclusion prend historiquement la succession de celle d’intégration : cette succession notionnelle serait aussi celle d’une évolution paradigmatique. Mais le terme de « inclusion » ne se limite pas à son usage appliqué à l’école. Afin d’éclairer ce qui constitue le soubassement de cette notion et ce qui permet à ses promoteurs et détracteurs de lui faire dire qu’elle désigne quelque chose de différent de l’intégration (ou pas), nous allons tenter d’en faire ici une brève analyse générale – manière d’introduire les suivantes.

Le premier élément notable concernant ce terme est son étymologie. « Inclusion » est issue du latin claudere qui signifie « fermer » et avec lequel on forme aussi in-claudere, « enfermer ». Le terme inclusio signifie ainsi « emprisonnement ». Il a donné « cloitre », « clore », « conclure ». Il s’agit là d’un étrange paradoxe des origines puisque ce terme est souvent présenté comme un nouveau paradigme censé dépasser celui, daté et limité, de « intégration », libérant ce faisant les individus concernés par les processus inclusifs du poids écrasant du monopole de la responsabilité de leur réussite, ou de leur échec, en en transférant une partie vers l’environnement accueillant.

Si nous nous intéressons, à titre de comparaison, au terme « intégration », nous pouvons noter qu’il provient du bas latin integralis, « entier », « rattachement à une même unité », et du verbe integrare, « renouveler, rendre entier ». Il semble ainsi, étymologiquement parlant, correspondre de manière presque parfaite à l’objectif qui fonde les volontés de scolariser à l’école dite « ordinaire » les enfants handicapés : rendre entière la population potentiellement scolaire (l’enfance), historiquement divisée en « moyens et bien portants » (comme dit Charles Gardou) d’un côté, et les anormaux, les non conformes scolairement, de l’autre.

Pour toute éclairante que soit la mention de ces éléments étymologiques, il nous semble important de noter ici que considérer ces deux notions à cette seule source, bien que rendant les prises de position aisées, tend à faire oublier que les conditions sociales de l’émergence, de l’usage et de la circulation des mots, ainsi que des processus visant à leur promotion ou à leur disqualification, sont des forces qui façonnent le sens qui leur est attribué, et parfois de manière tout à fait surprenante : qu’on pense par exemple au terme de « paysan », dont l’origine est le latin pagani, désignant après la christianisation de l’aristocratie romaine les païens et les sédentaires cultivant la terre (de manière indistincte – car la distinction n’avait pas lieu d’être : tous les « paysans » étaient païens). Il a ensuite désigné les seuls cultivateurs, avant de devenir après la révolution industrielle une quasi-insulte, puis, à partir des années 1970, est redevenu objet de revendication et d’affirmation à vocation identitaire.

De fait, on ne saurait se suffire, pour construire une analyse, de l’érudition savante qui caractérise l’attention à l’étymologie, coupée de toute attention aux forces sociales et historiques qui se sont emparé du mot – mais on ne saurait s’en passer non plus tant il permet d’éclairer les trajectoires puisqu’il situe une origine.

Le passage du terme intégration à celui d’inclusion pourrait constituer l’objet d’une recherche spécifique. L’acception des ces deux notions (et leur succession) ne se limite pas, loin de là, au seul versant scolaire : plusieurs siècles après que leurs usages soit attestés en mathématiques, c’est au travers des politiques « sociales » qu’elles trouvent également une consécration, notamment dans l’économie langagière courante des élites politiques et administratives (et malheureusement de certains chercheurs en sciences sociales : ces catégories, qui ont vocation à être des objets d’analyse, en constituent pour certains des outils). Il est d’ailleurs notable de constater que les inclusions sociale et scolaire ont toutes deux succédé, et de manière tout à fait homologue, aux intégrations du même nom.


L’inclusion sociale

Il apparaît que l’émergence de la catégorie d’inclusion dans les discours politico administratifs français (et internationaux) a un rapport direct avec la consécration de la notion de « exclusion », entamée à partir des années 1970 en France. Elle vient en effet en constituer l’opposition parfaite : il y aurait les « inclus », et les « exclus » - ceux du dedans et ceux du dehors (toute la question étant de savoir « dans » et « en dehors » de quoi). L’inclusion sociale est devenue un objectif de politique publique, particulièrement dans l’espace européen. Chaque état doit par exemple, depuis 2000 et le sommet de Nice, élaborer un :


« (...) plan national d’action [le plan national d’action pour l’inclusion sociale, PNAI en France, NDR] qui couvre une période de deux à trois ans. [Puis,] à l’issue de cette période, il soumet à la Commission européenne un rapport évaluant l’état d’avancement de ses politiques sociales de lutte contre l’exclusion. Les rapports nationaux des Etats membres s’appuient sur des  HYPERLINK "http://www.cnle.gouv.fr/?Les-indicateurs-communs"indicateurs de suivi communs à tous qui permettent d’évaluer et de comparer les progrès réalisés en matière d’inclusion sociale. »


Tout se passe comme si cette opposition binaire, bien faite pour bloquer la pensée (mais également pour fournir une matrice à la conception des dispositifs publics en matière de politiques sociale et éducative), fournissait un cadre propice à la radicalisation de la domination économique et financière sur l’ensemble des Etats, leurs institutions et les évolutions des économies d’échanges qui s’inscrivent dans ces dernières, elle-même concomitante à la domination de l’idéologie individualiste de l’acteur rationnel.

Dans la perspective politique qu’a adoptée la commission européenne en matière sociale et économique (et en matière éducative, avec l’inclusion scolaire), et à prendre au sérieux la terminologie utilisée, les individus ne peuvent être que dans deux situations : soit exclus, soit inclus. Une attention minimale portée aux discours développés autour des plans d’action pour l’inclusion sociale ne peut pas ne pas réaliser que la référence de l’état d’inclus et d’exclus est en premier lieu le système de production (l’emploi) – et ce même pour l’inclusion scolaire, mais en quelque sorte de manière secondaire.

De ce point de vue il est vertigineux de considérer l’écart entre la doxa des élites européennes sur la « cohésion sociale » (qui consiste en une évaluation strictement centrée sur la participation ou non au marché de l’emploi, lequel se trouve présenté – en creux – comme une structure naturelle, bienveillante, accueillante, pourvoyeuse d’appartenance et pour laquelle il n’est nullement question d’une quelconque possibilité que les « exclus » le soient pour des raisons inhérentes à son organisation) et ce que permet à la pensée l’utilisation des notions d’affiliation et de désaffiliation qu’utilise Robert Castel dans son ouvrage « la montée des incertitudes » (2009). Ces dernières permettent en effet de se dégager de l’emprise enfermante de l’opposition « exclusion/inclusion » en y substituant une dynamique processuelle basée sur un large empan de degré d’affiliation, sur une mise en lumière du fait qu’on est affilié à quelque chose et que ce quelque chose n’est pas inquestionnable (et du point de vue d’un chercheur, pas naturalisé), et qu’à toute dynamique de désaffiliation correspond une dynamique d’affiliation – et qu’on l’est pour ainsi dire jamais totalement et définitivement exclus ou inclus.

La perspective de la commission européenne, inscrite dans son programme politique d’ « inclusion sociale », rapporte les conditions de possibilités d’appartenance à la collectivité (qui fondent la frange « humaniste » du discours qui vient légitimer la pertinence de telles politiques) à la seule adhésion aveugle et soumise aux réalités du marché de l’emploi assimilé à un cadre naturel – et non au produit historique de confrontation de forces sociales ne défendant pas les mêmes intérêts. S’il ne saurait ici être question de nier la dimension affiliatrice que représente le fait d’avoir un emploi, il nous importe de mettre en lumière le fait que la structure du marché de l’emploi, ses déterminations historiques, économiques et politiques, ses éventuels effets négatifs sur les individus et sur les liens sociaux que ces derniers animent, constituent un point aveugle des dispositifs – et de l’économie langagière qui les soutient. Tout se passe comme si ces dispositifs succombaient à la tentation réificatrice potentiellement inscrite dans tout programme d’action publique et tendant à faire des individus concernés des objets qu’il importerait de ranger au bon endroit sans se soucier de possible forme de maltraitance qu’implique un tel « rangement », considéré comme un processus achevé d’ « inclusion sociale », de remise en ordre – et de maintien de l’ordre.

De ce point de vue, et malgré que la question des fonctions sociales de contrôle des populations soit en passe d’être appréhendée par un grand nombre de chercheurs en éducation comme passée de mode – résultat d’un étonnant mouvement de balancier consistant à considérer que la prééminence de ce thème dans les années 1960 et 1970 permet aujourd’hui de le classer parmi ceux qui sont « datés » –, il nous semble pertinent de ramener la question de l’inclusion scolaire aux bénéfices secondaires (pour les classes dirigeantes) potentiellement inscrits dans les programmes politiques qui s’en réclament. Plus largement, il est également fructueux de s’intéresser au « monde inscrit dans l’objet » qu’est l’inclusion (Akrich, 2006), ce qui pousse à questionner le potentiel idéologique qu’il contient.


La conception de l’organisation sociale promue par
l’inclusion

En 2009, Serge Ebersold écrit, à partir d’une analyse « d’ouvrages ou d’articles anglo-saxons consacrés à l’inclusion ou à l’éducation inclusive » :


« La notion d’inclusion (…) n’entrevoit pas la société comme une dialectique mettant en jeu un corps social et des individus, mais comme une « société d’individus » nécessitant l’implication de chacun dans le bien-être collectif et l’incorporation de tous dans les diverses dimensions qui fondent la société. (…) Cette conception du monde social (…) rapporte la vulnérabilité sociale à l’absence de ressources culturelles,  sociales, économiques, identitaires, relationnelles nécessaires à la réalisation de soi et à l’engagement social, et non plus aux vulnérabilités liées à la division du travail. »


On le voit : l’objet que constitue la notion d’inclusion contient un monde – et une vision du monde –, et cette constatation ne peut que faire redoubler la vigilance quant à la voir, dans la sphère académique et notamment dans les sciences de l’éducation, acquérir le statut d’outil inquestionné. Cette vision du monde, qui constitue au sens strict une idéologie, fait peser sur les individus, au profit de la double invisibilisation tout d’abord des déterminations sociales inhérentes aux modalités d’organisation et de fonctionnement des institutions et ensuite des processus de sa propre naturalisation, tout le poids de la responsabilité de la réussite ou de l’échec des processus qu’elle se propose d’incarner. Cet état de fait se trouve actualisé de manière différente pour les inclusions sociale et scolaire.

Par exemple, pour mener à bien ses objectifs d’inclusion sociale, nous dit Serge Ebersold,


« L’Union Européenne préconise (…) le développement de stratégie dites d’ « inclusion active » permettant aux personnes marginalisées de renforcer leurs compétences, de réaliser leur potentiel, de s’intégrer dans les marchés du travail et d’augmenter leurs revenus. »


C’est donc aux « personnes marginalisées », qui le sont du fait du manque de caractéristiques strictement personnelles, de se prendre en main afin de s’extirper de leur situation (mouvement auquel on ne saurait soupçonner qu’ils souhaiteraient se dérober) ; le rôle des politiques publiques se limitant dans cette optique à offrir un cadre pour que chacun puisse « réaliser son potentiel » – étant entendu qu’au terme de ce travail, si le résultat n’est pas au rendez-vous, c’est à son « potentiel » propre qu’en revient la responsabilité. Les dispositifs mettant en place cette « inclusion active » peuvent ainsi être appréhendés comme des systèmes correctifs amendant une conception du social mêlant principes fonctionnalistes et individualistes.

Quant au versant scolaire de l’inclusion, si on peut tout d’abord noter que les élèves concernés par les processus de scolarisation se voient théoriquement exemptés du monopole de la responsabilité de leur échec ou de leur réussite, il n’en est pas de même pour l’établissement scolaire – ce dernier étant, ainsi que l’explique Serge Ebersold, l’objet autour duquel « s’organisent (…) les multiples définitions données à la notion d’inclusion (…) », selon « une conception atomisée de l’institution scolaire ». C’est ainsi essentiellement sur les professionnels, en tant que contribuant à la concrétisation du droit à la scolarisation au sein d’un établissement non spécialisé, que repose la responsabilité de la mise en œuvre de l’inclusion – en dehors de toutes considérations socio-historique impliquant la prise en compte de dynamiques nécessairement collectives, et en accord avec les théories de l’acteur rationnel. Ceci contribue à l’imposition progressive, pour le handicap qui se trouve être une des régions concernées par la géographie des inclusions, d’un « modèle managérial » (Ebersold 2003).


« Nous assisterions donc à une nouvelle mise en forme sociale de la déficience dans laquelle l’objectif des politiques publiques serait de limiter les « freins à la participation et à la réalisation de soi qu’imposent les institutions aux individus ». Tout se passe comme si la discrimination ne résultait que de comportements discriminatoires individuels sans prendre en compte les institutions et les environnements qui les surdéterminent », résume Philippe Mazereau en 2009 (dans cet extrait il cite Serge Ebersold (2003)).


Ces éléments d’analyse se trouvent être tout à fait opérants pour entrer plus avant dans les spécificités de l’ « inclusion scolaire » que, dans un mouvement débarrassant la présentation qu’elle fait d’elle-même de tous les atours moraux et éthiques on pourrait résumer avant tout autre chose comme un déplacement géographique et symbolique, organisé et systématisé, de toute une frange de l’enfance  : « il est dit que ceux-là iront désormais ici » – et ceci sans que leur propre parole soit forcément prise en compte.

Toute démarche de recherche qui souhaiterait spécifiquement (et plus profondément que dans le présent travail) s’intéresser à la notion d’inclusion scolaire ne pourrait pas, de notre point de vue, faire l’économie de la replacer dans le mouvement plus large de l’émergence et de l’utilisation du terme « inclusion » dont elle n’est qu’une des déclinaisons, sous peine de passer à côté d’éléments essentiels quant aux implications sociopolitiques du mot.

Mais maintenant qu’a été esquissée cette nécessité, rentrons plus avant dans ce qui caractérise le versant scolaire de l’inclusion.


Origines historiques du principe de l’inclusion scolaire


« [La] consécration [du mot inclusion] résulte d’un mouvement mobilisant acteurs du monde associatif et chercheurs autour d’un modèle social du handicap refusant l’exclusion des personnes qui présentent une déficience au profit de leur acceptation dans leur différence. »
Serge Ebersold (2009)



Amérique et Europe du Nord


Le principe de normalisation

L’origine géographique et historique de ce que recouvre la notion d’ « inclusion » scolaire à savoir, avant la consécration (ultérieure) du terme, l’idée selon laquelle, en lieu et place d’une éducation séparée dans des lieux spécifiques, « les enfants à besoins éducatifs particuliers [puissent] être éduqués dans un dispositif « normal » qui s’adapterait à leurs besoins », se situe dans les pays du nord des continents européen et américain. (Thomazet 2008)

C’est en premier lieu dans les pays scandinaves, au début des années 1960, qu’émerge le « principe de normalisation » (normalization), dans le sillage de l’action du danois Neils Erik Bank-Mikkelsen. Ce dernier n’est pas un intellectuel, mais un fonctionnaire : il est directeur général de Service pour la déficience mentale, partie du ministère des affaires sociales danois. Il a été déporté pendant la seconde guerre mondiale. Ses fonctions l’amènent à visiter des institutions réservées aux imbéciles, et il est amené à considérer qu’il existe une parenté entre ces institutions et l’univers concentrationnaire qu’il a connu de l’intérieur.



En 1946, une « association de parents ‘‘d’imbéciles’’ » lui « [demande] de formuler une requête argumentée au ministère en vue de la création d’une commission d’analyse. (...) En 1954, la commission [est] enfin créée, et Bank-Mikkelsen en devint le secrétaire. Il en [résulte] une loi votée en 1959 par laquelle [est] instituée la prévoyance d’Etat pour les imbéciles (Statens Andsvageforsorg). Bank-Mikkelsen en [est] le premier directeur. (...) Il [veut] cependant aller plus loin encore et normaliser les conditions de vie des personnes handicapées mentales. (...) La réalisation de ce projet [suppose] une décentralisation de la Prévoyance, (...) [qui] se [produit] au milieu des années 1970 (...). Il [obtient] le transfert de la Prévoyance aux régions et aux communes [en 1979]. La Statens Andsvageforsorg [est] abolie, les imbéciles n’ [existent] plus, ils [se sont] transformés en citoyens normaux ayant des handicaps mentaux. » (Kemp, 1994)



Le principe de normalisation est ainsi basé sur l’idée de créer des dispositifs éducatifs et des lieux de vie les plus communs possible à l’ensemble de la population, et contre l’idée de spécifier des lieux et des pratiques pour l’éducation et pour la vie quotidienne des personnes handicapées. Simplement, selon les termes de Bank-Mikkelsen, « permettre à l'individu déficient mental d'avoir une existence aussi normale que possible. »


C’est tout d’abord dans le périmètre scandinave que va essaimer l’approche de la normalisation. Bengt Nirje, directeur général de l’Association suédoise pour les enfants déficients sur le plan mental, va produire plusieurs articles et communication sur le sujet à la fin des années 1960. En 1969, il écrit par exemple :



« La façon dont je m'y prends avec les personnes déficientes et les personnes déviantes en général dépend du principe de "normalisation". Ce principe réfère à un ensemble d'idées, de méthodes et d'expériences émises dans le travail pratique auprès des personnes déficientes intellectuelles en Scandinavie aussi bien que dans d'autres parties du monde. Le principe de normalisation est sous-jacent aux revendications des associations de parents scandinaves quant aux critères, équipements et programmes à l'intention des personnes déficientes sur le plan mental. Les exposés par les collaborateurs scandinaves Bank-Mikkelsen et Grunewald dans "Changing Patterns in Residential Services for The Mentally Retarded" fournissaient des descriptions précises des programmes fonctionnels qui incluent les principes de normalisation. » (Nirje, 1969)




De la normalisation à la VRS

Le principe de normalisation s’est vu systématisé et importé sur le continent nord-américain par Wolf Wolfensberger (au Canada) dans les années 1970. Raymond Vienneau résume ainsi :


« On assistera donc pendant les deux décennies de 1950 à 1970 aux débuts du mouvement de normalisation, c'est-à-dire à l'intégration sociale des personnes gravement handicapées, et aux premières fermetures des institutions dont certaines assumaient la triple vocation d'hôpital-école-résidence. En 1972, Wolf Wolfensberger publie à Toronto un livre qui accélérera ce mouvement et qui aura une répercussion internationale : Principle of Normalization in Human Services. Dans cet ouvrage et dans ceux qui suivront, Wolfensberger défend le principe de normalisation et valorise la contribution sociale des personnes handicapées. » 


A partir du travail de Wolfensberger se développe une théorie nommée « valorisation des rôles sociaux » (VRS, SVR en anglais), qui est une des origines de l’empowerment – autant d’éléments qui mériteraient une analyse spécifique. Robert Doré (1995) écrit ainsi :


« Dans l'univers de l'"intégration - inclusion ", le concept de valorisation des rôles sociaux tend à se substituer à celui de normalisation, qui était l'idée charnière au cœur de l'"intégration - mainstreaming ". Wolfensberger et Thomas ont bien mis en lumière l'importance accrue accordée à la valorisation des rôles sociaux : La valorisation des rôles sociaux est l'utilisation de moyens culturellement valorisés pour permettre aux personnes (socialement dévalorisées) d'obtenir et de conserver des rôles socialement valorisés (1988 : 34). La valorisation des rôles sociaux n'est évidemment pas exclusive au monde scolaire. Elle dépend d'un mouvement plus global d'intégration qui s'étend à toutes les sphères de la vie en société. L'intégration scolaire est à la fois distincte et partie prenante d'autres réalités d'intégration. »


La VRS, dont la généalogie, comme celle de l’inclusion, débouche sur le principe de normalisation, a ainsi étendu le territoire de ce dernier, initialement centré sur la seule déficience mentale, aux « personnes socialement dévalorisées » – et est ainsi bien fait pour rencontrer le versant « social » de l’inclusion.



L’émergence du terme inclusion scolaire

La réception et les échos importants de l’ouvrage de Wolfensberger en 1972 vont même participer, avec le sillage de la lutte pour les droits civiques, à l’émergence d’une nouvelle loi sur l’éducation aux Etats-Unis :


« (...) jusque dans les années 1970, le gouvernement fédéral n’était pas impliqué dans l’éducation des enfants et adolescents à besoins particuliers. Ainsi, en 1973, plus d’un million d’élèves ne fréquentaient pas l’école publique du fait de leur handicap (…). Cette situation de ségrégation a totalement changé en 1975, avec le vote d’une loi fédérale en faveur de « l’éducation de tous les enfants handicapés » (the education for all handicapped children act, Public Law 94-142, dite EHA). Cette loi mentionnait que chaque enfant ou adolescent, indépendamment de son handicap, devait avoir droit à une éducation gratuite, adaptée et dans un environnement aussi normal que possible (least restrictive environnement) ». (Thomazet, 2008)


Aux Etats-Unis, on parle alors de mainstreaming pour évoquer ce courant de pensée défendant la présence des enfants avec des disabilities dans le « courant ordinaire », c'est-à-dire hors spécialisé. Selon Serge Thomazet, cette forme d’intégration scolaire, qu’il nomme, afin d’établir une typologie historique des « courants » différents en matière d’intégration/inclusion scolaire, « mainstream-integration », n’a pas opéré le changement paradigmatique qui caractérise selon lui la notion ultérieure d’inclusion, puisqu’elle présuppose encore que les élèves soient scolarisés à l’unique condition qu’ils soient capables de suivre les programmes – c'est-à-dire que tout repose sur l’adaptabilité de l’élève vis-à-vis de l’école, quand l’inverse n’est pas ou trop peu questionné. Ce modèle de « mainstream-integration » serait resté dominant aux Etats-Unis de la loi dite EHA (qui se fonde sur ses principes) jusqu’au milieu des années 1980. Au cours de cette dernière décennie, Thomazet note que :


« (…) the absence of noticeable progress in the development of integration gave rise to a demand for more radical changes. » (Thomazet, 2009)


C’est dans ce cadre qu’est publié le rapport de Madeleine Will (qui est alors la US assistant secretary of special education and rehabilitative services), en 1986. Le débat qui s’ensuit va favoriser l’émergence de cette « demande en faveur d’un changement plus radical ». Ce rapport évoque de manière prudente le fait que les progrès consécutifs à l’EHA sont loin d’être à la hauteur des espérances. Malgré cette la formulation réservée, la réception du rapport dans le milieu de l’éducation et de la recherche en éducation provoque un débat intense autour du thème de l’efficacité et de la légitimité de l’éducation spéciale. Serge Thomazet, dans un article paru dans l’international journal of inclusive education en 2009 écrit :



« Within this debate (…), an increasing number of researchers and educators denounced the lack of progress on integration and the negative results of pull-out practices. »



A l’issu de ce débat naît le “Regular Education Initiative” (REI), « (…) mouvement qui préconise la fusion des éducations spéciales et ordinaires ».


C’est sur le terreau de ce mouvement, à la fin des années 1980, qu’apparaît pour la première fois en éducation l’usage du terme inclusion, désignant « l’intégration dans les écoles ordinaires de tous les enfants avec des besoins éducatifs particuliers ». Nous l’avons évoqué, le terme inclusion est ancien, pas spécifique à son versant scolaire et utilisé dans d’autres domaines. Il apparaît de fait comme tout à fait essentiel pour la recherche d’élucider les conditions sociales qui ont présidé à ce que ce soit précisément ce terme d’inclusion qui soit choisi pour représenter ce mouvement, et d’élucider le processus qui a permis sa consécration, aujourd’hui telle qu’aux Etats-Unis, au Canada et au Québec, le terme est en voie d’être complètement naturalisé dans les milieux éducatifs – ce qui est encore loin d’être le cas en France, où il ne rencontre guère d’écho au-delà des cercles des spécialistes ou des militants.


Au sein du REI, certains défendent ce qu’ils appellent la « full-inclusion », (par exemple Lipsky et Gartner, 1992, ou York et all., 1989, cités par Thomazet), c'est-à-dire la non-existence de toute extraction, même temporaire, des élèves avec besoins éducatifs spéciaux hors de leur classe de rattachement, et, de fait, la suppression accomplie de toute éducation spécialisée.


A la suite de Serge Thomazet, il est donc possible de résumer la typologie – qui constitue de notre point de vue une introduction à la problématique de l’inclusion, et qui peut de ce fait être prolongée et affinée – de la manière suivante :





la « mainstrean-integration », issu du principe de la normalisation (elle en constitue son versant scolaire). Elle fait peser la responsabilité de la réussite ou de l’échec du processus de scolarisation sur l’élève, et qui organise un maintien important des institutions spécialisées en marge de l’école pour tous ceux qui ne sont pas capables de s’adapter à l’école. Elle correspond à ce que recouvre la notion légale d’intégration en France, avant la loi de 2005, encore largement basée sur une approche médicale et déficitaire du handicap.

l’inclusion, qui postule que l’école doit accueillir tous les enfants quels que soient leurs « besoins éducatifs particuliers ». L’inclusion est basée sur une perspective environnementale issue du modèle social du handicap et a des affinités avec l’expression « situation de handicap ». Au sein de ce courant existe un mouvement plus radical qui professe…

… la full-inclusion, c'est-à-dire la logique de l’inclusion poussée à son terme avec la suppression du secteur spécialisé.




Pour résumer

Ce sont donc des intellectuels, et parmi eux des chercheurs, qui ont joué un rôle prédominant dans la conception et la promotion de la notion d’inclusion scolaire et, avant elle, de la normalisation. Il est tout à fait intéressant de relever que le rôle joué par ces intellectuels se trouve concentré sur le segment du handicap que constitue la déficience mentale – ceci même si les théories et visions développées se sont par la suite étendues au-delà de ce périmètre. A leur côté, et de manière indissociable, le travail effectué par les associations de personnes déficientes motrice ou sensoriel a joué également un rôle tout à fait décisif.




Le rôle des associations et le modèle social
du handicap


Durant les années 1970 aux Etats-Unis, de nombreuses associations de pairs sont créées – principalement autour des segments du handicap que sont les déficiences motrices et sensorielles. Ces associations se sont donnée comme mission de :


« (…) amplifier l’accès à l’autonomie et l’indépendance en milieu ordinaire des personnes handicapées, considérées comme premiers experts définissant et construisant les modalités et contenus des interventions collectives et les prestations leur étant destinées. » (Blanc 2006)


Elles contribuent alors largement, par leur actions, à définir ce qui a été par suite nommé « modèle social du handicap » en opposition au « modèle médical », ou « réadaptatif », centré sur une vision défectologique et basé sur le processus invariant, à caractère fixiste et linéaire, « évaluation-diagnostic-soins », dans un processus de « cycles d’affiliation » (Goffman, 1975) centrés sur le réseau des institutions spécialisées.

Ainsi que l’explique Alain Blanc (2006), le modèle social du handicap met l’accent sur :


l’opposition au modèle médical
l’interaction handicap/environnement.
la nécessaire amélioration de l’accessibilité et l’égalisation des chances.


Une des matrices de la construction du MSH a donc été l’expertise que les personnes déficientes pouvaient fournir sur elles-mêmes – en tout cas celles qui parmi elles cumulaient les deux propriétés consistant en une conscience de leur déficience et la mobilisation potentielle des capacités sociales, économiques et cognitives de s’engager dans un mouvement de revendication et de militantisme national et international, c'est-à-dire essentiellement les personnes porteuses d’une déficience motrice ou sensorielle.

Par suite, la mise en réseau d’une partie de ces associations aboutit à la création, de l’« independant living movement » (ILM, MVA en France pour Mouvement pour une Vie autonome), fondé selon une triple logique :



une lutte pour les droits civils
la revendication d’un contrôle des biens et prestations offertes
la logique nord-américaine du « self help »



L’action de ce mouvement fédératif se base sur les caractéristiques du MSH, dont il constitue une des matrices : la nécessité de connaître et d’affirmer :



« (…) les besoins spécifiques et particuliers des personnes déficientes, la critique de l’expertise des professionnels médicaux et sociaux et l’affirmation de l’intégration en milieu ordinaire ».



Les actions de l’ILM, toutes entières tournées vers ces objectifs vont aboutir à la création des centres de ressources pour une vie autonome, conçus comme des services (et non des structures), autogérées par les personnes handicapées, et se donnant pour objectif :

- l’information et l’orientation
- le soutien entre pairs
- la défense des intérêts individuels
- l’aide à la création de service.

Dans les années 1980, l’ILM se développe internationalement, en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Cette même décennie voit la création d’une association internationale baptisée « Disabled People International ». Selon Alain Blanc, cette association, dans le droit fil du MSH émergeant :


« (…) critique les conditions socio-économiques et culturelles car elles entravent l’accès à la citoyenneté des personnes handicapées, limitent leur intégration à la vie collective et tendent à les confiner dans une vision  centrée sur les déficits de la personne ». Mais elle met également l’accent sur « la reconnaissance de droits civiques et sociaux, intervient dans les débats conduits par les organisations internationales et pèse sur les décisions prises dans les cadres nationaux. »


Le modèle social du handicap, produit en grande partie par le mouvement associatif nord-américain de personnes porteuses d’une déficience (rapidement internationalisé), commence ainsi à peser sur les instances supra nationales comme l’OMS ou le BIT, comme l’UNESCO et l’OCDE, mais aussi sur « des programmes d’actions tels que ceux conçus par les instances européennes (Hélios, Horizon, Handynet…) » et, par contrecoup, va commencer également à se voir traduit dans les législations nationales.


« Ce mouvement de pairs organisés s’est fait entendre des décideurs planétaires en moins de trois décennies », écrit ainsi Alain Blanc (2006).

Ce mouvement associatif n’explique bien évidemment pas à lui seul l’émergence transversale du nouveau paradigme que constitue cette nouvelle exigence de la présence des personnes handicapées dans l’ensemble des espaces sociaux, concomitante d’une remise en cause des filières éducatives séparées et des processus d’affiliation différenciés qui y sont associés, mais il en constitue une des matrices majeures. Son action rencontre les conséquences pratiques d’une des propriétés de l’économie politique des années 1960 et 1970 consécutive notamment des effets consécutifs aux courants de travaux universitaires explicitement ou implicitement critiques à l’endroit des institutions – pénitentiaires, scolaires, médicales –, des processus de ségrégation sociale et scolaire, et qui se trouve être une recomposition importante des configurations idéologiques des économie politiques des pays industriels. Elle rencontre également, et très directement puisque l’ILM émerge aux Etats-Unis, l’empreinte profonde qu’a laissé dans ce pays le mouvement de lutte contre la ségrégation et pour les droits civiques des afro-américains dans les années 1950 et 1960.

Une autre propriété des modes de gouvernement des pays industriels dans cette période historique est également l’importance croissante prise par les logiques économiques et financières, qui se voient acquérir un poids sans cesse grandissant dans la définition de ce que doit être et de ce à quoi doit répondre l’action publique – notamment en matière d’éducation.



L’inclusion entre discours humanistes et
intérêts économiques



« Bank-Mikkelsen visait très haut, son projet était admirable, mais il semble que personne n’avait prévu le coût de l’opération. »
(Kemp, 1994)



Un invariant historique

Le rôle historique des préoccupations économiques dans les choix opérés en matière éducative sur la question du handicap constitue un élément dont l’analyse ne peut faire l’économie – et dont elle ne peut se contenter non plus. Il est possible, sans crainte de se voir opposer des arguments sérieux, d’affirmer qu’elles ont joué un rôle majeur dans les évolutions successives qui ont caractérisé le sort fait aux enfants concernés par les dénominations autour de l’anormalité, de l’inadaptation ou du handicap.


Tout se passe en effet comme si ces considérations économiques constituaient l’élément sans lequel rien n’était possible ; comme si, en dehors d’une rencontre avec les intérêts qui leur sont spécifiques; aucun dispositif ne pouvait voir le jour ; comme si également, dès lors qu’une orientation était entérinée (par exemple l’éducation inclusive, au plan international et notamment européen), généralement parée de toutes les vertus humanistes et progressistes, elle se heurtait dans son application à ce point aveugle qui a pourtant permis son émergence : la croyance absolue selon laquelle l’option choisie est moins coûteuse économiquement que la ou les précédentes – un rapport de l’OCDE de 1994 (page 47) sous-entend ainsi sans preuve (ainsi que le note Eric Plaisance (2004)) que l’option ségrégative est plus coûteuse que l’inclusive :


Dans cette étude, « il est suggéré, mais sans démonstration véritable, que les solutions les plus ségrégatives sont les plus coûteuses ». (Plaisance, 2004)


De ce dernier point de vue, on peut affirmer qu’on a là tous les atours d’une prophétie auto réalisatrice : puisque les choix « inclusifs » sont réputés et annoncés être moins coûteux que ceux auxquels ils succèdent (l’option ségrégative notamment), et puisque c’est en partie pour cette raison que les orientations inclusives ont trouvé une consécration internationale et européenne, alors la question de savoir s’il est pertinent d’augmenter les financements de ces politiques ne se pose même pas : il a été dit que c’était moins coûteux, donc ça va l’être – l’organisation qui l’affirme (l’OCDE en 1994) jouant par ailleurs un rôle important d’incitation et de prescription dans les mises en œuvre de politiques économiques des plus orthodoxes.

On constate la prégnance des considérations économiques dans de multiples textes de loi – pour la France, la première partie du présent travail en donne plusieurs exemples. Nous pouvons mentionner un autre exemple européen : comme l’explique Sally Tomlinson (1982), la section 10 de la loi sur l’éducation de 1976 en Grande-Bretagne indique que :


« Pupils should be educated in special schools only if they cannot be given efficient instruction in ordinary schools, or if the cost of instruction in ordinary schools would cause “unreasonable public expenditures”. »

« En réalité, écrit encore Felicity Armstrong (2000), la planification de l’intégration des enfants des écoles spéciales dans les écoles ordinaires au cours des années 1980 et 1990 par plusieurs autorités locales d’éducation a été davantage guidée par la question des ressources et par celles des capacités ou des incapacités des élèves, que par la question de savoir comment les écoles devaient changer pour offrir une éducation équitable et efficace à tous les élèves. »


Il serait aisé de multiplier ainsi les exemples, qu’ils soient extraits directement des textes, des déclarations de parlementaires lors des débats préparatoires, ou extraits d’analyses de chercheurs. L’argument centré sur les excès de dépense publique en matière d’éducation des enfants anormaux, inadaptés ou handicapés, sur les frais trop importants consacrés aux dispositifs qui leur sont destinés, ou, comme il était affirmé à l’origine des premiers dispositifs publics d’éducation des anormaux à la fin du 19ème siècle, sur les économies (en terme de coûts sociaux mais également en terme de coûts financiers) à long terme réalisées en investissant dans leur éducation, sont ainsi des invariants historiques de toutes les politiques publiques des pays industriels à l’encontre du handicap, qui se caractérisent ainsi par un très fort degré d’hétéronomie. L’ « inclusion » et les dispositifs qui s’en réclament n’échappent pas à la règle qui veut que les motivations éthiques, morales et progressistes invoquées pour la construction et la mise en place de dispositifs légaux en matière d’éducation de l’enfance handicapée sont toujours le versant (le plus) visible des discours justifiant la validité de ces dispositifs, alors qu’eux-mêmes sont surdéterminés par des motivations directement issues des conceptions socio historiquement dominantes en matière de politique économique.


En guise d’illustration, prenons connaissance de ces deux extraits d’entretiens, décrivant la situation de deux des six AVS-i interrogées dans le cadre de ce travail. Tout d’abord, Sylvie, qui travaille 24 heures en tant qu’AVS-i pour l’éducation nationale et 6 heures par semaines pour sa commune, sur le temps périscolaire :



Sylvie : (...) je vois ses parents régulièrement vu que le soir je fais l’étude… D. est en étude… en fait c’est pendant une heure ils font leur devoir et je surveille…. après le temps scolaire, c’est du périscolaire, [je suis] payée par la mairie, c’est pas l’éducation nationale
G : finalement t’as deux contrats…
Sylvie : oui, oui oui
G : Donc tu as 24 heures Education Nationale… et combien de temps mairie ?
Sylvie : bah six heures par semaine…
G : six heures… ok… donc ça te fait…
Sylvie : une heure et demie tous les soirs…
G : ça te fait un salaire un peu plus correct…
Sylvie : un peu plus correct, oui (en riant)
G : six heures, ça fait quoi, si c’est pas indiscret, si ça t’embête… t’es pas obligée mais…
Sylvie : (…) ça doit tourner aux alentours de 150 euros par mois… (…) [soit 750 euros environs pour 30 heures cumulées par semaines NDR.] (Page 24)



Puis Lalie, qui n’a cette année qu’un contrat de 9 heures par semaines :


[Lalie a un contrat de neuf heures]
G : et tes neuf heures sont réparties comment dans ce collège ?
Lalie : bah euh… je… travaille… le lundi après-midi…mercredi matin et maintenant jeudi matin (...) j’ai pas une journée complète (Page 27-28)


Ces deux exemples mettent en avant des situations de salariées employées à l’accompagnement d’enfants en situation de handicap scolarisés dans « l’école de leur quartier ». La nature de leur contrat, la formation qu’elles ont reçue et le salaire qui leur est versé sont des conséquences directes de choix politiques déterminés par des orientations économiques.



L’internationalisation des politiques économiques


Il est également notable de constater que l’internationalisation des politiques éducatives (et en particulier au sein de celles-ci l’internationalisation des principes dits intégratifs ou inclusifs) est concomitante au mouvement d’internationalisation de la sphère économique et financière. Comme l’écrit Philippe Mazereau en 2009 :



« La diffusion des principes de l’école inclusive tend à se généraliser dans le même mouvement de globalisation qui affecte la sphère économique. » (Mazereau, 2009)



Nous pouvons ajouter que les politiques éducatives se trouvent entièrement référées aux critères de classement et d’ (exigence d’) évaluation construits par l’orthodoxie économique, c’est à dire les conceptions dominantes en matière économique. Ces critères de classement sont d’ailleurs largement naturalisés : il « va de soi » (pour le sens commun politico administratif, et parfois savant) que les politiques éducatives doivent avant tout autre chose répondre aux attentes « naturelles » du système économique internationalisé, aussi bien en termes de coûts de fonctionnement, de niveau d’investissement que de résultats à plus long terme.

Les considérations éthiques se présentant comme purement humanistes viennent ainsi toujours se présenter comme source des conceptions et constructions des dispositions légales en matière d’éducation de l’enfance handicapée, et se substituent dans les discours aux considérations économiques portant sur le coût financier des choix éducatifs – et ce d’autant plus que ces dernières ont d’importance, c’est à dire d’autant plus que se déroule l’histoire du champ de l’éducation spéciale. On assiste ainsi, en matière de politique publique autour de l’enfance handicapée, à une visibilité des arguments économiques qui est inversement proportionnelle de leur importance pris dans leurs conceptions et mise en construction – étant considéré que leur importance n’a cessé de croître depuis la fin du 19ème siècle.

Parler d’une dialectique « discours éthique / intérêt économique », ou d’une convergence d’intérêts moraux (socio historiquement marqués) et économiques pour esquisser un modèle explicatif des politiques publiques en matière de handicap, ne nous paraît pas satisfaisant – même si tout à fait opérant pour ce qui concerne le récent passé. En effet, cela reviendrait à consacrer le fait que l’invariant historique qu’est la prévalence indiscutable de l’intérêt économique dans la conception et la construction des dispositifs ne peut que le rester, c’est à dire à contribuer à naturaliser la domination de l’orthodoxie économique sur les choix politiques.


Une prise de position

Ces derniers propos se justifient par le fait que, comme l’écrit Noam Chomsky en 2010 :


« ...l'action politique et sociale doit être animée par une vision de la société future et par des jugements de valeur explicites, qui doivent découler d'une conception de la nature humaine. Si l'esprit humain était dépourvu de structures innées, nous serions des êtres indéfiniment malléables, et nous serions alors parfaitement appropries au formatage de notre comportement par l'Etat autoritaire, le chef d'entreprise, le technocrate et le comite central. Ceux qui ont une certaine confiance dans l'espèce humaine espéreront qu'il n'en est pas ainsi. »


Or, il est notable pour nous que le présent travail de sciences de l’éducation est une action qui, si elle n’est pas directement politique selon l’acception du sens commun de ce mot, (et bien qu’elle le soit dans son sens originel des « affaires de la cité »), est éminemment sociale. De fait, prendre au mot l’impératif d’explicitation de la « vision de la société future » qu’exprime Noam Chomsky nous oblige à faire apparaître que nous ne souhaitons pas faire comme si la prégnance des intérêts des milieux économiques dans la conception et la construction des politiques éducatives – et notamment dans les politiques relatives à la scolarisation des enfants en situation de handicap, était une réalité indépassable.

Elargir le recrutement social des élites ou démocratiser le savoir : voilà les deux conceptions opposées (malgré le fait que la première, pour se réaliser, tend à se déguiser en se parant des atours de la seconde) qui sous-tendent nombre de polémiques et de luttes autour de la question éducative (Dorison, 2009) – et qui sont des avatars de conceptions orthodoxes ou hétérodoxes en matière économique.


Christophe Barbier, normalien, journaliste et éditorialiste en vue (il est en 2010 - et depuis 2007 - directeur de la rédaction de l’Express et intervient régulièrement dans nombre d’émissions à vocation « politique » à la télévision et à la radio), écrit ainsi dans son éditorial le 3 septembre 2009 (titré : « Priorité aux élites pour la rentrée ») :

« La vraie priorité de l’Education » (…) devrait consister à « former une élite toujours plus puissante afin que le pays tienne son rang dans la concurrence mondiale. Il faut que le grand emprunt à venir finance d’abord l’enseignement supérieur, pour renforcer l’excellence française, aider les meilleurs à être plus forts encore, éviter la fuite des cerveaux. Le débat public, accaparé par le sort des exclus du système, oublie que l’essentiel est, sans cynisme, la performance. Ce n’est pas le moral en queue de peloton qui permet de gagner des courses, c’est la qualité des sprinters. »


Le problème ici (et au-delà de l’aspect illustratif du document ci-dessus) est, de notre point de vue, qu’en matière de politique éducative générale, la progression scolaire est envisagée et évaluée à l’aune exclusif du savoir, de la performance en termes de savoir et de maîtrise des connaissances. La progression envisagée en terme de relationnel, de création de liens sociaux (et de liens avec le cadre naturel) qui dans une école décentrée de ses obsessions rentabilistes, dégagée de l’adoration de l’idole du Savoir savant et de l’hyper correction syntaxique, peut être une conséquence très probable du côtoiement de la différence et de la diversité humaine, n’est pas envisagée – et comment pourrait-elle être évaluée ? Elle ne compte pas, dans le sens où elle ne rentre pas dans les comptes, tout entier destinés à pourvoir la nation des forces productives, en accord avec le fondement anthropologique de notre société industrielle qu’est le travail – mais servant ce faisant essentiellement des intérêts qui sont consécutifs à la concentration des moyens de production et des richesses produites dans les mains d’une frange très réduite de la population et ayant largement contribuer à réduire le travail à la conception étriquée de l’occupation d’un emploi.

Cette tension entre, d’un côté, prédominance de la performance (en terme de maîtrise de savoir) et de son évaluation (qui induit une conception de l’institution scolaire centrée sur le strict objectif de pourvoir les enfants de ce qui est nécessaire pour s’adapter au marché du travail, leur destination « naturelle ») et de l’autre les conceptions diverses (largement dominées mais existantes) centrées sur un projet d’éducation à vocation émancipatrice et, de fait, potentiellement génératrice d’ethos socialement créatif et transformateur (et qui ne rentre pas dans le cadre stérile des analyses opérant une réduction de ces questions à une opposition enfermante entre « savoir et pédagogie »), se retrouve concrètement traduite par la crainte (légitime) qu’ont nombre d’enseignants face à l’hétérogénéité de niveau de leur classe – ce qui montre également à quel point est naturalisé le fait que l’école doit avant tout (si ce n’est seulement) produire des élèves performants au niveau du seul savoir – crainte qui est parfois purement et simplement traduite par un refus d’enseigner à des élèves qui n’ont « pas le niveau » (refus concomitant à une vision politique caractérisée par la défense de l’existence d’institutions spéciales pour ces élèves non conformes). De ce point de vue, l’inclusion scolaire est investie par certains de ses défenseurs comme une possibilité de dépasser un « dilemme » de la profession enseignante (dilemme dont l’existence est liée à l’incorporation des logiques ci-dessus présentées) :


« By developing inclusive practice, one might hope to overcome the dilemma which confronts many teachers facing a diverse public: teaching the best pupils at the risk of neglecting the weaker ones, or teaching the weaker ones at the risk of lowering academic standard (…). »  Serge Thomazet (2009)



Pour conclure

C’est ainsi, entre discours éthique et intérêts économiques, que se sont construits les dispositifs légaux d’éducation de l’enfance handicapée. Il est important ici d’ajouter le fait qu’à l’origine même de la construction des systèmes modernes d’éducation « ordinaire » (ou non spéciale) se trouve, au-delà de l’objectif humaniste affiché d’étendre l’instruction et l’accès au savoir au plus grand nombre, l’intérêt économique que représente pour les industries alors florissantes la possibilité pour de nouvelles populations « éduquées » à entrer dans la production. De ce point de vue, la séparation originelle des « moyens et biens portants » d’avec les « anormaux » est aussi, en sus d’analyses anthropologiques qui fournissent des cadres explicatifs tout à fait essentiels (et en sus des analyses mettant en avant également la forte capacité de survie que la République s’octroie en investissant ainsi l’éducation), à rapporter au fait que les « arriérés » ou les « sous normaux » étaient bien faits pour grever le fonctionnement attendu de l’institution scolaire, qui était de produire à un rythme homogène des ouvriers et des paysans « éduqués » et a minima « instruits » – en d’autres termes plus dociles et plus « stables », aussi bien géographiquement que moralement :



« By the early 19th century, education for the mass of the people was becoming regarded as a necessary discipline for controlling potential unrest amongst the working classes and also to produce a literate to further commercial interest »,  écrit Sally Tomlinson en 1982.


C’est dans le cadre ouest-européen des sociétés industrielles que se sont développés, sur un fond anthropologique commun, les systèmes d’éducation nationaux, tous organisés en deux pôles (ou avec un « sous-système », comme le dit Sally Tomlinson (1982)) : l’ordinaire et le spécialisé. C’est également dans ce cadre que, un siècle après les origines, on assiste à une valorisation par les élites politico administratives communautaires de la notion d’inclusion scolaire, transposition régionale de sa promotion dans l’espace international.


Le cadre européen

L’Europe est ainsi, pour Philippe Mazereau (2009), l’espace pertinent (relativement aux cadres réglementaires) pour penser le changement des relations entre spécial et ordinaire. Il existe en effet une série de documents ou déclarations qui encadre et organise progressivement l’objectif politique de scolarisation des enfants en situation de handicap – qui s’inscrit, nous l’avons évoqué, dans un mouvement beaucoup plus large symbolisé par le succès de la notion d’inclusion. Parmi ces évènements, on peut relever, avec Philippe Mazereau :


en 1996, la charte du Luxembourg promulguée par l’Union Européenne (UE) qui :

« Stipule que l’école doit garantir un enseignement de qualité et un accès égal de tous » (Mazereau 2009)

la charte des droits fondamentaux

…l’article 13 du traité d’Amsterdam de 1997, qui instituent le principe juridique de non-discrimination en énonçant que l’Union Européenne :

« (…) combat toute discrimination fondée sur le sexe, la race, l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »

La conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux, qui s’est déroulé à Salamanque, 7-10 juin 1994, suivie d’une déclaration du même nom, qui institue l’inclusion comme un objectif ;

Les directives européennes faisant suite au traité d’Amsterdam

Année 2003 : année des personnes handicapées en Europe


Serge Ebersold (2009) ajoute que la notion d’inclusion (entendue dans sa plus large acception) est devenue :

« (…) un des indicateurs retenu par l’UE dans le cadre de l’agenda de Lisbonne pour évaluer les politiques publiques ».


Adossée aux principes de non-discrimination et de droit, l’inclusion scolaire trouve dans le cadre européen une inscription légale forte et pérenne. La notion de « besoins éducatifs particuliers », sans laquelle la notion d’inclusion scolaire ne peut s’expliquer, trouve elle aussi une concrétisation et une consécration dans le cadre de l’Europe : en 1996 (deux ans après la déclaration de Salamanque) est créée une « Agence européenne pour le développement de l’éducation des personnes présentant des besoins particuliers ». La France y est représentée depuis cette date par l’INSHEA (ancien CNEFEI).

On a ainsi assisté à une « unification graduelle des réformes autour du paradigme de la non-discrimination des élèves handicapés qui s’est opérée au cours de la [décennie 1990] au niveau de l’UE » écrit ainsi Philippe Mazereau. « A bien des égards, ajoute t-il, l’adoption par la France de (…) [la loi n° 2005-102 du 11 février 2005] marque la fin du cycle initié par la déclaration de Salamanque en 1994 » (Mazereau 2009).

Cette déclaration aurait ainsi constitué l’origine d’un cycle de traduction européenne des principes internationalement promus par les instances supranationales, elles-mêmes ayant traduit, dans l’optique de sa promotion, le produit intellectuel et notionnel de la rencontre entre le lobbying important d’associations nord-américaines de personnes déficientes motrices et sensoriels et le courant de la normalisation porté par des intellectuels nord-américains pour améliorer la vie des personnes porteuses d’une déficience ou d’une maladie mentale. Cette esquisse de ce que peut représenter la circulation internationale de la notion d’inclusion mérite que nous nous y arrêtions plus avant.


La circulation internationale de l’inclusion



« Le fait que les textes circulent sans leur contexte, qu'ils n'emportent pas avec eux le champ de production (...) dont ils sont le produit et que les récepteurs, étant eux-mêmes insérés dans un champ de production différent, les réinterprètent en fonction de la structure du champ de réception, est générateur de formidables malentendus. »
Pierre Bourdieu (2002 – texte original de 1989)


L’histoire du mouvement intégratif des enfants handicapés dans le système scolaire dit ordinaire, évoqué dans la première partie du présent travail, a montré, malgré le processus européen en cours d’unification ci avant évoqué, qu’il était caractérisé par un spectre sociopolitique assez large, allant de la position radicale de l’abolition du secteur spécialisé au profit d’une scolarisation entière et complète de tous les enfants qui en étaient auparavant dépendants (comme en Italie) à un maintien et même un développement des structures spécialisées en marge de l’école ordinaire couplé à une construction stricte et limitée des passages éventuels de certains enfants des institutions vers l’école (comme en Allemagne). La France se situe dans un milieu entre ces deux pôles, ayant adapté, par le biais d’une législation votée en 1975, un système intermédiaire caractérisé par un maintien du secteur spécialisé s’orientant progressivement d’une logique de structure à une logique de service, ces derniers étant de plus en plus destinés à accompagner les processus de scolarisation et les familles. Chacun des ces dispositifs législatifs, antérieurs à la consécration de l’inclusion dans les années 1990, en connaît aujourd’hui encore l’influence, et ne sont pas stabilisés.


« Le paradigme unificateur de l’inclusion scolaire connaît des actualisations variées selon les contextes nationaux », écrit Philippe Mazereau en 2009.


Dans cette partie nous nous intéressons à la trajectoire de la notion d’inclusion, depuis son émergence dans son (ses) contexte(s) d’origine jusqu’aux processus qui ont guidé à sa consécration par des instances supranationales et in fine à son utilisation dans des cadres législatifs nationaux. Pour ce faire, nous nous basons tout d’abord sur le constat énoncé par Pierre Bourdieu en 1989 lors d’une conférence prononcée le 30 octobre 1989 pour l’inauguration du Frankreich-Zentrum de l’université de Fribourg et reporté ci-dessus en exergue. Cette remarque (et le texte dont il est issu), riche d’ouverture pour quiconque souhaiterait produire une recherche spécifique sur le sujet de la « circulation internationale » de l’idée d’inclusion, va constituer le garde-fou de la présente partie. Nous empruntons également à la sociologie de la traduction un cadre d’analyse initialement centré sur la circulation de l’objet technique – que nous proposons ici d’utiliser dans le cadre de la circulation de ce qui apparaît être plutôt un objet notionnel. Ce glissement nous oblige, avant d’entrer plus avant dans l’analyse, à quelques clarifications.



De l’objet technique à l’objet notionnel :
concepteur et utilisateur

Des concepteurs de l’inclusion ?

Il est notable de constater que le terme de « inclusion », ainsi que ce qu’il prétend désigner, a été initié, construit, formalisé et promu par des intellectuels (représentant initialement la déficience intellectuelle) – et, comme nous l’avons vu, également par des associations (de personnes déficiente motrices et sensorielles). Il serait tout à fait intéressant d’engager une recherche en sociologie sur cette frange d’intellectuels qui a conçu, construit et promu aux côtés des associations ce qui a fini par aboutir au concept d’inclusion scolaire, et à son succès, dû en grande partie au travail réussi de lobbying auprès d’instances supranationales.

De ce fait, une des difficultés méthodologiques à laquelle il est indispensable de répondre quand on veut, comme nous le souhaitons, utiliser les analyses de la sociologie de la traduction concernant la circulation des objets techniques en les transposant vers un objet notionnel, est de bien cerner le fait que le « concepteur », s’il est le plus souvent clairement identifiable et identifié dans le processus de circulation d’un objet technique, ne peut pas l’être aussi clairement pour ce qui concerne un objet notionnel. Seulement, à des fins de méthode, pour pouvoir habiter la pertinence des analyses utilisées dans toute leur épaisseur et afin d’apprécier leur plein potentiel heuristique, nous proposons au lecteur d’identifier quand même un « concepteur ».


L’histoire de la circulation de la notion d’inclusion est en effet caractérisée par trois périodes :



la première (années 1960-1980) est celle qu’on pourrait dire « de proto-inclusion », celle où le terme inclusion n’a pas encore été consacré pour désigner les processus qu’il prétend désigner. C’est la période où on rencontre les termes de « normalization » (concernant à l’origine les déficiences mentales), de « mainstreaming », d’« intégration », autant de termes s’inscrivant dans la généalogie de l’inclusion ;

la seconde (fin 1980-début 1990) est la période au sein de laquelle, pour l’école, s’est progressivement imposé le terme de inclusion (dans le sillon creusé par la notion de special education needs) pour désigner la prise en compte des différences et des particularités des enfants à besoins éducatifs particuliers à l’école ordinaire – et non pas seulement des enfants handicapés. Cette période se clôt avec les adoptions par l’ONU, l’UNESCO et l’OCDE de l’inclusion comme catégorie légitime pour penser, mettre en oeuvre et promouvoir à un niveau international la scolarisation des enfants à besoins éducatifs particuliers ;


la troisième (depuis la décennie 1990) est la période que nous connaissons encore, et qui commence avec l’internationalisation de la notion et des politiques afférentes par le biais des instances supranationales précitées, se poursuivant par des processus d’actualisation différenciée de ces principes en fonction des différents contextes socio historiques nationaux.




Il est important de souligner ici que dans la période 2, dans le moment où s’organise la réussite du lobbying des associations auprès des organisations internationales, ces dernières diligentent et mandatent à leur service des forces intellectuelles pour s’approprier et mettre en forme cette catégorie, avant d’en proposer la promotion par le biais de publications informatives et incitatives (mais pas comminatoires) – appropriation et mise en forme qui constitue un phénomène de traduction. De fait, nous proposons ici de considérer les organisations assurant la promotion des politiques inclusives après en avoir assuré une formalisation spécifique, comme les concepteurs de la notion. Il s’agit certes d’un raccourci et d’une réduction, mais qui fait plus gagner que perdre en termes de portée heuristique.


Si nous avons ainsi cerné des concepteurs, il est nécessaire de nous atteler à définir quels sont les utilisateurs de cet objet notionnel qu’est « l’inclusion ». En effet, comme l’écrit Madeleine Akrich en 2006 :



« Nous ne pouvons méthodologiquement nous contenter du seul point de vue du concepteur ou de celui de l’utilisateur : il faut sans arrêt effectuer l’aller-retour entre le concepteur et l’utilisateur, entre ‘l’utilisateur projet’ du concepteur et ‘l’utilisateur réel’, entre le monde inscrit dans l’objet et le monde décrit par son déplacement. Ce sont les réactions des utilisateurs qui donnent un contenu au projet du concepteur. »
(Madeleine Akrich, 2006)



Des utilisateurs… concepteurs

Pour ce faire, il nous faut admettre que la transposition de l’analyse de la circulation d’un objet technique à celle d’un objet notionnel comporte un autre point de méthode qu’il nous fait éclaircir, et qui est directement en lien avec ce couple conceptuel « concepteur-utilisateur ».

En effet, l’objet notionnel qu’est l’inclusion n’est pas un objet matériel. Sa fabrication n’en a rien de commun, dans le sens où il n’existe nul cahier des charges comparable à celui qui présente la façon de fabriquer un objet technique selon des normes fixées, réglées et standardisées. L’objet notionnel répond à des normes de principes, de mise en forme, de formalisation langagière, d’étayage intellectuel – autant d’éléments qui sont, plus que tout processus standardisé de fabrication d’un objet technique, soumis aux aléas de la différenciation des langues et des nécessités de leur traduction (au sens linguistique du terme), des contextes sociaux et historiques et des traditions nationales en matière de politique publique d’éducation qui en découlent.

Une des conséquences de cet état de fait est que la circulation internationale de la notion d’inclusion peut être appréhendée de la façon suivante : depuis son champ d’origine et à chaque fois qu’un utilisateur – qui est une organisation (association, instance supranationale, Etat national, organisation communautaire comme l’UE, etc.) –, inscrit dans un champ différent, s’approprie l’usage de l’objet notionnel qu’est l’inclusion (y compris avant que ce terme ne soit consacré), il en devient ce faisant un nouveau concepteur. La trajectoire de circulation de l’inclusion reste donc, à son niveau international, une trajectoire marquée par de multiples formes de traduction et par le fait que les organisations qui s’en emparent acquièrent le double statut d’utilisateur et de concepteur. Cette règle s’arrête cependant aux portes des Etats puisque c’est la définition nationale, mise législativement en forme, qui prévaut théoriquement dans les pratiques administratives et éducatives responsables de la mise en œuvre des politiques inclusives.


Trajectoires, circulation et controverses

La promotion internationale du modèle inclusif relève pour l’essentiel, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, des actions à caractère incitatif d’instances supranationales comme l’UNESCO, l’ONU et l’OCDE. En reprenant à notre compte l’analyse de Pierre Bourdieu (1998) des fonctions de l’Etat national, qu’il divise et classe dans ce qu’il nomme en premier lieu la « main gauche » de l’Etat (culture, social, éducatif, soin, soutien, accompagnement, enseignement) et second lieu sa « main droite » (économie, police, justice, armée), mais rapporté à l’espace des instances supranationales, il est possible d’arriver à une conclusion homologue, à savoir que « la main droite ignore ce que fait la main gauche et ne veut pas le savoir ».

En effet, dans l’espace des organisations transnationales, on trouve deux types de structures qui s’accordent avec la partition que propose Pierre Bourdieu : comme relevant de « la main gauche » des pouvoirs supranationaux, on trouve l’UNESCO, l’OMS, l’ONU et l’OCDE ; comme relevant de la main droite, on trouve le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC (et également l’OCDE et l’ONU). De fait, nous pouvons constater que les organisations relevant de la main gauche se trouve produire des politiques à caractère essentiellement incitatif (dont font partie les politiques inclusives) et de l’autre, les organisations faisant partie de la main droite produisent des politiques à caractère majoritairement prescriptif – et qui peuvent se trouver en contradiction avec la bonne application des politiques promues par la « main gauche ». Ainsi en est-il du poste d’AVS-i, censé accompagner la scolarisation des enfants en situation de handicap à l’école ordinaire en France, et qui, pour des raisons essentiellement consécutives aux critères économiques prescrits par l’orthodoxie économique (notamment l’OCDE), se trouve cantonné depuis ses origines à un adossement permanent à des politiques d’insertion sociale et/ou professionnelle.


Au-delà de cette analyse, bien faite pour comprendre que le champ politique des instances supranationales est aussi un champ de lutte et d’intérêts contradictoires et que les luttes qui s’y déroulent ont des conséquences directes sur les politiques nationales et locales, une des questions importantes à se poser concernant la circulation internationale de l’inclusion est précisément les processus de traduction à l’œuvre quand cet objet notionnel se trouve actualisé dans les législations nationales. Serge Ebersold, lors d’un colloque intitulé « Ecole et Handicap » qui s’est déroulé à l’INRP à Lyon les 23 et 24 mars 2010, a présenté les conditions de ce processus de la manière suivantes :




« Les conceptions idéal-typiques de l’inclusion dépendent :

1- des motifs qui animent l’ambition participative (citoyenneté, financière…)
de la conception de la diversité (inadaptation, enrichissement…)
de l’articulation entre conceptions diagnostique et écologique du handicap
de l’existence ou non d’une législation non discriminatoire et son caractère comminatoire
des modes de financement adoptés par les pays (incitatifs ou non)
de la place du handicap dans les appareils statistiques (absence ou non)
du mode de responsabilisation des établissements (ethos inclusif ou non : la responsabilité qu’entend assurer l’établissement n’est pas seulement d’ordre pédagogique mais également citoyen.) » (Ebersold, 2010)



Ces éléments forment ainsi les variables qui entrent en jeu dans le processus de transposition des principes inclusifs dans les législations nationales. Par ailleurs, elles ne sont pas des données naturelles qui seraient caractérisées par un ordre fixe et immuable : elles sont bien au contraire soumises à des processus (historiques) de controverse et de lutte pour la légitimité de l’imposition de leur définition légitime. De ce point de vue, il est utile de reprendre à notre compte une typologie établie par Michel Callon à propos du véhicule électrique (VEL) – auquel nous avons ici substitué la notion d’inclusion et les éléments listés ci-dessus. Il y a selon cet auteur quatre caractéristiques des controverses autour du VEL qui se trouvent tout à fait opérantes rapportées à l’objet notionnel qu’est l’inclusion. Ainsi, les controverses :
 


Portent sur les moyens de mise en œuvre de l’objectif de politique publique que constitue la présence de droit des enfants à besoins éducatifs particuliers, dans les espaces sociaux de droit commun, nommée inclusion – et ceci bien que le terme inclusion puisse ne pas être l’objet des controverses ;

Les solutions envisagées sont « multiples selon les pays, périodes, groupes d’intérêt » et traditions socio-historiques nationales relatives aux politiques du handicap (région particulière des « besoins éducatifs particuliers »).

« Les groupes sociaux impliqués et leurs intérêts sont aussi nombreux et variés que possible (…), chacun défend des intérêts spécifiques, sujets à négociations ». En France, on trouve en effet :

les parents des enfants concernés,
les parents des autres enfants,
les enseignants et leurs syndicats,
les professionnels travaillant dans le champ de l’éducation spéciale,
les associations gestionnaires du champ
les professionnels travaillant dans l’administration,
les représentants politiques et leurs partis
les professionnels émergents comme peuvent être considérés les AVS ou ceux proposant des méthodes et orientations éducatives centrés sur des segments émergeants du handicap car nouvellement identifiés,
les scientifiques défendant l’autonomie de nouvelles formes de « handicap » qu’ils se font fort d’expliquer étiologiquement
etc.

« Les forces qui s’opposent tout au long des controverses s’équilibrent en permanence (…) [et cet équilibre] rend peu efficace les arguments d’autorité et permet à la controverse de demeurer ouverte mélangeant sans cesse des considérations scientifiques, techniques, politiques et économique », écrit enfin Michel Callon. Rapporté à la situation des controverses (très vives) autour de l’objet notionnel qu’est l’inclusion, ce quatrième point est encore à justifier – ce que nous n’avons pas pu faire dans le présent travail.




Au terme de la circulation internationale :
les utilisateurs de l’inclusion dans le cadre
national français

Une trajectoire ascendante (résultant de l’action conjointe d’associations et d’intellectuels vers des instances supranationales), une mise en forme spécifique au sein de ces structures, puis une trajectoire descendante (des instances en question jusque vers les Etats) : voilà comment il est possible de présenter schématiquement la circulation de la notion d’inclusion scolaire. Une fois engagés les processus de traduction nécessaire pour consacrer la notion législativement, elle commence à se retrouvé actualisée dans les cadres légaux des Etats (et, pour l’Europe, dans le cadre intermédiaire des textes communautaires).

Quel regard peut-on alors porter sur les « utilisateurs » du produit de la traduction spécifique des principes inclusifs que connaît le pays dans lequel ils vivent ? Qui sont ces utilisateurs se trouvant en aval du processus de mise en forme légale du mouvement porté par la notion d’inclusion scolaire ?

Nous l’avons vu, la loi n°2005-102 du 11 février 2005 est le produit français de la traduction spécifique à ce pays de la circulation internationale des principes inclusifs. Malgré le fait qu’elle ne mentionne pas le terme « inclusion », elle est empreinte des logiques que ce dernier se propose de représenter :



1- une approche environnementaliste du handicap ;
la notion de « droit à la scolarisation dans l’école de son quartier », adossée au principe de non-discrimination,
la non mention du terme « spécial » ou « spécialisé »,
l’affirmation de l’ambition d’une société qui travaille à dépasser le clivage spatial et symbolique entre mondes de « l’ordinaire » et du handicap



La particularité de la traduction française des principes de l’inclusion au travers de cette loi est d’avoir renoncé au couple « inclusion / besoins éducatifs particuliers (BEP) » : là où cette association (mise en avant par exemple par la déclaration de Salamanque) impliquait de ne considérer le handicap que comme une région particulière des BEP, le législateur français a préféré conserver la spécificité de la notion de handicap, de fait seule concernée par la notion d’inclusion.

En premier lieu, il apparaît que les utilisateurs de l’objet notionnel inclusion le sont sans forcément le savoir, puisque la connaissance des origines en partie internationales de « l’esprit » de la loi n’est pas parmi les connaissances les mieux distribuées, et qu’elle est méconnue de nombreux agents/acteurs. C’est là une des différences fondamentales entre la circulation d’un objet notionnel et celle d’un objet technique, dont la matérialité implique nécessairement une conscience d’utilisation. L’immatérialité de l’objet notionnel fonde la légitimité à affirmer qu’il est possible (et même fréquemment possible) d’en être un utilisateur sans le savoir – ainsi de l’inclusion, entendue comme le produit des processus de traduction ici évoqués. Mais il est un élément d’analyse qui reste commun aux objets techniques et notionnels : les processus de reconfiguration qu’impliquent leur introduction dans le monde social. Ainsi, écrit Madeleine Akrich :



« L’objet technique [ou notionnel NDR] contient et produit une certaine géographie des responsabilités ou plus généralement des causes. Ceci implique que non seulement l’introduction d’une nouvelle technologie est susceptible de construire un nouvel arrangement des choses et des gens, mais de plus, qu’au travers de l’imposition conjointe de certaines formes de causalité, il se produit une stabilisation et une naturalisation [définie plus loin comme un processus de « fixation des liens de causalités » NDR] de ce nouvel ordre, qui peuvent aller jusqu’à la production de nouvelles connaissances sur tel ou tel aspect de notre monde. » (Akrich, 2006)



La « géographie des responsabilités » contenue dans la notion d’inclusion (et ses traductions) se caractérise par son caractère individualiste, ainsi que nous l’avons évoqué plus haut : sont en premier lieu (voire exclusivement) responsables de la bonne mise en œuvre des processus inclusifs les individus qui font partie de l’environnement institutionnel accueillant. Ainsi, Joël Zaffran dresse en 2007 une liste de ceux qui peuvent être tenus pour responsable d’un « échec » du processus de scolarisation d’un élève handicapé :


« L’échec du processus peut conduire à la recherche trop hâtive des causes :
incompétence de l’enseignant
duplicité de l’élève ordinaire
mauvaise foi des directeurs
pathos des parents. »


Il est tout à fait notable de constater que les politiques et leurs dispositifs, et les classes dirigeantes qui pèsent pour déterminer la façon dont doit être organisé le système éducatif, sont singulièrement absent de cette « géographie des responsabilités », qui ne concerne que les agents/acteurs quotidiens gravitant autour de l’établissement.

L’introduction des principes inclusifs en France par la loi de 2005 a provoqué à l’école un « nouvel arrangement des choses et des gens » concernés par cette loi. La consécration en un droit de la scolarisation pour tout enfant en situation de handicap « dans l’école de son quartier » a eu, pour le système scolaire français, de nombreuses conséquences (non exhaustives) :



l’arrivée en masse dans les établissements d’enfants qui ne les fréquentaient auparavant jamais

une multiplication exponentielle du nombre de personnel en poste d’AVS (d’environ 6000 équivalent temps plein (ETP) en 2003 à environ 27 000 en 2010)

une accentuation de l’hétéronomie du champ scolaire en France induite par l’arrivée dans les établissements de personnels non formés et temporaires. Les conditions de recrutement de la frange de ce personnel employé en contrats aidés par l’Etat (les EVS) impliquent aussi l’introduction de la logique de l’insertion dans l’école (et pour des postes intervenant dans les classes) : les personnels en contrat d’EVS sont recrutés d’abord par pôle emploi.




Ces recompositions ont contribué à provoquer des situations de tension parfois très vives dans de nombreux établissements, tensions concernant tout autant les parents, les enfants que les enseignants et les personnels en poste d’AVS-i – et il serait d’ailleurs tout à fait intéressant que de s’attacher spécifiquement à l’analyse des situations conflictuelles en matière de scolarisation des enfants handicapés, dont on trouve de multiples témoignages sur les forums Internet, que ce soit au sein de forums de parents, d’AVS ou d’enseignants.



A titre d’illustration, nous pouvons citer ici l’évocation que fait Noémie de sa relation avec les parents des élèves qu’elle accompagne, relation basée sur une première expérience catastrophique pour elle :




Noémie : (…) la première année (…) j’ai eu des gros problèmes [avec des parents], sans pour autant m’être investie du tout… (Page 11) (...) [La maman] ne pouvait plus supporter sa fille, mais bon c’était une famille qui était aussi très instable, je veux dire (...) bon c’est un jugement, je le sais mais euh…. (...) et en fait elle était très très violente dans tous ses propos et tout ça, parce que moi elle m’a agressé ouvertement et moi j’ai eu très peur à une époque de toute façon c’était un dossier que j’aurais arrêté de suivre à la fin de l’année parce que… j’avais eu les menaces de mort de la propre gamine en me disant que sa mère me tuerait donc euh… voilà (Page 9)



La « géographie des responsabilités » qu’il est possible d’observer au travers d’une attention aux échanges centrés sur les situations d’échec ou de tension est assez homogène. L’enseignant (par les parents ou/et l’AVS-i), l’AVS- i (par l’enseignant ou/et les parents) ou les parents (par l’enseignant et/ou l’AVS-i) sont souvent désignés comme responsables des difficultés – car « incompétents », car « pas à l’aise avec le handicap », car « agressifs et irréalistes », car « incapable de travailler en collaboration », car « méprisant et désagréable », etc. L’organisation générale de la politique qui organise la mise en œuvre de ce droit, son caractère international, les dynamiques collectives qui configurent son application, l’histoire qui en constitue les soubassements, sont autant d’éléments qui ne se trouvent pas sur la carte des responsabilités : seul prévaut le déchirement interpersonnel, l’individualisation des causalités et la personnalisation des affects. On le voit : le monde et la vision du monde intrinsèquement contenus dans la notion d’inclusion se trouvent fort bien actualisés au travers de la traduction qu’en a opéré le législateur français. Il n’est ainsi pas question de dire, ainsi que l’explique Madeleine Akrich à propos des kits (techniques) :



« L’histoire des kits pourrait se lire comme une longue série d’accusations réciproques entre les différents intervenants : d’un côté les [concepteurs] soutiennent que « si ça ne marche pas (sous-entendu techniquement), c’est que c’est mal utilisé (socialement) », de l’autre, les utilisateurs ou plutôt ceux qui se veulent leurs représentants répliquent que « si ça ne marche pas (socialement), c’est que c’est mal conçu (techniquement). » ». (Akrich, 2006).



La conception des dispositifs censés contribuer à mettre en œuvre l’inclusion (notamment le dispositif d’emploi des AVS-i, ou le dispositif de formation des enseignants, par exemple) n’est pas, ou peu, remise en cause, du fait de sa quasi invisibilité. Nous trouvons peu d’acteurs ordinaires des processus de scolarisation des enfants handicapés pour dire « si ça ne marche pas, c’est que c’est mal conçu ». Non, en lieu et place de cette adresse des utilisateurs aux concepteurs, on voit plutôt les utilisateurs se déchirer entre eux et souhaiter enfin « tomber » sur quelqu’un qui ait les capacités individuelles pour s’acquitter correctement des ses missions.

Cécile exprime cette réalité très bien, du côté de l’AVS-i, tout d’abord en exprimant, pragmatiquement, ce qui fonde une des caractéristiques de la position de l’AVS-i : la dépendance à la relation avec l’enseignant :



Cécile : (...) après ça dépend aussi de la relation avec l’instit, (…) ça dépend un peu de la personne avec qui tu bosses, on est vraiment nous, on est vraiment tributaires de ça (...) (Page 22)



Puis en déroulant une typologie sommaire des enseignants avec lesquels elle a travaillé (sommaire mais néanmoins construire sur quatre degrés) :



Cécile : (...) ça s’est bien passé avec les enseignants qui ont un peu plus la fibre (...) après il y a des enseignants avec qui ça se passe bien, t’essaies de faire ta place (...) et puis il y a des enseignants qui ont vraiment besoin de bosser en solo, qui ont pas envie du regard de l’AVS-i… sur son travail (...) et puis voilà… et puis y’en a avec qui ça se passe pas bien du tout…ah ouais, y’en a eu aussi… (Page 26)



Ainsi, si nous pouvons dire, à la suite de Madeleine Akrich, et aux vues du peu de cas fait par le législateur (c'est-à-dire le concepteur) de la qualité des dispositifs d’emploi des AVS-i, de la formation professionnelle des enseignants en matière de scolarisation des enfants handicapés, de l’accueil et de l’orientation des parents dans les MDPH (parties des utilisateurs), que « l’utilisateur n’intéresse pas le concepteur », nous pouvons également affirmer que le concepteur (de la loi) intéresse bien peu les utilisateurs – à l’exception des exemples de quelques démarches judiciaires entamées par des parents pour faire reconnaître le droit à la scolarisation de leurs enfants, et à l’exception de quelques positions militantes et politiques (mais ceci ne concerne également que des démarches d’ordre individuelles, malgré les jurisprudences qu’elles peuvent occasionner).

Une dernière remarque s’impose avant de clore ici cette partie. L’introduction dans les législations des principes organisant (et organisés par) la notion d’inclusion est un processus récent qui est comparable au « processus d’innovation » que décrit Madeleine Akrich (2006) à propos de la mise en circulation d’un objet technique. A propos de ce processus, elle écrit :


« [Il] s’achève quand la circulation du dispositif technique ne génère plus de revendications susceptibles de défaire le réseau ainsi constitué et de remettre en cause le partage stabilisé des compétences entre l’objet et son environnement. ». (Akrich 2006, « Les objets techniques et leurs utilisateurs. De la conception à l’action »)


Nous ne pouvons que constater le fait que le processus d’innovation que constitue la mise en circulation de l’objet notionnel qu’est l’inclusion (et que constitue surtout sa traduction dans les législations nationales) n’est pas stabilisé du tout – et ne semble pas prêt de le devenir. Nous avons déjà abordé une des propriétés du champ français de l’éducation spécialisée qui consiste en une grande variabilité sociohistorique des termes utilisés pour classer (et penser) le non conforme scolaire mais aussi une grande variabilité de la nature des institutions et des dispositifs légaux qui les encadre.

La notion d’inclusion, en tant qu’elle constitue au sein de ce champ une des manières nouvelles de penser le lien entre la population concernée par les processus de dénominations du handicap et de l’infirmité et celle qui ne l’est pas – instituant ainsi, vraisemblablement, un nouveau paradigme dans l’histoire du traitement social du handicap, n’a pas vocation à contribuer à une forme d’ « achèvement du processus d’innovation », à l’exception du moment où, semblable à celui que connaît maintenant la notion de handicap, s’établiront autour de son usage toutes les caractéristiques d’un processus de naturalisation, c'est-à-dire, pour paraphraser Madeleine Akrich, d’une « fixation des liens de causalité ».




























L’inclusion apparaît au travers des éléments développés dans cette partie comme une notion véritablement internationale : elle puise ses racines dans le principe de normalisation développé après-guerre en Scandinavie autour des conditions de vie des personnes déficientes mentales, elle en développe d’autres dans sa reprise et le développement de ce dernier par des intellectuels canadiens, puise une partie de ses origines au sein du mouvement associatif états-uniens de personnes déficientes motrices et sensorielles promouvant l’émergence du modèle social du handicap, pour finalement aboutir à ce que des instances supranationales se saisissent de l’inclusion pour la promouvoir en direction des Etats, imitant ainsi les phénomènes liés à l’internationalisation des politiques économiques qui se développe de manière concomitante.

Par ailleurs, elle est le lieu d’une jonction, du fait du caractère unifiant du terme de handicap (ou de disability, qui possède la même propriété), de déficiences différentes (intellectuelles, à l’origine, pour le principe de normalisation, et sensorielle et motrice pour les associatifs à l’origine du MSH).

L’inclusion consacre également, dans le territoire qu’elle inaugure, dans les mondes qu’elle se propose d’investir et donc de rapprocher, la réunion de champs jusqu’ici entretenant peu ou pas d’interrelation : le champ de l’insertion sociale et professionnelle rejoint celui de l’intégration scolaire (par le double truchement des publics visés par les politiques catégorielles et par les personnels recrutés pour les appliquer), les territoires du handicap ceux du chômage et de la vieillesse. Elle subsume ainsi l’insertion et l’intégration, le social et le scolaire, le social et le professionnel, et constitue pour chacun des champs relevant de ces termes et notions une sorte de point de passage obligé, une synapse, qui relie et rassemble autour de l’idéologie qu’elle transporte au travers de la vision du monde qu’elle contient.

A l’origine du succès de cette notion il y a donc tout le travail social, au sens durkheimien du terme, qui a été réalisé par, en partie (et en sus de personnes déficientes motrices ou sensorielles), des intellectuels.

Quelle réception une notion forgée par des intellectuels, dans l’objectif explicite de changer de mot pour changer de pratique, connaît-elle aujourd’hui dans les milieux académiques – et dans les milieux des professions éducatives censés l’appliquer ? Sans prétendre répondre de manière tout à fait complète à cette question, qui mériterait une recherche spécifique, tentons dès à présent d’y apporter quelques éléments de réponses, au sein d’une partie qui va s’attacher à décrire l’inclusion dans son versant spécifiquement scolaire, qui est celui qui nous intéresse plus particulièrement dans ce travail.





L’inclusion dans son versant scolaire




« 25 années d’appels réitérés en faveur de l’intégration, relayés par un imposant dispositif législatif, se sont avérées incapables d’opérer les changements attendus. »
Fardeau Michel (2001)




Intellectuels et profession enseignante face à l’inclusion scolaire


Quelle est la communis doctorum opinio, le sens commun savant, concernant le handicap et les processus de scolarisation d’intégration scolaire ? Dans certains espaces du milieu académique où le handicap n’est, comme le dit Henri Jacques Stiker, pensé que comme un « lieu de militance et d’action » et pas du tout comme un sujet théorique digne d’intérêt pour la recherche (y compris – surtout ? – dans le champ des sciences de l’éducation), le sens commun savant se trouve ne pas prendre une forme très différente du sens commun communément partagé. Cependant, dans les quelques espaces académiques où handicap, déficience et infirmité sont objets et champs de recherche, l’opinion commune savante se trouve caractérisée par des actualisations différenciées à propos de l’inclusion scolaire que nous souhaitons ici contribuer à éclairer.

Qu’il apparaisse évident pour le savant que les enfants handicapés ne puissent pas être éduqués et enseignés dans un espace commun ou au contraire qu’il apparaisse pour un autre qu’il va de soi que tous les enfants, quelle que soit leur situation, doivent partager les mêmes espaces d’éducation, et c’est toute l’épaisseur du caractère anthropologique des appréhensions socialement différenciées des infirmités, déficiences et handicap qui apparaît : tout comme dans les autres champs, il n’existe pas en France de consensus savant autour de la place que la société des humains doivent accorder aux personnes porteuses d’une déficience. Les recherches menées (ou pas) en matière de modalités d’éducation séparée ou d’éducation commune (cette dernière étant aujourd’hui favorisée par la loi) restent de toute façon marquées par ces soubassements épistémologiques – et, quand elles existent, la façon dont elles sont menées et conclues le sont également.







2.1.2.1 Le champ académique et l’inclusion


L’inclusion scolaire et la pensée de l’altérité
radicale : une « réponse idéologique »



«  Si (…) la scolarisation des enfants déficients ne se fait pas selon l’ampleur souhaitée par les associations de parents et idéologues de l’inclusion, c’est notamment parce que les instituteurs, soutenus par les parents d’élèves, savent expérience et corporatisme mêlés, qu’ils ne peuvent former ensemble des enfants dont les rythmes d’apprentissage, de déplacement, sont différents de la moyenne. Pour leur bien et leur sécurité respectifs, déficients et collectivités sont contraints de se séparer car leur rythmes ne sont pas identiques, ni conciliables à moins que les valides acceptent de prendre une part de la charge constituée par la déficience : si nous le voulons, le pouvons-nous, au fil des longs jours, dans le temps et dans l’espace ? » (Blanc 2006)



L’ouvrage dont est extrait l’exergue ci-dessus va constituer pour cette partie la référence unique qui va nous permettre d’appréhender en quoi se caractérise la pensée de l’altérité radicale des personnes handicapées (Alain Blanc parle uniquement de « déficience » et de « personnes déficientes ») et quel est le regard qu’elle pose sur la scolarisation des enfants handicapés et sur la notion d’inclusion – pour ce dernier objectif, il semble bien que quelques éléments soient d’emblée ici fournis.


Alain Blanc se donne dans cet ouvrage l’objectif de décrire et d’analyser les conséquences de la déficience dans la construction, la structuration et le déroulement des relations sociales – jusqu’à convoquer la notion de liminalité pour offrir un modèle intégrateur à forte portée heuristique pour appréhender la position des personnes déficientes dans les échanges sociaux. A partir d’analyses sociologiques comme celles de Norbert Elias, Albert Memmi, Erving Goffman ou de Marcel Mauss, Alain Blanc construit un étayage théorique solide pour servir son analyse. Dans ce cadre, il écrit par exemple :







« Dans la mesure où la déficience focalise l’interaction, elle empêche les interactants de se rapporter librement à autre chose qu’elle : véritable prison, elle enferme l’interaction qui donc cesse d’avoir ce caractère de « sécurité » au fondement de la vie relationnelle. L’évitement est cohérent. En même temps qu’il traduit une expérience, il participe à la compréhension du monde : avec les déficients, on ne peut pas se comprendre. (…) [L’évitement] est une réponse adaptée à l’insécurité provoquée par la déficience : souhaiter donc que nos concitoyens se rapprochent des déficients devient un discours idéologique plaqué sur le bouleversement interne de l’interaction induit par la déficience. » (Alain Blanc, 2006)


Pour Alain Blanc, la déficience s’instaure également en « fait social total », selon l’expression de Mauss :


« C’est une initiatrice de la vie sociale. En nous faisant rencontrer un autrui particulièrement décalé, elle nous amène à toucher du doigt la précarité des relations sociales. Elle rend perceptibles les aménagements devant être réalisés pour que la circulation des échanges reste possible. »


La déficience permettrait ainsi, quand elle fait irruption dans les relations sociales, de mettre au jour, d’apporter à la conscience tout ce qui les fondent et les rend possibles – étant entendu que ces éléments ne sont par ailleurs ni perçus ni connus par les non déficients tant ils sont quotidiens et proprement incorporés.


Cette perspective analytique mettant en avant une « socialisation impossible », ou « introuvable », une « altérité radicale et inconvenante » de ces personnes déficientes qui, en tant que « figures de la limitation », trouvent leur « lot [dans] (...) l'inconfort, la douleur, l'isolement, (...) [et] une certaine et variable inadéquation au monde », est néanmoins basée, de notre point de vue, sur un point aveugle qui se décline en deux axes :


aucun des auteurs convoqués n’a spécifiquement travaillé sur le sujet de la déficience, et aucun d’entre eux n’est porteur d’une déficience

par contre chacun d’entre eux a travaillé dans un contexte sociohistorique où le processus de naturalisation de la culture de la séparation était acté, et donc dans un contexte où, de fait, les relations sociales analysées ne concernaient que les individus non porteurs de déficience.


Ainsi, les analyses produites par Alain Blanc pour justifier de la « socialisation introuvable » sont basées sur un outillage théorique issu de périodes historique où elle l’était effectivement – car institutionnellement organisée. Même s’il écrit que « en l’état des sociétés analysées, l’insertion des personnes handicapées reste une fiction démentie par les faits », il opère une sorte de fixation des liens de causalité (de naturalisation) des origines de cet échec, oubliant de situer historiquement les (récentes) mesures législatives en faveur du principe de la fin de la séparation, oubliant de rapporter ces principes aux moyens politiquement définis pour les mettre en œuvre, et amalgamant en un seul tout, grossier et vaporeux, l’échec de ce qu’il appelle « l’insertion des personnes handicapées » et les positions consistant à défendre cette « insertion », en rapportant la dernière au premier. Il y aurait donc échec du fait non pas des politiques menées depuis un siècle (qui sont complètement invisibles dans son analyse) mais du fait de la seule inadéquation fondamentale entre les processus de socialisation propres aux non déficients et ce que provoque dans ces processus l’irruption de la déficience – en clair, l’échec serait dû à un fond anthropologique qui trouve une inscription dans chaque individu et face auquel l’action collective ne pourrait rien.

De fait, l’auteur, et malgré qu’il s’en défende, nous semble opérer une « naturalisation mécanique » de la déficience et, surtout, de sa place et de ses effets dans l’économie des échanges symboliques. Une des matrices de cette naturalisation est le fait que la pensée de l’altérité radicale est (délibérément) valido-centrée, et basée sur des appareils théoriques qui le sont tout autant : en témoigne la récurrence des « nous » (entendre : « nous, non déficients »), qui parsèment l’ouvrage :


« Nous fuyons les déficients car l’absence de société s’officialise en eux. Le développement séparé est la réponse favorable, l’eugénisme est la réponse défavorable. »

« Dans le monde de la légèreté et de l’édulcoration, la déficience impose sa lourdeur et nous confronte à la tragédie. »

« Le corps déficient résiste à la socialisation (...) : les postures et dispositions corporelles trouvent un terrain peu propice comme si la nature corporelle était rétive à l'imposition de normes. On peut donc concevoir que si la déficience nous reste étrangère, c'est qu'en elle se signifie un défaut d'incorporation ».

« La personne déficiente est étrangère en notre monde, car il est en inadéquation avec elle ; organisé sans elle, il ne lui réserve qu’un accueil mitigé, et l’érige donc en étrangère (…). L’expérience de la déficience est celle de « l’extraterritorialité » ».


Ce qu’Alain Blanc avalise (en creux) au travers de cet usage (à notre sens très problématique, a fortiori pour un sociologue) du « nous », c’est la pertinence des « disability studies » dans leur version nord-américaine, c'est-à-dire le fait de poser comme préalable épistémologique à toute recherche sur le handicap et/ou la déficience d’être soit même une personne handicapée et/ou porteuse d’une déficience, et le fait de penser la pratique de la recherche comme devant répondre avant tout à une visée politique d’émancipation – par le savoir et sa diffusion.

En effet que signifie la production d’une analyse telle qu’Alain Blanc la délivre, postulant que les personnes déficientes « entrent dans un processus de disqualification personnelle et sociale difficilement compensable » du fait d’une « inadéquation au monde » (et surtout pas pour des raisons politiques), quand elle est produite par une personne non déficiente qui convoque uniquement des intellectuels non déficients pour asseoir théoriquement ses analyses ?

Pour s’en faire une idée, il suffit d’imaginer la même chose concernant les femmes, ou les noirs, ou les homosexuels – et il apparaît alors à quel point la dimension proprement politique de la situation des personnes déficientes se trouve évacuée derrière un discours qui se pense comme scientifique mais qui procède d’une naturalisation de la place qui leur est accordée dans les espaces sociaux et les échanges, et à quel point les processus de domination sociale (et les théories qui se proposent de les analyser, dans une visée émancipatrice) constituent un élément central qui est quasiment absent chez Alain Blanc.

Ceci étant posé, que dire des exceptions, qu’Alain Blanc traite (rapidement), à la manière classique du sens commun, c’est à dire affirmant qu’elles ne font que « confirmer la règle » – ce qui, d’un point de vue scientifique, ne nous semble pas d’une rigueur à toute épreuve ? Que dire des expériences propres aux situations d’échanges entre personnes déficientes et initiés familiaux ou professionnels ? Que dire des socialisations « possibles » et « trouvées » – et de leurs conditions sociales de possibilité ? Que dire des processus de construction d’une position d’initié (au sens de Goffman, 1975) ? Que dire, plus spécifiquement, des conséquences du côtoiement dès la maternelle entre enfants non déficients et enfants déficients, chez les uns et chez les autres, tous faisant partie de la première génération dans l’histoire de l’école républicaine qui ait la possibilité de grandir ensemble à l’école ? Enfin, que dire des conditions sociales (et sociopolitiques) de l’organisation et du déroulement de cette expérience inédite ?


« Une des réponses idéologiques [à cette sorte de présence et d’absence au monde que connaissent les personnes handicapées que Blanc caractérise comme une situation liminale] consiste à élaborer un discours à vocation centripète mais plaqué sur une réalité aux tendances centrifuges. »


Expliquer (et dénoncer) le caractère idéologique (et son échec presque « génétiquement » programmé) des discours défendant l’éducation commune au sein d’une seule école pour mettre fin à un siècle d’éducation séparée, en invoquant le produit historique de cette séparation nous semble procéder d’une posture qui relève d’une idéologie – ou, à tout le moins, d’une posture qui tend à attribuer aux processus de socialisation organisant les échanges et leurs économies un caractère fixiste – tout comme ce fut historiquement (et est encore) le cas pour une frange du milieu médical au sujet des personnes déficientes mentales. En prétendant décrire, mais en décrivant sans précautions, on contribue à prescrire, à produire du performatif, et de fait à renforcer le caractère faussement « naturel » (mais véritablement historiquement construit) de ce qu’on prétend décrire. On habite une tendance à la prophétie auto réalisatrice – celles qui s’ignorent étant probablement les plus puissantes.

La « tragédie », « l’inconfort », la « douleur », « l’isolement » des personnes déficientes, répondent ainsi d’une réalité qu’il est difficile de contester – mais qu’il est impossible de généraliser pour autant. En décrivant ces états, ces ressentis, comme résultant uniquement du caractère d’inadéquation des caractéristiques de la déficience avec l’économie générale des échanges sociaux telle qu’elle s’est historiquement construite, Alain Blanc contribue à invisibiliser tout ce qui, en sus, participe du caractère dynamique de cette économie, et notamment toute la dimension politique et sociale. Car s’il évoque, en passant, quelques exceptions, jamais il ne tisse de liens entre la déficience et les conditions sociales et économiques des personnes qui en sont porteuses. Or au lieu de limiter l’analyse à la place du corps dans les processus de socialisation, au lieu de restreindre le périmètre des raisons de l’échec des processus « d’insertion » (selon les termes de l’auteur) à quelques prétendus invariants anthropologiques que le modèle de la « liminalité » embrasserait dans son ensemble, il est nécessaire de notre point de vue d’étendre l’analyse à la dimension politique et véritablement sociologique – dans le sens d’une étude des conditions sociales de possibilité des processus de socialisation « trouvée » et « possible » - et l’inverse.

A l’opposé du travail théorique d’Alain Blanc, à l’autre bout du spectre en quelque sorte, on trouve les travaux de Charles Gardou, notamment, qui est inscrit dans un mouvement intellectuel qui fonde ses approches sur des prémisses opposées à celles de la pensée de l’altérité radicale : l’éducation et l’enseignement communs sont possibles, et souhaitables.













L’inclusion scolaire et ses promoteurs :
la matrice d’une
mutation anthropologique



« Jean Cocteau se plaisait à dire que « l’avenir n’appartient à personne ; il n’y a pas de précurseurs, il n’y a que des retardataires. » Et nous sommes retardataires quand prévaut la logique de la séparation et de la relégation ; lorsque nous considérons les situations de handicap avec une conception protectionniste ; quand nous demeurons pris dans une culture de la standardisation ; tant que l’accès à l’enseignement des enfants affectés par un handicap reste entravé et que nombre d’entre eux continuent à subir des formes de discrimination et de ségrégation. Ainsi, comment, dans le contexte actuel, dynamiser le mouvement inclusif ? Comment revitaliser les structures ? Comment éveiller la conscience de chacun ? (…) Peut-on croire aux effets de moyens nouveaux sans agir en profondeur sur la culture ? » (Gardou, 2006)


Sortir de la culture de la séparation, ne plus considérer les situations de handicap avec une conception protectionniste, se déprendre d’une culture de la standardisation, éveiller les consciences, bref « agir en profondeur sur la culture ». A prendre connaissance de ce texte, titré « Mettre en œuvre l’inclusion scolaire : les voies de la mutation », et qui présente neuf voies à initier pour « rentrer dans cette mutation fondamentale », on comprend à quel point l’approche de Charles Gardou se trouve être en quasi symétrie avec celle de Alain Blanc – le premier faisant vraisemblablement partie de ceux que le second nomme « les idéologues de l’inclusion ».

Tout se passe comme si Charles Gardou, face aux soubassements anthropologiques fondant les effets de la déficience dans les relations sociales (tels que les décrits bien Alain Blanc) avait, en lieu et place du seul caractère constatif du travail d’Alain Blanc (et, nous l’avons évoqué, également, de notre point de vue, performatif, du fait de la naturalisation qui caractérise son analyse), s’était plutôt résolu à centrer son analyse sur les mesures politiques pouvant contribuer à initier un travail collectif visant à « muter » le rapport que la société entretient avec la déficience et le handicap et les personnes qui en sont porteuses (et victimes). Tout se passe comme si Alain Blanc considérait toute évolution des soubassements anthropologiques comme ne relevant que d’une prise de conscience illusoire et vouée à l’échec là où Charles Gardou postulait une mutation anthropologique initiée par des mesures d’ordre politique. Tout se passe comme si cette dernière, pour Alain Blanc, ne pouvait rien, et comme si, chez Charles Gardou, elle pouvait, non pas tout, mais quelque chose.

Charles Gardou, en France, est une figure centrale de la promotion de l’éducation inclusive – et ses travaux (anthropologiques) témoigne par ailleurs de préoccupations plus larges, centrées sur le rapport à la déficience, au handicap, à la fragilité, à la « vulnérabilité », entièrement inscrites dans un programme général visant à contribuer à cette mutation. Il est perçu par certains acteurs/agents comme un « idéologue », cependant, une simple lecture de ses écrits montrent rapidement que ça n’est pas le cas et que la nuance, nécessaire quand on distingue les principes de leur application au travers d’une nécessaire immanence prenant en compte la réalité et l’héritage historique qui la traverse, est bel et bien présente :
« Aussi convient-il de se garder de deux excès : le fanatisme intégratif et le refus d'intégration. Le premier est une façon de nier le handicap : en ignorant la lourdeur des difficultés, on risque de créer des situations physiquement intenables ou psychologiquement traumatisantes, de façon parfois irréversible. Certains enfants, trop marqués par leur handicap, sont justiciables d'aides et d'interventions que l'école ne peut assurer. Des progrès ne sont alors possibles que dans un milieu très organisé et finalisé à la fois sur le plan technique, thérapeutique et pédagogique. Les structures spécialisées n'ont pas pour mission d'organiser une ségrégation, mais de contribuer, par d'autres voies, à l'insertion sociale des enfants et adolescents qu'ils reçoivent. L'autre excès, le refus d'intégration, est une manière de délivrer l'école de ceux qui sont sensés entraver sa bonne marche et de fuir en même temps, sous couvert de motifs pédagogiques fallacieux, ses propres responsabilités face aux plus démunis. »

Mais en dehors du cadre national français, où, nous l’avons évoqué, la notion d’inclusion est encore très méconnue au-delà des spécialistes et des professionnels, elle s’est inscrite de manière beaucoup plus importante dans certains milieux académiques. C’est le cas notamment au Québec, du fait de l’ancrage canadien des travaux fondateurs de Wolf Wolfensberger autour du principe de normalisation. Dans ce pays, et notamment dans les départements de sciences de l’éducation, le sens commun savant de l’inclusion s’articule autour d’une affirmation des « valeurs d’équité, de respect, d’entraide » (Rousseau, Bélanger, 2004), fondant ainsi l’inclusion scolaire comme une évidence, un allant de soi. Nadia Rousseau (2004) oppose néanmoins la notion d’inclusion entendue comme « l’application de lois et de politiques obligeant à l’éducation dans un contexte « régulier » » et la notion d’inclusion « comme la résultante d’une préoccupation humaniste » ; en d’autres termes, il y aurait d’un côté l’évidence morale du principe inclusif « pur » et de l’autre la traduction législative de ces principes, qu’il ne faudrait (à juste titre) pas confondre.

A expliciter le « pourquoi  l’école inclusive », les Québécoises Nadia Rousseau et Stéphanie Bélanger pose les éléments suivants, qu’il apparaît difficile de contester tant ils forment un ensemble consensuel (traduisant bien la position consacrée de la notion d’inclusion scolaire au Québec) :


1- « développer le plein potentiel de tous les membres de la communauté »

2- « pour développer les compétences et attitudes nécessaires au « mieux-vivre ensemble » »

3- « pour miser sur les forces de la collectivité plutôt que sur ses limites » (Rousseau, Bélanger, 2004)

« C’est ce désir profondément humain de voir son enfant grandir avec ses camarades dans des conditions normales qui a mené à la création de lois et de politiques favorisant l’accès à l’école pour tous », écrivent-elles encore.


De notre point de vue nous assistons, dans cette dernière phrase, à une déshistoricisation, outre des véritables ressorts historiques de la consécration de la notion, de ce « désir » parental « profondément humain » : en effet, ce dernier est également un produit d’une construction socialement et historiquement marquée – et il nous paraît important de ne pas invisibiliser ce fait. Par exemple il pouvait être, en France dans les années 1950, et dans une frange seulement de l’ensemble des parents d’enfants déficients intellectuels, « profondément humain » de souhaiter voir grandir son enfant dans une institution spécialisée (plutôt qu’à l’asile, ou à domicile). Nous avons là, grâce à ces auteurs québécois, la possibilité de formuler la constatation suivante : les parents des années 2000 considèrent comme un droit, prolongement « normal » d’un « désir profondément humain », que leur enfant handicapé aille à l’école – seulement, une grande partie ignore l’histoire des luttes parentales qui les ont précédées et considèrent comme des acquis « naturels » des droits dont l’origine historique est masquée. Il est permis de regretter que des chercheurs ne prennent pas acte, même pour un rappel historique bref, de tout ce qu’impliquent ces manquements à la rigueur historique.

Ainsi, pour caractériser les promoteurs francophones de l’inclusion scolaire, il est possible d’établir la typologie (sommaire) suivante :



dans les pays où l’ancrage notionnel est ancien, on rencontre un sens commun savant qui a une tendance à l’unification et à la déshistoricisation. Pour reprendre, appliquée à la notion d’inclusion, l’analyse de Francine Muel-Dreyfus concernant le poste d’instituteur, la période d’ « invention » est close, et tout ce qui la caractérisait a été relégué dans une « boîte noire » (comme disent les sociologues de la traduction). L’inclusion scolaire se trouve ainsi travaillée dans un double aspect : ses traductions légales et ses fondements éthiques – mais se trouve de fait très peu remise en cause et globalement acceptée.


Dans les pays comme la France, où la notion est encore en période « d’invention » et de traduction, le milieu académique se trouve caractérisé par des divergences assez franches : pour les uns l’inclusion est une idéologie formant une réponse vaine et inadaptée au problème que pose la déficience dans la société, pour les autres elle représente un prétexte historique à une transformation profonde du rapport de la société avec le handicap et la déficience et, dans ce cadre, du système éducatif.




Il est notable de constater qu’entre les pôles personnifiés par Alain Blanc et Charles Gardou, le premier rejetant le terme et ce que recouvre l’inclusion, le second le prenant à son compte et s’y appuyant pour penser les évolutions qu’il juge historiquement nécessaires, il y a des espaces intermédiaires. Notamment celui pris par un sociologue comme Joël Zaffran, qui écrit en 2007 :




« Finalement, l’utilisation du terme d’intégration ou de celui d’inclusion importe peu. Ce qui compte, c’est la capacité de saisir puis de gérer les implications sociales d’une demande d’inscription d’un enfants handicapé à l’école ordinaire ».




Cette posture (intermédiaire à celle préalablement rapidement décrites) selon laquelle le choix des mots importe peu, est, de notre point de vue, intéressante dans le sens où elle se concentre sur les pratiques et « les implications sociales » des mesures politiques, mais elle semble, en refusant de se positionner, sous estimer la force d’imposition des mots et, de plus, imposer une frontière trop nette entre enjeux théoriques (et notionnels) et enjeux pratiques, frontière qui peut devenir tout à fait préjudiciable pour les uns comme pour les autres. Par ailleurs, refuser de prendre position est bien évidemment une prise de position.



Il y a une tradition théorique qui produit un autre positionnement sur la question de l’inclusion (et de l’intégration scolaire) – ceci sans se positionner à un niveau normatif (pour ou contre), et sans entrer dans les querelles théoriques parfois byzantines sur le sujet de l’inclusion, mais en restant centré sur les usages sociaux qui s’y réfèrent, positivement ou négativement : il s’agit de la sociologie conflictualiste.

L’inclusion scolaire et la sociologie
conflictualiste : un processus raffiné
d’euphémisation


La sociologie conflictualiste est, avec les théories fonctionnalistes et les théories individualistes (de l’acteur rationnel), une des trois grandes branches théoriques qui fonde le paysage de la sociologie contemporaine. Le postulat conflictualiste sur les systèmes éducatifs se trouve résumé par Sally Tomlinson (1982)  (elle fait référence aux travaux de Archer, 1979) :


« Education systems (...) develop their characteristics because of the goals pursued by the people who control them and who have vested interests in their development. (...) [Education systems] change because of debates, arguments and power struggles. (...) Change happens because certain people want it to happen and can impose their views and goals on others. » 


Partant, le rôle de la sociologie dans les courants théoriques se rattachant à la tradition conflictualiste est de « demystify social processes and social situations ». Néanmoins, en matière de démystification, un point aveugle de la sociologie de la tradition conflictualiste telle que la pratique Sally Tomlinson se trouve particulièrement identifiable à partir de l’extrait suivant :


« Some groups concerned with special education actually have vested interests in structuring debates in particular ways rather than clarifying issues. » (Page 58)


En effet, à partir du moment où les sociologues s’emparent de cet objet d’étude, ils deviennent eux aussi un groupe qui se caractérise par des intérêts spécifiques concernant l’enfance handicapée, et un groupe qui a lui aussi des intérêts spécifiques à « structurer les débats dans un sens particulier » plutôt qu’un autre. Cette critique dévoile un intérêt important de la théorie de Pierre Bourdieu (elle aussi de tradition conflictualiste) qui est l’insistance qu’elle pose en matière de processus d’objectivation – qui manque ici au travail de l’auteure.
Au-delà de ce point, si on ne peut réduire la genèse du champ de l’éducation spéciale dans les sociétés industrielles aux seules préoccupations humanistes et progressistes (en éludant le caractère de contrôle et de « prévoyance sociale » couplé à l’intérêt économique que représentait l’apport démographique au sein de la production d’une catégorie de la population jusqu’ici non-concernée par l’expansion du salariat moderne), il en est de même pour l’émergence du débat autour de l’intégration scolaire :


« Egalitarian distaste for segregating certain groups of children, plus the expend in providing for a growing number of “handicapped” in special school, had led to an intensified debate on “integration”, or provision in ordinary school for children formerly categorised out of the school. »


Sally Tomlinson pose sur cette base une analyse très intéressante, et en quelque sorte en prélude à la reprise par Eric Plaisance dans les années 2000 de la formule de Pierre Bourdieu et Patrick Champagne, les « exclus de l’intérieur », rapportée à la situation des enfants handicapés scolarisés en milieu dit ordinaire :


« The state education system developed over the past hundred years with a “safely-valve” that of the exclusion of certain children, particularly those from the “social problem class”, into a separate sub-system. This was originally legitimated by careful categorisation, but now will be legitimated by the rhetoric of special need, even if the exclusion only amounts to the room next door. » 


Ainsi, les processus d’intégration (ou d’inclusion), au-delà des principes et des subtilités théoriques fondant telle notion comme nouveau paradigme (d’action publique, sans s’intéresser outre mesure aux pratiques), peuvent ne faire que perpétuer l’invariant de la mise à l’écart en lui faisant prendre des formes sans cesse nouvelles.

De plus, les politiques autour du handicap, si elles se formalisent différemment et invoquent des justifications différentes, seraient en fait mues par un soubassement politiquement intangible qui se trouve actualisé dans les discours et les dispositifs par le biais de procédés d’euphémisation, ce dernier terme signifiant, étymologiquement, « positiver du négatif ». Le centre de gravité commun à ce soubassement anthropologique est, pour Sally Tomlinson, le travail – ou plutôt son accaparement par la classe dominante qui a contribué à le réduire au cadre rétréci et contraignant de l’emploi :


« Until recently, the profit motive in such a society dictated that as many members as possible should be productive and even the defective or handicapped must work if possible.” Ainsi, conclut-elle, « the underlying functions and purposes remains. ».


Francine Muel-Dreyfus ne dit pas autre chose quand elle écrit en 1983 :

« La situation de concurrence pratique et idéologique [du champ de l’éducation spéciale], indéfiniment reproduite au cours du temps, invite les agents à penser les aménagements ou les rénovations comme des innovations fondamentales introduisant des ruptures radicales, alors que l’histoire des institutions conduit au contraire à mettre en évidence une extraordinaire continuité ». (Muel-Dreyfus, 1983)

En France, ce qui caractérise l’usage fait par le législateur de la notion d’inclusion nous semble confirmer le caractère opératoire de l’analyse de Francine Muel-Dreyfus – et de la sociologie conflictualiste. Cet usage se trouve en effet inscrit dans un programme politique global organisant le retrait de l’Etat de ses fonctions sociales et relevant d’une véritable utopie issue d’un



« (…) programme scientifique de connaissance converti en programme politique d’action (…) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » [au travers d’un] programme de destruction méthodique des collectifs ». (Bourdieu, 1998)



Quand le « discours fort » du néo-libéralisme imprègne jusqu’aux territoires des politiques scolaires, il apparaît de notre point de vue comme impossible de penser les systèmes éducatifs indépendamment des forces qui tentent de les contrôler et qui les influencent, sauf à souhaiter faire comme si elles n’existaient pas, ou à souhaiter conserver une neutralité qui n’apparaît comme rien d’autre, en l’état actuel des rapports de force, que comme une avalisation et un soutien de fait de l’idéologie dominante. Ainsi, en matière des pratiques et effets sociaux du traitement social du non conforme scolaire (dont font partie les enfants handicapés, et dont on a vu par ailleurs qu’ils ne se réduisaient pas aux enfants déficients), qui trouvent aujourd’hui des conditions de rencontre et de réunion avec le non conforme social au travers de l’opposition inclusion / exclusion largement investie et promue par les discours des forces intellectuelles vouées à servir le pouvoir politique, la permanence domine largement le changement, comme le pointe ici Francine Muel Dreyfus.

Ceci étant posé, quel regard pouvons-nous maintenant porter, au-delà du milieu académique, sur la réception de l’inclusion scolaire ? Qu’en est-il dans les milieux enseignants ?


2.1.2.2 Les professions enseignantes et l’inclusion

L’inconscient social du métier d’instituteur


« L’instituteur est donc fortement intéressé à contracter de bonne heure l’habitude d’un maintien convenable. Il doit être modeste sans timidité, grave sans affectation, et rien ne disposera mieux en sa faveur qu’une simplicité affable dans toutes ses manières. (…) C’est principalement en observant et en imitant les personnes dont l’éducation a été soignée que l’on parviendra à éviter les gaucheries qui rendent souvent ridicules ».
M. Richard, inspecteur de l’enseignement primaire : « conseils pratiques aux instituteurs », revue pédagogique, n°4, avril 1881 (Cité par Francine Muel-Dreyfus, 1983)


Dans son ouvrage « Le métier d’éducateur » (1983), Francine Muel-Dreyfus produit un travail extrêmement intéressant sur les origines sociales du métier d’instituteur et d’institutrice, esquissant des traits de ce qu’elle nomme « l’inconscient social de la profession ». A l’époque de la formalisation du métier, indissociable de la construction de l’Ecole de la troisième république à la fin du 19ème siècle, elle montre, à partir d’un travail remarquable sur des archives d’époque, que les instituteurs et institutrices sont recrutés en majorité parmi les membres de « la petite bourgeoisie, des fractions inférieures des classes moyennes et des fractions supérieures des classes populaires ».

Plus vraiment partie de leur catégorie sociale d’origine dont les représentants les voient comme désormais appartenant à un milieu qui leur est extérieur et comme des exemples de mobilité sociale ascendante, mais pas non plus partie de ceux qui ont encore le monopole de l’accès à la « haute culture », à la culture légitime consacrée par l’accès à l’enseignement secondaire (alors qu’eux restent des « primaires »), les instituteurs et institutrices de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème sont dans une position de corps intermédiaire, pris entre ceux qui les ont mandatés pour instruire le peuple et les représentants de ce peuple dont ils sont issus mais dont il ne font plus partie.

Cette position est proprement incarnée, incorporée, dans ces temps de fondation du poste, par le biais d’un « apprentissage d’une attitude respectueuse à l’égard de la culture dominante », d’un « ‘juste’ rapport à la culture », d’une « dévotion culturelle », d’un apprentissage à « ‘bien’ utiliser leur temps libre », qui leur permettent de « se soustraire ainsi aux manifestations les plus directes et les plus corrosives du mépris de classe ». Cette nature de corps intermédiaire fonde une propriété de la position ultérieure du poste d’enseignant primaire qui reste tout à fait opérante aujourd’hui.

Francine Muel-Dreyfus évoque ainsi le « double isolement », social et moral, des instituteurs et institutrices, qui se trouvent « investis d’une action civilisatrice quasi-missionnaire par les fractions républicaines de la bourgeoisie pour l’assimilation du monde paysan ». Pour ce faire, ils reçoivent une « formation professionnelle qui, à l’instar de celle qui marque les prêtres comme des hommes différents, les sépare des parents d’élèves ».


« Des lois Ferry à la guerre de 1914, l’enseignement primaire est pris dans un système de classement hiérarchisé qui est celui de l’école (le concret opposé à l’abstrait, les Lettres opposées à la dictée, l’imposition d’une définition péjorative du « scolaire » comme mode crispée de rapport au savoir opposé à l’aisance culturelle) et qui le rappelle sans cesse à son indignité culturelle ; c’est dans ce contexte qu’il va se doter de sa spécificité définitive, c'est-à-dire d’une légitimité culturelle propre, le monopole de la pédagogie. Tout se passe comme si, pour remplir au mieux sa mission, le futur instituteur devait à la fois reconnaître la culture dominante – et les classements qu’elle impose – comme la « vraie » culture et avoir intériorisé très fortement, dans le processus d’inculcation de l’éthique professionnelle au cours des trois années passées à l’école normale, l’idée que la culture qu’il a acquise est une culture primaire ».


Nous avons là une des matrices historiques de l’habitus professionnel des enseignants du premier degré : ces propriétés ont fondé le poste et sa position, et favorisé son occupation par ceux qui se retrouvaient en « harmonie » avec lui, c'est-à-dire avec ceux dont les dispositions sociales correspondaient aux caractéristiques objectives du poste naissant d’instituteur. Pour expliquer cette concordance, Francine Muel-Dreyfus évoque :


« Le travail proprement social qui fait que les individus sont amenés à occuper les postes d’une façon telle que l’identité sociale imposée par le poste devienne comme une « seconde nature » ».


Malgré toutes les évolutions, la permanence de ces propriétés dans les caractéristiques objectives de la position du poste d’enseignant du primaire constitue de notre point de vue une des raisons de la permanence du fait que l’intérêt à enseigner à des enfants qui ont historiquement presque toujours été soustraits à leur action est resté et reste encore relativement faible, et que le sens commun du métier consiste à invoquer pour ces élèves non conformes des professionnalités qui leur sont extérieures, étant bien entendu qu’enseigner à ces enfants ne fait pas partie de leur métier, et qu’ils n’ont « pas été formés pour ça ».


Ses conséquences relatives au mouvement inclusif

La culture et le savoir des instituteurs et institutrices, pour « primaires » qu’ils soient, semble ne pouvoir trouver de résonances ni de consécration dans un agir professionnel tourné vers des enfants anormaux ou handicapés. La dévotion à l’égard de la culture dominante – notion qui relève également, ainsi que le montre l’exergue ci-dessus, de l’acception sociologique du terme –, est incompatible avec l’absence de place ou de considération que celle-ci réserve au non conforme, à l’anormal, à l’irrégulier.

Il y a là aussi une des raisons qui rend la coopération avec un autre professionnel non enseignant, dans le cadre de sa classe ou de son école, si difficilement pensable et praticable – et ce d’autant plus que cette histoire des origines, qui fonde la nature intermédiaire de la position du corps des instituteurs et institutrices dans l’espace social, constitue le « refoulé social de la profession », selon le terme de Francine Muel-Dreyfus. L’instituteur est maître de sa classe, et maître dans sa classe. Il n’a de compte à rendre à personne à l’exception de sa hiérarchie, et la mission de l’Ecole de la République est toute entière incarnée par lui, incorporée lors de sa formation, et ne saurait être divisée : elle reste, tout comme la République, une et indivisible, et fonde ainsi une des caractéristiques du processus de naturalisation de la division du travail éducatif : enseigner n’est pas soigner ni éduquer. On ne transmet l’ethos républicain et les valeurs mythiques qui le sous-tendent (accompagnées d’une posture de valorisation du travail et de la docilité face aux exigences du marché de l’emploi – puisque les deux sont aujourd’hui largement confondus) qu’à ceux qui peuvent le recevoir ; on ne transmet du savoir que dans le cadre naturalisé du « cursus-type » (enseignement simultané, progression par classe d’âge) : à quoi bon les autres, qui sont rétifs (« caractériels », ou « instables », dit-on à l’époque) ou simplement incapables de rentrer dans le rang ?


Un enseignant explique ainsi : « Je ne suis pas si sûr que le mélange de population et donc de problématiques multiples et variées d'apprentissage soit vraiment efficace. (…) L'écart dans les apprentissages, les compétences, le délai d'exécution d'une tâche entre certains de ces élèves et les élèves normaux risque de perdurer ou carrément d'augmenter et devenir franchement insupportable au fil du temps (…) »



Par ailleurs, la nature de la circulation (politique) de l’inclusion (qui vient nommer d’une nouvelle manière l’intégration scolaire des enfants handicapés tout en faisant évoluer l’économie générale des politiques qui se donnent pour tâche de la mettre en œuvre), d’abord montante, puis descendante, fait que les enseignants français ressentent cette notion, qui plus est très peu utilisée par ailleurs, comme imposée par leur institution – ce qui correspond d’ailleurs aussi à la réalité. De fait, une partie d’entre eux réceptionnent l’irruption de la notion d’inclusion dans l’école comme un témoignage de plus d’une déconnection des « décideurs » d’avec le « terrain », ce qui permet à Joël Zaffran (2007) d’écrire :



« Les réactions suscitées par une demande d’intégration scolaire indiquent que la loi n’a pas toujours autorité sur les acteurs et que les valeurs ne suffisent pas à entraîner l’adhésion des acteurs. »



L’auteur de ces lignes sous-estime ici, de notre point de vue, deux éléments, entièrement enracinés dans le fait de refuser de parler d’ « agents » sociaux. D’une part les processus d’incorporation de l’histoire de l’enfance anormale par ces agents (qui ne sont pas que des acteurs), partie constitutive de la construction du sens commun à ce sujet, et l’inconscient social de la profession enseignante ici rapidement balisé, quand les acteurs/agents sont des enseignants. D’autre part, la différenciation très nette dans « les réactions suscitées par une demande d’intégration scolaire » selon que le handicap de l’élève concerné est d’ordre physique, sensoriel, mental ou comportemental : il n’y a pas de généralisation possible autour du terme « handicap », nous l’avons vu, et les prises de position des enseignants à l’encontre de l’inclusion doivent en tenir compte.

Et l’enseignement spécialisé ?

Au-delà de ces éléments, il nous semble important de mentionner la situation particulière des enseignants spécialisés (ou en poste d’enseignant spécialisé) au sein de la profession enseignante. En effet ils sont, parmi la profession d’enseignant du premier degré, enclins à recevoir la notion d’inclusion (telle qu’elle est utilisée par le législateur) d’une manière différente que leur collègues en charge d’une classe « banale ».

Parmi eux, ceux qui ont travaillé ou travaillent dans les classes spécialisées (classe de perfectionnement, CLAD, CLIS, UPI…) le sont encore davantage. Ils sont déjà marqués par une position marginale dans l’espace des positions de la profession enseignante, ainsi que le montre ce qu’exprime cet enseignant en poste en CLIS :


« Dès que je parle un peu trop de mes élèves à mes collègues, je prends toujours la même phrase dans la figure: "de toute façon s'ils sont en CLIS c'est pas pour rien!" En fait ils ne s'attendent pas à des progrès, ils n'ont pas la même vision de mes élèves que moi. Le pire élève, qui montre un visage angélique, ils le trouvent "mignon, attachant"... Ils changeraient d'avis s'ils l'avaient en intégration ! Et ne parlons pas en inclusion ! Ils ne l'ont qu'en cas d'absence de ma part, et la dernière fois il a trouvé des allumettes et s'est enfermé dans les toilettes pour les allumer; Forcément, surveiller un gamin pareil quand on est seule avec 25 élèves, c'est plus dur qu'à 2 avec 12 élèves... »


Ces enseignants semblent donc, parfois, au sein même de leur équipe et de leur profession, relégués dans des espaces homologues à ceux que connaissent les enfants avec lesquels ils travaillent. La division historique du travail au sein de l’institution scolaire semble ainsi intériorisée à un point tel que l’échange professionnel entre enseignant banal et spécial, ainsi que le montre l’extrait ci-dessus, peut prendre rapidement la forme d’une fin de non-recevoir : « S’ils sont en CLIS ça n’est pas pour rien ». Que peut signifier socialement, au-delà d’une analyse psychologisante, une telle remarque ? De notre point de vue, elle n’est que la sanction logique d’un siècle de division du travail au sein de l’école : « les saints laïcs sont là pour les non conformes, ça n’est pas mon affaire ». Seulement, ça l’est précisément devenu, et tout se passe comme si cette mutation n’existait que formellement, tant les structures mentales d’appréciation qui constituent la grille d’appréhension des enseignants quant au spécial n’avaient pas bougé d’un iota – voire même s’étaient renforcées, tant, pour de nombreux enseignants, la façon dont est menée cette politique (qui permet que des expériences catastrophiques, tant pour les élèves que pour les enseignants, existent, que plusieurs enseignants, sur les forums Internet, appellent des « inclusion sauvages ») les conforte dans l’idée que, décidemment, « il y a des spécialistes pour cela ».

Pour ces enseignants en poste dans des classes spécialisées, l’inclusion est ainsi d’abord rapportée à l’évolution de la situation institutionnelle de leur propre classe (et poste) et référée aux récentes réformes qui les concerne (CLIS, UPI transformées en Ulis). C’est la division historique du travail auprès des enfants « spéciaux » qui est brutalement remise en cause. De la même manière, ce sont leur « clientèle » (selon le terme de l’enseignant spécialisé qui s’exprime ci-dessous) qui semble (légitimement) constituer leur préoccupation première – c'est-à-dire un segment du handicap précis, l’organisation des CLIS étant construite sur une classification par type de déficience, ou de handicap.


« Voici le point de vue d'un obscur instit de base qui a toujours "fait" avec les moyens et les "clients" qu'on lui a refilé. (30 ans de perf, puis maintenant de CLAD (…)). L'enseignement spé a été par certains côté un "laboratoire d'essai" pour des élèves avec qui rien ne "marchait". Ces classes n'ont jamais fonctionné avec les objectifs qui leur avaient été assignés. La réintégration dans des classes normales était le but avoué pour les CLAD, séjour d'un an maxi. Je me suis retrouvé avec une clientèle un peu plus triée qu'en perf après transformation des perfs en CLAD, mais certains élèves avaient des retards de 2 à 3 ans par rapport à la classe d'âge, des "réputations" de pénibles caractérisées... Mission impossible d'un point de vue scolaire et si l'on ajoute les refus de prise en charge psy, ortho etc., des conditions de vie familiales désastreuses... Une vraie catastrophe... Donc ils restent chez moi, 20 à 30% de réintégration avec des résultats honorables. Pour les autres,Je ne suis pas sûr que l'inclusion ou même l'ancienne intégration ne soit pas synonyme d'un bon vieux "vernissage pédagogique" où l'élève est certes là physiquement, mais n'y comprend rien, fait semblant et attend l'heure de la sortie. Pour ces élèves qui ont leur propre rythme de travail, des difficultés de langage, obnubilés par leurs problèmes perso qu'on ne peut pas imaginer qu'ils trouvent leur compte, noyés dans la masse d'une "classe normale". Je ne suis pas sûr que matériellement on puisse les faire travailler "à leur niveau" (individualisation à 25/classe) et je doute de l'efficacité des "aménagements" qui peuvent véritablement masquer (si l'on sait y faire) la réalité du travail des élèves... »



Pour conclure : la place centrale de la formation (collective)

Les enseignants ont ainsi une réaction à l’encontre de la notion d’inclusion et de ce qu’elle se propose de désigner qui dépend de plusieurs éléments :



De l’inconscient social des postes d’enseignants (et de la division du travail qui en est constitutive) – et probablement de la connaissance qu’ils en ont ;

De l’existence ou non d’allégeances intellectuelles envers des producteurs académiques ayant travaillé sur le sujet – et, si elles existent, du type d’allégeance et du type de production intellectuelle (être lecteur de Charles Gardou ou d’Alain Blanc). ;


De leur formation (enseignant spécialisé ou enseignant en classe dite « banale »).


De fait, face aux enjeux (de notre point de vue indissociablement pratiques et théoriques), face aux effets de l’histoire cristallisée masqués par des processus de naturalisation, face aux mutations que la notion d’inclusion impose au législateur (ou plutôt face aux mutations que le législateur impose opportunément au nom de l’inclusion), il apparaît tout à fait nécessaire de ne pas limiter la formation des enseignants aux aspects nécessairement didactiques et pédagogiques mais de l’étendre à la sociologie et à l’histoire, et notamment de l’éducation spécialisée. Comme l’écrit Sally Tomlinson en 1982 :


« Teachers have been more concerned with the practical immediate – “what to do” – than with thinking of the wider goals of special education. » (Tomlinson, 1982).


Les “wider goals of special education” ont au moins autant d’intérêt pour la construction de pratiques professionnelles que le “practical immediate” – et seules l’histoire et la sociologie sont en mesure de fournir des connaissances et des clefs de compréhension en la matière. Néanmoins, si le mouvement (collectif, au sein de la formation) consistant à mettre l’accent sur les aspects historiques et sociologiques propres à amener dans le champ de la conscience tout ce qui a fondé le « refoulé social de la profession », selon l’expression de Francine Muel-Dreyfus, apparaît comme tout à fait essentiel,  il est indissociable d’une réflexion sur le « what to do » (et « avec qui »), sur les pratiques didactiques et pédagogiques. En effet, ainsi que l’exprime bien Laurent Lescouarch (2007) :


« Si l’idée [d’inclusion] est séduisante et constitue un indéniable progrès dans l’évolution des mentalités, elle est problématique dans le champ des pratiques réelles car la dimension pédagogique concrète de cette évolution reste pour l’instant peu explorée. En effet, si des réflexions très riches et intéressantes sur les finalités de l’inclusion, ses enjeux sociétaux, sont développées (notamment dans le milieu de la formation des enseignants spécialisés), la réflexion strictement pédagogique fait encore figure de parent pauvre dans ce domaine. »


Tout se passe en effet comme si les responsables des formations professionnelles des enseignants n’avaient (globalement) pas réellement pris la mesure des transformations qu’impliquent les processus inclusifs, comme si les didacticiens (très présents à la fois dans le champ académique des sciences de l’éducation et dans les IUFM) continuaient à considérer la recherche sur ce sujet comme exclusive du spécial, et poursuivaient leurs travaux sur des segments relativement homogènes du spectre de capacités scolaires des enfants. Tout se passe encore comme si la nouvelle division du travail qui se concrétise au sein des écoles (dans lesquelles le souci des « espèces » d’enfants anciennement dévolus au « spécial » se trouve dorénavant concerner potentiellement chaque enseignant « banal ») n’avait, d’une part, pas été anticipée et, d’autre part, n’était pas encore considérée à sa juste importance.


A partir de là, il semble ainsi nécessaire de tenter de clarifier la définition et l’usage de la notion d’inclusion tant son utilisation est caractérisée par une volubilité importante : pour certains intellectuels, nous l’avons vu, elle est synonyme d’idéologie (forcément) aveuglée, pour d’autres elle est potentiellement porteuse d’une évolution anthropologique majeure, et pour les gouvernements et les élites dirigeantes, elle sert de caution, derrière des discours avantageusement humanistes et progressistes, à l’imposition de fonctionnements procéduraux et rigides couplés à une réduction des provisions consacrées à l’éducation. Parallèlement, en ce qui concerne les enseignants, elle se trouve souvent mutilée dans sa réception du fait des difficultés (dont les expressions sont on-ne-peut-plus légitimes) que font naître les obligations en terme d'évolutions très importantes du fonctionnement quotidien qu’imposent l’usage de l’inclusion par le législateur. L’inclusion se trouve dans ce mouvement ainsi souvent réduite au produit d’un unique souci d’économie budgétaire et de casse de l’ensemble des équipements spécialisés – analyse qui, nonobstant le fait que « réduire » est de notre point de vue très souvent problématique, peut trouver matière à justification.


























L’inclusion : proposition de définition


Ainsi, aborder la question de l’inclusion scolaire nécessité de distinguer trois niveaux :




l'espace de sa formalisation intellectuelle, celui des luttes scientifiques (et celles qui se donnent pour scientifiques) pour tenter d'imposer la vision légitime de ce qu'est l'inclusion – y compris la vision selon laquelle cette notion ne constitue qu’un repaire d’idéologues.

l'espace des politiques publiques qui utilisent cette notion. Il est bon de s'intéresser à ce que doit formellement la notion d'inclusion utilisée dans les textes de loi par le législateur à ses définitions académiques, et à quel courant elle fait le plus allégeance, quels intérêts elle sert (intérêts qui peuvent être contradictoires avec les objectifs fondant les processus inclusifs).

l'espace des pratiques, celui du quotidien des acteurs/agents, qui se trouvent au bout de la chaîne que créé le processus de création législative (lui-même issu de la relation entre les deux espaces précédents), et qui doivent se coltiner les effets de l'histoire riche et épaisse du traitement social (et scolaire) du handicap, sans forcément s'en rendre compte, et qui doivent également appliquer et respecter les procédures produites par les politiques publiques en matière éducative tout en les adaptant à leurs propres conceptions en la matière, à leurs propres inclinations idéologiques ainsi que, surtout, à leur propre tradition professionnelle – pour les enseignants, nous l’avons vu, l’inclusion semble exiger une mutation et un travail importants (pédagogiquement et didactiquement parlant notamment).



L'inclusion ne prend sens, selon nous, qu'au travers de ces trois entrées, avec lesquelles on doit construire une pensée relationnelle. Nous allons tenter ici de produire une définition de l’inclusion qui s’appuie sur cette nécessité de relation, en évitant raccourcis et amalgames, omissions et réductions.


2.2.2.1 Inclusion et besoins éducatifs particuliers :
un couple puissant


On ne peut comprendre la notion d’inclusion si on fait l’économie d’appréhender celle de besoins éducatifs particuliers (on dira ici BEP) ou, en langue anglaise, les « special educational needs » (on dira SEN). La notion de SEN est réputée être apparue pour la première fois dans un rapport (publié en Grande Bretagne en 1978) écrit par Mary Warnock, et qui a servi de base à l’Education Act de 1981, lequel a consacré législativement cette notion. Ce terme a la particularité de conserver le mot « spécial » tout en se posant l’objectif d’instaurer une « continuité entre les élèves avec besoins spéciaux et les autres » : les SEN désigneraient ainsi des besoins situationnels, relevant incidemment d’une conception non fixiste et seraient loin d’être cantonnés à la déficience ou au handicap :




« Le rapport britannique estimait qu’environ 20 % des élèves présentaient, dans le déroulement de leur scolarité, à un moment ou à un autre, de manière durable ou non, des « besoins spéciaux ». » (Plaisance).




De fait, le handicap ne constitue qu’une région des BEP, ces derniers actant une reprise en main de conceptions éducatives au détriment de conceptions médicalisantes historiquement dominantes :




« Passer du « handicap » au « besoin éducatif spécial (ou particulier) » est conçu comme une « démédicalisation » des questions éducatives, comme une manière de porter spécifiquement attention aux difficultés d’apprentissage, quelles que soient leurs causes possibles (déficience, maladie, milieu social etc.), » écrit ainsi Eric Plaisance.



Au-delà des enfants handicapés, on trouve donc également, dans la population (scolaire mais pas seulement) concernée par l’usage de la notion de BEP ou de SEN, tous ceux qui ne relèvent pas des territoires du handicap mais qui rencontrent des difficultés à rester dans le périmètre des « moyens et biens portants » (notamment en matière scolaire) :






« Les termes ‘special educational needs’ ou ‘special needs’ sont très répandus et s’utilisent dans le système d’éducation et dans la communauté plus large pour parler, d’une façon vague, des individus ou des groupes qui sont considérés comme ayant des difficultés d’apprentissage ou des problèmes d’adaptation aux structures ordinaires. Quand on dit de quelqu’un qu’il a des special educational needs on laisse entendre que cette personne a des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation, ou qu’elle se trouve dans une situation d’échec scolaire pour des raisons diverses telles que, par exemple, une incapacité intellectuelle ou psychologique, où des problèmes sociaux ou familiaux. » (Felicity Armstrong, 2009)




Felicity Armstrong, une chercheuse britannique, n’explicite pas ici où le terme de SEN est « très répandu » ni dans quel « système d’éducation [il s’utilise] ». Nous pouvons néanmoins affirmer ici que cette description, à la différence du monde anglo-saxon, ne recouvre pas la réalité française où la notion de BEP ne connaît pas de consécration législative – même si elle a une certaine faveur dans la frange des milieux académiques qui s’intéressent à l’éducation spéciale et à la scolarisation des enfants handicapés.



Constater, sous la plume de Felicity Armstrong, que l’usage de la notion de SEN ne se limite pas au cadre scolaire (« … dans le système d’éducation et dans la communauté plus large ») ni, incidemment, à sa population (« … des individus ou des groupes (…) [ayant] une incapacité intellectuelle ou psychologique, où des problèmes sociaux ou familiaux »),  nous montre à quel point cette notion, désormais vraisemblablement naturalisée dans les pays anglo-saxons qui l’ont adopté, était bien faite pour rencontrer celle d’inclusion – qui étend elle aussi ses territoires, nous l’avons abordé, du scolairement au socialement non conforme.



Sally Tomlinson affirme en 1982 (soit à peine un an après l’Education Act, et trois ans après le rapport du « Warnock committee ») que cette nouvelle catégorie, qui prétend englober tout à la fois les enfants statutairement reconnus comme handicapés et ceux qui rencontrent des difficultés d’apprentissage à l’école (pour de toute autre raison qu’une déficience ou un handicap) est propice à entretenir la confusion faisant des enfants en difficulté scolaire des enfants potentiellement handicapés et, par extension, que les enfants des groupes sociaux les plus dominés soient considérés par essence comme handicapés (mentaux, s’entend).









« There is no educational argument for the continued conflation of normative [Blind, deaf, epileptic, physical handicap, severe types of mental handicap, NDR] and non-normative categories [feeble-minded, educationally subnormal (ESN), maladjusted, disruptive]. (...) Notion of special needs is likely to intensify the confusion. » (Tomlinson, 1982)



De notre point de vue, ce risque est d’autant plus grand que la catégorie qu’elle nomme “non-normative” se trouve composée, au moment où elle écrit (1982), et comme le montre plusieurs enquêtes qu’elle mentionne (dont une des siennes datant de 1981), d’une majorité d’enfants issus de la working class et de l’immigration d’anciens pays du Commonwealth.

De manière plus prosaïque, et relativement à une perspective moins centrée sur les problématiques de la domination sociale, Eric Plaisance écrit en 2010 :



« Si des politiques et des pratiques d’éducation inclusive peuvent avoir un sens, elles ne peuvent se limiter à une population ciblée comme spécifique, au risque d’instaurer de nouveaux clivages. Elles ne peuvent s’établir sur une nouvelle dichotomie entre les « normaux » et ceux qui présenteraient des « besoins éducatifs particuliers ». La diversité du public scolaire est la réalité quotidienne et la formation pédagogique à cette diversité devrait devenir la règle. De ce point de vue, il demeure plus que jamais nécessaire de demeurer vigilant contre les paresses de la pensée, contre les tentations des « bonnes pratiques » qui peuvent instaurer de fallacieuses nouvelles normes et empêcher la recherche assidue de l’inventivité. »



En France, le concept de besoins éducatifs particuliers n’a pas trouvé d’écho tel qu’il a pu en trouver dans les pays de langue anglaise. La consultation du site du gouvernement – lecture qui est une occasion et une manière de s’enquérir de l’histoire officielle que se donne l’institution scolaire – en donne quelques arguments, notamment le suivant,

« Cette notion est aujourd’hui retenue par plusieurs pays (Grande-Bretagne - Canada (Nouveau Brunswick)- Italie). Mais volontiers extensive et globalisante, elle couvre généralement une large échelle de “ handicaps ” (ou de difficultés d’apprentissage - Learning disabilities) dont l’origine tient autant à des critères socioculturels qu’à des critères sanitaires. Cette notion, en l’absence de définition précise, constitue une catégorie aux contours très flous, ayant pour conséquence de faciliter une gestion globale de l’échec scolaire, quelle qu’en soit la cause, au risque majeur de diluer les problèmes liés spécifiquement au handicap. »

Cette crainte de voir se « diluer les problèmes liés spécifiquement au handicap » est vraisemblablement bien réel, et notamment lié au poids économique (et symbolique) du champ associatif du handicap.

Au-delà de cet aspect, il est possible de constater, notamment au travers de la lecture d’un débat parlementaire sur le bilan de la loi n°2005-102 du 11 février 2005, un attachement fort à la notion de handicap, résumé par exemple par cette intervention (marquée d’une conception fixiste et anti-environnementaliste du handicap) du sénateur Paul Blanc (qui est médecin) :

« Je regrette que l'on reprenne le débat sur la définition du handicap, qui est avant tout un état. Améliorer l'environnement ne change rien à celui-ci : conservons donc la définition réaliste et complète élaborée en 2005. Notre société doit faire face à la réalité. »

Le caractère de fixité attribué ici au handicap et le rejet de toute approche environnementale pour l’appréhender (c'est-à-dire le refus de considérer qu’il puisse s’agir également de matrices autre que seulement internes et spécifique à l’individu concerné) permet, une fois déplacés et appliqués aux catégories sociales dominées, un gain très net pour les classes dominantes : comme les handicapés, les pauvres (et les très pauvres) le sont par nature et pas pour des raisons politiques (environnementales) ; de plus, il n’y a rien à attendre en matière d’évolution de ce qui est « avant tout un état ». De fait, en matière de handicap comme en matière de pauvreté (et de souffrance sociale), « notre société doit faire face à la réalité ».

Autant d’éléments qui forment, de notre point de vue, une partie tout à fait majeure de l’inconscient social de ceux et celles qui occupent des positions de pouvoir, notamment ceux concentrant des capitaux symboliques et économiques – « l’élite politico administrative » selon le terme de Patrick Guyot (2000).

Si nous revenons sur la question spécifique de sujet, à savoir l’espace scolaire, nous pouvons nous rendre compte que le couple inclusion / besoins éducatifs particuliers (que l’on rencontre majoritairement dans la plupart des publications et/ou communications savantes sur le sujet) impose de ne pas réduire la politique inclusive et les pratiques qui s’en déduisent (ou s’en réclament, ou qui s’y inscrivent) à la seule question de la scolarisation des enfants handicapés. Le pays de l’inclusion concerne de fait l’ensemble des régions de la non-conformité scolaire, ainsi que nous allons dès à présent pouvoir le constater.


La question de l’hétérogénéité



« In school, pupils should be able to meet and respect the diversity of population which they will meet and respect in society. » (Thomazet, 2010)


Cette incise, qui est un postulat éthique, est bien faite pour introduire la notion qui est un corollaire à tout ce qu’induit le couplage « inclusion / BEP », à savoir la question de l’hétérogénéité. En effet, si nous voulons définir les points communs des enfants concernés par la notion d’inclusion, nous nous rendons assez vite compte qu’il n’y a guère moyen de dépasser les deux critères suivants :



la variabilité inter et intra individuelle, y compris à l’intérieur de catégorie commune (comme celle de handicap – et les autres qui la composent –, ou de difficulté d’apprentissage – et ses déclinaisons).

la non-conformité face au « cursus-type », produit historique contemporain constitutif de l’école républicaine, et caractérisée par les deux éléments que sont la progression frontale et l’organisation par classe d’âge (Daniel Calin)



Pour faire comprendre ce que recouvre la notion d’inclusion, et pour bien acter du fait qu’elle subsume le handicap et les difficultés scolaires de tout ordre que ce soit, intéressons-nous à ce que Maria Kron (2010) définit à propos de la notion d’hétérogénéité. Elle expose ainsi les « aspects de l’hétérogénéité » :




la langue
l’origine ethnique
la religion
le niveau socio-économique de la famille
la culture des familles
le sexe
le handicap 



Elle ajoute, pour se départir d’une position, qui pourrait lui être prêtée, relative à la full inclusion, que « le concept de la diversité chez les enfants ne veut pas dire (…) nier des théories de développement ou de socialisation qui se réfèrent au concept de « développement normal » ayant une validité universelle. »


Elèves handicapés mais aussi élèves dits intellectuellement précoces (usuellement désignés par l’acronyme EIP), élèves avec des troubles d’apprentissage divers avec des origines divers (culturelle ou linguistique comme les primo arrivants ou les enfants tziganes, sociales comme les enfants « héritant » de la relation distante et problématique de leurs parents avec l’institution scolaire, etc.), sont autant d’élèves qui sont concernés tout à la fois par la notion de besoins éducatifs particuliers et qui relèvent, selon les chercheurs qui travaillent et promeuvent cette notion, de pratiques inclusives destinées à construire une école inclusive.


Derrière cette notion d’hétérogénéité des classes – et de sa prise en compte – émerge également celle qui veut que les principes de l’école inclusive puissent être bénéfiques pour des élèves a priori non concernés par l’inclusion :



« Although these issues most often concern pupils with significant or severe disabilities, they present an opportunity to help those who experience ordinary difficulties (…), and those for whom resources are often limited. » (Thomazet, 2009)



En clair, les éléments des réponses éducatives fournies peuvent correspondre à des besoins éducatifs pour des enfants qui n’ont pas besoin d’être catégorisés médicalement ou socialement pour en bénéficier. Des recherches ont ainsi montré que certains dispositifs différenciés pouvaient tout aussi bien être utiles pour des élèves pour lesquels ils n’étaient pas destinés, comme par exemple ici avec la lecture :



« With regards to reading, the support will be different for pupils assessed as having difficulties of a dyslexic nature even though certain resources can be useful for other pupils whose reading difficulties as cultural or social in origin. »(Thomazet, 2009)



Ces dispositifs, ou situations, sont caractérisés par les didacticiens comme étant « robustes », c'est-à-dire que bien qu’elles proviennent de réflexion visant à répondre à des besoins spécifiques, elles s’avèrent être opérantes avec l’ensemble des élèves, constituant même parfois un progrès général (ou une façon de plus ayant prouvé son efficacité dans certaines conditions) dans la façon de construire des dispositifs didactiques. La robustesse de certaines situations didactiques peut ainsi constituer une des réponses aux difficultés (bien réelles) nées des nécessités de prise en compte de l’hétérogénéité – et notamment des besoins propres aux enfants catégorisés comme handicapés.



2.2.2.3 Une lutte pour les droits


Un des fondements du mouvement porté par l’inclusion (et, au-delà des notions qui se proposent ou sont proposées pour incarner les principes, de l’opposition fondamentale à l’idée selon laquelle « ségréguer [est incontournable] pour maximiser l'efficacité du processus enseignement-apprentissage ») se trouve dans la notion de droit. En effet, malgré tous les problèmes que pose l’intégration et a fortiori l’inclusion en termes de fonctionnement des classes, de pratiques pédagogique, de recherche en didactique, de remise en question des missions que se donne l’institution scolaire (et notamment vis-à-vis de ses relations avec les exigences d’un marché du travail dont la nature, soumise à l’idéologie néo-libérale, se trouve naturalisée), il existe bien peu voire pas d’acteurs/agents pour contester le fait que « l’idée est belle », et juste.


C’est qu’il est éclairant de reporter le mouvement consistant à « banaliser » la population scolaire jusqu’ici spécifiée (et ségréguée) à celui qui a caractérisé le mouvement pour les droits civiques des noirs américains aux Etats-Unis – et ce d’autant plus que ce dernier a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffré chercheurs et militants. Ainsi que l’écrit Raymond Vienneau :



« [Aux Etats-Unis dans les années 1960], certains parents et certains professionnels de l'éducation s'opposeront à cette ségrégation institutionnalisée [les classes et institutions spéciales]. Parmi les arguments avancés, on fera remarquer qu'un très haut pourcentage d'élèves fréquentant les classes spéciales pour élèves affichant une déficience intellectuelle légère (Educable Mentally Retarded ou EMR) proviennent de milieux socio-économiques défavorisés ou de groupes ethniques minoritaires. Aux États-Unis, Dunn (1968) estime qu'environ 60 % à 80 % des élèves placés en classes spéciales proviennent de milieux sociaux défavorisés et sont pour une bonne part des enfants noirs, mexicains et portoricains. Bien que tel ne soit pas leur objectif, les classes spéciales entraînent une ségrégation sociale et raciale qui constitue une violation du cinquième amendement de la Constitution américaine. » 

Ainsi, dans les segments du handicap que Sally Tomlinson définit comme les catégories « non-normative », et notamment au sein de la catégorie française de « débilité » (correspondant peu ou prou aux « feeble-minded » anglais et aux « educable mentally retarded » états-uniens) que Jacqueline Gateaux-Mennecier (1990a) a défini comme une « construction idéologique », on retrouverait une majorité d’enfants issus de catégories sociales dominées (enfants de migrants, enfants des classes populaires). Mais nous pouvons ajouter que, de la même manière que pour les noirs américains des Etats-Unis, les processus de ségrégation sont patents pour toutes les personnes relevant de la catégorie « normative », c'est-à-dire atteints d’une déficience (physique, sensoriel ou mentale sévère).


Nous pouvons ainsi lire le mouvement inclusif et la consécration du « droit » à la scolarisation des enfants reconnus comme handicapés comme un mouvement homologue à celui de la lutte pour les droits civiques des afro-américains. Une grande partie de la population blanche américaine des états du sud des Etats-Unis vivait dans l'évidence de la nécessité de la ségrégation, l'essentiel de leurs représentations étaient impensées car fondées sur une socialisation ségréguée. Malgré les différences, cette lecture est, nonobstant le caractère inaliénable du stigmate que constitue la déficience, de notre point de vue bonne pour faire comprendre ce qui se joue actuellement – et bonne également pour faire prendre conscience aux parents d’enfants handicapés et aux personnes handicapées de ce qui se joue d’homologue en terme de lutte proprement politique entre leur situation actuelle et celle d’autres groupes sociaux en proie à des processus de domination sociale.

Seulement, nous pouvons le constater, il y a là un sujet étonnamment laissé en friche dans le travail des sociologues de l'éducation : les travaux sur la ségrégation et la reproduction sociale de l'école (phénomènes actuellement encore incontestables) ont été et sont encore nombreux, mais les travaux sur la ségrégation (et sa reproduction) des enfants handicapés (et sur l'objet dans l'objet que constitue les processus de dénomination des ces enfants) n'existent quasiment pas.


« Despite claims of objectivity, sociologists are often as much influenced in their choice of studies by prevailing ideologies as anyone else, and accept the treatment of certain social groups as “natural”, and therefore unworthy of study.  » (Tomlinson, 1982) 



Ce que pointe ici Sally Tomlinson, c’est le fait que les sociologues ne sont pas épargnés par les processus de naturalisation de l’ordre social ou, en l’occurrence, de l’ordre scolaire : en 1982 en effet, très peu voire pas de travaux sociologiques portent sur la partition des systèmes éducatifs industriels entre « normal » et « spécial ». Il semble que cette critique soit encore très largement valide aujourd’hui, en particulier dans le contexte français de la sociologie de l’éducation, ou des sciences du même nom.

Et il est facile (car consistant en une position qui s’apprête de toute la force de l’évidence) de dire aujourd'hui, comme semble le faire Alain Blanc par exemple, considérant le produit historique qu'est notre école, construit contre (car sans) les enfants qu'elle tente aujourd'hui de réintroduire dans ses filières « ordinaires », que l'intérêt de ces élèves est de recevoir une éducation à part, puisque l'école n'est « pas faite pour eux ».



L’émergence de l’inclusion est ainsi potentiellement une occasion historique à saisir pour historiciser les luttes sociales autour de l’école, ce qui les relie entre elle, et également pour historiciser l’école au travers d’une approche qui intègre à l’approche historique les éléments de la sociologie.













2.2.2.4 Une occasion d’historiciser l’école


« Face à l’importance du nombre de retard scolaire », écrit Catherine Dorison en 2008 à propos des années 1950 en France, « quelle est la responsabilité de l’école ? Comment l’école peut-elle se réformer ? »

Sans répondre directement à ces questions, elle donne deux conditions sociales de possibilité pour que de telles interrogations puissent seulement exister :

« que la réussite du plus grand nombre soit un enjeu fondamental » (ce qui renvoi à une conception de la démocratisation qui n’est pas la plus partagée dans les années 50)

« que cette réussite soit possible, ce qui relève d’une conception éthique sur l’éducabilité et d’une conception psychologique donnant une définition dynamique de la catégorie d’aptitude ».


Nous pensons que les problématiques actuelles autour de l’inclusion scolaire (en tant que notion dépassant le simple cadre de la scolarisation des enfants en situation de handicap) ont une parenté directe avec ce que dégage ici Catherine Dorison à propos des conditions de possibilité de questionnement relativement à l’échec scolaire dans le contexte français de « démocratisation » de l’enseignement. Son analyse renvoie directement à celles de Foucault et la notion d’épistémè : les conditions de possibilité de l’émergence tout à la fois de notions, d’idées et de questionnements politiques afférents sont directement conditionnées par la contexte général des connaissances et représentations des connaissances d’une société donnée à un moment de son histoire.


A propos de Wolfgang Amadeus Mozart, Alain Blanc écrit : « Il meurt pour deux raisons : son individualisme musical le détourne de la musique et des relations de cours ; ses œuvres ne peuvent se déployer au sein d’une autre configuration, le marché, qui n’en est qu’à ses balbutiements. Il meurt car les conditions sociales de sa reconnaissance n’existent pas. Les personnes handicapées sont dans la même situation que Mozart car les configurations existantes ne leur sont pas favorables. » (Blanc 2006)


La pertinence de cette analyse ne doit masquer les critiques précédemment formulées à l’encontre du positionnement d’Alain Blanc : trop centré sur les conditions sociales non favorables de la reconnaissance des personnes handicapées, Blanc tend de notre point de vue à essentialiser la « configuration sociale » contemporaine à leur encontre, en occultant notamment les conditions sociales de socialisation « trouvable » ou « réussies », ou de reconnaissance accomplie – dont la négation, ou l’affirmation de non-existence, signifierait pour celui ou celle qui l’affirmerait une posture ni plus ni moins à caractère raciste. Au-delà de ce manquement au travail d’Alain Blanc (par ailleurs remarquable), c’est également a minima un questionnement autour des processus de transmission, de diffusion, d’apprentissage (socialement permises) d’une posture d’initié (donc de personne potentiellement participante à une socialisation possible et accomplie avec des personnes handicapées ou déficientes) qui également absente.

Nous pouvons conclure en disant donc qu’il y a une histoire des conditions sociales de possibilité d'émergence du progrès social, que ce dernier est (très) loin d’être accompli, et que la présence de toutes les personnes handicapées (et déficientes) dans l'ensemble des espaces sociaux de droit commun est un objectif politique noble, partie intégrante d’un progrès social, mais qui devient clairement une idéologie quand l’histoire est (volontairement ou non) ignorée et que cet objectif se trouve brandi comme une nécessité impérieuse qu’il est nécessaire d’appliquer de gré ou de force. De ce point de vue, la full inclusion est ni plus ni moins qu’une utopie, dans le sens où elle postule la mise en place d’une réalité déshistoricisée basée sur l’illusion de la table rase et sur le refus de composer avec les héritages historiques.

Il apparaît ainsi nécessaire d’effectuer un travail d'identification des conditions sociales de reconnaissance et d’accomplissement du droit à la scolarisation des enfants concernés par cette unification du public scolaire, et des possibilités de son application. Il s’agit là d’un véritable positionnement épistémologique que nous affirmons ici avec force : travailler, au contraire, dans l’optique (plus ou moins consciente) de prouver, à l’aide de la science et avec sa caution, l’inanité du principe de scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire revient à accepter la naturalisation de l’ordre scolaire tel qu’il s’est constitué au cours de la (jeune) histoire de l’école républicaine en France, ce qui constitue de notre point de vue une erreur scientifique majeure.


Les AVS-i dans le processus inclusif

Sans prendre de l’avance sur un sujet (la position et la nature du poste d’AVS-i) qui va être développé dans le chapitre 3 suivant, et sans prétendre fournir un cadre explicatif fini, il est possible de développer ici, concernant le poste d’AVS-i, quelques remarques relatives aux éléments ci avant développés sur le sujet de l’inclusion

En effet, aux vues notamment de l’analyse proposée sur le sujet du « refoulé » et de « l’inconscient social de la profession » d’instituteur et d’institutrice, il est possible de considérer le poste d’accompagnant scolaire des enfants handicapés comme une sorte d’externalisation des mutations (plus ou moins consciemment) refusées par la profession enseignante en matière de scolarisation des élèves handicapés dans des classes « ordinaires » ou « banales ». De ce point de vue, les AVS-i, ainsi que la forte demande enseignante à leur propos, seraient en quelque sorte le symptôme du retranchement de la profession sur un périmètre limité de leur potentiel professionnalité – limitation qui est encore plus grande pour les enseignants du secondaire, qui seraient encore plus concernés que ceux du premier degré par le refus de voir leur métier évoluer (du fait notamment des effets de la « secondarisation » de l’enseignement secondaire). Cette analyse accréditerait la vision selon laquelle les processus inclusifs législativement traduits buteraient sur les difficultés nées d’une mise en application trop rapide et brutale, d’une quasi absence de prise en compte des héritages historiques en matière de division du travail au sein de l’école et d’une tradition de formation des enseignants qui, rappelons-le ici, n’autorise pas d’autres personnes que celles titulaires du CRPE à participer à la formation. Néanmoins, pour éclairante que puisse être cette interprétation, nous refusons ici de nous en contenter et d’y réduire les explications se proposant de rendre intelligible le poste d’AVS-i.

Il est possible par exemple de lire la situation des AVS-i d’un point de vue plus anthropologique, en s’intéressant notamment à la notion de « « entrepreneur de moral », développée par Alain Blanc en 2006 :


« Véritables gardiens du temple de l’interaction quand celle-ci vient à faillir, ces professionnels, garants assermentés et légitimes de l’ordre social, disposent de multiples compétences pour aider le stigmatisé à se ré-inclure dans le flot qui l’a exclu. »


Au-delà du fait que les AVS-i ne sont officiellement pas de professionnels et que les occupants du poste de l’occupent généralement pas assez longtemps pour prétendre avoir construit « de multiples compétences », la notion d’ « entrepreneur de moral » apparaît comme tout à fait opérante pour lire un certain nombre de situations professionnelles des AVS-i. Mais étant donné que l’analyse d’Alain Blanc est centrée non sur les territoires entiers du handicap mais sur les déficiences, cette notion ne peut, elle non plus, se prévaloir d’une portée heuristique très grande. En effet, parmi les 49 élèves accompagnés par nos six AVS-i, seuls 11 enfants (soit 28%) peuvent avec certitude être présentés comme ayant une déficience (motrice, sensorielle, intellectuelle ou une maladie invalidante) – la part de ceux qui ont potentiellement une déficience intellectuelle constituant une inconnue de notre échantillon, et qui l’est d’autant plus que nous souscrivons entièrement aux réticences à caractériser fermement la frontière mouvante des « débilités » ou « déficience mentale légère » comme étant réellement, et toujours, de véritables déficiences.

Par ailleurs, si nous nous reportons à la sociologie de la traduction (et à l’analyse qu’elle nous a permis de faire de l’inclusion en tant qu’objet notionnel), il est intéressant d’observer que Madeleine Akrich a développé la notion de « délégation morale » pour décrire un :


« (…) dispositif mis en place par le concepteur afin de lui permettre de garder à distance le contrôle sur le comportement ‘moral’ de ses utilisateurs ». (Akrich, 2006).


Les utilisateurs de l’inclusion (entendue comme la traduction spécifique qu’en a fait le législateur français), à savoir en premier lieu (et dans le cadre de la classe) les enseignants et les enfants, seraient ainsi soutenus dans le quotidien par les AVS qui seraient les récipiendaires de cette « délégation morale » bien faite pour permettre, outre un « comportement ‘moral’ » adéquat a minima des utilisateurs, que l’élève accompagné ne souffre pas trop du processus de scolarisation au sein d’une école qui n’a guère modifié son fonctionnement (historiquement construit sans et contre lui) pour l’accueillir. Le « contrôle » du concepteur (de la traduction des principes inclusifs, c'est-à-dire le gouvernement, dont la majorité dont il est issu tient le crayon du législateur), trouverait une forme accomplie au travers de la célébration du « dévouement » des personnels AVS-i qui ne pourraient faire autrement que de s’acquitter aussi bien que possible de leur travail – c'est-à-dire, dans les conditions actuelles, forcément en ne faisant qu’éviter le pire, c'est-à-dire en contribuant à reproduire des formes sophistiquées de ségrégation, marquée tant sur le plan relationnel que sur le plan pédagogique. Ici, encore une fois, les limites de l’analyse apparaissent rapidement, au-delà de l’intérêt que recèle l’usage de la notion : les difficultés posées par la transposition de l’objet technique (sur lequel est initialement centrée l’analyse de la sociologue) à l’objet notionnel, ne permettent pas de construire un modèle satisfaisant d’appréhension.

Par ailleurs, il apparaît important de signaler que les AVS-i, au regard de ce qui définit le public concerné par l’inclusion, n’interviennent a priori que sur le segment de celui-ci qui regroupe les enfants concernés par la notion de handicap. « A priori », écrivons-nous ici, car nous souhaitons formuler des réserves sur le fait que l’ensemble des élèves concernés par la catégorie handicap (et relativement à la définition qu’en donne la loi de 2005) soient réellement des enfants handicapés – ce qui, si ceci s’avérait fondé, obligerait à reconnaître que le poste d’AVS-i est plus lié aux processus inclusif que ce qu’il semble formellement.

Ce point de vue pousse à questionner la pertinence de la restriction du périmètre d’intervention des AVS-i aux seuls élèves reconnus comme handicapés. En effet, ainsi que l’exprime Pascal ci-dessous, certains de ces élèves peuvent tout à fait bien présenter, en dépit de leur handicap, moins de difficultés proprement scolaires que d’autres, qui eux ne bénéficient de rien :


Pascal : (…) il faudrait du personnel qui soit plus globalisé sur une école… aider globalement sur une école, et pas forcément… le problème d’AVS-i c’est que si un enfant est catalogué comme handicapé il peut avoir un AVS-i, il peut avoir de l’aide… et le nombre de fois où j’ai vu, dans des classes, des enfants qui étaient beaucoup plus en difficulté que l’enfant que j’accompagnais, mais l’enfant beaucoup plus en difficulté n’était pas catalogué comme handicapé, donc n’avait pas ces aides-là, à un moment donné on se dit que c’est quand même violent quoi… (Page 42-43)


Relativement à la question économique développée dans ce chapitre, et l’imposition aux postes des logiques propres à une politique néo-libérale qui tend à individualiser tout rapport au travail (les AVS n’ont aucune structure ou organisation collective) et à empêcher au maximum toute émergence de quelque chose de collectif (la faible durée d’occupation du poste interdit toute construction allant dans ce sens), nous pouvons noter ce que nous dit ici Cécile et Pascal à propos d’un poste pour lequel ses occupants ont rémunérés environ 600 euros en moyenne, et qu’ils ne peuvent occuper, selon les contrats que de quelques mois à six ans maximum. (Notons au passage que les conditions d’emploi n’empêchent pas Cécile d’affirmer aimer son travail et le présenter comme « passionnant », ce qui accrédite le fait que le contrôle des occupants du poste passe par autre chose que par des avantages qui seraient liés aux conditions de son occupation) :




Cécile : (...) être AVS-i, c'est euh... c'est pas bien payé [rires]... l'administration est très chiante, c'est des contrats à la noix... [rires] ... faut pas y aller [rires – qui se prolongent]... … … mais si si, c'est un job qui est passionnant, parce que tu es obligé de t'adapter tout le temps, tu te remets en question tout le temps (...) (Page 42)





G : Parce que toi Pascal. tu es devenu AVS après avoir été emploi-jeune… et combien de temps tu as été emploi-jeune ?
Pascal : cinq ans
G : donc ça fait plus de dix ans que tu travailles à l’école, quoi…
Pascal : ouais, onze ans, ouais
G : ça compte…
Pascal : ouais ouais… enfin ça compte… pour qui ? Pas pour l’éducation nationale, hein…vu ce qui va nous arriver à la fin de l’année… [Arrivé au bout de ses six années de contrat d’AVS AED, Pascal. va être remercié. NDR] (Page 29)












L’inclusion dans son versant scolaire est une notion qui ne connaît pas de consensus, ainsi qu’oblige son statut de notion en « période d’invention », et qui n’a pas encore, du fait de sa très récente introduction dans le corpus juridique français (2009, pour les CLIS, 2010 pour les ULIS, ex-UPI), rencontré beaucoup d’intérêt dans les milieux académiques. Pourtant, sa nature particulière en fait un objet de recherche tout à fait intéressant, au sens où elle se retrouve, ainsi que nous l’avons montré dans la partie précédente, bien au-delà des murs de l’école.

Au sein de celle-ci elle concerne, bien au-delà des seuls élèves reconnus comme handicapés, l’ensemble des élèves présentant, à un moment ou un autre de leur scolarité, des besoins éducatifs particuliers, notion qui a la particularité de former avec l’inclusion un couple notionnel complémentaire et puissant. Cependant, les BEP ont été en France écartés de toute consécration législative au profit du maintien du terme de handicap qui garde ainsi, malgré le fait que ses territoires ne concernent qu’une partie de la géographie de l’inclusion, une prééminence importante dans l’appréhension de cette dernière – ce qui tend à ce qu’en France ces deux notions soient entièrement confondues dans une perspective assimilant l’inclusion aux seuls processus de scolarisation des enfants handicapés.

« L’élève handicapé trouble l’ordre scolaire » écrit Joël Zaffran en 2007. La présence de l’AVS-i peut être lue également comme un trouble – leur conjugaison dépassant les seules considérations didactiques et pédagogiques, par ailleurs sorte de point aveugle (et parents pauvres) des recherches autour de l’inclusion scolaire. Mais cette présence d’un personnel non enseignant dans les classes peut aussi re-légitimer l’ordre scolaire dans ce qu’il a de plus conservateur : toutes les situations où l’AVS est littéralement aux ordres d’enseignants qui peuvent profiter de la présence d’un personnel dont la mission est entièrement tournée vers l’individualisation de l’aide (pour un seul élève spécifié) pour se défausser de la nécessité du processus de création et d’innovation didactique et pédagogique en reléguant l’AVS à la « garde » unique et strictement personnelle de l’élève visé par la mesure d’accompagnement, contribuant ainsi à produire des mécanismes sophistiqués de ségrégation à l’intérieur même de l’espace scolaire, avec tous les atours de « l’intégration » ou de « l’inclusion. ». Cette réalité potentielle vient confirmer les analyses des sociologues conflictualistes pour lesquels les processus inclusifs ont tendance à ne faire que reproduire, sous des formes euphémisées, des phénomènes de ségrégation interne à l’espace scolaire.

Il apparaît ainsi nécessaire de s’intéresser plus avant au poste d’AVS-i, à partir (notamment) de l’hypothèse selon laquelle l’occupation du poste par un agent qui habite de manière relativement autonome la définition de la « bonne occupation » de son poste détermine le degré de subversion de l’ordre scolaire ; et inversement, plus l’agent qui occupe le poste est soumis à d’autres volontés que la sienne pour définir la « bonne manière » d’occuper son poste (et donc sa position dans la classe), moins sa présence risque d’être problématique à l’enseignant, qui est le plus souvent celui ou celle qui va définir et imposer sa vision de ce que c’est d’être « un bon AVS », et parfois au détriment d’un processus inclusif, et au profit de formes de relégation spatiale et interactionnelles.

C’est finalement une tentative d’esquisse des conditions sociales d’occupation du poste et les effets différenciés qui en découlent que nous allons maintenant aborder avec le troisième chapitre. Après avoir caractérisé dans le chapitre 2 l’inconscient social du poste d’un des premiers partenaires () de l’AVS qu’est l’enseignant, nous allons tenter au préalable de définir l’inconscient social inscrit dans le poste d’AVS-i, que seule son histoire spécifique peut nous permettre d’appréhender.



Chapitre 3 : Position et propriétés du poste d’AVS-i


L’inconscient social du poste d’AVS-i

L’éducation spéciale contre l’éducation scolaire : un contentieux historique ?


« [Dans le milieu de l’éducation spéciale],  si la confiance dans l’éducabilité de l’enfant est globalement partagée avec le monde scolaire, à l’Education nationale persiste tout de même une forte ambiguïté entre instruction et éducation. »
Michel Chauvière (1999)



3.1.1.1 Aux origines

Les fondements idéologiques de l’école républicaine sont inséparables de leurs conditions d’émergence, caractérisées notamment par des traductions politiques de théories se pensant comme scientifiques comme l’eugénisme et comme ce qui a été plus tard défini comme relevant d’une forme de « darwinisme social » (Gateaux-Mennecier, 2000) et par la prégnance du positivisme, « composante majeure de la pensée républicaine de l’Ecole » de l’époque, ainsi que l’écrit Pierre Kahn (2000). En ce sens, ils sont habités du même paradoxe qui anime l’ensemble de l’œuvre législative autour de la question sociale sous la troisième république, en particulier avant 1914 : la volonté affichée par les responsables politiques de permettre à l’action de l’Etat d’étendre le principe d’égalité, de pourvoir à l’instruction de tous les enfants, se trouve doublée des effets du recrutement social homogène des élites politiques : prévoyance sociale et tendance à organiser la société en fonction des intérêts industriels. Nous pouvons peut-être voir dans le couplage « intentions déclarées pour mener une politique / effets de la mise en œuvre de cette politique » (modèle auquel il conviendrait d’ajouter, en guise de trait d’union, la nature matérielle et les moyens donnés à cette politique, rapportés à ses objectifs déclarés), une des origines des divergences, plus ou moins enracinées idéologiquement, des controverses toujours actives que nous avons déjà évoquées, notamment sur le sujet du caractère intrinsèque de progrès ou de volonté de contrôle social des lois sociales des années 1880-1914.
En outre, ainsi que l’exprime François Dubet (2008), en ce qui concerne la genèse de l’école républicaine, les objets changent mais les structures demeurent : les enseignants, « hussards de la république », répondent à une vocation dont l’objectif est de participer à une conversion des esprits, destinés à devenir ceux de bons citoyens ; l’Ecole en tant qu’espace physique se voit sacralisée, et devant être protégé des vicissitudes des réalités extérieures ; enfin, la structure bureaucratique de l’administration de l’Instruction Publique connaît également une distribution hiérarchique de la parole légitime et de la maîtrise symbolique des dogmes. Forgée contre l’Eglise, l’école en a ainsi repris l’économie symbolique. On peut de ce point de vue interroger la philanthropie laïque qui fonde en partie le champ de l’éducation spéciale comme se trouvant en correspondance symétrique avec le principe de charité des œuvres congréganistes, dont il serait une sorte d’avatar sécularisé. En tous les cas, entre le sous champ scolaire et celui de l’éducation spéciale naissant, les façons d’appréhender les anormaux ne diffèrent que sur le plan des missions que se donnent les institutions, mais répondent vraisemblablement d’une même logique.

En 1932, l’Instruction Publique devient l’Education Nationale ; glissement qui n’est absolument pas anodin (le ministère a déjà commencé à intégrer à sa tutelle la formation professionnelle naissante), et qui démontre une volonté d’unifier sous sa bannière non plus ce qui se résume à l’instruction, mais tout ce qui concerne à la fois la formation et l’éducation au sens large. Mais le secteur naissant de l’éducation spéciale, qui est pendant les années 1930 encore dans une période dominée par l’initiative privée confessionnelle et la philanthropie, ne s’est pas constitué seulement « dos-à-dos » avec l’école. Il s’est construit tout à la fois « à la périphérie [des] grandes institutions [scolaire, médicale et de Justice] pour gérer leurs dysfonctionnements », écrivent Patrice Pinell et Marcos Zafiropoulos en 1978. Ils ajoutent : « il ne peut donc se développer que si ces derniers se perpétuent ». L’analyse mériterait un développement, mais nous pouvons d’ores et déjà constater qu’en ce qui concerne l’école, elle possède un caractère tout à fait opératoire : c’est le plus souvent la possibilité ou non pour un enfant de devenir un écolier ordinaire du milieu ordinaire qui détermine ou pas son orientation vers l’éducation spéciale

Revient la persistante question, qui anime toutes les publications sur le sujet de la loi de 1909 depuis les travaux fondateurs de Francine Muel, de savoir si l’obligation scolaire de 1882 a contribué, en partie ou en tout, à l’émergence d’une nouvelle catégorie d’anormaux, à la loi de 1909, et ainsi a contribué à fonder le champ de l’éducation spéciale. Nous nous sommes déjà positionné sur ce fait, nous rangeant aux côtés de Jacqueline Gateaux-Mennecier et de sa description du phénomène de l’émergence de la loi répondant à une « dynamique interactionnelle » combinant les effets de l’obligation scolaire et de l’action de Bourneville (confère 1.1.1.4). Dans cette perspective, qui ne nie pas l’influence de la scolarisation obligatoire, l’« impuissance [de cette dernière] à mener à bien la mission moralisatrice qui lui était confiée » ne peut être que constatée : elle est un fait, puisque l’institution chargée de cette mission (implicite) ne l’a pas fait toute seule : elle a vu naître d’autres institutions chargées de récupérer ceux qu’elle rejette. (Muel Dreyfus 1980). Ces émergences institutionnelles ont « pratiquement et idéologiquement échappé à l’Education Nationale ». Quelles explications donner à cela ? Francine Muel-Dreyfus en voit une dans le système de relations établi entre la psychologie et l’école primaire, cette dernière s’étant organisée selon un « développement spécifique d’un univers scolaire et culturel primaire ». L’école primaire, malgré les évolutions qu’elle a connues, dont celles induites par la secondarisation de l’enseignement, constituerait encore un univers spécifique qui formerait, du fait des relations tissées avec la psychologie scolaire, une des raisons centrales qui fonderaient l’institution scolaire à être intrinsèquement productrice d’un public non scolaire qui se trouverait en incapacité de faire partie du périmètre de ses interventions. Il y a ici matière à recherche, de notre point de vue, afin de développer, d’infirmer ou de confirmer cette analyse.


3.1.1.2 Complémentarité pratique et
opposition symbolique

La complémentarité pratique entre éducations scolaire et spéciale, ci avant évoquée, centrée sur la situation des enfants qui soit ne peuvent entrer à l’école soit en sont exclus, se double d’une opposition symbolique qui est très puissante. Si ses racines se prêtent à diverses interprétations, sa nature constitue un consensus. Jeannine Verdès-Leroux (1978) cite Régis Lapauw, éducateur et auteur en 1969 d’un ouvrage sur sa profession :


« On comprend évidemment l’immense méfiance qui s’est développée chez les éducateurs et particulièrement chez les pionniers (…) par rapport à une éducation nationale qui voulait les annexer et d’une certaine manière les détruire, pour les intégrer à un système centralisé, tuant ainsi le dynamisme propre à ce secteur. ».


Elle ajoute : « l’entreprise éducative n’a donc rien à voir avec l’école, et l’éducateur se définit en permanence contre elle ».

Cette opposition se décline jusque dans les structures du marché du travail et de la formation professionnelle de l’éducation spéciale :


« La tradition veut que le rapport entre le titre et le poste y soit particulièrement lâche et, plus largement, que la valeur des titres attribués par l’école y soit mise en question » (Muel-Dreyfus, 1980).


Dans une profession au sein de laquelle, jusqu’à aujourd’hui, une conception forte de la vocation guide plus que toute possession de titre l’entrée dans le métier, où les qualités humaines se substituent aux qualités scolaires, où les « conformations professionnelles » tirent leur logique productrice d’une défiance vis-à-vis du scolaire et de la réussite scolaire (Bodin, 2009), on comprend aisément qu’au milieu de la période de formalisation des métiers de l’éducation spéciale, certains membres de l’UNAPEI s’oppose à une formation des enseignants spécialisés qu’ils estiment trop importante, et donc inutile aux vues du travail que ces derniers ont à fournir auprès des enfants des classes de perfectionnement, ou encore que des débats assez vifs aient eu lieu dans cette même période pour savoir si le baccalauréat est vraiment nécessaire pour devenir éducateur.

Le métier, organisé sur l’unité de la fonction éducative calquée sur celle de l’inadaptation, a ainsi des contours aussi mouvants et flous que cette dernière. Sa nature se trouve ainsi plus déterminée par l’institution qui l’emploie que par une réelle unité qui se situerait ailleurs, comme dans la formation. Les postes renvoient à une « infinie diversité des fonctions objectives et une incertitude dans la définition des tâches », à l’opposé des postes dont la définition réglementaire est rigoureuse et préalablement définie, comme au sein de l’Education Nationale. Le métier d’éducateur est donc pensé, et se pense, écrit Muel-Dreyfus, comme un métier « faisant la part belle à l’invention et à la découverte ». Lapauw, quand il parle du « dynamisme propre à ce secteur », montre qu’il pense l’ensemble du champ de la même manière que son métier, qui lui aussi est pensé comme dynamique, ouvert, fondé sur la créativité, l’innovation, le mouvement, à l’opposé des tares imputées à la bureaucratie et à l’administration, aux postes délimités et aux missions cadrées, selon un fonctionnement qui concerne, pas seulement mais aussi, l’Ecole.
Si les agents/acteurs se pensent et pensent leur secteur de cette façon, il n’en reste pas moins que le champ de l’éducation spéciale possède une propriété qui consiste en une tendance à la « la reconversion, à la rénovation, à la transformation des institutions, des idées, des alliances, des allégeances intellectuelles ». A l’opposé, l’éducation scolaire propose une relative stabilité (qui certes n’empêche pas les évolutions, en particulier depuis les années 1980) dans tous ces domaines.


« Complémentarité pratique et opposition symbolique », conclut Francine Muel-Dreyfus en 1980, empêchent « un dialogue et des alliances de nature politique sur [les formes d’encadrement des enfants et adolescents des classes populaires], en enfermant les agents – socialement disposés à se laisser enfermer – dans la défense de positions idéologiques et sociales héritées ».


Sans prétendre répondre à la question de savoir si la trentaine d’années qui a succédé à l’écriture de ces lignes, et en particulier le mouvement d’intégration scolaire des enfants handicapés précisément fondé sur une exigence de « dialogue et [d’] alliance » entre école et éducation spéciale, a apporté, ou non, confirmation de cette analyse, nous allons tenter de contribuer à esquisser quelques éléments de réponses, qu’il conviendrait d’approfondir dans un cadre adéquat.

3.1.2 De la ségrégation à l’émergence de
l’accompagnement scolaire

3.1.2.1 La succession des paradigmes

Joël Zaffran (2007) expose le déroulement historique des logiques présidant aux actions et orientations du champ de l’enfance inadaptée sur le modèle d’une triple évolution qui forme un large consensus dans l’ensemble des travaux sur le sujet, sur lesquels d’ailleurs il prend appui. On peut ainsi présenter ces paradigmes comme se succédant pour organiser les relations entre éducations scolaire et spéciale depuis la création de l’école de la troisième république.


Ségrégation

A la fin du 19ème siècle, dans l’urgence de « poser un contrôle social sur une population pauvre qui risque à tout moment de menacer l’ordre public », écrit Zaffran, « l’éducation des jeunes enfants s’imposent prestement ». La loi de 1909, portée par des spécialistes, émerge en ce sens, et pose la première pierre d’une période de ségrégation d’avec l’ordinaire. Elle inaugure la distinction entre anormaux d’asile et anormaux d’école sur la base de leur éducabilité – ou curabilité. La logique de ségrégation est patente pour ceux qui sont déterminés comme incurables, mais existe néanmoins pour ceux des éducables qui se retrouvent en classe ou école de perfectionnement, même si le développement de ces dernières reste faible jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale – ainsi que nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre 1.


Adaptation

C’est la codification unifiante de l’inadaptation qui va permettre un passage vers une logique adaptative dans laquelle va s’inscrire celle de la prévention. Outre la forme étymologique même du mot (l’in-adaptation appelle l’adaptation), son apparition « permet alors d’assigner à chacun d’eux un même facteur commun et universaliste ce qui, dans une perspective sociopolitique, facilite le diagnostic et le type de soins ». L’adaptation pensée alors est adaptation au travail, et, en ce qui concerne l’école, l’adaptation au travail scolaire et ses exigences, dans la perspective d’un savoir minimum requis pour une insertion professionnelle. La période adaptative, qui est également celle du rapprochement entre l’école et la psychologie scolaire, voit émerger de nouvelles catégories d’inadaptations (ou de dysfonctionnements) scolaires : l’ensembles des « dys » (dyslexie, dyscalculie, dysorthographie, dysgraphie, dyspraxie, etc.)


Intégration

C’est, nous l’avons vu, à la faveur de la loi de 1975 et de ses circulaires d’application de 1982 et 1983 qu‘émerge la logique intégrative Elle trouve également ses origines en partie dans la critique généralisée des institutions qui a irrigué les années 1970 (l’école, l’hôpital psychiatrique, la prison, et également les institutions pour enfants inadaptés). Comme le laisse présager les homologies entre natures et périodes d’émergence des prévention spécialisée et prévention des inadaptations scolaires, la logique intégrative, qui professe une scolarisation en milieu ordinaire selon des modalités que nous avons déjà évoquées, se redouble au sein du milieu spécialisé d’une logique de maintien des liens entre l’individu et son environnement. Les élèves inadaptés étaient auparavant extraits de l’école ordinaire tout comme les enfants ou adolescents objets de mesures éducatives étaient extraits de leur milieu familial ; la logique intégrative vient tout à la fois à l’école et dans les familles imposer un maintien du lien « naturel ». Pour les anormaux scolaires comme pour les spéciaux, on passe ainsi d’une « logique de la séparation à une logique de maintien des liens », écrit Jean-Marc Lesain-Delabarre en 2001.



Cependant, « le concept d’intégration », rappelle Jacqueline Gateaux-Mennecier, (1999), « ne peut être pensé indépendamment des processus de marginalisation et de ségrégation qui en ont précédé l’émergence ».



Il convient donc de « relativiser l’optimisme » de ceux qui voient dans l’émergence de la notion d’intégration (avec la loi de 1975 et les circulaires de 1982 et 1983) une « franche rupture avec les éventuelles conséquences ségrégatives d’une pathologisation abusive ». A ce propos, elle cite la nomenclature produite par les Ministères de l’Education Nationale et des affaires sociales en 1990, titrée « répartition des enfants et adolescents d’éducation spécialisée en fonction de leur déficience », au sein de laquelle elle constate l’émergence d’une nouvelle catégorie, celle de « difficultés scolaires graves liés à des problèmes sociaux ». A la même époque, 86,4% des enfants accueillis par l’éducation spéciale relèvent soit de la catégorie définie comme « retard mental léger », soit de cette catégorie toute neuve que pointe Jacqueline Gateaux-Mennecier. Selon elle, cette nouvelle dénomination de « difficulté scolaires grave relatif à des problèmes sociaux » recouvre très probablement « les seuils supérieurs de la déficience intellectuelle légère, [devenue] obsolète ». Ainsi s’opère un glissement de notion pour désigner une même frange de population, glissement s’opérant sur le modèle des évolutions qui ont fait passer le triptyque idiots/imbéciles/arriérés à celui de débile profond/moyen/léger, et selon une logique qui contribue à « construire des représentations essentialistes » suggérant que « les milieux porteurs de problèmes sociaux sont intrinsèquement handicapés ». Jacqueline Gateaux-Mennecier suggère ainsi que la logique de l’intégration telle qu’elle se présente (« [lutter] contre l’exclusion scolaire et les inégalités [est] une priorité nationale », selon les termes de la loi d’orientation de 1989) ne correspond pas à sa mise en œuvre, qui verse plutôt du côté du maintien de la fonction sociale d’origine de l’enseignement spécial, à savoir, à travers un discours à l’euphémisation élaborée, « l’expression (…) d’une propension à la discrimination et à la relégation sociale ».

L’émergence de la logique intégrative ne peut donc être perçue seulement comme un progrès, semble bien ne pas se justifier par elle-même et réclame des analyses sur la façon dont sont remplis les objectifs qu’elle s’assigne. Eric Plaisance va en ce sens quand il exprime devoir mettre en doute l’opposition « exclusion/intégration » (Plaisance, 1996), qui trouve pourtant nombre d’épigones – opposition qui redouble de force, nous l’avons vu, quand l’inclusion remplace l’intégration. L’ « exclusion de l’intérieur », selon l’expression de Pierre Bourdieu et Patrick Champagne (1993), désignant initialement les processus de relégation scolaire interne, trouverait aussi une acception pour l’intégration scolaire des enfants handicapés.

Inclusion

Il y a une opposition encore plus forte, plus marquante, que « exclusion / intégration », et c’est celle de « exclusion / inclusion ». L’inclusion est décrite dans de nombreux travaux comme le paradigme prenant suite de celui d’intégration. Basée sur une approche environnementaliste du handicap, la notion d’inclusion permettrait d’équilibrer les responsabilités des processus de scolarisation des enfants handicapés, jusqu’ici entièrement dévolues aux capacités des enfants à s’adapter à l’école telle qu’elle se présentait à eux. Adossée au principe de non-discrimination, fondée sur celui de droit, l’inclusion scolaire pose, théoriquement, que c’est à l’environnement accueillant de s’adapter également afin d’offrir aux élèves et à leurs besoins éducatifs particuliers (notion avec laquelle l’inclusion forme un couple puissant) tous les aménagements nécessaires, aussi bien en ce qui concerne le matériel que le pédagogique, sur les versants de l’accessibilité comme de la compensation.

La consécration législative de cette notion est le produit d’un processus dont nous nous sommes déjà attachés à décrire la logique (chapitre 2). Intéressons-nous ici aux indices les plus récents et les plus visibles de cette évolution dans le cadre législatif français.

 Une circulaire de 1999 indique par exemple que :


« (…) la scolarisation de tous les enfants et adolescents, quelles que soient les déficiences ou maladies qui perturbent leur développement ou entravent leur autonomie, est une droit fondamental. Tous les jeunes, quels que soient les besoins éducatifs qu’ils présentent, doivent trouver dans le milieu scolaire ordinaire la possibilité d’apprendre et de grandir avec les autres pour préparer leur avenir d’hommes et de femmes libres et de citoyens ».


Le rapport d’Yvan Lachaud (2003) indique quant à lui que :


« (…) il est temps de cesser de parler d’intégration scolaire car il n’est pas concevable qu’un individu ait besoin d’intégrer la communauté scolaire, sauf à en être étranger ».


Les analyses de la CIF, les rapports et débats parlementaires autour de la loi du 2 janvier 2002, les débats ayant précédé le vote de la loi de 2005 et cette loi elle-même, sont caractérisés par la prégnance de la notion d’inclusion et de son sillage théorique et pratique, même si le mot lui-même n’apparaît pas forcément.


« Les politiques publiques d’éducation s’accordent en apparence sur l’intérêt du passage d’un système d’éducation intégrative à un système inclusif », résume Bernard Gossot (2005).




3.1.2.2 Les intentions et les effets de leur
mise en œuvre

On le voit, les intentions sont clairement définies qui visent à dépasser explicitement à la fois la signification et le terme d’intégration scolaire. Mais, ainsi que le suggère Pierre Bonjour en écrivant qu’en matière de handicap le « droit est la bonne conscience de notre société », et quel que soit le terme utilisé, la scolarisation d’enfants handicapés prend souvent des allures qui n’ont rien à voir avec l’affirmation des ambitions politiques. Semblant avoir retenu la leçon du « paradoxe entre affirmation politique forte et constats statistiques » (Plaisance, 1996) qu’étaient nombreux à pointer les analyses des années 1990, la politique de scolarisation peut aujourd’hui se prévaloir de constats statistiques très bons. Mais cela n’en élimine pas pour autant le paradoxe, qui se contente de changer de forme. Une scolarisation d’enfant handicapé peut alors être parfois, par exemple, matérialisée par une simple juxtaposition des corps, sans qu’aucun lien d’interdépendance ou d’échange ne soit tissé entre l’élève accueilli et ses pairs et l’ensemble de l’équipe éducative de l’établissement.

Ainsi de ce que nous rapportent Noémie et Julie, deux des six AVS-i entretenues, quant à certains de leurs accompagnements :


Noémie : (…) c’est vrai que là j’ai été frustrée dans mon travail… (…) parce que [l’enseignante] estimait (…) que [l’élève et moi on] devait être scotchés… par rapport (…) à l’observation, elle estimait qu’il ne devait pas y avoir observation je devais être scotchée à l’enfant quitte à ne plus le rendre autonome (…) voilà… et c’est ce qui s’est produit … je me suis retrouvé avec un enfant qui était tout le temps collé à moi et en fait je devais jouer à la poupée, je devais jouer (…) à la dînette et tout ça, avec lui, sauf que ben... Pour qu’il joue avec les autres… (Page 22)

Julie : (…) pour X. qui est au lycée donc là ça ressemble plus on va dire presque à des cours particuliers, quoi, c’est pas ça mais, c’est de l’aide vraiment particulière quoi…(…) On est complètement en dehors, (…) on a une salle exprès pour nous… (Page 24)



Autant d’éléments qui permettent à Serge Ebersold (2003) d’écrire :


« Il y a au cœur de cette volonté intégrative l’esquisse d’un grand geste de dénégation, d’effacement, de gommage, comme si l’on pouvait réduire les handicaps au sens de les diminuer, certes, mais aussi les faire disparaître : on peut aussi ré exclure de manière subtile, par in-différence ».


Intégrer, ou inclure : ces objectifs affirmés par le pouvoir politique au nom des droits de l’homme et du progrès trouvent un écho, chez les agents du champ de l’éducation spéciale et ceux de l’éducation scolaire, dans des structures mentales d’appréciation organisées « sous la forme de couples d’opposés entre pédagogie et thérapie, école et psychiatrie, intégration et ségrégation, etc. » qui, selon l’auteur de ces lignes (Mazereau, 1998), semblent relever de « la radicalisation historique d’oppositions d’intérêts disciplinaires, institutionnels et techniques » qui traversent et constituent les dynamiques fondamentales du champ de l’enfance inadaptée depuis ses origines. Les catégories de pensées relatives à chaque segment professionnel, institutionnel et administratif intéressés dans le traitement social du handicap ont une homologie de structure avec celles qui se construisent pour penser toute évolution du champ.

Il semble que la scolarisation des enfants handicapés et les politiques d’intégration puis d’inclusion n’échappent pas à la règle. En témoigne ce qu’exprime ici Pascal, qui parle de son expérience quant à un accompagnement avec une petite fille, et se positionne sur sa scolarisabilité, en évoquant la stratégie mise en œuvre par l’école pour que les parents « se rendent compte que ça n’était pas possible » : 


Pascal : elle était pas du tout intégrable, dans le sens où elle était en... en grande section elle était complètement déjà larguée par rapport aux autres… et elle était dans un profond mal-être parce qu’elle voyait qu’elle était complètement en décalage… son seul plaisir et les seules choses qu’elle voulait faire dans la journée c’était manipuler des cartes… triturer des cartes, et aller aux toilettes pour pouvoir baragouiner avec les petites sections qui y allaient souvent, donc elle restait… sur le trône le plus longtemps possible en espérant que des petites sections arrivent… donc elle était dans une souffrance énorme, euh… les parents ont… eux étaient beaucoup dans le refus de… euh…d’avoir un enfant handicapé donc voyaient pas le problème, malgré toutes les équipes qu’il y a eu ils refusaient l’enseignement spécialisé… donc il a été décidé euh… quelque chose peut-être de pas très habituel mais d’arrêter clairement les AVS-i pour le passage en CP… euh pour que les parents se rendent vraiment compte euh en CP… (…) et donc il y a eu un an de perdu, mais qui a permis effectivement aux parents de se rendre compte que… que c’était vraiment pas possible et qu’il fallait… la placer ailleurs, quoi… (…) elle a fini par être en IME… (Page 11)





3.1.2.3 Intégration scolaire et accompagnement

Pour parvenir à remplir les objectifs dégagés par les modalités de l’intégration « à la française », sont apparus, d’une manière quasiment synchronique avec cette politique, les personnels accompagnants scolaires.
« La notion d’accompagnement va de pair avec la logique d’intégration », écrivent Belmont, Plaisance & Vérillon en 2006 ; en effet, s’agissant de répondre aux besoins des enfants dans l’ordinaire au lieu de les déplacer vers des structures spéciales, l’intégration scolaire a créé de nouveaux besoins correspondant aux dynamiques assignées aux processus de scolarisation des enfants handicapés, en particulier celle qu’implique la notion de projet intégratif contenue dans les circulaires inaugurales de 1982 et 1983, qui pousse à construire une conception individualisée et personnalisée de la scolarisation.
L’accompagnement s’est trouvé acquérir un statut au niveau du territoire national à partir des années 1990. Selon Brigitte Belmont, Aliette Vérillon et Eric Plaisance (2006), les accompagnants scolaires sont nés de la rencontre entre deux « préoccupations sociales importantes » : d’une part favoriser le développement de la scolarisation des enfants en situation de handicap en milieu ordinaire, et d’autre part proposer des dispositifs qui facilitent l’insertion professionnelle des jeunes.


Favoriser l’intégration scolaire ?

Les effets attendus de la mise en place de dispositifs censés favoriser la scolarisation des enfants handicapés ne sont pas vraiment au rendez-vous des années 1990 : l’intégration scolaire, bien que promue et revendiquée, reste relativement marginale. Les statistiques de 1993 montrent même que le nombre d’intégrations individuelles a diminué depuis 1982. Parmi les origines des lacunes, nous pouvons citer le rôle de l’armature institutionnelle résultant de la loi de 1975. Les CDES, écrit Eric Plaisance en 1996, ont un « rôle partiel [dans l’intégration scolaire] : en 1989-1990, 40% d’enfants intégrés le sont sur avis de la CDES, 60% sont admis directement ». Ce qui signifie que, prises dans une logique clientéliste vis-à-vis du parc d’équipement du territoire départemental, les CDES ne sont pas des instances qui favorisent l’intégration. Le volume d’équipement d’un territoire apparaît directement corrélé avec l’importance des intégrations et nous pouvons affirmer que les places offertes au sein des établissements spécialisés d’un département sont toujours pourvues par les CDES, au détriment de la scolarisation en milieu ordinaire. « L’effet pervers de ce vaste dispositif institutionnel [que créé la loi de 1975] est le frein considérable qu’il constitue pour la mise en place d’une véritable politique d’intégration des enfants handicapés », résumé Annie Triomphe en 1999. D’autres analyses de la situation « ont été effectuées vers la fin des années 1990 », ajoute Plaisance, qui pointent les lacunes dans la politique d’intégration, et qui ont abouti à la décision de relancer cette politique.



Lutter contre le chômage des jeunes



En hausse depuis les années 1980, le chômage a rendu l’insertion professionnelle des jeunes (catégorie de politique publique qui n’est pas sans charge idéologique, et qui mériterait une analyse spécifique) plus difficile, et abouti à ce que des mesures spécifiques soient prises pour faciliter les premières embauches. C’est dans ce cadre qu’est votée en 1997 la loi sur les emplois jeunes, qui vise selon ses termes à « répondre à des besoins émergents ou non satisfaits présentant un caractère d’utilité sociale ».


C’est donc cette trame conjuguant nécessité de favoriser la politique d’intégration scolaire et volonté de création de dispositifs permettant une meilleure insertion professionnelle des jeunes qui a permis un accroissement des moyens humains travaillant aux actions d’intégration scolaire.


Au-delà de l’émergence de l’accompagnement scolaire à un niveau national, un certain nombre de facteurs ont amorcé à partir des années 1990 des évolutions majeures en matière de scolarisation des enfants handicapés. Tout d’abord, en ce qui concerne la France, on peut mentionner la préoccupation croissante dans les milieux académiques et de formation des enseignants de « réformer des pratiques des écoles ordinaires pour qu’elles accueillent l’ensemble des différences » (Belmont, Plaisance, Vérillon, 2006). A un niveau international, la nouvelle classification de l’OMS (2001) se substituant à la CIH de 1980 apporte des modifications très importantes dans la perception de handicap en tant que phénomène social. Cette CIF est désormais centrée sur « le fonctionnement humain » et non plus seulement sur le handicap : elle en « intègre la question (…) dans le cadre large des interactions de la personne avec son environnement ». La déclaration de Salamanque, sous l’égide de l’UNESCO en 1994 est un autre exemple. Dans le cadre français, c’est bien entendu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 qui actualise législativement les principes généraux de l’inclusion scolaire.


Tentons dès à présent de définir la place qu’occupe les AVS dans ce mouvement global, et d’aborder les spécificités de leur histoire particulière.




Accompagnants scolaires : une histoire institutionnelle


3.2.1 L’émergence de l’accompagnement scolaire
des enfants handicapés


3.2.1 1 Les premiers accompagnants :
en marge des associations et des lois


« A ce moment là, l’intégration était bien meilleure parce qu’il n’y avait pas de personne extérieure. [Mais] les AVS, il en faut quand même. Moi je suis partisan que les enfants handicapés aillent tous à l’école, sauf dans les cas limites. »

Madame N.


« Les premiers AIS apparaissent dans les années 1980 », écrivent Belmont, Plaisance & Vérillon en 2006. « Ils sont recrutés à l’initiative de parents ou de militants soucieux de favoriser l’ouverture de l’école à l’accueil d’enfants handicapés », sous le statut d’objecteur de conscience, sous contrat CES ou même « parfois rétribués directement par des parents ». « Dans le prolongement de ces démarches », ajoutent-ils, « des associations de parents d’enfants handicapés mettent en place des services d’AIS ayant pour rôle de gérer les personnels et d’assurer un rôle de médiation avec les établissements d’accueil ».
Si elle correspond effectivement à la réalité de la mise en place des premiers accompagnants scolaires au niveau associatif, cette perspective semble tenir pour acquis que les accompagnants n’ont pas existé avant les circulaires de 1982 et 1983 et l’émergence de l’intégration scolaire en tant qu’objectif institutionnel. Or, il semble bien que, dans les années 1970, avant la loi de 1975 et dans une relative ignorance de son émergence, aient commencé à travailler des personnes qui nous paraissent être le premier type d’accompagnant scolaire d’enfant handicapé (inadapté, à l’époque).
Madame N. m’explique ainsi que, lors de son arrivée en 1972 avec son mari et son fils infirme moteur cérébral, dans la ville où elle habite encore, elle ne trouve pas de solution d’accueil pour ce dernier, pendant une durée d’un an. Jusqu’à ce qu’ils apprennent qu’existe « un IME [Institut médico-éducatif] dans le département voisin ». « On ne savait pas ce que c’était », explique t-elle., mais l’important était de permettre une « socialisation » à leur fils, qui s’y trouve accueilli du lundi au vendredi, à l’internat. Progressivement se met en place un système de transport collectif improvisé entre parents d’enfants accueillis dans cet IME et résidant tous dans la même ville. Madame N. est alors directrice d’une école publique. Face au constat désolant de devoir organiser des transports pour quitter une ville relativement grande mais qui n’offre aucun équipement, elle décide, après s’être assurée de l’aval de sa hiérarchie, d’accueillir dans son école plusieurs enfants handicapés moteurs, dont son propre fils. Nous sommes en 1974.
Madame N. n’est pas une militante associative (« l’APAJH, on ne savait même pas ce que c’était »), elle ignore donc le processus qui se déroule dans les sphères du pouvoir politique et associatif de l’éducation spéciale et qui va aboutir aux lois du 30 juin 1975. Elle est mue par des considérations pratiques et par la volonté tenace de ne pas considérer son enfant comme relevant du pouvoir médical : son fils n’est « pas un malade, c’est un enfant » ; elle a la volonté de « rester dans le droit commun : il n’est écrit nul part qu’un enfant handicapé ne peut pas aller à l’école ». Pour rassurer ses collègues, et sa hiérarchie, elle fait quand même produire un « certificat médical par lequel [son fils] n’est pas contagieux » - ce qui en dit long sur le sens commun de l’époque. L’année scolaire 1974-1975 se passe donc avec, en grande section de maternelle, la scolarisation de son fils, installé dans une poussette-canne ; et dans la classe dont elle a la responsabilité en CM2 sont également accueillis deux enfants de 14 ans en fauteuil roulant. Ces enfants sont « accompagnés par les autres », nous explique Madame N. « L’intégration était bien meilleure, puisqu’il n’y avait pas de personne extérieure », ajoute t-elle. En effet, Madame N. considère la présence d’un accompagnant, par rapport à la problématique spécifique du handicap que vivait son fils, comme une pollution, une gêne qui « casse quelque chose de la relation humaine entre les enfants et l’enseignant ».
Son intérêt pour l’entraide entre les enfants, ainsi que les conditions dans lesquelles sont apparus dans cette école les premiers accompagnants expliquent en partie cette vision. En effet, si l’inspecteur de Madame N. est au courant de la situation et ne pose pas de barrage à la volonté de scolariser des enfants en fauteuil, il n’en va pas de même de l’hôpital de la ville. Ses médecins (« qui se sont déplacés, hein »), accusent Madame N. de « mettre des malades à l’école », et « cherchent le moyen de faire interdire leur scolarisation ». Ils en viennent ainsi à « poser la question de la sécurité » et à invoquer le risque d’accident.


« A partir du moment de l’intrusion de l’hôpital », explique Madame N., « les collègues ont commencer à s’inquiéter (…), et nous avons fait appel à la mairie [de leur ville] pour avoir des personnes supplémentaires ».


Employées sous contrat municipal, ces personnes se voient chargées d’aider les enfants à l’installation dans la classe, de les surveiller lors des récréations. Mais pas question de rester et, a fortiori, de participer à la classe. Madame N. regrette l’arrivée de ces nouveaux personnels, à qui il a été fait appel seulement pour des questions de sécurité et sous la pression de l’hôpital. De son point de vue, ils ont tendance à vouloir faire à la place des enfants, et à empêcher une entraide entre élèves qui existait l’année précédente et qui convenait amplement, selon elle. Ces événements se déroulent la deuxième année de la scolarisation des enfants accueillis, c’est à dire en 1975.

Ainsi se dévoile, au travers d’une expérience qui mériterait une analyse plus approfondie – mais qui n’en est pas moins suffisante pour le présent travail – un fait nouveau : ceux qui nous apparaissent comme être parmi les tous premiers accompagnants scolaires, les « ancêtres » en quelques sorte, ont émergé au travers d’une expérience de scolarisation d’enfants en fauteuil roulant initiée par des parents en marge de toute association et militantisme politique ou idéologique, en marge de toute connaissance de l’évolution législative alors en cours, et, vraisemblablement, selon des modalités obéissant à une logique de sécurité qui aurait été imposée par des craintes d’accident par une institution médicale locale se sentant concurrencée par l’initiative de Madame N. et des autres parents, allant dans le sens de la scolarisation de plusieurs de ses « clients » à la fois. Il serait tout à fait utile de savoir si cette expérience, très ambiguë relativement à la notion d’accompagnement scolaire et à sa nécessité, a été diffusée ; de chercher également si elle a été diffusée, comment elle l’a été, et si sa diffusion a servi de modèle pour des militants associatifs eux très au fait des évolutions institutionnelles et soucieux de favoriser la nouvelle politique de l’intégration scolaire, dans le début des années 1980.

Il apparaît que cette hypothèse trouve un élément de validation en ce que le contact de Madame N. m’a été fourni justement par un militant associatif en faveur de la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire de la première heure, lui-même rédacteur d’un historique qui évoque, sans la nommer, l’expérience de Madame N. comme l’origine de l’accompagnement scolaire. C’est cette même personne, Monsieur P., qui a répondu à des questions que nous lui avons posées sur l’histoire institutionnelle du personnel accompagnant scolaire de son département.



3.2.1.2 Les années 80-90 et l’associatif


L’émergence des associations départementales spécifiquement dédiées à favoriser la scolarisation des enfants en situation de handicap – et donc à employer des accompagnants –semble, dans les quelques départements pionniers en la matière, avoir été précédée par une activité semblable menée en premier lieu par des associations déjà existantes, ayant des objectifs statutaires non spécifiques. Dans le département étudié, celui de Monsieur P., c’est le comité APAJH local qui, sous son impulsion, va « prendre en charge la gestion administrative de […] la première auxiliaire de scolarisation », en janvier 1986. Cette personne a été recrutée sous contrat TUC (travaux d’utilité collective, premier contrat précaire public créé en 1983), sur la suggestion d’une secrétaire CCPE, pour s’occuper d’une petite fille porteuse d’un « handicap physique sévère », un spina-bifida.
.

Par suite, Monsieur P. apprend que « deux autres associations [du département] se sont lancées sur cette même piste de l’aide humaine au sein de l’école ». Il s’agit d’une association initialement centrée sur des problématiques liées à des handicaps spécifiques, en l’occurrence la myopathie et l’infirmité motrice cérébrale. Emerge alors l’idée d’une structure rendant possible la convergence de toutes ces initiatives :


« En 1989, l’APAJH propose à l’ensemble du mouvement associatif [départemental] de réfléchir à la constitution d’un collectif associatif à vocation départementale dont la mission serait de gérer des auxiliaires de scolarisation. Sur la suggestion de l’Inspecteur d’Académie [du département], nous créons une « coopérative d’accompagnement scolaire », adhérente et section locale de l’Office central de la coopération à l’Ecole, l’OCCE, dont la seule mission sera cette gestion des auxiliaires de scolarisation ».


En 1997, du fait de l’augmentation du nombre d’auxiliaires (qui dépasse la dizaine), le statut de coopérative scolaire est abandonné au profit de l’associatif. Une association d’accompagnement scolaire et social (AASS) est créée, regroupant six associations, qui se trouvent toutes avoir la caractéristique d’être situées sur les segments des déficiences sensoriels ou physiques du champ du handicap.

Ce dernier aspect se trouve être éminemment important pour comprendre la dynamique qui a présidé à l’émergence à la fois de l’accompagnement scolaire et de l’emploi des personnels qui en sont dévolus et, probablement, pour comprendre également la dynamique générale de l’intégration scolaire. En effet, les premières expériences évoquées ici, celles de Madame N. et celle de Monsieur P. sont caractérisées par une prévalence très nette des handicaps physiques et sensoriels, et la quasi-absence des handicaps dits cognitifs ou mentaux.

Il est ainsi possible de poser l’hypothèse selon laquelle le segment dit physique du handicap est celui qui a suscité les premières indignations chez les parents et/ou les militants à l’origine des premières expériences de scolarisation d’enfants handicapés. Ce serait ainsi un effet du caractère unifiant du terme handicap qui aurait permis d’étendre progressivement le principe de scolarisation des enfants handicapés à l’ensemble des enfants concernés par ce terme, et d’aboutir au droit à la scolarisation qu’édicte la loi du 11 février 2005. La surreprésentation des associations de personnes ou de parents de personnes handicapés physique et sensoriels par rapport à la prévalence des troubles cognitifs ou mentaux dans l’ensemble de la population dite handicapée serait ainsi le produit (tout en étant en même temps productrice) de ce militantisme initial centré sur la conviction de la scolarisabilité d’enfants porteurs de handicap physique ou sensoriel. L’ensemble de la population de l’enfance handicapée, et au premier chef les enfants ayant un handicap mental, aurait ainsi bénéficié des effets des actions initialement centrées sur les seuls handicaps physiques, ou à tout le moins des actions à l’origine largement centrées sur les handicaps physiques. L’imaginaire social du handicap, dominé par la représentation du fauteuil roulant (comme sur le logo utilisé partout) et qui se trouve également en grand décalage avec les constats statistiques en lien avec la prévalence des handicaps, trouverait également ici une de ses forces productrices. On retrouve d’ailleurs chez les enseignants des réticences tout à fait variables en fonction du type de handicap que porte l’élève scolarisé, et les segments des déficiences motrices et sensorielles ne sont pas ceux qui font naître le plus de défiance.

Dans le petit ensemble des départements ayant connu, dès les années 1980, des initiatives ayant permis le recrutement d’accompagnants scolaires, un seul se démarque de la règle selon laquelle l’initiative associative préside : il s’agit du département des Bouches-du-Rhône, où c’est l’Education Nationale elle-même, par l’intermédiaire d’une secrétaire CCPE et d’un inspecteur de circonscription, qui a permis l’émergence d’un tel accompagnement.


« L’inspecteur d’Académie du département est à cette époque Michel Laurent, ex-directeur du centre de formation CAPSAIS de Beaumont-sur-Oise. Il créé la mission d’intégration scolaire et en confie les clés opérationnelles à [la secrétaire CCPE précitée]. (…) Cette expérience marseillaise est fondamentale car elle est le fait de l’Education Nationale et nous n’aurons dès lors jamais à convaincre ce ministère du bien-fondé de notre action d’accompagnement. »


L’expérience marseillaise, du fait de son ampleur, va être l’origine du mouvement fédératif qui se déploie dans le milieu des années 1990.



3.2.2 Du local au fédératif national


« En 1995, la lecture d’un quotidien national m’apprend qu’il existe sur Marseille un important recours aux auxiliaires d’intégration scolaire. Après des entretiens téléphoniques avec (…) la secrétaire de la mission d’intégrations scolaire de l’Education Nationale [à l’initiative du dispositif dans les bouches du Rhône], une première rencontre entre responsables associatifs venus de sept départements (13, 37, 64, 67, 69, 71, 72) est organisée (…) sur Marseille. »

Monsieur P., 2009.


En 1995, après une série de reportages et d’articles (sur le principe de la « circulation circulaire de l’information », selon l’expression de Pierre Bourdieu) portant sur la situation dans les bouches du Rhône, un contact est établi entre les responsables de plusieurs initiatives associatives départementales. La fédération nationale des associations pour la scolarisation des enfants porteurs d’un handicap (FNASEPH) est créée en 1996, et regroupe des associations le plus souvent créées par des parents. « L’objectif est de partager [ces] expériences éparses, notamment sur le financement » écrivent Belmont, Plaisance & Vérillon en 2006. A la suite des associations locales, les deux premières associations nationales à rejoindre la fédération sont l’UNAPEI et l’APAJH. Ce sont elles qui permettent à la FNASEPH, grâce à leur parrainage, d’entrer dans le comité d’entente des associations représentatives des personnes handicapées et des parents d’enfants handicapés. L’APAJH quitte la FNASEPH au début des années 2000, vraisemblablement pour des raisons de relations concurrentes avec la MAIF ; raisons qu’il conviendrait, dans le cadre d’un travail sur le milieu associatif, d’analyser. Elle aujourd’hui une opposante aux revendications de professionnalisation des AVS.


3.2.2.1 Les emplois-jeunes

En 1997, la création des emplois jeunes est l’occasion pour la FNASEPH d’augmenter le nombre de personnel. Le recours à ces contrats permet en effet un financement à 80% par le ministère de l’emploi ; les 20% restants sont pourvus par le biais de subventions diverses, notamment municipales. Pour la fédération et ses responsables (presque tous sont issus d’associations locales), l’augmentation du nombre d’AIS est la démonstration que leur fonction correspond à un besoin réel dans la politique d’intégration à la française. Cela n’empêche pas que se pose quelques problèmes, notamment la disparité territoriale induite par la différenciation d’implantation des associations employeurs, qui empêchent un enfant d’un département non pourvu de structure associative employant des AIS, mais nécessitant un accompagnement scolaire, d’en bénéficier. De plus, la permanence des besoins des enfants justifie aux yeux des associations que les emplois soient financés intégralement par l’Etat.

L’Education Nationale a également recours aux emplois jeunes : au sein de cette institution, ils sont employés en tant que « aides-éducateurs ». Parmi les missions de ces derniers, on trouve, avec l’encadrement, la surveillance, l’animation des BCD, la formation des élèves à l’usage des outils informatiques et l’aide à l’intégration scolaire. Cette dernière mission prend souvent la forme d’intervention au sein des classes spéciales, en collaboration avec l’enseignant spécialisé qui en a la responsabilité. Les mairies recourent également, selon les dynamiques locales, à ce type de contrat, et sur des missions d’accompagnement scolaire. Ainsi dans le département de Monsieur P., à partir de 1995, l’AASS n’a plus le monopole de l’emploi des auxiliaires :


« À la rentrée de septembre 1999, nous dénombrons (…) 27 aides-éducateurs de l’Education Nationale, 12 AIS emplois-jeunes de la ville (…) et 19 auxiliaires d’intégration scolaire de notre association »


La logique des emplois jeunes est de permettre de faciliter la prime insertion professionnelle des jeunes en leur fournissant un emploi d’une durée limitée (cinq ans, en l’occurrence) dont une partie du temps de travail est mobilisable pour se former dans la perspective d’un projet professionnel. Au sein de l’Education Nationale, notent Belmont, Plaisance et Vérillon, un dispositif est prévu pour garantir aux emplois jeunes un « parcours de professionnalisation », et comprend l’accès à des informations relatives aux offres de formations, des entretiens, des bilans de compétences, des procédures de validation d’acquis, etc.

Dans le cadre associatif, la FNASEPH répond également aux exigences induites par la perspective d’assurer aux emplois-jeunes un rebond professionnel. Elle s’attache aussi à des tentatives pour mieux structurer les emplois d’AIS. Ses membres élaborent des outils de formation, des référentiels d’emploi et des outils pour la pratique de l’accompagnement (grille d’évaluation des besoins, protocole d’accompagnement). Ces différentes productions sont reprises par les textes officiels de l’Education Nationale en 2003, au moment où est consacré le passage des AIS emplois jeunes aux AVS assistant d’éducation. Nous pouvons faire l’hypothèse que, délaissant aux associations, depuis plusieurs décennies, les multiples niveaux d’expertise en matière d’éducation spéciale, l’Etat se trouve dans une position de dépendance caractérisée par la délégation de fait qu’il a mis en place progressivement au profit des associations.

Pour autant, ces dernières, en l’occurrence la FNASEPH, si elle voit un certains nombre de ses travaux repris dans les textes de lois, n’a pas le poids que peuvent avoir l’UNAPEI et l’APAJH et ainsi ne trouve pas consacrées ses revendications, qui ne rencontrent pas les intérêts à la fois de ce qui caractérise l’action publique dans les années 1990 et 2000 (un retrait de l’Etat en matière de financement public dans de nombreux domaines) et les grosses associations historiques (une position de gestionnaire avec un poids politique et économique important).


3.2.2.2 Les étapes d’une reconnaissance consacrée
mais fragile

La circulaire Education Nationale du 17 juillet 1998 énonce, dans son article 5, la première reconnaissance officielle de la possibilité de « mise à disposition des établissement ou des écoles d’auxiliaires d’intégration scolaire, le cas échéant non titulaires du baccalauréat, pour assister les élèves handicapés ».

Le 30 avril 1999, une convention nationale pour le développement des services d’accompagnement scolaire est signée entre l’Education Nationale, la FNASEPH et IRIS initiative. Par le biais de son article 6, la gestion des services d’AIS individuels est confiée à la FNASEPH, tandis que l’EN se charge des accompagnements collectifs grâce aux aides éducateurs. Le recours aux contrats emplois jeunes pour l’emploi d’AIS est consacré par l’article 2, tandis que l’article 5 stipule que la part des 20% du salaire des AIS emplois jeunes non couverte par l’Etat se trouve prise en charge par un financement EDF-GDF, par l’intermédiaire d’IRIS initiative, à hauteur de 500 emplois, et pour une durée de cinq ans. Les associations s’engagent de leur côté à ouvrir des formations qualifiantes à leurs employés et créer des services dans au moins 20 départements. (Paumier, Philbert & Lagisquet, 2009)

On le voit, l’émergence de la reconnaissance nationale de l’accompagnement scolaire s’effectue dans un partenariat serré entre l’Etat et le maillage associatif existant en la matière, qui lui-même s’est construit certes en relation avec les associations historiques du champ de l’éducation spéciale mais en en inaugurant en quelque sorte une extension, fondée sur des objectifs statutaires qui ne correspondent pas à ceux des associations oeuvrant historiquement pour l’éducation spéciale. Cette reconnaissance est néanmoins fragile, et repose tout à la fois sur des financements temporaires et des contrats qui relèvent de dispositif d’emplois publics qui le sont tout autant.

Le financement des personnels « est totalement hors sécurité sociale et ne peut donc interférer sur les financements du secteur médico-social », écrivent Gilles Paumier, Patrice Lagisquet et Marie-Christine Philbert en 2009. Cette remarque de satisfaction témoigne de la crainte de voir l’accompagnement scolaire restreint au périmètre du médico-social. Elle témoigne également (du fait de l’utilisation du verbe « interférer », qui implique une gêne) de la conscience de ces agents/acteurs associatifs de ce que pourrait susciter un financement sécurité sociale dans le secteur du privé associatif du médico-social et du socio-éducatif, à savoir vraisemblablement une réaction concurrentielle et hostile qui pourrait nuirait à la finalité de leur action.

Il semble également qu’il y ait là une position dont le fondement symbolique consiste en considérer que le financement de tels emplois ne doit pas relever de la branche maladie et du ministère de la Santé ou des Affaires sociales : œuvrant en faveur de la scolarisation d’enfants, ils ne doivent pas, dans cette logique, être financé par un autre moyen que celui du droit commun en matière de scolarisation. Nous pouvons supposer que le financement par la sécurité sociale, qui consacre symboliquement une vision défectologique du handicap, est rejeté pour cette raison par les responsables associatifs de la FNASEPH. La signature de la convention de 1999 ne comporte d’ailleurs, en matière de représentant de gouvernement, que celle de Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l’Enseignement scolaire et aux personnes handicapées, et est présentée par l’histoire officielle de la FNASEPH comme un moment très important dans leur lutte.

Le 28 septembre 2000 se déroule la signature d’une autre convention de financement entre la FNASEPH et la fondation de France, pour une durée de quatre ans. Les moyens financiers qui sont alors dégagés vont permettre de développer les services départementaux d’une manière très importante : ils passent de 24 en janvier 2000 à 63 en 2002-2003, tandis que le nombre d’AIS associatifs employés par des collectifs membres de la fédération passent de 961 à 2107 sur la même période.


3.2.2.3 Les effets de ces étapes sur la définition des
contours de la pratique de l’accompagnement

Durant les années 1990, à la faveur de la création des emplois jeunes et de la structuration fédérative des employeurs de personnel accompagnant, se dessine aussi une certaine forme de pratique de l’accompagnement scolaire, qui est indissociable de ses conditions d’emploi et d’émergence. Ainsi, même si certaines associations se prononcent pour le fait que les AIS soient également des ressources pour l’école et non seulement des personnels attachés à un seul enfant, leurs fonctions telles qu’elles sont définies par la FNASEPH et reprises, en 2003, par l’Education Nationale, consacre une conception de l’accompagnement centrée sur l’élève accompagné, « essentiellement [attachée] à la mise en œuvre du projet individualisé » (Belmont, Plaisance, Vérillon, 2006). Nous pouvons ici voir l’origine du fait qu’actuellement, la mise en œuvre de la professionnalité de l’accompagnant scolaire se trouve référée à sa mention dans un PPS.


« Sa légitimité est assujettie aux formes de reconnaissance instituées lors de l’édification du projet personnalisé de scolarisation », et son intervention y est subordonnée, écrit Serge Ebersold en 2009.


Se trouve ainsi consacrée une problématique particulièrement sensible d’abord pour tout accompagnant individuel d’élève handicapé scolarisé, et ensuite également pour toute réflexion et analyse sur la pratique de cet accompagnement : comment travailler aux apprentissages et à la socialisation de l’élève quand l’accompagnant est pour lui un « adulte à soi » ? Comment dépasser le stade de « l’initié » (dans le sens employé par Erving Goffman (1975)) que devient souvent l’accompagnant par rapport aux effets dans le temps et l’espace scolaire du handicap de l’enfant ? Comment transférer vers adultes et enfants les connaissances relatives au statut d’initié quand les tâches du poste sont centrées sur l’élève ? Comment ne pas devenir un nouveau spécialiste (ou un établissement spécial fait corps, à lui tout seul) contribuant à recréer à l’école de nouvelles formes de ségrégation ?



Lalie : (...) je vois celui du collège, si je restais derrière lui euh… Je sens pas le progrès (...)… je suis un peu sa décharge quoi, hop… je m’en… je suis son soutien quoi, « il y a quelqu’un, il y aura toujours quelqu’un euh… je me débrouillerai toujours avec quelqu’un » mais ça va pas l’aider quoi... (Page 39)


Nous nous estimons légitimes à formuler l’hypothèse selon laquelle la vision de l’accompagnement qui émerge dans les années 1990 et qui se trouve consacrée dans les années 2000 est directement liée à ces problématiques aujourd’hui très vives, et qui existeraient avec beaucoup moins de force si l’accompagnement avait pris la forme d’un accompagnement à la classe, ou à l’établissement, au lieu de se retrouver ceint dans le périmètre de l’aide strictement personnalisée – qui permet également de justifier la limitation du niveau de formation et, incidemment, la nature du cadre d’emploi (confère 3.2.2.4).

Voici un échange entre deux AVS-i (anciens recrutés) qui évoquent les limites de l’aide individuelle et les stratégies qu’ils ont développées pour y faire face :


Pascal : (…) [Les moments où] on se sent utile ni pour l’enfant qu’on accompagne ni pour les autres, là c’est vrai que c’est pénible, je trouve. (…) des fois sur des demi-journées… ça m’est souvent arrivé hein…(…) ça m’est même arrivé de travailler dans d’autres classes, ce qui n’est pas tout à fait… ce qui n’est pas tout à fait légal…
G : ça m’est arrivé aussi [rires] (…) ça m’est arrivé de prendre trois groupes, des tiers de classe dans une classe de CE1, à la bibliothèque, à des moments où… où je servais à rien… [toutes les semaines], sur toute une année (…)… donc le fait… ce fait que ce soit pas légal, enfin bon qu’on trouve des arrangements après dans l’école, puisqu’on est une ressource, on est un adulte, c’est quand même dommage de pas l’utiliser quoi. [J’ai également beaucoup utilisé les « temps morts » pour observer l’élève, la classe, et écrire ces observations, ou pour relire mes écrits précédents afin de travailler mon positionnement].


En 2001, un rapport « sur les moyens de consolidation et d’extension des services d’auxiliaires » est commandé conjointement par les ministères de l’Education Nationale, de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées à Mireille Malot, qui est délégué générale de l’association IRIS initiative. Il inaugure une série impressionnante de rapports ou missions d’étude rendus durant les années 2000 et abordant, soit directement soit indirectement, la question de l’accompagnement scolaire ; la différence notable entre les auteurs résidant dans le fait que Mireille Malot est une des membres fondatrices de la FNASEPH, et non une élue ou un haut fonctionnaire comme c’est le cas pour presque tous les autres.

C’est le rapport Malot qui introduit le terme d’auxiliaire de vie scolaire AVS, afin de mettre un terme à la confusion entre les services associatif d’AIS et le service AIS « adaptation et intégration scolaire » qui existe au sein de l’Education Nationale. Il formule également une vingtaine de propositions, dont une qui concerne une gestion associative des services d’AVS en collaboration avec l’EN et les DDASS, combinant l’avantage du savoir-faire associatif, la souci de l’égalité territorial et un financement public, qui n’est pas sans rappeler certains précédents historiques, et qui confirme, s’il le fallait, que l’action associative en faveur de la scolarisation des enfants handicapés est construite en référence au modèle de l’éducation spéciale en la matière. Le rapport aborde également les « possibilités de faire de cette fonction un vrai nouveau métier, en l’affranchissant définitivement des dispositifs toujours provisoire d’aide à l’emploi » (point 4 de la proposition 13). Ces deux propositions restent lettre morte, mais inaugurent, sur ces deux points, une lutte qui prend la forme d’une pression et d’un militantisme associatif qui est toujours d’actualité en 2008-2009.

3.2.2.4 La question d’un métier d’accompagnant


Durant cette période de gestion associative du dispositif, sur la question précise de la professionnalisation et de la question des statuts de la fonction d’AIS et des personnels qui l’occupent, l’unanimité n’existe pas, malgré l’émergence officielle de la proposition par l’intermédiaire du rapport Malot. Certaines associations se positionnent en faveur d’un vrai métier, exercé par des personnels stables qui pourraient bénéficier d’une formation qualifiante. D’autres, dont nous pouvons faire l’hypothèse qu’elles sont caractérisées par une proximité plus importante (qu’elle soit sociale et/ou professionnelle) avec le secteur médico-socio-éducatif, manifestent des réticences qui « semblent associées à la crainte que cet emploi ne vienne combler des fonctions défaillantes, comme le soutien des enseignants par des professionnels spécialisés » (Belmont, Plaisance & Vérillon.2006).


Autrement dit, ces oppositions sont issues de la volonté de préserver des territoires professionnels certes estimés peu assez occupés, mais qu’il convient de ne pas amputer, sous peine de mettre en danger des métiers déjà existants. Tout se passe comme si cette vision considérait la fonction d’accompagnant scolaire comme le symptôme d’un mal venant d’un dysfonctionnement des relations entre scolaire et spéciale – mal qu’il conviendrait de soigner, au lieu d’accorder à cette fonction une place qui ne ferait qu’asseoir la maladie. De ce point de vue, le poste d’AVS-i viendrait combler une place laissée vacante, pour des raisons diverses, par des professions historiques du travail médico-social et socio-éducatif, mais qui ne serait fait qu’un supplétif aux lacunes d’occupation territoriale de ces professions déjà existantes, qui, si on suit la logique historique qui sous tend un tel discours, devraient être amenées à le réinvestir un moment ou un autre, rendant caduque l’existence même de la fonction d’accompagnant scolaire tout autant que le débat sur son éventuel professionnalisation.


En 2009 se déroulent deux évènements traduisant le fait que la question de la création d’un métier d’AVS-i soit une question encore vive :


Une mission, confiée par Jean-François Copé à Marie-Anne Montchamp, vise à réfléchir aux conditions de professionnalisation des AVS avec l’ensemble du secteur associatif et les ministères concernés. Ce groupe de travail, réuni deux fois au printemps 2009, disparaît comme il est apparu, sans conclusions ni épilogue, malgré les relances de certaines associations.


Un groupe de travail, cette fois-ci beaucoup plus assidu, et réunissant associations du secteur, ministères et organisations concernées, s’est créée suite à la signature d’une convention de reprise des AVS AED sortants du dispositif en 2009 par les associations, en septembre 2009.




Ce groupe de travail (2-) réunit les quatre signataires de la convention, plus trois associations non signataires membres du comité d’entente des associations autour du handicap (Trisomie 21 France, APF et APAJH, toutes trois opposées à la création d’un métier) ; l’UNAISSE, le CNSA, l’association des départements de France, les organisations syndicales siégeant au CNCPH, la DGAS (devenue entre temps la DGCS), la DGESCO, le cabinet du secrétariat d’Etat à la famille, aux personnes âgées et aux personnes handicapés (alors occupé par Nadine Morano), qui anime la réunion. Ce groupe se réunit toutes les deux ou trois semaines, de septembre 2009 à janvier 2010, travaillant sur : 1/ les référentiels (de compétences, d’activité, de formation) et 2/ le cadre d’emploi. Les réunions se divisent alors en plénières et restreintes – ces dernières concernant les travaux spécifiques aux référentiels ou sur le cadre d’emploi. Les réunions plénières tranchent.


C’est ce groupe de travail qui va aboutir à la production la plus aboutie – et c’est lui également qui permet de saisir a minima la grande tension et les conflits très vifs que font naître dans le champ du handicap la question du statut à accorder au poste d’AVS-i. Au sein de ce groupe, réuni pour réfléchir à la question de la création d’un métier d’accompagnant scolaire et social, on ne trouve qu’une minorité de participants qui y sont en fait véritablement favorables, selon des modalités différenciées (FNASEPH, FG PEP, Autisme France et UNAISSE). On y trouve surtout des acteurs associatifs et institutionnels qui y sont largement défavorables, et soutenant eux aussi des solutions différenciées (APAJH, APF, Trisomie 21 France, DGAS, DGESCO).


C’est la raison pour laquelle, bien que l’objet du groupe de travail ait été fixé comme devant être centré sur la forme que devait prendre un métier, et soit basé sur le postulat selon lequel la création d’un métier ne se discutait plus, c’est justement la question de la nécessité d’un métier qui guide une grande partie des échanges – parfois très vifs. Finalement, et contre l’avis des associations défendant la création d’un métier, c’est l’idée d’une extension du territoire d’une profession déjà existante qui est imposé (notamment par la DGAS) – en l’occurrence, c’est le métier d’auxiliaire de vie sociale (AVSociale) qui est le plus mis en avant. Au sein du groupe restreint sur les référentiels, la DGAS impose également un travail à partir des référentiels d’AVSociale et d’aide médico-psychologique (AMP), et refuse de travailler à partir des référentiels spécifiques construits par la FNASEPH ou le collège coopératif de Bretagne (CCB) dans le cadre du programme Respect.


Ce groupe de travail, qui devait permettre, selon les objectifs initiaux fixés par le cabinet de Nadine Morano, de mettre en place le nouveau métier à la rentrée 2010, a brutalement cessé de fonctionner au début de l’année 2010. Le gouvernement a par la suite annoncé (en mars 2010) qu’il n’y aurait pas de métier d’AVS-i.


En 2010, au moment de la mise en écriture du présent travail, diriger le poste d’AVS-i vers le secteur des services d’aide à domicile (SAAD) semble être devenu une option politique majeure. En effet, après que les quatre signataires de la convention de septembre 2009, échaudés par l’enterrement du groupe de travail sur le métier, l’aient dénoncée, deux autres conventions (concurrentes, bien que provenant d’un même gouvernement) de reprises des AVS-i/AED arrivant au terme de leurs six années de contrat ont été signées :


la première entre, d’un côté, FNASEPH, FG PEP, Autisme France et un nouveau venu (dans le champ), la ligue de l’enseignement, et de l’autre l’Education Nationale

la seconde entre les quatre fédérations nationales de SAAD et le secrétariat d’Etat à la famille, aux personnes âgées et aux personnes handicapées.


A la rentrée 2010, les inspections académiques ont ainsi le choix de conventionner avec les associations signataires de la convention avec Luc Châtel ou avec celles ayant signé avec le cabinet de Nadine Morano - ou les deux.

Seulement, et c’est là un point essentiel, les SAAD, qui forment avec les SAP le secteur de l’aide à la personne, ne sont pas habilités à travailler avec l’enfance (à l’exception de certains agréments qui concerne les activités de l’aide sociale à l’enfance, ASE), mais seulement avec les adultes (les vieux et les personnes handicapées). Ainsi, pour pouvoir leur délivrer un agrément leur permettant de recruter des AVS-i sortant du dispositif AED, il est nécessaire de modifier un décret d’application de la loi n°2002-2 (réformant la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales).



Une fois cette modification faite, les SAAD pourront travailler avec l’enfance – et le basculement complet de la fonction d’AVS-i vers ce secteur sera alors possible ainsi que, potentiellement, tout le secteur de l’enfance.



Avant toutes ces péripéties, dont le bref (et incomplet) recensement montre bien à quel point le poste d’AVS-i cristallise, par sa position et sa nature, des clivages et des tensions qui prennent racine dans l’histoire très épaisse du champ de l’enfance handicapée, la question est également débattue. Durant la période 2001-2002, elle l’est dans deux cadres, celui de la mission confiée à Vincent Assante concernant la réforme de la loi de 1975 et celui d’un groupe de travail interministériel réunissant l’ensemble des partenaires associatifs impliqués dans la gestion des auxiliaires. C’est à l’issue des discussions de ce groupe de travail qu’un nouveau texte apparaît en 2003, définissant un nouveau cadre juridique pour ceux qui ne sont désormais plus nommés auxiliaires d’intégration scolaire (AIS) mais auxiliaires de vie scolaire (AVS).



Ce texte va véritablement rendre visible la fonction d’AVS – sans pour autant vraiment l’éclairer, tant le traitement médiatique autour de ce poste est soumis aux poses traditionnelles qui caractérisent les non-initiés au handicap (soit un pathos vibrant doublé d’un angélisme parfois affligeant). Le tableau suivant permet aisément de le constater.




Fréquence d’apparition du terme auxiliaire de vie scolaire
Titre
Titre et premier paragraphe
Ensemble de l’article
200239172003731100200442250200512690200611419520071474288

3.2.3 La politique du flou : 2003-2009

3.2.3.1 2003 : les AVS AED


Cécile : (...) les AVS… bah ouais, parce qu’on était... je pense, on est toute une génération à entrer dans le système à peu près en même temps, donc c’est vrai qu’on a pu échanger pas mal, ouais j’ai des bons collègues (...) vraiment dans l’échange… (...) j’ai bossé avec euh… D. qui est à B. maintenant, bah du coup c’est lui qui a récupéré T., enfin voilà, ça été tout un... on a pu échanger, ça a été euh… et puis tu te sens moins seule quand tu as un statut comme ça et que tu es devant l’école, tu es quand même euh… (...) surtout en période difficile où ils te passent à 60% et où toi tu es enceinte et que… [rires]… t’as besoin de soutien, et là c’est tes potes qui sont AVS qui te l’apportent… davantage quoi… bah de toute façon ça a toujours été de bons contacts avec les autres… y compris euh… y compris pendant les formations, alors là tu vois à O., alors il y en a une qui a débarqué [une personne en contrat aidé, NDR], alors elle savait même pas me dire qu’elle était AVS-i en début d’année, tu sais, bah c’était un peu un truc de fou, quoi, elle a été télescopée là… (...) Sinon, lors des formations, des fois j’y vais tu vois ça me dégage une après-midi, je vais en formation, je vais voir un peu ce qui se passe, et puis… euh… et puis voilà, du coup je me retrouve un peu dans le … [elle prend une voix enfantine] « oh t’es en sixième année, oh j’ai plein de questions à te poser » [rires] donc voilà, donc ça me permet effectivement de guider, (...) tu sais les petites astuces, les machins, le métier, enfin le… ouais le job quoi, comment on l’habite, les interrogations, (...) tout quoi, je veux dire, ce que je vis tu te rends compte que bah ouais ils le vivent aussi derrière, donc tu… ouais, tu témoignes en fait… voilà… c’est un peu le vétéran des AVS au bout de six ans, tu sais (rires)… donc voilà, on en est là avec les autres AVS, qui sont tous en demande d’une coordination, d’un rapprochement avec d’autres AVS, ça c’est toujours euh… voilà quoi… c’est toujours le truc qui ressort…(Page 40-41)


Ce qu’exprime ici Cécile, c’est le sentiment (né très probablement progressivement, au fur et à mesure de l’occupation du poste) d’une appartenance commune pour les AVS ayant été recrutés en 2003 ou en 2004. En effet, ces personnels, recrutés pour la première fois en nombre aussi important, sont les premiers à « ouvrir » le dispositif AVS au sein de l’éducation nationale puisque 2003 est l’année du basculement de ces emplois de l’associatif vers ce ministère. Le sentiment d’accomplir quelque chose de nouveau et d’important n’est pas tari par la conscience, très bien distribuée, d’occuper un emploi précaire non reconnu, sous payé et sans véritable formation, et sera même redoublé par le vote de la loi n°2005-102 du 11 février 2005. L’échec de toute possibilité pour ces personnels de poursuivre leur travail au terme des six premières années (2003-2009) a constitué un événement important difficilement vécu par certains d’entre eux qui étaient auparavant AIS (auxiliaire d’intégration scolaire) dans l’associatif et qui cumulait ainsi parfois plus de dix ans d’occupation du poste.

Progressivement, et alors que le poste était, pour toutes ces raisons, pensé comme pouvant à tout moment devenir pérenne, les occupants du poste d’AVS-i ont peu à peu intégré le fait qu’il s’agissait d’un passage et l’ont pensé comme temporaire – c'est-à-dire également, c’est un corollaire, sans l’investir comme ont pu le faire ceux qui le pensaient potentiellement durable.

Les anciens recrutés arrivant à la fin « de leur temps », sont particulièrement bien placés pour se rendre compte de ce fait :

Cécile : (...) [mais maintenant], ça c’est clair, ils restent un an, deux ans, ouais… oui et puis de toute façon tu sens dans leur discours que de toute façon, il est clair que … « ah oui mais non je fais juste ça comme ça, et puis l’année prochaine je cherche autre chose quoi »… tu sens que définitivement, les gens ont pas envie du tout de… de… de s’ancrer là-dedans, quoi (...) (Page 41)


C’est le texte de 2003 précité qui organise la création des AVS AED. Il est produit par le ministère de Luc Ferry et semble, pour plus d’un participant au groupe de travail de la fin de l’année 2002, en ignorer superbement la production. En janvier 2003, après quatre réunions de ce groupe, et sans tenir compte de ses conclusions, le ministre annonce la création prochaine des auxiliaires de vie scolaire dans le cadre de la réforme du statut des maîtres d’internat et surveillants d’externat (dits MI-SE) : les accompagnants scolaires deviennent partie des assistants d’éducation (AED), et se substituent aux aides éducateurs, le dispositif des emplois-jeunes ayant été supprimé l’année précédente.

Les AVS AED réunissent ainsi l’ensemble des AIS associatifs (qui peuvent être recrutés par l’EN) et des aides éducateurs qui remplissent des missions d’aide à l’intégration scolaire. Leur création correspond à une reconnaissance officielle de la fonction d’accompagnement scolaire ; on passe en effet d’une période de gestion associative avec des financements publics pour une part, privés pour d’autres, limités dans le temps, à une autre, à partir de 2003, où l’ensemble des postes est complètement financé par l’EN sans limitation de durée. Ceci créé bien « les conditions de la pérennisation et de la généralisation » demandées par une grande partie des associations. Pour nombre d’entre elles, favorables à la création d’un nouveau métier, les conditions sont réunies pour la reconnaissance globale et définitive de ce pourquoi elles se sont créées à partir des années 1980

Plusieurs écueils importants demeurent néanmoins : les emplois d’AVS AED sont toujours temporaires (avec des contrats de trois ans renouvelables une fois, d’après les textes) ; ils sont toujours destinés à être occupés par des jeunes, en l’occurrence étudiants, dans l’optique d’une première expérience professionnelle qui les conduirait vers les métiers de l’enseignement ou du travail social – indice éminemment révélateur de leur position interstitielle dans le champ éducatif français (Bordeau & Bourget 2009). Il leur est proposé, à l’instar des emplois jeunes, de suivre une formation en lien avec leur projet professionnel, par le biais de 200 heures par an (pour un temps plein) mobilisables sur leur temps de travail.


Quant à la formation en lien avec leur pratique d’accompagnant, elle est nommée « formation d’adaptation à l’emploi », et doit correspondre à 60 heures réparties sur les trois premières années d’exercice. Ainsi, malgré la reconnaissance symbolique forte qu’est la prise en charge financière intégrale des AVS par l’EN, l’accompagnement scolaire n’est pas consacré comme un métier à part entière.


La législation de 2003 définit deux types d’AVS AED : les auxiliaires de vie scolaire collectifs (AVS-co) et les auxiliaires de vie scolaire individuels (AVS-i). Si les premiers relèvent des dispositions générales prises pour les AED (ils sont recrutés par les établissements, par exemple), les seconds font l’objet de dispositions qui leur sont spécifiques : ils n’interviennent que sur décision de la CDES (qui est remplacé par la CDA avec la loi de 2005) et sont recrutés par les Inspections Académiques.


Est ainsi consacrée pour les AVS-i, ainsi que nous l’avons déjà évoqué, une vision personnalisée et individualisée de l’accompagnement : ne dépendant pas des établissements et n’intervenant que si le projet de scolarisation le définit, la pratique des AVS-i se retrouve clôturée dans un périmètre centré sur l’élève accompagné, à l’instar d’une aide technique et matériel, comme un ordinateur par exemple : il est attribué un AVS-i à un élève. Des dispositions originelles, que nous avons déjà citées, comme par exemple certaines volontés associatives de mettre l’accompagnant individuel au service de la classe et de l’établissement – ce qui correspondrait davantage à une conception environnementaliste du handicap – et pas seulement au strict accompagnement de l’élève, sont ainsi abandonnées. Une circulaire, qui comporte en annexe des documents élaborés par la FNASEPH (une fiche d’évaluation de l’autonomie de l’élève et un protocole d’accompagnement) aborde les tâches que peuvent réaliser les AVS-i, toutes exclusivement centrées sur l’élève, et précise qu’il importe que « les AVS-i [ne] se consacrent exclusivement [qu]’à ce type de fonction ». Belmont, Plaisance & Vérillon concluent en écrivant que la fonction d’AVS-i se trouve alors « fondamentalement caractérisée par une approche individualisée de l’aide à l’intégration scolaire ».


La qualité du processus de scolarisation en milieu ordinaire nécessitant un accompagnement scolaire est subordonnée à celle des relations construites et entretenues par l’accompagnant avec les parents, l’enseignant et, plus largement, avec l’équipe pédagogique, comme l’a fort bien démontré Serge Ebersold (2004). En ce sens, l’individualisation de la pratique de l’accompagnement scolaire ainsi que le fait qu’il soit uniquement référé au projet de scolarisation, ce qui l’attache au projet de l’élève, c’est à dire à l’élève, et non à un établissement, pose question, en particulier au regard des ambitions d’une éducation inclusive.


En effet, comment développer des liens de coopération avec une équipe quand on est partagé entre plusieurs établissements ?



« La façon dont sont définies les fonctions des AVS et (…) la conception du type d’accompagnement qui sous-tend leur définition » et, ajoutons-nous, les conditions d’emploi, induisent donc des conditions d’exercice de la pratique d’accompagnement qui, loin d’être négligeables, appellent une analyse spécifique (Belmont, Plaisance & Vérillon 2006).



Il faudrait ainsi s’intéresser à la façon dont cette injonction de l’individualisation et ce partage obligé entre plusieurs écoles, et donc entre plusieurs équipes pédagogiques, sont reçus par les accompagnants scolaires, dans quelle mesure ils s’en accommodent et quels effets ils ont sur les conceptions qu’ils construisent de leur pratique d’accompagnant, conceptions dont la mise en parallèle avec les définitions officielles serait probablement tout à fait intéressante. Nous pouvons ici néanmoins citer la parole de certains AVS-i interrogés.


Lalie a en 2009-2010 un contrat de 9 heures, réparties sur trois demi-journées ; Pascal, de son côté, raconte comment, pendant quelques mois, il doit changer d’école au moment de la récréation :





Guillaume : et tes neuf heures sont réparties comment dans ce collège ?
Lalie : bah euh… je… travaille… le lundi après-midi…mercredi matin et maintenant jeudi matin (...) j’ai pas une journée complète (Page 27-28)

Pascal : il y a eu une année, enfin ça a duré que six mois heureusement, où je me retrouvais à faire des…des… des quarts de journées… changer, pendant le temps de la récré, d’école… on est tout le temps à se déplacer, à bouger, c’est pas très agréable… (Page 26)


 Pascal explique également les affres des débuts d’année scolaire, quand il s’agit de construire, en lien avec deux, trois ou quatre écoles, un emploi du temps qui convienne à chacun – enseignants, professionnels du médico-social, élève –, qui prenne a minima en compte les contraintes de chacun, et qui permette surtout de rentabiliser le volume horaire hebdomadaire attribué aux enfants accompagnés, sans les « gâcher » :



Pascal : après c’est des histoires d’emploi du temps, plus… c’est à dire nous on ne peut pas trop changer nos emplois du temps parce que c’est compliqué avec les différents enfants qu’on accompagne, les changements d’école, et on se retrouve des fois à être un peu bloqués parce que (…) d’autres enfants ont des accompagnements à l’extérieur, d’autres jours, donc par exemple trois matinées par semaine, et il y a pas le choix, il y a que G. qui est dans l’école … tous les enfants que je suis [sont dans une institution spécialisée dans le cadre d’un temps partagé entre elles et l’école, NDR] donc je suis obligé d’être avec G. ces trois matinées là… si dans les trois matinées il y a une matinée de piscine, par exemple, où l’enfant n’a pas du tout besoin d’être accompagné parce qu’il est à l’aise dans l’eau, et une autre séquence pareil où l’AVS-i sert pas à grand chose en sport par exemple pour certains élèves, du coup ça fait trois heures ou six heures de perdues dans la semaine (…), j’essaie de faire comprendre que bah c’est quand même un bon gros gâchis… mais des fois c’est pas simple parce que les horaires de piscine c’est pas les enseignants qui choisissent, donc euh… après c’est plus un problème d’organisation d’emploi du temps où ça fini par devenir très compliqué… (…) Parce que c’est ça, G., son principal problème par exemple c’est en maths… en français il se débrouille plutôt bien… alors si je l’ai que dans des séquences où on fait que du français, euh… bah du coup à quoi ça rime ? Alors quand en plus il faut s’arranger au niveau de l’emploi du temps pour qu’il y ait que… enfin maximum de maths avec G., ouais ça devient très compliqué… (Page 25)


Belmont, Plaisance & Vérillon écrivent également que « dans le cadre EN, la fonction d’AVS-i s’est élargie par rapport à la façon dont elle a été déterminée dans le cadre associatif ». Ils appuient cette assertion par l’examen du contenu du cahier des charges élaboré en 2004 pour la formation « d’adaptation à l’emploi » des AVS dans lequel ils notent l’apparition de thèmes nouveaux comme « les méthodes enseignantes d’acquisition du savoir sur le plan pédagogique » ou des éléments de formation prenant en compte le fonctionnement global de la classe. Ces thèmes justifient, selon ces auteurs, de conclurent de cette manière :



« Ainsi peut-on penser que l’on attend de tous ceux qui suivent des enfants en individuel ou en collectif qu’ils disposent d’éléments pour appréhender le fonctionnement pédagogique du milieu d’accueil dans une perspective d’adaptation des pratiques ».



Il serait judicieux, une fois de plus, de s’enquérir de la forme que prennent les éléments à la base de ces constatations (qui sont relatifs aux textes) dans les pratiques quotidiennes.


La formation proposée est centrée sur de l’information généraliste concernant tant l’ensemble du système éducatif que les différents types de handicap. La délivrance des ces heures de formation est le plus souvent confiée au milieu associatif du secteur médico-social, auxquelles il est conseillé d’utiliser le référentiel d’emploi élaboré par la FNASEPH comme support de formation. « Ainsi, remarquent Belmont, Plaisance & Vérillon, pour la formation comme pour la définition des fonctions, l’EN s’est appuyé sur l’expérience acquise par les associations ». Avec un bémol, cependant, ainsi que le fait remarquer Christine Philip (2009) : les référentiels d’emploi élaborés par la FNASEPH et le Collègue Coopératif de Bretagne n’ont pas été repris par l’Education Nationale qui « propose un programme minimum, témoignant ainsi du peu de cas qu’elle fait de cette fonction ».

Ces formations ne semblent pas être réceptionnées par les AVS-i interrogés de la meilleure manière qui soit – et ceci qu’ils soient, pour ce qui concerne notre échantillon, anciens ou néo-recrutés. Lisons ce qu’en disent par exemple Sylvie, néo-recrutée, et Pascal et Cécile, anciens recrutés qui, à sa suite, font des constats de ce qui manque à ces formations :



Sylvie : les formations ? [Rires]… euh… euh… disons qu’il y avait certaines euh… formations qui étaient euh… pas intéressantes… non mais vraiment… vraiment pas intéressantes, et pas assez spécifique du handicap, ou alors des fois trop générales… euh… et l’avis des AVS était généralement euh… unanime par rapport à ça quoi… (...) c’est vrai que nous ce qu’on veut c’est… Pouvoir écouter des AVS qui ont vraiment exercé ça pendant euh… plus de temps, et qui vraiment ont l’expérience aussi… et ça reste toujours beaucoup plus intéressant que euh… que certaines formations sur l’école en général, et tout ça… (Page 41-42)



Pascal : il faut absolument à mes yeux un aspect pédagogique dans la formation…chose qu’il n’y a pas du tout pour les AVS-i, hein… (Page 43)




Cécile : (...) [lors des formations] (...) il y a pas de rapprochement entre les AVS-i, c’est…. C’est, ouais, c’est compliqué, (...) il y a pas d’échanges de pratiques (...) ou qui que quoi, donc c’est vraiment … on s’arrête pas quoi… A tous les temps de pauses on est là « pepepepepepepep » [imite des échanges verbaux soutenus] … tu sens que vraiment les gens se vident… (...) (Page 41-42)



Au regard de ce qu’expriment les AVS-i quant à la formation « adaptation à l’emploi » qu’ils reçoivent, il est permis de se demander si le niveau de formation des AVS AED (qui ont majoritairement un diplôme de l’enseignement supérieur), a vraiment été pris en compte à la fois par l’administration et les associations participant aux formations, et/ou si les formations, majoritairement reçues par les AVS-i comme insuffisantes ou mal conçues (par les six entretenus mais également par ceux s’exprimant sur les forums Internet), ne font pas les frais du décalage entre les représentations (du travail effectué par ces personnels) des responsables associatifs et académiques, et les réalités de leurs pratiques.


Au-delà de la formation, on remarque également la façon dont le texte de 2003 gère l’héritage de l’ancien dispositif : les AIS faisant de l’accompagnement individuel deviennent des AVS-i, et les aides éducateurs travaillant en classes spécialisées (CLIS ou UPI) deviennent des AVS-co. Cette même dénomination, que viennent seulement distinguer des adjectifs (certes antagonique), semble laisser penser qu’AVS-i comme AVS-co font le même travail, à quelques nuances près. Seulement, si les textes définissent peu ou prou le champ de la pratique des AVS-i, restreint à un accompagnement individualisé, ils n’apportent en revanche pas de précision concernant les AVS-co et leur mission. On en trouve vraisemblablement une raison dans le fait que « le cadre de leur travail font qu’ils sont amenés à des préoccupations en terme de fonctionnement de la classe et de place de la classe dans l’établissement », notent Belmont, Plaisance & Vérillon. Nous postulons ici qu’AVS-i et AVS-co, du fait de leur généalogie différente, du fait de leur cadre de travail et de leurs missions également différentes, constituent, malgré le sigle qu’ils partagent, deux types de personnels tout à fait différents, appelant ainsi des recherches différentes et spécifiques. Nous redisons également qu’au-delà de l’aspect historique, qui concerne ces deux catégories de personnel, nous nous intéressons spécifiquement au poste d’AVS-i.

Mais qu’ils soient AVS-i ou AVS-co, les AVS AED ne restent pas les seuls représentants du personnel accompagnant scolaire. En 2005 émerge de nouveaux contrats, de nouvelles modalités de recrutement, de nouvelles appellations, qui se superposent au dispositif existant.


3.2.3.2 2005 : les EVS- ASEH

CAE, CAV

Le « plan Borloo » dit aussi « plan de cohésion sociale », présenté au gouvernement en juin 2004, créé deux nouveaux contrats aidés (c'est-à-dire que la totalité des cotisations patronales sont prises en charge par l’Etat) : les contrats d’avenir (CAV) et les contrats d’accompagnements vers l’emploi (CAE). Ces deux contrats, de droit privé et de durée variant de 10 à 24 mois, vont servir au sein de l’Education Nationale pour recruter un nouveau type de personnel intervenant dans les écoles primaires : les emplois de vie scolaire (EVS).

Recrutés directement par les ANPE (puis par Pôle emploi, nouvelle administration issue de la fusion des ASSEDIC et de l’ANPE, en 2008) sur la base d’un niveau BEP ou CAP parmi les allocataires du revenu minimum d’insertion ou des allocations spécifiques de solidarité (ASS), ces nouveaux personnels dépendent administrativement d’établissements publics du second degré, et se voient confier (théoriquement de manière exclusive) Zdeux types de missions.


D’une part, l’aide administrative à la direction d’école (« EVS administratifs ») ;

et d’autre part l’aide à la scolarisation des enfants handicapés (« EVS ASEH », ou « EVS-h »). Ces derniers n’interviennent pas sur notification de la CDAPH et ne dépendent donc pas du projet personnalisé de scolarisation. Ils sont affectés à une école – et parfois se retrouvent à assurer un peu de ces deux tâches, voire plus, devenant en quelque sorte « multifonctions ».


Les personnels EVS chargés de missions d’AVS connaissent rapidement une augmentation spectaculaire de leur nombre : ils sont 7 185 en 2006 et 13 099 en 2009 (Confère tableau ci-dessous). Dès l’année scolaire 2006-2007, ils sont en nombre plus important que les AVS AED. Les EVS-h deviennent ainsi les personnels représentatifs de l’ensemble des accompagnants scolaires des enfants en situation de handicap – malgré cela, ils en constituent aussi le point aveugle. Ces personnels ne sont pas concernés par la convention de reprise de septembre 2009, ni par les deux qui ont été signées en juin 2010.


Evolution des AVS mobilisables
(en ETP)
AED/AVS-i

AED/AVS-co

Total
AED/AVS
EVS/AVS.i
Total EVS et AED
(en ETP)2006/20074 8191 6516 4707 18513 6552007/20087 5171 9029 41913 09922 5182008/2009(+ 2 000)
9 517(+166 UPI)
2 068
11 585
13 09924 684
2010 : CUI et SAAD



Au premier janvier 2010 se met en place un nouveau contrat, prenant suite des CAE et CAV : le contrat unique d’insertion (CUI), issu du dispositif du « revenu de solidarité active » dit RSA. Cet évènement nous rappelle la fonction de la notion d’inclusion (abordée dans le chapitre précédent) : subsumer l’insertion et l’intégration, le social, le professionnel et le scolaire, et permet de remarquer que le CUI mis au standard européen en matière de politique social devrait s’appeler le contrat unique d’inclusion (« active », cela va de soi). Seulement, adopter cette appellation rendrait largement visible la logique à l’œuvre dans le fait de réserver le poste d’AVS-i à des personnes éligibles à des contrats aidés : des personnes censées activement s’investir dans leur propre inclusion se voient confier la tâche de participer à la même inclusion – mais scolaire cette fois – des enfants handicapés. Une sorte d’inclusion au carré, en quelque sorte, avec le double bénéfice pour les classes dirigeantes de mettre au travail les pauvres tout en pourvoyant les enfants handicapés d’une présence. En d’autres termes, résoudre (statistiquement) le problème de l’accompagnement scolaire tout en mettant au travail une partie de la population active au chômage – qui constitue un « stock » dont les élites politico administratives ne savent que faire.


L’arrivée dans les établissements scolaires, et notamment dans les écoles, de personnel sous contrat EVS (donc de personnes éligibles à un contrat aidé par l’état) consacre un mouvement d’accentuation de l’hétéronomie de l’école, et opère un lien direct entre le champ de l’insertion et le champ scolaire – auparavant déjà opéré mais pas pour des postes intervenant dans les classes.



Une analyse critique



« Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes les deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore ».

Georges Orwell, 1984. (1949)





Le sens commun et le travail avec des enfants handicapés : dévouement, bonne volonté et féminité

Felicity Armstrong, une chercheuse britannique, s’interroge en 2000 sur la nature des liens entre les objectifs de l’éducation inclusive en Angleterre (contenus par l’Education Reform Act de 1988) et la nature des « orientations politiques générales basées sur le principe du marché ». Elle conclut sur la mise en relief d’une contradiction entre politique d’inclusion et « pression politique centrée sur l’augmentation de la compétition et de la sélection entre écoles et élèves induite par la loi de 1988 ». On le voit, avec l’inclusion et avec la prééminence accordée au recrutement de contrats aidés pour occuper le poste d’AVS-i, cette contradiction entre principes et objectifs affichés et dispositifs construits pour y répondre (directement issu des contraintes imposées par l’orthodoxie économique) ne concerne pas que la Grande Bretagne.

Malgré le fait que le député Guy Geoffroy, dans son rapport, définisse la création des EVS-h comme une « idée juste et généreuse », il est permis de se poser quelques questions sur le fait de favoriser l’occupation du poste d’AVS-i à une catégorie de la population qui est a priori fragilisée par ses conditions d’existence – et surtout à qui on n’envisage de n’offrir aucune formation, en dehors de celle nécessaire pour la position d’exécutant qui leur est réservée.


« L’exercice de la fonction d’AVS n’apparaît pas accessible à tout le monde », notent Pierre Bonjour et Michel Lapeyre (2004). « Il ne suffit pas de manifester un intérêt pour le jeune enfant et d’avoir des capacités d’écoute et de communication pour aider un élève handicapé à s’engager dans des apprentissages », relève de son côté Christine Philipp en 2009, précisant que « des savoirs et des techniques » sont également indispensables. Charles Gardou expose également sans ambages que « la scolarisation d’élèves en situation de handicap nécessite des compétences professionnelles avérées, dépassant le dévouement, la vocation ou l’œuvre de bienfaisance » (2006).


Ainsi, loin d’une forme de racisme ou de mépris social à l’encontre des personnes occupant un poste d’AVS-i en contrat aidé (qui peut pourtant exister au sein des écoles), ces remarques invitent à questionner la priorité qui leur est donné au regard du fait que bonne volonté, dévouement (et accessoirement être une femme) ne peuvent suffirent, contrairement à ce qu’avance le sens commun, pour travailler avec des enfants handicapés.

Pourtant, après plus de deux décennies d’adossement de l’emploi des accompagnants scolaires à des dispositifs relevant de la politique de l’emploi et notamment ceux censés favoriser l’emploi des jeunes (emploi jeune, assistants d’éducation), le dispositif des EVS-h ainsi que les projets qui se dessinent actuellement franchissent une nouvelle étape et semblent confirmer que le public concerné par l’insertion (ou l’inclusion) sociale et professionnelle est en passe de se trouver consacré comme prioritaire pour entrer dans ce métier en devenir, consacrant également du même coup ce dernier comme un métier sous qualifié et en position d’exécutant.

Il nous paraît essentiel de rappeler le caractère fondamentalement sexiste qui assoit comme culturellement « naturel » l’occupation par des femmes de postes de travail qui sont en relation avec la vieillesse, le handicap et l’enfance. Les analyses de genre ont toute leur place, et leur pertinence, pour contribuer à mieux penser les processus éducatifs et les politiques qui les encadrent. Ainsi, parmi la population des AVS-i, que ces derniers (dernières) soient AED ou EVS ou qu’ils ou elles soient des professionnelles du service d’aide à la personne (et donc probablement bientôt chargées de l’accompagnement scolaire), c’est une écrasante majorité qui est féminine. Or, répondre aux besoins des enfants passe aussi parfois par la prise en compte des nécessités de confrontation avec des figures masculines (ou féminines), ainsi que le rappellent ici Cécile et Pascal :



Cécile : (...) [j’ai stoppé l’accompagnement] parce que (...) je pense qu’il lui fallait plus un mec, vraiment, pour s’en sortir je pense qu’elle avait vraiment besoin de se confronter (...) à une figure masculine (...) donc du coup j’ai stoppé, ouais, j’ai voulu stopper l’accompagnement pour ça quoi… (Page 6-7)






Pascal : …son père était en prison…euh… donc après la famille d’accueil avait énormément de mal à gérer M., donc elle était un peu dans le rejet euh… dans le rejet de M., je pense que ça, ça a pas beaucoup aidé effectivement… parce que c’était une enfant qui euh… bah qui pouvait vraiment mettre le bazar dans une famille parce que elle racontait des cracks énormes… euh sur la famille d’accueil, sur les adultes en règle générale… qui fait que la famille d’accueil, au bout d’un moment, ne… ne supportait plus M. et ce qu’elle pouvait dire euh… dans les sorties euh…donc n’osait même plus sortir M. chez leurs amis euh… de peur qu’elle raconte… parce qu’elle racontait des histoires de … de violence, de pédophilie, de… elle a essayé de le faire avec moi aussi d’ailleurs… donc là c’était un peu le prob… enfin moi c’est ça qui m’a un peu posé question avec M. c’est que connaissant le… connaissant le vécu de l’enfant, je me pose encore la question de comment ça se fait qu’ils ont mis en mec en tant qu’AVS-i… (Page 8)





« Le travail de définition ou de redéfinition symbolique du poste a donc ici à faire à des représentations du métier qui renvoient autant à la division sexuelle qu’à la division sociale du travail », écrit Francine Muel à propos du poste d’instituteur.



A reprendre à notre compte, et relativement au poste d’AVS, ce qu’exprime ici Francine Muel-Dreyfus, il est possible de formuler plusieurs éléments d’analyse. Le choix politique ici évoqué consacre ainsi une définition symbolique du poste orientée vers le « penchant ‘naturel’ des femmes pour l’éducation des enfants » (Muel-Dreyfus, 1983), ainsi que la « générosité » censée fonder le geste de réserver le poste aux moins diplômées d’entre elles.

C’est également la quasi-obligation pour l’ensemble de la population des enfants handicapés de se voir, dans l’éventualité d’un besoin identifié et reconnu par la CDAPH, de se voir accompagné par une femme, qui est consacrée.

Ce qui n’est pas sans conséquences d’ordre sociale, éthique et politique, notamment celle qui consiste en une accentuation des processus de naturalisation de la division sexuelle (et sociale) du travail.



La liminalité en partage



« Le modèle de la liminalité (…) possède une grande valeur heuristique, bien au-delà des personnes handicapées. Il peut être mobilisé pour penser de nombreuses situations macro et microsociales dans lesquelles les personnes se trouvent définies et se perçoivent comme des étrangers. [Il] reste un modèle fécond parce qu’[il] cerne les phases de latence de l’ordre social. » (Alain Blanc 2006)



La population concernée par les processus de dénomination de l’enfance handicapée est composée encore aujourd’hui, tout comme à l’époque à laquelle l’action publique a commencé à se préoccuper de la gestion du problème, à la fin du 19ème siècle, d’une majorité d’enfants des catégories populaires. La logique qui semble présider les décisions des personnels politiques et du haut fonctionnariat de restreindre le périmètre d’exercice de la fonction aux catégories populaires qui forment également une majorité de la population concernée par les dispositifs d’insertion sociale et professionnelle (et les personnels des SAAD), et ce qu’il y ait intentionnalité ou pas, est de regrouper entre eux les agents sociaux en position liminale.


« La maladie », écrit Robert Murphy, « est un très bon exemple d’un état liminal non religieux et non cérémonial. Le malade vit dans un état de suspension sociale jusqu’à ce qu’il aille mieux. L’invalide, lui, passe sa vie dans un état analogue : il n’est ni chair ni poisson ; par rapport à la société, il est dans un isolement partiel en tant qu’individu indéfini et ambigu. »


La liminalité concerne en effet un état de seuil, d’appartenance à des catégories de non-appartenance. Elle concerne à l’origine, sous la plume de l’anthropologue Van Gennep, l’état d’une personne qui a commencé une initiation (au travers d’un rite) mais qui ne l’a pas encore terminé : elle n’est ainsi plus ce qu’elle était, mais pas encore ce qu’elle va devenir. Rapportée (par Robert Murphy) à la situation des personnes handicapées dans les sociétés industrielles, cette notion apporte beaucoup pour aborder les soubassements anthropologiques de ces dernières vis-à-vis du handicap et de l’infirmité.

Mais il est aussi possible, ainsi que l’explique Alain Blanc dans l’exergue de la présente partie, d’identifier différents états de liminalité, bien au-delà des seules personnes déficientes ou handicapées : les étudiants, les chômeurs, les vieux, par exemple. De manière générale, les personnes qui sont dans des processus de désaffiliation (ou de non-affiliation), plus ou moins avancés, par rapport au soubassement anthropologique de notre société industrielle (qui est redoublée d’une présence forte dans l’idéologie dominante) : le travail (entendu comme part active et régulière prise dans les processus productifs d’une économie légale et mondialisée).

Le degré de liminalité est particulièrement important quand la personne cumule une désaffiliation avec le monde du travail et des caractéristiques objectives qui, potentiellement, l’empêche de construire ou de se saisir d’un processus d’affiliation (comme les personnes déficientes, dont la déficience est quoiqu’il arrive toujours présente et constitue dans tous les cas un caractère d’empêchement à trouver du travail, ou les chômeurs de longue durée de plus de cinquante ans, dont l’âge les réduit à des chances statistiques très faibles de retrouver un poste). Cette analyse renvoie à l’emploi des EVS sur des postes d’AVS – mais elle renvoi aussi aux assistants d’éducation, même si ces derniers sont dans un état de liminalité moindre et potentiellement plus sûrement renvoyés dans le temps vers des processus d’affiliation.

L’analyse des caractéristiques d’emploi du poste d’AVS montre le fait que le pouvoir politique opère ainsi un regroupement – qui a toutes les allures du naturel et du spontané (et de « l’idée juste et généreuse ») –, des personnes connaissant un état caractérisé par un degré plus ou moins grand de liminalité (les étudiants, puis les chômeurs de longue durée, avec les enfants handicapés à l’école ; les femmes peu ou pas diplômées avec les vieux et les adultes handicapés, pour le secteur de l’aide à domicile ou de l’aide à la personne, etc. ) De manière générale, la pensée politique dominante, la doxa de l’élite politico administrative, semble considérer que des qualifications et une formation dispensant des connaissances dépassant celles propres au CAP ou au BEP, ne sont pas nécessaires pour travailler avec des personnes en situation de désaffiliation et de liminalité ; qui ne se débrouilleraient jamais aussi bien qu’entre elles. Mieux : les personnes qualifiées sont réservées, pourrait-on dire, au circuit du processus productif de biens, et donc pourvoyeur direct de points de produit intérieur brut et de croissance. Il n’est pas pensable que des personnes qualifiées aillent passer du temps, qui serait littéralement perdu (pour le processus productif) à travailler avec des personnes qui, en tant que potentiellement non productives (et appelées à le rester ou à jamais ne le devenir), n’ont pas de valeur sociale autre que rapportée aux exigences modernes et consensuelles qui fondent le soutien de la nation aux « plus faibles », et qui n’implique rien de plus qu’une simple préservation de leur survie physiologique, sans aucune prise en compte du caractère social et relationnel de leur situation, réduit à leurs propres capacités individuelles à s’en saisir.

Ainsi la réponse de Nadine Morano (secrétaire d’état à la famille, aux personnes âgées et aux personnes handicapées) à une question posée au début de l’année 2010 à l’assemblée nationale à propos des difficultés financières des SAAD, illustre bien la doxa des « élites », dans une langue dont la finesse soporifique ne permet pas néanmoins de cacher l’affirmation selon laquelle trop d’argent est mis dans la formation – et qu’il n’y a pas vraiment besoin de cette dernière :


"Il nous paraît important de souligner également que les motifs des difficultés rencontrées par les associations sont multiples et qu'elles peuvent également, dans certains cas, résulter de problèmes internes de gestion des services ou d'une politique de qualification n'intégrant pas suffisamment la réalité des moyens financiers disponibles localement."



« Qualités scolaires ou qualités humaines », ou l’héritage d’une opposition historiquement constituée

La tradition propre à l’éducation spéciale de considérer que les « qualités humaines » suffisent et prévalent sur tout aspect de formation dite « scolaire » est invoquée pour justifier cet état de fait – et constitue ainsi un puissant allié au principe politique consistant à regrouper dans de mêmes espaces et temps sociaux tous les indésirables ou sans-valeur (les « non-valeurs sociales » de la fin du 19ème siècle) pour le processus productif. Mais cette perspective, qui oppose d’une façon binaire, et à l’instar du sens commun, « théorie » et « pratique » en conférant à cette dernière des vertus quasi-magiques qui valent plus que tout autre chose, oublie qu’une théorie se pratique également, et que des savoirs en apparence trop formels pour servir de matrice à une mise en acte directe peuvent constituer des ressources décisives dans une pratique professionnelle.

Réserver ce poste à une population en état de liminalité, majoritairement féminine et peu ou pas diplômée, revient à consacrer de cette manière la fonction d’accompagnement scolaire comme soumise à l’ensemble des hétéronomies d’autres volontés professionnelles, en particulier celle des enseignants (Bordeau & Bourget, 2009). Cela interroge également, pour peu qu’on prenne le postulat qui consiste à penser cette fonction comme devant répondre à une logique d’éducation inclusive, ainsi que le suggère la loi de 2005.

En effet, l’accompagnant scolaire se trouve ainsi pris dans une logique de double bind, de double contrainte (au sens psychanalytique du terme) : il ou elle doit travailler à favoriser la prise d’autonomie de l’élève relativement aux contraintes scolaires telles qu’elles ont été définies dans le projet personnalisé de scolarisation tout en étant lui-même en situation de dépendance. Il doit contribuer à aider l’élève à penser et construire sa position d’enfant handicapé sans avoir lui-même les conditions de possibilités de penser son propre positionnement (Phillip, 2009).

Un accompagnement que l’accompagnant ne pense pas mais qui se trouve seulement défini par des injonctions de professionnels qui peuvent avoir d’autres intérêts que ceux qui fondent cette pratique, ne peut que conduire à la construction sophistiquée de nouvelles formes de ségrégation, internes à l’espace physique de l’école, et qui se donne les atours, selon le principe de l’opposition binaire « intégration/exclusion » - ou, opposition plus puissante encore, « inclusion/exclusion » - d’un meilleur sort fait aux enfants handicapés par une société définitivement en route vers le progrès.



L’accompagnement scolaire dans l’espace des positions des
agents/acteurs intéressés par l’enfance handicapée




« « C’est la même histoire qui hante l’habitus et l’habitat », écrit Pierre Bourdieu en 1980, et cette histoire hante aussi la manière d’habiter un poste, qui lui-même contient, du fait du produit historique que sa position dans l’espace social des positions des postes du champ constitue, une histoire cristallisée. C’est l’analyse de la rencontre entre l’histoire sociale individuelle et l’histoire sociale du poste qui permet de « reconstruire le sens social de « l’investissement » dans l’institution et du même coup, d’éclairer les médiations par lesquelles les projets institutionnels prennent corps » (Muel-Dreyfus, 1983)





Les accompagnants scolaires ont émergé dans le champ éducatif français à un moment de l’histoire de ce dernier où la formalisation des différents métiers qui le composent aujourd’hui avait déjà eu lieu. La dynamique historique du champ, rappelle Philippe Mazereau (2005), est en effet constituée autour de lignes de tensions entre les trois pôles que sont : la production scientifique, les corps professionnel et « la doctrine et l’action politique » :





« Qu’il s’agisse des anormaux en 1909, des inadaptés en 1944, des handicapés en 1975, sous des modalités diverses (commissions, rapports), l’Etat s’est tourné vers les spécialistes afin qu’ils fournissent les instruments de distinction des populations éligibles. Dès lors, les débats, voire les polémiques, entre scientifiques et professionnels d’horizon divers se succèdent pour aboutir à une stabilisation validée par une loi. »


Les productions scientifiques en matière d’enfance anormale entretiennent ainsi, dans ce processus, un lien direct avec l’émergence des différents métiers :


« Chaque affinement nosographique a donné lieu à une spécialisation, vectrice de techniques et de savoirs-faire nouveaux et qui fonde les processus de professionnalisation. »


Dans l’optique d’affiner la compréhension et la connaissance générale du champ éducatif, et considérant que les pratiques de coopération entre les différents métiers, au-delà des seules collaboration ou concertation (insuffisantes), vont devenir absolument nécessaires en matière éducative – en particulier dans des objectifs d’éducation inclusive –, il apparaît nécessaire de développer une analyse fournie des différentes modalités de professionnalisation des multiples métiers intervenant dans le champ de l’éducation (le plus souvent construits selon le schème historique posant la triple division « éducation-apprentissage-soin » comme naturelle) tout en opérant la production de cette analyse à partir d’un préalable épistémologique considérant ces cloisonnements comme devant être dépassés, selon des modalités qu’il conviendrait de travailler. Nous nous contenterons ici de présenter brièvement ces différents métiers, en nous limitant à ceux de l’éducation scolaire et de l’éducation spéciale.


« On relève, notent Belmont, Plaisance & Vérillon (2006), que les AVS sont placés dans une position stratégique particulière qui leur permet d’appréhender la situation particulière d’un élève de façon globale, sous des angles à la fois pratique, technique et pédagogique ».


Cette position les amène à être des interlocuteurs pour différents partenaires professionnels, avec lesquels ils partagent, ajoutent Belmont, Plaisance & Vérillon, « des difficultés similaires, notamment au niveau de la collaboration ». Pierre Bonjour et Michèle Lapeyre (2004) définissent quant à eux la place de l’AVS comme « subversive », car porteuse de manière intrinsèque d’une « remise en cause de l’ordre pédagogique », tout comme peut l’être la présence de l’élève qu’ils accompagnent, notamment au regard de la domination des programmes et de la logique de sélection qui s’initie surtout à partir du cours préparatoire.

Logiques de concurrences de territoires et de légitimités professionnelles sont ainsi, et quelles que soient la nature des discours (souvent réductibles à de pieuses invocations), toujours à l’œuvre, plus ou moins en sous-main, dans le champ de l’éducation, et en particulier dans les processus de scolarisation des enfants handicapés. Dans la perspective de situer les accompagnants scolaires dans ce champ, nous allons exposer brièvement les différentes professions (et positions) côtoyées. En préalable, mentionnons la fonction de coordinateur du dispositif AVS, qui concerne les AVS AED, qui a pour rôle d’organiser les formations d’adaptation à l’emploi, de répartir les notifications délivrées par les CDAPH entre les accompagnants, et d’être une ressource pour ces derniers.

Mais auparavant, intéressons-nous aux propriétés du poste d’AVS-i.


3.3.1 Les propriétés du poste


« S’il y a « harmonie » entre les hommes et les postes, c’est que l’histoire du poste est susceptible d’intégrer harmonieusement l’histoire social familiale de ceux qui occupent le poste » (Muel-Dreyfus, 1983).


Du fait de son histoire propre, et à l’instar de tout poste caractérisé par le fait qu’il traverse une période d’« invention », le poste d’AVS entretient un rapport dialectique (ou plutôt dialogique) puissant avec son occupation – et les propriétés du poste avec celles de l’agent qui l’occupe. En effet, les potentielles activations des dimensions relationnelles du poste telles que nous les décrivons ci-dessous ne connaissent pas la relative régularité qui peut être celle de postes dont les procédures de recrutement sont stables et stabilisées, et qui recrutent ainsi préférentiellement des agents socialement prédisposés à occuper tout « naturellement » le poste – en d’autres termes, des postes dont la stabilité du recrutement induit celle, grandissante à mesure que grandit le processus de naturalisation qui transforme le moment d’invention du poste en « boîte noire », de l’adéquation entre les dispositions requises pour occuper le poste et les dispositions des agents qui, invoquant la « vocation » ou le fait de « être fait pour », occupent pratiquement le poste.

La période « d’invention » d’un poste est caractérisée par le fait que « l’ « identification » au poste se réalise au terme d’un travail qui est inséparablement travail sur le poste et travail sur soi-même, et dépend de l’histoire sociale du poste et de l’histoire sociale individuelle » de l’agent qui l’occupe. Dans ce travail d’invention du poste d’AVS-i en cours, rien n’oblige, contrairement à un poste « naturalisé » et dont la période d’invention est reléguée dans « l’inconscient social de la profession », à ce que ce soit « l’individu qui s’incline » face au poste (Muel-Dreyfus, 1983) – c'est-à-dire à ce que ce soit les propriétés du poste qui s’imposent face aux propriétés de l’agent qui l’occupe : l’inverse peut aussi se produire. Dans le travail d’invention également, c’est l’activation potentielle de la surface relationnelle du poste qui est instable.


3.3.1.1 Une position relationnelle


Les propriétés du poste d’AVS-i sont résumées dans les cinq points suivants :

1- Le poste emprunte et mêle des référents matériels et symboliques empruntés aux deux systèmes historiques sur la frontière desquels il se trouve (éducation spéciale et éducation scolaire). Par exemple, pour le scolaire : le cadre spatial et symbolique de l’école et de la classe dite « ordinaire » ; pour le spécial : des interventions décidées par une commission de spécialistes en direction d’une catégorie d’enfants spécifiée, etc.



Il est potentiellement en relation professionnelle avec une multiplicité d’ « acteurs/agents » du processus de scolarisation des enfants handicapés (Mazereau, 1998) – et d’acteurs non humains :


Tout d’abord, dans le cadre de la classe :


l’enseignant (dont le nombre peut aller jusqu ‘à 4 pour les AVS individuels, selon le nombre possible d’accompagnement sur une année)
les élèves des classes (jusqu’à 4 classes, donc)
l’élève accompagné (de un à quatre)
les ATSEM (et personnels de mairie pour les temps périscolaires) (idem)
les dispositifs didactiques et…
… la pratique pédagogique de l’enseignant, formant ensemble…
… le système d’enseignement
les territoires très différenciés du handicap et de la déficience





Puis dans le cadre de l’établissement :


l’équipe pédagogique (idem)
les élèves des autres classes (récréation, décloisonnement, temps du midi, etc.)
les parents de l’élève accompagné
les parents des autres élèves


Enfin en dehors de l’établissement :


l’enseignant référent (poste créé par la loi de 2005 et prenant suite des secrétaires de CCPE)
les professionnels du médico-social et du socio-éducatif (beaucoup d’enfants handicapés scolarisés ont un suivi annexe à l’école assuré par des structures ou des services de l’éducation spéciale – dans ce dernier cas, il n’est pas rare qu’il y ait une intervention à l’école également, comme avec les SESSAD par exemple)
les autres AVS
l’administration employeur, l’Inspection Académique
Les organismes associatifs ou autres qui assurent les 60 heures de formation dite « adaptation à l’emploi » - délivrées en cours d’occupation du poste, jamais de manière préalable.
L’ensemble du paysage institutionnel créé par la loi de 2005
L’ensemble du paysage institutionnel hérité de l’histoire (riche et épaisse) de l’éducation spécialisée



Les textes qui mentionnent ses missions énoncent les termes suivants : « aide » et « accompagnement », envisagés de manière strictement individuelle et individualisée (là où l’histoire du poste montre que des lieux et des périodes ont connu des conceptions de l’accompagnement scolaire attachées au cadre collectif de la classe ou même de l’école)


Ce poste est dans une position pas du tout stabilisée en terme de procédures de recrutement, types de contrat, durée d’occupation du poste, formation, et incidemment en termes de caractéristiques sociales de la population qui l’occupe (« l’invention »).


Néanmoins, certains invariants se dégagent de sa longue histoire
 :

peu ou pas de formation
occupation temporaire du poste (de quelques mois à six ans selon les périodes)
faible reconnaissance salariale
adossement constant à des dispositifs d’insertion sociale et/ou professionnelle


Ces cinq points forment les cinq propriétés du poste d’AVS. Les points 4 et 5 constituent vraisemblablement des propriétés ayant une forte contingence historique, à l’opposé des trois premières, et risquent de se voir transformées à mesure que s’achèvera le processus d’invention du poste – et que ses origines et périodes instables seront transformés en boîte noire, et leur produit naturalisé.


3.1.3.3 Une position réactivée 


« Lorsque les éducateurs spécialisés font, en 68, une critique de l’école caserne, du scolaire et des pédagos, ils se font sans le savoir les nouveaux héritiers d’une tradition institutionnelle, produite au cours d’une longue histoire, marquée de façon récurrente par des luttes entre le « privé » et le « public », la philanthropie et l’assistance publique, la magistrature, la médecine et l’éducation nationale ».


En reprenant la structure de la phrase de Francine Muel-Dreyfus, on pourrait écrire, à propos des AVS-i, la chose suivante :


« Lorsque les AVS (et les défenseurs du poste) font une critique de l’école ségrégative, de l’école qui ne sait pas s’adapter aux élèves non conformes au modèle du « moyen et bien portant », ils se font sans le savoir les héritiers d’une tradition de proposition de réforme globale du système éducatif, de Désiré Magloire Bourneville à Henri Wallon en passant par Jean Zay. »


« Le travail d’invention naît de la rencontre réussie, en certains moments de l’histoire, entre des individus et des positions sociales auxquels ils donnent ou redonnent vie », écrit Francine Muel-Dreyfus (1983). La question à l’origine de cette partie est ainsi la suivante : la position du poste d’AVS-i est-elle une réactivation d’une position homologue occupée ou revendiquée dans le passé de l’école républicaine française ? Considérer cette question semble nous permettre d’ajouter une sixième propriété au poste d’AVS, qui serait la suivante : « Sa position est en partie une réactivation d’une position spécifique historiquement déjà occupée ou revendiquée ».
En effet, à prendre connaissance des éléments suivants apparaît la parenté de position entre celle occupée par les AVS-i et celle, historiquement ancienne et ayant pris plusieurs formes (réelles ou invoquées), d’un personnel non enseignant au sein de l’école destiné à aider les enseignants et les élèves à propos de problématiques spécifiques :


« W.D. Wall (1958) fait remarquer que si la mise en place d’un service de psychologie scolaire est relativement récente, les conseils destinés aux parents et maîtres ne datent pas d’hier ; on peut selon l’auteur, voir dans les conceptions de Platon, Coménius, Rabelais, Montaigne, Locke, Rousseau, Pestalozzi, Itard et Froebel une justification fondamentale à l’existence d’une psychologie scolaire. A titre d’exemple, on peut constater avec Rabelais (1494-1553) le désir d’individualiser l’action pédagogique sur une connaissance approfondie de l’enfant. (…) En 1945, la psychologie scolaire est conçue comme une partie nécessaire d’un tout cohérent : (…) elle fait partie d’un vaste projet de rénovation de l’enseignement de la maternelle à l’université (…). Ce volet particulier rappelle des projets conçus lors de plusieurs autres tentatives de rénovation de l’enseignement, entre autre ceux de Zay en 1937, qui visaient à « réunir tous les enfants autrefois prématurément séparés » (Ducoing, 1990, page 2) (…) Wallon nourrissait, rappelons-le, une idée très précise de la psychologie : aider les enfants à s’adapter à l’école et l’école à s’adapter aux enfants. ». (Bellanger, 2002).


Il semble bien, pour achever de situer la position du poste d’AVS-i, que bien peu d’AVS et bien peu d’initiés à une occupation « réussie » de ce poste ne se retrouveraient pas dans cette déclaration d’Henri Wallon, extraite de sa leçon d’ouverture au Collège de France :


« Il est indispensable d’ (…) observer [l’enfant] dans les différentes exercices de son activité quotidienne, c'est-à-dire en particulier à l’école (…). Son attitude devient complémentaire des attitudes prises autour de lui (…). Dans sa famille, en classe, vis-à-vis du maître et de chaque maître, avec ses camarades, au travail et dans les jeux son attitude est sujette à se modifier. (…) Cette liaison nécessaire des points de vue, je voudrais pouvoir la réaliser. Elle exige évidemment des collaborations étendues. C’est à ces collaborations que je souhaite faire appel ». (Cité par Bellanger, 2002).


Cette déclaration, qui semble faite pour défendre le poste d’AVS, défend en fait, au-delà de ce qu’elle défend explicitement (une conception du poste de psychologue scolaire), la validité, la nécessité et la pertinence d’un poste non enseignant au sein de l’école, un poste caractérisé par des nécessités temporelles différentes qui permettent d’habiter une pratique rendue impossible par les propriétés de la position du poste d’enseignant. Les différences existent, bien sûr, entre la nature des postes ici évoqués (notamment le fait que, pour celui d’AVS, il n’y ait aucun adossement à une discipline particulière). Cependant, c’est de leur position dont il s’agit ici – et de ce point de vue, les ressemblances sont tout à fait frappantes.

En suivant Francine Muel-Dreyfus et sa définition du travail d’invention, il semble alors bel et bien que l’invention du poste d’AVS soit en fait une réinvention actualisée du projet d’Henri Wallon et de Renée Zazzo pour la psychologie scolaire qui, nous le savons, n’a pas été celui qui a été consacré par l’institution. L’invention du poste d’AVS redonne vie à une position déjà activée auparavant.




Cet état de fait appelle une remarque fondamentale, à l’adresse des philosophes qui souhaiteraient (et nous considérerions cette initiative comme tout à fait intéressante) constituer une généalogie notionnelle des soubassements éthiques du discours autour de l’inclusion scolaire, de la scolarisation des enfants handicapés ou autour de la défense du poste d’accompagnant scolaire de ces élèves : c’est bel et bien les positions sociales, dans l’espace social des positions, et, plus finement, la façon dont les positions sociales s’actualisent au travers de l’occupation d’une position sociale d’un poste dans l’espace social des postes d’un champ professionnel donné, qui contiennent (en partie, à tout le moins) en elles-mêmes les principes éthiques et les valeurs morales dont peuvent potentiellement se prévaloir les agents qui occupent ces positions. Ses propriétés les contiennent, et n’attendent pour être réactivées qu’une rencontre avec celles d’ « histoires sociales familiales » qui leurs sont homologues.




En d’autres termes, et plus précisément, les agents/acteurs qui contribuent à la réinvention du poste d’AVS, homologue à celui défendu par le projet Wallonien de psychologue scolaire, n’ont pas forcément lu Emmanuel Levinas ou Henri Wallon, ignorent probablement l’histoire philosophique de ce qu’ils défendent, mais le défendent pourtant. Il y a donc un phénomène d’inscription et de transmission sociale de valeurs morales et éthique qui dépasse le cadre strict de la pratique professionnel du lector pour embrasser un caractère relationnel propre aux rapport que des positions sociales peuvent entretenir vis-à-vis d’autres, dans un espace social partagé ou non.















3.3.2 Le poste d’AVS-i AED et ses principales relations :
éléments d’élucidation


Guillaume : (...) on va parler maintenant d’un gros morceau… à savoir la… le travail en collaboration avec les enseignants
Cécile : [petit rire significatif]
Guillaume : qu’est-ce que tu as envie de dire à ce sujet là, Cécile. ?
Cécile : euh… les enseignants, euh… moi AVS-i avec les enseignants… l’AVS-i [sur le ton d’énumération d’une liste, en utilisant les doigts de ses deux mains NDR] s’adapte… s’adapte… s’adapte… S’adapte… s’adapte à l’enfant, s’adapte à l’école, s’adapte à l’équipe et s’adapte à l’enseignant… l’AVS-i doit faire preuve d’adaptation (rires), ça c’est clair et net…après tout dépend des enseignants, tout dépend de la manière dont eux abordent le handicap… puis ça dépend aussi du handicap, je veux dire tu as tellement de paramètres qui… qu’il faut prendre en compte que c’est vraiment pas évident…(Page 25)



3.3.2.1 La famille

L’élève accompagné

L’élève accompagné est la personne qui occupe la position la plus importante vis-à-vis du poste d’AVS-i : c’est son intérêt qui est censé être servi par l’agent qui occupe le poste. Dans la présente partie sur l’élève accompagné nous nous limiterons à la recension de quelques grands thèmes qui traversent la relation entre l’accompagnant et l’élève : en effet, étant donnée la position centrale de l’élève dans le réseau de relations de l’AVS-i et dans les missions qui lui sont confiées, la relation qu’ils entretiennent tous les deux se retrouve, plus ou moins explicitement, dans la plupart des autres. Cette relation centrale se trouve donc influencer, teinter et s’imprimer sur l’ensemble de celles qui caractérisent la propriété relationnelle du poste, et constitue ainsi l’arrière fond de toutes les analyses qui suivront celle, spécifique, que nous entamons ici.

Une méthode rigoureuse analysant spécifiquement la parole des AVS-i se devrait de la rapporter systématiquement à la situation de l’élève accompagné, tant les modalités d’accompagnement peuvent être différentes entre un enfant qui serait, par exemple, autiste, dysphasique ou encore infirme moteur cérébral (IMC). Ici nous précisons parfois la catégorie du handicap dont relève l’élève accompagné, mais seulement pour préciser que les positionnements évoqués par les AVS-i dépendent plus d’indicateurs que nous souhaitons mettre en question (comme par exemple la durée d’occupation du poste) que des situations particulières des enfants qu’ils accompagnent – situations qui peuvent parfois imposer des positionnements paraissant a priori comme contradictoires avec les missions.

L’analyse de la parole des AVS-i délivrée à propos de leur relation avec les élèves qu’ils accompagnent montre qu’il y a des différences très nettes entre néo et anciens recrutés. C’est tout d’abord dans les moments du début de l’accompagnement qu’on relève des divergences. Ainsi de ce qu’expriment (parcimonieusement) Lalie et Sylvie, à propos d’élèves ayant des « troubles des apprentissages » :


Lalie : ouais moi je suis à côté de lui… (…) je suis toujours à côté de lui… (…) (Page 20)



Sylvie : alors K., je suis assise juste à côté… donc lui, en fait, la maîtresse a décidé de le mettre euh… tout seul à une table, sans voisin, parce que au départ il avait des voisins et puis ça s’est pas très bien passé, (…), depuis le début de l’année, je suis tout le temps à côté.. j’ai pas pris de recul ou quoi que ce soit (…), ouais je suis tout le temps à côté…(p.11-12)


Tandis que de son côté, Cécile (ancienne recrutée) tente d’expliquer la façon dont elle se positionne au début de l’accompagnement :


Cécile : (...) j’arrive, je me place en observation… et là je vais être fondamentalement plus vers le fond de la classe ou dans un coin de la classe ou sur le côté de la classe… mais euh voilà, je vais être en observation, un petit peu tout le monde, je vais naviguer aussi, je vais voir un petit peu tout le monde, parce que je pense qu’il faut que je me présente aussi à tout le monde, du coup je fais partie d’un groupe, j’ai beau accompagner un enfant, il y a aussi le regard du groupe sur moi qui va induire aussi le regard qu’ils vont avoir sur l’enfant que j’accompagne, après tout dépend du handicap, s’il est visible, si il est perturbateur, si etcetera, etcetera…(Page 29-30)



Ces éléments renvoient également, outre à l’entame du processus d’accompagnement, à la question plus générale des position et circulation spatiales du corps de l’AVS-i dans la classe. Il apparaît que, à la différence des anciens, les néos-recrutés ont tendance à ne pas connaître les conditions de possibilité de penser ce point tout à fait essentiel – puisqu’il constitue une grande partie du versant non verbal de tout le langage formant les processus de communication avec l’élève accompagné, avec la classe et avec l’enseignant. Sur ce point, Cécile exprime les éléments suivants :



Cécile : (...) à un moment donné, je vais pas rester plantée au milieu de la classe si l’enfant a pas besoin de moi et que, tu vois, ils sont débordés, et voilà… et je m’occupe et puis ça me permet d’être en contact avec les autres enfants… Que l’enfant avec qui je suis censé travailler (...) voit qu’il est autonome dans son groupe, et qu’il y a d’autres groupes, aussi, autre que son groupe à lui, qui ont « besoin de », donc…
Guillaume : et qu’il te voit… intervenir avec d’autres
Cécile : ouais, avec les autres, etcetera, donc après c’est une mesure que tu prends suivant la classe, suivant son évolution, suivant euh… mais ça je crois que c’est au fur et à mesure des années que tu affines ce genre de… c’est clair… (Page 35)



Ce rapport à la distance, entendu dans le sens précédent (c'est-à-dire spatiale), mais qu’on peut étendre également à son versant symbolique, détermine également une possibilité de réaction de l’élève accompagné : le rejet.



Sylvie : (…) j’étais toujours dans son groupe à lui, forcément, et je m’asseyais à côté de lui… même si parfois, il y a eu un passage où il refusait que… que je m’assois à côté mais euh… en fait pour lui il y a eu toute une période où il m’a un petit peu repoussé quoi… parce que... parce que… bah je sais pas exactement mais euh…
G : tu le gênais…
S : il y a eu une petite période où il ne voulait plus me voir parce que…. Oui…mais bon bah dans ces cas là, généralement, je restais dans son groupe mais je m’asseyais pas juste à côté de lui, j’allais à l’autre bout de la table [29m23], ou… et puis parfois il revenait de lui-même à côté de moi… voilà…(p.15)



Du point de vue de l’élève (et quel que soit son handicap) avoir « un adulte à soi » peut vite devenir pesant, et difficilement supportable. Cette « conscience des choses », comme le dit Noémie ci-dessous, est de notre point de vue quasiment un invariant pour tous les élèves ayant un accompagnement – même si les modalités de cette « conscience » peuvent s’avérer différentes.



Noémie : (…) certains enfants peuvent être en refus de nous parce que… on a l’impression… certains ont conscience des choses… ils ont l’impression que bah on les montre du doigt… (Page 32)



Avoir un « adulte à soi » est un stigmate, et cela n’échappe pas aux enfants – qu’ils soient accompagnés ou non. Cécile exprime quelque chose qui traduit qu’elle a vraiment pris en compte cette réalité ; c’est alors en concertation avec l’enseignant que s’établit une stratégie destinée à désamorcer cette « pression » :



Cécile : (...) parfois il y a trop de pression à cause de ma présence… il y a trop de pression sur lui [l’élève accompagné]… avec l’instit tout de suite on va essayer de déterminer s’il y a un autre enfant qui aurait éventuellement besoin d’aide…et euh là du coup je vais me concentrer sur euh… pour relâcher un petit peu la pression, sur l’autre… qu’il se dise que bah à la limite il est pas tout seul dans une situation où il peut avoir besoin d’une aide particulière (...) (Page 30)



Seuls les anciens recrutés de notre échantillon adoptent un positionnement qui s’apparente à une approche environnementaliste du handicap – qui induit de ne pas se centrer sur l’enfant et son handicap (ou sa déficience) et de travailler également sur l’environnement qui l’accueille.

Pascal explique ainsi ci-dessous que ce positionnement, qui oblige à considérer l’élève accompagné non pas comme seul face aux exigences scolaires formellement définies par les textes, mais dans la réalité immanente de son environnement scolaire, peut aussi servir à des fins de protection de l’élève qu’il accompagne – les élèves handicapés, à mesure qu’augmente l’âge et le niveau scolaire, sont particulièrement soumis aux processus grégaires de moqueries et d’instrumentalisation :



Pascal : bah il y a… y’a la relation… je préciserais un petit peu au niveau de la relation de l’enfant aux autres enfants…je trouve que ce qui est très intéressant au niveau AVS-i c’est qu’on est beaucoup plus disponible pour écouter ce qui se dit, pour observer ce qui se fait, ce que l’enseignant ne peut pas toujours faire puisque ben elle… elle est occupée à faire euh… à gérer sa classe, et donc ça permet des fois de… d’observer certains comportements, certaines choses qui sont dites (…) que l’enseignant n’a pas forcément remarqué mais que nous on peut relever… et ne pas accepter de la part des autres par exemple… je pense notamment à G. qui est très naïf donc là il commence à se retrouver en CM2 où la classe commence à être un peu préado… et comme G. est très naïf et très gentil bah on …. On se sert un peu de lui dans les jeux de « cap’ ou pas cap’ », dans ce genre de chose… où là c’est bien d’avoir une oreille un peu attentive, de loin, pour entendre un peu ce qui se dit, ce qui est proposé de faire à G.… et plusieurs fois comme ça, G. s’est retrouvé dans une situation où on pouvait penser que c’était lui qui était responsable d’une situation, alors qu’en fait il s’est fait complètement manipulé par les autres, ouais… et là c’est bien qu’il y ait l’AVS pour s’en rendre compte parce que sinon ça serait passé inaperçu et G. se serait fait enguirlander…



Au-delà de la relation avec l’élève accompagné, centrale et fondatrice de la logique même du poste d’AVS-i, les occupants du poste connaissent une autre relation qui est extrêmement importante : il s’agit de celle qu’ils construisent avec les parents de l’élève dont l’accompagnement leur est confié.




Les parents

Les néo-recrutés

Nous trouvons, là encore, des différences tout à fait notables entre néos et anciens recrutés. Par exemple, Lalie répond d’une manière assez abrupte (et sérieuse) une question concernant sa relation d’AVS-i avec les parents :




Guillaume : (…) qu’est-ce que t’en dirais toi, de manière générale, (…) des relations avec les parents des enfants que tu accompagnes ?
Lalie : euh… bah c’est mieux de pas les connaître, en fait… (Page 11)



Il s’avère que les services de l’inspection académique du département où travaillent les six AVS-i donnent en fait des consignes à ce personnel. C’est Sylvie qui nous l’explique :




Sylvie : (…) Et en fait, je sais que pendant l’entretien d’AVS au début (…) … [au] recrutement…, on m’avait dit de ne pas trop trop parler avec les familles…et donc bah au départ ça m’avait un peu surpris parce que … je me disais que les familles ont le droit de savoir un petit peu, et ça se comprend qu’ils aient envie de savoir comment ça se passe et tout … ». (Page 21)



Ainsi, le groupe des néos recrutés, qui se caractérise par une hétéronomie plus grande que les anciens vis-à-vis, notamment, de l’employeur, habite avec plus de force (mais pas forcément plus de conviction) cette consigne de « ne pas trop trop parler avec les familles ». Par exemple, après Lalie, Julie, qui a intériorisé les consignes de son employeur et les présente comme une évidence liée à la « position » de l’AVS-i :



Julie : (…) les parents, nous normalement dans notre position (…) on a pas à avoir de liens directs avec la famille, quoi…et les parents c’est tout juste si ils ne m’ont pas demandé mon numéro de téléphone, mes coordonnées et tout ça, pour voilà… donc voilà… donc euh bon j’ai essayé de recadrer un petit peu les choses gentiment en disant euh… «  si il y a quelque chose, c’est par rapport à l’établissement, et puis ensuite euh… voilà »… (Page 7)



Un autre point, relativement à cette injonction de distance avec les parents, est à mentionner, et qui est le poids du rapport avec le territoire au sein duquel travaillent les AVS-i. De ce point de vue, les deux extrêmes que sont Sylvie (enfant du pays depuis plusieurs générations) et Lalie (qui vient de la région parisienne et dont les parents sont espagnols) adoptent des attitudes tout à fait différentes vis-à-vis des parents. Ainsi lit-on dans les propos de Sylvie son ancrage territorial :




Sylvie : (…) il y a des parents comme ça avec qui j’ai eu beaucoup plus de lien… que j’ai rencontré souvent le soir, et tout…et puis d’autres euh… par exemple la maman de K., elle... Enfin ses parents… j’ai été euh… en fait la maman voulait me rencontrer, et je me suis déplacé chez eux parce que il y avait pas possibilité de faire autrement… pour se voir… et puis… (…) j’en ai pas parlé à la hiérarchie, mais l’école était au courant (…)…bah en fait par rapport à… parce qu’elle elle travaillait tard, et vu que moi je finissais à six heures aussi, on se serait pas rencontré autrement quoi… donc j’avais dit : d’accord, je passerais… je passerai chez vous… (Page 21)




Contrairement à Sylvie, Lalie, avec sa double propriété de migrante et d’étudiante en psychologie, aborde la relation avec les parents sous un angle beaucoup plus distancié – et derrière lequel on perçoit aussi un jugement plutôt négatif :




Lalie : (…) à partir du moment où j’ai vraiment connu les parents, ‘fin, où j’ai pu les rencontrer, euh… bah si ça explique pas mal de choses par rapport au trouble de l’enfant… par exemple la petite fille qui était en maternelle euh… sa mère nous avait dit : « oui, faut pas faire ci avec elle, ça elle sait pas faire, elle sait pas faire… », Et finalement euh… elle savait faire quoi… c’est juste que sa mère euh… ne voulait pas entre guillemets la mettre en danger, alors qu’elle l’était pas quoi… (…) c’est limite euh… quand elle nous parlé de son enfant bien avant qu’elle vienne à l’école, cette petite fille, elle nous a fait un tableau noir de sa fille…(…) poussé à l’extrême aussi…par exemple euh… tout ce qui était nourriture… donc elle avait pas droit de se nourrir euh vraiment et euh… et euh… bizarrement la collation du matin la petite fille elle la prenait… alors que la mère nous a dit « non, faut pas lui donner »… la petite fille euh… même si elle en prenait un petit bout elle en prenait… donc… (Page 11)




On trouve finalement chez Julie un discours tout à fait intéressant dans le sens où il traduit une partie du sens commun quant aux familles de personnes handicapées qui est directement issu des tréfonds de l’histoire de l’éducation spécialisée – c'est-à-dire cette conception selon laquelle en matière de légitimité à se positionner sur le sujet de l’éducation de leur enfant déficient ou handicapé, les parents arrivent en dernière position, loin derrière l’ensemble des corps professionnels dont le statut de « spécialistes » les autorisent, selon Julie, à se sentir « au-dessus » des parents :


Julie : (…) [en équipe de suivi] j’ai l’impression de pas être à ma place pour dire des choses, en fait… bon je vais dire des choses, qui vont être prises en compte, certainement, mais... c’est moi plus par rapport aux autres en fait… (…) parce que disons bon [sur le ton d’énumération d’une liste] quelqu’un qui est enseignant bah il a sa place, [l’enseignant référent] il a sa place, la directrice ou le directeur d’école il a sa place, les parents bon… voilà je dirais il y a les parents [fait un geste avec la main tendue pour figurer le plus bas possible, NDR], moi [un peu plus haut, etc.], et puis après voilà, ça monte… mais autrement disons qu’on va dire bah je suis presque au niveau des parents quoi finalement… (Page 18)


Julie situe ainsi la « place » de l’AVS-i pas loin de celle des parents – mais quand même au-dessus, ces derniers étant tout en bas de l’échelle de légitimité de ceux qui peuvent parler de l’enfant concerné. Inutile de notre point de vue de crier au scandale – ce pourraient être tentés de faire certains parents d’enfants handicapés : ce qu’exprime ici Julie c’est non pas un point de vue personnel mais une partie de l’inconscient collectif vis-à-vis de l’infirmité et du handicap, et pour faire évoluer ces conceptions rien n’est plus inutile que le reproche individuel – et rien n’est plus utile que de former les personnes au point de vue des parents.

Mais Julie exprime, sur cette lancée, un élément tout à fait intéressant quant à la position du poste d’AVS-i qui nous semble constituer un éclairage très important pour qualifier un peu mieux cette position – et accentuer la pertinence du modèle d’intelligibilité que nous construisons ici :


Julie : disons que nous [les AVS-i] on a peut-être le lien un petit peu entre le familial et un petit peu entre le scolaire, quoi…voilà…c’est peut-être plus ça, du coup, on est un petit peu en balancement entre les deux et du coup la position n’est pas évidente… (…) bah y’a un petit côté fam…bah oui, c’est vraiment un petit côté, (…) mais on a quand même peut-être plus de recul que l’enseignant par rapport au côté familial justement, par rapport à la proximité euh… pis la confiance quoi, les enfants ils nous font confiance, et puis voilà… (…) parce qu’il y a une relation de proximité, de confiance, et tout ça, de compréhension quoi, et donc du coup, même sans savoir beaucoup de choses de la personne, le fait de connaître son problème, son handicap, sa déficience et tout ça, je pense que ça a un côté peut être plus personnel que scolaire, donc du coup on essaie de… de s’adapter avec ça au niveau scolaire, donc rien que ça, ça fait un lien entre [le familial et le scolaire] (Page 18-19-20)


Cette remarque de Julie témoigne de notre point de vue d’un caractère important de la position du poste d’AVS-i qui, jusqu’ici, nous avait échappé.

Sally Tomlinson, dans son ouvrage de 1982 titré « Sociology of special education », livre des éléments d’analyses fréquemment centrés sur la situation des enfants et des parents « clients » de l’éducation spéciale – et ceci constitue une différence notable avec les travaux français relevant d’orientations théoriques voisines :


« The clients of special education, children and their parents, have the least say and influence over what happens to them and are subjects to the most pressures, persuasions and coercicion, of any group in the education system. » Elle illustre ce fait par plusieurs exemples provenant des legislations de l’ensemble du 20ème siècle, dont celui-ci : « 1914 education act contained a clause enabling local authorities to compel parents to send their children into special education » (page 48), et  cet autre : « After 1945 (…) it was firmly recognised that some parents, particularly of the ESN, would need coercing into accepting that their children would be excluded from normal education – a certificate signed by a doctor could be used to coerce unwilling parents. » (Page 51)


Cette analyse précise, et la classification spontanée de Julie exposée ci-dessus, engage à la réflexion. En effet, en reprenant les termes de l’extrait de l’ouvrage de Sally Tomlinson reproduit ci-dessus, on peut constater que les AVS-i sont parmi ceux qui, tout comme les parents et enfants « clients de l’éducation spéciale », ont très peu de conditions de possibilité d’avoir prise sur ce qui leur arrive, de pouvoir dire et exprimer ce qui leur arrive, et qui sont les sujets de processus d’imposition, de persuasion et de coercition – beaucoup plus que « n’importe quel autre groupe dans le système éducatif ». C’est ni plus ni moins ce qu’exprime Julie quand elle produit son discours sur les parents et leur position par rapport aux autres acteurs des processus de scolarisation.

Ceci serait à mettre en relation avec ce qui caractérise, du point de vue des parents, le passage de l’éducation séparée au droit à la scolarisation « dans l’école [du] quartier » pour leur enfant, à savoir (dans de nombreux cas) une attente forte vis-à-vis des personnels le plus directement concernés par le travail avec leur progéniture (les AVS-i) en terme de compréhension de leur situation et de celle de leur enfant, souvent les plus proches, également ; à mettre en relation aussi, dans une perspective plus analytique, avec la notion de liminalité qui permet d’affirmer que tout se passe comme si la proximité (quelle qu’elle soit) avec des positions liminales imposait soit la création de nouvelles positions liminales soit l’occupation de cette position par des personnes elles-mêmes initialement en position liminale.

C’est ainsi que nous nous autorisons à définir la positon du poste non plus comme seulement située entre les éducations scolaire et spéciale mais comme entre les éducations scolaire, spécial et familiale – étant entendu que les référents symboliques empruntés à chaque système mériterait d’être clairement identifié dans un travail spécifique et que les emprunts à ce qu’on peut appeler l’éducation familiale sont moindres que ceux effectués dans les cadres du scolaire (qui accueille, offre le cadre matériel du travail et impose ses objectifs institutionnels spécifiques) et du spécial (qui avait jusqu’au politique d’intégration scolaire le quasi monopole du travail avec l’enfance handicapée), et probablement d’ordre symbolique, consécutif à ce qu’évoque Julie ci-dessus à savoir, quand elles existent, une proximité spatiale et affective et une relation privilégiée qui peut être une relation de confiance.

Penchons-nous maintenant sur les positionnements des anciens recrutés vis-à-vis des familles.



Les anciens recrutés



Cécile : (...) [ma position avec les familles des élèves accompagnés] a évolué, déjà… entre la première année, où on te dit « surtout, ne rentrez pas en contact avec les familles, c’est pas votre rôle, etc. », et bah voilà quoi… (...) au début je laissais quand même l’instit un petit peu euh… bah gérer la situation, et puis au fur et à mesure tu prends de l’assurance, tu y vas, tu sais, tu as un job aussi hein… donc euh de toute façon tu finis par…euh... tu finis par y aller, donc euh c’était quand même grosso modo… j’essayais quand même, voilà, de ne pas me faire envahir non plus hein, donc j’essayais de mettre un petit peu euh… de de… de prendre un petit peu de recul par rapport à ça, mais je dirais c’était grosso modo deux fois par semaine où on pouvait… où on avait un échange euh… réel…hein (...) Page 21)



Cela commence à paraître tout à fait évident : une durée importante d’occupation du poste (mise en relation avec le fait que l’occupation pratique du poste est très peu formalisée) fait naître des positionnements qui n’émergent pas dans le cas d’une faible durée d’occupation. Cécile nous fournit encore une fois la démonstration de la validité de cette assertion quant aux relations avec les parents des élèves accompagnés :


« Au fur et à mesure tu prends de l’assurance, tu y vas, tu sais, tu as un job aussi hein… ».


Au-delà de ce point, ce que nous pouvons remarquer à l’analyse de la parole des anciens recrutés quant à leur relation avec les familles, c’est qu’ils sont rentrés dans un processus analytique, compréhensif, de la situation de ces dernières – à l’exception notable de Noémie, marquée par une première expérience d’accompagnement très conflictuelle avec les parents :




Guillaume : et comment ça se [passe] avec [les] parents… les relations avec [les] parents ? (…)
Noémie : (…) j’ai juste vraiment des relations très… très… superficielles (…) avec l’ensemble des parents puisque c’est vrai que c’est l’enseignante qui doit gérer ça… c’est pas à nous… après nous euh… il est sûr qu’on a eu d’autres exemples de personne qui justement avec des parents estimant qu’on était leur AVS-i [appuie sur le « leur »] donc euh… pour moi… j’ai fait très rapidement une barrière




Cécile explique ainsi que son travail d’AVS-i l’a amenée à découvrir une des caractéristiques de la position des parents d’enfants handicapés dans les processus de scolarisation de leur enfant :




Cécile : globalement, j’ai toujours eu un bon contact avec les familles… j’ai toujours quand même recherché un petit peu ce contact là… euh… (...) enfin disons que j’ai pu apporter à certains… enfin ça dépend vraiment des instits…des équipes aussi dans lesquelles tu tombes… ça c’est très aléatoire… mais euh globalement, moi les familles je les sens vachement coupables… C’est vraiment le truc qui ressort euh… ouais ce ce… coupable d’avoir… d’avoir un enfant handicapé, de se sentir jugé, en plus de ce fait de devoir se justifier… tout le temps, de se justifier en plus d’amener un enfant à l’école euh dont on va devoir se fixer dessus, canaliser, qui va peut-être en plus éventuellement empêcher les autres de travailler, donc voilà, grosso modo ce qui peut définir les familles, c’est la culpabilité… ça c’est euh… ça c’est clair…(...) (Page 20)




Pascal, quant à lui, tire de sa propriété et de son expérience d’initié familial une grille de lecture de la situation des familles qui peut sembler reproduire une forme de violence symbolique qu’il aurait lui-même subie au sein de sa propre famille – ou qui en est à tout le moins clairement issue. Il évalue ainsi le bon « niveau relationnel » au critère suivant : que les parents soient à l’écoute de ce qui dit l’école. Onze années passées en école primaire et plusieurs tentatives pour entrer dans la profession de professeur des écoles ont ainsi très probablement produit chez Pascal une intériorisation puissante des logiques propres à l’école primaire – en d’autres termes, l’inconscient social de la profession.



Pascal : à part euh… à part une famille, ça s’est très bien passé au niveau relationnel… j’ai plutôt eu des parents assez… euh… assez à l’écoute de ce que disait l’école… donc ça a permis euh… et puis qui faisaient confiance à l’école globalement, donc ça a permis euh… ouais de bien avancer dans ce domaine là, c’est à dire quand l’école conseillait quelque chose, à part les parents de O., globalement c’était entendu et… et écouté… (…) il y a eu la famille de B. qui n’était pas très présente… après il y a eu ccc… P. aussi c’était un peu compliquée, les… les parents de P et de O. étaient un peu dans… dans…enfin moi je le vois comme ça, mais dans le... le… dans le refus d’avoir un enfant handicapé quoi… (Pages 6-7)




Noémie, qui est l’AVS-i du groupe des anciens recrutés qui a construit la relation la plus hétéronome avec l’enseignant – peut-être sa prime expérience malheureuse avec les parents a-t-elle contribué à ce fait –, justifie ainsi sa positon de retrait avec les parents en invoquant la prééminence de l’enseignant pour tout ce qui concerne l’école (et en dévalorisant de ce fait toute prétention d’AVS-i à produire un positionnement plus autonome, qui pourrait « divulguer » aux parents des éléments internes qui seraient susceptibles de nuire à la classe) :




Noémie : (…) le problème c’est que notre travail il est pas dicté par nous-mêmes mais par l’enseignant…et que au sein d’une classe on peut pas se permettre de divulguer euh… certaines choses qu’ont pu se passer si l’enseignant ne l’a pas décidé (…) donc ça c’est quand même une charte qu’on nous demande et qui est à mon avis logique parce que des fois les parents ont en peut-être marre aussi d’entendre tout le temps que ça n’a pas été nous on va des fois leur dire la vérité, peut-être pas comme il faut, et les enseignants eux vont peut-être se dire il faut savoir aussi leur dire le posit… bah non des fois ça a été… voilà…et je pense que c’est vrai que… non je suis plus en position de retrait mais pas méchamment, c’est juste que…(…) notre travail il est au sein de l’école, c’est pas comme si j’intervenais (…) chez eux, et en plus euh, quelque part à l’heure d’aujourd’hui on nous considère comme étant entre guillemets sous la hiérarchie de l’enseignant parce que le travail nous est demandé par l’enseignant donc euh…s’investir euh…personnellement euh… en divulguant des choses de la classe ponctuellement c’est un peu délicat…mais ça m’est arrivé de croiser des parents qui aient pu me poser des questions donc après j’ai essayé de faire en sorte de parler, de voir ce qui pouvait être dit ou pas dit… voilà… mais euh… très peu, [27m] très peu… très peu de fois (Page 12-13)




La géographie du handicap


Nous l’avons vu (introduction, partie 3.3), les six AVS-i interrogés entretiennent des rapports différents aux territoires du handicap. Deux d’entre eux seulement, Cécile et Pascal, sont des initiés, la première l’a été professionnellement et le second au travers de sa famille. En sus des éléments déjà évoqués dans les présentations, nous allons ici aborder certaines facettes des relations que les six AVS-i entretiennent avec cette géographie, qui constitue un élément relationnel central pour tout occupant du poste d’AVS-i.


L’analyse montre une chose tout à fait intéressante : seuls Cécile et Pascal, les deux AVS-i initiés, produisent véritablement un discours construit, réflexif et argumenté, en intégrant la spécificité du segment du handicap qui concerne l’élève qu’il et elle accompagnent. Tout se passe comme si l’initiation (préalable à l’entrée dans le poste) aux réalités de moments partagés avec une personne handicapée, aux effets dans le temps et dans l’espace qu’implique son handicap ou sa déficience, aux formes de sociabilité qu’elle fait naître, (et quel que soit le type de déficience ou de situation de handicap qui la concerne), permettait d’activer (sur un mode de mise en questionnement, d’appréhension bienveillante) la relation étroite qu’entretient le poste d’AVS-i avec toutes les problématiques liées aux vastes et variées territoires du handicap. Pascal est de loin le plus disert sur le sujet. Sa position familiale de frère d’une petite fille autiste, son parcours de formation au sein des CEMEA, ont contribué à ce qu’il construise une vision situationnelle (ou environnementale) du handicap – il est le seul à le formuler aussi explicitement :



Pascal : bah je… ça dépend des… ça dépend de… pfff autiste c’est… tellement vaste que… ça peut être un trouble comme un handicap euh… pour G. ou pour F. par exemple je parlerais plus de trouble que de handicap… après ça dépend parce que le handicap c’est lié à une situation en fait… donc euh… au niveau social c’est pas forcément un handicap, après pour tous les actes d’apprentissages dans une journée d’école il y a des moments donnés où l’enfant est en situation de handicap quand même…



Nous pouvons également remarquer que Pascal affirme son intérêt pour des accompagnements d’élèves n’ayant pas des « problèmes de comportement ». Il pose comme un soulagement de n’accompagner que des enfants dont l’autisme, grâce à son travail, n’implique pas de « situation de crise » - il a d’ailleurs refusé d’initier un accompagnement pour un élève avec de « gros troubles du comportement ». Sa maîtrise de l’environnement et des logiques scolaires, qui font de lui probablement l’AVS-i qui a le plus intériorisé et repris à son compte les nécessités de la profession enseignante (sans pour autant s’y soumettre, nous le verrons plus loin), le poussent donc à rechercher, avec le temps, des accompagnements relativement normalisés, centrés sur « des problèmes d’apprentissage » avec « plus le côté enseignant » :



Pascal : (…) je suis content aussi de… de… depuis deux ou trois ans, j’ai que des enfants qui ont des problèmes d’apprentissages, et ça par rapport aux enfants qui ont des problèmes de comportements, ouah ça fait du bien quoi, c’est… quand même… y’a moins de situations de crise, c’est moins stressant, c’est moins nerveux… (…) on a plus le côté enseignant que le côté « je gère les crises, je gère la violence euh… (…) et moi c’est vrai que ça me convient mieux, ouais… c’est moins usant euh… c’est plus enrichissant. (Page 29)




Pascal : (…) On m’a proposé cette année un renouvellement (…) mais alors c’était un seul enfant à suivre 24 heures à Q.… (…) gros trouble du comportement… (…) et bosser que dans une école avec un enfant, que ça se passe pas bien… c’est euh… à plein temps toute la semaine avec le môme euh… je… je trouvais que c’était un peu risqué… (…) je sentais que… que ça allait être un peu laborieux… [Pascal a refusé cet accompagnement] (Page 42)




Cécile est quant à elle, nous l’avons déjà évoqué, l’AVS-i interrogée qui, face au handicap, se positionne le moins en fonction de l’étiquette posée, du nom « officiel », et qui semble de fait le plus centrée sur les effets du handicap. Pour elle, l’immanence, le « ici et maintenant » de la situation de l’enfant qu’elle accompagne semble primer sur toute vision préconstruite relative à la catégorie dans laquelle est classé l’élève accompagné :




Cécile: D., qu’est-ce qui lui arrivait à D. ?… qu’est-ce que c’était D. ?… … « Dysphasie », a diagnostiqué le centre du langage… euh… « Retard général », ont diagnostiqué d’autres organismes… (Rires)… D. il planait, ouais, effectivement… c’est compliqué… c’était un gamin qu’était vraiment capable de… qu’avait les… qu’était lent. Qu’était lent, qu’était pas du tout concentré, fallait tout le temps répéter, répéter, répéter… et c’était un gamin, à la limite, une fois que le truc était acquis, tu sais, que ça devenait… que c’était mécanique, ça roulait, il y avait pas de problème, c’était… c’était acquis… par contre euh… le souci était pour tout ce qui était les actes de la vie quotidienne, tu vois… « Atchoum »... y’a un truc énorme (elle montre son nez), et il reste à me regarder… « D., tu veux pas sortir un mouchoir ? »… tu vois, c’était vraiment plus de cet ordre là, que d’ordre vraiment euh… (...) sur les apprentissages (...) scolaires… donc tu vois… donc ça c’était D. (Page 10)




Au-delà de ces éléments concernant Pascal et Cécile, il est notable de constater que certaines situations d’accompagnement font naître un scepticisme chez les AVS-i. Cet enfant est-il vraiment handicapé ? A-t-il vraiment besoin d’un AVS-i ? C’est le cas notamment pour des troubles de l’apprentissage comme les dys-. Ainsi Pascal, considérant que rien n’est possible avec l’élève de quatrième, dyslexique (en clôturant la réflexion dans le périmètre de la seule position de « AVS-i ») se positionne clairement, et pour l’élève, en faveur d’une transformation circonstanciée de son poste pour aider scolairement l’élève :











Pascal : donc (…) J’avais dis clairement [à l’enseignant référent et au collège] ou on arrête [avec un élève de quatrième, dyslexique, qui a trois heures d’accompagnement par semaine], ou alors on accepte que je sois en permanence avec lui pour l’aider à faire ses devoirs et pour le remotiver, pour (…) lui faire du soutien… au moins dans les matières où il est le plus en difficulté, où je me sens à l’aise pour l’aider, et au final c’est ce qui s’est passé, ce qui est… pas très légal, hein… (…) j’étais même pas en permanence avec lui, j’étais dans… un petit bureau avec lui, alors c’était un bureau vitré, parce que moi j’avais demandé à…donc dans la salle des … des…des profs, il y avait des bureaux vitrés donc j’étais là-dedans donc comme ça il y avait un vis-à-vis, j’étais pas tout seul avec l’enfant, y’avait sans arrêt du passage, on pouvait voir ce qui s’y passait, donc… j’étais tranquille à ce point de vue là, et on bossait tout les deux sur… essayer de rattraper le retard qu’il avait (…) c’est presque du soutien scolaire, que je faisais, et pas AVS-i, mais euh… c’était de ça dont avait besoin l’enfant… alors après, c’est… mais moi j’ai retourné la question du coup quel sens ça avait de mettre un AVS pour un enfant comme ça, que c’était peut-être une.. Un autre poste qu’il fallait… (…) c’était un élève qui était découragé, parce que pendant des années être dyslexique, avoir du mal à suivre euh… ça se comprenait au bout d’un moment un gros découragement… donc c’était un peu redonner confiance et puis euh… et puis lui montrer qu’il était capable de… en rebossant quoi… (Page 40-41)



Lalie également se questionne quant à la pertinence de sa présence auprès d’un collégien dyslexique. Elle pose cette interrogation à sa manière, marquée par la distanciation forte et psychologisante que produit tout à la fois (de notre point de vue) sa double propriété d’être une migrante récente sur le territoire où elle travaille et une ancienne étudiante en psychologie :



Lalie : ouais en fait ce qui se passe c’est que … il y a toujours eu sa mère derrière lui pour euh… « Mon pauvre petit garçon, il est dyslexique, machin… » Donc lui bah… bon il fait un peu sa petite victime quoi… donc euh… du coup il cherche pas à apprendre, il cherche pas à comprendre, et euh… si je suis là il travaille, si je suis pas là… ‘fin là pendant les partiels je ne suis pas venue… [L. est étudiante] j’y suis retourné aujourd’hui pour lui… j’ai vu le résultat, il n’avait rien fait depuis deux semaines, quoi…il travaillait pas, les devoirs étaient pas faits alors que bon… moi je suis derrière son dos euh... Ça va un peu quoi… donc bon, ça a tendance un peu à m’énerver (rires) … (…) là ça va… je vois pas la progression, je me demande des fois qu’est-ce que je fais là, quoi… (Page 9 et 22))


Lalie vit d’autant plus mal cet accompagnement qu’il est le seul qu’elle accomplit cette année-là (9 heures), et que, ainsi qu’elle l’explique elle-même, la présence de l’AVS-i avec ce collégien semble prétexte pour l’équipe pédagogique à un retrait total de tout intérêt et investissement à l’encontre de l’élève accompagné – qui, en plus, se trouve dans une classe dont nous pouvons penser qu’il s’agit d’une classe de niveau regroupant tous les élèves en difficulté :


Lalie : les profs ont démissionné. Vraiment. (…)… même eux ils le disent ! ‘fin ils s’en cachent pas… c’est… déjà il est dans une classe difficile…c’est vraiment euh… la pire classe de 5ème qu’il y a eu de… (…), 5ème F bizarrement…. (Page 12)


Cécile également formule des réserves quant à un de ses accompagnements, lui aussi centré sur la situation d’un élève que, selon sa propension à peu se soucier des dénominations, elle nomme « trouble de lecture de machin » :


Cécile : … trouble du langage, lecture, tu vois, trouble de lecture de machin, enfin vraiment petite bricole, et puis c’est un gamin qui s’en sortait pas si mal que ça, effectivement, fallait le booster un petit peu mais vraiment euh j’ai pas compris la nécessité d’un accompagnement avec ce gosse quoi… (Page 7)


Elève accompagné, parents et géographie du handicap constituent les trois éléments relationnels qui forment un pôle central dans le réseau de relation de l’AVS-i. De ce point de vue, et relativement à une vision de ce que pourrait être une analyse sérieuse prenant en compte la position stratégique du poste et les nécessités de formation qu’on peut en déduire, l’occupant(e) du poste d’AVS-i devrait pouvoir également nourrir une attention toute particulière aux relations des relations qu’il ou elle entretient : parents, élève et type de handicap ou de déficience entretiennent entre eux des relations qui sont autant d’éléments de soubassement de tout ce qui se déroule au sein des processus de scolarisation – et ces relations internes à ce qu’on pourrait nommer le « pôle familial » sont très vraisemblablement différenciées socialement.

Il y a cependant un autre pôle, tout aussi central, dans le réseau de relation qu’entretient le poste d’AVS-i : il s’agit de celui de l’école, avec, en premier lieu, l’enseignant et les élèves des classes où travaillent l’AVS-i et dans lesquelles est scolarisé l’élève accompagné.


3.3.2.3 Du côté de l’école

Nous allons dans cette partie nous limiter à l’appréhension des seuls agents/acteurs que sont les élèves des classes et les enseignants avec lesquels travaillent les AVS-i. Néanmoins, il nous semble important de mentionner deux postes tout à fait essentiels dans l’environnement de travail des AVS-i – et dans les processus de scolarisation des enfants handicapés : celui d’enseignant référent et celui d’enseignant spécialisé.

La fonction d’enseignant référent a été créée par la loi du 11 février 2005. Elle consiste en un rôle de régulation de l’initiation et du déroulement des processus de scolarisation d’enfants handicapés. De multiples tâches lui sont dévolues, qui caractérisent sa position de médiation se déclinant à de multiples niveaux : entre les familles, l’élève scolarisé, les établissements scolaires, les enseignants, la MDPH (et la CDAPH) et les accompagnants scolaires. Les enseignants référents sont recrutés parmi des enseignants spécialisés et le plus souvent, lors de la création de leur fonction, ils l’ont été également parmi les anciens secrétaires de CCPE, qui, dans l’armature institutionnelle de la loi de 1975, étaient responsables de l’animation de ces commissions, qui dépendaient directement des CDES pour le premier degré. Comme ces derniers, ils interviennent sur le territoire d’une circonscription de l’éducation nationale, qui correspondait avant 2005 au territoire des CCPE.

Dans de nombreux départements, les enseignants référents ont, plus ou moins explicitement, reçu consigne de se constituer en ressources et en encadrement pour les accompagnants scolaires de leur circonscription, qu’ils soient AED ou EVS. Ceci semble susciter dans la pratique des phénomènes de résistance de la part de certains d’entre eux, qui refusent de se voir attribuer une charge de travail supplémentaire qui n’est pas prévue dans les textes encadrant leur métier ; comportements d’évitement qui a pour effet d’accentuer l’isolement des accompagnants.

L’enseignement spécial, nous l’avons vu, ne tire pas son origine d’un « processus linéaire provenant d’une demande interne de l’école » (Plaisance, 1996), mais des influences à la fois internes et externes à l’institution scolaire, avec le rôle joué par des médecins aliénistes dont la figure majeure demeure Désiré Magloire Bourneville. Le premier diplôme professionnel de l’enseignement spécialisé a été créé dans la foulée de la loi d’avril 1909 créant les classes annexées et les écoles de perfectionnement : il s’agit du certificat d’aptitude à l’enseignement des arriérés (CAEA, août 1909).


« Le cadre d’exercice de l’instituteur spécialisé c’est donc avant tout la classe, dans laquelle les méthodes d’instruction sont à aménager en fonction des aptitudes des élèves accueillis. (…) On devient instituteur spécialisé après avoir exercé en qualité d’instituteur (…). ». (Dominique Fablet, 2000)


Nous l’avons évoqué, la loi de 1909 reste inopérante jusqu’aux années 1950. Il en va de même pour le métier d’enseignant spécialisé : lorsque, après que les initiatives de l’Education Nationale aient véritablement repris dans les années 1960, le métier prend de l’ampleur, c’est à un moment où celui d’éducateur spécialisé s’est, dans les grandes lignes, déjà formalisé (Fablet, 2000).

La spécialisation dans la spécialisation s’amorce très tôt dans l’histoire du métier : en 1939 déjà, une option spéciale « enseignement des écoles de plein air » est créé pour ceux d’entre les enseignants qui se destinent « à l’enseignement des enfants déficients physiques ou malades, infirmes moteurs ».

Par suite, la logique d’adaptation (avec la création des GAPP et des classes d’adaptation) va structurer une partie de la profession comme pouvant intervenir hors cadre de la classe, dans une logique individuelle, ou par petit groupe ; la logique intégrative va confirmer cette tendance. En 1996, 43,8% des élèves handicapés sont scolarisés dans des établissements relevant de l’Education Nationale (classes spécialisés d’établissements ordinaires, EREA, écoles spécialisées) et 56,2% dans des établissements relevant des affaires sociales. Les enseignants spécialisés interviennent dans toutes ces structures. Au sein de l’éducation nationale se distingue deux filières : d’une part, les RASED (Réseaux d’aides spécialisés aux élèves en difficulté, qui ont succédé aux GAPP en 1990) regroupent des maîtres spécialisés d’option E (aide à dominante rééducative) ou G (aide à dominante pédagogique) et des psychologues scolaires ; d’autre part les structures d’accueil du premier et du second degré (classes de perfectionnement, classes d’intégration CLIS pour le primaire et unité pédagogique d’intégration UPI – ayant remplacé les SES – et les sections générales d’enseignement spécialisé SEGPA, pour le second degré).

En ce qui concerne le secteur des affaires sociales, les enseignants spécialisés peuvent intervenir dans les structures suivantes : IME, IMP et IMPro, ITEP, les CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques), les CAMSP (centre d’action médico-sociale précoce), les SESSAD.

Un processus de scolarisation d’enfant handicapé peut prendre de multiples formes, ainsi que le permet la loi de 2005, qui permet encore, malgré l’affirmation du droit à la scolarisation « ordinaire », de nombreuses formes de scolarisation dans des structures spécialisées. L’AVS-i est en mesure de se trouver à travailler avec un enfant qui peut être accueilli dans une structure relevant du médico-social où intervient un enseignant spécialisé.

Maintenant que ces mentions tout à fait essentielles sont faites, intéressons nous aux relations qu’entretient l’AVS-i avec les camarades des élèves qu’il ou elle accompagne.


Les élèves des classes


Pascal : (…) il y a aussi le fait qu’on intervienne avec d’autres enfants que celui qu’on accompagne aussi dans les classes, à des tas de moments… (Pages 14-15)


L’individualisation et la personnalisation des missions dévolues au poste d’AVS-i résultent, nous l’avons vu, des effets de son histoire spécifique, et se sont imposées face à des conceptions (minoritaires) d’employeurs associatifs départementaux qui préféraient voir dans la position du poste d’AVS-i une ressource pour la classe ou l’école. Mais qu’en est-il alors de l’occupation pratique du poste par les six AVS-i avec lesquels nous nous sommes entretenus ?

Cinq d’entre eux partagent le fait d’avoir souhaité ou de souhaiter devenir un jour enseignant du premier degré. Cette propriété les prédisposent vraisemblablement à ne pas circonscrire strictement leur action au seul élève qu’il et elles sont censés accompagner. Ainsi Julie, qui, tout comme Lalie, est entrée dans la fonction pour des raisons stratégiques liées à son projet professionnel :


Julie : [en ce qui concerne l’enseignant et le fait d’intervenir auprès des autres élèves] ça dépend, (…) je vois un petit peu à qui j’ai affaire, (…) donc on voit comment… Si ils sont réceptifs ou pas, si je vois que bon, il faut pas trop euh… voilà j’oserais pas… Mais là vu que ça se passe bien…enfin… ils font confiance quoi, donc du coup euh… bon voilà, ils me laissent faire quoi… bon après, sans empiéter sur leurs plates-bandes, hein, je vais pas trop loin non plus (…) (Page 25-26)


Nous trouvons encore une fois sur ce sujet précis des différences importantes entre les néos et les anciens recrutés. Julie, Lalie et Sylvie, dans leur mouvement vers les autres élèves (quand il y en a, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment pour Lalie qui est restée souvent installée en permanence à côté de l’élève), sont dominées par leur souhait professionnel. En d’autres termes, elles vont vers les autres élèves avant tout parce qu’elles souhaitent profiter de leur position d’AVS-i pour s’initier au métier d’enseignant du premier degré.


Julie : (…) je suis assez bien intégrée dans la classe, je pense … ouais, une bonne relation… oh on me fait assez confiance aussi, donc euh… quelque fois on va pas forcément me réserver juste à l’enfant, on va me confier un petit groupe, avec l’enfant, dont je vais m’occuper… quelque part moi ça me conforte un peu dans mon idée justement de… comme je voulais être enseignante… (Page 12)


A contrario, les anciens recrutés présentent une réflexion beaucoup plus aboutie sur ce sujet, et les motivations qu’ils exposent pour expliquer le mouvement vers les autres élèves sont beaucoup plus centrées sur des raisons liées à l’élève ou à la classe, comme par exemple la nécessité de désamorcer la « pression » mise sur l’élève, que nous avons déjà abordée plus haut avec Cécile, ou, ce qui y est apparenté, pour moins le « stigmatiser », comme dit Pascal ci-dessous.

Dans ce passage, il évoque également la nécessité pour lui de « rentabiliser » le temps de sa présence et de faire face à l’ennui provoqué par le fait que de nombreuses fois, quand est pris au sérieux l’objectif de ne pas se rendre indispensable à l’élève accompagné, il y a des temps où l’AVS-i est disponible :



Pascal : j’aide aux moments des exercices… quand les élèves lèvent la main pour avoir de l’aide de l’enseignant… (…)… là moi je… j’interviens si l’enfant que j’accompagne est… est autonome à ce moment là euh… ça m’arrive d’intervenir sur les autres…(…) toujours en accord avec l’enseignant (…) c’est indispensable aussi parce que sinon on se retrouve à …à avoir tendance à s’ennuyer, s’ennuyer ça veut dire qu’on va chercher à s’occuper donc on va… aider l’enfant qu’on suit à des moments donnés où c’est pas de ça dont il a besoin donc… je pense que c’est vraiment bien pour tout le monde…que ça se passe comme ça… (…) Et puis ça marque moins la différence aussi pour G. par exemple c’est très important… il supporte pas l’idée d’avoir un AVS-i, faut être comme les autres… donc le fait qu’à des moments donnés je le laisse tranquille et que c’est d’autres que je vais aider, ça… ça le stigmatise moins, quoi… (Pages 19-20-21)



Cécile, de son côté, explique qu’elle est « tout le temps en communication avec les autres élèves », dans une sorte de posture de facilitateur de la cohésion et de l’attention du groupe. Elle présente ce positionnement comme résultant de la nature spécifique du poste d’AVS-i vis-à-vis des autres élèves, c'est-à-dire, ainsi que nous l’avons déjà évoqué, une position non enseignante, marginale, interstitielle, répondant d’une temporalité, de nécessités et de responsabilités différentes qui permettent d’être « un adulte un peu plus bienveillant » sans être non plus « la grande sœur ou la copine ». De plus, Cécile avance un argument tout à fait opérant de notre point de vue pour répondre d’un travail pertinent en matière d’accompagnement : elle a conscience que sa présence est, pour le groupe classe, liée à l’élève qu’elle accompagne, et que ainsi la relation qu’elle va tisser avec les autres élèves aura une répercussion sur celle qui se construira entre eux et l’élève qu’elle accompagne.


Cécile : (...) je suis tout le temps en communication avec [les autres élèves des classes où je travaille], finalement, (...) un petit peu par des petits bruits, des petites onomatopées, c'est-à-dire que … enfin tu sais les gamins qui font des petits trucs par derrière, ça me fait super poiler, en fait (...) donc si tu veux il y a pleins de trucs qui me font marrer, je suis pas l’instit, en même temps si tu veux, donc je peux me permettre d’avoir une autre relation avec eux… euh où je suis pas la copine, je suis pas la grande sœur, je suis rien de tout ça, mais je suis un adulte (...) un peu plus bienveillant sur les petites conneries qu’ils peuvent faire, si tu veux… et euh… ce qui permet au travers de la relation que je vais créer avec eux de pouvoir éventuellement améliorer l’image qu’ils ont de moi et donc de l’enfant qui nécessite un suivi de ma part… euh… et c’est un peu jeu de séduction que j’ai avec eux un peu finalement quoi… et en même temps ça me permet, en collaboration avec l’instit, puisque je suis énormément dans l’observation, je m’en rends compte quand il y en a un qui ne va pas bien, que machin, que… là elle a fait un texte bizarre, elle a fait un dessin bizarre, est-ce qu’il va bien, comment… tu vois, ce… ce… je vois des choses qui échappent à l’instit… (Page 33)


La mention faite ici par Cécile de « l’instit’ » constitue une transition toute trouvée pour nous intéresser maintenant à la relation des occupants du poste d’AVS-i avec les enseignants.

Les enseignants

Les enseignants constituent le groupe professionnel le plus ancien du champ. Il se décompose en deux groupes principaux : ceux du premier degré (nommés longtemps « instituteurs » et « institutrices » et qu’on appelle depuis la création des IUFM en 1991 « professeurs des écoles »), et ceux du second degré. Les professeurs des écoles sont disciplinairement polyvalents, là où ceux de l’enseignement secondaire (ou professionnel) se voient spécialisés dans l’enseignement d’une matière spécifique. Les premier et second degrés procèdent ainsi d’univers tout à fait différents, pour des raisons de généalogie historique qui recoupent celle précédemment évoquée, mais aussi de multiples autres.

L’école primaire est la matrice de l’école républicaine en France, prenant son origine à la fin du 19ème siècle, alors que la secondarisation de l’enseignement (et, dans une moindre mesure, la « scolarisation de l’enseignement professionnel » selon l’expression d’Antoine Prost), est largement ultérieure, avec la réforme Berthoin de 1959 instituant l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans. Du point de vue de la majorité de la population, l’enseignement secondaire a donc succédé au primaire, plus de 60 ans après.

Seulement, pour la bourgeoisie, aussi bien l’enseignement primaire que secondaire existaient bien avant ce qu’on peut appeler la démocratisation de l’enseignement. Pendant tout le 19ème et le début du 20ème siècle, les collèges et lycées n’accueillaient quasi exclusivement que des enfants des classes dominantes – établissements auxquels était souvent annexée une école primaire « réservée » aux mêmes catégories, qui ne se mélangeaient ainsi pas avec le peuple. L’inconscient social du poste d’enseignant du second degré est donc marqué par cette longue période au sein de laquelle enseigner signifiait délivrer un savoir disciplinaire dans des classes dociles et homogènes socialement – modèle que le mouvement dit de « secondarisation » de l’enseignement a littéralement fait exploser, mais qui reste un rêve et un souhait pour de nombreux enseignants du secondaire.

La nature et les évolutions, certes concomitantes, mais souvent parallèles et relativement autonomes, de ces deux univers, rendent la pratique de l’accompagnement scolaire très différent selon qu’il relève de l’un ou de l’autre. Nous posons ici l’hypothèse selon laquelle le premier et le second degré induisent pour les accompagnants scolaires des modalités de travail avec les enseignants qui sont largement différenciées, et qu’il conviendrait d’analyser spécifiquement. Nous allons néanmoins mentionner ci-dessous quelques éléments de cette partition.


Selon la DGESCO (2009), c’est près de 70% des élèves handicapés scolarisés qui le sont dans le premier degré – et plus des deux tiers de ces 70% le sont en maternelle. En guise d’explication à cet état de fait, nous pouvons citer l’effet normalisateur qu’ont le cours préparatoire (CP) et le passage au collège. Il est possible d’imaginer la possibilité selon laquelle cette répartition puisse (éventuellement) changer à mesure que se trouvent normalisés les processus de scolarisation des enfants handicapés.

Ainsi, pour le poste d’AVS-i, c’est l’école primaire qui constitue le cadre central et dominant de son environnement de travail. Travailler dans l’enseignement secondaire est une exception – qui se trouve redoublée de l’exception des types de déficience ou de handicap que connaissent les élèves qui y sont accompagnés, puisque par exemple, les déficiences motrices, très minoritaires dans l’ensemble des situations de scolarisation dans le premier degré, se trouvent surreprésentées au secondaire. L’effet « goulot » du CP et du passage au collège concerne aussi certains types de handicap.

Tous les AVS-i interrogés qui ont travaillé dans le secondaire connaissent cette situation d’exception par rapport à leur parcours global d’accompagnement. Pascal, Lalie et Julie ont ainsi tous quelque chose à exprimer par rapport à leur travail dans le secondaire. De ce point de vue, il n’y a pas de différence notable entre anciens et néos-recrutés : tous s’accordent à dire que ce cadre de travail est très difficile :



Pascal : [Dans le secondaire – au collège, en l’occurrence] c’est beaucoup plus dur de trouver sa place… enfin moi j’ai beaucoup plus de mal à trouver ma place au collège, parce que bah justement on ne peut pas forcément intervenir avec les autres élèves quand on a rien à faire avec l’élève qu’on suit… et puis (…) moi avec B. je servais à rien, dans la classe (Page 40-41)



S’il y a une différence entre néos en anciens recrutés, c’est dans le degré de difficulté exprimée : les néos recrutés semblent éprouver encore plus de difficultés. La parole de Lalie est à cet égard édifiante – on peut y lire également l’isolement social qu’elle connaît du fait de n’être arrivée dans la région qu’il y a à peine deux ans :



Julie : ah [le secondaire] c’est complètement impersonnel… c’est complètement autre chose… (…) disons que on sent que … c’est pas pour dire mais on se sent un peu isolé dans son coin quoi… (Page 21-22)



Guillaume : (…) qu’est-ce tu sens comme différence [entre le secondaire et le primaire] ?
Lalie : (…) (Sourire large) je me sens seule, cette année [dans le secondaire, au collège]! (Rires) Bah je suis arrivée déjà… je suis arrivée au début je savais même pas que j’avais le droit d’aller dans la salle des profs, on me l’a jamais dit, tu vois… ‘fin… je suis un peu bête, non ? [Rires]… mais bon… on me dit pas les choses, je vais pas non plus y aller… donc un jour on m’a dit : mais tu sais, tu peux y aller… c’était une surveillante qui m’a dit, c’est même pas un prof… (…) et euh…euh…. Et en fait même dans la salle des profs, je discute pas (…) comme l’année dernière avec (…) les enseignants… pas du tout…c’est des fois je vois la prof principale… parce que je la vois jamais en fait la prof principale… je la vois euh… à la salle des profs, pendant cinq minutes, on discute de… de l’élève et basta quoi… (Page 18 et 21) (...) je crois que c’est le primaire qui me manque, quoi… c’est pas du tout le même fonctionnement, enfin… là j’ai l’impression d’être un pion, je viens, je fais mes neuf heures, je repars euh… voilà, coucou, je suis venue, (court rire) (...) … un truc tout bête, on arrivait le matin, on se fait la bise ou on se dit bonjour, quoi…bon je demande pas à ce qu’on me fasse la bise mais qu’on dise bonjour quoi… t’es pas une ombre quoi, t’es… t’existe… (Page 26-27)



Lalie : j’ose même pas leur demander de l’aide [aux professeurs du collège] ou… je dirais pas de l’aide mais… comment… enfin voilà on te dit il a des difficultés à faire ça… « Oui ben donnez moi des pistes quoi enfin… je suis pas enseignante moi, je suis… je suis là pour l’aider, quoi… » (...) bah voilà j’ose même pas aller leur demander « qu’est-ce que je pourrais faire … qu’est-ce qu’on pourrait revoir… »… ce matin je l’ai fait parce qu’il y avait un contrôle en maths et je sais qu’il a rien compris au chapitre… bon… bon bah je suis allé voir le prof quoi… le prof l’a vu qu’il avait des difficultés, il aurait pu me dire, (...) « y’a ça que tu pourrais revoir avec lui… » (Page 30)


Tous les trois s’accordent, avec Lalie ci-dessous, pour poser le cadre du primaire comme plus favorisant pour accueillir des enfants en situation de handicap. A cet égard, au-delà des différences entre primaire et secondaire relatives à leurs histoires respectives, il est possible de poser l’hypothèse selon laquelle les enfants, à mesure qu’ils grandissent, intériorisent de plus en plus fortement l’ordre social et symbolique qui régit, entre autre, les relations entre les personnes handicapées et déficientes et les autres. Ainsi, les enfants du premier degré auraient de fait une propension plus grande à construire des relations avec les élèves handicapés.


Lalie : (...) en maternelle… d’ailleurs… les enfants sont géniaux hein [rires] (...) un enfant handicapé ça dérange personne quoi, c’est génial, je trouve ça merveilleux… (...)… je me souviens en récréation quoi elle … [l’élève accompagné] tout le monde la prenait en charge, quoi, entre guillemets... « Ah viens, on va jouer, là » hop, et elle partait quoi… ouais, bah fait ça maintenant au collège…bah tu verrais les réactions quoi… (Page 36-37)


Intéressons-nous maintenant à une autre partition, qui est celle, idéal typique pour ce qui concerne notre échantillon d’AVS-i vis-à-vis de l’enseignant, entre position à tendance autonome et position à tendance hétéronome.


Hétéronomie

Noémie, malgré son statut d’ancienne recrutée – et contrairement à ce qu’on pourrait a priori penser, est l’AVS-i interrogée qui exprime le plus une position de dépendance vis-à-vis de l’enseignant, qui s’en remet le plus à lui ou elle, et qui définit le plus son travail en fonction des nécessités et contraintes enseignantes. Ceci même davantage que les trois néos-recrutées puisque ces dernières se bornent, de manière générale, à se positionner en fonction de l’enseignant mais sans avoir eu le temps de réellement interroger et se construire une appropriation du poste. Dans ce cadre, c’est, comme le suggère l’extrait ci-dessous de l’entretien avec Julie, l’enseignant qui « forme » l’AVS en fonction de ses expériences précédentes.


Guillaume : d’accord… donc tu interviens parfois avec les autres élèves ?
Sylvie : oui, mmh mmh… en fait ça c’est en fonction des enseignants, on sait pas trop si on peut le faire ou pas… (…)… en fait elle m’a dit un moment clairement que… qu’elle connaissait des AVS qui se déplaçaient, qui aidait un peu les autres élèves, et je sentais que ça… elle avait un peu envie que j’aide un peu aussi de temps en temps (…) (page 12)



Noémie s’est approprié le poste, elle, mais d’une manière qui tend à consacrer l’enseignant comme le métronome de tous ses positionnements – y compris, nous l’avons vu, avec les parents.



Noémie : (…) on se voit avec l’enseignante et dès le départ donc elle, elle me dit ce qu’elle souhaite et moi (…) je vais travailler en fonction de ce que tu souhaites… (Page 22)



Ceci nous permet de dire qu’une longue durée d’occupation du poste n’est pas une propriété suffisante pour construire un positionnement autonome relativement à l’occupation du poste d’AVS-i. Pas suffisante donc mais nécessaire, puisque Pascal et Cécile, les deux autres AVS-i formant avec Noémie le groupe des anciens recrutés sont les deux seuls de notre échantillon à occuper le poste de façon relativement autonome, répondant des logiques et des potentialités internes au poste et liées à ses propriétés, et non de celle qui fonde la position du poste d’enseignant.


Autonomie

Cécile et Pascal ont tous les deux un discours qui semble traduire une bonne maîtrise des enjeux et des invariants de la relation professionnel avec un enseignant – très certainement construits tout au long de l’occupation du poste. Ils développent tous les deux des stratégies visant tout d’abord à rassurer les enseignants dans les classes desquels il interviennent – et ce d’autant plus que les anciens recrutés sont parmi les AVS-i qui ont toutes les chances d’avoir travaillé avec des enseignants qui n’avaient aucune expérience d’une telle coopération (ou collaboration).



Pascal : alors il y eu les… il y a des enseignants qui se retrouvaient un peu angoissés d’avoir un adulte avec eux dans la classe…oh il a fallu dans ces cas là faire un peu euh… acte de prudence et de… euh… réellement avant de l’ouvrir un peu, dire ce qu’on pense, vraiment montrer à l’enseignant qu’on avait bien compris que… c’était eux qui avaient le pouvoir dans la classe et pas moi… (Page 11) (…) il y a aussi le fait qu’on intervienne avec d’autres enfants que celui qu’on accompagne aussi dans les classes, à des tas de moments… donc moi je profite des fois de cette situation-là pour montrer à l’enseignant que j’ai bien compris que c’était lui le maître de la classe, sans forcément lui dire… c’est en parlant aux enfants des fois dire euh… « Bah non c’est pas à moi que tu as à poser cette question-là, euh… l’enseignant il est là, c’est lui qui décide de ça, c’est pas moi » (…) en me sachant observé, entendu par l’enseignant, et bon c’est le genre de petites choses qui fait que l’enseignant se trouve rassuré, à se dire « bah cet AVS-i il cherchera pas forcément à prendre ma place … » (Page 14-15)




Cécile nous parle ainsi de l’évolutivité et de la plasticité des dynamiques propres à l’accompagnement qu’elle dispense tout au long d’une année scolaire, et du positionnement afférent qu’elle adopte – sans aucune mention de l’enseignant, ce qui tend à montrer (ainsi que l’ensemble de son entretien) qu’elle opère ces choix de manière tout à fait autonome :



Cécile : (...) au début (...) j’étais un peu à côté de lui… puis je me suis éloignée… puis j’ai pris carrément une table ailleurs… et j’ai fini par prendre mes dossiers avec moi, faire d’autres trucs… et puis à la fin j’ai fini par me mettre à la porte de l’atelier…et puis à rentrer dans l’atelier… et j’ai fait un truc dans l’atelier, porte ouverte, j’ai fini par entrer dans l’atelier, et par fermer…(...) les enfants étaient dans la classe…c'est-à-dire que j’ai fini par me soustraire, réellement, (...) de la classe… [G.] n’était plus du tout dans une nécessité d’accompagnement (Page 30-31)



La situation exceptionnelle de Pascal en termes de continuité d’accompagnement (un de cinq ans, l’autre de quatre ans, avec des enfants avec des « troubles autistiques ») le mettent dans une situation d’expertise vis-à-vis des enseignants qui, chaque année, découvrent en situation de classe les élèves qu’il accompagne. C’est ainsi qu’il dit la chose suivante :




Pascal : (…) puisque j’ai beaucoup accompagné les mêmes enfants, euh… là c’est un peu différent parce que euh… j’ai plus de connaissance sur l’enfant que l’enseignant qui débarque… (Page 14)




Au-delà de l’exceptionnelle continuité, il ne semble pas trop hardi d’affirmer que c’est également une durée importante d’occupation du poste qui contribue à ce que l’AVS-i soit perçu par l’enseignant comme un expert de sa propre position (ce qui ne peut être le cas pour la majorité des AVS puisqu’elle est composée de néos recrutés et, a fortiori, d’EVS, en poste pour trois ans maximum), contribuant ainsi à créer les conditions de possibilités d’un positionnement de plus en plus autonome.


Il ne faut pas oublier que Pascal a passé onze ans dans l’éducation nationale, en école primaire, ce qui lui permet de dire, très conscient :




Pascal : au bout d’un moment tu commences à acquérir le langage éducation nationale donc après quand tu parles après à des enseignants tu as leur langage, t’es dans leurs normes, t’es dans leur monde… donc ça passe beaucoup mieux que euh… que quand t’as pas le même langage qu’eux, en fait… (Page 32)




« Langage » éducation nationale résultant de plus de dix ans de travail en son sein (et d’un projet de devenir enseignant), position d’expertise sur son poste et à propos des enfants : autant d’éléments qui permettent à Pascal de prendre des positions qui, aux vues des ambitions et des enjeux posés par l’arrivée à l’école d’une partie de l’enfance qui en avait jusqu’ici toujours été exclue, nous semblent extrêmement intéressantes, mais qui sont appelées à disparaître en même temps que les conditions sociales qui permettent leur existence.



Mentionnons tout d’abord le positionnement que prend Pascal en face d’un enseignant quant à l’avis de ce dernier sur un élève accompagné, puis sa démarche, de son propre chef, d’aller rencontrer les professeurs d’un collège pour préparer une rentrée suivante :


Pascal : (…) G., par exemple, [un petit garçon autiste] j’ai découvert en CP il parlait quasiment pas ce petit bonhomme, il était dans le mal-être, dans l’angoisse par rapport à la relation avec les autres, maintenant ça fait six ans qu’il est dans la même école, toute petite, où il connaît tout le monde par cœur, donc voilà l’enseignant qui débarque cette année qui voit G., il voit un G. épanoui, qui est à l’aise au niveau relationnel avec les autres, donc bah « oui le collège, oui pas de souci… » Et donc faut un peu remettre les points sur les « i », dire « Ah…Oui pas de souci, le collège ? Il est énorme, il va changer de classe sans arrêt… ! » (…) donc du coup, faut pas croire que ça va passer comme une lettre à la poste, c’est parce qu’il archi super sécurisé depuis des années, mais… faut quand même être très vigilant par rapport à ça… mais là c’est intéressant, parce que comme je travaille à C., je mange à la cantine, je rencontre des profs du collège [qui est à côté de l’école primaire, NDR], donc j’ai pu leur parler du cas de G., donc j’ai réussi à obtenir qu’il ait pas mal d’enfants de [sa commune] qui soient dans sa classe pour qu’il soit pas trop paumé, qu’il soit dans une classe où on le change quasiment jamais de lieu de classe à part pour les enseignements spécialisés, les sciences et la technologie… qu’il se retrouve dans une classe au rez-de-chaussée pour pas avoir à circuler partout dans l’établissement… donc là je suis assez content …(Pages 31-32)




Puis prenons connaissance de ce qu’il exprime quant à sa contribution à l’information et à la formation in situ des enseignants quand, avec les débuts de l’application de la loi de 2005, ces derniers « sont un peu perdus là-dedans » ; ou, du fait de la méconnaissance des enseignants relativement au monde du médico-social, quant à sa démarche d’informer sur ce qu’est (selon lui) une bonne division du travail éducatif entre école et institutions spécialisées :




Pascal : (…) [les enseignants ne] savaient pas comment ça se passait au niveau de la MDPH. [ils ne] savaient pas dans les réunions qui il allait y avoir, (…) il y avait les directrices aussi, qui il fallait inviter aux équipe des suivi de scolarité, euh… des choses de ce genre, ou y’a des fois les enseignants ils sont un petit peu perdus là dedans, quand c’est la première fois qu’ils ont un enfant handicapé dans leur classe, c’est euh… c’est le lien entre le CMP et le… et de dire aussi bah oui on a constaté que tel enfant il avait des problèmes de…de la gestion de son espace… de l’espace et du temps, euh.. bah dire bah ce serait bien de renvoyer ça au niveau du CMP, parce que c’est plus à eux de travailler qu’à l’école, ils ont plus les moyens que nous… euh des choses comme ça… alors qu’il y a certains enseignants qui savent pas forcément au début à quoi sert le CMP, quels sont… qu’est-ce qu’ils peuvent faire là-bas… (Page 33)




C’est ainsi que la rencontre entre les dispositions sociales de Pascal, issues en partie de son « histoire sociale familiale » selon l’expression de Francine Muel-Dreyfus, et les propriétés du poste d’AVS-i font naître d’autres formes de prise de position qui caractérisent très clairement une posture de grande autonomie vis-à-vis de l’enseignant, allant même jusqu’à exercer sur ce dernier une influence qui nous semble importante, comme le montre bien l’extrait ci-dessous :


Pascal : (…) en fait quand on pose la question euh… souvent aux enseignants quand on est pas là, comment ça s’est passé ce matin avec G., comment ça s’est passé avec F., en fait souvent l’enseignant a du mal à répondre parce qu’il a tout le reste de la classe à gérer, il sait pas forcément comment ça s’est passé (…) … donc il y a des fois aussi c’est de signaler à l’enseignant… « Attends là… pendant toute la matinée, il a écrit trois lignes quoi… » … donc euh… moi je veux bien l’entendre que t’ai pas trop le temps mais est-ce qu’on pourrait pas le mettre à côté d’un élève pas trop mauvais qui du coup a un peu le temps de le relancer, lui dire (voix baissée) « allez, hey, F., vas-y… faut s’y mettre… »… (Page 16) (…) j’ai clairement dit « bah F. j’aimerais bien qu’il soit dans la classe de L. plutôt que dans la classe de C. parce que (…) au niveau relation avec les enfants, je pense que pour F. ça passerait mieux… » (…) et ça en général c’est bien entendu par l’enseignant… comme c’est l’enseignant d’avant qui choisit dans quelle classe il le met, en général… en général c’est accepté, quoi… (Page 34)



Malgré le fait que l’autonomie de Pascal et de Cécile soit avérée, et permise notamment par leurs propriétés d’initiés et d’anciens recrutés, il n’en reste pas moins que la position du poste d’AVS-i, dont ils ont activé nombre de potentialités, reste soumis au poste d’enseignant. Cécile le décrit ici, racontant ce qu’il lui a été demandé un jour d’absence de l’élève qu’elle accompagnait :



Cécile : … donc ça fait six ans que je suis AVS-i, je suis également donc sophrologue, hein, spécialisée enfance, adolescence, apprentissage, gestion du stress etcetera…euh G. a perdu son grand-père… [il est donc absent NDR] euh je suis arrivée donc dans l’école, donc faire petit dossier, faire du travail, faire des trucs euh… … et euh... « oui, bah Cécile. donc là cet après-midi, là en fait j’ai apporté le compresseur de mon mari, il faut que tu ailles regonfler dans le local à ballons, tu vas aller regonfler les ballons de sport »… tu vois… … je suis gentille…je lui ai dit (...)  « t’inquiète pas, l’AVS-i est polyvalente » [rires]… et je me suis tirée quoi… je me suis dit c’est bon, je vais te les gonfler tes ballons…du coup (...) tu sais, je me suis dit : « bah…je vais faire du bruit [en riant], ils vont pas pouvoir se parler là-haut, ça va énerver… »… et en fait le compresseur une fois qu’il est plein tu sais il s’arrête tout seul…je savais pas, j’étais emmerdée… [rires partagés]…





Un autre aspect relationnel tout à fait important quant au poste d’AVS-i, et très lié à la relation avec l’enseignant, concerne les acteurs non humains que sont la didactique, la pédagogie et la conduite de la classe.






Pédagogie, didactique et conduite de la classe


La position très hétéronome des néos recrutées vis-à-vis de leur collègue enseignant – qui est donc vraiment, à ce niveau, et beaucoup plus que pour certains anciens recrutés, leur supérieur (fonctionnel), n’empêche pas qu’elles se voient confiées des responsabilités en matière pédagogique, même si ça reste relativement marginal (et sur la demande et donc à l’initiative de l’enseignant) :


Sylvie : par exemple, j’ai évalué les élèves en grande section… j’avais le support, et donc c’était à moi de les évaluer, pas seulement N., mais d’autres aussi… (Page 33)



Lalie : [l’enseignant] m’a demandé… si je voulais [m’occuper de préparer et mener une séance d’art visuel]… parce qu’il m’a dit « t’as pas à le faire, ça fait pas partie de tes fonctions », il m’a demandé si je voulais le faire, moi j’étais complètement d’accord, au contraire quoi… et euh… donc du coup oui (...) j’ai travaillé avec un petit groupe pour un projet artistique (...)…ça s’est renouvelé…(...) en fait c’était toute la classe qu’il m’envoyait en petit groupe... Ce projet là c’était mon projet, entre guillemet, donc c’était à moi de le faire jusqu’au bout avec les élèves… (Page 42)


Dans le travail individuel avec l’élève accompagné, il arrive également que les néos recrutés aient le sentiment de « rentrer un peu sur le pôle de la pédagogie », comme l’exprime Sylvie, surtout quand l’élève « n’écoute pas forcément ce qui était dit de manière collective » :


Sylvie : j’ai l’impression, oui, parfois de rentrer un peu sur le pôle plus de la pédagogie, de presque devoir leur expliquer moi-même euh… par exemple comment faire la division… en CM1, par exemple, qui l’ont appris il y a pas longtemps… et de… oui finalement de moi-même faire le cours, moitié, sur comment est-ce qu’on fait la division… et euh… donc de tout reprendre, reprendre toutes les bases (…) assez régulièrement… parce que parmi ceux que j’ai… enfin parmi les enfants que j’ai suivi, il y en a quand même plusieurs qui … n’écoutaient pas forcément ce qui était dit de manière collective…donc vraiment reprendre les choses, et puis euh… (Page 36-37)


Cette « impression » recouvre t-elle une réalité, ou Sylvie confond-elle la reformulation et la reprise des consignes et paroles de l’enseignant avec de la pédagogie ? Cette confusion sera sans doute invoquée par tous ceux qui souhaitent voir la pédagogie rester l’absolue monopole de l’enseignant – cependant nous estimons que ça n’est pas forcément le cas, et affirmons ici qu’il y a matière à recherche. Ce qui semble par contre sûr, c’est que le projet de devenir professeur des écoles et, pour Sylvie et Lalie, le fait d’être devenu AVS-i uniquement pour se donner toutes les chances d’y parvenir, a un effet sur le rapport à la pédagogie.



Pascal, dans le droit fil de son positionnement caractérisé par une importante autonomie dans sa façon d’occuper le poste d’AVS-i, est celui qui manifeste le plus de contact et d’investissement avec la pédagogie, mais aussi avec la didactique, puisqu’il devient parfois second concepteur – mais seulement pour l’élève qu’il accompagne :





Pascal : (…) souvent, quand je fais une proposition pédagogique, (…) en général on me dit oui avec un grand plaisir, hein… tout ce qui peut… tout ce qui peut heu… parce que souvent c’est des enseignants qui sont un peu démunis, qui savent plus comment… comment faire progresser l’enfant au niveau pédagogique… donc après nous quand on fait des suggestions bah… il y a pas gros risques à essayer de toute façon, donc en général ils sont plutôt contents…de tester des nouvelles choses, de voir si ça fonctionne ou pas. (Page 17)







Pascal : (…) ça m’est arrivé de produire [des dispositifs didactiques]… notamment pour les problèmes avec G., [qui est autiste et] qui avait de grosses difficultés à… pour… en situation de résoudre des problèmes… euh… de… de… d’écrire enfin de faire moi-même des problèmes adaptés à G., euh… alors… c’est toujours avec l’aval de l’enseignant, hein, je montre toujours à l’enseignant avant qui me dis oui ou non… mais ça m’est arrivé plusieurs fois bon tellement euh… bon je fais pas que ça non plus hein parce que c’est pas mon boulot, mais quand je vois que l’enseignant est un peu débordé, que moi j’ai un peu de temps et que je sais que je ferais ça en une demi-heure et que je sais que je vois très bien ce qu’il faut et… oui ça m’arrive de le faire, voilà… (…) après mettre des grilles en place aussi, d’évaluation euh… de l’enfant sur euh… sur ses progrès, sur l’attention par exemple, sur la concentration euh… en général les enseignants on leur demande ça ils disent « ah oui oui y’a pas de problème » sur le principe ils sont d’accord mais c’est toujours une grille en plus à faire, à cogiter sur euh qu’est-ce qu’on met d’dans… ou entre le moment où ils disent « ah oui oui, oui c’est une bonne idée » et puis le moment où ça peut être mis en place il peut se passer trois mois donc ça m’arrive de venir avec ma grille, de la proposer, « ça, ça te va ? » «  ah oui oui, très bien »… bon euh…et puis… et puis on avance comme ça quoi… (Page 17-18)




En matière de choix de système d’enseignement et, plus précisément en son sein, de conduite de classe, Pascal fait à nouveau montre de prise de position qui lui sont tout à fait exclusives. Par exemple, il explique ici de quelle manière il a parfois pris le prétexte des besoins et de l’intérêt de l’enfant qu’il accompagnait pour tenter de faire évoluer les choix de l’enseignant en matière de système d’enseignement ou de conduite de la classe :



Pascal : ce qui est un petit peu délicat c’est… y’a des moments donnés où le fonctionnement d’une classe n’est pas du tout adapté euh… à l’enfant qu’on suit…euh donc c’est pas toujours facile de remettre en cause face à l’enseignant sa manière de fonctionner… (…) des fois le... euh le… les mômes que je suis servent un peu de prétexte pour euh… faire changer le fonctionnement de la classe, même si c’est pas forcément pour le môme mais… c’est un peu dur de dire « aaaah c’est…. Tu les rends pas très autonomes, fais plutôt comme ça »… euh donc moi je m’appuyais souvent sur l’enfant que j’accompagnais : « ce serait bien pour cet enfant là qu’il accède à plus d’autonomie si ça fonctionnait comme ça » euh… « L’enfant que je suis y trouverait un peu plus son compte alors si tu as moyen de faire un p’tit peu plus comme ça, ça pourrait être bien pour c’t’enfant quoi »…(…) il y a des moments où je pensais un peu à la classe entière mais c’est ça qui est un petit peu frustrant dans ce boulot là c’est que au bout de… enfin moi j’étais emploi-jeune en plus, cinq ans, avant… donc à force de voir des dizaines et des dizaines de fonctionnement de classe, il y a des moments donnés où on a…enfin moi j’avais le sentiment que je savais ce qui n’allait pas dans la classe, je savais comment ça pouvait être amélioré mais bon… voilà après on est un peu obligés de rester à notre place aussi… donc y’a des fois ouais, je bous un peu de ça… et j’essaie quand même de faire passer certains messages en… prenant un peu le prétexte euh… de l’enfant que je suis, ce qui permet de rester dans mon rôle et … et du coup de pas… que ça passe plutôt bien quoi… (Page 13)




Dans d’autres circonstances, ce même positionnement a été mis au service de l’intérêt de l’élève qu’il accompagne :




Pascal : cette année là avec G., là c’est… l’enseignante fait beaucoup de transmissif à des tas de moments, où il y a qu’elle qui parle quasiment, et ça dure pendant une heure et demie... Donc, m… essayer de lui faire comprendre que bah moi quand c’est ça pendant toute la matinée avant la récré, après la récré, je sers à quoi dans l’affaire, à rien et que… et que si elle voulait faire du transmissif euh… voilà que c’était… que c’était… qu’c’était elle qui faisait ce choix là mais que ça serait bien qu’elle le fasse un petit peu plus quand moi j’étais pas dans la classe… (…) pour que le temps d’AVS-i soit efficace, quoi… c’est clairement comme ça que je le dis: « moi ça me gêne d’être trois heures à servir à rien dans une classe, c’est du gâchis… alors que si tu faisais tes cours transmissifs plutôt à des moments où je suis pas là, bah… Voilà ça réglerait un peu le problème… » Parce que là, à part dire juste toutes les deux trois minutes à G. «  chut, écoutes », on sert pas à grand chose… et puis au bout d’un moment, au bout d’une heure et demie, même nous ça nous gonfle, tu comprends très bien que G. il suive plus donc t’as même plus envie de lui dire qu’il faut qu’il écoute quoi, enfin… (Page 24)




Du côté du médico-social

Les professions intervenant au sein du secteur médico-social sont multiples. Nous l’avons vu, leurs émergences et leurs modes de professionnalisation sont étroitement liés aux évolutions des tensions et des rapports entre les trois pôles que constituent recherche scientifique, professionnels existants et modalités d’action politique.


« Les pratiques professionnelles ont accompagné ce mouvement [constitué de l’émergence de nouvelles catégories nosographiques et de redéfinition de l’action publique], créant à leur tour de nouvelles spécialités. Ainsi, on l’oublie trop souvent, l’orthophonie et la psychomotricité se sont progressivement dégagées de pratiques généralistes et se sont construites à l’origine dans les classes ou les groupes rééducatifs. Il en va de même pour la pratique de la psychologie, née au contact de l’école avant que de devenir clinique sous hégémonie médicale et renvoyer sa pratique scolaire à une version péjorative. » (Mazereau, 2009).



Il conviendrait d’approfondir l’analyse des différents modes de professionnalisation des métiers du médico-social ; dégager leurs modalités d’émergence, les allégeances techniques, disciplinaires et institutionnelles et les alliances sur lesquelles elles se sont constitués nous paraît la condition de la construction d’une vision globale des enjeux qui se sont sédimentés autour des politiques successives se donnant comme objectif de s’occuper de l’enfance handicapée. Aujourd’hui centrée autour de l’école du fait des principes de la loi de 2005, cette vision concerne directement les processus de scolarisation des enfants en situation de handicap et donc les accompagnants scolaires.

Parmi les métiers qui seraient à même d’être les objets de cette analyse, nous pouvons citer ceux de : éducateur spécialisé, moniteur éducateur, aide médico-psychologique (AMP), ergothérapeute, psychologue, psychiatre infanto juvénile, psychomotricien, orthophoniste, animateur socioculturel, assistant familial, auxiliaire de vie social, conseillère en économie sociale et familiale, éducateur de jeunes enfants, technicien de l’intervention sociale et familiale…etc.


En matière de relation avec cet ensemble de professionnel, on constate de très nettes différences entre les anciens et les néos recrutées, ce qui nous fonde à évoquer deux modalités très distinctes de relation avec les métiers du médico-social.


La position des trois néos recrutées de notre échantillon se résume à ce que répond Sylvie à une question concernant ce sujet :



Guillaume : (…) pas de relations particulières avec l’orthophoniste, psychologue, etc., ou les gens du CMP, autre que dans les équipes de suivi ?
Sylvie : non... non... (Page 40)



Il apparaît ainsi que les deux premières années d’occupation du poste ne sont pas celles où se trouve activée la possibilité d’établir des relations avec les professionnels du médico-social.

Cécile explique de la manière suivante cette évolution vers un plus grand sentiment de légitimité face aux participants des équipes de suivi de la scolarisation (ESS) :




Cécile : (...) ouais [ma place dans les équipes de suivi de la scolarisation, ESS] a changé avec le temps, ouais ouais, complètement… bah le temps de prendre de l’assurance, hein, quand tu as tous les professionnels qui sont là avec leurs jargons, leurs machines, leurs bidules, leurs trucs, du coup c’est … bah il faut s’imprégner de toute façon de … de ce milieu là, et puis euh… ouais ouais, je m’y sens complètement euh… complètement à ma place… (Page 21)




Elle et Pascal ont également noué des contacts avec certains professionnels du médico-social en dehors des équipes de suivi – vraisemblablement, le plus souvent, sur la base d’affinités interpersonnelles, surtout pour Pascal :




Guillaume : (...) comment ça se passe avec les professionnels du médico-social ? (…) [tu as] des contacts informels en dehors de l’équipe de suivi ?
Cécile : ouais… (...) notamment l’orthophoniste (…) j’avais besoin de savoir moi comment ça se passait… donc je l’ai rencontré… on s’est vu aussi sur d’autres gamins… euh [C., l’enseignante spécialisée de l’hôpital de jour du secteur], c’est pareil, surtout que… bon [elle] s’occupe des cas les plus difficiles… et en l’occurrence, il m’arrivait des fois que (...) je suive des enfants qui soient scolarisés aussi à l’hôpital (...) de jour…donc euh… donc des fois ils revenaient de l’hôpital de jour à l’école avec des conflits…et, suivant la nature du conflit, tu vois, moi je savais de qui éventuellement ça pouvait venir, d’une autre école, d’un enfant que je suivais tu vois (...) bon du coup j’appelle C. savoir s’il y a pas de problème et si du coup moi je devais gérer aussi la situation à l’école…donc euh… voilà, c’était plus des petites choses comme ça… (Page 22-23)






Pascal : bah alors l’hôpital de jour dans le secteur heu…c’est S. qui s’occupe de ça… (…) c’est l’enseignante qui gère l’hôpital de jour à l’école de C.… je la connaissais en fait…(…) de quand j’étais emploi-jeune, où elle… travaillait dans l’école, pas à l’hôpital de jour, elle avait une classe ordinaire… donc elle je suis en lien… elle s’occupe de F. et de G. et donc euh… ça c’est bien j’ai la moindre question, par exemple F. en ce moment je trouve que il est beaucoup moins dans l’effort de progresser qu’avant…(…) l’enseignante était pas trop d’accord avec moi sur ça, donc du coup j’ai appelé S. pour avoir son point de vue là-dessus… parce que je la connais (Page 30)




Il n’y a donc activation de relations interprofessionnelles entre AVS-i et professionnels du médico-social que dans certaines situations d’anciens recrutés, ce qui fonde, en la matière, à nouveau une occupation longue du poste comme une propriété nécessaire (mais pas suffisante)

Au sein des ces relations établies par Cécile et Pascal, ce dernier est à nouveau le seul à produire un positionnement marqué par la volonté d’influencer, de négocier, de prendre une place d’acteur. Il explique ainsi de quelle manière il s’est positionné sur une problématique qui, a priori, relève exclusivement du secteur spécial : nommer (ou pas) le handicap face à des parents qui en sont demandeurs :


Pascal : bah en général l’Inspection Académique ne nous dit pas le handicap, (…) moi j’ai un petit peu de mal avec le spécialisé là dessus, que ce soit l’IA ou les éducateurs des fois de l’IME ou du CMP c’est à un moment donné « non, non non c’est tabou, on n’a pas le droit de… »… ou on fait partie de l’équipe éducative ou on en fait pas partie mais il y a des moments donnés où euh… ça posait un petit peu problème il y a eu le même problème avec G. en fait où euh… (…) donc dans une réunion avec le CMP moi j’avais dit clairement « mais on sait ce qu’il a, G., au moins en partie, on sait qu’il y a des trouble autistiques, ce serait peut-être important de dire ça aux parents [qui sont très demandeurs]… » … et la réponse du CMP a été « oui mais on dit pas aux parents parce que on considère qu’ils ne sont pas prêts à l’entendre… » … donc moi là j’ai dit clairement que j’étais pas du tout d’accord avec eux, que au contraire la maman elle attendait que ça de pouvoir mettre un mot sur le handicap, et que ce serait bien qu’ils le disent parce que sinon c’est moi qui allait finir par le faire, et qu’effectivement c’est peut-être pas mon rôle mais que… donc le CMP a fini par dire aux parents… et un an et demi après quoi donc moi ça c’est des choses ouais que j’avais un petit peu de mal à comprendre…de mon point de vue… (Page 8)


Il explique également comment il a pesé pour que les temps de présence de deux enfants qu’il accompagne (depuis quatre et cinq ans) et qui fréquentent le même CMP soient fixés hors-temps scolaire, le mercredi :


Pascal : donc là je dirais aussi cette année, comme F. et G. que j’accompagne cette année sont dans le même groupe de CMP j’ai réussi à faire en sorte cette année qu’ils le fassent le mercredi… (Page 25)


Tous ces éléments font de Pascal l’AVS-i interrogé qui a clairement activé le plus de potentialités relationnelles parmi celles qui sont inscrites dans les propriétés du poste d’AVS-i, que ce soit dans le cadre de la classe, dans celui de l’école ou par rapport aux relations situées en dehors de l’école. De fait, la pratique de Pascal rend compte d’une situation où c’est très clairement les propriétés de l’individu qui occupe le poste qui dominent celles qui caractérisent le poste lui-même – et laisse également présager ce que pourrait être un poste d’AVS-i qui ne serait plus caractérisé par une rotation d’éternel débutant


Cependant, ce ne sont pas seulement les caractéristiques objectives du poste d’AVS-i qui influent seules sur les possibilités de relation interprofessionnelle : la structure plus générale du champ et de l’organisation des autres postes et institutions qui les emploient, ainsi que l’histoire du champ de l’éducation spéciale, génèrent elles aussi une tendance au cloisonnement, à la préservation jalouse de son territoire professionnel spécifique et tendent à produire un sentiment de « manque de temps » qui devient la cause « naturelle » du déficit de relations entre acteurs/agents des processus de scolarisation des enfants handicapés :



Cécile : (…) après on a pas forcément… pas forcément le temps de se voir, avec C. ou avec d’autres hein…des petits temps impersonnels avant ou après la réunion, enfin après tout le monde se barre pour aller au travail hein…donc c’est quand même assez speed… donc c’est vrai que ça c’est quand même un petit peu regrettable (...) qu’on ait pas un petit peu de temps quoi…de contact quoi… (Page 22-23)



Avec Pascal, la parole de Cécile permet de rendre compte d’une autre tendance profonde du milieu spécialisé qui est celle de l’hyper protection des enfants qui sont concernés par elle. Elle explique ainsi les éléments suivants, liée à la situation d’un élève, suivie par une orthophoniste (payée par les parents) que Cécile est allée voir :



Cécile : (...) Et puis là cette année, pareil, donc avec G., dyslexique, j’ai aussi vu son orthophoniste, pendant les vacances de, je sais plus, les vacances de la toussaint… je suis allé voir, ouais, je suis allé voir son orthophoniste, parce que là vraiment, j’étais … j’étais dépourvue quoi… j’étais vraiment dépourvue euh… c’était un gamin, voilà… bah à tempérament, voilà, il acceptait pas trop euh… dans la classe euh… j’ai du mal à me faire mon petit trou, à rentrer en communication avec lui…euh… et puis c’est pareil, c’est un gamin qui est hyper percutant, très intelligent…une très très grosse mémoire, une grande culture générale, donc il compense avec ça, il a pas à apprendre à lire… franchement, il s’en tape… il est pas intéressé…pas du tout… il est flemmard, voilà… et en fait j’ai vu son orthophoniste, qui m’a dit « ouais, faut compenser, faut compenser, à fond dans la compensation, euh… » Alors il faut savoir que pour G., en l’occurrence, là, c’est les parents qui ont fait une demande d’AVS-i, c’est pas l’école… donc il y a conflit, tout ça, etc. … et puis euh donc l’orthophoniste m’a fait « ouais, il va avoir un ordinateur, de toute façon il faut tout lui photocopier, à ce gamin… » j’ai dit « bah écoutez, j’ai plutôt l’impression qu’il a pas trop la culture de l’effort, donc si on compense à ce point-là euh… le môme à la limite, il a qu’à rester chez lui devant son ordi, il a pas trop besoin de venir quoi… dans ces cas là c’est… donc moi je suis pas partisane »… voilà, ça a été très clair, donc moi effectivement j’en ai parlé à l’instit, on a fait quand même… euh… voilà, essayer de gérer un petit peu, faire certaines photocopies etc., mais très très peu quoi et le gamin je le fais gratter, je le fais lire, et puis et puis il y prend goût quoi finalement aussi tu vois donc euh… donc voilà… donc ça permet aussi de voir le comportement du gamin est aussi lié au comportement de l’orthophoniste qui dit elle, « bah de toute façon euh, on va compenser, on va faire à ta place quoi… » (...) (Page 23)






L’éducation populaire


Cette partie se trouve entièrement construite (et justifiée) à partir d’un échange électronique que j’ai pu avoir avec Pascal, consécutivement à notre entretien. En effet, après avoir retranscrit les enregistrements, j’ai envoyé une copie papier de leur propre entreties aux six AVS-i interrogés, en leur demandant de me renvoyer, s’ils le souhaitaient, des informations et des remarques complémentaires. Voici ce que Pascal m’a répondu :



Pascal : F., pendant les vacances d'été entre son CE1 et son CE2, a été inscrit au centre de loisirs de son village pour un mois. La directrice était une ATSEM de l'école de F. Je la connaissait donc et la voyait à l'exterieur. Elle m'a annoncé à la fin de la première semaine de centre, que F. était très renfermé sur lui-même et que les animateurs ne semblaient pas très à l'aise pour entrer en relation avec lui. J'ai donc été au centtre de loisirs une demie journée pour expliquer à l'équipe comment on pouvait faire sortir F. de sa coquille. Après mon intervention, un animateur à découvert les aspect "fascinants" de la personnalité de F. et l'a pris sous son aile. La fin du centre s'est bien passé pour lui. Bien sûr, tout cela s'est passé de manière officieuse.



Il est tout à fait étonnant de constater que Pascal, tout à occuper son poste d’AVS-i et à en explorer la logique jusqu’à intervenir en dehors de l’école, réactive une des propriétés du poste tel qu’il existait dans les années 1990 au moment où il dépendait d’associations, à savoir le travail en centre de loisirs pendant les vacances scolaires – partie du poste qui n’a pas survécue au passage à l’éducation nationale en 2003. Il est ainsi allé transmettre son savoir d’initié à l’autisme, et plus particulièrement d’initié à l’autisme de F., à l’équipe d’animation travaillant dans le centre de loisirs. Une des antiennes de l’éducation populaire, « l’éducation de tous par tous » prend ainsi un relief tout particulier – d’autant plus que Pascal n’a pas ici cherché à se faire embaucher, ou à se rendre indispensable : une demi-journée de présence a suffit pour que F. parvienne à être abordé par des animateurs jusque là dépassés.


C’est ainsi qu’en sus des éducations scolaire, spéciale et familiale, nous pouvons ajouter au caractère interstitiel de la position du poste d’AVS-i l’éducation populaire, entendue dans le sens où nous l’avons ici préalablement définie. Il conviendrait d’explorer plus avant cette définition qui concerne une position mais aussi, incidemment, des potentialités dont l’activation se trouve dépendre de conditions sociales qu’il conviendrait d’identifier plus avant.








On le voit, la position de l’accompagnant scolaire est tout à fait inédite dans le champ éducatif français, située à mi-chemin entre éducations scolaire et spéciale, et empruntant également aux éducations familiale et populaire. Le travail en cours d’invention du poste, qui s’établit dans une relation dialectique entre les formes de son occupation et les orientations politiques qui pèsent sur sa destinée réglementaire, montre que l’inconscient social du poste travaille encore de manière puissante ceux qui se trouvent à l’occuper.

Les différents modes de professionnalisation des métiers historiques du champ invitent à penser que les héritages historiques (dont ceux de concurrence et de lutte de légitimité), incorporés et devenus dans de nombreuses pratiques professionnelles des impensés dont on se demande parfois s’ils peuvent devenir pensables (comme, par exemple, le fait pour un enseignant du premier degré de se retrouver dans le cadre symbolique de sa classe avec un professionnel non subalterne et possédant d’autres connaissances, complémentaires des siennes), sont d’une telle puissance dans nombre de situations que l’émergence d’un modèle nouveau de professionnalité tel que celui de l’accompagnement scolaire, qui emprunte à plusieurs espaces et temps éducatifs sans être adossé à une discipline spécifique, peut constituer tout à la fois une source stimulante de questionnements apte à ouvrir la possibilité du pensable aux impensés, et un vecteur important d’ordinarisation du spécialisé. Mais le champ d’investigation est large, et nous ne nous risquerons pas ici à prétendre répondre entièrement à cette question.

En tout les cas, rendre le spécialisé ordinaire n’est envisageable que dans les conditions réunissant tout à la fois : des possibilités de coopération dépassant les simples routines de concertation ou de collaboration, des possibilités de recherches scientifique travaillant ces questions, et des dispositifs faisant primer les objectifs de l’éducation inclusive sur les traditions enkystées caractérisant les relations entre ministères concernés. La structure du champ de l’enfance handicapée semble être en effet devenue structurante avec une force qui paraît empêcher toute évolution de se frayer un chemin hors des sentiers qui sont déjà arpentés, et dont on ne fait que changer les pancartes qui leur donne leur nom.

Les sciences de l’éducation se sont constituées sur un champ de recherche et dans une perspective de transdisciplinarité, et cette émergence semblait défier la tradition académique selon laquelle les disciplines et leurs traditions primaient. Dans un mouvement similaire, il semble bien, comme l’écrit Ebersold, que les professions – et pas seulement la profession d’enseignant – auraient tout intérêt à faire se déplacer leur centre de gravité professionnel de l’enfant (selon le précepte de « l’enfant au centre du système éducatif » édicté dans la loi Jospin de 1989) au projet (celui de l’Ecole en général, mais aussi, en ce qui concerne les processus de scolarisation, celui qui est attaché à un élève en situation de handicap).

« Avec l’entrée individuelle de tous dans le droit commun, nous entrons simultanément dans l’ère de la responsabilité collective des institutions ordinaires quant à l’accessibilité. (…). Il faudra bien que la verticalité des administrations laisse et aménage une place reconnue à de nouvelles formes d’horizontalité entre les acteurs de proximité, convoqués par l’accompagnement des enfants en situation de handicap. » (Mazereau, 2005).




Chapitre 4 : (Comment) Accompagner (qui ?) selon les besoins (de qui ?) ?




« Dans les établissements scolaires ordinaires, différents professionnels spécialisés sont en mesure de contribuer, d’une façon ou d’une autre, à l’accompagnement des enfants en difficulté diverses : enseignants, éducateurs ou rééducateurs de SESSAD, de RASED, de CMPP, etc. ».



Ce rappel de Belmont, Plaisance & Vérillon (2006) est utile pour introduire une analyse de la notion d’accompagnement. Cette dernière est certes le soubassement de la pratique des accompagnants scolaires, mais ces derniers n’ont en pas le monopole. Christine Philip (2009) note que si les AVS sont les seuls à pratiquer seulement l’accompagnement, un ensemble hétéroclite de métiers ayant une assise professionnelle existante s’est emparé de cette notion en la constituant comme une extension de leur propre activité (confère les métiers cités par Belmont, Plaisance & Vérillon, mais également ceux relevant du coaching d’entreprise, ou les pratiques de compagnonnage ressurgissant dans les discours sur la formation des enseignants, par exemple). L’accompagnement connaît ainsi depuis les années 1990 une faveur importante dans de multiples territoires professionnels. Partant de ce constat, et s’il est vrai que « ce qu’une notion gagne en extension, elle le perd en compréhension » (Philip, 2009), comment peut-on s’attacher à définir l’accompagnement ?


Etymologiquement, accompagner signifie « manger le pain avec ». Il y a donc dans les origines du mot un sens qui induit une proximité à la fois affective (on ne mange pas son pain avec n’importe qui) et physique (« manger avec » implique d’être côte à côte). Ce sens implique également un début et une fin, et fonde l’accompagnement comme un processus. Ces caractères originels sont là pour témoigner de ce que l’émergence récente de la notion comporte comme rupture avec des conceptions précédentes du « travail social » qui se trouvaient caractérisées par une technicité froide qui insistaient, ou était reçue et pratiquée comme semblant insister, sur la « juste distance » et une neutralité revendiquée qui se trouvaient vectrices de violence symbolique (évoqués par Jeannine Verdès-Leroux dans son ouvrage « le travail social » (1978)) ; autant d’éléments qui ont d’ailleurs sans doute été en partie à l’origine du fait que les pratiques du « travail social » dans les années 1970 ont été critiquées et réduites à la mise en œuvre d’un contrôle social au bénéfice des classes dominantes. En ce sens, et selon la perspective que l’on se donne, le succès de la notion d’accompagnement serait là pour démontrer qui un progrès dans les conceptions sous-tendant les pratiques des travailleurs sociaux, qui un nouveau procédé d’euphémisation permettant d’affiner la dissimulation d’un contrôle social toujours présent et sans cesse plus sophistiqué. Entre ces deux pôles idéal-typiques de l’analyse des évolutions – et malgré le fait que nous penchions vers un des deux –, il est de notre point de vue possible de construire une vision plus nuancée, avec l’objectif, tel qu’il a toujours fondé les progrès des sciences sociales, de dépasser les oppositions binaires.





« Depuis les années 1990, nous sommes graduellement passés d’une logique de protection par des droits sociaux spécifiques pour des catégories ciblées à une individualisation du social où domine la notion d’accompagnement. (…) La lente mutation du modèle français de protection qui forgeait des réponses institutionnelles pour des groupes sociaux définis connaît aujourd’hui une accélération : les besoins de la personne dans son environnement guident désormais les réponses en terme de compensation et de service. (…) L’école n’échappe pas à ce mouvement. » (Mazereau, 2005)



Cette perspective invite à considérer la question scolaire comme partie prenante de la question sociale, et non comme un univers entièrement spécifique et autonome ; les conditions et les formes de son hétéronomie doivent être posées et resituées dans un contexte plus large. En effet, ce mouvement général d’individualisation du social est tout à la fois un des produits et une des forces productrices de la logique d’intégration scolaire et de son prolongement l’inclusion ainsi que de l’accompagnement scolaire des enfants handicapés.


La vogue et la vague de l’accompagnement



« Avec l’accompagnement, on se trouve bien en présence d’une réalité qui, non seulement dépasse largement les champs disciplinaires et les acteurs professionnels, mais dont l’expression formelle et les usages donnent l’impression qu’il peut tout désigner. » Maëla Paul, 2004.



4.1.1 Un lieu commun

Maëla Paul a produit au début des années 2000 un travail sur l’accompagnement qui constitue une des premières tentatives d’élucidation aussi systématisée des réalités que cette notion recouvre. Son travail est de ce point de vue tout à fait remarquable puisque l’accompagnement constitue un objet notionnel et conceptuel qui rencontre depuis une quinzaine d’années un vif succès dans de multiples espaces sociaux et professionnels – et qui de fait se décline pratiquement et symboliquement de manière très différenciée.

Quel point commun entre les chômeurs, les malades, la parentalité, la création d’entreprise, les enfants et les personnes handicapées, les vieux, les élèves qui entrent en 6ème,  des jeunes qui fréquentent une formation en alternance ? Ils sont tous accompagnés, relèvent d’un accompagnement et ont (plus ou moins) à leur côté un accompagnant.

De fait, s’engager dans une démarche de construction d’un modèle d’intelligibilité de ce que recouvre l’accompagnement oblige, nous dit Maëla Paul, à « un double mouvement puisqu’il faut à la fois embrasser cette diversité et s’efforcer d’effectuer une démarche unificatrice » :




« [Pour] poser l’accompagnement comme objet d’étude, [il est nécessaire de] l’isoler de ses champs spécifiques (où il est devenu accompagnement de ceci ou cela) et d’ouvrir l’espace social dans lequel il ne trouverait que justification et non significations. » (Paul 2004)



Nous allons tenter ici de profiter des fruits du travail unificateur de Maëla Paul (et de l’excellente analyse de Lise Demailly) autour de l’accompagnement, c'est-à-dire, ramener une partie du résultat de leurs travaux, au « champ spécifique » de l’accompagnement scolaire des enfants en situation de handicap. Il s’agit, pour reprendre les termes de Maëla Paul, et malgré le retour au spécifique que constitue l’appréhension de l’accompagnement scolaire des enfants handicapés à l’école (avec les outils issus des travaux unificateurs), de privilégier la signification à la justification, et de permettre de rentrer encore plus avant dans la compréhension et l’intelligibilité de ce qu’est le poste d’AVS-i.



« Le mot « accompagnement » fleure bon les connotations positives : le pain partagé, la fraternité, la solidarité. Il repousse la solitude, mais aussi le contrôle. Dans notre époque avide de marketing symbolique, il fait fortune. » (Demailly 2009)



L’accompagnement est ainsi un lieu commun, au double sens du terme : notion naturalisée, elle est aussi une référence commune pour nombre de postures professionnelles – qui va d’ailleurs croissant. Paraissant tout dire mais ne disant en fait rien du tout, elle semble constituer un paradigme émergeant des métiers du relationnel, c'est-à-dire l’ensemble des postes qui sont construits sur la nécessité première de relations de celui qui l’occupe avec d’autres agents sociaux et/ou d’autres postes.


La question qui se pose à présent, maintenant que nous avons rapidement cerné la mise en question de la référence que constitue le terme d’accompagnement, est celle de son origine et, surtout, de l’origine de sa « fortune ».





4.1.2 Délitement et professionnalisation du lien social



« Ce que recouvre sociologiquement ce joli mot, écrit Lise Demailly en 2009, c’est à notre avis d’abord l’explosion du travail et des métiers relationnels dans la société. »


Il s’agit en effet d’une des caractéristiques de ces trente dernières années que d’avoir vu les métiers dits « relationnels » se développer. Majoritairement féminins, majoritairement relevant des secteurs publics étant dans la ligne de mire des « politiques de l’ajustement » économique (le soin, l’aide, le soutien, l’éducation, l’enseignement), l’émergence de ces métiers est concomitante à la dégradation du lien social et constitue, selon les termes de Lise Demailly, une forme de « professionnalisation du lien de soutien ». Cela est permis, d’après elle, par une triple demande sociale, tout à la fois individuelle, collective et institutionnelle.

Les transformations des géographies de l’emploi et de la mobilité, la consécration (différenciée) d’une vision individualiste de la société, les nouvelles formes de technologie de la communication, constituent (parmi d’autres) des matrices importantes pour bien comprendre le délitement du lien social (et sa recomposition) – et les nécessités de construction des demandes sociales qu’évoque Lise Demailly, qui ont bien sûr, selon qu’elles sont individuelles, collectives ou institutionnelles, des logiques et des économies différentes, mais qui ont toute en commun de souhaiter (voir se) combler (certes différemment) les espaces sociaux laissés vacants par les nouvelles formes de socialisation.

Lise Demailly modélise de la manière suivante ce qu’elle nomme les « conditions sociales de la professionnalisation du travail relationnel » :

psychologisation des problèmes sociaux
processus de formalisation et d’objectivation de l’interaction avec autrui et de la catégorisation des conduites d’autrui. 


De notre point de vue, les deux éléments que sont :


1- l’individualisation de l’accompagnement des enfants en situation de handicap scolarisés « dans l’école de leur quartier », pour reprendre les termes de la loi de 2005, individualisation qui repose sur le postulat selon lequel seul l’élève accompagné est susceptible d’être l’objet des interventions de l’AVS – ce qui correspond en tout point à une forme de « psychologisation » ;

2- ainsi que les tentatives récurrentes depuis dix ans de formaliser leur pratique dans des documents sur lesquels est pris un appui (militant) pour proposer la création d’une véritable profession…


…forment bien les conditions sociales d’une professionnalisation, selon ce qu’expose ici Lise Demailly. Ceci confirme bien, s’il le fallait, que l’existence et l’activité des AVS-i relève également du mouvement ici décrit – et dont l’analyse ne peut faire l’économie, sous peine de tomber dans une forme aiguë de réductionnisme.

Délitement et recomposition du lien social, professionnalisation de liens de soutien auparavant assurés de manière « naturelle » et non professionnelle : ces éléments ne seraient pas suffisants pour esquisser un modèle de compréhension de ce qui se joue dans la consécration de l’accompagnement sans la mention de l’impératif de performance et de ses corollaires (évaluation, excellence, efficacité, équité, etc.). A l’instar de l’inclusion, et avec elle, ces mots charrient avec leur utilisation un monde et une vision du monde – qui, à défaut d’être forcément les mêmes, entretiennent à tout le moins une forte parenté. Cet impératif, qui s’actualise dans une forme d’idéologie managériale directement issue d’une conception individualiste de la société, rencontre les éléments précités pour former cette réalité qu’est la consécration de l’accompagnement dans toutes ses formes :


« La conjonction de l’effritement du lien social et des injonctions d’excellence et d’efficacité font le lit du développement du relationnel. Et le besoin d’euphémisation de la dureté du monde social fait celui du mot « accompagnement » pour penser le travail relationnel », résume Lise Demailly.


Pour autant, une attention minimale à notre sujet montre rapidement que le processus de professionnalisation des liens de soutien préexiste assez largement au succès de la notion d’accompagnement : le métier d’assistante sociale date du premier quart du 20ème siècle, celui d’éducateur de 1968, pour ne citer que ceux-là. Une grande partie de ces professions étaient en fait déjà formalisées avant que ne soit consacré la notion d’accompagnement, qui apparaît ainsi venir (ou être saisie) comme une extension à des professionnalités déjà existantes, qui se sont formalisées sans elle (et ce qu’elle recouvre).

Tout se passe ainsi comme si les postures d’accompagnement, tout autant que la faveur qu’a acquis cette notion ces quinze dernières années, étaient bien faites pour constituer une manière de combler des espaces, des temporalités et des postures laissées en quelque sorte vacantes par les processus de formalisation des professions antérieurement constituées ; comme si le processus historique de technicisation et d’instrumentation des professions historiques de la relation (qui se trouve actualisé juridiquement parlant par la définition des postes comprenant la définition des tâches et des actes professionnels) avait eu comme conséquence un rétrécissement du spectre de l’action possible de ces professions, et que ce rétrécissement (pendant de la technicisation des éléments retenus pour définir les postes) avait conduit à laisser en quelque sorte vacants (et manquants) un ensemble de tâches et d’espaces de relation se trouvant actuellement en état de nécessité historique d’activation et aujourd’hui investi par l’ensemble des pratiques se réclamant de « l’accompagnement » – qui serait ainsi un phénomène de résurgence par défaut de postures et de tâches professionnelles négligées par les processus de professionnalisation.

Partant, que peut-on dire de ces espaces, temporalités et posture qu’investit aujourd’hui l’accompagnement ? Comment tenter de définir ce dernier ?



4.1.3 Définir l’accompagnement : une notion en tension

Si une partie du lien social est en cours de professionnalisation, il n’en reste pas moins que cette transformation (processuelle) de formalisation et de mise en procédure du lien de soutien n’empêche pas que la nature relationnelle demeure :



« Ainsi le « lien d’accompagnement » est-il cette tension ambivalente entre don et service contractualisé (donner de soi à autrui et être payé pour le faire) », écrit Maëla Paul 2004.



Donner de soi dans le lien et être payé pour le faire : voilà le soubassement de la notion, et voilà la matrice de toutes les tensions qui la définissent.



« De ces nouveaux accouplements émergent des pratiques qui tentent de s’ajuster à la fois aux injonctions politiques et à la demande particulière ». (Paul 2004) 



Cette tension première se décline de multiples manières ; on trouve ainsi des tensions entre « le souci de l’autre et les instances de pouvoir qui l’utilisent à leurs propres fins, ou encore entre une notion qui procède du bénévolat (donc du don de soi) et de la professionnalisation (l’implication de soi) », soit entre mandat (donné au professionnel par une instance de pouvoir) et demande (émergeant – ou non – de la catégorie spécifique à laquelle l’accompagnement est destiné).



Maëla Paul, dans son travail sur l’accompagnement, a analysé le champ sémantique du verbe accompagner. Elle note que lui sont attribués trois synonymes, chacun attachés à un registre d’action qui forment un espace d’intelligibilité cristallisé dans l’accompagnement :





escorter (registre du soin, de la protection, de l’aide, de l’assistance)

guider (registre du conseil, de l’orientation)

conduire (direction (conduite à tenir), registre des fonctions éducatives, instruire, enseigner, élever, éduquer, former, initier.)




« Tout le matériel synonymique recueilli, apparemment disparate, est en fait solidement (mais implicitement) lié par l’idée de « veille ». Il y aurait donc au fondement de l’accompagnement des figures anthropologiques essentielles, figures associées aux idées de lien, de passage et de passeur, de portage et de veille. »



Cécile explique ci-dessous la façon dont elle présente aux enseignants (qui, du fait qu’elle soit une ancienne recrutée (2004), n’ont que rarement déjà travaillé avec des AVS-i) sa manière de travailler, et la façon dont elle conçoit son travail :



Cécile : j’arrive, j’explique aux enseignants ce que c’est le rôle de l’AVS-i, je dis « tu vois un… un maître sauveteur… un maître-nageur, tu vois, à la piscine ? Et bah moi c’est le même principe…je suis là, tu vas avoir l’impression des fois que je ne sers strictement à rien, [rires]… et pourtant je suis là, s’il y a un pépin je suis là, et voilà je suis là en observation, je suis là en écoute, je suis là… pour adapter, mais en même temps pour m’effacer au maximum, enfin c’est…. » C’est … c’est compliqué d’être AVS-i [rires]… (Page 26)



L’idée de veille sous-tend de manière très claire l’évocation que Cécile fait ici de la comparaison avec le rôle du maître nageur. La veille apparaît ainsi comme le soubassement de la pratique des AVS-i (telle qu’elle est habitée par Cécile, mais aussi par les autres anciens recrutés, qui tous abondent dans leur explicitation de leur pratique centrée autour de « l’observation ») – ou, plus précisément, une nécessité potentiellement inscrite dans les propriétés du poste. La tension que la veille inaugure se situe entre les moments où cette dernière domine et les moments où « il y a un pépin », comme le dit Cécile ; en d’autres termes une tension entre les moments où priment « l’observation » « l’écoute » et « l’effacement » et ceux où l’escorte, le guidage ou la conduite, pour reprendre les termes de Maëla Paul, prennent le relais.


Une psychologue scolaire, intervenante sur un forum dédié à la « psychologie, à l’éducation et à l’enseignement spécialisé » parle en ces termes du positionnement de l’AVS-i et de sa relation avec l’élève qu’il accompagne :



« Je vous donne la définition de la foule primaire de S Freud : c' " (....) est une somme d'individus, qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en conséquence, dans leur moi, identifiés les uns aux autres." (p181, édition Payot) (…) Si je développe ce point c'est pour marquer que l'AVS-i vient en rupture avec ce lien identificatoire, ou du moins, qu'il vient colmater la brèche qu'ouvre la confrontation à la norme pour l'enfant en situation de handicap dans ce groupe de 'pairs'. L'enfant accompagné de son AVS n'est pas pair, il est pair et impair, il est différent dans ce groupe qui tend à l'homogénéité et à l'identification des moi. Le travail de l'AVS est alors un travail d'équilibriste : il est là pour permettre cette identification de l'enfant avec un handicap au groupe de la normalité tout en signifiant, ne serait ce que par sa présence, le point même de cette différence. Avoir un handicap ne signifie pas avoir un AVS mais avoir un AVS signifie avoir un handicap. Donc, le travail de l'AVS ne peut fonctionner que si il existe une complicité fine entre l'enfant et l'adulte qui permettra à ce dernier de deviner quand il doit s'effacer pour laisser à l'enfant l'expérience du pair et intervenir quand l'impair est incontournable. Cette complicité ne s'enseigne pas à mon sens, en deux ou trois jours de formations rapides, ça demande un réel travail sur soi et de savoir apprendre de sa propre expérience. On dit souvent en psychanalyse que c'est l'enfant qui nous fait advenir parents, je pense également que c'est l'enfant et la façon dont il s'accommode de son handicap qui fait advenir l'AVS. »



Cette (rapide mais néanmoins) fructueuse lecture issue de la théorie psychanalytique vient, avec son propre outillage théorique, et donc d’une manière spécifique, appuyer ce qu’explique Cécile à sa manière, et ce que pointe Maëla Paul :



« L’enfant accompagné de son AVS n’est pas pair, il est pair et impair (…) [l’AVS] doit deviner quand il doit s’effacer pour laisser à l’enfant l’expérience du pair et intervenir quand l’impair est incontournable ».



Le « pépin » dont parle Cécile, et qui fait descendre le maître nageur de sa posture d’observation, peut donc correspondre à ce moment que décrit une approche psychanalytique et qui correspond à une rupture de « l’expérience du pair » et à une l’irruption, « incontournable », de l’impair.


Ces éléments sémantiques et cette courte analyse, fournis ici pour éclairer a minima les lecteur et lectrice quant aux tensions fondatrices (et caractéristiques) des pratiques de l’accompagnement, renvoient, à ce qu’implique de rendre professionnel une relation humaine, entre mandat et demande : sur quoi doit-on veiller ? A quelle fin doit-on guider ? Qui doit-on escorter – et pour protéger contre quoi ? Qui détermine la direction (et le sens) à prendre ?

C’est ainsi que Maëla.Paul ajoute très justement, comme pour illustrer la série de questions ici posées, qui renvoient directement aux analyses de la sociologie conflictualiste :


« Ces figures ne doivent pas faire négliger un possible glissement des fonctions de veille comme dimension éthique et expression de la sollicitude envers autrui – aux usages de la veille comme gestion sociale ou technique. »


« Veiller », sur le fil d’une ambivalence et d’une tension jamais résolue entre le souci de la personne accompagnée et l’instance de pouvoir qui emploie et encadre l’activité, à parfois guider, parfois conduire, parfois escorter : tel est l’accompagnement. Cette brève et condensée définition est la bienvenue pour aborder à présent spécifiquement l’accompagnement tel qu’il concerne les AVS-i, et relativement aux propriétés du poste définies dans le chapitre 3.


Les cordes de l’instrument accompagnement

Les pratiques et postures de l’accompagnement

En suivant les sillons que tracent l’analyse de Maëla Paul sur le champ sémantique du terme accompagnement, on constate donc que parfois l’action relève du guidage, parfois de l’escorte et d’autres fois encore de la conduite : n’y a t il donc, pour caractériser l’accompagnement, aucune référence unique ? Maëla Paul nous fournit, pour répondre à cette interrogation, un rappel bienvenu d’un personnage de la mythologie grecque : Protée. Ce dernier a la faculté de prédire l’avenir et de changer de forme ; c’est cette dernière capacité qui fonde l’auteur à l’affilier directement à la posture spécifique de la pratique de l’accompagnement – tout comme la postérité à utiliser Protée pour former l’adjectif protéiforme –. Elle explique que son émergence témoigne du passage d’une logique de « prise en charge » à une logique de « prise en compte », puisque les formes successivement prises le sont, théoriquement, en fonction des besoins de la personne accompagnée. Son analyse dévoile que l’accompagnant doit : 



« (…) s’engager tout en se situant en retrait, s’impliquer tout en s’effaçant, sans cesse s’adapter, s’ajuster, changer de registres (…) [Il doit en outre] ne rien prescrire, mais ne pas renoncer à faire progresser, proposer mais ne jamais imposer ».



Prenons connaissance de ce que nous expose Cécile à propos de l’adaptation, de l’ajustement, du changement de registre :




Cécile : (...) j’observe surtout bah l’enfant, les interactions, le comportement, etcetera, etcetera, et puis ensuite bah je … me positionne, alors ça va dépendre euh… je me positionne un petit peu en retrait… des fois, suivant les besoins, soit je vais aller vers lui, je vais me… retirer, enfin tu vois… soit j’ai besoin de rester d’une manière permanente avec lui, ou alors du coup par moment je vais faire des tests, tu sais… «  Je vais voir ce que tu es capable de faire… » Enfin voilà, c’est toujours (...) hyper modulable, en fait tout ça… (Page 30)




« Autant dire, écrit Christine Philipp en 2009, qu’il s’agit là d’un de ces métiers impossibles où, quoique nous fassions, nous risquons toujours de nous tromper et d’être à côté de ce qu’il aurait fallu faire. » L’analyse de Maëla Paul dévoile également que l’accompagnement est une pratique paradoxale, dont témoignent les oppositions précitées qui l’animent. Enfin, elle dévoile (et nous souhaitons que la présente contribution y participe) que cette pratique contribue à une recomposition du rapport au savoir, à l’expertise et à la technique ; en ce sens, elle rejoint complètement l’analyse de Philippe Mazereau qui écrit en 2005 :




« Si on s’attarde sur cette question du savoir, il nous faut admettre que l’accompagnement, en tant que nouvelle posture professionnelle, ne va pas manquer de susciter de nouvelles formes de modélisation des pratiques. (…) [Elle ne va pas manquer également de forcer à] reconsidérer la hiérarchie des savoirs produits. Nul doute que des recompositions sont à venir (…) entre des savoirs construits, pour beaucoup, à partir de vision déficitaires et généralisantes des personnes en situation de handicap et des savoirs construits à partir de l’expérimentation des capacités de ces mêmes personnes. »



Maëla Paul liste dans son ouvrage les quatre postures professionnelles de l’accompagnement. Cette typologie pourrait servir de grille d’analyse à une recherche spécifique. Nous allons ici seulement tenter d’illustrer ces quatre postures, et illustrer du même coup le fait qu’aucune ne prédomine complètement dans une pratique d’accompagnement ainsi que l’illustre bien la référence à Protée qui fait comprendre que, selon l’évaluation des situations, il y a de manière incessante passage de l’une à l’autre de ces postures.



Pourvoyeur. Objectif : fournir. Modèle médical, scientifique. Logique de diagnostic/pronostic. Prescription, remède, recette, logement, subvention, emploi, etc. La personne est « l’objet » de la relation. Rôle d’expert.

Ici, Pascal explique fournir une grille d’évaluation de l’élève autiste qu’il accompagne – mais il la fournit à l’enseignant :




Pascal : (…) l’enseignant est un peu débordé, (…) moi j’ai un peu de temps et que je sais que je ferais ça en une demi-heure et que je sais que je vois très bien ce qu’il faut… (…) mettre des grilles en place (…), d’évaluation euh… de l’enfant sur euh… sur ses progrès, sur l’attention par exemple, sur la concentration euh… (…) ça m’arrive de venir avec ma grille, de la proposer, « ça, ça te va ? » «  ah oui oui, très bien »… (Page 17-18)




La posture du pourvoyeur questionne de manière particulièrement frappante le thème de la pédagogie (et de la didactique) : si on considère que le « temps en négatif » de la pédagogie qu’est la didactique (selon l’expression de Philippe Meirieu), peut être considéré comme un avatar du modèle médical (diagnostic/pronostic, position d’expertise, objectif de « fournir » un support construit au travers de compétences techniques et scientifiques), alors quelle est, dans les pratiques développées entre AVS-i et enseignant, les parts respectivement prises par chacun, et au-delà des crispations induites par des défense de principe de territoire professionnel, sur les deux pôles de la didactique et de la pédagogie ? Il apparaît essentiel de produire des recherches spécifiques sur ces questions.

Seulement, la période historique où des AVS-i ont pu occuper le poste pendant plusieurs années semble clairement s’achever (certains, AIS associatif puis AVS-i, l’ont occupé pendant plus de dix ans), et les conditions majoritaires d’occupation du poste semble imposer à l’analyste de ne plus se préoccuper de ce qui n’apparaît plus que comme des phénomènes marginaux. Cependant, aux vues des éclairages apportés par ce présent travail, postuler qu’il est préférable d’étudier les pratiques majoritaires issues d’une très faible durée d’occupation du poste revient à habiter le postulat préalable que le poste d’AVS-i n’a pas vocation à produire des nécessités de positionnement professionnel, voire à souhaiter prouver (en se donnant toutes les chances d’y parvenir) que la logique qui sous tend son existence est plutôt néfaste aux objectifs inclusifs. Pour éviter cet écueil (proprement idéologique), nous ne pouvons que souhaiter que les chercheurs se tournent (rapidement) vers les quelques dizaines d’AVS-i qui, sur le territoire national, sont passés au travers des mailles du filet de la limitation de durée d’occupation du poste, en ayant eu la chance de pouvoir bénéficier des conventions de reprise par les associations au terme de leurs six années d’assistant d’éducation.


Intercesseur. Objectif : prendre part à une action, à un processus, influer sur son déroulement tout en se situant en extériorité et en position d’autorité. M. P. écrit : « entre se constituer comme tiers ou bien n’être qu’un relais provisoire dans le rétablissement d’un circuit communicationnel, ou commercial, les dérives sont connues : immixtion, intrusion, ingérence, interposition ».





Cécile : (...) le gamin il est dehors et (...) il veut pas rentrer, bah tu vas le voir et tu vas lui demander, quoi... bah il t'entend... une opportunité, un oiseau qui se pose sur la cour, un chien qui... tu vois la dernière fois, j'étais là (...), et à un moment donné il y a un chien qui est passé près de lui... il passait pas du tout dans l'école, il était près du grillage quoi... bah j'en profité, j'ai dit « oh attention, là, j'aimerais bien que tu rentres parce que là il y a un chien, tu crois qu'il est gentil ou méchant ? »... tu vois, le gamin bah du coup il était resté comme ça concentré... « Oh bah euh je crois qu'il est gentil... » À aucun moment il a pensé qu'il fallait qu'il se barre parce que je venais le chercher...j'ai été m'asseoir à côté de lui, on a parlé du chien, on a abordé ses trucs, il a fini par rentrer avec moi, quoi... ça fait un quart d'heure, mais fallait saisir le bon créneau, fallait... fallait voilà... donc euh.... mais des fois t'as pas le temps... (Page 47)





Les moments où la veille et l’observation s’interrompent peuvent, nous l’avons évoqué, être consécutifs à l’irruption de l’impair pour l’élève accompagné. Cette forme de désaffiliation (caractérisée par une forte plasticité, une évolutivité et une différenciation inter et intra individuelle) interne aux dynamiques de la classe peut, si elle est dominante, faire souffrir l’élève concerné, et ainsi faire naître des comportements exprimant cette souffrance (et/ou ce ras-le-bol). Par exemple, comme ici, refuser purement et simplement de seulement tenter de redevenir pair, refuser toute tentative pour se réinscrire dans le rythme collectif. Cécile habite ici la posture d’intercesseur, c'est-à-dire que, avec autorité (et avec ruse), elle « prend part à un processus » consistant en un retour dans le groupe des pairs et dans l’espace et le rythme commun. Cependant, elle « prend sa part » seulement, c'est-à-dire qu’elle conserve une forme d’extériorité. C’est le petit garçon qui décide lui-même de revenir. Une autre forme de posture d’intercesseur, caractérisée par une « dérive » comme l’écrit Maëla Paul, aurait pu consister en une intervention physique musclée destinée à ramener de force l’élève dans la classe – et il est tout à fait certain qu’en l’absence de ressources nécessaires pour faire autrement, c’est le choix que font nombre d’AVS-i dans des cas similaires.



Interprète. A la fois séparation et jonction, limite commune entre deux éléments (ou états, lieux, etc.) « Traducteur ». « Pas viser le changement, mais la réalisation, dans l’ici et maintenant de la relation, d’un ‘quelque chose qui doit se passer. ».


Sylvie : il fallait en tout cas que je lui répète les consignes… en tout cas… (…) ça dépend des moments, mais en tout cas la consigne en elle-même il l’écoutait pas souvent, [ni] la maîtresse… (p.16)


La posture d’interprète concerne probablement une des postures les plus habitées par les AVS-i, puisque c’est celle qui caractérise tout ce qui relève de la position située entre le système d’enseignement habité par l’enseignant et l’élève lui-même – et notamment tout ce qui relève de la reformulation des consignes. Nous pouvons considérer comme une forme d’aboutissement de la professionnalité de l’AVS que de savoir identifier quand cette « interprétation » est nécessaire et quand elle ne l’est pas – étant bien entendu qu’elle peut ne pas l’être y compris lors de moments où la position de « veille » sera retenue pour observer les potentialités de l’élève et lui permettre de les tester, ainsi que ses propres limites, afin éventuellement d’identifier lui-même les moments où il y a réellement un besoin.


Passeur. Opération de médiation. Comme l’interprète, « met en correspondance des mondes séparés ». M. P ajoute : « mais il y a dans cette posture l’idée d’un point de vue ou d’une limite qui ne peut ou ne doit pas dépasser l’influence ou l’action, une idée de seuil à ne pas franchir : le gué se franchit seul. Ces passeurs font à la fois fonction de témoins et d’opérateurs (au sens littéral du terme) : des « ouvreurs ». Ils ne s’appuient pas sur un savoir : leur aide est fondée davantage sur une aide existentielle que sur des techniques, reliée à leur propre expérience des ruptures et des passages, et sur la conscience de ce que ces épreuves ont ouvert. » (Paul 2004)


Pascal : j’[ai] rencontre des profs du collège [qui est à côté de l’école primaire, NDR], donc j’ai pu leur parler du cas de G., donc j’ai réussi à obtenir qu’il ait pas mal d’enfants de [sa commune] qui soient dans sa classe pour qu’il soit pas trop paumé, qu’il soit dans une classe où on le change quasiment jamais de lieu de classe à part pour les enseignements spécialisés, les sciences et la technologie… qu’il se retrouve dans une classe au rez-de-chaussée pour pas avoir à circuler partout dans l’établissement… donc là je suis assez content …(Pages 31-32)


L’action de Pascal, qui constitue de notre point de vue une des potentialités les plus difficiles à activer (ou dont les conditions sociales de possibilité d’activation sont, au regard de la situation actuelle du poste d’AVS-i, parmi les plus rares), illustre bien la posture du passeur. « Le gué se franchit seul », Pascal n’accompagnera plus G. au collège, mais ce dernier, s’il fera ce passage seul, pourra s’appuyer sur des éléments concrets qui proviennent directement de l’action de Pascal, ce dernier s’appuyant bien sur une « aide existentielle » et non pas sur des techniques ; c’est son expérience (probablement pas la sienne propre, mais celle qui concerne l’expérience qu’il a des expériences possibles liées à l’autisme de G.) qui fonde son action, et non pas un savoir dégagé d’une inscription et d’une origine proprement pratique.


Ainsi la typologie construite par Maëla Paul nous permet-elle de progresser dans l’intelligibilité de la pratique des AVS-i. Il n’est pas question néanmoins ici d’essentialiser la pratique des AVS-i, qui dépend de toute façon du cadre de leur emploi (définition du poste, recrutement, conditions de formation, d’occupation du poste, conditions de travail, etc.), déterminant très largement les conditions sociales de possibilité d’occupation du poste, cette dernière étant la matrice de la différenciation importante qu’on peut constater dans la forme que peut revêtir les pratiques.


Dans une autre perspective que celle de Maëla Paul, Lise Demailly (2008, 2009) a également produit une typologie des registres d’action de l’accompagnement, qui constitue un outil important pour appréhender les formes qui peuvent revêtir ces pratiques.




Les registres de l’accompagnement


Le travail de Lise Demailly pourrait de notre point de vue constituer une ressource tout à fait décisive pour la construction d’un travail cherchant spécifiquement à appréhender les différentes occupations possibles du poste en fonction des conditions sociales de son occupation – beaucoup plus, à notre sens, que celui de Maëla Paul. Ces deux chercheuses se rejoignent pourtant dans l’affirmation selon laquelle leur typologie présente des catégories qui fondent l’ensemble des pratiques relevant de l’accompagnement – et qu’ainsi aucune d’entre elles ne peut être considérée comme une référence unique de ces pratiques :



« La plupart des métiers du relationnel ne relèvent pas d’un registre déterminé (…) mais de plusieurs, consubstantiellement. La variabilité concerne aussi les individus, ou les traverse. » (Demailly 2009)



Une analyse spécifique portant sur les différentes formes d’association de registres d’action qui peuvent émerger de la pratique liée au poste d’AVS-i selon les différentes conditions sociales de son occupation pourrait ainsi aboutir à la mise en forme d’une typologie fine et élaborée permettant de construire une pensée relationnelle entre, pour paraphraser Francine Muel-Drefus, « l’histoire sociale des individus » et « l’histoire sociale du poste », et ainsi aboutir à déterminer ce que les politiques déterminant les dispositifs de recrutement, de formation et les conditions d’occupation du poste induisent comme forme dominante d’occupation du poste et, incidemment, comme effets dans le champ concerné.


Prenons donc connaissance du tableau construit par Lise Demailly :



RegistresBut de l’action
Statut d’autrui
Priorité
1
Éducatif

Transformer l’habitus de l’autre de l’extérieur.Une personnalité (un groupe, une population) encore en construction, améliorable.
Mandat

2
Didactique, de l’instruction
Adapter, socialiser, insérer, réadapter, resocialiser, réinsérer, former. Transmettre des savoirs et des savoir-faire, agir sur le cognitif d’autrui
Autrui est capable d’apprendre.

Mandat

3
Analytique

.Faire accéder à la scène de l’inconscient,
en réponse à une demande.Autrui (un individu, un sujet) exprime la demande qu’on l’aide à trouver l’étranger en soi, pour résoudre divers problèmes existentiels.

Demande

4

Thérapeutique
Réparer, remettre en état, rééquilibrer. Favoriser le retour à un état de non souffrance somatique ou psychique
Autrui (un individu, une population) est en état de défaillance de l’auto équilibrage et de l’auto soin.

Mandat

5
Commercial/
mercaticien

Promouvoir, visibiliser, séduire et installer de la confiance pour vendre un bien, un service, une idée, soi-même, son expertise.Autrui est solvable et peut être intéressé par le service au point de l’acheter. La relation est transactionnelle.

Demande
6Assistanciel (et caritatif).Aider directement ou organiser l’aide,
fournir des éléments dont autrui a besoin
et qu’il demande. Secourir.Autrui est dans le besoin, mais il a la liberté de refuser l’offre proposée.
Demande


7
Du management


Faire travailler autrui, l’encadrer.
Autrui a besoin d’un encadrement pour s’organiser, se mobiliser, s’impliquer, avoir une vision d’ensemble des contraintes du travail et de sa propre utilité dans les organisations productives.

Mandat

8De la persuasion (influence, suggestion, séduction, propagande)Produire des modifications dans les conduites et représentations d’autrui. Créer des désirs. Créer des images. Inventer des mots qui vont tenir les imaginaires et influencer les corps.
Autrui est influençable, manipulable, suggestible.


Mandat

9
Hiérarchique/ bureaucratique
Appliquer à l’individu concerné des règlements définis par une instance supérieure, obtenir l’assujettissement, l’obéissance, la conformité.
Autrui est censé respecter la loi et la règle ou avoir peur des sanctions.

Mandat

10
Du conseil, du coach,
du soutien, de l’accompagnement

Fournir de l’aide physique ou psychologique selon la demande et les objectifs de transformation exprimés par le destinataire, le conseiller, lui fournir de l’expertise, l’écouter, l’accompagner, le suivre.
Autrui a une demande d’aide qu’il sait formuler, même si elle évolue en cours de travail et si l’autonomie d’autrui s’accroît.
On respecte sa demande.


Demande11
Sécuritaire, punitifExercer la violence légitime.Autrui est un assujetti à surveiller et punir.
Mandat
12
De l’intervention
Influencer, persuader et en même temps suppléer (faire pour, faire à la place de, surveiller et passer à l’action si nécessaire).
Autrui est quelqu’un à qui l’on veut du bien pour son bien.


Mandat




Nous proposons ici, en guise de prolégomènes à une telle recherche, un tableau, qui ne prend son sens que dans la juxtaposition avec le tableau construit par Lise Demailly. Il est notable d’ajouter que la différenciation que caractérise l’activation (ou non) de tel ou tel registre dépend également, outre des conditions sociales d’occupation du poste et de l’habitus de celui qui l’occupe, du type de handicap de l’élève.




RegistresSituations potentiellesRegistresSituations potentielles
1

EducatifOù l’AVS-i participe à l’apprentissage des règles régissant les processus de socialisation
7
Du managementOù l’AVS-i travaille individuellement et régulièrement avec l’élève, isolé d’un groupe, afin de le faire acquérir une méthode de travail

2
Didactique, de l’instruction
Où l’AVS-i participe à la conception ou à la mise en œuvre de la pédagogie

8De la persuasion (influence, suggestion, séduction, propagande)
Où l’AVS-i va utiliser la ruse et le langage pour conduire l’élève à prendre lui-même des décisions souhaitées par l’AVS-i (ou l’enseignant, ou par le(s) mandat(s))
3

Analytique
-
9
Hiérarchique, bureaucratiqueOù l’AVS-i va strictement tenter d’imposer à l’élève les règles telles qu’elles lui sont à lui-même imposées (par l’enseignant) ou bien telles qu’il se le représente.
4


ThérapeutiqueOù l’AVS-i, du fait d’une éventuelle formation (ou sensibilité) à la psychologie, habite ce registre volontairement ; où l’AVS l’habite de manière involontaire, secondairement.

10

Du conseil, du coach, du soutienOù l’élève a acquis suffisamment de connaissance et de maîtrise de sa propre situation pour ajuster ses demandes en fonction de ses potentialités (différenciation en fonction du type de handicap et de l’âge)
5
Commercial, mercaticien
-

11
Sécuritaire, punitifOù l’AVS-i intervient en contraignant, éventuellement physiquement ; où il surveille au lieu de veiller.
6

Assistanciel (et caritatif)Où l’AVS-i répond à une demande claire et explicitement formulée par l’élève accompagné ayant trait à autre chose qu’au pédagogique

12

De l’interventionOù l’AVS-i passe le plus clair de son temps aux côtés de l’élève sans prendre de recul (sans veiller ni observer), et où ses actions consistent en une mise en adéquation des résultats potentiels de la production scolaire de l’élève avec ce qu’il ou elle se représente comme étant « normal ». Fais à la place de, corrige systématiquement, refuse l’erreur, lisse. 





Mandat et demande : entre souci de l’autre et instance de pouvoir


Un mandat unique ?

Le mandat donné aux accompagnants scolaires des enfants en situation de handicap est défini dans les textes qui encadrent la fonction. De ce point de vue, il peut apparaître comme relativement clair (au contraire des moyens nécessaires pour s’acquitter des missions) : contribuer à favoriser socialisation et apprentissage par le biais de quatre domaines d’intervention :



« 1- Des interventions dans la classe définies en concertation avec l'enseignant (aide pour écrire ou manipuler le matériel dont l'élève a besoin) ou en dehors des temps d'enseignement (interclasses, repas, (...).)
2- (…) Des participations aux sorties de classes occasionnelles ou régulières... (...)
3- L'accomplissement de gestes techniques (…) Se reporter au décret n° 99-426 du 27 mai 1999 habilitant certaines catégories de personnes à effectuer des aspirations endo-trachéales et à la circulaire DGS /PS3/99/642 du 22 novembre 1999. La circulaire DGAS/DAS n° 99-320 du 4 juin 1999 précise les conditions dans lesquelles l'aide à la prise de médicaments ne relève pas de l'acte médical.
4- Une collaboration au suivi des projets d'intégration… (…)

Les auxiliaires de vie scolaire interviennent à titre principal pendant le temps scolaire, mais aussi dans les activités périscolaires (cantine, garderie, etc.) qui sont une condition de possibilité de la scolarité. Ils ne peuvent intervenir au domicile de l’élève. » 


.
Nous l’avons vu, le poste d’AVS-i reste, pour des raisons sociopolitiques, à l’écart des formalisations propre à la professionnalisation du lien de soutien : construire des référentiels d’activité, de compétence et de formation, une fiche de poste, un classement et une typologie des procédures à suivre suivant les situations professionnelles, etc., équivaudrait à créer une nouvelle profession spécifique, une nouvelle spécialité – ce qui n’est pour le moment pas souhaité. C’est une des raisons pour lesquelles le mandat confié aux AVS-i reste vague et général, mais néanmoins très bien identifié et identifiable (et également étonnamment centré sur la déficience motrice, pourtant très minoritaire).

Ce mandat général se trouve théoriquement traduit selon les besoins spécifiques de chaque élève accompagné par le biais du projet personnalisé de scolarisation (PPS), déclinaison scolaire du plan personnel de compensation (PPC), lui-même élaboré à partir du projet de vie de l’enfant handicapé rédigé par ses parents et déposé à la MDPH. Le mandat général confié à l’AVS-i se trouve ainsi doublé d’un mandat théoriquement individualisé et personnalisé contenu et explicité dans le PPS, l’AVS-i faisant partie des moyens listés dans le projet pour permettre un processus réussi de scolarisation.

Voici donc, sommairement (mais suffisamment) définie (et formellement, nous insistons sur ce point) la notion de mandat rapporté à la situation particulière de l’AVS-i. Qu’en est-il alors de la demande ?

A priori, nous pourrions nous dire que la demande ne peut concerner que l’enfant accompagné – quand il a les dispositions pour l’exprimer (d’une manière ou d’une autre), et quand l’accompagnant, lui aussi, se trouve en moyens de (et disposé à) la recevoir. Ce serait oublier l’invariant historique (occasionnellement et heureusement annulé, mais toujours potentiellement réactivable) que constitue le statut de l’enfant handicapé dans les sociétés industrielles depuis la genèse de l’éducation spéciale : celui d’un objet, au sens psychanalytique du terme, principalement objet des concurrences professionnelles (et administratives) de ceux qui travaillent avec lui, des concurrences entre professionnels et famille et entre famille et administration. Nous l’avons déjà noté, le « bien-être » et « l’intérêt » de l’enfant sont, parmi les acteurs professionnels, familiaux et administratifs, les arguments les mieux distribués : quelles que soient les positions prises par chacun, elles le sont toujours au nom de ces objectifs supérieurs. Seulement, étant donné qu’elles sont très fréquemment contradictoires, le fait qu’elles soient toutes justifiées de la même manière nous invite à porter notre attention ailleurs que sur ce qui est invoqué pour expliquer les prises de position.

C’est ainsi que de la part de ces agents/acteurs que sont les parents, les enseignants ou les professionnels du médico-social et l’administration, peuvent émerger ce qui peut avoir tous les atours d’une demande : prétextant de l’incapacité (plus ou moins temporaire ou circonstancielle) de l’élève à s’exprimer clairement sur ce qu’il ressent, vit et souhaite, ou sur ce qui est le mieux pour lui rapporté à ce qui fonde le cadre institutionnel (scolaire) dans lequel il évolue, ces agents peuvent avancer, au nom de son bien-être et de son intérêt, des positions qui répondent surtout à leur propre bien-être et intérêt – et parfois en toute bonne foi.

« Tous les atours d’une demande », car censée être une traduction de celle, non formulée (et non formulable), de l’élève accompagné. Les AVS-i, du fait de la position de leur poste dans l’espace des processus de scolarisation, sont potentiellement soumis à recevoir ces fausses demandes (mais vraies traductions et récupérations de mandat) de la part des enseignants avec lesquels ils travaillent, et de la part des parents, se voyant ainsi mis en position de répondre à des mandats contradictoires (le mandat officiel du PPS – quand il existe, le mandat quotidien imposé par l’enseignant – qui est plus ou moins éloigné mais toujours apparenté au mandat que lui confie l’institution scolaire – et celui mis en avant par les parents, peuvent même être différents). 

Ainsi de situations que décrit ici Lalie, et qui montrent, quand elles sont récurrentes, que l’AVS-i peut servir la volonté de l’enseignant de reléguer un élève indésirable dans des espaces symboliquement et spatialement clos et gérés par l’AVS-i – qui peut également y trouver son compte, narcissiquement, étant donné qu’il ou elle a alors la responsabilité d’un enfant handicapé. La situation de ce dernier est, pour le sens commun, empreinte de pathos, et sa prise en charge peut s’avérer socialement valorisante, mais réellement destructrice des objectifs premiers de socialisation et aux principes de l’éducation inclusive car reconductrice, sous une forme nouvelle, de phénomènes de ségrégation :


Lalie : (…) l’enseignante de maternelle m’a laissée euh… toute seule [court rire amer]… c’était (…) : « voilà il y a telle activité à faire avec elle, vas-y… tu te mets à une table, toute seule avec elle, vas-y »… bon d’accord, c’est parti (Page 19)


Il ne semble pas trop hardi ici d’affirmer qu’il est possible de produire une première typologie de la position du poste d’AVS-i au sein des situations de scolarisation d’enfants handicapés, sorte de classement premier sur lequel reposeraient tous les autres :


tout d’abord les processus de scolarisation au sein desquels il n’existe pas de conflits majeurs entre parents, enseignants et professionnels du médico-social (et AVS-i) sur la scolarisabilité de l’élève ; en d’autres termes les situations où le mandat confié à l’AVS-i n’est pas brouillé par des phénomènes de traduction visant, le plus souvent « dans l’intérêt de l’enfant », à le modifier.

Les situations où le mandat est brouillé par des positions divergentes sur la question de la scolarisabilité de l’élève induisant des tentatives (plus ou moins conscientes) de la part des parents et des enseignants de peser sur ou de modifier le mandat confié à l’AVS-i.



Considérer ainsi la position d’accompagnement de l’AVS-i avec ce que permet à l’analyse les notions de mandat et de demande nous montre que l’hétéronomie qui caractérise la position de l’accompagnant scolaire constitue un accélérateur de tous les phénomènes de conflit propre aux situations de scolarisation évoqués au point 2-.

En effet, occupé par d’éternels débutants qui, cessant progressivement de l’être, doivent céder leur place à des nouveaux, ni les uns ni les autres ne connaissant de conditions de possibilité pour penser leurs positionnements de manière collective au travers de la formalisation d’une culture professionnelle spécifique (et étant ainsi renvoyés de manière incessante vers d’uniques compétences individuelles qui sont en fait des compétences sociales qui sont, si elles existent, préexistantes mais toujours insuffisantes), le poste d’AVS-i, sorte de dernier rouage de la mécanique complexe des processus de scolarisation des enfants handicapés (dans le sens où l’AVS contribue à mettre en œuvre, et au plus près de l’enfant, le contenu du PPS), se trouve lui aussi devenir un objet des visions potentiellement contradictoires et concurrentielles qu’entretiennent parents et enseignants vis-à-vis de la scolarisabilité d’un enfant ou des formes de sa scolarisation.


Au milieu de ces situations, la demande réelle, c'est-à-dire celle qui concerne les individus directement et en premier lieu concernés par l’accompagnement (c’est à dire les enfants-élèves eux-mêmes) apparaît comme négligeable, et relativement négligée.


Cette remarque nous amène à nous interroger sur les rapports qu’entretiennent mandat et demande : étant donné qu’ils sont tous les deux présents, et qu’ils sont parfois contradictoires (d’autant plus que, nous l’avons vu, le mandat se décline potentiellement en des traductions qui peuvent être contradictoires), dans quelles conditions l’un prend-il le dessus sur l’autre ?



Priorité au mandat, priorité à la demande


« Le mode principal de différenciation des pratiques [et des registres d’action évoqués ci-dessus au point 4.2, NDR] semble leur rapport différent au mandat et à la demande ».

la priorité au mandat concerne les registres où l’on intervient pour le bien d’autrui, au nom d’une mission qui a été confiée à l’agent par une organisation, une institution, la société ;

la priorité à la demande requiert l’existence d’une demande (de l’abstention en cas de non-demande) ». (Demailly, 2009)


Pour la clarté de l’analyse, et relativement au cadre du présent travail, nous allons ici apporter quelques éléments complémentaires aux notions de mandat et demande rapportées à la situation du poste d’AVS-i. A partir de ce que propose Lise Demailly et que nous avons reproduit ci-dessus, il apparaît que l’activité d’accompagnement des AVS-i se trouve clairement donner la priorité au mandat – l’existence d’une demande (dont nous rappelons qu’elle ne peut de notre point de vue que provenir de l’élève accompagné) étant très aléatoire et relativement négligée.

Cependant, nous posons ici l’hypothèse que la priorité du mandat sur la demande, si elle peut constituer une propriété de plus du poste d’AVS-i, trouve également des conditions sociales de retournement, conditions permettant une réintroduction de la demande. Ces conditions sociales sont liées à plusieurs facteurs, qu’une recherche spécifique gagnerait beaucoup à identifier – mais dans notre cadre, nous nous contenterons de mentionner les trois conditions suivantes :


durée importante d’occupation du poste (au moins cinq ans) ;
éloignement de la culture professionnelle des enseignants (et donc de l’inconscient social de leur poste) – ce qui signifie ne pas être prétendant au poste d’enseignant ;
fréquentation (éventuellement secondaire par le biais d’une socialisation avec des personnes proches l’ayant fréquenté ou le fréquentant) de l’enseignement supérieur (au sein duquel des compétences cognitives, des connaissances notionnelles et un entraînement à la réflexion et l’analyse sont potentiellement – et pas systématiquement – acquises).



Nous allons de plus ici constituer une extension au territoire de la demande, en considérant que cette dernière peut être agie, en sus d’être parlée – et c’est probablement cette capacité à entrer dans l’analyse et l’interprétation de la demande agie des enfants qui constituerait une nécessité importante pour une pratique professionnelle de l’accompagnement scolaire des élèves handicapés.


Nous allons aussi opérer une extension à la géographie du mandat : outre ce qu’il explicite, ce dernier comporte aussi en creux des exigences implicites, telle que par exemple la nécessité de respecter les règles globales régissant l’institution scolaire (et les missions qu’elle se donne) – et notamment, nous allons le voir, la question du temps et des rythmes.


Voilà deux situations décrites ci-dessous par Cécile – qui est la seule AVS à cumuler les trois propriétés énoncées ci-dessus : une demande a émergé de la part d’un élève qu’elle accompagne, sous la forme de comportements, et a été identifiée par elle.


Dans la première situation, c’est la demande qui s’incline face au mandat (incarné par J., l’enseignant) :



Cécile : (...) [ce petit garçon] voilà son père en fait est décédé il y a deux ans, une crise cardiaque... le gamin, il a cinq ans, il est super perturbé, il entre en conflit énorme avec donc les instits hommes, en l'occurrence J. et S., et euh... et puis voilà quoi... donc bah il leur tient tête, il est violent, et puis en plus il veut commencer à castagner, à se planquer tu sais dans la cour, il veut plus rentrer en classe et il se planque pour attendre la récré pour castagner un autre, tu vois, qui... il va le choper à la sortie, enfin c'est un truc... c'est un truc vraiment de fou... et euh... bah ce gamin, ça va ... tout de suite (...) je canalise... (...) sauf que par moment, si tu veux, on est dans le couloir, machin, donc je fais, justement.... et puis hop ! J., qui vient, qui prend le gamin, tu sais ... non ! [Insiste sur le « non », montre sa colère et déception] Il m'a coupé dans quelque chose où justement le gamin lui aurait foutu la paix pour le reste de la journée, tu vois ce que je veux dire... chose qui est encore assez improbable si tu veux dans l'éducation nationale, tout ce... cette manière un petit peu de fonctionner quoi... c'est vraiment... dommage ! (Page 44)



Dans la seconde, c’est le mandat qui s’incline face à la demande, au travers d’une situation que nous avons déjà évoquée :



Cécile : (...) le gamin il est dehors et (...) il veut pas rentrer, bah tu vas le voir et tu vas lui demander, quoi... bah il t'entend... une opportunité, un oiseau qui se pose sur la cour, un chien qui... tu vois la dernière fois, j'étais là (...), et à un moment donné il y a un chien qui est passé près de lui... il passait pas du tout dans l'école, il était près du grillage quoi... bah j'en profité, j'ai dit « oh attention, là, j'aimerais bien que tu rentres parce que là il y a un chien, tu crois qu'il est gentil ou méchant ? »... tu vois, le gamin bah du coup il était resté comme ça concentré... « Oh bah euh je crois qu'il est gentil... » À aucun moment il a pensé qu'il fallait qu'il se barre parce que je venais le chercher... j'ai été m'asseoir à côté de lui, on a parlé du chien, on a abordé ses trucs, il a fini par rentrer avec moi, quoi... ça fait un quart d'heure, mais fallait saisir le bon créneau, fallait... fallait voilà... donc euh.... mais des fois t'as pas le temps... (Page 47)



Cet exemple nous permet de considérer, grâce au dialogue que nous instaurons ici entre mandat et demande, une question tout à fait centrale quant à notre sujet – et quant à l’école en général – qui est celle de la temporalité. Sans entrer plus avant dans cette analyse, il est possible néanmoins de faire mention du fait suivant : une différence importante qui peut potentiellement naître d’une occupation du poste par un agent social cumulant les trois propriétés énoncées ci-dessus est la possibilité de quitter ponctuellement l’imposition des conditions d’occupation temporelle du poste importée de (et imposée par) celui d’enseignant. Ce dernier est en effet soumis à des nécessités (respect et conduite du programme, naturalisation du cursus-type, notamment) qui l’obligent à habiter une temporalité spécifique.


Ce que nous montre Cécile, dans les exemples exposés plus haut, c’est qu’elle a été capable d’habiter une temporalité différente de celle qu’impose l’enseignant à sa classe, une temporalité spécifique à la pratique de l’accompagnement, et bien entendu circonstancielle – son objectif étant bien de ramener les élèves dans le rythme commun.


Reconnaissons donc que le poste d’AVS-i, s’il donne de manière générale (pour des raisons historiques largement développées ici) priorité au mandat, peut, à l’occasion d’un certain type d’occupation du poste (type dont les conditions répondent à des logiques sociales) et dans certaines situations permises par le déroulement d’un quotidien scolaire, permettre à la demande de se voir donner une priorité sur le mandat.

Cette remarque concorde avec ce qu’expose Lise Demailly quand elle explique qu’aucun des registres qu’elle met en évidence ne peut être considéré comme unique source d’aucune pratique d’accompagnement puisque, écrit-elle, dans ces dernières « quasiment tous les registres d’action sont mobilisés » – ce qui signifie bien qu’aucune forme d’accompagnement ne peut se prévaloir de donner entièrement priorité au mandat ou à la demande. Néanmoins, une réflexion politique (ou éducative – ce qui de notre point de vue revient au même) peut-elle faire l’économie de se demander comment articuler au mieux mandat et demande ?

Lise Demailly ajoute, à propos des registres d’accompagnement qui donnent priorité à la demande, qu’ils :



« (…) doivent résister :

aux actuelles tentatives de rationalisations institutionnelles ou économiques, qui tendent à considérer les attentes de l’expression de la demande ou le respect strict de la demande d’autrui comme un luxe, une démagogie, une perte de temps, ou un manque d’efficience et d’efficacité.

Aux assauts de l’idéologie punitive qui tend également à suspecter les demandes. (Demailly 2009) ».



Il semble bien que le poste d’AVS-i, bien que la priorité à la demande ne lui soit que circonstancielle (et déterminée par des conditions qu’il faudrait s’attacher à mettre en lumière) ne fasse, encore une fois, pas exception à l’analyse ici proposée.













La domination de « l’intervention » ?




RegistresBut de l’actionStatut d’autruiPriorité
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Registre de l’intervention

Influencer, persuader et en même temps suppléer (faire pour, faire à la place de, surveiller et passer à l’action si nécessaire).


Autrui est quelqu’un à qui l’on veut du bien pour son bien.


Mandat
Où l’AVS-i passe le plus clair de son temps aux côtés de l’élève, au plus près, sans prendre de recul (sans veiller ni observer), et où ses actions consistent en une mise en adéquation des résultats potentiels de la production scolaire (et éventuellement du positionnement social) de l’élève, avec ce qu’il ou elle se représente comme étant « normal » et destiné à être la norme à atteindre par l’élève – dusse t-il falloir opérer une césure entre production et produit scolaire. L’AVS-i fais à la place de, ou fais pour, corrige systématiquement, refuse l’erreur, lisse. Correspond à une hégémonie du registre de la conduite selon Maëla Paul, ou encore de la posture d’intercesseur mais complètement dévoyée au profit de tous les mécanismes d’ « intrusion, d’ingérence, d’immixtion, d’interposition ».





« Le registre qui devient dominant est celui de l’intervention. Pourquoi ?

le travail d’accompagnement, comme tout travail, est soumis à un processus de rationalisation. Une différence avec les structures relationnelles en société traditionnelle est la possibilité théorique de brièveté et de non-réciprocité. Cela aboutit à exiger que le travail relationnel soit performant au jour le jour, efficient, efficace, mesurable, évaluable. Et le rendre évaluable implique de le normer, de le standardiser, de l’instrumenter.

L’intervention devient le registre dominant dans le travail professionnel de relation (aux dépens donc de l’assistantiel et du soutien) à cause de l’importance même du travail relationnel pour la bonne marche de l’appareil de production.

Le registre dominant de l’intervention se caractérise par le primat qu’il donne au mandat sur la demande, et la place qu’il accorde à l’action, à l’action effective, de transformation, éventuellement avec une certaine contrainte, du comportement d’autrui ou de son environnement. » (Demailly 2009)





Ce que présente ici Lise Demailly rentre en écho avec l’analyse selon laquelle :



d’une part, l’action dévolue au poste d’AVS-i reste prioritairement centrée sur le mandat – ce qui autorise à s’affranchir d’une durée significative d’accompagnement et d’une réciprocité – ;

et, d’autre part, que les conditions d’occupation du poste sont bien faites pour favoriser le registre de l’intervention, ce dernier trouvant des conditions optimales de réalisation dans une économie générale organisée autour d’une faible possibilité (voire une impossibilité) de construction (individuelle et collective) des conditions de possibilité de penser les finalités de son poste, desquelles sont déduites les positionnement et les pratiques d’accompagnement promues et définies comme légitimes.



Par ailleurs, nous souhaitons également mentionner ici la courte analyse suivante, avec laquelle nous clôturerons cette partie, avant de nous intéresser aux « qui » et « quoi » qui questionnent de manière fondamentale la notion d’accompagnement – et en particulier de l’accompagnement scolaire des enfants handicapés.



« La force du registre de l’intervention dans les sociétés occidentales est assurée par sa liaison culturelle, sociétale, à 2 normes puissantes :

le devoir d’agir
Il est lié à la valorisation de la responsabilité individuelle, de l’autonomie, de l’initiative, de l’action, du résultat. Vaut pour les accompagnants accompagnés par l’Etat.

le droit/devoir d’ingérence
De plus en plus inscrit dans les droits internationaux et nationaux. Légitime le fait d’agir publiquement sur autrui pour son bien (indépendamment de ce que peut penser et désirer cet autrui) et valide comme normale et souhaitable la recherche de visibilité théâtrale des gestes d’intervention. » (Demailly 2009)




Accompagner quoi, accompagner qui ?


Cécile : (…) [sur le ton d’énumération d’une liste, en utilisant les doigts de ses deux mains NDR] l’AVS-i s’adapte… s’adapte… s’adapte… S’adapte… s’adapte à l’enfant, s’adapte à l’école, s’adapte à l’équipe et s’adapte à l’enseignant… l’AVS-i doit faire preuve d’adaptation [rires]… (Page 25)


Cette incise, présentant un passage de l’entretien que nous avons effectué avec Cécile, est bien faite pour introduire cette ultime partie, construite sur une question qui peut paraître banale et naïve mais qui, comme c’est parfois le cas, ne l’est pas du tout. Après nous être en effet demandé à quel mandat répondait l’accompagnement d’un AVS-i (en 4.3.1), après avoir interrogé la position du poste de ce dernier et de certaines occupations de ce poste par rapport aux notions de mandat et de demande (en 4.3.2) puis après avoir défini le registre de l’intervention comme étant une propriété pratique du poste parmi les plus facilement activables (du fait des conditions sociales de son occupation), nous en arrivons en effet à poser les questions suivantes :


Qui l’AVS-i accompagne t-il ?

Quels sont, en sus du seul élève, les accompagnements potentiellement permis par les propriétés du poste – en fonction de leur activation différenciée selon les conditions sociales de son occupation ?

Accompagne t-il seulement l’élève visé par la notification de la CDAPH à l’origine de sa présence ?

Partant, à quels besoins la présence de l’AVS-i répond-elle – ou peut-elle répondre ?


Ce passage de l’entretien de Cécile tend à suggérer qu’elle n’est pas, et loin de là, centrée sur l’élève qu’elle est censée accompagner, et que pour mener à bien cet accompagnement elle doit composer avec une foule d’autres agents/acteurs – et avec leur demandes, et leurs besoins, qui peuvent être contradictoires avec le mandat qu’on lui donne (et qu’elle se donne).

Dans un environnement de travail aussi épais et complexe que celui de l’école, et relativement à ce qui fonde la légitimité de sa présence – c'est-à-dire participer à assurer le droit que constitue la fin de l’éducation séparée des enfants handicapés –, l’AVS-i peut-il seulement faire l’économie de transposer sa pratique d’accompagnant vers ces autres agents/acteurs – voire se laisser lui-même accompagner ?
Répondre aux besoins de qui ?



“Who should decide the needs?”
Sally Tomlinson, (1982)



Sally Tomlinson développe une analyse intéressante autour de la notion de « needs ». C’est avec raison qu’elle demande, à propos de la notion de special education needs, ou besoins éducatifs particuliers : « qui va décider de la nature des besoins ? ». En acceptant de raisonner avec cette notion de besoins, ce que font l’immense majorité des agents/acteurs des processus de scolarisation que sont les parents, enseignants, associations historiques du champ du handicap, AVS-i, personnalités politiques, etc., la principale question qui se trouve être posée est celle de l’évaluation et de la définition des besoins en question – et, in fine, aux réponses qu’on leur donne.


Corollaire du fameux « intérêt de l’enfant » (que tous défendent, mais pour justifier des options presque toujours différentes), la notion de « besoins » est en fait un des fondements du champ entier de l’éducation spéciale :



« The unproblematic acceptance of special need in education rests upon the acceptance that there are foolproof assessment processes which will correctly diagnose and define the needs of children. » 



De ce point de vue, la rhétorique du « besoin » est pour elle plus appelée à répondre aux besoins du système et des professionnels qu’à ceux des enfants. Il serait intéressant de chercher à construire un protocole de recherche visant à développer cette intuition, à la confirmer ou à l’infirmer, ou plutôt, partant du postulat que certaines situations (socialement différenciées) répondent de ce principe, chercher à cerner dans quelles conditions économiques et sociales le processus de scolarisation inclusive d’un enfant handicapé correspond plus aux besoins du système et/ou des professionnels.


L’usage de la notion de « besoins » appelle donc ainsi une analyse en termes de mobilisation de ressources économiques ; en effet, le financement des processus d’évaluation des besoins et d’attribution adéquate de mesures appropriées est prédéterminé, et basé sur tout autre chose que des procédés évaluatifs en situation, actualisés et ajustés en fonction de la plasticité révélée par le temps, puisqu’ils sont basés sur des exigences de maîtrise des dépenses publiques posées par la classe dirigeante (très homogène socialement) qui se sont historiquement construits autour de budgets programmés à l’avance. D’un strict point de vue organisationnel, budgétaire, il ainsi juste d’affirmer que les besoins des enfants sont, comme le dit Sally Tomlinson, prédéterminés – alors même que leurs plasticités et leur variabilité devraient l’interdire :


« Most discussion of “needs” in special education has turned out to be discussion of “provision”. (...) “Needs” are relative, historically, socially and politically. The important point is that some groups have the power to define the needs of others, and to decide what provisions shall be made for these predetermined needs. »



Cette question des besoins apparaît comme tout à fait centrale au regard de la relation qu’elle entretient avec les notions de performance, d’efficacité, d’évaluation. En effet, si ces notions n’ont intrinsèquement aucune charge idéologique et si elles désignent des réalités indépassables, la position qu’elles ont tendance à acquérir dans les politiques publiques et dans les discours afférents est elle, au contraire, extrêmement marquée de l’idéologie managériale, avatar du néolibéralisme et de la vision économiciste de la société que ce dernier consacre. De fait, la nature et la position des besoins qui déterminent la construction des dispositifs censés y répondre peuvent être lus, au-delà des affirmations rituelles et des invocations consensuelles, par le prisme de la façon dont sont évalués les performances et l’efficacité de leur mise en œuvre. De ce strict point de vue, et relativement au pouvoir politique, nature et position des besoins apparaissent assez clairement.

Sur la seule année 2009, c’est plus de 100 questions écrites au gouvernement qui ont été posées par des députés ou des sénateurs sur le sujet du cadre d’emploi et du statut des AVS ainsi que sur leur place dans les processus de scolarisation des enfants handicapés. Invariablement, les réponses sont centrées sur des aspects quantitatifs, qui tiennent lieu d’indicateurs de performance et d’efficacité, et n’appellent ainsi aucune autre forme d’évaluation ; de plus, elles sont parfois, au mot près, exactement les mêmes. Ainsi de celle-ci :

« La scolarisation des élèves handicapés principalement en milieu dit « ordinaire » constitue une priorité affichée du Président de la République. Sous cette impulsion et sur la base des dispositions de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les efforts accomplis par le Gouvernement ont produit des résultats tangibles : plus de 174 000 enfants et jeunes handicapés étaient scolarisés dans les établissements scolaires lors de l'année scolaire écoulée et plus de 180 000 le sont à l'heure actuelle. »


Au-delà de ces aspects, qu’en est-il des réels besoins des élèves, et notamment de la question de l’autonomie ?



Autonomie, dépendance, socialisation

Etymologiquement, « autonomie » (autosnomos) signifie « qui se donne à soi-même sa loi ». Le sens commun accorde à ce mot un usage très étendu, et selon la règle qui veut que toute extension importante d’usage d’un vocable contribue à en faire perdre le sens, a acquis une propriété magique puisque son invocation, extrêmement bien distribuée (à peu près tout le monde revendique de l’autonomie, en particulier dans le champ des professions éducatives, qui l’invoque, pour les publics avec lesquels elles travaillent, comme une sorte d’objectif suprême et ultime), suffit à habiller une rhétorique sans que celle-ci ait forcément à justifier de la signification qu’elle donne à ce terme.

Pour éclairer l’usage que nous souhaitons donner à cette notion, nous nous situons ici dans une perspective simple posant une relation dialogique entre autonomie et dépendance, et basée sur le fait que, quoiqu’il arrive, on est toujours dépendant des conditions de son autonomie. Partant, l’opposition entre les deux se révèle vaine et enfermante, et interdit de considérer l’autonomie, ainsi que peut le faire le sens commun, comme le fait de « se débrouiller tout seul », puisque si on se « débrouille tout seul » dans une situation donnée, et qu’on peut alors être dit « autonome », c’est bien parce que certaines conditions sont réunies pour que ce soit possible, et que ces conditions n’ont aucun caractère de systématicité et aucune garantie de stabilité dans le temps. Cette perspective invite à distinguer des formes plus ou moins importantes, ou des degrés, de dépendance, et des degrés afférents d’autonomie, étant bien entendu que les deux notions constituent les deux pôles extrêmes, jamais complètement accomplis, d’un continuum qui défie toute perspective fixiste et tout jugement définitif. Nous pouvons de fait bien reconnaître qu’il existe des formes de dépendance plus importantes, et de fait plus pesantes, que d’autres, dans la mesure où, bien que toujours présente, la dépendance peut acquérir une forme qui permette à l’illusion de l’autonomie totale et complète de s’installer. Cette dernière remarque invite à inverser la proposition : bien que toujours présente, l’autonomie peut acquérir une forme qui permette à l’illusion de la dépendance totale et complète de s’installer.

La dépendance aux conditions de notre autonomie invite à prendre connaissances des travaux de Charles Gardou sur les questions de la fragilité et de la vulnérabilité – travaux qui sont de notre point de vue riches d’enseignement pour étoffer la pensée sur ces sujets, qui concernent de près celui que nous traitons ici.


« La dépendance est une relation contraignante, plus ou moins acceptée, avec un être, un objet, un groupe ou une institution, réels ou idéels, et qui relève de la satisfaction d’un besoin. » (Albert Memmi (1979), La dépendance, Paris, Gallimard, cité par Alain Blanc, 2006)


En reprenant la définition qu’Albert Memmi donne de la dépendance, et en la considérant à la lumière des jalons posés au sujet de la notion de besoins, il est permis de se demander, puisqu’il a été dégagé qu’il n’était pas impossible, même si pas systématique, que la satisfaction de besoins auxquels est censé répondre l’AVS-i correspond plus à ceux d’autres agents/acteurs que l’élève lui-même, où se situe alors la question de la dépendance. Si une autonomie n’est permise que grâce à une dépendance à ses conditions de possibilités (plus ou moins invisibilisées et reconnues) est-ce pour conserver leurs « propres lois » en matière de définition du périmètre du pensable pour leur profession que les enseignants acceptent une part de dépendance à l’AVS-i – et le revendiquent ainsi aussi souvent (sans pour autant se mobiliser outre mesure concernant son statut et sa formation) ? Est-ce pour accentuer l’imposition de leurs « propres lois » (issues de l’orthodoxie économique et de l’utopie qu’elle transporte) que les élites politico administratives se rendent (et rendent) dépendantes du maintien de dispositifs de ce personnel (et tant d’autres) dans des statuts et des postes subalternes et de stricte exécution, destinés à être occupés selon une logique implacable de reproduction des cloisonnements sociaux en cloisonnements professionnels ? Concernant cette dernière question, et pour paraphraser Marx, nous pouvons dire que « le dominant est toujours dominé par sa domination ». En d’autres termes, ainsi que l’écrit Alain Blanc :



« La dépendance est un aveu de faiblesse, elle situe le dépendant en position d’infériorité vis-à-vis du pourvoyeur et surtout du tiers intermédiaire, l’objet de pourvoyance, qui les lie. » (Blanc, 2006).



Du point de vue des pistes qu’ouvre l’ensemble de ces questions, cette proposition d’Alain Blanc nous paraît passablement restrictive. Pour élargir la portée heuristique de cette phrase, il conviendrait de notre point de vue de lui adjoindre la mention d’un élément qui fait considérablement varier le degré de « faiblesse » et « d’infériorité » : il s’agit du niveau d’invisibilité (et de conscience afférente) de la dépendance. Si même les dominants sont dépendants des conditions de leur domination, il n’en reste pas moins que leur faiblesse et leur infériorité ne sont nullement comparables à celle qui caractérise une personne qui, perdant son emploi pour cause de délocalisation de la production dans un autre pays à moindre coût salarial, doit vendre sa maison, quitter son quartier, quitter ses réseaux de sociabilité, etc.

Mais du strict point de vue des personnes déficientes, et/ou handicapées, nous pensons aussi qu’il y a dans cette définition quelque chose de réducteur. En effet, dans des situations de socialisation « possible », réussie et « trouvable » (en opposition aux termes, qu’Alain Blanc utilise à leur propos, de « socialisation impossible » et « introuvable »), il y a deux éléments qui sont susceptibles de venir potentiellement fortement atténuer ces caractères d’ « aveu de faiblesse » et de « position d’infériorité ». Il s’agit de :



la réciprocité ;

elle-même dépendante d’une durée conséquente de relation.


En effet, et c’est là tout le gain d’un refus d’une coupure absolue entre le « nous, non déficients » et le « eux, déficients » dont use et abuse Alain Blanc, c’est dans le temps et la durée d’une relation permettant des conditions de réciprocité qu’est permis le fait de réaliser que tous, à un moment ou à un autre, sommes susceptibles de connaître des « aveux de faiblesse » et des « positions d’infériorité » :

« Ma sœur Patschi me fixa exactement de la même manière que mes frères et sœurs et moi l’avions fixée des centaines et des centaines de fois, comme on fixe quelqu’un qui a un petit vélo dans la tête. Je me demandai pour la première fois si la lecture, l’écriture et la connaissance des auteurs classiques comptaient vraiment parmi les choses essentielles de la vie. » (Berger, 1966)



Il suffit de connaître une fois, une fois seulement, et dans des conditions sociales et psychologiques qu’il serait certes nécessaire d’étudier, le renversement symbolique que permet la durée de la relation (en d’autres termes : une forme aiguë de réciprocité), pour que soit entamée la construction de dispositions (autant que l’intérêt à les développer) aptes à permettre une forme « possible » de socialisation. Dans cet extrait, tiré d’un roman autobiographique relatant l’enfance de l’auteur dans l’Allemagne de la montée du nazisme, c’est un échange avec sa sœur Patschi, dont on dirait aujourd’hui probablement qu’elle est « déficiente légère », qui fait naître chez Manni, le narrateur, ce sentiment : « je me demandai pour la première fois si la lecture, l’écriture et la connaissance des auteurs classiques comptaient vraiment parmi les choses essentielles de la vie ». Manni comprend à ce moment cet « autrement capable » qui caractérise sa sœur, et qui lui fait défaut. A cet instant, il est, lui aussi, et c’est accentué très fortement par le caractère de (vraisemblable) rareté de l’évènement, en « position d’infériorité », en plein dans un « aveu de faiblesse » face à « l’objet de pourvoyance » que constitue ce que lui apporte Patschi. Le caractère circonstanciel de cette forme de dépendance a à voir avec celui de systématicité qui peut caractériser des personnes déficientes du fait même qu’ils sont situés sur les deux extrêmes d’un continuum : la rareté ne s’oublie pas, elle frappe et s’inscrit, et modifie les structures. Toutes proportions gardées, et toute chose égale par ailleurs, ce qui décrit ici Manni à propos de sa relation avec sa sœur c’est une forme de « révolution symbolique », selon l’expression de Pierre Bourdieu (1993), mais rapportée à sa situation d’agent social, de frère, d’individu : un évènement surgissant dans des conditions sociales précises permet de modifier considérablement les structures.



Certes Manni est déjà un initié, familial qui plus est. Mais nous postulons que les notions d’autonomie, de socialisation (et d’apprentissage également tant il nous semble évident que socialisation et apprentissage forment un couple indissociable) devraient être appréhendées dans la recherche à partir de ce préalable épistémologique consistant en considérer que des formes de socialisation sont possibles et permises avec les personnes déficientes, dans toutes les situations institutionnelles (dans le quotidien informel, dans les écoles, dans l’occupation d’un emploi, etc.) et que ce sont précisément à la fois les conditions de possibilité et d’apprentissage de la position d’initié qui doivent constituer les objets prioritaires de telles recherches. Ce sont les conditions sociales des petites « révolutions symboliques » relatives à la relation aux personnes déficientes et/ou handicapées qui sont de notre point de vue prioritaires pour la recherche.



Ecoute et violence symbolique


Pour revenir plus précisément à notre sujet, nous l’avons vu dans la partie précédente, les AVS-i n’ont que peu de possibilités de connaître des conditions de construction de réciprocité. Ils sont ainsi enclins à occuper de façon dominante ce que Lise Demailly désigne par la brièveté de la relation d’accompagnement – et c’est là une des matrices de la domination du registre de l’intervention. Spécifiquement au sein de ce dernier, où elle est faible, mais également dans l’ensemble des autres, il semble pertinent de questionner la place de l’écoute de l’élève accompagné. Un échange sur ce thème avec Sylvie montre que l’écoute n’occupe pas une place centrale – et confirme ainsi, s’il le fallait, que l’intervention semble dominante chez les néo recrutés, jusqu’au moment où s’opère potentiellement, graduellement, un basculement qui leur permet de s’approprier les logiques du poste – si ils et elles ont les propriétés et le temps d’occupation qui le leur permet :





Guillaume : et est-ce que vous avez des moments... est-ce que tu as des moments avec eux ou tu peux aborder le pourquoi de ta présence… est-ce que tu leur a expliqué, toi, « bah voilà écoute, R.… ou D.… est-ce que tu peux m’expliquer… à ton avis, pourquoi je suis là… ? et moi je vais t’expliquer pourquoi je suis lࠅ comment est-ce qu’on peut travailler tous les deux… » Est-ce qu’il y a eu une formalisation ? Une mise en parole de ta présence vis-à-vis d’eux ?
Sylvie : non… non, non… enfin en fait, par exemple S., moi on m’a dit euh… enfin…on m’a dit que les parents lui avait expliqué pourquoi je serai là… et euh… bah N. il était un petit peu jeune en grande section… mais là encore, c’est pas moi qui leur ai expliqué clairement euh… enfin pour moi, en fait, j’ai l’impression que ça été fait en amont, quoi… et j’ai pas ressenti que les élèves avaient besoin qu’on leur redisent les choses clairement… ouais… (Page 31)









« Les travaux de Fassin (2004) sur les lieux d’écoute, écrit Lise Demailly, mettent en évidence diverses formes de violence symbolique, liées à des a priori culturels et à l’imposition de normes de conduite et de paroles propres aux classes moyennes. » (Demailly 2009)



Quand l’écoute existe dans des situations professionnelles de personnels dont le poste est caractérisable par une posture d’accompagnement, elle est potentiellement vectrice de violence symbolique, ainsi que l’évoque ici Lise Demailly en faisant référence aux travaux d’Eric Fassin (sur des lieux qui sont spécifiquement dédiés à recevoir la parole de personnes pris dans des processus de désaffiliation).

Que dire alors des situations où cette parole, et donc l’écoute, n’existent parfois pas (ou peu), où elles ne sont même pas favorisées ?

Nous postulons ici que la domination du registre de l’intervention (permise et favorisée par les conditions sociopolitiques guidant à la formalisation du poste telle qu’elle existe aujourd’hui), qui est concomitante d’une faible émergence des moments d’échange interindividuels entre AVS-i et élève accompagné (et donc d’une faible présence de l’écoute du second par le premier), est un élément central des conditions d’émergence d’une violence symbolique à l’encontre des élèves accompagnés.

Il serait tout à fait judicieux de travailler plus avant l’usage de cette notion rapportée à la situation des enfants handicapés à l’école : en effet, le rapport entre habitus de classe, s’il peut exister entre AVS-i et élèves accompagnés (mais l’élève pouvant tout à fait bien appartenir à une classe sociale supérieure à celle de l’AVS-i qui l’accompagne – ce qui inverse le rapport généralement observé dans les pratiques d’accompagnements, où l’accompagnant se trouve le plus souvent en situation de domination sociale ou de tendance à la domination sociale), se trouve redoublé le plus souvent du rapport entre personne handicapée et non handicapée, et/ou entre personne déficiente et non déficiente, ce qui questionne non la portée heuristique et la validité de la notion de violence symbolique telle que définie par Pierre Bourdieu, mais sa géographie et son économie générale.

Chez les AVS-i néo recrutées interrogés (y compris chez Sylvie, précédemment citée), certains éléments montrent néanmoins qu’il y a clairement échanges et écoute :




Lalie : moi je lui ai demandé ce qu’il voulait faire plus tard [élève de quatrième, dyslexique]… je me suis quand même posé la question, il m’a dit : « moi je veux être mécanicien »… donc on a discuté et je lui ai dit tu sais mécanicien, c’est pas parce que tu vas faire un CAP mécanique qu’il faut pas que tu travailles l’orthographe, le français, et tout ça… et là-dessus il a un peu réagit, il s’est dit ah mince euh… mais bon pour l’instant la réaction est pas très…. Très vive quoi… (Page 13)





Sylvie : alors R. lui en fait c’était euh… au niveau de ses parents, en fait, il y a une histoire assez compliqué parce que sa mère ne lui a jamais parlé de son père… son père est parti….en fait je sais pas si elle s’est remariée mais… elle a un ami, elle a eu un autre enfant avec… et on sentait vraiment chez lui le manque d’informations de son père, il faisait souvent des cauchemars sur son père, tout ça…(page 25)





Sylvie : alors par contre je… je veux juste préciser, S., quand on me l’a présenté au début, on m’a dit que c’était un enfant qui était adopté, et euh… qu’il avait un passé assez difficile, et que dernièrement il était retourné dans son pays d’origine et que suite à ça il faisait des cauchemars, il parlait souvent de mort, et tout, et puis finalement moi quand je l’ai vu la première fois, donc il m’a expliqué qu’il était adopté et tout ça, mais durant toute l’année il m’a jamais parlé de mort et il était très bien euh… on avait l’impression qu’il vivait très bien comme ça…



Sans entrer plus avant dans l’analyse de cette notion d’écoute et de réciprocité, mentionnons néanmoins qu’il y a là matière à recherche – qui ne devra néanmoins pas faire l’économie de situer à la fois les conditions sociales et historiques de la position et de la nature du poste et celles qui caractérisent la position de l’élève (et de son handicap). Dans ce cadre, une approche de clinique en éducation nous semble particulièrement appropriée.












Conclusion



« Ces métiers où figurent le mot accompagnement sont dévolus aujourd’hui à :

faire fonctionner les liens nécessaires à un appareil productif

faire émerger les compétences et subjectivités « adaptées » : soutien à la flexibilité du travail et de l’emploi, parcours d’insertion

maintenir la paix sociale dans les lieux où le vivre ensemble risquerait de voler en éclat

assurer les fonctions sécuritaires, par la stigmatisation des individus irrécupérables classés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. » (Demailly 2009)



Cette conclusion de Lise Demailly semble s’imposer également pour qualifier un travail d’accompagnement scolaire des enfants handicapés qui, lui aussi, semble tendre à répondre aux besoins de « l’appareil productif » (dominé et détenu par une classe sociale très restreinte et consciente d’elle-même) plutôt qu’à ceux des élèves et des familles – et répondre plus d’une idéologie d’un maintien de l’ordre tant scolaire que social plutôt que d’une philosophie à visée émancipatrice.



Cécile : (...) un apprentissage c'est aussi un apprentissage de la vie, c'est à dire voilà tu apprends à lire, t'apprends etcetera, t'apprends aussi à communiquer, à respecter les autres, à prendre la parole à bon escient, quand il le faut enfin... voilà, tu as aussi plein de règles et de savoir-vivre, à partir du moment où tu vis dans un groupe tu es obligé d'acquérir tout ça... donc euh oui, ça fait partie d'un tout effectivement, donc c'est euh... ouais, apprentissage, socialisation, euh... comment dire ça euh... oui c'est... c'est une manière d'être, c'est de pouvoir amener l'enfant à une manière d'être qui va être la sienne, et qui va lui permettre ensuite de pouvoir s'intégrer dans n'importe quel milieu mais que ce soit à l'école... ce que peut-être je vais pouvoir lui apporter dans une école il va peut-être pouvoir l'appliquer dans un club de sport le mercredi, tu vois ce que je veux dire (...) (Page 43)



Les conditions sociales de possibilité pour que ce soit « l’individu qui l’emporte sur le poste », comme nous semble bien le démontrer ici Cécile au travers de cet extrait d’entretien, ne sont pas encore fixées, conformément à ce qui caractérise la « période d’invention » que connaît encore le poste d’AVS-i. (Muel-Dreyfus, 1983). Néanmoins, il est possible (et nous le déplorons) de compter sur certaines des dispositions acquises d’un grand nombre de personnels enseignants pour assurer un soutien au projet actuel du gouvernement de création d’un métier d’AVS-i subalterne et en position d’exécutant, répondant aux exigences définies ci-dessus par Lise Demailly qui tendent à s’imposer aux métiers relevant de l’accompagnement.

Ces dispositions apparaissent de manière très claires dans la description ci-dessous d’une scène vécue par Cécile.

C’est le début de l’année scolaire, elle arrive dans l’école et est alors accueillie par l’enseignante (enseignante A) avec laquelle elle va travailler à l’accompagnement d’un petit garçon, G., scolarisé en CE2. Cette enseignante ne connaît pas G., elle décide donc d’aller chercher, avec Cécile, celle qui l’avait dans sa classe l’année précédente (enseignante B). Les deux enseignantes commencent alors à échanger entre elles, en présence de Cécile. Voici comment cette dernière nous rapporte cette discussion :



Enseignante A : « Oui, bah G. il fait ça, il fait ça … Oui donc l’AVS-i du coup… » (...)
Enseignante B : « Et puis où est-ce que je vais la mettre ? »

Cécile : Tu vois la question, « où est-ce que je vais la mettre ? »… [Rires]… « Je suis là, les filles… »… c’est ha-llu-cinant ! Hallucinant, je trouve que c’est vraiment… et encore, je te dis, je suis rôdée…
G : l’objet…
Cécile : ouais… complètement… (...) vraiment, dans l’Education Nationale, c’est ce que j’ai découvert, c’est qu’il y avait quand même un système de … de, de… de caste, tu sais, où tu as [elle fait des gestes de compartimentage] les instits… t’as les ATSEM…là…t’as le personnel de service…t’as l’AVS-i… t’as le conseiller péda, alors ça mon pote, t’arrive t’es conseiller péda, tu…[mimiques de dédain et de pose caricaturalement « royales »] [rires] (...)
(Page 28)


Pour mieux encore cerner ce qu’implique la position interstitielle des AVS (entre scolaire et spécial), et en plus de cette incorporation achevée des divisions sociales (et sexuelles) du travail éducatif au sein de l’école que nous laisse entrevoir cet échange en apparence anodin, il nous semble important de mentionner la permanence des :


« (…) lignes d’oppositions pratiques et idéologiques qui continuent à organiser le champ institutionnel de l’enfance inadapté [fondant] (…) son dynamisme et sa propension à consommer et à produire des idées neuves face, notamment, à l’EN qu’il se représente et qu’il désigne comme un système « inerte » » (Muel-Dreyfus, 1980)


Nous l’avons vu, les effets produits par l’incorporation de logiques professionnelles historiques propres à chacune des deux traditions des éducations scolaire et spéciale qui structurent le champ éducatif français et qui se manifestent dans la mise en œuvre des nouveaux paradigmes de l’intégration et de l’inclusion scolaire, sont là pour démontrer que cette analyse était tout à fait juste au début des années 1980 et qu’elle le reste aujourd’hui, malgré que les dynamiques aient formellement changé.

« Toute velléité de réforme réveille les rivalités entre les différentes administrations intéressées à l’enfance inadaptée », ajoutait-elle : là encore, les principes réglementairement et législativement édictés en faveur de la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire, ainsi qu’en faveur d’une plus grande collaboration entre les deux champs (comme le décret de mars 2009 sur la collaboration entre EN et médico-social), ne suffisent pas à masquer les luttes administratives qui se déroulent autour, notamment, de la question des auxiliaires de vie scolaire. Qui, de l’Education Nationale ou des affaires sociales, via les associations, deviendra donc tutelle de cette profession émergente ? Champ scolaire ou champ du service à la personne ? Métier qualifié ou métier de simple exécution ?

Il n’est pas du ressort de la recherche de formuler des prospectives, mais de développer le champ des connaissances autour d’objets spécifiques, et, particulièrement pour les sciences de l’éducation, de construire des relations entre des entrées semblant a priori trop différentes pour se voir rapprochées. Notre entrée, qui est de faire de l’histoire avec les outils d’analyse de la sociologie, trouve, en sus des quelques jalons posés au fil de notre développement, quelques pistes de futures recherches sous la plume d’Eric Plaisance (1996) :

« Sous l’angle sociologique, l’analyse devrait porter sur le fonctionnement des instances de décisions et d’orientation, et sur le rôle des associations qui oeuvrent dans le champ du handicap. (…) En France, des associations puissantes sont à l’origine de la création d’établissements spécialisés depuis les années 1960 et en sont gestionnaires ; comment se situent-elles, idéologiquement et pratiquement, par rapport à l’intégration ? (…) D’autres analyses pourraient être sur les personnels impliqués ».
Comme en écho à Eric Plaisance, Henri Jacques Stiker écrit (2000a) :
« Nos associations sont souvent d’esprit corporatiste : chacune son handicap, chacune ses négociations et ses appuis, chacune sa conscience d’être la meilleure, chacune son quant-à-soi et sa gestion secrète, et, pour les plus importantes, chacune sa façon de peser sur les orientations. (…) Elles défendent le handicap comme une spécificité quasi absolue, sans comprendre deux aspects essentiels : on ne gagne rien sans risquer, et (…) du fond de l’expérience déchirante de la dimension et de l’expérience de la discrimination compensatoire, elles ont quelque chose à dire à l’ensemble de la question sociale ».

C’est ainsi que de futures recherches prolongeant notre sujet pourrait se porter sur les thèmes esquissés par Plaisance et Stiker : les associations gestionnaires et leur rapport à l’intégration scolaire, les professionnels impliqués dans les processus de scolarisation – dont évidemment les accompagnants scolaires. Elles pourraient aussi se porter sur la philosophie et les soubassements de la notion d’inclusion, qui se propose de dépasser celle d’intégration, en dépassant les quelques esquisses d’analyse ici dévoilées. A ce propos, citons encore une fois Francine Muel Dreyfus, qui écrit en 1980 :



« réinventant eux-mêmes sans cesse l’histoire du secteur à la lumière d’une exigence d’innovation toujours renouvelée, les agents qui assurent la gestion de l’enfance « à problème » le considèrent non seulement comme un terrain toujours neuf mais comme le plus neuf des terrains puisqu’on peut toujours espérer y inventer quelque chose ».


Il est pertinent de se demander si l’invention de l’inclusion et celle de la fonction d’accompagnant scolaire se situent uniquement dans cette brèche qu’ouvre cette propriété essentielle du champ que constitue la capacité sans cesse renouvelée (et dont témoigne son histoire) à faire évoluer terminologies et classifications, modalités de définition du problème et modes d’action. Il nous semble réducteur de vouloir les y circonscrire, dans la mesure où ces évolutions ne sont actuellement pas du tout en voie d’être consacrées et se construisant plutôt contre les positions des agents en position de « gestion » ; mais il nous semble également qu’il serait une erreur de vouloir écarter le fait que le point de vue de Francine Muel-Dreyfus a une certaine pertinence, puisque l’inclusion scolaire tout comme la fonction d’accompagnement, même si elles ne sont pas aujourd’hui légitimées au-delà de l’invocation et du strict registre symbolique, s’inscrivent dans la généalogie très fournie des notions et pratiques qui se sont successivement données comme solution au problème :


« La nouvelle pratique ne répond à aucune nécessité (ou demande) sociale, en dehors de celle dont la déclarent investie ceux-là même qui l'inventent. Le nouveau spécialiste ne détient son pouvoir que de son plaidoyer qui le dit irremplaçable » (Vial, 1990).


De ce point de vue, inclusion et accompagnement scolaire, objets désormais incontournables du futur des politiques éducatives, se voient constitués comme des enjeux importants pour des intérêts divergents, voire opposés. La lutte pour l’imposition légitime de leur définition et de leur contours trouve plusieurs terrains : celui du scientifique, celui de sa traduction et de son usage politique, et celui des réceptions (et mise en œuvre) de ces deux premiers espaces par les professionnels. Ils pourraient tout aussi bien se retrouver dévoyés de leur socle initial (celui de ses promoteurs), fondamentalement caractérisé par une posture qu’on peut qualifier à la fois de subversive et d’humaniste – disant ceci nous nous positionnons, déjà –, pour se retrouver servir des intérêts qui leur seraient contraire, à l’instar du projet de Désiré Magloire Bourneville à la fin du 19ème siècle.

L’évocation que fait Henri Jacques Stiker de la question sociale est également une piste essentielle pour de futurs recherches : en effet, comme le note dès 1978 Jeannine Verdès-Leroux :
« Les schèmes générateurs qui organisent l’ancien discours sur les inadaptés (…) se retrouvent dans le nouveau sur les exclus ».
Il est permis de faire l’hypothèse que la notion de handicap n’a pas pu se débarrasser de cet héritage. De ce point de vue, la fonction d’opposition pratique que vient remplir la notion d’inclusion vis-à-vis de celle d’exclusion, et dont témoigne très fortement leur origine étymologique commune, redouble de notre point de vue la nécessité de la « prendre pour objet [en tant] qu’opérations sociales de nomination  et [de prendre également pour objet] les rites d’institution à travers lesquels elles s’accomplissent » (Bourdieu, 1991).

Une autre entrée possible concerne directement le point de vue de Henri Jacques Stiker quand il écrit que :


« La politique envers les personnes handicapées n’est pas que politique, elle est commandée par des représentations anthropologiques ». (Stiker, 2000a)


De ce point de vue, le fait que les accompagnants scolaires soient les personnels parmi tous ceux qui travaillent avec les enfants qui, en même temps, passent le plus de temps auprès d’eux, et au plus près, et ceux qui sont le moins qualifiés et reconnus, interroge fortement le soubassement anthropologique des politiques ici évoqués (Bordeau & Bourget, 2009). La notion de liminalité, abordée dans le présent travail, semble une entrée très pertinente pour l’analyse. Dans cette perspective, il est ainsi possible de poser l’hypothèse selon laquelle une proximité physique, duelle et dans la durée avec la personne handicapée hors du cadre spécial d’une institution spécialisée (lieu qui aurait le pouvoir d’annuler ce mécanisme) permet à l’état de liminalité d’acquérir des propriétés : soit de transmission (qu’acquiert, en ce qui concerne notre sujet, l’accompagnant scolaire) soit d’aimantation (le sens commun – en l’occurrence politique – estimant que les accompagnants doivent être dans un état proche de celui qui caractérise la liminalité, comme des personnes sans emploi). Il est même probable que ces deux mécanismes soient conjoints.

Ainsi, penser que l’accompagnement scolaire puisse être réalisé par des personnes formées à l’histoire du champ éducatif français, aux enjeux que représente la notion d’inclusion et à des aspects théoriques indispensables comme la philosophie, la psychologie, la sociologie, le droit ou la pédagogie et la didactique, est tout à fait impossible. A l’opposé, leur réserver des conditions contractuelles et d’exercice de leur mission tel qu’elles sont actuellement organisées se justifie tout à fait.

Philippe Mazereau et Maëla Paul n’évoquent pas autre chose lorsqu’ils questionnent le nouveau rapport au savoir que produit le paradigme de l’accompagnement : dans le champ éducatif, les accompagnants scolaires ne sont pas les seuls à cumuler proximité avec les personnes et sous qualification, et en même temps à être producteur d’un savoir qui n’a pas de reconnaissance puisque s’enracinant dans de tout autres espaces que ceux, technicistes, généralisants et le plus souvent forgés selon une logique défectologique, qui dominent le champ. C’est le cas pour l’ensemble des métiers relatifs au care, qui constitue un champ théorique avec lequel des liens pourraient également être tissés.

Pour Philippe Mazereau, qui adopte ici une position clairement normative, il s’agit de :


« Rompre avec le réflexe spontané des institutions médico-sociales et scolaires qui consiste à confier aux personnels les moins formés les tâches de proximité avec les personnes en difficulté. (…) C’est un des enjeux de la période à venir que d’ouvrir ces professions à la formation et aux modalités réflexives sur la pratique afin que les savoirs issus de ces pratiques acquièrent une pertinence dans les projets des nouvelles structures ».



De notre point de vue, toutes ces orientations sont indissociables du fait qu’il est nécessaire d’habiter le postulat selon lequel toute forme de ségrégation est réductrice d’humanité – y compris et surtout quand cette dernière lui sert de caution –, et que les dépassements d’héritages historiques sont possibles, à l’opposé des conceptions de ceux qui s’en font les gestionnaires, qu’il soit ici question de l’enfance handicapée ou bien du champ des sciences de l’éducation.













































































Table des matières
Introduction………………………………………………………… p.5

Présentation....................................................................................................................... p.5

Le contexte de choix du sujet............................................................................... p.5
Thématique........................................................................................................... p.7
Problématique...................................................................................................... p.9

Méthodologie…………………………………………………………………………… p.10

Des lectures herméneutiques.................................................................. p.11
Des entretiens avec six AVS-i................................................................ p.11

Les entretiens et la question de la réflexivité............................. p.12
A propos du recueil de la parole des AVS................................. p.13

2.3 La question de la réflexivit酅…………………………………..…. p.15  

2.3.1 Du vécu d’une condition à son historicisation
et du militantisme à l’apprentissage de la recherche.................. p.15
2.3.2 La position sociale de ma déficience.......................................... p.18
2.3.3 Le champ des sciences de l'éducation et l’objet de recherche « éducation spéciale »................................ p.20
2.3.4 Les sciences de l’éducation et l’éducation spéciale.................... p.22
2.3.5 Conclusion.................................................................................. p.24

2.4 Décrire les origines : l’entrée sociohistorique........................................ p.25

2.4.1 La théorie des champs…………………………………………. p.26
2.4.2 Le cadre historique choisi……………………………………… p.28

2.5 Les AVS-i et le cadre de leur existence :
de l’histoire aux notions............................................................... …….. p.29

Chapitre 1 : Histoire et structure du champ………………………….… p.29
Chapitre 2 : Origine de l’inclusion scolaire………………………….… p.29
Chapitre 3 : Le poste d’AVS-i……………………………………….… p.29
Chapitre 4 : AVS-i et accompagnement……………………………….. p.29

Présentation des AVS-i interrogés : texte et contexte....................................................... p.30

3.1 Territoires et pratiques éducatives........................................................... p.30
3.2 Milieu rural ?........................................................................................... p.33
3.3 Les AVS-i interrogés : situation dans l’espace social des positons......... p.36

3.3.1 Anciens et néo-recrutés.................................................................. p.45
3.3.2 Quelques remarques sur les 49 élèves accompagnés.................... p.54 3.3.3 Un impératif inquestionné : dire et classer le handicap................ p.54

Les mots et notions autour du handicap............................................................................ p.55


Chapitre 1 : Un siècle d’éducation séparée. Une histoire des relations entre éducations scolaire et spéciale 1880-2005

1.1 Genèse et constitution du champ du spécial : 1880-1940.................................. p.62

1.1.1 La genèse de l’éducation et de l’enseignement
spécial, 1880-1909 .................................................................................... p.62

1.1.1.1 Trente ans d’activité législative fondatrice......................... p.62

1.1.1.2 La loi du 14 avril 1909........................................................ p.65

1.1.1.3 Aux origines de la loi de 1909............................................ p.66

1.1.1.4 L’enseignement spécial : une genèse non linéaire,
une logique ségrégative....................................................... p.68

1.1.2 Ecole et anormalité...................................................................................... p.71

1.1.2.1 L’application de la loi du 14 avril 1909.............................. p.71

1.1.2.2 Un « grand sommeil » ?...................................................... p.72

Conclusion.................................................................................................. p.74

1.2 L’affermissement des contours du champ : 1940-1975.................................... p.75
1.2.1 Les fondements unifiants de l’inadaptation............................................... p.75
1.2.1.1 Vichy, le conseil technique et l’école................................. p.75

1.2.1.2 Pédopsychiatres, neuropsychiatres
infanto juvénile.................................................................. p.78

1.2.2 L’âge d’or de l’inadaptation : 1945-1975.................................................. p.79
1.2.2.1 Une recomposition politique après la libération………..... p.79

1.2.2.2 La création des grandes associations :
APAJH et UNAPEI........................................................... p.80

1.2.2.3 Institutions de l’éducation spéciale : 1950, 1960............... p.84

1.2.2.4 Professions de l’éducation spéciale.................................... p.86
1.2.3 L’inadaptation et l’école : le temps de
l’adaptation scolaire.................................................................................... p.88

Conclusion.................................................................................................. p.91


1.3 Les lois du 30 juin 1975 et l’adoption du handicap........................................... p.92

1.3.1 Origines....................................................................................................... p.92

1.3.1.1 Les indices de la volonté d’encadrement
réglementaire du champ...................................................... p.92
1.3.1.2 Le partenariat état / association.......................................... p.93
1.3.2 Le contenu de la loi..................................................................................... p.95
.
1.3.2.1 Le handicap et les personnes handicapées......................... p.95

1.3.2.2 Raison et nature des oppositions à la loi………................ p.97

1.3.2.3 Principes généraux............................................................. p.97

1.3.2.4 Les CDES, porte d’entrée vers les institutions................... p.98

1.3.2.5 L’obligation éducative........................................................ p.99

1.3.3 Ecole et handicap après 1975 :
la dynamique formelle de l’intégration scolaire......................................... p.99

Conclusion.......................................................................... p.102

1.4 La loi du 11 février 2005...................................................................................... p.103

1.4.1 Une loi consacrant l’inclusion..................................................................... p.103

1.4.2 Une définition du handicap......................................................................... p.104

1.4.3 Handicap et difficultés scolaires................................................................. p.105

1.4.4 Le projet consacré et reçu par
un nouvel appareillage institutionnel.......................................................... p.107

Conclusion.......................................................................... p.111











Chapitre 2 : Les mondes des inclusions : origines, circulation, utilisation

2.1 De l’intégration à l’inclusion : éléments historiques......................................... p.112

2.1.1 Les inclusions................................................................................................ p.112

2.1.1.1 Etymologie………………………………………………. p.112

2.1.1.2 L’inclusion sociale………………………………………. p.113

2.1.1.3 La conception de l’organisation sociale promue par
l’inclusion……………………………………………...... p.115

2.1.2 Origines historiques du principe de l’inclusion scolaire............................... p.117

2.1.2.1 Amérique et Europe du Nord……………………………. p.117

Le principe de normalisation…………………….. p.117

De la normalisation à la VRS……………………. p.119

L’émergence du terme inclusion scolaire………… p.120

Pour résumer……………………………………… p.122

2.1.2.2 Le rôle des associations et le modèle social
du handicap……………………………………………… p.122

2.1.2.3 L’inclusion entre discours humanistes et intérêts
économiques…………………………………………….. p.125

Un invariant historique…………………………… p.125

L’internationalisation des politiques économiques. p.128

Une prise de position…………………………….. p.129

Pour conclure…………………………………….. p.131
2.1.2.4 Le cadre européen………………………………………. p.132

2.1.3 La circulation internationale de l’inclusion.................................................. p.133

2.1.3.1 De l’objet technique à l’objet notionnel :
concepteur et utilisateur………………………………….. p.134

Des concepteurs de l’inclusion ?............................. p.134

Des utilisateurs… concepteurs...……….................. p.136

2.1.3.2 Trajectoires, circulation et controverses…………………. p.137

2.1.3.3 Au terme de la circulation internationale :
les utilisateurs de l’inclusion dans le cadre
national français………………………………………….. p.140

Conclusion......................................................................... p.146

2.2 L’inclusion dans son versant scolaire................................................................ p.147

2.2.1 Intellectuels et profession enseignante face à l’inclusion scolaire.............. p.147

2.2.1.1 Le champ académique et l’inclusion…………………….. p.148

L’inclusion et la pensée de l’altérité
radicale : une « réponse idéologique »…………… p.148

L’inclusion et ses promoteurs : la matrice d’une
« mutation anthropologique »…………………..... p.153

L’inclusion et la sociologie
conflictualiste : un processus raffiné
d’euphémisation………………………………….. p.156

2.2.1.2 Les professions enseignantes et l’inclusion…………….. p.160

L’inconscient social du métier d’instituteur et
d’institutrice……………………………………… p.160

Ses conséquences relatives au mouvement
Inclusif……………………………………………. p.162

Et l’enseignement spécialisé ?................................. p.163

Pour conclure : la place centrale de la formation
(collective)……………………………………….. p.165

2.2.2 L’inclusion : proposition de définition......................................................... p.168

2.2.2.1 Inclusion et besoins éducatifs particuliers :
un couple puissant………………………………………. p.169

2.2.2.2 La question de l’hétérogénéit酅…………………….. p.173

2.2.2.3 Une lutte pour les droits……………………………....... p.175

2.2.2.4 Une occasion d’historiciser l’école…………………….. p.178

2.2.3 Les AVS-i dans le processus inclusif………………………….................. p.179

Conclusion........................................................................ p.183
Chapitre 3 : Position et propriétés du poste d’AVS-i

3.1 L’inconscient social du poste d’AVS-i………………………………………………… p.184

3.1.1 L’éducation spéciale contre l’éducation scolaire :
un contentieux historique ?......................................................................................  p.184
3.1.1.1 Aux origines................................................................................. p.184

3.1.1.2 Complémentarité pratique et
opposition symbolique................................................................ p.186

3.1.2 De la ségrégation à l’émergence de
l’accompagnement scolaire.................................................................................. p.187

3.1.2.1 La succession des paradigmes.................................................... p.187

Ségrégation.................................................................... p.188

Adaptation...................................................................... p.188

Intégration...................................................................... p.188

Inclusion......................................................................... p.190

3.1.2.2 Les intentions et les effets de leur
mise en œuvre........................................................................... p.191

3.1.2.3 Intégration scolaire et accompagnement.................................... p.193

3.2 Accompagnants scolaires : une histoire institutionnelle.............................................. p.195

3.2.1 L’émergence de l’accompagnement scolaire
des enfants handicapés.......................................................................................... p.195

3.2.1 1 Les premiers accompagnants :
en marge des associations et des lois........................................ p.195

3.2.1.2 Les années 80-90 et l’associatif................................................. p.197

3.2.2 Du local au fédératif national............................................................................... p.199

3.2.2.1 Les emplois-jeunes..................................................................... p.200

3.2.2.2 Les étapes d’une reconnaissance consacrée
mais fragile............................................................................... p.201

3.2.2.3 Les effets de ces étapes sur la définition des
contours de la pratique de l’accompagnement......................... p.203

3.2.2.4 La question d’un métier d’accompagnant………...................... p.205

3.2.3 La politique du flou : 2003-2009.......................................................................... p.209

3.2.3.1 2003 : les AVS AED.................................................................. p.209

3.2.3.2 2005 : les EVS- ASEH............................................................... p.215

CAE, CAV…………………………………….……… p.215

2010 : CUI et SAAD...................................................... p.216

3.2.3.3 Une analyse critique.................................................................... p.216

Le sens commun et le travail
avec des enfants handicapés :
dévouement, bonne volonté et féminit酅…………. p.217

La liminalité en partage……………………………….. p.219

« Qualités scolaires ou qualités humaines »,
ou l’héritage d’une opposition
historiquement constituée……………………………... p.221

3.3 L’accompagnement scolaire dans l’espace des positions des
agents/acteurs intéressés par l’enfance handicapée.................................................. p.222
3.3.1 Les propriétés du poste......................................................................................... p.224

3.3.1.1 Une position relationnelle…………………………………….. p.225

3.3.1.2 Une position réactivée ?............................................................. p.227

3.3.2 Le poste d’AVS-i AED et ses principales relations :
éléments d’élucidation………………………………………………………….. p.230

3.3.2.1 La famille……………………………………………………… p.230

L’élève accompagn酅…………….………………. p.230

Les parents…………………...……………………….. p.234

La géographie du handicap…………………………………... p.240

3.3.2.3 Du côté de l’école………………………………...………….... p.244

Les élèves des classes……………………………..….. p.246

Les enseignants……………………………………….. p.248

Pédagogie, didactique et conduite de classe………….. p.256

3.3.2.4 Du côté du médico-social…………...…………………………. p.258

3.3.2.5 L’éducation populaire……………………………………….… p.263

Conclusion................................................................................. p.264

Chapitre 4 : (Comment) Accompagner (qui ?) selon les besoins (de qui ?) ?


4.1 La vogue et la vague de l’accompagnement....................................................... p.266

4.1.1 Un lieu commun…………………………………………………….…… p.266

4.1.2 Délitement et professionnalisation du lien social……………………….. p.268

4.1.3 Définir l’accompagnement : une notion en tension……………………… p.270


4.2 Les cordes de l’instrument accompagnement.................................................... p.273

4.2.1 Les pratiques et postures de l’accompagnement…………………….….. p.273

4.2.2 Les registres de l’accompagnement…………………………….………. p.278


4.3 Mandat et demande :
entre souci de l’autre et instance de pouvoir………..…………………..…..... p.281

4.3.1 Un mandat unique ?.………………………………………….………….. p.281

4.3.2 Priorité au mandat, priorité à la demande………………………………... p.284

4.3.3 La domination de « l’intervention » ?......................................................... p.288

4.4 Accompagner quoi, accompagner qui ?............................................................. p.290

4.4.1 Répondre aux besoins……………………………………………………. p.291

4.4.2 Autonomie, dépendance, socialisation………………..……….………… p.293

4.4.3 Ecoute et violence symbolique………………………………………….. p.296


Conclusion générale......................................................................................................... p.299
Table des matières............................................................................................................ p.306
Bibliographie..................................................................................................................... p.314
Bibliographie électronique……………………………………………………………… p.322




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ZAFFRAN Joël (2007) L'intégration scolaire des handicapés. 2ème édition. Paris : L'Harmattan.







Bibliographie électronique

J’ai souhaité rassembler et situer les liens hypertextes au sein du plan. Ce dernier est néanmoins amputé de toutes les parties et sous parties qui ne contiennent pas de renvoi hypertexte, afin d’alléger la lecture de cette bibliographie.

Introduction………………………………………………………… p.5

Présentation....................................................................................................................... p.5

1.1 Le contexte de choix du sujet............................................................................... p.5

 HYPERLINK "http://www.unapei.org/"UNAPEI
 HYPERLINK "http://www.unaisse.free.fr/"UNAISSE
 HYPERLINK "http://www.fnaseph.org/"FNASEPH
 HYPERLINK "http://mimibaby.free.fr" http://mimibaby.free.fr

[…]

Méthodologie…………………………………………………………………………… p.10

[…]

2.3.1 Du vécu d’une condition à son historicisation
et du militantisme à l’apprentissage de la recherche.................. p.15

 HYPERLINK "http://www.sociologie-cultures.com/essais/interdit.sociologique.htm"http://www.sociologie-cultures.com/essais/interdit.sociologique.htm

2.3.2 La position sociale de ma déficience.......................................... p.18

 HYPERLINK "http://www.mouvements.info/Politique-de-l-engagement.html" http://www.mouvements.info/Politique-de-l-engagement.html

2.3.3 Le champ des sciences de l'éducation et l’objet de recherche « éducation spéciale »................................ p.20

 HYPERLINK "http://ruralia.revues.org/document1108.html" http://ruralia.revues.org/document1108.html

[…]

3.2 Milieu rural ?........................................................................................... p.33

 HYPERLINK "http://entretenir.free.fr/ouvrier/ecole.html" http://entretenir.free.fr/ouvrier/ecole.html

3.3 Les AVS-i interrogés : situation dans l’espace social des positons......... p.36

 HYPERLINK "http://unaisse.free.fr" http://unaisse.free.fr

3.3.1 Anciens et néo-recrutés.................................................................. p.45

 HYPERLINK "http://dcalin.fr/textes/exclusion/html" http://dcalin.fr/textes/exclusion/html

[…]

Chapitre 1 : Un siècle d’éducation séparée. Une histoire des relations entre éducations scolaire et spéciale 1880-2005

[…]

1.4.2 Une définition du handicap......................................................................... p.104

 HYPERLINK "http://www.lecolepourtous.education.fr/fileadmin/pdf/INSHEA_Courteix.pdf"http://www.lecolepourtous.education.fr/fileadmin/pdf/INSHEA_Courteix.pdf

[…]


Chapitre 2 : Les mondes des inclusions : origines, circulation, utilisation

[…]

2.1.1.2 L’inclusion sociale………………………………………. p.113

 HYPERLINK "http://www.cnle.gouv.fr/?Les-indicateurs-communs"Indicateurs de suivi communs à tous
 HYPERLINK "http://www.cnle.gouv.fr/"http://www.cnle.gouv.fr/
 HYPERLINK "http://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=816&furtherNews=yes"http://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=816&furtherNews=yes

[…]

De la normalisation à la VRS……………………. p.119

 HYPERLINK "http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914" http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914.

[…]

Un invariant historique…………………………… p.125

 HYPERLINK "http://www.recit.net/IMG/pdf/CT_FAIRE_UNE_POL_D_AJUSTEMENT_OCDE.pdf"http://www.recit.net/IMG/pdf/CT_FAIRE_UNE_POL_D_AJUSTEMENT_OCDE.pdf

[…]

2.1.2.4 Le cadre européen………………………………………. p.132

 HYPERLINK "http://www.inshea.fr/expertise_detail.php?id=767&id_menu=3&id_ssmenu=35&id_rubrique=1&id_ssrubrique=216"http://www.inshea.fr/expertise_detail.php?id=767&id_menu=3&id_ssmenu=35&id_rubrique=1&id_ssrubrique=216

[…]

Des concepteurs de l’inclusion ?............................. p.134

 HYPERLINK "http://www.lesmutins.org/chomskyetcompagnie/wp-content/uploads/chomskyciedp.pdf"http://www.lesmutins.org/chomskyetcompagnie/wp-content/uploads/chomskyciedp.pdf

[…]

L’inclusion et la pensée de l’altérité
radicale : une « réponse idéologique »…………… p.148

 HYPERLINK "http://eghl.blogspot.com/2009/12/alain-blanc.html" http://eghl.blogspot.com/2009/12/alain-blanc.html

L’inclusion et ses promoteurs : la matrice d’une
« mutation anthropologique »…………………..... p.153

 HYPERLINK "http://www.aideeleves.infini.fr/lectures/gardou2.htm" http://www.aideeleves.infini.fr/lectures/gardou2.htm

[…]

Ses conséquences relatives au mouvement
Inclusif……………………………………………. p.162

 HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__20__p__4328206&#entry4328206" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__20__p__4328206&#entry4328206

Et l’enseignement spécialisé ?................................. p.163

 HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__40__p__4335345&#entry4335345" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__40__p__4335345&#entry4335345

 HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__p__4320205&#entry4320205" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__p__4320205&#entry4320205

 HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__60__p__4408090&#entry4408090" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__60__p__4408090&#entry4408090

Pour conclure : la place centrale de la formation
(collective)……………………………………….. p.165

 HYPERLINK "http://dcalin.fr/publications/lescouarch2.html" http://dcalin.fr/publications/lescouarch2.html

[…]

2.2.2.1 Inclusion et besoins éducatifs particuliers :
un couple puissant………………………………………. p.169

 HYPERLINK "http://www.ac-montpellier.fr/sections/enseignement-scolaire/scolarite-pour-tous/handicap/handicap/communication-e/downloadFile/file/communication_e_plaisance.pdf" http://www.ac-montpellier.fr/sections/enseignement-scolaire/scolarite-pour-tous/handicap/handicap/communication-e/downloadFile/file/communication_e_plaisance.pdf

 HYPERLINK "http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/handicapes/6_22.htm" http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/handicapes/6_22.htm

 HYPERLINK "http://www.senat.fr/cra/s20100512/s20100512_8.html#par_35" http://www.senat.fr/cra/s20100512/s20100512_8.html#par_35

2.2.2.2 La question de l’hétérogénéit酅…………………….. p.173

 HYPERLINK "http://dcalin.fr/textes/exclusion.html" http://dcalin.fr/textes/exclusion.html

 HYPERLINK "http://www.inrp.fr/manifestations/2009-2010/journees-ecole-et-handicap" http://www.inrp.fr/manifestations/2009-2010/journees-ecole-et-handicap

2.2.2.3 Une lutte pour les droits……………………………....... p.175

 HYPERLINK "http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914" http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914.

2.2.2.4 Une occasion d’historiciser l’école…………………….. p.178

[…]

Chapitre 3 : Position et propriétés du poste d’AVS-i

[…]

3.2.2.2 Les étapes d’une reconnaissance consacrée
mais fragile............................................................................... p.201

 HYPERLINK "http://intescol.free.fr/ASSOCOLLECTINTEGR/IRISINITIATIVE/irispresentation.htm"http://intescol.free.fr/ASSOCOLLECTINTEGR/IRISINITIATIVE/irispresentation.htm

[…]
« Qualités scolaires ou qualités humaines »,
ou l’héritage d’une opposition
historiquement constituée……………………………... p.221

 HYPERLINK "http://www.senat.fr/questions/base/2009/qSEQ09120738S.html" http://www.senat.fr/questions/base/2009 ... 0738S.html

[…]

Chapitre 4 : (Comment) Accompagner (qui ?) selon les besoins (de qui ?) ?

[…]


4.1.3 Définir l’accompagnement : une notion en tension……………………… p.270

 HYPERLINK "http://dcalin.fr/phpBB/viewtopic.php?p=3161#p3161" http://dcalin.fr/phpBB/viewtopic.php?p=3161#p3161

[…]

4.3.1 Un mandat unique ?.………………………………………….………….. p.281

 HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page107.htm" \l "intervention" 2003-092.du 11 juin 2003
 HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page133.htm" \l "intervention" 2003-093.du 11 juin 2003
 HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page798.htm" http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page798.htm

[…]

4.4.1 Répondre aux besoins……………………………………………………. p.291

 HYPERLINK "http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-58837QE.htm" http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-58837QE.htm

[…]

4.4.3 Ecoute et violence symbolique………………………………………….. p.296

 HYPERLINK "http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/v/violencesymbolique.html" http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/v/violencesymbolique.html
 HYPERLINK "http://www.dailymotion.com/video/x884r_la-violence-symbolique_news" http://www.dailymotion.com/video/x884r_la-violence-symbolique_news
 HYPERLINK "http://www.barbier-rd.nom.fr/violencesymbolique.html" http://www.barbier-rd.nom.fr/violencesymbolique.html

[…]

















































































En France, comme dans l’ensemble des pays occidentaux industriels, s’est historiquement constituée, à l’origine adossée à l’école primaire, une filière spéciale d’éducation destinée à toutes les espèces d’écoliers qui ne parviennent pas, pour diverses raisons, à se conformer à ce que l’institution scolaire réclame comme élève moyen et bien portant (Plaisance, 1996, Gardou, 2006). C’est ainsi que l’école s’est constituée comme « l‘institution étalon de la normalité », de ses racines républicaines jusqu’à aujourd’hui. (Mazereau, 1998). Cette « normalité » est aussi, mais pas seulement, celle qui est nécessaire pour participer au système productif – c'est-à-dire occuper un emploi.

Ce travail, basé sur une approche socio-historique, c’est à dire historique avec les outils de la sociologie – en l’occurrence la sociologie de Pierre Bourdieu et de sa théorie des champs – s’intéresse à ce que l’émergence du personnel œuvrant à l’accompagnement scolaire des enfants handicapés (AIS, AVS, EVS-h…etc.) doit à l’histoire des relations entre éducations scolaire et spéciale, et aux différents paradigmes qui se sont succédés pour organiser leurs complémentarité pratique, qui se double d’une puissante opposition symbolique (Muel-Dreyfus, 1980).

Les dénominations de ces enfants, qui connaissent l’échec à l’école – puisque c’est ainsi, beaucoup plus que la mise en échec par l’institution, qu’ont été et sont toujours majoritairement exprimées les explications des processus d’orientation vers l’éducation ou l’enseignement spécial –, trouvent dans l’histoire du champ de l’enfance inadaptée des formes qui ont la caractéristique d’être très dynamiques et fluctuantes, ce qui fonde une de ses plus importantes propriétés. Ces processus de nomination évoluent en effet très vite, selon l'état des luttes entre les trois pôles qui composent les principales forces du champ : la production scientifique, le discours des professionnels et les logiques dominant l'action publique. Les créations institutionnelles et les conquêtes de marchés professionnels nouveaux sont indissociablement adossées à ces processus de dénomination.

Dans ce cadre, ce travail s’intéresse également à la position et à la nature du poste d’auxiliaire de vie scolaire, et en particulier d’auxiliaire de vie scolaire individuel (AVS-i), poste dont l’histoire est concomitante à celle de l’intégration scolaire des enfants handicapés – auquelle l’inclusion semble avoir succédé. De fait, ce poste a plus de trente ans d’existence. En prenant appui sur la parole d’AVS-i, ce travail tente de rendre intelligible ce qui peut naître (ou pas) de la rencontre entre l’histoire sociale du poste, ici largement élucidée, et l’histoire sociale de l’individu qui l’occupe – étant bien entendu que les propriétés sociales des AVS-i ainsi que les conditions sociales de l’occupation du poste sont surdéterminées par des forces sociales – dont font partie les choix politiques de la classe politico administrative.

L’accompagnement, qui fonde à partir des années 1990, dans l’ensemble des métiers de la relation, un nouveau lieu commun (Paul, 2004), se trouve, dans sa forme « scolaire », faire partie intégrante d’une évolution générale des métiers de la relation consistant en une professionnalisation du lien de soutien concomitante à une dégradation et une recomposition du lien social (Demailly, 2009). Accompagner scolairement des enfants handicapés dans des processus d’inclusion, voilà donc comment la langue du pouvoir (du politique, des intellectuels et du droit, notamment) semble définir le poste d’AVS-i. Mais que recouvrent ces mots et ces notions ? Quels sont les mondes et les visions du monde qu’ils et elles contiennent ? D’où viennent-ils, qu’impliquent leurs usages, leur défense ou leur rejet ? Quelles sont les réalités quotidiennes des AVS-i qui (parmi d’autres) travaillent dans les coulisses de ces mots de représentation – et de « présentation de soi » – de l’institution scolaire ?

Entre le spécial et l’ordinaire, mais aussi entre le familial et l’éducation populaire, l’accompagnement scolaire des élèves en situation de handicap se trouve acquérir une forme de définition légitime de sa pratique et de modalités contractuelles d’emploi qui trouvent leur sens uniquement par rapport à la position spécifique que les accompagnants occupent dans le champ éducatif, qui à certains égards est tout à fait inédite mais qui semble néanmoins constituer une réinvention d’une très ancienne position au sein de l’école (réelle ou invoquée, et dans la généalogie de laquelle il s’inscrit) : celle d’un personnel non enseignant intervenant dans les classes.


Mots-clés : auxiliaire de vie scolaire AVS, emploi de vie scolaire EVS, accompagnement, école, handicap, enfance handicapée, champ de l’enfance inadaptée, éducation spéciale, intégration scolaire, inclusion, liminalité.
( Désolé Cyril et Frédéric, ça fait une juste (petite) revanche sur la grammaire.
 CAE : contrat d’accompagnement vers l’emploi ; CAV : contrat d’avenir. Ces deux contrats sont progressivement remplacés par les CUI, contrats uniques d’insertion depuis janvier 2010. Sur ce sujet, voir infra, 3.2.3.2
 Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC.
 La DIPH a été supprimée à la fin de l’année 2009 et remplacée le 9 février 2010 par un « comité interministériel du handicap », dont le secrétaire général est depuis cette date Thierry Dieuleveux, énarque, ancien cadre dans l’industrie pharmaceutique et ancien inspecteur de l’inspection générale des affaires sociales.
  HYPERLINK "http://mimibaby.free.fr" http://mimibaby.free.fr
 Voir infra, 3.2.
 L’ensemble des Inspections Académiques a opéré ce glissement entre 2007 et 2009 : auparavant, les AVS (individuels) étaient employés sur la base de 35 heures, malgré un temps de service réduit aux temps scolaire. Sur ce point, voir Bordeau Mona, Bourget Guillaume (2009) Le personnel accompagnant scolaire, une approche socio-historique. La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, pp. 55-69. Suresnes : Editions de l’INSHEA. En 2010 en Loire-Atlantique, la quotité horaire d’un contrat d’AVS varie entre 6 et 35 heures (une seule personne dans ce dernier cas), mais la moyenne se situe aux alentours d’une quinzaine d’heures par semaine.
 Décret de 1985 : procédure différente de la validation des acquis de l’expérience. La « VA 85 » permet d’obtenir une inscription dans une formation à partir d’une expérience professionnelle, la où la VAE permet d’obtenir tout ou partie d’une certification.
 Ou handicapés ? La question de la façon de nommer ces enfants constitue un point important du présent travail. Nous verrons notamment que les choix, plus ou moins conscients, d’utiliser telle ou telle manière de les catégoriser, est un indice important de la façon de penser le handicap et la déficience, et peut dans certains cas même constituer un indice d’appartenance idéologique. Pour ma part, et à l’encontre de ceux qui y voient une forme systématique de négation de la déficience (comme Alain Blanc par exemple), j’utilise « situation de handicap », considérant comme positive et riche d’opportunité pour la pensée que de s’inscrire dans une approche environnementaliste du handicap.
 Qu’elle confond d’ailleurs avec les personnes qui l’occupent. Distinguer « poste » et  « personnes qui occupent le poste » a été un moment décisif pour construire le cadre de mon travail – et permis grâce à la lecture de Francine Muel-Dreyfus.
 Que les rares ouvrages sur les AVS occultent complètement ou presque : les « historiques » y sont réduits à un ou deux paragraphes, autant dire une place inversement proportionnelle à son importance pour comprendre le poste et les réalités actuelles de son occupation. De fait, nous n’avons pas référencé ces ouvrages, pour lesquels nous n’avons trouvé nul intérêt.
 A partir notamment de l’ouvrage de Jacqueline Gautherin (Une discipline pour la république. La science de l’éducation en France (1882-1914)), qui y explicite une partie de l’inconscient social de ce département universitaire, il serait intéressant de produire une recherche sur la part des recherches menées dans le champ des sciences de l’éducation sur les métiers non enseignants – au sein par exemple d’une histoire des personnels non enseignants de l’école.
 ATSEM, agent territorial spécialisé pour l’école maternelle.
 Sur ce point, confère le numéro 180 de Actes de la recherche en sciences sociales : école ségrégative, école reproductive, janvier 2010. La division sociale du travail au sein des écoles constitue de notre point de vue une des matrices du caractère reproducteur de l’école, en sus de ce que pointe les articles de ce numéro.
 Sur le terme « élite », confère Hazan Eric (2006) LQR, la propagande du quotidien. Paris : Raisons d’Agir.
 « Education populaire », terme polysémique, désigne ici l’ensemble du secteur de l’animation et des centres de loisirs.
 Qu'il soit ou ait été nommé auxiliaire d'intégration scolaire (AIS), auxiliaire de vie scolaire (AVS), individuel (AVS-i), ou collectif (AVS-co), emploi de vie scolaire pour l'aide à la scolarisation des élèves handicapés – (EVS-ASEH) ou encore, produit d'une confusion bien compréhensible au vue de la multiplicité des sigles et des types de contrats créant les conditions de ce qu’on peut appeler une politique du flou, EVS-AVS.

 La notion d’intérêt est ici entendue comme un « concept totalement différent de l’intérêt transhistorique et universel de la théorie utilitariste, universalisation inconsciente de la forme d’intérêt qui est engendrée et exigée par une économie capitaliste. Loin d’être un invariant historique, l’intérêt est un arbitraire historique, une construction historique qui ne peut être connu que par l’analyse historique ». (Bourdieu, 1992) Par exemple, les enseignants « ordinaires » sont devenus, avec la loi n°2005-102 du 11 février 2005 posant le droit à la scolarisation « dans l’école de son quartier » pour tout enfant handicapé, intéressés, parfois contre leur gré, à l’enfance handicapée.
 Et qui reste, avec des contacts d’agents ayant occupé des positions importantes dans le champ, à disposition de chercheurs éventuellement intéressés.
 Son origine, sa genèse et son histoire institutionnelle sont ici traitées, chapitre 3.
 Sur l’histoire institutionnelle du poste, confère 3.2.
 Il y a eu en 2009 un espoir pour de nombreux AVS-i (qu’ils soient d’ailleurs sous contrat AED ou sous contrat aidés par l’état) de se voir pérennisés dans leur poste : ils étaient les premiers à arriver au terme des six années. Sans rentrer dans le détail des péripéties de l’été 2009 entre gouvernement et associations, il est en tout cas possible d’affirmer que l’échec de cette possibilité a mis un terme à l’espoir de rester AVS-i pour de nombreuses personnes qui le souhaitaient.
 Il faut relativiser ce caractère d’exception, sans pour autant le contester : en effet, les AVS-i sous contrat emplois-jeunes étaient, dans certains départements (mais pas dans tous), recrutés au niveau bac, et pouvait occuper leur poste pendant cinq ans, ce qui ne les éloigne pas tant que ça des conditions d’emploi des AED. Pour plus de précisions, confère chapitre 3.
 Caractérisés par une durée d’occupation du poste variant de quelques mois à trois ans pour les EVS, et de cinq ans pour les emplois-jeunes (EJ), aucun de ces contrats n’imposant d’être titulaire du baccalauréat pour entrer dans le poste (à l’exception de certaines associations départementales employant des EJ en fonction d’AVS avant 2003, année du basculement du dispositif de l’associatif vers l’éducation nationale).
 Si c’était possible, je serais toujours AVS-i ; seulement, la logique d’emploi du poste ne rencontre pas les désirs de travail de ceux qui l’occupent : elle limite la durée d’occupation du poste de deux à six ans selon les contrats. Par ailleurs, j’explique plus loin (introduction, 2.3.2) ce qui fait que le poste d’AVS-i semble fait pour moi, ce qui fonde le fait de ne pouvoir me départir d’un sentiment d’appartenance.
 Confère infra, introduction, 2.3.
 Et qui peut contribuer à qualifier les entretiens effectués comme des entretiens entre deux AVS-i – étant bien entendu que ma position implique une dissymétrie : je mène l’entretien et connaît l’histoire du poste. Certains extraits utilisés dans ce travail peuvent être réceptionnées sur ce principe d’ « échange entre deux AVS-i ».
 Alors que cet espace l’est a priori toujours pour l’interviewer. J’ai eu des retours parfois très enthousiastes des entretiens menés, ce qui constitue pour moi une grande satisfaction.
 L’ensemble des propriétés du poste sont analysées en 3.3.1.
 Commission de circonscription du préélémentaire, antichambre de la commission départementale d’éducation spéciale (CDES), créées toutes deux par la loi de 1975 dite en faveur des personnes handicapées, et supprimées par la loi de 2005.
 Secondaire, puisque j’ai connu moi-même, déficient visuel à l’école, une première initiation « de l’intérieur » à cette réalité.
 Plus précisément sur cette page :  HYPERLINK "http://www.sociologie-cultures.com/essais/interdit.sociologique.htm"http://www.sociologie-cultures.com/essais/interdit.sociologique.htm
 Qu’il conviendrait de développer.
 A la suite de Philippe Mazereau (1998), j’utiliserais la notion de « agents/acteurs » en guise de marqueur d’une position (relative à une controverse profonde d’approches théoriques différentes dans le champ de la sociologie) consistant à postuler que tout individu est à la fois un agent (en ce qu’il est déterminé par l’histoire incorporée – de manière différenciée – des forces sociales qui façonnent son « monde ») et un acteur (c'est-à-dire qu’il a toujours, de manière socialement différenciée encore, des marges d’action malgré ce qui le surdétermine).
 Et brillamment résumé dans : Jacques Bouveresse (2003) La connaissance de soi et la science, Actes de la recherche en sciences sociales 5/2003 (no 150), p. 59-64.
 « Les conditions de possibilités du « sujet » scientifique et celles de son objet ne font qu’un et à tout progrès dans la connaissance des conditions sociales de production des « sujets » scientifiques correspond un progrès dans les connaissances de l’objet scientifique, et inversement ». (Bourdieu, 1992)
 Déficience visuelle importante jamais reconnue comme un « handicap », puisque ce terme, entendu du point de vue du Droit (et non du sens commun), implique légalement l’endossement d’un statut et l’ouverture de droits afférents ; on peut donc être déficient sans être « handicapé », mais également être statutairement « handicapé » sans être déficient. (Confère infra, 4-Les mots et notions autour du handicap)
 Et de connaître ainsi de manière homologue ce sentiment, commun aux agents ayant connu de manière très intense et sur la durée, pour une raison ou pour une autre, la nécessité d’un autocontrôle et d’une vigilance permanente par rapport à soi-même, par rapport à son corps et son langage, ses gestes et son accent, ses postures et sa syntaxe, en d’autre terme ce sentiment de « déplacement » qu’évoque Pierre Bourdieu comme étant une des matrices des dispositions l’ayant conduit à exercer son métier. En d’autres termes, un « habitus clivé », comme le rappelle Gérard Mauger dans l’article suivant :  HYPERLINK "http://www.mouvements.info/Politique-de-l-engagement.html" http://www.mouvements.info/Politique-de-l-engagement.html « politique de l’engagement sociologique ».
 Cette dernière étant de mon point de vue le terme du sens commun qui décrit le mieux ce que Francine Muel-Dreyfus présente plus haut de manière savante
 « Après avoir été des militants de l’Action catholique dans leur jeunesse et d’ardents défenseurs des lois d’orientation jusque dans les années 1965-1967, certains syndicalistes, en particulier autour de Bernard Lambert, vont « analyser les conflits de la France rurale en termes de lutte des classes ». Les industries agroalimentaires et les coopératives contribuent, selon eux, à l’exploitation et à la prolétarisation des paysans qui doivent augmenter constamment le volume de leur production afin de préserver leurs revenus ». Extrait d’un compte-rendu de l’ouvrage suivant : Jean-Philippe MARTIN (2005), Histoire de la nouvelle gauche paysanne. Des contestations des années 60 à la confédération paysanne. Paris : La Découverte. Compte-rendu consultable ici :  HYPERLINK "http://ruralia.revues.org/document1108.html" http://ruralia.revues.org/document1108.html
 Et encore moins d’une auto dévalorisation.
 Qui peut être rapporté à ce que Ebersold (1996) et Gateaux-Mennecier (2000) nomment une perspective « défectologique ».
 De l’infirmité au handicap, un basculement sémantique, in BARRAL Catherine, PATERSON Florence, STIKER Henri Jacques, CHAUVIERE Michel (2000). L’institution du handicap : le rôle des associations, Rennes : Presse Universitaires de Rennes. Cet ouvrage rassemble les contributions d’un colloque organisé en 1999.
 Avec tous les risques d’applicationnisme afférents. On trouve des éléments explicatifs essentiels à l’appréhension du champ des sciences de l’éducation dans l’ouvrage de Jacqueline Gautherin, déjà évoqué.
 Les idéologies anciennement dominantes sont toujours plus facile à voir et à conspuer que celles qui ont pris leur place.
 A part en licence 3 ; mais les modules proposés, loin de correspondre à une volonté de formation de l’ensemble des étudiants se destinant aux métiers de l’éducation, s’inscrivent dans un parcours de préparation au concours de l’école d’éducateur spécialisé : ces derniers seraient donc les seuls à être intéressés par l’histoire de l’éducation des anormaux, par l’histoire sociale du handicap, etc.
 Ceci est éminemment lié à l’histoire de la constitution des sciences de l’éducation ; Gaston Mialaret, figure parmi les figures fondatrices, à l’origine de la réactivation de la « science de l’éducation » de la IIIème république, et de la création du premier département des sciences de l’éducation à Caen en 1967, ne projetait-il pas de nommer cette formation « licence de pédagogie » ? A une époque où est déjà fortement structuré le champ de l’éducation spéciale, et notamment l’enseignement spécialisé, il apparaît comme évident que cette pédagogie ne concernait pas les inadaptés, qui en avaient déjà à l’époque une faite spécialement pour eux.
 Nous affirmons également la volonté de nous positionner contre cette « attention (…) qui isole le moment critique (…) et introduit une philosophie de l’histoire [qui] conduit à supposer qu’il y a dans l’histoire des moments privilégiés, plus historiques que les autres en quelque sorte », et à nous situer dans « l’intention scientifique » qui « vise, au contraire, à replacer l’événement extraordinaire dans la série des événements ordinaires, à l’intérieur duquel il s’explique ». BOURDIEU Pierre (1984) Homo academicus. Paris : Minuit. p. 210.
 Sur la sociologie conflictualiste, confère 2.2.1.1.
 Cette sous partie est issu de la lecture de : BOURDIEU Pierre (1997) Les usages sociaux de la science, pour une sociologie clinique du champ scientifique. Paris : Editions INRA. Cet ouvrage est la retranscription d’une intervention de Pierre Bourdieu devant des scientifiques de l’institut national de la recherche agronomique organisé à l’INRA en mars 1997.
 Il est l’objet de nombreuses critiques théoriques (parfois théoricistes) dont nous nous limitons ici à mentionner l’existence, quiconque étant intéressé pouvant les trouver sans difficultés.
 Conservation qu’il est facile de (parfois malhonnêtement) traduire en conservatisme : qu’on pense par exemple aux résistances syndicales aux projets de privatisation de services publics par exemple, et les discours des élites politico administratives sur ce sujet. « Il est des temps où la réaction est progressiste et le progrès réactionnaire », comme a écrit Kierkegaard.
 « Et d’avoir ce qu’on appelle au rugby, mais aussi à la bourse, le sens du placement ».
 « Système durable et transposable de schèmes de perception, d’appréhension et d’action ». (Verdès-Leroux, 1978).
 Nommé comme tel du fait de la situation historique des travaux fondateurs en la matière (les années 1970), où la notion en usage était alors, face à la récente émergence du terme handicap, l’inadaptation. Dans ce mémoire, nous utiliserons donc indistinctement les termes de champ de l’enfance handicapée et champ de l’enfance inadapté, ainsi que champ de l’éducation spéciale qui leur est synonyme.
 Il apparaît nécessaire ici de renvoyer vers l’ouvrage d’anthropologie historique de Henri Jacques Stiker (1982) Corps infirmes et société.
 « La politique d’intégration [des enfants handicapés] n’est pas particulière à la France », écrit Eric Plaisance (1996). Il s’agit d’un mouvement international commun à l’ensemble de pays développés, et qui a émergé dans les années 1960 et 1970, avec des réalités « plus poussées à la fin des années 1970 » du fait de mesures législatives. En effet, l’ensemble des pays industriels a, sur des modalités différentes, mis en place à un moment ou un autre des filières d’éducation spéciale. Sur ce point, confère : 2-1 et 2-2
 « Comprendre », écrit Pierre Bourdieu, « que des champs différents, à la fois relativement autonomes et structurés (…) puissent entrer en interaction pour produire un évènement historique dans lequel s’expriment à la fois les potentialités objectivement inscrites dans les structures de chacun d’entre eux et les développements relativement irréductibles qui naissent de leur conjonction » est essentiel, en particulier dans une perspective socio-historique. On tentera de garder en mémoire cette analyse quand nous aborderons le « moment critique » de la codification de la notion d’inadaptation.
 Par ailleurs, le lecteur et la lectrice trouveront dans la seconde partie (notamment 2.2.1.2) des éléments d’analyse qui viennent préciser les propriétés du champ de l’école française qui entretient une interrelation forte avec celui de l’enfance handicapée, surtout depuis la loi de 2005 
 Cette expression consensuelle, centrée sur l’emploi, oublie (dans ce qu’elle prétend désigner) tout le travail effectué notamment dans le cadre de l’économie domestique (à 80% par des femmes) sans lequel ne pourrait fonctionner aucun marché.
 Avec notamment, relativement à ce dernier exemple, le poids d’organisation supranationale comme l’OCDE.
 Nicole Ramognino (2004) « Les enjeux de la culture commune à l’école : l’école comme lieu de transmission et de construction institutionnelle des savoirs », in Dutercq Y. et Derouet J.-L., Le collège en chantier, INRP, Educations, Politiques, Sociétés, pp. 242-270.
 Et éventuellement du professionnel lui-même, s’il est issu de ce même territoire – ce qui pousse alors à concevoir la démarche vers la connaissance du territoire au sein duquel il travaille comme une forme d’auto-analyse (ou de socioanalyse) puisqu’il se trouve qu’il a alors lui aussi incorporé, en fonction de sa position dans l’espace social, certaines des logiques propres à ce territoire.
 Nous profitons de l’occasion qui se présente ici pour exprimer le fait que nous trouvons cela tout à fait regrettable : les enseignants sont en effet issus « d’habitats naturel et social » relativement homogènes et passent une partie de leur carrière à tout faire pour ne pas aller travailler dans certains autres, qui ne produisent peu ou pas d’enseignants.
 Il serait intéressant de chercher si existent des études sur le rapport global « enseignant/territoire », au-delà des spécificités du territoire rural.
 On le voit, la formulation de la loi, et la mention du terme « quartier », passe à côté des réalités géographiques du « milieu rural » et témoigne de la centration des politiques publiques et de sa traduction dans l’économie du langage du législateur sur l’unique espace urbain.
 Et certes un peu grossièrement : les réalités propres à chacune des deux parties de cette opposition binaire « ville/campagne » se déclinent bien évidemment et il est possible de noter des homologies entre, par exemple, un territoire rural prospère sous forte influence urbaine et le centre-ville d’une grande commune riche, ou entre un territoire rural isolé et certains territoires des villes, marqués par une prévalence de la classe ouvrière et un faible revenu moyen.
 Institut national de la statistique et des études économiques.
 Sur cette nouvelle référence de « l’emploi » utilisée par l’INSEE pour construire des typologies de territoire, confère 2.1.2.2 L’inclusion sociale.
 J’ai suivi cette formation entre 2000 et 2003 à l’école normale sociale de l’ouest (ENSO) à Rezé (44), école privée sous contrat avec le ministère des affaires sociales.
 Alpe & Fauguet parlent à ce propos de « l’appréhension mutilante des politiques publiques » et de leur « cécité idéologique ». (p. 205)
 Confère :  HYPERLINK "http://entretenir.free.fr/ouvrier/ecole.html" http://entretenir.free.fr/ouvrier/ecole.html
 Ouvriers et employés forment ensemble en 60% de la population active du milieu rural.
 La société agricole est depuis plusieurs décennies en voie de mutation, du fait notamment de la baisse du nombre d’agriculteurs et du phénomène de concentration des terres agricoles – qui se double d’un mouvement contradictoire de parcellisation des terres possédées par les nouveaux ruraux. (Alpe et Fauguet, 2008)
 On ne trouve évidemment pas d’enfant de retraités.
 On trouve d’autant plus de « familles en difficulté » qu’on s’éloigne des zones d’influence urbaine, notamment pour des raisons immobilières déjà évoquées.
 En particulier une enquête menée dans l’Ain, par Poirey et Fromajoux en 1998 : POIREY J.-L., FROMAJOUX R.-C. (1998) L'école rurale au carrefour des territoires et des réseaux. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
 Nous rappelons que nous reprenons les termes des personnes interrogées, tout comme pour la profession des parents.
 La nomenclature classant les niveaux de formation de I à V date de 1967. Sur ce sujet, voir : TANGUY Lucie (2005) La fabrication des nomenclatures de niveau de formation et leur inférence sur la notion de qualification. In MEDA Dominique, VENNAT Francis (Ed.) (2005) Le travail non qualifié. Paris : La Découverte.
 Les prénoms ont été changés.
 Les (-) et les (+) correspondent à des indicateurs de l’état du projet au moment des entretiens.
 Elles ont fréquenté la même école, et se connaissent en tant qu’ « amies d’enfance », même si elles n’entretiennent pas de contact.
 « Pluri handicapé » désigne la situation d’une personne qui accumule des déficiences d’ordre sensorielle et/ou motrices mais sans déficience cognitive ou mentale associé (ce qui est désigné par « polyhandicapé »).
 Une enquête menée par l’association UNAISSE en 2007-2008 auprès d’environ 600 AVS a montré une représentation féminine de 94%. Confère  HYPERLINK "http://unaisse.free.fr" http://unaisse.free.fr
 Nous empruntons ici à Bernard Friot (2010) la distinction (salutaire !) entre emploi et travail.
 Il serait tout à fait intéressant de tenter d’élucider ce point, non pour insister ou servir des théories psychologisantes, mais dans une perspective sociologique.
 Centre nationale d’enseignement à distance.
 Qui est parfois (c'est-à-dire pas toujours) bien légitime, pas question pour nous ici de dénigrer le sens commun.
 Commune d’environ 4000 habitants en 2010.
 La copine en question s’avère être Lalie, ce qui est un hasard total étant donné qu’elles n’habitent pas dans la même commune.
 Association des paralysés de France, créée en 1933.
 Commission des droits et de l’autonomie de la personne handicapée, rattachée à la MDPH, maison départementale des personnes handicapées, créée par la loi n°2005-102 du 11 février 2005. Voir 1.4.
 Sur ce point, confère infra, introduction, 4.
 Le cursus-type est un produit historique. Il se caractérise par : enseignement et progression frontale, organisation par classe d’âge. Confère :  HYPERLINK "http://dcalin.fr/textes/exclusion/html" http://dcalin.fr/textes/exclusion/html
 Part des élèves accompagnés par chaque AVS-i et présentant le handicap / trouble / la déficience visée par rapport à la totalité des élèves accompagnés par cet AVS-i.
 D’abord en ôtant les deux accompagnements qui ont duré seulement 2 mois, puis en les comptant.
 Par rapport à l’ensemble des élèves que les anciens recrutés accompagnent.
 Par rapport à l’ensemble des élèves que les néos-recrutés accompagnent.
 5 sur 49.
 Réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficultés. Confère 1.2.3.
 Nous verrons plus loin que malgré la position subalterne d’exécutant, cette hétéronomie n’est pas forcément la règle. Confère 3.3.2.3.
 MAZEREAU Philippe (1998) L’Ecole dans le champ français de l’éducation spéciale : 1909-1989. Les conflits de désignation psychiatrique, pédagogique et psychologique de l’insuffisance mentale de l’enfant. Thèse de doctorat en sociologie, Montpellier 3. p.45.
 Cité par Philippe MAZEREAU, op.cit, p.48
 BOURDIEU Pierre (1992) Réponses. Paris : Seuil. p.67.
 Outre Philippe Mazereau déjà cité, voir notamment Jacqueline GATEAUX-MENNECIER (1990) La débilité légère, une construction idéologique. Paris : éditions du CNRS, et (2000) Les sciences humaines et la segmentation de l’enfance inadaptée. In PLAISANCE Eric, CHAUVIERE Michel (éd.) L’école face aux handicaps : éducation spéciale ou éducation intégrative ? (pp.31-52) Paris : Presses universitaires de France.
 BOURDIEU Pierre (1977) Classement, déclassement, reclassement. In Actes de la recherche en sciences sociales. Vol.24, n°24, pp.2-22. Cet article relevant de la sociologie du travail est basé sur une analyse des évolutions que connaît le marché du travail à la suite de la secondarisation de l’enseignement et de l’ouverture de l’Université à des publics qui n’y avaient jusque là pas accès, des modifications des rapports entre titre et poste que ces évolutions font naître, et des stratégies socialement différenciées qui en découlent.
 Organisation mondiale de la santé, Classification internationale du handicap, 1980. Cette nouvelle nomenclature consacre tout à la fois les travaux de Wood, que l’OMS reprend directement, et l’entré en scène de nouveaux « agents/acteurs » internationaux, comme dit Mazereau, dans le champ français – mais aussi étrangers, de l’éducation spéciale. (L’organisation de coopération et de développement économique, OCDE, lance en 1978 un projet titré « L’éducation de l’adolescent handicapé ».)
 Direction générale de l’enseignement scolaire.
 Voir notamment : OCDE (1994) L’intégration des enfants et adolescents handicapés : ambition, théorie et pratique. Egalement : OCDE (2008) Elèves présentant des déficiences, des difficultés et des désavantages sociaux : politiques et indicateurs. Surtout, confère : Plaisance Eric (1994) Comparer et produire des indicateurs internationaux. In Poizat Denis (Ed.) (2004) Education et handicap : d’une pensée territoire à une pensée monde. Ramonville Saint-Agne, Erès. Pp. 163-174.
 Il est utile de mentionner ici l’importance de la notion de ‘‘special education needs’’ (« besoins éducatifs particuliers » ou « besoins éducatifs spécifiques » en français), qui subsume tout ce que recouvre les catégories A, B et C de l’OCDE. Sur cette notion, confère 2.2.2.1.
 Confère CHAUVIERE Michel (1980) Enfance inadaptée : l’héritage de Vichy. Paris : les éditions ouvrières. On peut trouver, p.99 de cet ouvrage, un tableau construit par Michel Chauvière titré « Evolution sociale des désignations des enfants inassimilables », qui reprend les désignations en cours des années 1930 jusqu’à la période de codification de la notion d’inadaptation.
 Qui pose la question de ses effets et de son origine, notamment au travers des parts du descriptif et du prescriptif, dit autrement, du caractère normatif qu’implique le choix de qualifier une activité. Sur ce point, confère les préoccupations analogues de Dominique Glasman (2001) L’accompagnement scolaire, sociologie d’une marge de l’école. Paris, PUF, notamment page 56. (L’accompagnement scolaire dont il est question dans l’ouvrage de Dominique Glasman n’est pas celui des enfants handicapés).
 Le docteur Jacquin exprime ici un point de vue social qu’on peut encore retrouver, sous des formes euphémisées, dans de multiples autres points de vue contemporains, produits de positions homologues à celle que cette personne occupait à son époque. Plusieurs éléments, tout le long du présent travail, viendront étayer cette assertion.
 DONZELOT Jacques (1984) L’invention du social, essai sur le déclin des passions politiques. Paris : Fayard.
 Schématiquement : l’écart entre les conditions socio-économiques d’existence d’une majorité de la population et les exigences induites par l’exercice de la citoyenneté.
 De manière plus générale, on peut aussi citer : 1898, loi sur les accidents du travail ; 1905, loi sur l’assistance à la vieillesse, aux infirmes et incurables. C’est également dans cette période que se déroulent des congrès décisifs pour les déficients sensoriels : congrès des aveugles en 1878, et congrès de Milan en 1880, ce dernier mettant fin pour plus d’un siècle à l’enseignement de la langue des signes pour les sourds et sourds-muets, en imposant l’oralisme.
 Nous avons déjà rapidement évoqué ce point, et il sera abordé encore tout au long de notre travail. Néanmoins, pour reprendre les catégories construites par l’OCDE en 1994, il nous semble essentiel de préciser que la surreprésentation des catégories populaires dans l’enfance handicapés concerne les catégories B et surtout C : la catégorie A (déficience) n’est marquée par aucune prévalence sociale.
 FAURE Olivier (2000), Dire et gérer l’anormalité. In BARRAL C., PATERSON F., STIKER H-J, CHAUVIERE M., (éd.) (2000) L’institution du handicap : le rôle des associations, XIXème, XXème siècle. (pp. 65-68) Rennes ; Presses universitaires de Rennes.
 Avec l’ouvrage fondateur de B.A. Morel : « Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l’espèce humaine » en 1857.
 Qui implique que « la grande industrie a besoin d’une main-d’œuvre assidue, capable de se plier au rythme des postes, attentive à respecter les consignes strictes de sa production » (FAURE, op.cit.)
 Plusieurs médecins proposent au cours de cette période la stérilisation des anormaux ou même leur élimination physique. Confère COFFIN Jean-Christophe (2001) L’inaptitude à la vie : un thème psychiatrique fin de siècle. In BARRAL C, PATERSON F., STIKER H-J, CHAUVIERE M. (Ed.) (2001) L’institution du handicap, le rôle des associations. Rennes : presses universitaires de Rennes.
 Il faut ici citer H-J Stiker et son analyse de la notion de handicap : (2000) De l’infirmité au handicap, un basculement sémantique. In BARRAL C., PATERSON F., STIKER H-J, CHAUVIERE M., (éd.) (2000) op.cit. (pp. 31-38).
 Henri Jacques Stiker ajoute à cet égard le fait suivant : en 1924, l’office national des mutilés et réformés est ouvert aux mutilés du travail.
 Il faudrait également, par exemple, aborder les analyses qui s’intéressent aux homologies des structures de pensée traduites par des transpositions souvent ’’brutales’’ des découvertes scientifiques autour de l’étude du corps humain à la réflexion sur le corps social ; tradition ancienne qui a eu, ainsi que le mentionne O. Faure, un impact décisif dans les « pratiques classificatoires de la médecine » qui ont en quelque sorte inauguré la structuration du champ de l’éducation spéciale.
 Mentionnons notamment les Institutions pour jeunes sourds et pour jeunes aveugles, nées respectivement des travaux de l’Abbé de l’épée (1712-1789) et de Valentin Haüy (1745-1822) - dont Louis Braille était l’élève. (Sur ce point, voir WEYGAND Zina (1990) Les débuts de l’éducation des infirmes sensoriels. In Handicaps et inadaptations. Les cahiers du CTNERHI n°50, pp. 5-25. Mentionnons aussi les colonies pénitentiaires et/ou agricoles et autres sociétés de patronages de jeunes détenus qu’aborde Francine Muel dans un article tout à fait essentiel de notre point de vue : MUEL Francine (1980) L’initiative privée, « terreau » de l’éducation spécialisée. Actes de la recherche en sciences sociales, volume 32, n°1, pp.15-49.
 MUEL Francine, l’initiative privée, op.cit
 Mot qu’on ne trouve guère, à l’époque, expliqué sous d’autre forme que des lapalissades de ce type, y compris dans les travaux à vocation scientifique : « Sous cette appellation générique d’anormaux, on réunit tous les écoliers qui, soit au point de vue physique, soit au point de vue intellectuel ou moral, ne se trouvent pas dans des conditions normales pour recevoir l’enseignement commun ». C. Baguer, 1898, cité par VIAL Monique (1990), Les enfants anormaux à l’école. Paris : Armand Colin.
 Sur le sujet de l’implication de Binet et Simon dans la loi de 1909, voir notamment GATEAUX-MENNECIER Jacqueline (1999) Les sciences humaines et la segmentation de l’enfance inadaptée, op.cit, ainsi que VIAL Monique (1990) Les enfants anormaux à l’école. Op.cit.
 Confère sur ce point BELANGER Nathalie (1997) La psychologie à l’école de l’enfance inadaptée. Le cas de la psychologie scolaire en France après la deuxième guerre mondiale. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation. Université de Paris 5-Descartes. Nathalie Bélanger développe la nature des « liens exceptionnels » qui unissent l’éduction spéciale et la psychologie, notamment scolaire.
 Qui renvoie de manière très forte à ceci : « On a quelques chances de comprendre les enjeux scientifiques du passé que si l’on a conscience que le passé de la science est un enjeu de lutte scientifique présentes ». BOURDIEU Pierre (1988) Question de sociologie. Paris : Minuit. Cité par MAZEREAU Philippe, op. cit.
 Le CRESAS (Centre de recherche sur l’enseignement spécial et l’adaptation scolaire), est créé en 1969, par Mina Stambak, élève d’Henri Wallon. Monique Vial fut sa première collaboratrice. En 1990, elle évoque les travaux du CRESAS au début des années 1970 comme une critique d’une « école sélective, destinée avant tout à perpétuer une société fondée sur des rapports de domination sociale et économique ». Ces travaux prenaient comme objet les pratiques professionnelles et les médiations pédagogiques dans le domaine de l’enseignement spécial (refusant d’attribuer les échecs scolaires aux causes psychologiques ou médicales, et aux causes familiales), mais, avant le travail de Francine Muel, ne se penchent pas sur les logiques socio-historiques qui sous-tendaient ces pratiques.
 « Il apparaît », complète F. Muel, « que lorsque l’égalité devant l’école, c'est-à-dire devant l’instruction, qui se donne pour la vérité de l’école, est confrontée dans la pratique institutionnelle à la réalité socio-économique de la misère la plus grande – celle qui se voit dans les corps et s’entend dans la pauvreté du langage –, elle ne peut demeurer vérité qu’à la condition de classer selon la logique d’un autre système (médico-psychologique) ceux qu’elle ne peut tolérer. » p. 69b de : MUEL Francine (1975) L’école obligatoire et l’invention de l’enfance anormale. Actes de la recherche en sciences sociales, n°1, vol.1. (pp.60-74)
 Ibid. p.68b.
 VIAL Monique (1990) Les enfants anormaux à l’école : à l’origine de l’éducation spécialisée, 1882-1909. Paris : Colin. Dès 1979, Vial remet pourtant en cause l’analyse inaugurale de Francine Muel. Confère VIAL Monique (1979) Les débuts de l’enseignement spécial en France : les revendications qui ont conduit à la loi du 15 avril 1909 créant des classes et écoles de perfectionnement. CRESAS, n°18, Paris, INRP. Mais c’est son ouvrage de 1990 qui est le plus référencé.
 Notamment VIAL Monique (1990), les enfants anormaux à l’école, op.cit ; également GATEAUX-MENNECIER (1989) Bourneville et l’enfance aliénée. Paris : Centurion.
 De ce point de vue, on note, à la lecture des différents travaux, surtout depuis les années 1990, un certain consensus pour célébrer la fin heureuse de ce qui est nommé les « grands récits », selon l’expression de Lyotard (1975). Au sein de ce consensus, il semble que soit rattachée à ces « grands récits » l’interprétation selon laquelle la série législative des années 1880-1914 participe de la mise en place d’un contrôle social. Michel Chauvière et Dominique Fablet (2001) citent ainsi Jacqueline Roca comme une évidence : « la loi de 1909 est considérée comme une loi de progrès », sans plus de développement. Des inspecteurs de l’Education Nationale écrivent également dans un rapport de 2002 titré « Analyse de l’organisation et du fonctionnement des EREA », témoignant de l’histoire officielle de leur institution : « La loi de 1909 est une loi de progrès, elle est la suite logique des lois de Jules Ferry ». (page 6).
 En renvoyant néanmoins vers l’excellent travail de Jacqueline GATEAUX-MENNECIER (1990) La logique socio-historique de l’enseignement spécial. Handicaps et Inadaptation, les cahiers du CTNERHI, n°50. pp.57-70. Nous reproduisons en annexe le schéma (« Genèse de la création d’un enseignement spécial ») qui conclut cet article. ANNEXE 2. Voir également GATEAUX-MENNECIER (1999) Les sciences humaines et la segmentation de l’enfance inadaptée. Op. cit., ainsi que la critique-bilan des recherches socio-historique françaises ici évoquées faite par Philippe MAZEREAU (1998) L’école dans le champ français de l’éducation spéciale. Op. cit. particulièrement pp. 36-41.
 Ainsi que, par la suite, de ceux de Pinell et Zafiropoulos, principalement.
 Pourtant, ces travaux (Muel-Dreyfus, et Pinell & Zafiropoulos) ne sont cités, le plus souvent, que pour se positionner contre leur position internaliste sur le point précis des origines de la loi de 1909, alors que les apports les plus évidents de leurs recherches, s’ils sont désormais repris dans une grande majorité des publications, ne sont pourtant que rarement référencés. Tout se passe comme si certains aspects de leur travaux, contestés, empêchaient la reconnaissance du reste.
 Promoteur du solidarisme mais également président de la commission sur les classes spéciales créée en 1904 pour préparer la loi de 1909.
 Plusieurs projets de loi sont déposés pour rendre obligatoire la création de classes et d’écoles de perfectionnement dans l’entre deux guerres, mais ne sont jamais votés.
 La grande majorité de notre bibliographie est constituée d’articles ou de chapitres d’ouvrage collectif.
 La justice, qui a vu les effets attendus de la loi de 1912 fortement repoussés par la guerre, voit se développer les tribunaux et les juges pour enfants, et « la poursuite de la politique de contrôle des mineurs » via la « constitution en réseaux régionaux de l’équipement institutionnel ». Ce dernier est composé en majorité d’œuvres privées dont les intérêts rencontrent dans l’entre deux guerres ceux des psychiatres naissants, aboutissant à une alliance de fait qui inaugure le poids de la psychiatrie dans le traitement social de l’enfance difficile. (Muel, 1980) Francine Muel écrit en 1975 : « l’aspect le plus spectaculaire de ces affinités institutionnelles est la création en 1925 de la clinique de neuropsychiatrie infanto juvénile sous la double égide du Patronage de l’enfance et de l’adolescence et de la faculté de médecine de Paris ». Sur ce sujet confère, outre MUEL (1980), op. cit., pp.39b-43a, RENOUART Jean-Marie (1990) De L'enfant coupable à l'enfant inadapté. Le traitement social et politique de la déviance. Paris : Le Centurion.
 Sur ce point, Chauvière cite BECQUEMIN-GIRAULT Michèle (1998) Protection de l’enfance et dynamique préventive. Origine, naissance et développement du service social de l’enfance en danger moral dans le département de la Seine, 19ème, 20ème siècles. DEA de sociologie, EHESS.
 Michel Chauvière renvoi sur ce sujet au travail de Jean-Marie RENOUART (1990) op.cit.
 La définition suivante est proposée dans la « nomenclature et classifications des jeunes inadaptés », 1944. (dont le préambule est reproduit en annexe : ANNEXE 3) : « Est inadapté, un enfant, un adolescent, ou plus généralement un jeune de moins de vingt et un an que l’insuffisance de ses aptitudes ou les défauts de son caractère mettent en conflit prolongé avec la réalité ou les exigences de l’entourage conformes à l’âge et au milieu social du jeune. L’inadaptation se qualifie selon la situation dont elle est corrélative. Exemples : inadaptation familiale, inadaptation scolaire, inadaptation professionnelle. » Cette définition met l’accent sur les caractéristiques intrinsèques du sujet. A son propos, on peut dire qu’elle relève d’une conception défectologique.
 Les ARSEA sont transformés en centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptée, CREAI, en 1964.
 Il en existe quatre avant 1945.
 « Côté santé, le financement des équipements sera progressivement relayé par l’assurance maladie de la sécurité sociale après 1946. » (Chauvière, 1999).
 Il est utile ici de mentionner une divergence quant à la validité de l’affirmation de Michel Chauvière selon laquelle « la politique publique de l’enfance inadaptée ne commence en France qu’en 1943 ». Jacqueline ROCA conteste cette version. ROCA Jacqueline (2001) Les relations ARSEA-UNAR avec l’Etat. In BARRAL C, PATERSON F, op.cit. p197-206. Elle montre notamment que, durant les années 1930, nombre de documents écrits (rapports, projets, thèses de droit, etc.) préconisent des organisations de prise en charge des enfants déficients qui ont toutes en commun d’associer Etat et initiatives privées au sein de dispositifs ressemblant de fait beaucoup aux résultats des travaux du conseil technique de 1943.
 Les médecins sont au nombre de 10 sur 22 membres (Muel-Dreyfus, 1983).
 C’est une des raisons pour lesquelles « le secteur naissant [de l’inadaptation] se fera tout à la fois accueillant aux milieux cléricaux (…) et à certains courants progressistes et laïques comme les scouts éclaireurs et les CEMEA ». (Chauvière, 1999).
 Sur ce glissement de référence de l’inadaptation à l’exclusion pour l’ensemble du secteur du travail social, confère VERDES-LEROUX Jeannine (1978) Le travail social. Paris : Minuit, pp. 242-254. Voir également BOLTANSKY Luc et CHIAPELLO Eve (1999) Le nouvel esprit du capitalisme. Paris :Gallimard, p. 426.
 Refus traduit par l’émergence de « nouvelles technologies médicales » guidées par la prévention, le dépistage, la rééducation.
 L’UNAR, union nationale des ARSEA, créée en 1948, est également présidée pendant 16 ans, de 1948 à 1964 par le professeur Lafon, pédopsychiatre. Au sujet du professeur Lafon, confère notamment TRICARD Jean-Paul (1981) Initiative privée et étatisation parallèle, le secteur dit de l’enfance inadaptée. Revue française de sociologie, vol.22, n°4, pp. 575-607. Voir en particulier pp. 586-587.
 Sur l’évolution du métier d’enseignant spécialisé, confère 1.2.2.3.
 Institut national d’études démographiques.
 Patrice PINELL et Marcos ZAFIROPOULOS fournissent en 1978 une analyse de l’émergence des psychanalystes dans le champ de l’enfance inadaptée, contre les pédopsychiatres en position nettement dominante. In La médicalisation de l’échec scolaire, op.cit., pp 39a-48b.
 Qui créent la direction de l’éducation surveillée, qui deviendra la protection judiciaire de la jeunesse en 1990.
 Jean-Paul Tricard note à travers cette opposition psychologie/pédopsychiatrie le « clivage retrouvé entre pédopsychiatrie et psychopédagogie » qui animait déjà les origines du champ, autour de la loi de 1909.
 DATAR : délégation à l’aménagement du territoire et de l’action régionale, créée en février 1963. Elle est remplacée, par un décret du 31 décembre 2005, par la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires ou DIACT.
 Les CREAI existent toujours (2009).
 Qui devient le centre technique national d’étude et de recherche sur le handicap et les inadaptations, le CTNERHI, en 1975. En 2010, les personnels du CTNERHI ne sont pas sûrs de ne pas voir leur institution purement et simplement supprimée.
 Association lyonnaise des amis et parents d’enfants inadaptés.
 Sur la question des créations institutionnelles qui naissent de cette alliance de fait, confère partie suivante : 1.2.2.3.
 Politique associative de l’UNAF qui a néanmoins partie liée avec la politique de l’Etat, puisqu’elle a été créée par lui dans l’optique de constituer un outil pour la politique familiale.
 Date de la création des DDASS.
 Syndicat national des instituteurs, créé en 1920, devenu en 1992 le syndicat des enseignants de l’UNSA.
 « Insertion professionnelle » est une expression non contemporaine de l’époque, où on parle plutôt de « placement ».
 Mutuelle Générale de l’Education Nationale, créée en 1947 à l’initiative du SNI.
 « Contre le monopole de l’UNARSEA sur l’inadaptation », ajoute Francine Muel-Dreyfus, « Henri Wallon et Louis Le Guillant [ont fondé] en 1948 la revue Enfance et en 1951 La raison. ».
 In BARRAL C, PATERSON F, op.cit.
 Devenus en 2005, à la faveur d’un décret, les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP).
 Dont il serait intéressant de tenter de constituer la généalogie, jusqu’à aujourd’hui. « Il s’est trouvé sans discontinuer (depuis Binet & Simon) des auteurs pour penser que les inégalités d’intelligence innés et héréditaires expliquent et justifient l’organisation sociale », écrit Monique Vial en 1990.
 Le rationnel ne se confond pas toujours avec le raisonnable. .
 Qu’elle a conservé malgré la recomposition induite par l’émergence de la notion de handicap et la loi de 1975, ce qui explique que les éducateurs interviennent encore aujourd’hui auprès de l’ensemble des anciennes populations de l’inadaptation.
 A tort ou à raison, ça n’est pas notre propos ici.
 VAN EFFENTERRE H. (1947) Histoire du scoutisme. Paris : PUF.
 Et de quelques milliers d’éducateurs dans les années 1950 à 10 500 en 1968 et à 40 000 en 1975.
 Les AEMO peuvent être décidées soit par décision administrative, soit par décision judiciaire.
 Pour Francine Muel-Dreyfus (1980), la formalisation de la psychologie scolaire correspond à une « scolarisation » de la psychologie, c’est à dire à une « retraduction psychologique des qualités et défauts scolaires » (et non à un recours à une psychologie forgée hors l’école), ceci dans l’optique d’une « utilisation à des fins d’orientation scolaire des outils psychologiques d’appréciation ». Nathalie BELANGER (1997) conteste cette version dans sa thèse, déjà citée.
 Les écoles de perfectionnement créées par la loi de 1909 deviennent à la faveur d’une loi de 1951 les écoles nationales de perfectionnement (ENP), positionnées à l’interface de l’enseignement général et de l’enseignement professionnel. Elles deviennent les établissements régionaux d’enseignements adaptés (EREA) en 1985, qui conservent cette ambivalence. Ces derniers, selon une circulaire de 1995 (Circulaire n° 95-127 du 17 mai 1995), devaient devenir des lycées d’enseignement adapté (LEA), mais l’appellation est loin d’être actuellement généralisée.
 1947 : 400 ; 1951 : 1145 ; 1963-1964 : 4020. Chiffres extraits de GILLIG Jean-Marie (1996) Intégrer l’enfant handicapé à l’école. Paris : Dunod.
 Qui fait naître beaucoup d’hostilité, essentiellement dans le milieu enseignant.
 Entièrement rénovée par la loi n°2002-2 de janvier 2002.
 François Bloch-Laîné, « Etude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées », rapport présenté au Premier ministre en décembre 1967. On trouve une quasi-célébration de l’œuvre de François Bloch-Laîné dans l’ouvrage de Alain Blanc, pages 27 et 29.
 Sur ce point, confère 2.1.2.3.
 Guyot cite également le rapport Laroque sur les personnes âgées (1962), la sectorisation psychiatrique (1966), le rapport Bloch-Laîné, bien entendu, et le rapport Dupont-Fauville sur l’aide sociale à l’enfance (1971).
 L’association des paralysés et rhumatisants (APR) est créée en 1933, et devient l’association des paralysés de France (APF) en 1945. Cette même année, elle est reconnue d’utilité publique. Avec l’UNAPEI et l’APAJH, elle constitue le troisième terme de la triade des associations les plus importantes en terme de gestion d’établissements spécialisés. Au moment de l’élaboration de la loi de 1975, elles gèrent à elles trois 681 établissements qui offrent aux alentours de 40 000 places, ce qui représente environ 90 % des établissements et services de ce secteur.
 WILSON F. (1983) Les groupes d’intérêt sous la 5ème république, test de trois modèles théoriques de l’interaction entre groupe et gouvernements. Revue française de sciences politiques, n° d’avril 1983. Les trois modèles sont les suivants : pluraliste, néo-corporatiste, contestataire.
 25 ans plus tard, comme pour illustrer les faits ici décrits, après quinze années passées à la direction de l’UNAPEI, Patrick Gohet devient délégué interministériel aux personnes handicapés (DIPH).
 Loi n°57-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs handicapés.
 Pour Jacqueline Gateaux-Mennecier (1999), et contre par exemple Philippe Raynaud, qui a porté dans les années 80 l’idée du bien-fondé du « détour ségrégatif », le « détour » est et a trop été une caution pour une simple arrivée. Philippe RAYNAUD (1984), « L’éducation spécialisée », Encyclopaedia Universalis.
 Sur le terme de « normalisation » et le mouvement qui porte ce nom, confère 2.1.2.1.
 Sur le modèle social du handicap, confère 2.1.2.2.
 « C’est à dire », écrit Michel Chauvière en 2000, « précisément la catégorie à travers laquelle la mise en place de tout un secteur [celui de la Justice des mineurs, NDR] s’était réalisé pendant les années quarante ».
 Ainsi, après que la codification de l’inadaptation ait été établie sur la base de l’influence décisive de la science psychiatrique, c’est contre les évolutions de cette science que se construit le handicap, sous l’influence cette fois-ci des conceptions rationalisantes d’une partie de la classe politico administrative.
 LIBERMAN R. (1991) Handicap et maladie mentale. Paris : PUF. Que Sais-Je.
 Sur ce sujet, confère CHAUVIERE Michel (2000) Critiques oubliées et réactions contrastées à la loi de 1975. In BARRAL C., PATERSON F., STIKER H-J, CHAUVIERE M., (éd.) (2000), op.cit., (pp 291-302), ainsi que TURPIN Pierre (2000) Les mouvements radicaux des personnes handicapées en France pendant les années 1970. In C., PATERSON F., STIKER H-J, CHAUVIERE M., (éd.) (2000), op.cit., (pp 315-324).

 Rotation qui s’organise annuellement.
 Il est utile de noter que les CCPE et les CCSD doivent obligatoirement comporter dans leurs membres des « représentants du secteur de la psychiatrie infanto juvénile ».
 Ainsi que l’on fait plusieurs commentateurs associatifs, notamment PHILBERT Marie-Christine, FARAUD (2005) L’éducation et la formation, 1975-2005, quelles évolutions ? Reliance n°22, Décembre 2006. Ramonville Saint-Agne : Erès. pp.17-21.
 En Italie, suite au choix radical d’une politique de l’inclusion généralisée (1977), il a été créé un corps d’enseignants spécialisés, dits « enseignants de soutien ». Ils sont au nombre de un pour quatre élèves handicapés, et ont pour objectif d’élargir leur intervention à l’ensemble de la classe et même de l’école. Ils ont le même statut que les professeurs ordinaires mais avec une formation spécifique. Sur ce sujet, confère DE ANNA Lucia (2000) La généalogie de l’intégration scolaire en Italie. In CHAUVIERE Michel, PLAISANCE Eric (1999) L’école face aux handicaps. Education spéciale ou éducation intégrative ? pp.132-146. Paris : PUF.
 Le centre technique national d’étude et de recherche sur le handicap et les inadaptations (CTNERHI) témoigne de ce dualisme, tout comme le nom de l’intergroupe « inadaptés/handicapés », déjà cité, pour préparer le cinquième plan (1966-1970).
 Michel Chauvière explicite la notion de référentiel d’action publique comme « l’ensemble des normes prescriptives qui donnent sens à un programme d’action gouvernementale dans un secteur donné ». Il se réfère aux travaux de JOBERT B., MULLER P. (1987) L’Etat en action, politiques publiques et corporatismes. Paris : PUF, qui précisent que cette notion a à voir avec « la représentation du rapport global/sectoriel que se font les acteurs concernés, destinataires, intermédiaires et décideurs ».
 Michel Chauvière (2000c) déplore à juste titre que cette notion se soit imposée comme « presque concept pour certains chercheurs » négligeant qu’il s’agit avant tout d’une « catégorie de gestion administrative ciblée des populations » qui possède un caractère « libéral », induisant la faute de celui qui est concerné, « qui ne joue pas le jeu économique et doit en porter le stigmate ».
 L’intégration en tant que terme, et en tant qu’objectif, se trouve aujourd’hui en situation déclinante : lors d’une récente conférence (le 4 mars 2009 à l’IUFM de Nantes), Pierre François Gachet, chef du bureau ASH (adaptation et scolarisation des enfants handicapés, nouvelle dénomination introduite par la loi de 2005 et venant se substituer à « l’adaptation et intégration scolaire » AIS) de la DGESCO, a expliqué à l’assemblée que l’ensemble des dénominations officielles contenant le mot intégration (souvent connues sous forme de sigles, comme CLIS, UPI, etc.), étaient en voie d’être changées, afin de purger une fois pour toute ce mot de l’ensemble de l’institution scolaire. « On peut changer de mot sans changer de pratique, voire même pour ne pas changer de pratique » a dit à cette même conférence le sociologue Serge Ebersold. En juin 2009 (pour les CLIS) puis en juin 2010 (pour les UPI) ces annonces sont devenues de vraies mesures. Pour un résumé des évolutions, voir 2.2.1.2.
 C’est à dire que l’enfant est inscrit mais non scolarisé, et peut être accueilli en établissement spécialisé.
 C’est d’ailleurs un des seuls pays de l’OCDE à en proposer une, ce qui est critiqué dans de nombreux pays.
 MEGE-COURTEIX Marie-Claude (2007) Réussir la scolarisation des élèves présentant un handicap. Les Cahiers Innover et réussir, n°13, pp. 4-10. Article consultable à cette adresse :  HYPERLINK "http://www.lecolepourtous.education.fr/fileadmin/pdf/INSHEA_Courteix.pdf"http://www.lecolepourtous.education.fr/fileadmin/pdf/INSHEA_Courteix.pdf
 Compensation et accessibilité sont des thèmes adjacents à l’émergence de cette idée « des droits », c’est à dire la logique de la « participation » (ou « paradigme de la citoyenneté », comme l’écrit Pierre Bonjour). Ils sont également des termes qui mériteraient une analyse spécifique ; pour s’en convaincre il suffit de mentionner le fait qu’ils sont également tous les deux des notions juridiques qui impliquent chacun des responsabilités institutionnelles différentes quant à leur mode de financement : l’accessibilité relève du ministère ayant la tutelle de l’institution qui accueille, là où la compensation relève du financement du ministère de la santé. On devine alors ce qu’implique la querelle des mots quand il s’agit de qualifier de mesures d’accessibilité ou de mesure de compensation telle ou telle réalité ; on devine également la lutte qui se déroule sur le terrain du droit pour qualifier le plus précisément possible ces termes.
 Pour une perspective critique de cette évolution, confère l’article de EBERSOLD Serge (2005) L’inclusion : du modèle médical au modèle managérial, op.cit.
 La première mention d’un projet personnalisé pour les enfants handicapés scolarisés en classe dite « banale » dans un pays industriel semble être le fait d’une loi de 1975 aux Etats-Unis, la loi dite EHA : « The production of an individual learning programme (ILP) for every handicapped child became a legal requirement in the USA with the passing of public law 94-142. » (Tominson, 1982, page 12). Sur la EHA, confère 2.1.2.1.

 Confère chapitre 4.
 « Favoriser l’implication des parents » n’est aujourd’hui a priori plus de mise puisque ce sont eux qui, depuis la loi n°2005-102 du 11 février 2005, sont légalement partie prenante du projet de scolarisation de leur enfant.
 Déjà évoquée précédemment : « Situation de handicap et scolarisation », IUFM de Nantes, le 4 mars 2009. Les éléments cités proviennent de l’ouvrage suivant : BAZIN Anne Laure, EBERSOLD Serge (2005) Le temps des servitudes : la famille à l’épreuve du handicap. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
 Sur la notion de projet et d’une éventuelle recherche sur les fondements qui la portent et sur le sens qu’elle véhicule, en particulier en matière éducative (et donc dans le processus de scolarisation des enfants handicapés), un point de départ intéressant pourrait être notamment l’ouvrage suivant : BOUTINET Jean.-Pierre. (1993) Anthropologie du projet. Paris : PUF, 2e éd. Pierre Bourdieu a également formulé des analyses tout à fait intéressantes sur cette notion, notamment dans BOURDIEU Pierre (1980) Le sens pratique. Paris : Editions de Minuit, notamment celle qui explique que « les agents se déterminent aussi par rapport à des indices concrets de l’accessible et de l’inaccessible », ce qui implique que le projet peut se résumer à lister les conditions de processus qui « tendent à réaliser le probable ».
 Nous allons pouvoir constater dans le chapitre 2 que la notion d’inclusion ne concerne pas seulement l’enfance handicapée.
 Confère supra, 1.4.1.
 Dans de nombreux pays mais aussi (et le lien est évident) dans les discours de plusieurs instances supranationales comme l’ONU, l’UNESCO ou l’OCDE. Sur ce point, voir : 2.1.3
 Le christianisme s’est imposé en Europe par la prime conversion de l’aristocratie : il ne s’agit pas d’un culte d’origine populaire.
 Une organisation syndicale, créée en 1987, s’appelle la Confédération Paysanne. L’usage de ce terme (quasiment proscrit par le milieu agricole tout au long du 20ème siècle) dans l’intitulé de cette organisation, est là pour témoigner à la fois du renversement de sens qui a été opéré en quelques décennies et de l’éloignement des origines étymologiques – éloignement d’autant plus visible quand on sait que des membres de la jeunesse agricole catholique (JAC) ont joué un rôle prépondérant dans les origines du mouvement des paysans travailleurs puis de la Confédération Paysanne.
 Au 13ème siècle.
 Sur cette consécration, voir supra, 1.3.
 Extrait du site gouvernemental du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE)  HYPERLINK "http://www.cnle.gouv.fr/"http://www.cnle.gouv.fr/
 Nous pouvons d’ailleurs nous demander si la consécration du terme ne peut pas être aussi analysée au travers du fait que sa charge idéologique, la vision du monde qui s’était historiquement constituée en lui, répondait ou à tout le moins possédait des affinités avec celle qui caractérise le point de vue dans l’espace social induit par les conditions sociales de ceux qui ont contribué à le consacrer.
 A titre illustratif, voir par exemple, sur le site de la commission européenne, un articulet titré : « Closing the gender pay gap: the benefits for business. There are a number of reasons why it makes good business sense to take steps to eliminate pay differences between men and women » :  HYPERLINK "http://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=816&furtherNews=yes"http://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=816&furtherNews=yes
 Par ailleurs, le logement et la santé sont mentionnés – mais ces secteurs ne font pas exception aux « politiques d’ajustement » qui impliquent un recul du public au profit du privé (selon un principe consacrant la socialisation des pertes et la privatisation des profits). De plus, si une éducation « ordinaire » accentue les possibilités d’inscription sur le marché « ordinaire » du travail, être logé et en bonne santé permet le permet également.
 A ce titre, il est d’ailleurs notable de constater le fait qu’étymologiquement, être « exclu » signifie ni plus ni moins que d’ « être en dehors de l’enfermement ».
 Avec notamment les travaux de Michel Foucault, Robert Castel, Jacques Donzelot, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Roger Establet et Christian Baudelot, etc.
 « Daté » : mot entendu à plusieurs reprises concernant ce sujet, et alors même que, plus que la question, c’est probablement plutôt la possibilité d’en tirer des bénéfices académiques qui est datée.
 C'est-à-dire les travaux qui, consécutivement à la reprise de la notion de normalisation en provenance de Scandinavie, ont consacré et développé la notion d’inclusion scolaire des années 1970 à 2000. Le champ intellectuel de ces travaux peut être considéré comme le champ d’origine en ceci que c’est en son sein qu’émerge pour la première fois la notion d’inclusion scolaire – mais pas la notion d’inclusion tout court.
 Ce qui renvoie directement à la notion de empowerment.
 Sur ce point précis, confère 4.4.3 Ecoute et violence symbolique.
 « La loi [danoise] parle de « personnes considérées comme ‘‘folle’’ ou ‘‘imbécile’’, précise Kemp (1994).
 Nirje B. (1969) The normalization principle. In R.B. Kugel & W Wolfensberger (Eds.) Changing patterns in residential services for the mentally retarded. Pp. 179-195. Washington: department of heakth, Education and Welfare.
 Sur cette circulation originelle de la notion de normalization et ses implications sociales, confère supra, 2.1.3.
 Wolfensberger W. (1972) The principle of normalization in human services. Toronto: National Institute of mental retardation.
 L’extrait du texte de Raymond Vienneau, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation de l’Université de Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada, est pris ici :  HYPERLINK "http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914" http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914.
 Confère 2.1.3, infra.
 Il est intéressant de noter que la EHA introduit un élément qui va se retrouver dans l’ensemble des dispositifs législatifs des pays industriels sur le thème de la scolarisation des enfants en situation de handicap dans le milieu ordinaire : l’ « individual education plan ». Il serait intéressant, au travers d’un travail spécifique sur la notion de « projet » (et notamment en éducation), de tenter de retracer la généalogie et la fonction sociale d’un tel dispositif, qui est invariablement associé à l’éducation « ordinaire » des enfants non ordinaires scolairement.
 Dépendant du gouvernement fédéral.
 Qui mériterait elle aussi une analyse spécifique. Nous n’avons ici pas eu le temps de chercher plus avant des éléments sur ce mouvement.
 Thomazet citent des chercheurs comme O’Brien (1989) et W.C Stainback et S.P. Stainback (1990, 1992), qui « furent parmi les premiers chercheurs à utiliser [le terme d’inclusion] dans le champ de l’éducation ». Voir par exemple : O’Brien J., Forest M, Snow J., Pearpoint J., Hasbury D. (1989) Action for inclusion : how to improve school by welcoming children with special needs into regular classrooms. Toronto: Inclusion Press. Il est possible de trouver des bibliographies très fournies des travaux anglo-saxons sur l’inclusion scolaire dans les travaux de Thomazet (2008, 2009) et dans l’article de Serge Ebersold (2009) Autour du mot : inclusion. In Recherche et formation. Former à accueillir les élèves en situation de handicap, n°61. pp. 71-83.
 Concernant la notion de besoins éducatifs particuliers, indissociable de celle d’inclusion pour le versant scolaire de cette dernière, Confère 2.2.2.1.
 Voir infra, 2.1.2.2.
 Largement critiquée par la pensée de « l’altérité radicale » (Alain Blanc, 2006) ; confère 2.2.1.1.
 Sur ce point, lire : J-F Ravaud (1999) Modèle individuel, modèle médical, modèle social : la question du sujet. In Handicap, n°81, 1999, pp. 64-75. L’auteur écrit que le MSH refuse d’ « expliquer le handicap par les caractéristiques individuelles des personnes, mais plutôt par l’ensemble des barrières physiques ou socioculturelles faisant obstacle à la participation sociale et à la plein citoyenneté des personnes handicapées ».
 Voir sur ce sujet Catherine Barral (2000) ONG de personnes handicapées et politiques internationales : l’expertise des usagers, In Prévenir, n°39, pp. 165-190. Elle évoque à ce titre des notions comme le « peer-support » (soutien entre pairs), le « peer-counselling » (la « pair-émulation »), l’ « advocacy » (la défense des intérêts individuels et collectifs face aux discriminations) et le processus d’ « empowerment ».
 OMS : organisation mondiale de la santé. BIT : bureau international du travail
 Sur ce point, confère 2.2.2 L’inclusion, proposition de définition
 Ou plus précisément les considérations des milieux économiques et financiers
 Qui se trouvent, au fur et à mesure du 20ème siècle, de plus en plus seules à constituer ces discours, à la faveur d’un processus d’invisibilisation des motivations économiques qui constituaient pourtant à la fin du 19ème siècle des arguments tout à fait centraux. Sur ce point, confère 1.1.1.3.
 OCDE (organisation pour la coopération et le développement économique)(1994) L’intégration scolaire des enfants et adolescents handicapés : ambitions, théories et pratiques. Paris : OCDE.
 Sans développer la notion d’orthodoxie économique, il est néanmoins possible de l’illustrer en renvoyant vers la publication suivante : MORISSON Christian (1996) La faisabilité politique de l’ajustement. In Cahiers de politique économique de l’OCDE, n°13. OCDE. Confère également ici :  HYPERLINK "http://www.recit.net/IMG/pdf/CT_FAIRE_UNE_POL_D_AJUSTEMENT_OCDE.pdf"http://www.recit.net/IMG/pdf/CT_FAIRE_UNE_POL_D_AJUSTEMENT_OCDE.pdf
 En Angleterre, depuis une loi de 1902, l’éducation relève d’un système décentralisé composé d’une LEA (local education authorities) pour chaque comté.
 Economie de coûts sociaux car la population composant « l’anormalité » (ou composé des « subnormal » en Angleterre par exemple) se caractérisait par une surreprésentation des franges les plus pauvres des catégories populaires, ferment des révolutions et des « troubles sociaux » ; économie de coûts financiers car leur éducation permettait, pour les plus « capables », d’entrer dans la production. Sur ce sujet, confère 1-1 Genèse et constitution du champ du spécial.
 C’est le cas également pour les systèmes éducatifs en général – nous défendons ici une appréhension de l’histoire des systèmes éducatifs issue de la sociologie conflictualiste. Sue ce point, confère Sally Tomlinson, 1982, page 6, ainsi que : infra, 2.2.2.1.
 De ce point de vue, l’OCDE occupe une position particulière dans l’espace des positions des instances supranationales puisqu’elle participe à la fois à l’internationalisation des politiques éducatives et aux processus d’internationalisation des politiques économiques et financières. (Confère 2.1.2.3.)
 Résultats censés s’inscrire dans un processus qu’il est à peine caricatural de résumer de la façon suivante : ‘‘main d’œuvre qualifiée et innovations techniques et technologiques créent de la croissance, elle-même de l’emploi et, in fine, le bonheur des populations’’. Hors des préceptes de ce bréviaire, point de salut – et ceci in fine également pour toute pensée sur l’éducation.
 Assertion qu’il conviendrait de préciser au sein d’un travail spécifique. Cependant, de nombreux éléments viennent corroborer cette vision, notamment le fait, par exemple, du poids qu’a pu avoir après sa publication en 1967 le rapport de François Bloch-Lainé, alors ancien directeur du Trésor au ministère des Finances, directeur de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque européenne d'investissement depuis 1952.
 Il anime un débat matinal sur LCI (groupe Bouygues), et est l’invité presque permanent de Yves Calvi sur France 5 (dans l’émission « C dans l’air »).
 Cité dans Chollet Mona, Cyran Olivier, Fontenelle Sébastien, Raymond Mathias (2009) Les éditocrates. Paris : la Découverte.
 Les programmes d’évaluation internationale des systèmes éducatifs, comme ceux de l’OCDE (PISA, TIMSS) sont basés ainsi uniquement sur les performances scolaires des élèves, entendues en terme de maîtrise de savoirs disciplinaires.
 Il est notable de mentionner ici le fait que, selon l’INSEE, (en 2010), la part du PIB consacré au salaire a baissé depuis 1983 de 9,3%, au profit des revenus financiers – et notamment actionnariaux – et ce alors même que le PIB n’a cessé d’augmenter. « La part des profits est inhabituellement élevée à présent (et la part des salaires inhabituellement basse). En fait, l'amplitude de cette évolution et l'éventail des pays concernés n'a pas de précédent dans les 45 dernières années », lit-on également dans un des Working Papers de la Bank for International Settlements, plus précisément le n°231 daté de juillet 2007 et titré Global upward trend in the profit share (« Hausse tendancielle mondiale de la part des profits »).
 « Emploi » est un mot qui suppose un sujet et un objet : il y a en effet « l’employeur » et « l’employé ». « Occuper un emploi » revient de fait surtout à « être occupé » (dans les deux sens du terme).
 Sur ce point, lire MENARD Noémie (2009) …
 Sur ce point, des éclairages importants sont mentionnés au 2.2.1.2.
 Traduction littérale du terme de langue anglaise désignant au Royaume-Uni la population équivalente à celle des « anormaux » en France à la fin du 19ème siècle : subnormal.
 Dans l’acception première du terme, qui provient du latin docilus : « qui se laisse facilement apprendre ».
 Le 19ème siècle et le début du 20ème constituent aussi la période où s’épanouit le mouvement hygiéniste.
 Confère ce site Internet :  HYPERLINK "http://www.inshea.fr/expertise_detail.php?id=767&id_menu=3&id_ssmenu=35&id_rubrique=1&id_ssrubrique=216"http://www.inshea.fr/expertise_detail.php?id=767&id_menu=3&id_ssmenu=35&id_rubrique=1&id_ssrubrique=216
 CNEFEI : centre national pour l’étude et la formation autour de l’enfance inadaptée, devenue l’INS-HEA, l’institut national supérieur pour la recherche sur le handicap et les enseignements adaptés.
 Que la loi n°2005-102 a entièrement rénovée, mais qui conserve malgré cela ses principes de compromis entre les deux pôles ici esquissés et représentés par l’Italie et l’Allemagne.
 Et publié en 1990 dans les Cahiers d’histoire des littératures romanes (14e année, 1-2, p.1-10). Puis en 2002 peu après sa mort, dans les Actes de la recherche en sciences sociales 2002/5 – 145, pages 3 à 8.
 Courant sociologique issu de la sociologie des sciences et des techniques et animé notamment par Michel Callon, Bruno Latour et Madeleine Akrich. La juxtaposition de la sociologie de Pierre Bourdieu et celle des sociologues de la traduction (qui s’opposent sur plusieurs points, notamment épistémologiques), n’est pas pour nous problématique dans la mesure où la portée heuristique des éléments d’analyse utilisés prévaut sur des considérations de divergences théoriques qui ne trouvent pas, de notre point de vue, d’échos véritables dans le présent travail.
 Par « intellectuels » nous entendons ici les personnes répondant à la définition suivante, donnée par Noam Chomsky en 2009 (reformulée par nos soins) : des personnes qui ont le temps et la possibilité de diffuser dans l’espace public des avis réfléchis et systématisés sur le monde – définition qui a la particularité de ne pas se limiter au champ académique. Confère :  HYPERLINK "http://www.lesmutins.org/chomskyetcompagnie/wp-content/uploads/chomskyciedp.pdf"http://www.lesmutins.org/chomskyetcompagnie/wp-content/uploads/chomskyciedp.pdf
 Sur cette notion, confère supra, 2.2.2.1
 « Moment critique », selon le terme de Pierre Bourdieu (1984) qu’il serait tout à fait intéressant de cerner par une recherche » tant il nous semble riche de perspective analytique
 Si tant est qu’il soit possible d’identifier ce dernier, bien que nous l’ayons ici, et en accord avec les travaux dont nous avons pris connaissance, identifié comme étant le champ du handicap mental dans la Scandinavie des années 1940-1950 – étant entendu que ce champ d’origine ne connaissait encore pas la consécration du terme.
 « Théoriquement » car des agents/acteurs (individus ou associations) peuvent tout à fait bien revendiquer une définition autre de l’inclusion et de ses pratiques, inspirée d’un autre contexte (ou s’y rattachant sans le savoir), et contester celle définie par le législateur – et ceci y compris dans les pratiques professionnelles.
 Dans le champ des instances supranationales, ces deux organisations ont donc une position tout à fait spécifique puisqu’elles participent à la fois à des missions régaliennes (« main droite ») et des missions relevant de la « main gauche ».
 Il y en a bien sûr d’autres, esquissées dans la partie historique du présent travail, et relative à la structure et aux propriétés du champ de l’enfance handicapée en France.
 L’OCDE délivre des médailles aux représentants politiques qui mettent en œuvre le plus scrupuleusement possible le programme contenu dans la doxa de « l’ajustement » : en 1993, c’est Edouard Balladur qui a reçu cette distinction pour son action de premier ministre du gouvernement français.
 Les transpositions ont été réalisées par nous.
 Et, indissociablement, la genèse.
 Confère supra, 1.4.
 Sur cette question confère infra, 2.2.2.1.
 Tout comme le nom de la notion elle-même.
 Et ceci d’autant plus que les principes inclusifs ont des fondements moraux et éthiques qui peuvent exister indépendamment de leur rencontre avec la dénomination consacrée.
 Confère partie 2.1.1.3.
 Dans laquelle ne figure pas l’AVS, qui devrait y figurer pourtant.
 En 2008, l’estimation du nombre d’enfant en situation de handicap nouvellement scolarisés à chaque rentrée était de 10 000. La même année, leur nombre dans l’ensemble de la population scolaire des filières non spécialisées était estimé à 170 000 – en sachant que la prévalence de l’enfance handicapée dans la population totale est d’environ 2%, et que la même prévalence est applicable à la population scolaire, ce qui fixe approximativement le plafond.
 Ou, pour parler dans la langue des élites européennes, de la logique de l’inclusion sociale active – ce qui nous pousse à constater que l’accompagnement de l’inclusion scolaire est confié à des personnes concernées par des dispositifs d’inclusion sociale. En réfléchissant avec leurs catégories, et à des fins caricaturales, on pourrait dire qu’il s’agit de créer l’illusion de l’inclusion en regroupant ensemble des exclus, ou encore qu’est postulé le fait que des exclus sont, mis entre eux, susceptibles de devenir des inclus, ou encore que le fait de regrouper entre eux des exclus grâce à des dispositifs présentés comme étant destinés à les rendre inclus permet à bon compte de les reléguer dans des espaces sociaux où leur statut (permanent) d’exclus en voie d’inclusion permet d’affirmer que le pouvoir politique « fait ce qu’il faut » pour les exclus.
 Puis les sélections ainsi opérées sont avalisées par l’Education Nationale.
 L’élève qu’évoque ici Noémie fait partie des 10% (des 49 élèves accompagnés par les 6 AVS-i interrogés) qui ont été retirés de leur famille et placés en famille d’accueil (« placés » tout court, dit le sens commun) – ce qui ouvre également des nécessités d’analyse concernant la géographie appliquée du handicap, et une éventuelle région qui serait caractérisée par une forme d’essentialisation des catégories les plus pauvres comme intrinsèquement handicapés, ainsi que l’indique Jacqueline Gateaux-Mennecier en 1999.
 Et parfois l’élève, pour l’AVS-i et/ou l’enseignant.
 Et qui trouvent un écho très favorable dans la doxa politique des élites politico administratives et dans le monde social contemporain : il n’est pas question ici de réduire l’origine de ces comportements au seul terme « inclusion ».
 En 2009, les MDPH fonctionnent essentiellement avec des personnels d’accueil employés en contrats aidés, donc là encore avec des personnels trop peu formés et temporaires.
 Propriété dont on peut avancer qu’elle concerne également les champs des autres pays industriels.
 Mais également, nous l’avons vu, au sein du champ du travail social, en prenant dans les textes et les politiques européennes la suite des notions d’intégration et d’insertion sociales.
 Cette partie entend fournir des éléments explicatifs au « pourquoi ? » qu’appelle cette affirmation de Michel Fardeau.
 Alain Blanc (2006) Handicap, ou le désordre des apparences. Confère bibliographie. Il ne s’agit pas ici de proposer une critique complète et systématisée de l’ouvrage (et du travail) d’Alain Blanc, mais seulement de ce qui concerne notre sujet spécifique. Nous ne prétendons pas ici réduire l’ensemble de son ouvrage (et de son travail) aux seuls éléments critiques que nous formulons. De fait, le lecteur et la lectrice auront soin de ne pas opérer cette réduction.
 C’est nous qui la nommons ainsi.
 De fait, ses analyses ne concernent strictement que la part des élèves handicapés qui sont déficients – ce qui n’est pas le cas pour tous ainsi que nous le montrons notamment dans l’introduction, en 3.3.
 Ils formeraient ainsi une caractéristique d’habitus parmi les mieux distribués socialement ; une disposition qui serait même essentiellement corporelle.
 Dans une conférence donnée en décembre 2009 à l’occasion des états généraux du handicap dans la Loire, Alain Blanc rectifie sa position en parlant de « socialisation difficile, et non pas impossible » Confère  HYPERLINK "http://eghl.blogspot.com/2009/12/alain-blanc.html" http://eghl.blogspot.com/2009/12/alain-blanc.html « Si les liens sociaux sont difficiles, et non pas impossibles, à construire avec les personnes handicapées, c’est parce que les déficiences et les idées que nous en avons ne permettent pas une interaction pacifiée. »

 Les formes de ces socialisations dans des économies d’échange caractérisant la période préindustrielle (faible voir absence de mobilité, majorité d’activité agricole) sont encore un autre sujet d’étude historique.
 Nommer les risques ne suffisent pas à les éviter, mais peuvent suffire pour penser en être quitte – et nous ne pensons pas être exempts de ce risque majeur dans la pratique de la recherche en sciences sociales.
 Le « nous » des non déficients n’est-il pas différencié socialement ?
 Et qui, malgré nos critiques ici exposées, a beaucoup de qualités.
 C’est dans l’optique de rapporter la situation des personnes déficientes aux processus de domination que Alain Blanc convoque Albert Memmi ; mais c’est, in fine, pour considérer que ce qui prévaut c’est la part intrinsèque de la déficience dans le ratage des processus de socialisation. Toute proportion gardée, n’y a-t-il pas d’intellectuels qui, dans le passé colonialiste et esclavagiste, ou dans les Etats-Unis de la ségrégation raciale, aient postulé que la couleur de la peau rendait impossible la socialisation ?
 Nous parlons ici spécifiquement des « intégrations » scolaires en maternelle.
 Sur cette dernière question, le présent travail a prétention de contribuer à esquisser quelques éléments de réponses.
 Notion que, par ailleurs, Alain Blanc développe particulièrement dans son travail. On a ainsi un auteur qui d’un côté postule l’altérité radicale et la socialisation impossible et, de l’autre, qui propose LA notion qui permet d’embrasser et de saisir tout ce qui en est à l’origine : vente et service après-vente, en quelques sorte. Ceci étant dit, nous souhaitons rappeler, à la suite de Jacques Bouveresse (2003), que motivations et intérêts au principe de formes de recherches en sciences sociales ne présument pas de la validité des résultats et de la part de vérité sur le monde qu’ils contiennent.
 Bien plus loin que les positions de Charles Gardou, qui n’est pas un défenseur de la full inclusion, on trouve des intellectuels plus radicaux qui la défendent – mais en France ils n’occupent pas de position éminente. Une recherche spécifique sur le sujet des positions académiques en matière d’inclusion semble nécessaire.
 Sur ce point de l’hyper protection, qui caractérise certaines pratiques du médico-social, confère 3.3.2.4, en fin de partie.
 Les neuf « voies de la mutation » sont toutes centrées sur des éléments actualisables dans le fonctionnement des organisations, dans les programmes de formation, ou dans la création d’institutions nouvelles (Charles Gardou propose notamment la création d’un « institut national de formation, de recherche et d’innovation sur les situations de handicap » - proposition qui a été reprise par plusieurs personnalités mais qui n’a pas eu une réception politique favorable.
 Texte consultable ici :  HYPERLINK "http://www.aideeleves.infini.fr/lectures/gardou2.htm" http://www.aideeleves.infini.fr/lectures/gardou2.htm
 Parmi les chercheurs français qui travaillent sur cette notion ou/et avec elle, on trouve notamment, du côté des sociologues : Philippe Mazereau, Serge Ebersold, Eric Plaisance ; du côté de l’anthropologie : Henri Jacques Stiker, Charles Gardou, Denis Poizat ; du côté des didacticiens : Teresa Assude, Jean-Michel Perez, Marie Toullec-Théry, Isabelle Nedelec-Troël, Serge Thomazet (ce dernier ayant une formation de psychologue et d’enseignant du premier degré). (Liste évidemment non exhaustive).
 Dont nous avons esquissé ici quelques éléments de réponse.
 Il serait intéressant de produire une étude sur les différenciations sociales de mobilisation des parents d’enfants handicapés, y compris dans le passé, et notamment sur les partitions, dans la décennie 1950 ici évoquée, entre ville et campagne. On se rendrait probablement compte que les parents du milieu rural, bien que pas moins « humains » que les autres et pas moins habités de « désirs » pour leurs enfants, n’envisageaient pas ou peu l’éducation dans des structures qui n’existaient que peu sur leurs territoires.
 Dans la perspective d’un travail sur la perception du handicap et/ou de l’inclusion dans le champ académique, il apparaît indispensable de s’extraire du caractère linéaire que nous habitons ici (deux pôles caractérisant les deux extrêmes d’une même ligne) en enrichissant l’analyse par une approche pouvant être traduite par exemple au travers d’un espace factoriel.
 C’est son ouvrage qui va ici venir illustrer l’analyse que produit la sociologie conflictualiste sur la scolaristion des enfants handicapés.
 « Les systèmes éducatifs et leurs caractéristiques se développent du fait des objectifs que poursuivent les groupes sociaux qui les contrôlent et qui ont des intérêts spécifiques dans leur développement. (…) Les systèmes éducatifs changent suite à des débats d’arguments et du fait de lutte de pouvoir. (…) Les changements se produisent car certains groupes veulent qu’ils se produisent et ont le pouvoir de l’imposer aux autres ». (Traduction personnelle).
 « Démystifier les processus sociaux et les situations sociales ».
 « Certains groupes sociaux impliqués dans l’éducation spéciale ont des intérêts particuliers à structurer les débats dans un sens particulier plutôt qu’un autre ».
 A l’inverse, la perspective de Sally Tomlinson a de mon point de vue un avantage que l’exigence de rigueur scientifique de la théorie de Pierre Bourdieu – en tout cas avant les évolutions significatives du début des années 1990 –, basée sur la rupture bachelardienne d’avec le « sens commun », ne permet pas : il s’agit, comme l’illustre la référence fréquente que fait l’auteure à C. Wright Mills et sa « sociological imagination », de promouvoir certaines connaissances dégagées par la sociologie comme devant être intégrées au curriculum de formation d’autres métiers et, plus largement, d’être diffusées largement dans la société.
 Pour des exemples d’ « exclusion par la pièce d’à côté », confère 3.3.2.3.
 Le néo-libéralisme.
 En d’autres termes, et selon le mot de Karl Marx, les « choses de la logique » dégagées par cette entreprise à vocation scientifique deviennent par le biais des politiques menées sommées de prendre la place de « la logique des choses » : rendre les réalités sociales correspondantes aux théories, voilà l’ouvrage politique du néo-libéralisme.
 Selon l’expression de Erving Goffman (1968), Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux. Paris : Editions de Minuit, cité par Bourdieu (1998), « à la manière du discours psychiatrique dans l’asile… ».
 Et de la recherche.
 Sur lequel nous nous limiterons, sans étendre notre analyse au poste de professeur du second degré – néanmoins évoqué en creux dans cette partie, le « creux » étant particulièrement saisissable par les lecteurs et lectrices qui connaissent a minima l’histoire de ces deux postes, ce qui les caractérise et en quoi ils s’opposent.
 Institués en 1882 à l’école normale de garçons de la Seine, située à Auteuil, les « voyages de vacances » ou « voyage d’études », qui ont lieu tous les ans, imposent la pratique du tourisme comme le mode correct de la découverte de l’inconnu, c'est-à-dire font de l’instituteur un consommateur de paysages » écrit Francine Muel-Dreyfus. Elle évoque également l’encouragement que les « élèves maîtres » des écoles normales reçoivent à pratiquer les « marottes » appropriées à leur rang, ni trop ni trop peu : monographie sur la commune d’exercice, poésie, promenades, lecture, occupation du poste de secrétaire de mairie, d’animateur culturel, etc.
 Car si les formations ont évolué, si incidemment le recrutement social a changé, la nature intermédiaire de la position du poste d’enseignant du primaire reste tout à fait valide, depuis ses origines
 Et destinés à être enseignés par des enseignants spécialisés dont les caractéristiques objectives du poste sont fondées sur le modèle du « saint laïc » se dévouant corps et âme à sa vocation d’éduquer les inéducables.
 Cette disposition se retrouve d’une manière encore plus ancrée et puissante dans le corps professionnel des enseignants du secondaire.
 Permettant aux femmes n’ayant pas ou peu occupé d’emploi au cours d’une vie (mais ayant assuré la conduite de l’économie domestique et l’éducation des enfants) de dire (indice d’une véritable incorporation de – et participation à - la domination) qu’elles n’ont pas ou peu « travaillé ».
 Sur ce concept, voir infra, 2.2.2.
 Pris sur le forum Internet « enseignants du primaire ». Message consultable ici :  HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__20__p__4328206&#entry4328206" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__20__p__4328206&#entry4328206
 Sur ce point confère partie 2.1.3.
 L’inclusion se trouve mentionnée (au-delà de sa consécration implicite dans « l’esprit » de la loi de 2005) pour la première fois dans un texte de loi français en juin 2009 : les CLIS (classes d’intégration scolaire, dans le premier degré) sont devenues des classes d’inclusion scolaire. En juin 2010, les UPI (unités pédagogiques d’intégration scolaires, dans le secondaire) sont devenues des ULIS (unités localisées d’inclusion scolaire). Le fonctionnement général des ces classes spécialisées se trouvent également modifié – on assiste notamment à la suppression par de nombreuses inspections académiques des auxiliaires de vie scolaire collectives (AVS-co). Voir note 348, page suivante.
 Il y a même, de notre point de vue, nécessité de porter jusque dans les territoires de l’échange usuel et anodin ce qu’implique les connaissances dégagées par l’histoire de sa constitution – sous peine de rendre invalides les efforts à l’origine de ce savoir qu’est l’histoire de la construction sociale de cette catégorie. Il n’y a pas que dans le cercle académique que cette « dimension indiscutée des discussions » qu’est le handicap doit être largement abordée : dans les formations professionnelles également. Du point de vue de cette nécessité, omettre d’en tenir compte dans une publication à caractère savant nous semble une erreur importante.
 Ce terme, utilisé par les enseignants eux-mêmes, est tout aussi peu anodin que celui de « ordinaire », ou « spécialisé », et mériterait une analyse spécifique.
 « A 2 » signifie ici : enseignant en poste en classe spécialisée et AVS-co
 Message et fil de discussion consultables à cette adresse :  HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__40__p__4335345&#entry4335345" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__40__p__4335345&#entry4335345
 Nous insistons sur le « parfois », étant bien entendu que l’appui sur un témoignage (a fortiori non situé socialement) ne suffit pas et appelle des recherches plus spécifiques.
 Même si les décloisonnements et les relations des CLIS avec le reste de l’école étaient auparavant déjà encouragés, l’émergence de l’inclusion dans les acronymes de ces classes témoigne d’une rupture : pour les élèves des CLIS, la norme sera la présence dans les classes « banales » de leur classe d’âge, et le regroupement dans la CLIS l’exception.
« Dans l'idée les enfants de CLIS seraient scolarisés dans leur classe d'age la plupart du temps, avec présence dans l'école (ou sur un groupe d'écoles) d'un dispositif appelé CLIS, qui serait une sorte de plaque tournante organisant les temps de scolarisation des gamins, les regroupant parfois pour des apprentissages spécifiques et servant de "ressource" aux collègues des classes ordinaires "incluant" des élèves en situation de handicap.
Dans les textes, c'est louable et intéressant, dans les faits irréalistes et sûrement destructeur pour les élèves et leurs maîtres », écrit ainsi une enseignante spécialisée.  HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__p__4320205&#entry4320205" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__p__4320205&#entry4320205.
 Message et fil de discussion consultables à cette adresse :  HYPERLINK "http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__60__p__4408090&#entry4408090" http://forums-enseignants-du-primaire.com/topic/214397-integration-ou-inclusion/page__st__60__p__4408090&#entry4408090 :
 Qu’au sein de la profession il serait tout à fait intéressant d’étudier : il doit y avoir des conditions sociales qui favorisent la prise de contact avec tel ou tel production intellectuelle en la matière.
 Ce qui revient à dire que certains enseignants tissent des relations entre les trois niveaux d’appréhension de la notion d’inclusion que sont l’académique, le légal et le pratique (à l’école). Ce sont ceux qui lisent des productions scientifiques ou théoriques sur le sujet. Ils peuvent à ce titre être opposés ou non à ce qui fonde cette notion. D’autres ne l’appréhendent qu’à partir de leur pratique professionnelle : ce sont ceux qui y réfèrent l’ensemble de leur point de vue social. Ces derniers ont tendance à amalgamer le législateur et le milieu académique en un seul et même « parti », et à fustiger sévèrement toute réflexion d’ordre théorique au nom du primat du « terrain ».
 Sur ce point, confère 2.2.3.
  HYPERLINK "http://dcalin.fr/publications/lescouarch2.html" http://dcalin.fr/publications/lescouarch2.html
 Certains endroits font exception – il serait d’ailleurs tout à fait éclairant d’en étudier les raisons au travers des conditions sociales de possibilité – comme par exemple l’Université de Provence, dont certains professeurs ont créé l’OPHRIS (Observatoire des pratiques sur le handicap : recherche et intervention scolaire). Seulement, ces exceptions continuent d’être spécifiques, et spécifiées, donc relevant toujours du spécial, là où c’est une forme d’ordinarisation du spécial qui semble plutôt nécessaire – et dont les formes de traduction académiques restent àc créer.
 Sur ce dernier point, voir 2.1.2.3 L’inclusion entre discours humaniste et intérêts économiques.
 On trouve un travail spécifique sur ce que le législateur français a fait des notions d’intégration et d’inclusion dans le travail d’Eric Gilles, ancien inspecteur de l’éducation nationale : (2007) Scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers, des compromis entre intégration et inclusion scolaire à l’émergence d’un nouveau modèle éducatif. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, dirigée par Jean-Pierre Astolfi, Université de Rouen. De notre point de vue, il manque (cruellement) à ce travail, centré presque exclusivement sur une analyse des textes (lois, décrets,circulaires) une approche sociologique ancrée dans la théorie des champs, seule apte à permettre de situer les positions des rédacteurs des textes, celle de leur groupe social, leur allégeances intellectuelles, etc.
 Eléments tirés d’une communication non datée mais lisible à l’adresse suivante :  HYPERLINK "http://www.ac-montpellier.fr/sections/enseignement-scolaire/scolarite-pour-tous/handicap/handicap/communication-e/downloadFile/file/communication_e_plaisance.pdf" http://www.ac-montpellier.fr/sections/enseignement-scolaire/scolarite-pour-tous/handicap/handicap/communication-e/downloadFile/file/communication_e_plaisance.pdf

 C’est Sally Tomlinson qui propose cette partition entre « normative category » et « non-normative ». Elle précise par ailleurs que cette distinction, valide pour le sens commun, ne l’est scientifiquement que par souci de méthode et que, par exemple, définir précisément et uniformément la surdité est une gageure, ce qui relativise la distinction ici opérée : « While it might appear that some handicapps are easier to define than others, this is not necessarly so. » Par ailleurs, le principe de cette distinction est à la base de celle construite par l’OCDE en 1994.
 « Il n’y a pas d’arguments éducatifs pour justifier de poursuivre la confluence entre la catégorie normative [aveugles, sourds, épileptiques, handicap physique, type sévère de handicap mental] et catégorie non-normative [faible d’esprit (=débile en Frane), sous normaux éducatifs (anormaux, ou irréguliers), mal ajustés (inadaptés), instables, caractériels]. La notion de BEP est propre à intensifier cette confusion. » (Traduction personnelle).
  HYPERLINK "http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/handicapes/6_22.htm" http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/handicapes/6_22.htm

 Débat consultable ici :  HYPERLINK "http://www.senat.fr/cra/s20100512/s20100512_8.html#par_35" http://www.senat.fr/cra/s20100512/s20100512_8.html#par_35

 Qui n’est pas exempt d’un fort caractère conflictuel au niveau politique : en effet, grandir et vivre au-delà du seul « entre-soi » social ne constitue pas un consensus ni un objectif politique consensuel, en témoigne le fait que les communes les plus riches ne respectent pas la loi SRU qui les oblige à construire au minimum 20% de logements sociaux sur leur territoire. Carquefou, dans la périphérie nantaise, pour ne prendre qu’un exemple, n’en a que 3% (en 2002).
 Confère :  HYPERLINK "http://dcalin.fr/textes/exclusion.html" http://dcalin.fr/textes/exclusion.html
 Les éléments présentés ici proviennent d’un colloque organisé par l’INRP à Lyon les 23 et 24 mars 2010 et titré « Ecole et handicap ». L’intervention de Maria Kron (université de Siegen, Allemagne) était titré : « hétérogénéité, un aspect fondamental de la pédagogie inclusive. » Les actes du colloque sont en ligne sur le site de l’INRP :  HYPERLINK "http://www.inrp.fr/manifestations/2009-2010/journees-ecole-et-handicap" http://www.inrp.fr/manifestations/2009-2010/journees-ecole-et-handicap

 Ou à propos des compétences phonologiques, par exemple Goigoux & Cébé, (2004) Favoriser le développement des compétences phonologiques pour tous les élèves en grande section de maternelle ». Repères, n°2, pp. 45-53.
 Thomazet 2009 ; il renvoi à son propre travail, titré : « Relations possibles des enseignements adaptés avec les autres dispositifs de différenciation pédagogique », In Revue du CERFOP, n°15, pp. 45-53
 Raymond Vienneau est, en 2010, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation, Université de Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada. Texte consultable ici :  HYPERLINK "http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914" http://assoreveil.org/peda_actu_10.html#_Toc44406914.
 Confère supra 2.2.1.1.
 Qu’il faudrait analyser plus avant.
 Nous souhaitons ici préciser que les dispositifs mis légalement en place en France tendent de notre point de vue à imposer une mutation (basée sur des principes humaniste) sans offrir les conditions de possibilités de cette mutation, ce qui revient à porter des coups potentiellement mortels aux principes affichés, rendus responsables des situations d’échecs (quand ça n’est pas seulement les acteurs/agents à titre strictement individuel). Aux Etats-Unis, par exemple, le nombre de prescription de Ritaline (un médicament psychoactif destiné à réduire les problèmes de comportement des enfants « turbulents ») a littéralement explosé ces dernières années (Thomazet, 2009). Serge Thomazet en conclut que « les sociétés modernes ont tendance à « médicaliser » leurs problèmes : dans cette perspective, ce n’est plus le système éducatif qui est malade, ce sont les enfants. » (Traduction personnelle).

 Et susceptible de régression beaucoup plus rapide que ses processus de construction.
 Et l’inverse, ce qui revient sensiblement au même.
 C’est-à-dire, rappelons le, les auxiliaires de vie scolaire individuels, auxquels sont confiés les accompagnements d’élèves handicapés au sein de classes ordinaires
 Concours de recrutement des professeurs des écoles.
 Ce qui ne permet pas vraiment à la profession de faire face à son inconscient social, chaque formateur étant « formé » à ce métier, c'est-à-dire ayant proprement incorporé les dipositions fondant cet inconscient à le demeurer.
 Mais qui ne peut être considéré comme valide que pour les enfants ayant une déficience (ou, dans le cas où ils ne présentent pas de déficience, sont porteurs de troubles rendant difficile la socialisation, ce qui est loin d’être le cas pour tous les élèves concernés).
 Confère supra, 2.1.3.
 Et de l’intégration, dont elle prend suite, et qui a vu la genèse du poste d’AVS – confère sur ce point le chapitre suivant.
 Par cette précision nous souhaitons signifier que nous n’oublions pas les parents et les classons également parmi ceux qui sont « en premier lieu » concernés.
 Qu’il faudrait confirmer ou infirmer par des recherches sur les procédures propres aux (et le fonctionnement des) CDAPH.
 Il est à noter par rapport à cette remarque que les effectifs d’enseignants spécialisés ont diminué en une quinzaine d’année d’environ 20 000 postes.
 C’est une confusion opérée par les fondateurs de l’UNAISSE (union nationale pour l’avenir de l’inclusion scolaire, sociale et éducative), association qui défend l’idée de la création d’un métier spécifique d’AVS.
 Ca ne peut être qu’une esquisse, seule une recherche spécifique pourrait prétendre à dépasser ce stade
 Avec l’élève.
 Selon l’expression de Charles Péguy.
 Nous souhaitons rappeler ici, contre l’imaginaire collectif et le sens commun en matière de représentation du handicap, que, des (environ) 170 000 élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire en 2008-2009, seuls 1% sont en fauteuil roulant, et plus de 70% sont concernés par des « troubles cognitifs ou mentaux ». (Source : DGESCO, Education Nationale – dont nous utilisons ici la classification.)
 LAPAUW Régis. (1969) Educateurs… inadaptés. Paris : EPI.
 Il serait à ce titre tout à fait intéressant de se pencher sur la réception dans le milieu professionnel de l’éducation spéciale, de la réforme de la formation des enseignants, dite « masterisation ».
 Une analyse comparative des modalités et formes de mobilisation politique des enseignants et des éducateurs serait à ce titre tout à fait intéressante.
 Si on excepte les années 1950, décennie dans laquelle, « pour des raisons sociopolitiques », elle a été mise à l’écart, avant de retrouver une place importante dans les années 1960 (Plaisance, 1999).
 Par les ouvrages notamment de Michel Foucault, Robert Castel, Pierre Bourdieu, Jacques Donzelot, etc.
 Confère chapitre 1, 1.3.3.
 Progrès ou maintien déguisé de processus ségrégatifs par le biais de mécanismes d’euphémisation sans cesse plus affinés et sophistiqués, on le voit, le débat sur la nature des évolutions politiques depuis les lois sociales de la troisième république trouve de multiples échos, et le positivisme du 19ème siècle, contre lequel se positionne Jacqueline Gateaux-Mennecier, de nombreux avatars.
 « Rémanence moderne », ajoute Jacqueline Gateaux-Mennecier, « de la proximité idéologique misère/anormalité, que des catégories de pensée comme le handicap social, formulation hétéronymique, nourrissent encore avec une force insidieuse de nos jours ». On trouve dans le présent travail un écho de cette importante question : 1.4.3, Handicap et difficultés scolaires.
 Cette position de Jacqueline Gateaux-Mennecier rejoint celle qui se dégage des travaux d’une chercheuse britannique Sally Tomlinson (cités par Eric Plaisance, 1999), qui se propose de « repérer les processus sociaux à l’œuvre quand une partie d’un système d’éducation de masse dans une société industrielle se développe comme spéciale plutôt que comme normale. »
 En langue anglaise, essentiellement (pour des raisons évoquées infra), mais aussi en langue française, (avec Charles Gardou, autour de la revue Reliance, ou avec Serge Thomazet, par exemple) et particulièrement, pour des raisons historiques, au Québec.
 Circulaire n°99-187 du 19/11/1999
 Loi du 2 janvier 2002 de rénovation de l’action sociale et médico-sociale.
 Il est par exemple absent de la loi du 11 février 2005, pour des raisons qu’il conviendrait d’analyser.
 BELMONT Brigitte, PLAISANCE Eric, VERILLON Aliette (2006) Accompagnement et intégration scolaire. Politique, pratiques et acteurs. Contraste, la revue de l’ANECAMSP, n°24, pp.247-266. Il semble ici que Belmont, Plaisance et Vérillon soient centrés sur l’émergence de l’accompagnement scolaire à un niveau national, au sein d’un dispositif qui l’est aussi, et non sur les origines historiques, plus locales et différenciées, de cette pratique, qui justifient que nous parlions de « quasi-synchronisation » entre émergence de l’intégration scolaire et émergence de l’accompagnement. (Sur ce point, confère 3.2.2.)
 On trouve dans la Revue d’ethnologie française (juillet-septembre 2009), tome XXXIX, n° 3, consacré au handicap (« Handicaps, entre discriminations et intégration), un article de Henri Jacques Stiker où il analyse la CIFH de 2001 comme « un modèle manifestant une anthropologie comportementaliste et adaptatrice » où les personnes apparaissent comme des « usagers consommateurs » (Plaisance, 2010, notes de lecture de la revue Alter, vol. 4, n°2, avril/juin 2010, pages 148-152), consacrant ainsi une « élision du sujet », selon ses propres termes.
 Mais il faut également mentionner le poids de l’époque et de la conception du métier d’enseigner qui lui est concomitante : le cadre symbolique du métier n’a guère évolué depuis les premières éditions du fameux « code soleil » par le syndicat national des instituteurs. La classe est le lieu où le maître ou la maîtresse n’ont pas de compte à rendre, et ne serait-ce que penser des modes de coopération avec des personnes extérieures semble alors éminemment difficile. Actuellement, et malgré les évolutions, cette problématique reste très vive (voir chapitre 2 et infra, 3.3.2.3).
 Lisible sur le site de la FNASEPH
 Qu’il connaît par ailleurs, ayant grandi dans le même canton.
 Monsieur P. est instituteur depuis 1962 (il passe son CAEI et devient instituteur spécialisé en 1968). Après quatre années en classe de perfectionnement et une en SES, il devient instituteur dans un établissement de rééducation et de réadaptation fonctionnelle (détaché de l’EN). En 1981, il suit la formation de directeur d’établissement spécialisé. Il fait partie des administrateurs de l’APAJH de son département de 1970 à 1997.
 AFM, association de parents d’enfants déficients visuels ou aveugles, une association de parents d’enfants IMC, l’APF, l’association spina-bifida et l’association handicaps associés.
 Sur ce point, confère infra : 3.3.2.3.
 Plus tard, les évolutions de l’accompagnement que connaît ce département seront très critiquées, notamment par la FNASEPH. Le nombre d’auxiliaires dépasse en effet les 500 en 1998 – alors même que tout le département n’est pas couvert puisque les mairies sont employeurs : leur volonté de recruter est donc conditionnelle –, là où la plupart des départements ne connaissent qu’une ou deux dizaines d’auxiliaires. Un tel décalage est dû au fait que, ainsi que l’explique Monsieur P., « tout projet d’intégration scolaire semble se solder par une embauche quasi-automatique d’auxiliaire ». Cette quasi-automaticité est perçue par la suite par beaucoup comme contraire aux objectifs même de l’accompagnement, à savoir une intervention préparée, pensée, non automatique, et réversible.
 Bourdieu Pierre (1996) Sur la télévision. Paris : Raisons d’Agir.
 Un travail de sociologie sur les parents à l’origine de ces associations, puis à l’origine de la FNASEPH, contribuerait certainement à éclairer la position de cette organisation dans le champ associatif du handicap, et de fait à rendre ce dernier plus intelligible – travail qui nous paraît tout à fait urgent et nécessaire.
 En 2008, les associations nationales membres de la FNASEPH sont Trisomie 21 France (ex Geist 21), FGPEP, UNAPEI, AFM, Autisme France, Avenir dysphasie France, Anpea, GIHP, Unapeda, Unaïsse.
 Il serait tout à fait intéressant d’effectuer une recherche sur le sujet des relations entre ces deux grandes associations que sont l’UNAPEI et l’APAJH avec la FNASEPH, ainsi que leur positions vis-à-vis de la scolarisation des enfants en situation de handicap. Confère conclusion générale.
 Belmont, Plaisance & Vérillon mentionnent le fait que des débats ont eu lieu entre associations sur la question de la tutelle envisagée dans le cas d’un financement de l’Etat des emplois d’AIS. Ce débat portait notamment sur le fait de savoir si l’Education Nationale était bien placée pour devenir tutelle de ces emplois, dans la mesure où « des initiatives [avaient] été prises dans le cadre privé, médico-social, pour assurer une formation et un encadrement des AIS ». On retrouve ici le clivage historique de défiance entre spécial et scolaire, avec des associations de parents certes militant pour la scolarisation en milieu ordinaire mais imprégnés de la tradition du privé associatif propre à l’éducation spéciale qui se méfie toujours (à juste titre ou non) des capacités de l’administration publique, et surtout celle de l’EN, à endosser des responsabilités dévolues historiquement au champ du spécial.
 Missions publiées dans le bulletin officiel de l’Education Nationale de 1998.
 L’analyse de ces documents et leur contribution à la délimitation de la pratique des AVS au seul registre individuel serait intéressante.
 « Emplois jeunes : conditions d’emploi des aides éducateurs »
 IRIS initiative est une association qui a été créée en 1991 sur la base d’un partenariat entre une association consacrée à l’information autour du syndrome de Rett et EDF-GDF. Ainsi que l’explique le site référencé plus bas, IRIS initiative est née « du concept du soutien d'une œuvre humanitaire émergente et sans moyens par un grand réseau tel qu' EDF GDF qui peut lui donner rapidement l'impulsion nécessaire à sa réussite tout en se constituant une image "d'entreprise citoyenne" ». On le voit, cette association mériterait à elle seule une recherche spécifique. . HYPERLINK "http://intescol.free.fr/ASSOCOLLECTINTEGR/IRISINITIATIVE/irispresentation.htm"http://intescol.free.fr/ASSOCOLLECTINTEGR/IRISINITIATIVE/irispresentation.htm
 Seuls les emplois des AIS sont financés dans le cadre de cette convention ; l’encadrement et les frais de fonctionnement n’étaient eux pas pris en charge, et ont été financés par des subventions de conseils généraux, de municipalités et de Ddass, « partenaires les plus favorables et fidèles » (Paumier, Lagisquet & Philbert, 2009).
 Ils sont tous trois membres fondateurs, respectivement actuel secrétaire général, ancien président et actuel président d’honneur, et actuelle présidente de la FNASEPH.
 Dont je fais partie.
 « Professionnalisation » est un terme ambigu dans l’usage officiel : il traduit ainsi le plus souvent non la création d’une profession (comme on pourrait le supposer) mais l’amélioration de l’insertion professionnelle au terme du passage dans la fonction d’AVS, qui reste ainsi, dans ce cadre, une fonction précaire et non professionnelle. « Nous travaillons à la professionnalisation des AVS » signifie ainsi : pas question de créer un métier, mais d’améliorer la sortie du dispositif.
 C’est dans ce cadre que Marie Anne Montchamp a parlé, tel un patron, du « stock » de personnel que constituaient les AVS en poste. Sur ce procédé langagier de réification (absolument) pas anodin, confère supra, 2.1.3 La conception de l’organisation sociale promue par l’inclusion.
 Cette convention concernait potentiellement environ 1500 AVS-AED (et pas les EVS en poste d’AVS-i), recrutés en 2003 et étant arrivé au terme de leur contrat. Ces AVS-i pouvaient être recrutés par des associations avec un financement de leur poste par l’EN. Pour diverses raisons, seulement 70 reprises ont été actées. Les signataires de cette convention étaient : FNASEPH, UNAPEI, Autisme France, Fédération générale des pupilles de l’enseignement public (FG-PEP).
 Comité national consultatif des personnes handicapées, créé avec la loi de 1975. En l’occurrence, les organisations syndicales concernées sont des fédérations : l’UNSA et la FSU.
 Direction générale des affaires sociales, devenues direction générale de la cohésion sociale.
 Direction générale de l’enseignement scolaire.
 C'est-à-dire intervenant potentiellement non seulement à l’école mais également dans les structures de la petite enfance, sur les temps périscolaires et dans les centres de loisirs.
 Associations qui occupent toutes, à divers degré, des positions marginales dans le champ associatif du handicap.
 Ce métier, intervenant dans le secteur du service à la personne et de l’aide à domicile, répond d’un diplôme d’état (le DEAVS) qui sanctionne une formation de neuf mois, de niveau V (CAP-BEP). En juin 2006, la CFDT avait déjà proposé la fusion de la fonction d’AVS-i au sein de la profession d’AVSociale, après avoir réuni à son siège à Paris des représentants des deux fonctions.
 Les SAAD sont depuis quelques années, et de plus en plus, en grandes difficultés financières. L’arrivée des AVS en leur sein permettrait de rétablir un équilibre budgétaire.
 Soient : UNA, CSF, ADMR et ADESA.
 Les SAAD relèvent du secteur non-marchand. Leur activité dépend de l’agrément des conseils généraux. Les services à la personne (SAP) relèvent du secteur marchand et dépendent de la délivrance d’un « agrément qualité » (loi Borloo de 2005) délivré par la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) – c'est-à-dire par le préfet. SAAD et SAP forment ensemble le secteur dit d’aide à la personne.
 Tiré de Bailleul Marc, Bataille Pascal, Lanoë Céline, Mazereau Philippe (2010) Ecole et handicap. Paris : Sudel, page 32. Construit à partir d’une recension du terme AVS entre 2002 et 2007 « dans les quotidiens français suivants : Le Monde, Les Echos, Libération, Le Figaro, L’Humanité, La Croix, L’Equipe, Ouest-France. »
 D’AVS-i, le plus souvent, mais également, dans certains départements (notamment dans les Hauts-de-Seine), d’AVS-co.
 Cette formulation est une caricature, délibérément provocatrice.
 Il manque à cette partie la référence à des travaux sociologiques sur la population qui occupe des postes réservés à des contrats aidés par l’état. Nous disons « a priori » afin de marquer ici le fait que ce versant manque à l’analyse.
 Pour nous c’est bien ce dernier point qui pose problème, et non pas le fait que des personnes éligibles à des contrats aidés aient la possibilité d’occuper le poste.
 La liminalité est une notion développée à l’origine par Arnold Van Gennep, et reprise ensuite par l’anthropologue Robert Murphy, à la suite d’un accident qui l’a immobilisé dans un fauteuil roulant. Plus récemment, Alain Blanc a particulièrement développé l’analyse autour de ce concept.
 A ce propos, Sally Tomlinson écrit : « The common-sense assumption that only the lower classes produce dull children was assisted by the ability of upper and middle classes to provide privately for their dull and defective children. » (Tomlinson, 1982). En réalité, cette surreprésentation sociale concerne essentiellement, on le devine, les territoires du handicap qui ne relève pas de déficience avérée mais qui sont caractérisés par une grande variabilité des processus de dénomination.
 Notre analyse ne présume pas d’une intentionnalité.
 Consultable sur le site du Sénat :  HYPERLINK "http://www.senat.fr/questions/base/2009/qSEQ09120738S.html" http://www.senat.fr/questions/base/2009 ... 0738S.html

 Sur la question de l’autonomie, voir chapitre 4.
 Le mort saisit le vif, ARRS n°32/33.
 Comme l’écrit Jean-Jacques Rosat en 2009 : « Si vous affirmez que telle théorie en physique ou en biologie doit la reconnaissance dont elle jouit non à sa vérité mais à divers facteurs sociaux et historiques que vous vous faites fort d’exhiber, vous assurez la supériorité de votre discours sur les sciences en question sans avoir besoin de rien en apprendre sérieusement ». Ici, nous ne nous attachons pas à établir les caractères de validité, de progression ou d’évolution des connaissances (et des catégorisations qui en découlent) à propos de l’enfance handicapée – pour désamorcer le risque pointé ci avant, il nous importait de le préciser. 
 Que nous ne restreignons ni au spécial ni au scolaire ni à l’éducation populaire, mais bien plutôt tout ces champs à la fois.
 Nous tenons pour essentiel le fait de préciser que la place de l’AVS-i dans la classe n’est que potentiellement subversive, et seulement potentiellement porteuse d’une remise en cause de l’ordre pédagogique.
 Dans certains départements, ce poste de coordinateur a également récupéré l’encadrement des EVS en poste d’AVS.
 Commission de circonscription du pré-élémentaire, antichambre de la commission départementale d’éducation spéciale (CDES), créées toutes deux par la loi de 1975 dite en faveur des personnes handicapées, et supprimées par la loi de 2005.
 De ce point de vue, le poste d’AVS-i s’inscrit dans une histoire des postes non enseignants à l’école – histoire qui, sauf erreur de ma part, reste à faire.
 Lire Nathalie Bellanger, 2002.
 Il manque à ce travail un recueil de la parole des élèves : revendiquer les conditions de possibilités qu’ils soient, au niveau des dispositifs légaux et des politiques qui les inspirent, considérer comme des sujets, et non réifiés comme ils le sont trop souvent, nous oblige à le mentionner.
 Cette notion d’intérêt (et de « besoin », qui en est afférente) est abordée dans le chapitre 4.
 Et même des individus au sein d’une de ces catégories : il y aune grande variabilité interindividuelle au-delà du partage d’une « étiquette » - et si nous le rappelons ici, c’est que nous estimons que ces catégorisations sont souvent reçus sur un mode essentialisant, essentialisant ainsi les individus qui en relèvent (et pas seulement par le sens commun).
 Confère introduction, (3.3) et les tableaux présentant les parcours d’accompagnement.
 Ainsi qu’aux processus d’incorporation de l’ordre social – et scolaire. Dans l’extrait proposé, G. est un petit garçon dont Pascal dit qu’il a des « troubles autistiques ».
 Qui est également l’AVS-i qui entretient le rapport le plus distancié avec le territoire sur lequel elle travaille. Confère introduction, 3.3.
 Il n’est pas question ici de juger de leur validité ou de leur invalidité.
 L’ouvrage « Le temps des servitudes » (2005, Rennes, Presses Universitaires de Rennes), d’Anne-Laure Bazin et Serge Bersold, pourrait constituer une partie importante de cette nécessaire formation.
 Elle y consacre même une partie du chapitre 5, ainsi titré : « Position of parents, pupils and teachers in special education ». Dans la présentation de ce chapitre, elle écrit ceci, qui à plusieurs égards nous semble toujours valide : « Despite the rethoric of parental involvement, parents are often associated with incompetency and are inadequatly involved. » 
 ESN : educational subnormal. On distingue, dans le Royaume-Uni du début des années 1980 : «ESN, ESN-M, (mild), ESN-S (severe) » tryptique qui rappelle étrangement celui de « imbécile, idiot, crétin » ou « débile léger, moyen, profond ».
 Rapporté à la situation française et à l’organisation de son système éducatif, ce dernier point mérite d’être nuancé : qu’on pense aux agents territoriaux spécialisés pour l’école maternelle (ATSEM), ou aux « dames de la cantine », qui constituent des groupes (ou un groupe) parmi les plus dominés de tous les groupes prenant part au système éducatif français – et qui sont aussi un point aveugle des recherches en éducation.
 Ce qui signifie que cette attente n’est pas systématique, et probablement socialement différenciée.
 Nous pourrions dire (dans l’optique d’éviter une réception malheureuse de l’évocation de « l’éducation familiale » - qui n’est peut-être pas le meilleur terme à utiliser –) que le poste d’AVS-i est potentiellement un poste d’éducateur qui peut induire de la part de son occupant que ce dernier ne considère pas la rupture et le surplomb avec les parents comme un fondement de sa position (nous insistons sur le « potentiellement », et relativement à ce que déclare Julie, qui livre des éléments contradictoires à ce sujet puisqu’elle affirme se sentir proche de la position des parents mais, en même temps, considérer cette proximité comme une dévaluation de sa légitimité à s’exprimer). Autrement et plus simplement dit : les AVS-i travaillent autant avec les enfants qu’avec les élèves – là où les enseignants ne travaillent a priori qu’avec des élèves.
 « Importante » au regard de son histoire, bien entendu.
 Elle avait été agressée à de multiples reprises par la maman de la petite fille qu’elle accompagnait. Cette dernière avait fini par être placée en famille d’accueil. Noémie a été très marquée par cette expérience – à son évocation, l’émotion resurgit rapidement, et est encore palpable. Noémie est également la seule des trois anciens recrutés à ne pas être une initiée préalable à son entrée en poste.
 Concernant ce sujet, voir supra, 2.2.1.2 Les professions enseignantes et l’inclusion.
 Confère infra, 3.3.2.3 Du côté de l’école, les enseignants.
 Dans 13 accompagnements sur 15, Cécile a travaillé entre la maternelle et le CP. Elle a accompagné seulement un enfant en CE1 et un autre en CE2. Confère introduction, 3.3.
 Alors que certains AVS-i peuvent n’avoir travaillé que dans le secondaire, et ont ainsi moins de chances de percevoir l’exception que constitue leur parcours d’accompagnement.
 Il est très important de remarquer l’élément suivant, qui concerne les anciens recrutés, et que rappelle Pascal : « je ne suis pas sûr qu’il y a eu un enseignant avec qui j’ai bossé qui avait eu un AVS-i dans sa classe… » (Page 34). A contrario, les néo-recrutés ont beaucoup plus de chances (et de plus en plus) de travailler avec un enseignant qui a déjà eu un AVS-i dans sa classe – et de fait, ces mêmes néos recrutés ont plus de chance de voir leur positionnement influencé par les enseignants qui souhaiteront soit reproduire soit être en rupture avec des expériences précédentes. Lalie : «  mais [cet enseignant] a l’habitude de travailler avec des AVS-i parce que l’année d’avant il en avait déjà eu un (...) » (Page 43)

 Et qui concernent d’ailleurs également le système d’enseignement de l’enseignant, la dynamique du groupe classe, celle de l’école, etc.
 Il est possible à ce propos de formuler l’hypothèse selon laquelle un accompagnement délivré par un AVS-i peut contribuer à ce que les enseignants, plus ou moins consciemment, désinvestissent (à des degrés divers) le travail individuel avec l’élève accompagné y compris (et surtout) dans les temps où l’AVS-i n’est pas présent.
 Recherche qui prenne en compte les apports du présent travail, notamment en matière de mise en exergue des périodes de recrutement différencié des agents en poste d’AVS-i.
 Nous entendons par là la partie du système d’enseignement qui concerne la façon pour l’enseignant de se positionner face aux dynamiques du groupe classe
 Ceci même si un processus de formalisation et de mise en procédures de la pratique inhérente au poste soit en possibilité d’annuler ou de rendre impossible une partie des caractéristiques de la pratique de Pascal.
 Nous entendons ici, en utilisant l’expression polysémique d’ « éducation populaire », les actions d'éducation, inscrites dans le temps extra scolaire et plus précisément dans l’ensemble des structures collectives type centre de loisirs, centre aéré, centre socio-culturel, etc.
 Il est frappant de constater que les intellectuels ayant travaillé sur le sujet (qui se traduit socialement par des pratiques professionnelles très marquées en terme de genre, vers le féminin) sont des intellectuelles. A l’opposé, les économistes, « séparés par toute leur existence et surtout, par toute leur formation intellectuelle le plus souvent purement abstraite, livresque et théoriciste, du monde économique et social tel qu’il est, [et ainsi] particulièrement enclins à confondre les choses de la logique avec la logique des choses », sont très majoritairement des hommes qui traiteraient ces sujets, très probablement, avec un dédain affichée (ou ne les aborderaient pas du tout). (Bourdieu, 1998)
 Ceci même si la psychologie n’est pas la discipline à laquelle est adossée la pratique des AVS-i : Lise Demailly évoque ici la notion de psychologisation en entendant tout ce que le sens commun a pu récupérer de la diffusion des théories psychologique dans la société – certaines notions initialement strictement théoriques sont devenues des mots à usages courants, et témoignent ainsi de cette diffusion (qui consacre également des phénomènes de traduction et de dévoiement du sens initial des notions.)
 Une analyse spécifique utilisant les notions de mandat et de demande est développée infra, 4.3.
 Ca n’est pas le cas pour les néos recrutés, ainsi que le présent travail s’est attaché à démontrer.
 Message et fil de discussion consultable à cette adresse :  HYPERLINK "http://dcalin.fr/phpBB/viewtopic.php?p=3161#p3161" http://dcalin.fr/phpBB/viewtopic.php?p=3161#p3161

 L’ouvrage de Maëla Paul procède d’une analyse beaucoup plus fouillée et profonde de cette notion, il nous apparaît nécessaire de le signaler ici.
 Ce qui questionne la notion de « besoins » et fait émerger l’interrogation suivante : qui l’AVS-i accompagne t-il ?  Sur ce point confère infra, 4.4.
 Sur ce point, confère supra, 3.3.2.3.
 Certains d’entre eux étaient peut-être déjà AIS avant de devenir AVS.
 Quand elles existent étant donné, nous l’avons ici démontré, qu’elles ne sont que potentiellement activées, et le sont par des conditions sociales d’occupation du poste qui restent à explorer plus avant, mais qui comportent des éléments nécessaires quoique non suffisants comme la durée d’occupation.
 Une question importante est soulevée en matière de périmètre de la professionnalité potentiellement inscrite dans le poste d’AVS-i par le fait que les élèves handicapés ne sont pas les seuls élèves à connaître l’irruption de l’impair – c’est probablement là une des propriétés des élèves qui sont potentiellement concernés par la notion de « besoins éducatifs particuliers ». Face à un impair qui concerne un autre élève que celui qu’il accompagne, que fait l’AVS-i ?
 Le tableau reproduit ci-dessous est extrait de : Lise Demailly (2009) Fortune et ambiguïté de l’accompagnement.
 C’est nous qui rajoutons la colonne ‘mandat et demande’.
 Au travers de l’analyse que nous allons ici développer, nous allons vraisemblablement nous éloigner du sens donné à la notion de « mandat » par Hugues (1992), que cite Lise Demailly et sur lequel elle s’appuie.
 Confère les circulaires suivantes :  HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page107.htm" \l "intervention" 2003-092.du 11 juin 2003 et  HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page133.htm" \l "intervention" 2003-093.du 11 juin 2003 (dont est extrait les quatre points ici cités), ainsi que le (très bon) site suivant :  HYPERLINK "http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page798.htm" http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page798.htm.
 Nous avons pu constater au point 1.4.4 à quel point le PPS était souvent, et au moment de l’enquête, une fiction.
 Pour l’enseignant et/ou l’AVS-i, il peut même devenir un « mauvais objet ».
 Sur ce point, confère 4.4.1.
 Ce que précisément le député Guy Geoffroy désignait (sans se rendre compte de toutes les implications) dans son rapport en 2006 quand il disait que recruter des personnes au chômage de longue durée pour travailler sur le poste d’AVS-i était une « idée juste et généreuse » : juste et généreux car, potentiellement, l’occupation du poste peut contribuer à re-narcissiciser des personnes dont la confiance en eux a été malmenée par la violence du marché de l’emploi, entièrement soumis qu’il est, et de manière grandissante, à l’idéologie néolibérale. L’effet peut également être tout à fait inverse.
 Il est un élément important à souligner à ce propos : si la ségrégation doit, par principe, tentée d’être évitée, il n’en reste pas moins que certains de ses avatars (ou pouvant être considérés comme ses avatars), aux vues des effets de l’histoire sédimentée du traitement social du handicap, peuvent fournir aux élèves handicapés des conditions plus sécurisantes et respectueuses de leurs rythmes qu’une inclusion systématique mal ou quasi impensée, qui peut avoir des effets proprement maltraitants. En particulier, la socialisation par les pairs constitue une possibilité de cadre éducatif qui ne doit pas être rendue impossible par un refus obstiné et aveugle de toute forme de ségrégation – étant bien entendu que c’est, de notre point de vue, la systématicité des réponses et des orientations séparées qui fonde la ségrégation. Conserver un large panel de possibilités de cadre éducatifs (y compris, donc, le regroupement entre pairs) répondant potentiellement aux besoins et à la demande des élèves (qui doit être particulièrement travaillée) ne procède en rien de notre point de vue de phénomènes ségrégatifs. Lire à cette aune l’évolution imposée aux CLIS et UPI ouvre bien des pistes d’analyse.
 Nous pourrions dire, en reprenant les analyses de Francine Muel-Dreyfus, que c’est ici le poste qui s’impose à l’individu, et que dans l’exemple suivant, c’est l’individu qui s’impose face au poste.
 Nous pouvons constater, en introduction (3.3, tableaux des parcours d’accompagnement), que la durée moyenne d’accompagnement de notre échantillon d’AVS-i est de 1,3 an, que l’écrasante majorité des accompagnements ne dure qu’une année scolaire, et qu’un nombre non négligeable d’accompagnements (4 sur 49, soit 8%) ne durent que quelques mois, ce qui questionne fortement la nature et la qualité du lien relationnel mis en place.
 D’un double point de vue (éthique et psychanalytique), le fait que la non réciprocité de la relation ne soit pas un problème (voire même qu’elle soit, dans la perspective qui fonde l’économie générale du mandat, un élément positif) ouvre bien des perspectives d’analyses – notamment pour fournir des modèles explicatifs aux situations de conflits « durs », d’échec et de situations à caractère maltraitant (tout aussi bien pour les enfants que pour les personnels).
 Auquel il convient de ne pas réduire l’ensemble de l’analyse, mais dont on ne saurait faire non plus l’économie.
  HYPERLINK "http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-58837QE.htm" http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-58837QE.htm
 Dialogique au lieu de « dialectique » dans le sens Hégélien, puisque la dialectique Hégélienne implique la disparition des deux termes au profit d’un dépassement, ce qui n’est pas l’objet de notre raisonnement ici.
 A sa décharge, elle n’est pas faite pour être opérante à toute forme de dépendance, mais seulement pour les formes relatives à l’objet de son livre, les personnes déficientes.
 Avec des effets puissants consécutifs à cette catégorisation, tout à la fois en termes de destin social qu’en termes de réponses interindividuelles données dans les conditions d’émergence possible d’une forme de socialisation par ceux, nombreux, qui, ayant trop lu Alain Blanc – ou trop imprégnés de ce sens commun qu’il décrit comme une règle absolue et indépassable –, n’essaieront rien et préfèreront ne pas échanger avec cette fille « spéciale ».
 Selon le titre d’un ouvrage d’Eric Plaisance (2009) Autrement capables. École, emploi, société : pour l'inclusion des personnes handicapées. Paris : Autrement.

 La violence symbolique résulte d’un « pouvoir qui parvient à imposer des signification et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force ». Bourdieu  Pierre, Esquisse d'une théorie de la pratique, Paris, Droz, 1972, p.18. Pour consulter des éléments plus accessibles sur la notion de violence symbolique, voir également :  HYPERLINK "http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/v/violencesymbolique.html" http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/lexique/v/violencesymbolique.html, ou encore :  HYPERLINK "http://www.dailymotion.com/video/x884r_la-violence-symbolique_news" http://www.dailymotion.com/video/x884r_la-violence-symbolique_news. « C'est une "violence": elle se traduit donc par une imposition, un pouvoir sur des destinataires. C'est une violence "symbolique": ce qui est imposé ce sont des significations, des rapports de sens. C'est une violence symbolique "arbitraire" (…) C'est une violence symbolique culturelle "légitime" dans la mesure où elle apparaît, par une opération de méconnaissance instituée, comme "destinée" à certains à l'exclusion d'autres et comme ayant une valeur reconnue par tous. » (Pris ici :  HYPERLINK "http://www.barbier-rd.nom.fr/violencesymbolique.html" http://www.barbier-rd.nom.fr/violencesymbolique.html )
 Ce qui renvoie à nouveau à la question des besoins et de la « demande ».
 Nous souhaitons préciser qu’il s’agit de domination sociale objective, à son corps défendant parfois, et non consciemment exercée.
 Sur ce dernier point, confère les travaux de Michel Charlot et Monique Pinçon Charlot.
 Décret d’application à la loi n°2005-102 du 11 février 2005 et qu’il a donc fallu attendre quatre ans pour voir émerger.
 De ce point de vue, l’inclusion ne doit être abordée par une pensée relationnelle tissée entre les trois entrées présentées en 2.2.2.
 « L’infirmité, ou déficience, ou non-conformité à la bonne et habituelle forme, constitue un lieu où se nouent des peurs, des fantasmes, des images qui se relient à une représentation de l’espèce, des dieux, de la génération, de la sexualité, et forme bien un noyau symbolique ». (Stiker, 2001) De plus, il nous semble extrêmement intéressant de s’intéresser à produire une sociologie de la doxa des classes dominantes à propos du handicap et des ses manifestations – ce qui pourrait contribuer à éclairer le traitement politique et social qu’elles construisent.
 Aucun autre acteur du processus de scolarisation, à l’exception des parents, ne passe autant de temps avec les enfants : les interventions des professionnels socio-éducatifs ou médico-sociaux se limitent le plus souvent à quelques heures par semaine.









Université de Nantes – UFR Lettres & Langage – Département de Sciences de l’Education – Master 2 recherche en sciences de l’éducation et de la formation – Guillaume Bourget – Juillet 2010

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