Td corrigé Chapitre 1 : Branly : une vie - Free pdf

Chapitre 1 : Branly : une vie - Free

Cette activité comporte onze exercices traitant respectivement les effets quantiques .... Il dépose la correction dans un espace de travail accessible aux apprenant(e)s. ..... de la mécanique en introduisant les opérateurs linéaires et hermitiens.




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curiosité intellectuelle pour tout ce qui ne se rattachait pas à la vie qu’il avait choisie ». De même il raconte qu’Edouard a hérité de son père du « tempérament sanguin sans la jovialité, de l’esprit autoritaire, de la prédisposition à la colère subite, à l’entêtement, voire à l’obstination. » La rigueur et le sens du travail qui règnent dans cette famille, ajoutés aux prédispositions probables du jeune Edouard pour les études, en font un élève brillant. Il décroche pratiquement tous les premiers prix durant sa scolarité. Sa seule faiblesse, toute relative, est au grand dam de son père, le thème grec où il n’arrive qu’en deuxième ou troisième place ! Une anecdote illustre bien l’austérité familiale : Edouard Branly réussit son baccalauréat en totalisant un nombre de points jamais égalé, le jury décide alors de rembourser les droits d’examen et le recteur lui remet un louis d’or. Edouard revient à la maison, montre fièrement la pièce à son père, qui décide de la lui conserver. Branly se souviendra plus tard : « J’avais parié que papa serait heureux et le montrerait et que maman le serait aussi mais le cacherait pour me prémunir contre l’orgueil. J’ai gagné mon pari car il y a dans la réponse de maman une page entière consacrée à ce péché ».

Nous sommes en 1860. À l'issue de la classe de rhétorique (1859-1860), notre futur physicien, qui n'a alors que seize ans, obtient son bac ès lettres. Edouard Branly, qui souhaite s'orienter vers les sciences, décide de préparer son bac ès sciences. Il le passe devant la faculté des sciences de Paris et l'obtient en 1861. Puis il suit son année scolaire 1861-1862 au lycée de Saint Quentin, mais à la rentrée d’octobre 1862, son père Edouard Joseph l’envoie à Paris, au lycée Napoléon (l’actuel lycée Henri IV) suivre le cours de mathématiques spéciales. Le professeur de physique de ce lycée renommé n’est autre qu’Edouard Desains, originaire de Saint Quentin et ami d’Edouard Joseph Branly. L’atmosphère élitiste de ce grand lycée parisien n’est pas sans déplaire au jeune Edouard : « Il n’y a pas d’élève véritablement faible dans ma classe, écrit-il a un ami, le travail est différent de celui auquel nous étions habitués, mais la liberté dont nous jouissons pour établir certains de nos devoirs ne me déplaît pas, au contraire. Je viens d’être classé premier en discours français. » Son professeur le félicite et l’incite même à abandonner les mathématiques, ce qui, à n’en point douter, aurait également fait plaisir à son père latiniste. Edouard Branly obtient de bons résultats en mathématiques, physique et chimie, sans pour autant décrocher les premiers prix dans ces matières. En 1864, après deux années de préparation (1862-1863 et 1863-1864) il se présente au concours d’entrée de l’Ecole Polytechnique : il est admissible, mais ne passera pas la barre de l’oral. Cet échec à l’oral confirme le jugement porté sur l’un de ses bulletins du lycée Henri IV : « Manque un peu d’activité et de fermeté pour les exercices au tableau. » L’année 1865 se termine mieux, Edouard obtient le 2e prix d’excellence au lycée et surtout est reçu septième au concours d’admission de l’Ecole Normale Supérieure (section sciences) avec une excellente note en physique (18/20) et une note qui le déçoit en géométrie descriptive (15/20). Il écrit lui-même : « J’espérais une meilleure note en géométrie descriptive. Il me semblait avoir traité la question sans que l’on pût reprendre la plus légère erreur. » Son professeur de physique, Edouard Desains ne doutait pas de ce succès, il écrit à son ami Edouard Joseph Branly : « Je vous remercie de la bonne nouvelle que vous m’avez donnée de l’admission d’Edouard à l’Ecole Normale, elle m’a fait un grand plaisir. Je m’y attendais, j’y comptais ; cependant je désirais toujours en avoir la certitude officielle. » La performance de Branly est excellente, car l'année 1865 enregistre un nombre record de candidats (236), alors qu'il n'y a que 14 places mises en concours.

Les années d’études à l’Ecole Normale Supérieure

L’arrêté de nomination d’Edouard Branly à l’Ecole Normale date du 30 octobre 1865 et est signé du ministre de l’Instruction publique Victor Duruy. Depuis 1857, les études scientifiques de l’Ecole Normale sont sous l’autorité de Louis Pasteur. L’Ecole est dirigée par Désiré Nisard aidé par deux directeurs des études, l’un pour les sciences (Pasteur), l’autre pour les lettres (Jacquinet). Pasteur a également en charge l’administration, il est à ce titre chargé de la surveillance, de la discipline générale et de la gestion économique. L’Ecole est administrée par Pasteur d’une main de fer. Il faut dire que lorsque ce dernier est arrivé, l’Ecole traversait des temps difficiles, malgré son récent emménagement (1847) rue d’Ulm : « l’Ecole n’est plus que l’ombre d’elle-même », disait-il. Le seul laboratoire de la rue d’Ulm est celui du chimiste Henri Sainte-Claire Deville. Pasteur dû, quant à lui, se contenter pour établir son « laboratoire » de deux pièces situées dans un grenier. Dans une lettre à son ami Chappuis, Pasteur écrit : « Je poursuivrais en ce moment les conséquences de ces faits si une température de 36° ne m’éloignait de mon laboratoire ou mieux de mon réduit. Je vois avec regret les plus longs jours de l’année perdus pour mon travail. Néanmoins je m’habitue à mon grenier et j’aurais peine à le quitter. J’espère l’agrandir aux vacances prochaines. Tu luttes comme moi contre les difficultés matérielles de ton travail. Il faut y prendre, mon cher, un nouvel aiguillon et non le découragement. Nos découvertes n’en auront que plus de mérite. » Branly, quelques années plus tard, connaîtra exactement les mêmes difficultés et ses découvertes, comme celles de Pasteur n’en auront, en effet, que plus de mérite.

Edouard Branly passe trois ans à l’Ecole Normale, de 1865 à 1868. Edouard Herriot, auteur d’un ouvrage sur l’Ecole, nous la dépeint ainsi : « Avions-nous tort de croire que cette époque de 1856 à 1870 est, dans l’histoire de l’Ecole Normale Supérieure l’une des plus riches, et même, selon toute vraisemblance, la plus féconde ? L’esprit de Pasteur l’anime et la domine. Si grand par ses propres découvertes, il nous apparaît être plus utile encore par le mouvement qu’il a déterminé, en excitant des générations qui, même si elles se consacrent aux lettres, semblent pénétrées par le rayonnement de ses méthodes. Il y a des heures où le petit laboratoire de la rue d’Ulm devient sans qu’il s’en doute - ce n’est pas le moindre de sa beauté - comme le centre spirituel du monde. » Herriot évoque d’ailleurs notre physicien : « … Branly, modeste normalien de 1865, ne sera discerné que beaucoup plus tard. » Branly est très assidu et très bon élève, le grand mathématicien Charles Hermite indique : « M. Branly a témoigné plus particulièrement du zèle et de la bonne volonté à suivre mes cours. J’ai les meilleures espérances. » Lors de son passage à l’Ecole normale, Branly se fait des amis pour la vie, ceux qui compteront le plus sont Prosper Pein, Jules Violle et le futur physicien Emile Amagat (voir encadré).

Branly est encore à l’Ecole lorsque survient un incident qui va la bouleverser. L’histoire commence de façon bien inoffensive. Sainte-Beuve, qui a été Maître de conférence en littérature française à l’Ecole Normale de 1857 à 1861, est sénateur depuis 1865. Il est chargé à ce titre de s’occuper d’une plainte adressée par des notables de Saint Etienne, protestant contre l’introduction dans les bibliothèques de la ville d’ouvrages de Voltaire, Jean Jacques Rousseau, Jules Michelet, Eugène Sue, Honoré de Balzac, Georges Sand et d’autres. Le rapporteur du Sénat avait approuvé la pétition des stéphanois, mais Sainte-Beuve la repoussa dans un discours virulent fait au Sénat le 21 juin 1867. Ce discours souleva un véritable tumulte, d’abord au Sénat, puis rapidement dans le pays par presse interposée. Les élèves de l’Ecole Normale félicitèrent Sainte-Beuve de sa décision par le courrier suivant, signé de l’un d’entre eux, Lallier, exprimant le sentiment de « soixante dix-neuf de ses camarades » : « Nous vous avons déjà remercié d’avoir défendu la liberté de pensée méconnue et attaquée ; aujourd’hui que vous venez de plaider encore pour elle, nous vous prions de recevoir de nouveau nos remerciements. Nous serions heureux si l’expression de notre sympathie reconnaissante pouvait vous consoler un peu cette injustice. Il faut du courage pour parler au Sénat en faveur de l’indépendance et des droits de pensée. Mais la tâche, en devenant plus difficile, devient aussi plus glorieuse. De tous côtés en ce moment, on envoie des adresses : vous pardonnerez aux élèves de l’Ecole Normale d’avoir suivi l’exemple général et d’avoir fait, eux aussi, leur adresse à M. Sainte-Beuve. »

L’affaire aurait pu en rester là, mais Etienne Arago, le plus jeune frère de François Arago, publie la lettre dans le journal « L’avenir national » du 2 juillet, sans songer aux règlements universitaires qui interdisent aux élèves toute manifestation politique. Le directeur du personnel du ministère de l’instruction publique prescrit aussitôt une enquête. Dès le 3 juillet, Pasteur écrit à la mère du signataire de la lettre que son fils est exclu provisoirement de l’Ecole. Les élèves protestent, mais Pasteur demeure inflexible. De son coté le ministère désapprouve le renvoi provisoire de l’élève. Pasteur indique au directeur du personnel « que si une répression énergique n’a pas lieu, il offrirait à M. le Ministre sa démission ». Pasteur écrit également une longue lettre d’explication à Sainte-Beuve dans laquelle il indique : « … Lorsque les élèves ont réclamé la réintégration de Lallier, je n’ai cessé de leur tenir le langage suivant : Non seulement Lallier doit être hors de l’Ecole, mais il est de toute nécessité que les deux élèves qui ont été les auteurs de la publicité donnée à la lettre viennent se déclarer et quittent l’Ecole jusqu’à la décision du ministre. Si vous agissez ainsi, je me constitue sur le champ auprès de Son Excellence l’avocat de la clémence pour tous les signataires et pour les trois élèves exclus provisoirement. Dans le cas contraire, je demanderai une répression énergique, et si elle n’est pas ce que je croirai juste et suffisant dans l’intérêt de l’Ecole, je donnerai ma démission sans hésiter… » Finalement, le 9 juillet, l’Ecole est licenciée et les normaliens sont incités à adresser individuellement au Ministre leur regret, seul l’un d’entre eux ne l’a pas fait et a été considéré comme démissionnaire. Lallier n’a pas été gracié, mais ayant terminé sa scolarité, il a été nommé professeur au lycée de Sens. L’Ecole sera reconstituée à la rentrée suivante et les cours reprendront normalement le 15 octobre. Les trois dirigeants de l’Ecole : Nissard, Pasteur et Jacquinet cessent alors leur fonction : Nisard est remplacé par Francisque Bouiller à la tête de l’Ecole, Pasteur cède sa place de directeur des études scientifiques à son ami Bertin et le poste de directeur des études littéraires est supprimé. Nisard est nommé sénateur inamovible, Pasteur reste à l’Ecole Normale où l’on créé pour lui un laboratoire de chimie physiologique où il pourra se consacrer entièrement à ses recherches. Quant à Jacquinet, il est nommé inspecteur général de l’enseignement secondaire. Comme l’a dit le normalien Roger Fayolle dans la Revue d’Histoire littéraire, « curieuse affaire en vérité, dans laquelle l’administration de l’Ecole s’empresse de sévir par peur du ministère et le ministère de regretter une telle sévérité par peur de l’opinion. »

Branly obtient, au bout des deux premières années, la licence ès sciences mathématiques et la licence ès sciences physiques, comme cela est exigé par l'Ecole. La troisième année est consacrée à la préparation du concours d'agrégation. À l'issue du concours de 1868, six candidats sont déclarés « aptes à l'agrégation des sciences physiques et naturelles ». Branly est reçu troisième, deux élèves seulement de la promotion 1865 réussissent les examens de l'agrégation de 1868, Branly en sciences physiques et Noguès en sciences mathématiques.

Branly dit lui-même : « Sur la douzaine d'élèves de sciences de la promotion qui quittait l'Ecole normale en 1868, après trois années d'études réglementaires, deux seulement s'étaient spécialement consacrés aux sciences physiques pendant leur troisième année d'études […] c'étaient celui qui avait été classé le premier à l'entrée de l'Ecole en 1865 et moi. Des deux je fus le seul reçu au concours de l'agrégation des sciences physiques et naturelles. »


L'École Normale Supérieure

L'École Normale Supérieure est fondée presque en même temps que l’École Polytechnique, par un décret de la Convention en date du 9 Brumaire An III (30 octobre 1794). Ce décret fait suite à un rapport de Lakanal suggérant de créer une École destinée à « régénérer l'esprit humain dans une république de 25 millions d'hommes que la démocratie rend tous égaux ». Le but est de former des maîtres qui enseigneront au peuple français tout l'ensemble des connaissances humaines. Il s'agit de transposer dans la pratique l'Encyclopédie du XVIIIe siècle et de faire de l'École Normale « l'Encyclopédie vivante ». Trois mois plus tard, l'École est opérationnelle et les premiers cours ont lieu le 20 janvier 1795 dans l’amphithéâtre Verniquet, au Jardin des Plantes. Laplace fait la première leçon (Monge qui hait Laplace a fait appel à Lagrange pour les cours de Polytechnique !). René-Just Haüy présente les méthodes de la physique, tandis que Monge enseigne la géométrie descriptive. Parmi les premiers élèves figure Joseph Fourier qui enseignera à Polytechnique dès l'année suivante. Legendre figure au nombre des premiers professeurs de l'École Normale, avec Lagrange et Berthollet. Jean Baptiste Biot et François Arago y font des conférences très appréciées. L'École est supprimée dès la fin des premiers cours, qui ne dure d’ailleurs que quatre mois, en mai 1795. Elle est refondée par Napoléon, le 17 mars 1808, sur des bases plus strictes. C’est en 1847 qu’elle s’installe rue d’Ulm. Galois, Pasteur, Branly, Appel, Painlevé, Hadamard, Cartan, Borel, Cotton, Langevin, Perrin « feront » la « rue d'Ulm », ils seront suivis par Etienne Bloch, George Bruhat, Léon Brillouin, Francis Perrin, Pierre Auger et bien d'autres savants illustres.


Emile Hilaire Amagat (1841-1915)

Emile Amagat naît à Saint-Satur (près de Sancerre) dans le Cher en 1841. Après ses études à l’Ecole Normale, il se consacre à l’étude de la compressibilité des gaz, objet de sa thèse. Nommé professeur à l’université de Lyon, il poursuit ses recherches et s’intéresse particulièrement au domaine des pressions élevées. Grâce à la construction d’une presse hydraulique de son invention, il étend les mesures de compressibilité des gaz et des liquides jusqu’à des pressions de 3000 atmosphères. Il donne son nom au diagramme dans lequel on porte le produit PV en fonction de P (P = Pression ; V = Volume), ce qui permet de visualiser les écarts à la loi des gaz parfaits. Les mesures d’Amagat permettront de valider l’équation d’état des fluides du hollandais Van der Waals tenant compte des forces moléculaires et du volume fini des molécules et permettant de déterminer les propriétés de l’équilibre liquide vapeur. Amagat s’éteint chez lui à Saint-Satur en 1915.
Par un curieux hasard, Amagat remportera son élection à l’Académie des sciences, en 1902, contre Pierre Curie (qui fut élu en 1905), tandis que son camarade Branly la remportera face à Marie Curie en 1911 (elle décida alors de ne plus se présenter).


La Sorbonne

A sa sortie de l’Ecole Normale, au deuxième semestre de 1868, Branly est nommé au lycée impérial de Bourges. Il souhaite s’aménager un petit laboratoire de physique pour y faire ses recherches, mais le rectorat refuse : « M. Branly n’est pas fondé dans sa demande, il est nécessaire que la classe de physique soit mise successivement à la disposition de tous les professeurs. L’intérêt général du lycée est supérieur à des considérations personnelles ». Branly se rend compte qu’il n’est pas adapté pour l’enseignement dans un lycée, il écrit : « Je me sens devenir épais ». Heureusement, la Sorbonne manque d’enseignants en physique : deux chaires de physique ont été créées dans le cadre de l’Ecole des Hautes Etudes, l’une est tenue par Jules Jamin, l’autre par Paul Desains. Jules Jamin, ancien élève de l’Ecole Normale, professeur à Polytechnique et à la Sorbonne entre à l’Académie des sciences précisement en cette année 1868 (il en deviendra le président en 1882, puis le secrétaire perpétuel en 1884). Son nom reste attaché à un interféromètre permettant la mesure de faibles variations d’indice de réfraction. Paul Desains est le frère d’Edouard Desains, que nous avons rencontré plus haut comme professeur de physique au lycée Napoléon. Les Desains étaient, rappelons-le, originaires de Saint Quentin et amis du père de Branly. Grâce à l’intervention de Paul Desains, Edouard Branly est nommé chef du laboratoire de physique de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et s’installe à la Sorbonne le 26 décembre 1868. Son passage à Bourges aura été de courte durée ! Il s’installe au 49 rue Gay-Lussac dans un quartier qu’il commence à bien connaître. Dès l’année suivante, il co-signe avec Paul Desains sa première communication à l’Académie des sciences qui s’intitule « Recherche sur le rayonnement solaire ». Son activité à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes lui laissent du temps libre, il commente ainsi cette période : « Une fois l'installation et l'organisation terminée pour la reproduction périodique des expériences fondamentales à faire répéter par les élèves pendant le cours de l'année, je n'étais guère occupé chaque semaine que pendant quatre matinées. Le reste de mon temps était libre et mon premier souci était d'entreprendre un travail qui me conduisît à une thèse de doctorat ès sciences ». Malheureusement ce souci sera de courte durée car la guerre de 1870 est déclarée le 19 juillet.
Branly est affecté aux fortifications comme sous-lieutenant du génie. La défaite est rapide et le siège de Paris commence. Branly est alors nommé ingénieur observateur d’abord au Fort de Romainville, puis à la Porte Maillot. On connaît la suite, capitulation du siège de Paris le 28 janvier 1871 puis révolution de la Commune en mars. La guerre civile survient, elle montre, suivant les mots de Renan « une plaie sous la plaie, un abîme au-dessous de l’abîme ». La paix revenue, le laboratoire de Paul Desains peut rouvrir ses portes le 20 juin 1871. Branly décide alors de préparer sa thèse sur l’électricité statique. Les conditions matérielles ne sont pas celles que pouvait espérer notre jeune savant. « En dehors des appareils mis couramment à la disposition des amateurs ou des candidats à la licence ès sciences physique, dit Branly, le laboratoire n'offrait que peu de ressources. S'il était bien outillé pour les sujets spéciaux qui faisaient l'objet des investigations personnelles du Professeur Desains, depuis de longues années, et auxquelles je n'étais pas appelé à prendre part, les moyens de travail pour les branches de la physique étrangères aux rayonnements calorifiques [on dirait aujourd'hui infrarouges] et lumineux faisaient défaut ». On sent dans cette citation une pointe d'amertume, son maître Desains fait cavalier seul et ne se soucie guère des recherches de son thésard. Un autre témoignage de Branly nous renforce dans cette conviction : « […] Mon domaine était une petite pièce, mal éclairée, où j'avais le privilège de n'être troublé par personne, mais où toute installation était fort à l'étroit ». Branly précise un peu plus loin sa pensée : « je n’avais en aucune circonstance d’aide pour quoi que ce soit ». Néanmoins l’avancement de ses travaux est ponctué par des communications à l’Académie des sciences : « Mesure de la polarisation de l’élément voltaïque » (19 février 1872) puis « Mesure de l’intensité des courants au moyen de l’électromètre » (12 août 1872). Notons que durant cette période, Branly est également interrogateur au Lycée Saint-Louis (grand lycée parisien situé en face de la Sorbonne) et devient l’un des tout premier membre de la Société Française de Physique créée en 1873 (voir encadré), dont le premier président Fizeau.

Les origines de la Société Française de Physique

La Société Française de Physique (SFP) a été créée le 17 janvier 1873. Elle ne compte la première année que 70 membres, la plupart venant des milieux académiques parisiens. La société est administrée par un « Bureau » et un « Conseil ». Ses statuts sont rédigés par cinq personnalités : Alfred Cornu (professeur à l'Ecole Polytechnique, il est en particulier connu pour ses mesures précises de la vitesse de la lumière) ; Charles d'Almeida (qui peut être considéré comme le fondateur de la SFP) ; Jean-Baptiste Gernez (qui sera Maître de Conférence à l'ENS à partir de 1881) ; Antoine Lissajous (successivement professeur au Lycée Saint-Louis, Recteur de l'Académie de Chambéry, puis de Besançon, il est connu pour les courbes qui portent son nom) ; Eleuthère Mascart (il aura une forte implication dans l’exposition internationale d’électricité de 1881, il sera le premier directeur de la Société Internationale des Électriciens (1883), ainsi que du Laboratoire Central d’Électricité (1888) et sera à l'origine de l'Ecole Supérieure d'Electricité (1894)). Sous l'impulsion de ces pionniers, le nombre de membres de la SFP passera à 199 dès l'année suivante (1874) et en comptera plus de 1000 dès 1900. Dès ses débuts, la SFP organise une exposition annuelle et édite un bulletin. L'électricité est le sujet dominant des années 1880 et 1890. Au tournant du siècle, les travaux de physique mathématique sont également considérés, et Henri Poincaré devient en 1902 président de la Société ce qui est emblématique de cette percée.

En mars 1873, Branly soutient sa thèse intitulée « Etudes des phénomènes électrostatiques dans les piles ». Les membres du jury sont Paul Desains (Président), Jules Jamin et Henri Sainte-Claire Deville. Ce dernier est considéré par Louis Pasteur comme l’un de ses maîtres : il a en particulier développé lors de son passage à l’Ecole Normale un premier laboratoire de chimie. On peut comprendre la présence de Sainte-Claire Deville dans le jury de Branly. D’une part, Branly a fréquenté son laboratoire de chimie à l’Ecole Normale, d’autre part l’un des thèmes de recherches de Sainte-Claire Deville est lié aux propriétés optiques des composés chimiques. Or l’optique est chère à Desains et il est difficile d’évoquer les propriétés des piles sans faire appel à la chimie. Sainte-Claire Deville félicite d’ailleurs Branly pour son travail, en particulier pour un appareil (un électromètre) qu’il a inventé et fabriqué durant sa thèse.

Le rapport de thèse est rédigé ainsi : « À l'aide d'un électromètre nouveau, Branly a confirmé, d'une manière inattaquable, divers résultats qui pouvaient encore donner lieu à contestation. Il a évalué, par une méthode toute nouvelle, la résistance des circuits et donné les moyens de déduire la mesure absolue d'un courant, de la seule observation de son électromètre. M. Branly a été admis au grade de docteur à l'unanimité des suffrages. »

Après la soutenance de sa thèse, Edouard Branly devient directeur-adjoint du laboratoire. Il semble alors destiné à poursuivre une brillante carrière à la Sorbonne, mais un « incident » s’y oppose. Sa fille, Jeanne Terrat-Branly nous en raconte les circonstances : « Paul Desains s’est attaché à lui par les liens de la collaboration quotidienne et songe de plus en plus sérieusement à resserrer ces liens. En un temps où les jeunes hommes confient généralement à leurs familles le soin de les marier, il apparaît au bon maître que son protégé se montrera enchanté de cet arrangement. Aussi multiplie-t-il les invitations dominicales, aussi s’efforce-t-on de plus en plus, chez lui, d’accueillir Edouard comme un fils. Le jour où Edouard Branly s’en aperçoit, il accentue sa réserve naturelle. Il n’aime pas qu’on le « prenne en main », que l’on dispose de sa personne et de son avenir, mais trop respectueux pour manifester à Desains l’agacement qu’il éprouve à se voir traiter comme si son siège était fait, il se contente de refuser une invitation et de se montrer, avec Mlle Desains, l’aînée des filles du professeur, d’une correction polie. Celle-ci, du reste, ne semble point particulièrement désireuse de combler le vœu de son père, car elle est d’esprit bien trop fin pour ne pas deviner les réticences du jeune savant. Mais Desains a décidé de brusquer les choses, et il emmène, à cet effet, sa fille dans le voyage qu’il va faire en Suisse en compagnie de son directeur adjoint [ Branly]. Les voyages ne forment pas seulement la jeunesse : ils autorisent un laisser-aller, une familiarité qui permettront certainement au timide Branly de se déclarer. Car le professeur est convaincu que seule, la timidité retient son collaborateur sur la pente des aveux… Prétextant un amour subit des promenades solitaires, Desains laisse souvent, très souvent, les deux jeunes gens en tête-à-tête. C’en est trop ! L’instinctif besoin d’indépendance qui, toute sa vie caractérisera Edouard Branly, se révolte et va se manifester sur-le-champ par une rupture brutale. Mais comme il ne connaît pas de demi-mesures, le jeune homme laisse entendre qu’il ne reviendra pas sur sa décision, et que Desains ne doit plus compter sur lui, désormais, à la Sorbonne. » Durant l’année scolaire 1874-1875, Branly fait un remplacement au collège Rollin (actuellement lycée Jacques Decour). Bien que son enseignement soit apprécié, son remplacement n’est pas renouvelé et il est ramené à son laboratoire de la Sorbonne. Par ailleurs, l’argent du laboratoire sert à acheter le matériel nécessaire aux recherches de son maître Desains mais il ne reste rien pour le matériel dont Branly a besoin. L’année 1875 marque par ailleurs le terme de son engagement décennal de normalien à servir l’Etat. Branly prévient alors Desains de son départ éventuel, ce dernier ne fait pas d’objections et l’engage à réfléchir et à avoir des exigences auxquelles ses fonctions actuelles lui donnent droit. Branly quitte finalement la Sorbonne le 15 décembre 1875.

Pierre Curie deviendra, en 1878, le préparateur de Paul Desains, son premier travail sera consacré à l'étude des rayonnements caloriques (infrarouges), sujet de prédilection de Desains.

Professeur à l’Institut Catholique

Peu après que la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur ait été votée, c’est par une lettre pastorale signée par deux cardinaux, trois archevêques et dix-neuf évêques que l’Université catholique de Paris est fondée le 8 septembre 1875. Cet établissement libre d’enseignement supérieur s’installe sur le site de l’ancien couvent des Carmes (construit en 1613), où avait été fondée en 1845, par Monseigneur Affre, l’École des Hautes Etudes ecclésiastiques, maintenant Séminaire des Carmes. Le couvent des Carmes est décrit de façon admirable par Alfred Baudrillart comme étant un « lieu sacré qui parle à l’imagination, au cœur, à l’âme tout entière de ceux qui l’habitent ; pacifique oasis de verdure en plein Paris, dominée par le campanile et le dôme de sa grave et touchante église, coin de Toscane, souvenir florentin de ceux qui la fondèrent, Marie de Médicis, Concino Concini, Eleonora Galigaï… le couvent des Carmes, qui avait vu les premiers labeurs intellectuels d’un Lavigerie et qui, définitivement, par la générosité du Cardinal Guibert, se transformait en temple de science, Sorbonne Catholique, à quelques minutes de l’autre, sa contemporaine quant aux murs, la Sorbonne du cardinal de Richelieu ». Notons que grâce au physicien Léon Foucault, nous pouvons nous faire une idée très précise de cet endroit. En effet, mettant à profit ses talents de daguerréotypiste, Foucault prit une « photo » depuis les toits de la maison où habitait sa mère, au 34 rue d’Assas. Cette photo, d’excellente qualité, nous montre que le quartier n’a pratiquement pas changé depuis. Il y avait également sur ce site, depuis 1866, un externat de lycéens, l’École Bossuet, fondée par l’abbé Thenon.

La nouvelle université est confiée à l’abbé Maurice d’Hulst. Problèmes de locaux, disette d’argent, choix des collaborateurs, tout repose sur ses épaules. Cette université abrite une faculté de lettres, une faculté de sciences et une faculté de droit. Il y est également prévu une faculté de médecine, qui finalement se réduira à l’hôpital Saint Joseph. L’abbé d’Hulst contacte Branly, mais ce dernier hésite comme le montre cette lettre du futur recteur en date du 26 novembre 1875 : « Je comprends et je respecte les motifs qui vous font reculer. Cela ne m’empêche pas de sentir vivement la perte que nous faisons ». Finalement Branly revient sur sa décision, quitte la Sorbonne, et fait son premier cours à l’Université Catholique de Paris le 29 décembre 1875. La nouvelle université est inaugurée le 10 janvier suivant par le cardinal Guibert qui indique dans son discours : « Nous n’aspirons pas à détruire ce qui se fait sans nous ou hors de nous. Mais nous espérons, par l’usage honorable de notre liberté, imprimer au mouvement intellectuel de notre pays une salutaire impulsion et servir par là les intérêts de la science, de la morale et de la religion ». Nul doute qu’un tel discours ne peut qu’enthousiasmer le jeune Branly. Il est nommé officiellement le 19 janvier 1876 « professeur titulaire de la Faculté des Sciences » par le « Conseil supérieur des archevêques et évêques fondateurs de l’université catholique ».

Le fils d’un ancien condisciple de Branly, Paul Trocmé, résume la situation en disant « pour éviter d'épouser la fille de son maître préféré (Paul Desains), Edouard Branly ne trouve pas d'autre moyen que de tourner le dos à la fille, au père, au laboratoire, à l'université (la Sorbonne) ». A cela s’ajoute sans doute l’espoir d’avoir un laboratoire dans lequel il puisse faire ses recherches et la joie de contribuer à l’élaboration d’un enseignement supérieur catholique. On peut toutefois se demander pourquoi il a choisi aussi de démissionner de l’université ? Après tout, deux de ses nouveaux collègues, et non des moindres, Lapparent et Lemoine avaient trouvé un compromis : ils étaient professeurs à l’université catholique tout en gardant des attaches avec le monde laïque. Très probablement, en représailles de la démission d’Edouard Branly de la Sorbonne, le ministère met, en 1877, à la retraite son père Edouard Joseph ! Edouard Branly est outragé, il écrit à Brunet : « Lorsque vous étiez Ministre, vous avez refusé de m’entendre ; il est nécessaire cependant que vous connaissiez l’objet de ma demande d’audience. Vous avez mis mon père à la retraite en déclarant que ma manière d’agir en était la cause… Vous m’avez CALOMNIÉ, sans me connaître, en m’accusant d’avoir agi sans délicatesse au moment où j’ai quitté le service de l’Etat… » L’abbé d’Hulst fait remarquer à Branly : « […] Il ne faut pas avoir trop raison, ni le dire trop haut, ni vouloir humilier ceux qui, placés plus hauts que nous, ont pu se tromper ou être trompés ».

Albert de Lapparent et Georges Lemoine

Albert Auguste de Lapparent (1839-1908), ingénieur du corps des Mines, a été nommé à l’université catholique dès 1876. Géologue distingué, il a été un auteur prolifique et un vulgarisateur remarquable. Branly en parlait ainsi : « Lapparent se meut dans les premiers âges de la Terre comme s’il avait contemplé de ses propres yeux les éruptions, inondations, convulsions du sol et autres cataclysmes avec une sûreté communicative qui rend bien modestes ceux qui l’écoutent ». Il deviendra membre (1897), puis Secrétaire Perpétuel (1907) de l’Académie des sciences.

Georges Clément Lemoine (1841-1922) a été un chimiste réputé. On lui doit en particulier, à la suite des travaux de Faraday et Kékulé, d’importantes avancées sur la chimie des composés du phosphore et du soufre. Il deviendra membre (1899) puis Président (1921) de l’Académie des sciences.

Dès la fin de l année 1875, l abbé d Hulst débloque un crédit de 40 000 francs (l équivalent de 150 000 ¬ ) pour « commander les appareils de physique nécessaires pour le cours de Licence ». Cette somme confortable cachait en fait un quipropo : l abbé d Hulst avait en tête l’élaboration d’un cabinet de physique destiné à l’enseignement alors que Branly rêvait d’un laboratoire de physique pour ses recherches ; il devra attendre 57 ans avant de voir son rêve se réaliser ! Edouard Branly se consacre à son enseignement, il fait découvrir à ses étudiants l’optique, la mécanique, l’acoustique, la thermodynamique, l’électricité… l’un de ses élèves témoigne : « Il exposait les questions avec une clarté et une précision remarquable, il illustrait ses cours par des expériences bien préparées et parfaitement exécutées, le tâtonnement était inconnu ». Pour ce qui concerne le laboratoire, Branly devra se contenter d’un ancien dortoir, mal éclairé, situé au premier étage du bâtiment donnant sur la trépidante rue de Vaugirard.

Médecine et mariage

Cette situation précaire et la mise à la retraite de son père sont peut-être à l’origine de la recherche faite par Branly en 1877 d’une autre situation. Il a alors un contact assez étroit avec l’université catholique d’Angers où un poste lui est proposé et un laboratoire lui est promis. Cette proposition est intéressante d’autant qu’elle ne remet pas en cause son enseignement à Paris, mais finalement la tractation échoue. Il prend finalement la décision de faire des études de médecine. Cette décision est peut être motivée par l’exemple de son frère Edgar, qui allait soutenir sa thèse de médecine, et par son professeur de chimie à l'École Normale, Pasteur, qui commence à révolutionner ce domaine. Beaucoup plus tard, Branly en donnera l’explication suivante : « Mon départ pour l’université catholique avait fait trop mauvais effet dans les milieux officiels pour que je puisse rentrer à la Sorbonne. Je résolus de faire mes études de médecine et de les pousser jusqu’à l’agrégation de physique médicale. J’aurais professé la physique à la faculté de médecine, au lieu de la professer à la faculté des sciences ».

Physique et médecine

Il n’est pas rare de voir des scientifiques ayant fait des études de médecine. Quelques grands physiciens en sont la preuve.

Nicolas Copernic (14731543) est d’abord étudiant à l'Université de Cracovie où il suit les cours de mathématiques, philosophie aristotélicienne, astronomie, droit, latin et grec, avant de devenir étudiant en médecine. Médecin réputé, il est Chanoine de Frombork, en Warmie, où il occupe un appartement dans la cathédrale dans laquelle se trouve une petite tour abritant un observatoire. Il poursuit ensuite ses études à Bologne à partir de 1496 et c'est là qu'il fait sa première observation astronomique (l'étoile Aldébaran) le 9 mars 1497. Son œuvre majeure intitulée « De revolutionibus orbium coelestium » paraît l'année de sa mort en 1543. Il y décrit le système héliocentrique, « copernicien », dont le plus grand défenseur sera Galilée, véritable père de la physique.

Luigi Galvani (17371798), professeur d'anatomie à l'université de Bologne, constate que la cuisse de grenouille, qu'il vient de disséquer, se contracte à chaque fois que le nerf et le muscle sont reliés par un arc formé de deux métaux différents. Galvani attribue ce phénomène à une « électricité animale», et entre en controverse avec Alexandro Volta (17451827) qui pense qu'il n'y a qu'une seule sorte d'électricité. Cette contreverse est fructueuse puisqu’elle conduit Volta à l’invention de la pile (objet, rappelons-le, des premières recherches de Branly), dont Arago dira : « Cette pile faite de tant de couples dissemblables, séparés par un peu de liquide, est, quant à la singularité des effets, le plus merveilleux instrument que les hommes aient jamais inventé... »

Thomas Young (17731829) est un enfant prodige ; à treize ans il sait déjà le latin, le grec, le français et l'italien. Il apprend également l'hébreu, le persan, l'arabe, le chaldéen, le syriaque et le turc. On dit qu'à l'âge de 13 ans il maîtrise 13 langues. Ses camarades de collège le baptisent « le phénomène Young ». Il se lance finalement dans des études médicales, ce qui lui vaut d'être élu membre de la Royal Society à 21 ans. Sa thèse de doctorat qui porte sur la production de la voix humaine lui permet d’approfondir les lois du son et de la propagation des ondes. Entre 1800 et 1807, il fait des travaux en optique qui le rendront célèbre, d’abord en relation avec la médecine sur la vision des couleurs (qu’il conclut par l’introduction des trois couleurs fondamentales), puis par la (ré)introduction de l’interprétation ondulatoire de la lumière (explication des interférences lumineuses). Superintendant de l'Almanach nautique anglais, secrétaire du bureau des longitudes, architecte naval et consultant à l'amirauté, Young s'intéresse également à la dynamique des fluides et à la théorie des marées.

Hermann von Helmholtz (1821-1894) fait ses études de médecine à Berlin. D’abord médecin à Potsdam, il enseigne ensuite l’anatomie et la physiologie dans de grandes universités allemandes : Königsberg, Bonn et Heidelberg. Il invente un appareil pour examiner l’intérieur de l’œil et fait l’une des premières mesures de la vitesse de l’influx nerveux. Ses travaux en acoustique, à l’interface entre la médecine et la physique, seront justement célèbres (résonateurs de Helmholtz). En physique, il énonce le principe de conservation de l’énergie et réalise la synthèse électromagnétique la plus avancée avant celle de Maxwell. Il est alors considéré comme le « Chancelier de la physique allemande ». Il comptera parmi ses élèves Max Planck et Heinrich Hertz.


Sa puissance de travail lui permet de mener son métier en même temps que ses nouvelles études. Il est à la fois professeur et élève ! Il suit le matin les cours de médecine, il enseigne la physique en début d’après-midi et retourne à l’hôpital le soir. En 1880 intervient un événement qui a du conforter Branly dans le choix qu’il a fait : la loi Falloux sur la liberté de l’enseignement supérieur libre est abrogée. Plus précisément, le Parlement vote, le 18 mars 1880, une loi suivant laquelle le titre d’université (avec le prestige qui en résulte) est retiré aux établissements d’enseignement supérieur libre. Les deux facultés, de lettres et de sciences, sont supprimées suite à cette loi, mais l’abbé d’Hulst les fait renaître sous forme de deux écoles autonomes, chacune dirigée par un doyen. L’université catholique de Paris devient l’Institut Catholique de Paris et l’abbé d’Hulst en devient le recteur en 1881. Il tient tout particulièrement à ce que l’Institut soit un foyer scientifique de haut niveau. Mais la gratuité des inscriptions dans les établissements d’Etat et le non émargement au budget de l’enseignement supérieur des établissements libres, ne peuvent, naturellement, que soumettre le nouvel Institut Catholique à de graves problèmes financiers. Dans ce contexte, Branly ne devait pas regretter son choix, effectué trois ans plus tôt, de s’être donné les moyens d’assurer son indépendance.

Finalement, le 29 juin 1882, Branly soutient une thèse intitulée : « Dosage de l'hémoglobine dans le sang par des procédés optiques » et devient docteur en médecine. Il introduit sa thèse ainsi : « Après avoir passé en revue divers procédés optiques, j’ai préféré la mesure de l’absorption exercée par l’hémoglobine dans les diverses parties du spectre, et spécialement dans la région des deux bandes d’absorption, caractéristiques de l’hémoglobine, comprises entre les raies D et F. Je me suis demandé s’il n’y avait pas de bandes d’absorption importantes dans la partie ultraviolette du spectre… ». Il termine cette introduction en disant : « J’en ai conclu l’identité spectrale de la matière colorante du sang chez les divers vertébrés ». Deux points méritent d’être soulignés. L’optique, objet de ses premières recherches à la Sorbonne, joue un rôle central dans sa thèse. Il utilise un spectrophotomètre à faisceaux superposés qui est une amélioration des mesures colorimétriques utilisées jusqu’alors. De plus, sa mesure est fondée sur l’angle de rotation d’une lumière polarisée, ce qui n’est pas sans rappeler les techniques utilisées par son professeur de chimie à l’Ecole Normale, Louis Pasteur, lors de ses premières recherches. Du point de vue médical, ses travaux sont également intéressants et seront à l’origine de recherches sur la conservation du sang. Dans l’esprit de Branly, sa thèse est une étape, non une finalité. Son objectif est de passer l’agrégation de physique médicale. Il faut pour s’y inscrire avoir l’autorisation du doyen de la faculté et celle du titulaire de la chaire. Les deux fonctions sont détenues par un seul et même homme, le docteur Gariel. Il refusera d’inscrire Branly en disant : « Vous êtes professeur à l’Institut Catholique, eh bien, restez-y ! », ce que notre physicien estimera être un « véritable abus de pouvoir ». Curieuse décision du Doyen Gariel qui lui-même avait été physicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, professeur de physique dans cette école, avant de devenir médecin ! Il n’était pas non plus particulièrement réputé pour des positions anticléricales. Peut-être, comme le suggère Philippe Monod-Broca, sa décision reposait-elle sur le souci de protéger la carrière d’un de ses élèves ou de quelque autre candidat de qualité. Au moins peut-on se consoler en pensant qu’une chaire de physique médicale aurait peut-être détourné Branly de ses recherches et particulièrement de sa grande découverte qui allait mener à la radio.

Pour la première fois de son existence, Branly n’a pas d’examen à préparer. Il n’a vécu jusque-là que pour ses chères études, mais à 38 ans il est grand temps de fonder une famille. Cependant, comme l’écrit sa fille « un homme de son époque ne choisit pas lui-même sa fiancée, à moins que des circonstances familiales lui permettent de rencontrer des jeunes filles, ce qui n’est pas son cas, car il ne va jamais dans le monde, où il refuse de perdre son temps ». Il s’ouvre de son projet de mariage à son ami normalien Prosper Pein. Malgré une vie bohême, son ami possède un souverain bon sens lorrain. Il en parle à ses parents qui habitent Verdun et qui connaissent toutes les bonnes familles de cette ville. On pense alors à Jean Lagarde, négociant cossu et retraité qui a consacré une partie de son temps à élever sa fille Marie depuis la mort de sa femme survenue peu après la naissance de l’enfant. La jeune fille allait avoir vingt-six ans, l’âge limite que s’est fixé Branly pour le choix de son élue ! Le mariage a lieu le 10 juillet 1882. Jean Lagarde alloue à sa fille une dot qui, ajoutée aux biens que la mariée a hérités de sa mère, assure au couple une certaine aisance.

Le jeune couple part en voyage de noces dans le Finistère, puis au retour s’installe à Paris, rue Gay-Lussac. En prévision de la naissance de leur premier enfant, ils emménagent le 15 octobre 1882 dans un grand appartement de l’avenue de Breteuil, non loin des Invalides. Ils sont sûr que leur premier descendant sera un fils, on l’appelle déjà Jean, mais le 24 août 1883 naît une fille, qui naturellement sera prénommée Jeanne ! Dix-huit mois plus tard, en 1885, naît un fils, Etienne. Edouard et Marie Branly sont heureux. Notre physicien partage son temps entre l’Institut Catholique et son appartement où il s’occupe beaucoup de ses enfants. Quelques années passent et, en 1889, naît un troisième enfant, une fille, que le couple appelle Elisabeth. Un an plus tard, le 21 octobre 1890, la mère d’Edouard Branly, Elisa, s’éteint. Edouard Joseph reste d’abord à Saint Quentin mais la solitude lui pèse et l’année suivante il part s’installer chez son fils. Pour accueillir le père, la famille déménage et s’installe dans un appartement plus grand, non loin du précédent, 21 avenue de Tourville. Ils y resteront jusqu’en 1928.

Les enfants de Branly

Le couple aura trois enfants : Jeanne, Etienne et Elisabeth.

Jeanne Branly (1883-1977) se révèle une enfant studieuse. Elle sera l'une des premières femmes en France (sans doute la deuxième !) à passer le baccalauréat. En 1906, elle épouse Georges Terrat, docteur en droit et fils de Barthélemy Terrat, agrégé des facultés de droit, qui avait démissionné de l'Enseignement public pour rejoindre l'abbé d'Hulst, à l'image d'Edouard Branly, devenant ainsi le premier doyen de la faculté de droit de l'enseignement catholique. Pour ceux qui ont connu Jeanne, ils savaient qu'une passion l'habitait : la littérature. Elle s'entourait d'hommes de théâtre, ses héros étaient Edmond Rostand et sa femme, la poétesse Rosemonde Gérard, les tragédiens Sarah Bernhardt et Edouard de Max ! Jeanne était mère de trois filles, Geneviève, Cécile et Colette. Sa fille aînée devait épouser Pierre Abelin l'homme politique français. Jusqu'à un âge très avancé, elle conserverait son goût de la littérature, le communiquant à ses sept petits-enfants, avec une grande jeunesse d'esprit. Elle aimait raconter comment, dans son enfance, aux aurores, son père faisait travailler la grammaire allemande et ses déclinaisons à ses deux aînés, exercice quotidien d'une demi-heure, avant d'aller à l'école, dur ! Mais Jeanne allait couramment parler l'allemand, appréciant sa littérature !

Etienne Branly (1885-1953) après d’excellentes études au collège Stanislas a suivi les cours de son père à l’Institut Catholique et obtenu sa licence de physique. Mais ses goûts profonds sont ailleurs et il bifurque vers l’Inspection des Finances, dont il réussit le concours en 1911. Pendant la première guerre mondiale, il est envoyé au Maroc, mais alors qu’un jour il balaye la cour un peu gauchement, le Maréchal Lyautey vient à passer : « Qu’est-ce que c’est que ce garçon qui tient si mal son balai ? » demande le Maréchal, « il s’appelle Branly », lui dit-on. « Comment, Branly, le fils du grand Branly ? », la confirmation est immédiate : « En effet, il s’agit bien de lui ». Le Maréchal demande alors qu’on le mette à son service, devinant qu’il manierait mieux la plume que le balai ! Etienne Branly est très vite apprécié par le Maréchal. A la fin de la guerre, et jusqu'à la fin de sa vie, il restera au Maroc et sera nommé directeur général des finances, poste qu’il occupera pendant dix ans. Il passera sa retraite dans sa maison des Oudaïas. A sa mort, en 1953, il sera enterré au Maroc.

Elisabeth Branly (1889-1972) était la plus jeune fille de Marie et Edouard Branly. Poète dès sa jeunesse, elle eut un parcours singulier, attirée autant par la peinture que par la musique. De 1905 à 1920, elle se révèle humoriste et critique, très sensible à la mode son imagination et sa personnalité sont très vite remarqués et elle sera appelée pour participer souvent à des expositions et collaborer à différents ouvrages. Deux guerres ont assombri sa vie qui fut pourtant passionnante. La première eut une influence capitale puisqu'elle choisira comme discipline la peinture afin de répondre à son devoir d'infirmière en apportant son aide aux blessés. De 1920 à 1964, sa rencontre avec l'architecte Paul Tournon donne une nouvelle dimension à son art. Grâce à lui, elle participera à trois expositions: Arts Décoratifs (1925), Exposition coloniale (1931) et Exposition internationale (1937). A ses œuvres s'ajouteront les trois baptistères situés dans les églises construites par son mari : Sainte Thérèse à Elisabethville, le Saint Esprit à Paris et le Sacré Cœur à Casablanca. Edouard Branly vécut de 1927 à 1940 chez Elisabeth et Paul avec leurs deux petites filles, Florence qui devait devenir peintre et Marion architecte. Le savant souhaita que son gendre, l'architecte Paul Tournon, dont il estimait le talent, soit l'auteur de son nouveau laboratoire (très novateur en 1932 pour ses fondations spéciales et sa salle de cuivre). Elisabeth fit, entre 1939 et 1940, une série remarquable de croquis mémorisant à la veille de la seconde guerre mondiale les derniers instants de sont père.


Arsène d'Arsonval (1851-1940)

Arsène d’Arsonval, de sept ans le cadet d'Edouard Branly, est mort la même année que lui à près de quatre-vingt dix ans. Plusieurs points communs rapprochent les deux savants qui seront d'ailleurs amis : ils sont tous les deux à la fois physicien et médecin et ce sont des travailleurs infatigables. D'Arsonval est né à La Borie (en Haute-Vienne). Après des études au lycée impérial de Limoges, puis au collège Sainte-Barbe à Paris, il étudie la médecine. Il assiste en particulier aux cours de Claude Bernard au Collège de France, dont il devient le préparateur en 1873. Il dirige ensuite le laboratoire de biophysique du Collège de France (1882-1910) et succède à Claude Bernard comme professeur dans cette noble institution. D'Arsonval fait de nombreuses découvertes dans le domaine de l'électricité médicale ce qui lui permet de soigner diverses maladies par « d'Arsonvalisation ». Il étudie les effets médicaux des courants à haute fréquence. Par ailleurs, pour déceler les faibles courants qui interviennent lors de l'étude des contractions musculaires, il construit de nombreux appareils dont le plus connu est le galvanomètre balistique, réalisé en collaboration avec Deprez. A la fois médecin et physicien, il met au point le premier téléphone adopté par les « PTT », démontre expérimentalement le transport de l'énergie électrique, invente le vase d'Arsonval, vase de verre à double parois (séparées par du vide), qui donnera plus tard nos bouteilles thermos. Il travaille avec Georges Claude sur la liquéfaction des gaz (1902), et fait naître la compagnie de l'Air Liquide. Il participe, avec la capitaine Ferrié, aux premières émissions TSF ainsi qu'aux premiers essais de téléphone sans fil (1911). Il devient membre de l’Académie de médecine dès 1888 et de l’Académie des sciences en 1894.


La découverte du 24 novembre 1890

Depuis 1886, c’est-à-dire après la fin de ses études médicales, Edouard Branly a repris ses recherches. Il y consacre ses matinées, tandis que les après-midi sont réservés à l’enseignement. Ses soirées sont consacrées aux lectures et à la rédaction de notes et d’articles. L’objectif de ses recherches est de comprendre pourquoi les corps préalablement électrisés perdent leur charge électrique sous l’influence du rayonnement. Avançant de façon très méthodique, il étudie le problème sous tous les angles. D’abord, il examine et perfectionne les sources de rayonnement. Suivant son habitude, c’est dans les Comptes Rendus à l’Académie des Sciences (CRAS) qu’il fait part de l’avancement de ses travaux. Sa première publication après sa thèse de médecine, qu’il fait dans les CRAS, date du 21 mars 1887, et porte précisément sur l’étude d’une source de rayonnement, elle s’intitule : « Sur l’emploi du gaz d’éclairage comme source constante de rayonnement ». Il lui faut également mesurer des courants de très faible intensité. Pour ce faire il améliore l’étalonnage des galvanomètres ce qui le conduit à publier, de nouveau dans les CRAS, un article intitulé : « Un nouveau mode d’emploi du thermo-multiplicateur ». Il faut enfin soumettre toutes sortes de substances aux essais. Ici il recouvre les métaux de laque et de vernis, là, il les réduit en poudre, en limaille ou en grenaille soigneusement calibrée. Il teste plusieurs configurations : les différentes formes de métaux sont étalées sur une plaque de verre ou d’ébonite, ou bien placées dans un petit tube allongé. Branly s’intéresse aux travaux du physicien allemand Hallwachs, qui, poursuivant l’étude de l’effet photoélectrique découvert par Hertz au début de 1887, montre en 1888 que les feuilles d’un électroscope chargées négativement se rapprochent rapidement lorsqu’elles sont éclairées par de la lumière ultraviolette, phénomène qui ne se produit pas lorsque les feuilles de l’électroscope sont chargées positivement. Le 8 avril 1890, Branly publie dans les CRAS une note relative à « la déperdition des deux électricités par des radiations très réfrangibles ». Le 4 mai, il réalise une variante de l’expérience de Hertz et note dans ses carnets le nom du physicien allemand, cela sera d’ailleurs la seule fois qu’il le fera (en revanche, il mentionnera plusieurs fois Hallwachs). Son dispositif est constitué de la façon suivante. D’un coté il dispose d’une source de rayonnement produisant une étincelle, cette source est une bobine de Ruhmkorff ou une machine de Wimshurt (voir encadré). De l’autre coté, à quelques distances, il place un disque métallique dans un circuit fermé constitué d’une pile et d’un galvanomètre. Ainsi il peut déterminer la conductibilité du disque métallique par la déviation de l’aiguille du galvanomètre. Il mesure inlassablement la variation de la conductibilité suivant que le disque est chargé positivement ou négativement, suivant l’éclat de l’étincelle, suivant sa distance au disque, etc. Il note dans certains cas une chute de résistance du disque métallique lorsque celui-ci est soumis à l’éclat de l’étincelle. Le 7 juin « l’étincelle est à 5 cm de la plaque », le 9 juin « la plaque est à 1,50 m de l’étincelle », le 11 juin « elle est à 6 m ». Il refait ses expériences systématiquement, tantôt dans son grand laboratoire, tantôt dans la salle de cours. Au décès de sa mère, survenu le 21 octobre, il interrompt ses recherches quelque temps. Le 18 novembre, il fait un constat surprenant. Il utilise le circuit décrit plus haut, mais le disque métallique est remplacé par un tube rempli de limaille. Lorsque la limaille est éclairée par l’étincelle, il constate sans surprise l’augmentation de la conductibilité, mais celle ci chute dès que le tube à limaille subit un choc. Le 20 novembre, il refait l’expérience et note : « La poudre de zinc est très sensible à l’étincelle de la machine de Wimshurt qui est placée à plus de 10 mètres… La déviation [de l’aiguille du galvanomètre] est supprimée par tapotement sur la table ».

Cette observation, aussi surprenante qu’importante, allait être suivie d’un second constat, encore plus radical. Laissons son préparateur, Gendron, nous rapporter les faits : « M. Branly fit éclater une étincelle entre les boules de notre machine de Wimshurt. Aussitôt que la lumière violette de l’étincelle éclairait la limaille, cette dernière laissait passer le courant ainsi qu’en témoignait l’aiguille du galvanomètre… Beaucoup en serait resté là, mais le génie de Branly lui inspira un mouvement. Il plaça un bout de carton devant la longue étincelle lumineuse de la machine et constata sur le galvanomètre que le courant passait toujours. Ainsi ce n’était pas la lumière, violette ou non, qui rendait la matière conductrice, c’étaient les ondes électriques. » Nous sommes ici au cœur de la découverte. Heureux hasard qui guide les pas d’Edouard Branly, mais comme l’a dit si justement Louis Pasteur, son maître, « dans le domaine de la science, le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Mais laissons Gendron poursuivre : « Si ce sont les ondes électriques qui agissent sur la limaille, aucune raison pour que le même phénomène ne se produise pas, hors de portée des ondes lumineuses, à une distance beaucoup plus considérable… Toutes les fois que je faisais éclater une étincelle, l’aiguille du galvanomètre de M. Branly, à vingt mètres de moi entrait en mouvement. Je pouvais ainsi envoyer des signaux à M. Branly. En effet, chaque fois qu’il avait constaté un mouvement de l’aiguille, il ébranlait par un choc le tube de limaille et l’aiguille du galvanomètre revenait à zéro. Elle recommençait à se déplacer lorsque se produisait une nouvelle étincelle. »

Branly vient ainsi de découvrir le phénomène de « radio conduction », comme il le baptise lui-même. Le 24 novembre 1890, il fait part de sa découverte dans une note publiée dans les CRAS de Paris. Il indique comment l'action d'une décharge électrique générée par un oscillateur de Hertz fait chuter la résistance de son tube à limaille de « plus de 2 millions d'ohm à moins de 2 » et ajoute que la chute de résistance disparaît « en frappant quelques petits coups secs sur la tablette qui supporte le tube ». Branly décrit le dispositif utilisé : « Si on forme un circuit comprenant [une pile], un galvanomètre et le conducteur métallique (tube à limailles), il ne passe le plus souvent qu’un courant insignifiant ; mais il y a une diminution brusque de résistance accusée par une forte déviation [de l’aiguille du galvanomètre], quand on vient à produire dans le voisinage du circuit une ou plusieurs décharges électriques… J’ai pu constater une action à plus de 20 mètres, alors que l’appareil à étincelles fonctionnait dans une salle séparée du galvanomètre par trois grandes pièces et que le bruit des étincelles ne pouvait être perçu. […] Avec le tube à limailles, on supprime à peu près complètement la chute de résistance par divers procédés notamment en frappant quelques petits coups secs sur la tablette qui supporte le tube. »

Du radioconducteur à la radio

Branly définissait en ces termes le radioconducteur : « Un radioconducteur est un contact imparfait, d’une nature spéciale, entre substances plus ou moins conductrices. Il a pour caractère d’offrir une énorme résistance à un courant de faible voltage, et de perdre sa résistance, d’une manière persistante, quand il a été parcouru par les courants induits que fait naître dans son circuit une étincelle de décharge de condensateur qui éclate dans le voisinage. Un choc lui rend sa résistance. Le nom radioconducteur, donné à ce contact imparfait, rappelle sa propriété de devenir conducteur quand il est exposé à l’action rayonnante d’une étincelle. » Branly est l’un des tout premiers à utiliser le préfixe « radio ». Le radioconducteur a été le premier récepteur de la Transmission Sans Fil (TSF), il a été utilisé pour ce qui allait devenir tout simplement et universellement « la radio ».


La bobine de Ruhmkorff

La bobine de Ruhmkorff est défini en ces termes par Branly dans son Traité de physique : « C’est une source de courants induits de haut potentiel, dus au variations rapides du champ magnétique d’un électroaimant. Elle fait naître des tensions intermittentes très élevées avec des sources continues qui n’ont elles-mêmes qu’une faible tension. » Son nom vient du mécanicien et électricien allemand Heinrich Ruhmkorff (1803-1877) qui après avoir travaillé chez des fabricants d’instruments de précision, a fondé sa propre maison à Paris. Il perfectionne la bobine d’induction de Masson et Breguet. La bobine de Ruhmkorff ainsi réalisée (1851), en permettant d’obtenir de très hautes tensions, a favorisé de grandes découvertes dans la seconde moitié du XIXe siècle, citons par exemple : le développement de l’analyse spectrale, l’étude des rayons cathodiques, l’alimentation des premiers tubes à rayons X, etc.

La machine de Wimshurt

La machine de Wimshurt a été développée par le physicien britannique James Wimshurt (1832-1903). C’est une machine électrostatique qui utilise deux disques de verre tournant en sens inverse et qui portent des secteurs métalliques sur lesquels viennent frotter des balais. Elle permet également d’obtenir des hautes tensions.

Ce radioconducteur, que Lodge appellera « cohéreur » en 1894, permet de révéler de façon extrêmement sensible le passage d'une onde électromagnétique. Ce nouvel effet, rapidement appelé « Effet Branly », ouvre la possibilité de transmettre des messages à distance sans aucun lien matériel entre l'émetteur et le récepteur. De plus, le 12 janvier 1891, Branly fait une nouvelle communication à l'Académie où il indique qu'une tige métallique annexée au générateur « augmente notablement la portée d'une étincelle d'émission ». La portée, qui était limitée à une dizaine de mètres, atteint maintenant 80 m. Nous détaillerons dans le chapitre 4 le prodigieux développement qui a suivi la découverte de Branly. Il laisse, en effet, à d’autres le soin de développer les applications de sa découverte, la fameuse TSF : la Télécommunication Sans Fil. Tandis que dès l’année suivante, Oliver Lodge reprend le radioconducteur et y ajoute un système automatique de frappeur, Branly poursuit ses enseignements et se lance dans la rédaction d’un ouvrage didactique, son Traité de physique élémentaire. Il poursuit également, avec la même ardeur, ses recherches. Les titres de ses publications dans les CRAS sont évocateurs : « Déperdition des deux électricités par les rayons très réfrangibles » (11 janvier 1892) ; « Nouvelle conductibilité unipolaire des gaz » (4 avril 1892) ; « Sur la conductibilité d’un gaz compris entre un métal froid et un corps incandescent » (27 juin 1892), etc. Tandis qu’Alexandre Popoff (ré)invente l'antenne en 1893, puis fait fonctionner - en mai 1895 - son appareil de TSF (constitué d'un éclateur de Hertz, d'un détecteur de Branly et d'une antenne), ce qui lui permet de transmettre un message en morse sur une distance de 250 m, Branly poursuit ses recherches sur la conduction des métaux. Branly commentera ainsi les travaux de Popoff : « La télégraphie sans fil résulte réellement des essais de Popoff. Le savant russe a développé une expérience que j'avais souvent réalisée et que j'ai reproduite en 1891 devant la Société des électriciens [l'actuelle SEE] : une étincelle inactive à une distance d'une dizaine de mètres devient active quand on la fait circuler dans une longue tige métallique [antenne]. De là, l’emploi des longs conducteurs annexés au transmetteur et au récepteur et sans lesquels il n’y a pas de télégraphie à grande distance. »

Une double vocation

En 1896, l’Institut Catholique est en proie à des difficultés de trésorerie. Branly indique lui-même : « Les ressources de l’Institut Catholique ne couvraient plus les dépenses. Monseigneur d’Hulst m’avoua en janvier 1896 que la largeur du fossé n’allait plus permettre de le franchir. Une liquidation était proche, je me mis à songer à installer un cabinet de consultations ». Le poste de professeur de Branly n’est toutefois pas menacé, le recteur lui exprime sa confiance dans un courrier daté d’août 1896 : « … Mais nous garderions toujours l’équivalent, au moins, de l’ancienne Ecole des Carmes, qui est une première nécessité pour le clergé. Dès lors, il nous faudra conserver quelques professeurs ou directeurs d’études. Notre affection, notre estime pour vous, nos obligations envers vous nous feraient alors un devoir de vous comprendre dans cette réserve intangible ».

Pourtant Branly est décidé à ouvrir un cabinet en ville. Il trouve sur la rive droite, rue Boursault, un petit appartement dans une maison modeste. Ce trois pièces, situé au deuxième étage de l’immeuble, est vite transformé en cabinet médical : un salon d’attente, un bureau pour les consultations et une salle attenante pour les applications électriques, le tout sommairement meublé. Le choix de la rive droite peut surprendre mais il est très probablement lié au fait que ce quartier bénéficiait de l’électricité domestique, alors qu’elle était très peu répandue rive gauche. Branly a en effet choisi de se spécialiser en électrothérapie (un choix qui ne peut pas surprendre), il soigne par cette technique les maladies nerveuses, les névralgies, les maladies des poumons et de l’estomac, la goutte, les rhumatismes, le diabète, etc. Il consulte quatre après-midi par semaine, mais il lui arrive également de faire des consultations à son domicile, avenue de Tourville.

C’est donc une triple vie que Branly mène de front : enseignant, chercheur et médecin ! Le rythme de ses communications à l’Académie des sciences ne faiblit pas pour autant. Il fait un parallèle entre la conductibilité électrique et la conduction nerveuse. Il expose ses idées dans un article publié par les CRAS du 27 décembre 1897 intitulé : « Conductibilité des radioconducteurs ou conductibilité électrique discontinue. Assimilation à la conductibilité nerveuse ». Il résume ainsi ses idées : « Dès les premières recherches sur le fonctionnement du système nerveux, on a admis une ressemblance entre la conductibilité nerveuse et la conductibilité électrique ; on regardait alors les filets nerveux comme continus. Depuis, les recherches histologiques ont présenté le système nerveux comme formé d’éléments discontinus, appelés neurones, n’ayant que des rapports de contiguïté. L’assimilation du système nerveux à un ensemble de conducteurs métalliques n’est plus alors possible ; mais n’y a-t-il pas lieu de penser à une analogie avec un conducteur discontinu, un neurone jouant le rôle d’un grain métallique dans un conducteur discontinu ? Cet essai d’assimilation suggère des comparaisons qui offrent de l’intérêt. Nous voyons un choc affaiblir et même supprimer la conductibilité d’un conducteur discontinu ; de même un traumatisme peut déterminer l’anesthésie et la paralysie hystériques, dues à une suppression de la transmission, soit sensitive, soit motrice, de l’influx nerveux, peut-être par défaut de contiguïté des terminaisons nerveuses. Si des décharges électriques établissent la contiguïté des conducteurs discontinus, ne guérissent-elles pas dans certains cas l’anesthésie et la paralysie hystériques, en établissant la contiguïté des éléments ? »

Pendant ce temps, la TSF se développe. En cette année 1897, Eugène Ducretet transmet un message sur une distance de 400 m entre son laboratoire et le Panthéon. L’année suivante, Branly écrit une communication sur la « télegraphie sans fil et [les] collisions en mer » (CRAS, 18 juillet 1898), tandis que Ducretet, avec l’aide cette fois de Branly, réalise, le 18 novembre 1898, une liaison entre la tour Eiffel et le Panthéon (4 km). Puis c’est la première liaison transManche. C’est le 28 mars 1899 exactement que Marconi transmet le premier message entre l'Angleterre (South Fireland) et la France (Wimereux). Ce premier message est adressé à Edouard Branly : « M. Marconi envoie à M. Branly ses respectueux compliments pour la télégraphie sans fil à travers la Manche – STOP - Ce beau résultat étant dû en partie aux remarquables travaux de M. Branly – STOP ». Vient ensuite l’incroyable : le 12 décembre 1901, Marconi réussi à établir une liaison transatlantique.

Branly, naturellement, est honoré pour ses travaux. En 1898, il reçoit sa première récompense. Elle vient de l’Académie des sciences qui lui décerne, en décembre, son prix Houllevigue. Joseph Bertrand, alors Secrétaire Perpétuel, écrit dans son rapport : « L’application directe du tube à limaille à la construction du récepteur de la télégraphie hertzienne assure à leur auteur, dans l’histoire de l’électricité, une place que rien ne saurait lui enlever ». En 1900 a lieu à Paris l’exposition universelle : avec 50 millions de visiteurs, elle bat tous les records. On y compte plus de 80 000 exposants et des attractions marquantes comme la projection sur de grands écrans des films des frères Lumière, un trottoir roulant, baptisé « rue de l’Avenir », et bien sûr les nombreuses utilisations de l’électricité. Ce n’est que sur le petit stand de l’Institut Catholique que l’on peut voir le tube à limaille. N’empêche, Branly reçoit le grand prix de l’exposition universelle et est nommé chevalier de la Légion d’Honneur avec la mention suivante, parue au Journal Officiel : « A découvert le principe de la télégraphie sans fil ».

Pourtant Branly n’étant pas homme à se reposer sur ses lauriers, il perfectionne son dispositif et invente un détecteur encore plus sensible que le tube à limaille. Il s’agit du « radioconducteur à contact unique » qu’il présente le 10 février 1902 à l’Académie et que l’on connaît sous le nom plus simple de « trépied ». Il le décrit ainsi : « Trois tiges métalliques de même nature, parallèles et verticales, de 2 mm de diamètre environ, sont réunies à leur partie supérieure par un disque qui les relie à l’un des pôles, les extrémités inférieures des tiges [sont] polies et oxydées, [elles] reposent librement sur un plan d’acier poli, relié au second pôle. On a ainsi trois contacts semblables qui peuvent se suppléer ». Ce trépied lui permet de faire « un récepteur de télégraphie sans fil » qu’il présente dans une nouvelle communication à l’Académie le 26 mai 1902. La même année, Branly s'associe à un industriel, M. Popp, pour breveter son nouveau détecteur et pour l'exploiter. Popp crée une compagnie, la « Société Française des Télégraphes sans fils », et plusieurs ministres encouragent cette initiative. Une station émettrice est construite, mais, contre toute attente, le gouvernement français ne donne pas l’autorisation d’émettre. Popp est condamné pour avoir violé le monopole d'Etat des communications, et sa société fait faillite.

C’est également en 1902 que Branly est élu membre correspondant de l’Académie Pontificale des sciences. Cette Académie n’est autre que la célèbre Accademia dei Lincei (Académie des Lynx), fondée en 1603 par Federigo Cesi, Marchese di Monticelli et dont Galilée fut à partir de 1611 un membre éminent. En 1903, Edouard Branly partage avec Pierre Curie le Prix Osiris. Ce prix triennal, décerné par l’une des cinq Académies de l’Institut de France, est destiné à récompenser « la découverte ou l’œuvre la plus remarquable dans les sciences, les lettres, les arts, l’industrie et, généralement, dans tout ce qui touche à l’intérêt public ». Parmi les récipiendaires de ce prix, on compte Louis Blériot, le docteur Roux et le Maréchal Lyautey. Ce prix avait été institué par un riche mécène, qui avait fait fortune dans la finance, Daniel Iffla qui se faisait appeler Osiris. C’est également l’époque où Branly rencontre la comtesse Greffulhe. Cette grande dame, Elizabeth de Caraman-Chimay, est la fille du prince Joseph de Chimay, ministre des Affaires étrangères de Belgique. Elle devient comtesse Greffulhe en épousant en 1878 le comte Henri Greffulhe. Intelligente, sage, originale, cultivée et riche, elle se distingue par son charisme et sa beauté. Elle a inspiré à Marcel Proust sa comtesse de Guermantes. Son salon, situé 10 rue d’Astorg, attire le gratin parisien des arts, des sciences et de la politique. On y rencontre Franz Liszt, Anna de Noailles, Edmond de Goncourt, Paul Claudel, François Mauriac, Edmond Rostand, André Maurois, Henri Bergson, Marcellin Berthelot, Irène Joliot-Curie, Maurice et Louis de Broglie, Casimir Perier, Paul Deschanel, pour n’en citer que quelques-uns. La correspondance entre la comtesse Greffulhe et Edouard Branly commencera en 1904 et se prolongera jusqu’à sa mort, en 1940. Elle s’intéresse à ses travaux, l’encourage et le fait connaître.

Paris émerveillé

Au début de l’année 1905, la comtesse Greffulhe demande à Branly de faire ses expériences dans son château de Bois-Boudran devant un public choisi. Branly travaille alors sur la télémécanique, véritable ancêtre de la télécommande. Il avait commencé ses travaux dans ce domaine dès 1898 et poursuivait depuis lors l’amélioration de ses dispositifs que l’on qualifieraient aujourd’hui de télécommande (voir encadré). Branly publie, à son habitude, son travail dans une communication au CRAS (20 mars 1905) intitulée : « Distribution et contrôle d’actions produites à distance par les ondes électriques ». Le 22 juin 1905, il donne à l’Institut Catholique une conférence sur la télémécanique et fait une démonstration expérimentale de son dispositif. « Des étincelles, dit Branly lors de cette conférence, que l’on fait éclater l’une après l’autre au poste de départ s’adresseront successivement aux différents circuits. On réalisera ainsi, en somme, les variantes intéressantes de l’expérience fondamentale, appliquées à divers effets. J’ai démontré ces divers effets ici même dans ma conférence de 1898. Si les circuits des différents phénomènes avaient tous été formés à l’avance, simultanément, au poste d’arrivée, chacun avec son tube à limailles, une même étincelle aurait exercé son effet sur tous les circuits à la fois et réalisé d’un seul coup toutes les actions. Par suite de nouvelles études, je vais démontrer qu’un opérateur placé à un poste de départ, peut agir sur un poste d’arrivée où la présence d’une personne n’est plus nécessaire, une fois les dispositifs agencés naturellement. L’opérateur peut alors, du poste de départ, produire successivement les phénomènes préparés au poste d’arrivée, et ce, dans un ordre dont il reste constamment le maître, il peut laisser les phénomènes produits persister durant un temps variable à son gré, les suspendre ensuite dans un nouvel ordre qui sera différent du premier s’il le désire. Le poste d’arrivée peut ne pas voir le poste de départ, il peut en être éloigné de plusieurs kilomètres, voire même de plusieurs dizaines ou centaines. L’opérateur sait qu’il peut agir au moment utile et provoquer tel ou tel effet avec sûreté. »

La comtesse Greffulhe souhaite faire connaître au tout Paris la nouvelle invention de Branly et a l’idée d’organiser au Trocadéro, le 30 juin 1905, avec le directeur du journal Le Matin, Bunau-Varilla, une démonstration publique d'expériences de télémécanique. Branly prépare avec soin cet événement, ce qui ne l’empêche pas de publier, quatre jours seulement avant la séance publique, une nouvelle communication à l’Académie intitulée : « Appareil de télémécanique sans fil ». La démonstration est faite le 30 juin dans la grande salle des fêtes du Trocadéro. Des milliers de personnes se disputent l’une des 5000 places que peut contenir la salle. Il y a là les plus hautes autorités de l'Etat, les corps constitués, les ambassadeurs, le haut commandement militaire ainsi que le peuple des faubourgs. Albert de Lapparent, le collègue de Branly à l’Institut Catholique, nous dépeint de façon précise et vivante la démonstration du Trocadéro :

« La conférence, faite avec l’admirable lucidité qui le distingue, et dont le prix est doublé par une simplicité de langage où la droiture de l’homme éclate non moins que la supériorité du savant, a produit une profonde impression. Essayons de décrire les expériences qui ont enthousiasmé le public du Trocadéro, et qui, à un autre âge, eussent sûrement fait accuser de sorcellerie celui qui les avait conçues. Imaginons deux stations, une de départ, l’autre d’arrivée, en communication par la télégraphie sans fil, à l’aide des appareils à antennes que la pratique à définitivement consacrés. A la station d’arrivée se trouvent plusieurs mécanismes qu’il s’agit d’actionner à distance. Dans les expériences de M. Branly, ces appareils étaient : 1°/ un groupe de lampes électriques, qu’on devait allumer ou éteindre ; 2°/ un ventilateur à ailettes, pouvant tourner sous les regards de l’assemblée ; 3°/ un électroaimant, soulevant, lorsqu’il était en action, un boulet de canon, qu’il laissait retomber, quand l’animation cessait, avec un bruit facile à entendre ; 4°/ un pistolet chargé, faisant feu au commandement. Pour mettre ces instruments en action, la station d’arrivée dispose d’un appareil spécial, dont la majeure partie est enfermée dans une grande boîte carrée, à parois de grillage métallique, de sorte qu’on pourrait, si ce n’était pas irrévérencieux, la comparer à un garde-manger. Dans cette boîte sont contenus les instruments, notamment les radioconducteurs, qui doivent recevoir et utiliser l’impulsion partie de la station de départ. La pièce principale de la boîte est un appareil moteur, capable de faire tourner un arbre en bois …, long d’un vingtaine de centimètres, portant cinq garnitures métalliques, isolées les unes des autres, et dont chacune forme une jante circulaire, présentant sur la cinquième partie de sa circonférence, une protubérance marquée… Les choses sont disposées de telle sorte que, quand le moteur électrique fonctionne, le télégraphe automatique sans fil envoie immédiatement, à la station de départ, une dépêche qui s’inscrit sur un rouleau de papier, comme dans l’appareil morse, utilisé par la télégraphie ordinaire… Mais il faut que l’opérateur soit averti du succès de sa mise en action. Pour cela, M. Branly a combiné les choses de telle façon que, aussitôt l’appareil numéro deux en marche, par exemple, un trait particulier, de la plus grande longueur, vient se dessiner à côté des deux traits de la dépêche, laquelle se transforme ainsi en dépêche de contrôle. Cet appareil qu’il ne voit pas, dont cent kilomètres et plus peut-être le séparent, l’opérateur sait maintenant qu’il a obéi à son action. Et il peut l’arrêter tout comme il l’a mis en marche … »

Le succès retentissant de cette manifestation va assurer définitivement la célébrité de Branly. C’était bien le but poursuivi par la comtesse Greffulhe, elle écrit le 9 juillet 1905 : « J’ai eu la joie de pouvoir mettre en valeur M. Branly, l’inventeur, et de faire connaître ses expériences qui étaient totalement inconnues car il est la modestie même. Aussi est-il tout étonné de voir son nom acclamé et des lettres lui parvenir de tout l’Univers. L’idée même de l’accord des substances à travers l’espace n’est-elle pas incomparablement belle ? »

La télémécanique, ancêtre de la télécommande

C’est le 26 mars 1898 qu’Edouard Branly présente pour la première fois la Télémécanique sans fil au cours d’une réunion à l’Institut Catholique. « Je n’ai pas l’intention, dit Branly, de développer aujourd’hui, dans une conférence méthodique, la question de la télégraphie sans fil et de la télémécanique sans fil. Je me propose de vous présenter simplement mes expériences personnelles […] Ma seconde expérience est la première application qui a été faite du tube à limailles, pour des expériences de commande de mécanique à distance, par l’effet d’étincelles : incandescence de fils métalliques ou de lampes électriques, illumination de corps combustibles, explosion de mines ou de pièces d’artifices, actions mécaniques variées telles que le forage de pièces métalliques, élévation ou substantation de fardeaux par électroaimants. Rien n’empêche d’effectuer, l’un après l’autre, ces différents effets au poste d’arrivée, si l’opérateur introduit un tube à limailles successivement dans les circuits qui leur correspondent. Des étincelles que l’on fait éclater l’une après l’autre au poste de départ s’adresseront successivement aux divers circuits à mettre en fonctionnement. Si tous les circuits des divers appareils présentés, en l’état actuel des expériences, avaient été pourvus, au poste d’arrivée, d’un tube à limailles, une même étincelle exercerait son effet sur tous les circuits à la fois et réaliserait d’un seul coup l’action et toutes les actions. Voici un fil de platine de un mètre de longueur, il va devenir incandescent sur la commande de l’étincelle de l’appareil de départ, voici un électro-aimant qui va se mettre en fonctionnement et attirer et maintenir dans le vide un boulet de douze kilogrammes, voici des tubes de Geissler qui vont s’illuminer, un moteur électrique qui va tourner, voici enfin une pièces d’artillerie qui explosera lorsque son dispositif aura été complété par le tube à limailles qui lui manque actuellement […] Ici c’est de la télémécanique sans fils, les effets de l’étincelle au départ, le radioconducteur à l’arrivée permettent d’accroitre presqu’indéfiniment la distance de commande, sans rien perdre de la sûreté et de la précision dans les commandes. »
De façon tout à fait indépendante, Nikola Tesla fait en mai 1899 une démonstration impressionnante de « téléautomatique » devant les membres du Club de commerce de Chicago. Tesla, le père du courant alternatif, est passé maître dans l’art de la mise en scène. Ce jour-là, pour présenter son nouveau dispositif, il fait installer au centre de la grande salle un petit lac artificiel. Du bord du lac, il manipule un appareillage qui envoie des ordres au bateau par l’intermédiaire d’ondes électromagnétiques. Il invite les membres de l’auditoire à lui proposer des manœuvres qu’il exécute grâce à son transmetteur sans fil. Contrairement à Branly, Tesla utilise comme récepteur une simple boucle de Hertz, ce qui limite la portée de la « télécommande »

De son coté, Branly perfectionne son dispositif. Il revient sur la question en 1900 : « Le retard apporté à la vulgarisation de la télémécanique sans fil est lié à des nécessités de sécurité qui ont pour elle une importance exceptionnelle. Il est évident que l’intervention d’étincelles étrangères, souvent peu graves à propos de transmission de signaux, risque de devenir extrêmement dangereuse, voire même périlleuse, pour certains effets commandés. » Ces problèmes seront définitivement contournés lors des expériences de Branly de 1905.


L’expérience de télémécanique du Trocadéro du 30 juin 1905

Dans ses expériences du Trocadéro, Branly montre qu'il est possible, sans aucun lien matériel, de déclencher des actions à distance et de recevoir en retour les compte-rendus de leur exécution. Il peut à volonté et dans un ordre quelconque : mettre en marche ou arrêter un ventilateur ; allumer ou éteindre une rampe d'ampoules électrique ; faire soulever un gros boulet de canon par un électro-aimant, ou le laisser retomber ; faire tirer un pistolet, etc.
Le dispositif de Branly est constitué d’un poste de commandement et d’un poste récepteur. Au poste récepteur se trouve, une roue crantée, qui tourne en synchronisme avec une roue semblable située au poste de commandement, et qui découpe le temps en autant d'intervalles qu'il y a d'actions à commander. Dans chaque intervalle, le poste récepteur envoie un message formé de traits et de points, comme le code Morse, pour indiquer l'état de l'action correspondante (en marche ou à l'arrêt) ; puis le poste se met en réception pendant plusieurs secondes. Lorsqu’il reçoit une onde émise par le poste de commandement, il permute l'état de l'action, d' « arrêt » sur « marche », ou de « marche » sur « arrêt ».

Mais le succès ne monte pas à la tête de notre physicien. Il poursuit ses recherches, son enseignement et ses consultations médicales. Le chemin toutefois continue à être parsemé d’embûches. En 1909, le bail de l’Institut Catholique vient à expiration. Or l’Institut Catholique qui était locataire de l’Archevêché est, depuis la séparation en 1905, de l’Eglise et de l’Etat, locataire de l’Etat. Le bail sera t-il renouvelé ? Branly fait part de son inquiétude à la comtesse Greffulhe. Il craint de devoir quitter son laboratoire « au moment où après beaucoup de peine, [il] commence à être bien outillé ». La comtesse en parle à Alexandre Millerand, qui vient d’être nommé ministre, et l’invite à visiter le laboratoire de Branly pour que ce dernier lui présente ses recherches. Millerand effectue la visite, il écrit lui-même : « J’en suis sorti émerveillé. Ou je m’abuse, ou ce que nous avons vu n’est rien au prix de ce que nous réserve la suite des applications qui seront dues au génie de M. Branly. L’homme est d’ailleurs aussi sympathique que le savant est admirable. Je lui ai dit combien je vous suis reconnaissant de m’avoir permis de constater de mes yeux ces merveilles ». Finalement le bail est signé. Branly remercie la comtesse en ces termes : « Mes remerciements les plus sincères pour un résultat qui me touche tant et que seule votre diplomatie a rendu possible. Si les arts vous doivent beaucoup, la science et les savants ne peuvent oublier le sympathique intérêt que vous leur portez ».

Le prix Nobel… de Marconi et Braun

Dès 1904, Edouard Branly est proposé pour le Nobel, en particulier le rapport de F. Sundell au comité Nobel indique : « […] J'ai l'honneur de proposer le professeur Branly pour au moins une partie du prix Nobel de physique de cette année dans le cas où le Comité déciderait de décerner le prix aux scientifiques qui ont donné à la TSF le niveau qualitatif qui est le sien aujourd'hui ». Mais le prix de physique 1904 sera attribué à Lord Rayleigh, tandis que celui de chimie le sera à Ramsay pour la … même découverte ! (la découverte de l'argon), fait unique dans les annales du Nobel. En 1909, Edouard Branly est de nouveau proposé pour le Nobel de physique. Tallqvist écrit dans son rapport : « …J'ai l'honneur de proposer que le Prix Nobel de physique soit décerné en trois parts égales à E. Branly, G. Marconi, W. Poulsen », mais aucun des quatre français ayant donné leur avis pour le Nobel 1909 (G. Lippmann, G. Darboux, P. Painlevé, H. Poincaré) ne proposa Edouard Branly. En 1909, le Prix Nobel de physique est attribué à Marconi et à Braun « En reconnaissance de leurs contributions au développement de la télégraphie sans fil ». Il semble que, initialement, c'est à Marconi et Branly qu'était destiné le Prix. On a souvent considéré que la non attribution du prix Nobel de physique de 1909 venait du « veto des membres de l’Institut, d’anciens condisciples de Normale, qu’il tutoie ». C’est oublier qu’en 1909, le mathématicien Mittag-Leffler faisait une campagne énergique pour l’attribution du prix à son ami Henri Poincaré (Poincaré avait d’ailleurs déjà été proposé pour le prix en 1904, 1906 et 1907). Mittag-Leffler obtient de nombreuses signatures, dont, côté français, celles de Andoyer, Appell, Boussinesq, Brillouin, Marie Curie, Darboux, Duhem, Painlevé (on notera également celle de Marconi). Par ailleurs, pour faire diversion, Mittag-Leffler fait officiellement campagne pour les frères Wright (Wilbur et Orville) qui, avec le développement « du plus lourd que l’air » ont fait entrer l’humanité - le 17 décembre 1903 - dans l’ère de l’aviation. Mittag-Leffler écrit : « Nous avons signé avec Poincaré et vous [notre proposition] du « plus lourd que l'air ». Parmi les quatre français qui ont donné leur avis pour le Nobel 1909, trois sont mathématiciens, suivant les conseils de Mittag-Leffler, Poincaré et Painlevé ont proposé le prix pour les frères Wright tandis que Darboux et Lippmann ont soutenu Poincaré. Notons que dans son rapport le comité Nobel commente les propositions en faveur de Poincaré et de l'aviation. Concernant Poincaré, il est indiqué que « [bien que] la proposition qui a été faite soit indubitablement digne de toute attention […] le comité ne pense pas, pour le moment, devoir lui accorder la priorité. » Quant au plus lourd que l’air le rapport considère que la proposition en faveur de l'aviation ne peut pas être retenue car « cette découverte, dans son état actuel, ne peut guère présenter, pour l'humanité, l'utilité envisagée par les statuts de la Fondation Nobel » ( ! ) Edouard Branly est de nouveau proposé en 1915 pour le Nobel, mais de nouveau sans succès.

L’Académie : Edouard Branly ou Marie Curie

Le 1er novembre 1910, l’Académie des sciences annonce la mort du physicien Désiré Gernez, qui avait été élu le 25 juin 1906 au siège qu’avait occupé Pierre Curie. Les collègues et amis de Marie Curie l’encourage à poser sa candidature à la place laissée vacante. Rien, en effet, dans le règlement de l’Institut n’exclut les femmes. Dès ce mois de novembre 1910, certains académiciens voient en Edouard Branly un candidat potentiel à la mesure de l’élection qui s’annonce. Branly avait auparavant été deux fois candidat malheureux. La première fois en novembre 1908 contre Edmond Bouty et la seconde en décembre 1908 contre le chimiste Paul Villard, découvreur en 1900 du rayonnement gamma. Analysons les circonstances de cette élection.

Après le prix Nobel reçu en 1903 « En reconnaissance des services extraordinaires qu’ils ont rendus par leur recherche conjointe sur le phénomène de radiation découvert par le professeur Henri Becquerel », Pierre et Marie Curie poursuivent leurs travaux sur la radioactivité en général et sur le radium en particulier. Le 3 juillet 1905, Pierre Curie entre à l’Institut, il écrit à Georges Gouy : « Je me trouve être à l’Académie sans l’avoir désiré et sans que l’Académie ait désiré m’avoir ». Moins d’un an plus tard c’est le drame : « Le 19 avril 1906, indique Marie Curie, il assistait à la réunion de l’Association des Professeurs des Facultés des Sciences, avec lesquels il s’entretenait très cordialement des buts que pouvait se proposer l’association. En sortant de cette réunion, à la traversée de la rue Dauphine, il ne put éviter un camion qui venait du PontNeuf, et tomba sous les roues. La contusion à la tête fût instantanément mortelle et ainsi fût détruite l’espérance que l’on pouvait fonder sur l’être merveilleux qui venait de disparaître ». Le 13 mai 1906, le Conseil de la Faculté des Sciences décide de maintenir la chaire de Pierre Curie et d’attribuer à Marie la charge de son enseignement. Marie Curie devient la première femme professeur à la Sorbonne. En 1910, peu avant sa candidature à l’Académie des sciences, elle publie un « traité de la radioactivité ». A cette époque, Marie Curie est membre étranger de cinq Académies, membre de très nombreuses sociétés savantes et a reçu onze prix, dont le plus prestigieux, le prix Nobel. Toutefois, elle ne tient pas particulièrement à devenir membre de l’Académie des sciences de Paris, sans doute se souvient-elle des commentaires de son mari lorsqu’elle écrit à Georges Gouy en novembre 1910 : « Je ne tiens pas particulièrement à être de l’Institut, je tiens encore bien moins à me faire refuser par une institution qui ne me séduit en aucune façon ». Dans la même lettre, elle fait part de sa crainte : « Je me méfie d’ailleurs beaucoup de M. Branly, car il sera soutenu par les cléricaux qui sont très forts pour ce genre de combinaisons… » Georges Gouy répond à Marie Curie en parlant de ses craintes sur Branly : « Il aura contre lui l’élément avancé et l’élément universitaire de l’Académie, qui ne lui pardonnent guère d’avoir abandonné la Sorbonne jadis pour la Faculté Catholique. »

Un autre élément essentiel intervient dans cette élection. Depuis sa création en 1666, aucune femme n’a été candidate à l’Académie des sciences et même aucune femme n’a été admise dans l’une des cinq Académie qu’abrite l’Institut de France. Le journal Le Matin résume bien la situation dans un article du 15 novembre 1910 consacré à Marie Curie : « Ses travaux ne lui ont créé que des admirateurs mais son sexe lui crée des adversaires ».

Le 27 décembre 1910, la section physique de l’Académie des sciences se réunit pour choisir ses candidats. Marie Curie est présentée en première ligne. Le 4 janvier, la séance plénière de l’Institut déclare que « consulté sur la question de l’éligibilité des femmes à l’Institut, [elle ne se reconnaît pas] le droit d’imposer sa décision aux diverses Académies prises individuellement ». Fort de cette non décision, l’Académie des sciences peut poursuivre la préparation de l’élection. Lors de sa séance du 16 janvier, Gabriel Lippmann défend Marie Curie, Emile Amagat défend Daniel Berthellot, Louis Violle défend Edouard Branly, Paul Villard défend André Broca, Edmond Bouty défend Aimé Cotton ! Par ailleurs, sur une suggestion d’Henri Poincaré, le nom de Marcel Brillouin est ajouté (Marcel Brillouin n’habitant pas Paris son éligibilité n’allait pas de soi, du reste il n’était pas candidat). La presse s’empare de cette élection, les passions se déchaînent : d’un coté les anti-cléricaux tirent à boulets rouge contre Branly, de l’autre les misogynes et les xénophobes traînent Marie Curie dans la poussière. Seul le quotidien Gil Blas reste, dans cette querelle indigne, au-dessus de la mêlée. On peut y lire le 23 janvier, jour de l’élection, « Il est aussi faux de soutenir que Mme Curie n’a rien fait en dehors de son mari que de dire que le Dr. Branly est étranger à la découverte de la radio ». En ce jour de vote, le service d’ordre a été renforcé à l’Académie des sciences. Il faut dire qu’en cet après-midi d’élection une foule inhabituelle de curieux s’amasse aux portes de l’Institut. D’emblée le ton est donné : le président, Armand Gautier, dit aux huissiers en ouvrant la séance : « Laissez entrer tout le monde, les femmes exceptées ». Le scrutin compte cinquante-huit votants. Au premier tour Edouard Branly recueille vingt-neuf voix, Marie Curie vingt-huit et Marcel Brillouin une voix. Une voix manque pour Branly et le second tour s’annonce indécis. Finalement Edouard Branly est élu avec trente voix, contre vingt-huit pour Marie Curie.

Il ne faudrait pas conclure de cette élection médiatisée à une opposition entre les deux savants. Branly dira lors d’une interview au journal gaulois : « J’ai moi-même une grande admiration pour Mme Curie ». Rappelons, par ailleurs, qu’il avait obtenu conjointement avec Pierre Curie le prix Osiris de cette Académie qui lui ouvrait ses portes. Gabriel Lippmann, alors vice-président de l’Académie des sciences dira : « Des agitations inutiles ont transformé en débat public une question purement scientifique. On a accusé à tort les amis du remarquable professeur qu’est Mme Curie, dont la modestie et le désintéressement sont absolus. Et une gêne véritable a pesé sur cette élection, je le déplore sincèrement. Mais les titres de M. Branly, assurément éminents, n’en sont pas moins reconnus de nous tous. Nous nous réjouissons de cet hommage à la science qu’il représente et comptons simplement qu’à la prochaine vacance Mme Curie triomphera, cette fois sans polémique, en vertu de son seul et grand mérite ». Mais Marie Curie ne se représentera jamais à l’Académie des sciences. Elle est toutefois élue en 1922 (mais sans avoir fait campagne) membre de l’Académie de médecine. Ce n’est qu’en 1962 que Marguerite Perey sera admise membre correspondant de l’Académie des sciences. Ironie de l’histoire ou reconnaissance tardive, Marguerite Perey a fait ses débuts dans le laboratoire de Marie Curie et a découvert en 1939 un nouvel élément, le francium. La première femme à devenir membre à part entière de l’Académie des sciences est Yvonne Choquet-Bruhat en … 1979. L’Académie des sciences est néanmoins la première Académie à admettre en son sein une femme. Elle allait être suivie l’année suivante par l’Académie française qui accueille en 1980 Marguerite Yourcenar dans son hémicycle.


Le jugement de Marie Curie

Marie Curie, dans son autobiographie, relate les circonstances de sa candidature : « Plusieurs de mes collègues me persuadèrent d’être candidate pour l’élection à l’Académie des sciences de Paris à laquelle mon mari a appartenu durant les derniers mois de sa vie. J’hésitais beaucoup car cela imposait, suivant l’usage, de faire un grand nombre de visites aux membres de l’Académie. Cependant j’acceptais finalement de me porter candidate à cause des avantages que pourraient avoir mon élection pour mon laboratoire. Ma candidature provoqua un vif intérêt dans le public, essentiellement parce que cela soulevait le problème de l’élection des femmes à l’Académie. Beaucoup d’académiciens y étaient opposés par principe et lorsque le scrutin arriva j’avais moins de voix qu’il était nécessaire. Je ne souhaitais même plus renouveler ma candidature à cause de mon fort dégoût pour les sollicitations personnelles que cela impose. Je crois que de telles élections devraient être fondées entièrement sur une décision spontanée, sans l’implication d’aucun effort personnel, comme c’était le cas pour de nombreuses Académies et Sociétés qui me nommèrent membre sans la moindre demande ou initiative de ma part ».


Un nouveau laboratoire

Branly est nommé doyen de la Faculté des sciences de l’Institut Catholique. Nous sommes en 1914, la guerre éclate. Branly continue ses cours et ses recherches dans son laboratoire qui se transforme en glacière l’hiver. En juillet 1915, il réalise « un nouveau procédé de télégraphie optique », ce nouveau procédé utilise l’infrarouge et l’on réussi à transmettre ainsi des signaux sur une distance de 20 kilomètres.

Une anecdote montre bien la grande popularité de Branly. Le périodique Science et Voyages organise, en 1920 un concours auprès de ses abonnés en leur demandant quels étaient les cinq plus grands savants et les cinq plus grandes découvertes contemporaines. Branly et la TSF arrivèrent largement en tête. Branly était le premier des cinq plus grands savants devant M. Roux (de l'Institut Pasteur), H. Vincent (du Val-de-Grâce), D. Berthelot (célèbre chimiste de l'Ecole de Pharmacie) et A. Carrel (prix Nobel de médecine 1912). La TSF précédait d’autres grandes découvertes comme l’avion, les rayons X, la vaccination contre la fièvre typhoïde et la découverte du radium. Mais ce dont Branly avait besoin, bien plus que de gloire, c’était d’un laboratoire. À partir des années 1920 plusieurs souscriptions sont lancées pour doter Branly d’un laboratoire digne de ce nom, mais sans succès. Elles permettent toutefois de recueillir des fonds bien utiles au fonctionnement du laboratoire. En 1921, c’est le journal L’Echo de Paris qui lance une souscription. La comtesse Greffulhe écrit à Branly : « Ma pensée de toujours s’est réalisée en une souscription nationale en votre honneur, j’envoie ma modeste contribution à L’Echo de Paris ». Les principaux donateurs sont les frères Rothschild, Alexandre Millerand - alors Président de la République – et la banque de France. D’autres soutiens arriveront parvenant entre 1921 et 1927, du Radio-Club de France, de la société des amis de la TSF, du conseil municipal de Paris et d’autres. En 1923, Branly est nommé commandeur de la Légion d’Honneur, mais n’a toujours pas le laboratoire de ses rêves.

Edouard Branly, membre de l’Académie Royale de Belgique depuis 1910, a l’habitude de se rendre une fois par an à Bruxelles à l’occasion d’une réunion de cette Académie. Le Roi Albert et la Reine Elizabeth, qui ont toujours porté aux sciences un intérêt particulier, invitent à cette occasion Branly et sa femme, soit au Palais, soit au château Laeken, le plus souvent avec la comtesse Greffulhe qui est dame d’honneur de la Reine. Le dimanche 24 avril 1927, les époux Branly quittent Paris en début d’après-midi pour rejoindre Bruxelles par le train. Ils arrivent un peu avant le dîner et s’installent dans une pension de famille. La soirée se passe bien, mais vers cinq heures du matin, Marie Branly se lève suite à un léger malaise qu’elle ressent et qu’elle attribue à une digestion difficile. Elle s’assoie dans un fauteuil, tandis qu’Edouard Branly, pensant à une indisposition légère se rendort. Au réveil, vers huit heures du matin, il trouve sa femme dans la même position que trois heures plus tôt et doit faire face à la terrible réalité : sa femme est morte ! A quatre-vingt deux ans, il se retrouve seul, loin de chez lui, désemparé. La Reine Elisabeth vient elle-même lui présenter ses condoléances et lui apporter un peu de soutien dans cette terrible épreuve. On imagine la tristesse infini du vieux savant lorsqu’il rentra chez lui et franchit le seuil de son appartement où plus rien ne serait comme avant. Il décide néanmoins de rester dans ce grand appartement, seul au milieu de ces souvenirs. Quelques mois plus tard, sous le poids de la solitude, il renonce à vivre seul et s’installe chez sa fille cadette Elisabeth et son gendre Paul, boulevard du Montparnasse, non loin de l’Institut Catholique. Mais avec leur deux filles, Florence et Marion, l’appartement se révèle vite inadapté et le couple déménage pour s’installer dans un appartement au 87 boulevard Saint Michel, presqu’en face de l’Ecole des Mines. Edouard Branly y a sa pièce et se recrée un petit univers avec les meubles qu’il a toujours possédés. En traversant le jardin du Luxembourg, il peut rejoindre à pied son cher laboratoire.

Le couple royal belge et Einstein

C’est le lundi 20 mai 1929 qu’Einstein fait la connaissance de la reine Elisabeth de Belgique. La reine est une artiste aux idées libérales. Einstein arrive avec son violon et la reine joue avec lui, puis ils prennent le thé sous les marronniers, font une ballade dans le parc et dînent en toute simplicité. Quelques jours plus tard, elle écrit à Einstein : « Ce fut pour moi un moment inoubliable de vous voir descendre des sommets de vos connaissances pour me donner un aperçu de votre ingénieuse théorie ». Le roi Albert (en visite en Suisse ce 20 mai) s’intéresse également aux arts et aux sciences. Par la suite, les Einstein seront reçus de nombreuses fois par le couple royal dans leur château de Laeken. En 1933, ils trouveront un temps refuge en Belgique au Coq sur mer. Einstein, menacé de mort, est protégé par deux gardes du corps. Le roi Albert lui écrira, en juillet 1933 : « Nous sommes très heureux que vous vous soyez établi sur notre sol. Il y a des hommes qui, par leurs travaux et leur envergure intellectuelle, appartiennent à l’humanité plutôt qu’à un pays et pourtant le pays qu’ils choisissent comme asile en tire une grande fierté. »


En 1928, Branly écrit à son fils : « Je travaillerais sans difficulté d’une façon avantageuse si les conditions inimaginables dans lesquelles se trouve mon laboratoire permettaient d’y réaliser des expériences profitables… » Le recteur de l’Institut Catholique, Monseigneur Baudrillart, qui avait en 1916 prit l’engagement de laisser à Branly (qui a alors 72 ans) la jouisance de son laboratoire sa vie durant, lui rappela en 1930 que s’il était resté à la Sorbonne il serait depuis longtemps à la retraite et ajoutait « Mieux vaut tout de même avoir un laboratoire imparfait que pas de laboratoire du tout ».

Depuis le début des années 1920, comme nous l’avons vu plus haut, des souscriptions sont lancées pour offrir à Branly le laboratoire dont il a tant besoin, mais elles se révèlent toujours insuffisantes. Au début 1929, Branly est contacté par Pierre Jacques qui se propose de réunir des fonds pour la construction du futur laboratoire. Branly, dans son invitation à lui faire visiter ses locaux actuels lui écrit : « Si vous pouviez passer prochainement au laboratoire, je serais bien aise de vous parler de mes travaux. Je pourrais en effet vous montrer mes grandes difficultés d’expériences par les tremblements du sol ». C’est un point sur lequel Branly a insisté de nombreuses fois : la proximité de son laboratoire avec la rue de Vaugirard très passante engendrait des vibrations qui gênaient terriblement ses expériences si délicates, il parlait de son « laboratoire branlant ». Pierre Jacques publie dans l’Ami du Peuple un reportage sur les conditions de travail de Branly et demande peu de temps après des renseignements techniques plus précis à notre savant, lequel lui répond : « Dans mon laboratoire ( ?) qui se trouve privé de tout personnel et dont le matériel est insuffisant, je ne puis faire aucune expérience qui me permette de répondre à vos questions. La sympathie que m’a toujours montrée l’Ami du peuple et vous-même, me fait regretter de n’être pas en mesure de vous renseigner ». Pierre Jacques a l’idée de parler du projet à son patron.

François Coty naît à Ajaccio, devient un parfumeur célèbre et fait fortune. Personnage complexe et multiple, il écrivait sur sa carte de visite : « François Coty, artiste, industriel, technicien, économiste, financier, sociologue ». En 1922, il achète Le Figaro, qu’il laisse en 1928 au profit de l’Ami du peuple. Ami des arts, des sciences et des techniques, François Coty fait œuvre de mécénat : il a financé de nombreuses expositions ainsi que la traversée de l’atlantique en avion par Costes et Bellonte. En juillet 1929, Pierre Jacques profite d’une invitation de François Coty dans son château de Louvecienne pour l’entretenir du besoin de Branly de disposer d’un laboratoire digne de ce nom. Coty accepte volontiers de venir en aide au grand savant. Il lui écrit en décembre 1929 la note suivante : « En mettant sous ce pli la contribution qui vous est destinée, je ne fais que me libérer un peu de l’immense dette que le monde entier se sent envers vous ». L'emplacement du nouveau laboratoire doit tout naturellement se situer dans l’Institut Catholique de Paris dont les murs étaient les témoins de la plupart des travaux scientifiques du physicien. Il est aussi entendu, aux termes des réserves faites par le donateur, que le laboratoire deviendrait à la mort du savant un Musée, et que d'emblée une des pièces principales serait aménagée avec des vitrines destinées à recevoir un grand nombre d'appareils conçus lors des découvertes. L’architecte Paul Tournon, gendre d’Edouard Branly, va être le concepteur et le réalisateur de ce laboratoire. Selon ses propres termes : « Un laboratoire est un être vivant dont le cerveau est le savant ; les divers fluides, le sang ; et les muscles, les moyens mécaniques mis à la disposition de l'expérience. L'architecte à qui incombe la redoutable charge de concevoir et de réaliser un laboratoire doit, sans négliger quoi que ce soit de sa construction et de ses installations, compter pour déterminante l'atmosphère qu'il y aura créée. C'est elle qui donnera au savant, à son insu sans doute, la joie de vivre, et facilitera son effort en le mettant dès la porte franchie dans l'état de grâce d'un beau jour ». Dès le début du projet Branly exprime son souhait de toujours : « Donnez-moi une petite pièce de travail et le moyen d'avoir des appareils assez stables pour que mon galvanomètre puisse me servir à quelque chose ». Paul Tournon, naturellement, prend en compte le souhait d’Edouard Branly et dispose quatre piliers fondés directement sur la roche à 12 m de profondeur et totalement indépendants du reste de la construction. Ces piliers supportent des tables de travail et leur conférent une très grande stabilité. Branly souhaite également disposer d’une salle isolée électriquement et radioélectriquement. L'architecte imagine pour cela une salle de cuivre fermée hermétiquement par des hublots. Cette cage de Faraday dispose également de tables aux fondations spéciales. Paul Tournon achève de faire les plans du nouveau laboratoire en janvier 1931 et l’édification du bâtiment commence en 1932.

A quatre-vingt sept ans, Edouard Branly peut enfin entrer en possession d’un beau laboratoire, qu’il attend depuis cinquante sept ans ! L’inauguration officielle a lieu à la mi novembre 1932 à l’occasion de la rentrée universitaire de l’Institut Catholique. Le recteur remercie François Coty « de son don royal grâce auquel M. Edouard Branly va avoir un laboratoire digne de lui ». « Le temps n’est plus, indique Coty, où un beau projet réunissait nos pensées et nos souvenirs. Voici l’œuvre réalisé. Elle a sa place au soleil. Elle fait grand honneur à l’architecte qui l’a conçue avec autant de science que d’art ». Peu de temps après, le 16 janvier 1933, Branly est fait grand officier de la Légion d’Honneur. Malgré son âge, notre physicien se rend chaque jour au laboratoire. En août 1934, il a le plaisir de recevoir une visite inattendue, celle de Sara Delano Roosevelt, la mère du président des Etats-Unis. L'origine de cette visite est due à la comtesse Greffulhe. Elle avait parlé avec chaleur du tout nouveau laboratoire d'Edouard Branly à madame Roosevelt, tant et si bien que cette dernière a voulu découvrir par elle-même ce laboratoire flambant neuf que l'illustre savant avait dû attendre si longtemps. Branly travaille alors sur l’élaboration d’un thermomètre très fiable. Il remplace pour cela la base du thermomètre, ordinairement constitué par une petite ampoule de verre, par une petite ampoule métallique. La température donnée par différents thermomètres de cette construction présentent une très faible dispersion, contrairement à ce qui se passait pour les thermomètres classiques de l’époque. Branly, à son habitude, décrit son invention dans un compte rendu à l’Académie des sciences intitulé « Thermomètre à base métallique ». Cette publication, datée du 23 décembre 1935, sera la dernière de Branly qui est alors dans sa quatre-vingt onzième année et qui a fabriqué de ses mains ce nouveau thermomètre.

Dernières années

Le vieux savant reçoit de nombreuses récompenses. C’est ainsi qu’on lui décerne, en mars 1936, la médaille d’or de l’Union littéraire et que le Conseil municipal de Paris décide, le 16 janvier 1938, de donner le nom de Branly à un tronçon de voie du Champ de Mars. « Paris s’honore, dit le représentant du conseil municipal, de rendre hommage à l’illustre savant qui a porté si haut le renom de la science française et qui unit au génie toute la gloire d’une vie exemplaire de simplicité, de labeur opiniâtre et de noble désintéressement ». Mais, il faut bien le dire, il s’agit d’une voie quelque peu fantôme, placée au milieu du Champ de Mars, ce qui fait dire à Branly : « Si je vous comprends bien, la tour Eiffel a changé d’adresse et c’est moi qui suis devenu son concierge ! » L’attribution d’une voie de son vivant est toutefois un honneur rarissime. Finalement le 30 janvier 1941, après la mort du savant, le préfet de la Seine attribuera le nom de Branly à la partie du quai d’Orsay située entre le pont de l’Alma et le boulevard de Grenelle, partie symbolique autant que prestigieuse puisqu’elle passe devant la tour Eiffel, sauvée de la destruction par son rôle d’émetteur radio !

En octobre 1938, Branly part fêter l’anniversaire de ses quatre-vingt quatorze ans à Amiens, où le maire de la ville a organisé une cérémonie en son honneur. Mais le paysage s’assombrit. Comme l’indique sa fille Elisabeth : « Après l’alerte de 1938, les nuages précurseurs de guerre s’accumulent de plus en plus et nos inquiétudes aussi ». L’inévitable arrive en septembre 1939 : la déclaration de guerre, le troisième conflit auquel Branly assiste. Malgré son âge, notre physicien veut se rendre utile : « On peut bien m’utiliser pour des services médicaux, des recherches scientifiques, n’importe quoi, pourvu que je ne reste pas inutile dans mon coin » dit-il. Mais la famille Tournon se voit offrir une hospitalité généreuse loin de la capitale, qu’elle accepte compte tenu de la diminution des forces du savant. « Une fois la décision prise, raconte sa fille Elisabeth, une voiture spacieuse et un bon chauffeur arrêtés, mon mari, mes filles et moi, partons avec mon père dans le Limousin, au château de Lajudie, où nous sommes affectueusement attendus. Le capitaine de corvette Charles de Lajudie, sa femme et ses enfants, depuis l’an passé, ont prévu l’arrivée de Branly ; sa chambre confortable donnant sur un parterre de sauges éclatantes est prête. Aussi, après un excellent voyage se déclare-t-il très satisfait. Pendant quatre mois, le savant jouira de la nature, de la beauté des lieux, de la gaîté de ses petites filles, Florence et Marion, et de leurs jeunes amis Paulette et Pierre de Lajudie. Le 24 octobre, on fête ses quatre-vingt quinze ans. Des journalistes arrivent en auto de Paris pour l’interviewer, et lui faire des vœux. Cependant à la fin de décembre c’est le retour à Paris où, hélas, le froid est presque aussi sévère que celui du Limousin. Le savant, malgré toute l’ingéniosité de ses enfants pour le ragaillardir, sent peu à peu le découragement l’envahir, un découragement moral implacable. Ne plus pouvoir travailler ! Son laboratoire est fermé ; son préparateur Gauthier mobilisé et on l’entend murmurer : Si je ne puis plus travailler, à quoi bon vivre ? Janvier et février sont mornes. Elisabeth Branly-Tournon évoque la suite : « Au début mars mon père surmonte une grippe et, de l’avis du professeur Sergent qui le soigne, semble devoir se remettre. Le Jeudi Saint, l’abbé Paul Buffet le prépare à recevoir ses Pâques à la maison. Il se sent bien et bavarde à cœur ouvert avec moi. Mais voici le vendredi matin, mon père faiblit ; il m’appelle, et après m’avoir attirée à lui, me demande de ne pas le quitter. Une angoisse affreuse me saisit, je ne puis mesurer ma peine. Pendant deux jours, une lutte sourde s’engage entre une constitution particulièrement vigoureuse et la mort. Branly résiste, les yeux clos, entouré de tous ses enfants et petits enfants. Il s’éteindra le dimanche de Pâques, 24 mars, au dernier rayon de soleil. » Par un curieux concours de circonstances, il se produit ce jour-là un orage magnétique d’une rare violence. Cet orage magnétique entraine la coupure des communications par ondes courtes entre les Etats-Unis et l’Europe et perturbe très sérieusement les communications par grandes ondes. Les services des transmissions télégraphiques sont également interrompus, les lignes électriques sont gravement perturbés, des aurores boréales sont observables à des latitudes inhabituelles. Certains y ont vu « des signes du ciel ».

Dès 21 heures la radio annonce la triste nouvelle : « Branly n’est plus ». Le lendemain, dès le début de la matinée, les grands dignitaires viennent s’incliner devant la dépouille du savant. C’est d’abord le Président de la République, puis le ministre du Commerce et de l’Industrie, le Secrétaire d’Etat à la marine, les hauts fonctionnaires et de nombreuses autres personnalités. Trois jours plus tard, le jeudi matin, le corps de Branly est transféré dans son laboratoire de l’Institut Catholique, transformé en chapelle ardente. C’est Monseigneur Baudrillart, la voix étranglée par l’émotion qui accueille le cercueil. Le peuple de Paris rend un dernier hommage à son grand savant qu’il admirait tant. Les gens se pressent devant l’Institut Catholique : « Jamais, dit sa fille Jeanne, je n’ai vu, dans aucune occasion, une foule plus patiente et plus recueillie, et je n’ai jamais vu une foule plus variée. Les gens du quartier, des plus humbles aux plus notoires, sont tous allés prier, ou au moins s’incliner devant le cercueil ». Les télégrammes de sympathie viennent des quatre coins du monde. Le cardinal Maglione, secrétaire d’Etat du Vatican, transmet à Monseigneur Baudrillart ce message : « Sa Sainteté, connaissant les liens qui unissent Votre Excellence au grand savant Edouard Branly, me charge de vous exprimer ses paternelles condoléances pour la disparition de l’illustre défunt. Il offre ses prières pour le repos de son âme. J’ajoute mes vives condoléances personnelles. » Il y a aussi ce message de Marie-Christine Marconi, veuve de Guglielmo Marconi : « Je vous prie de bien vouloir interpréter auprès de la famille d’Edouard Branly et des institutions scientifiques françaises, mes très vives condoléances pour la perte du grand savant. »

Le gouvernement décide de lui faire des obsèques nationales. La cérémonie est fixée au samedi 30 mars 1940 à 10 heures du matin à Notre-Dame de Paris, dans une France encore libre. Le ciel est gris et bas, une pluie drue tombe sur la ville. Cela ne fait pas reculer la foule, bien décider à rendre un dernier hommage à son savant. Le bourdon de la cathédrale sonne le glas puis les orgues retentissent. Le Président de la République, Albert Lebrun, est accueilli par le cardinal Verdier. Il prend place au premier rang, face à la bière recouverte d’un drap tricolore. La messe est dite par Monseigneur Marmottan, évèque de Saint-Dié. Grâce à la radio découverte par Branly, elle peut être suivie partout en France, jusqu’au front où se déroule la « drôle de guerre ». La cérémonie s’achève, la pluie a cessé, il fait maintenant presque beau. Le cercueil est porté sur le parvis au son de la Marche funèbre de Chopin. Albert Sarraut, alors ministre de l’Education nationale, prend la parole : « Pour un instant la grande anxiété humaine s’est détournée du drame de la guerre, afin d’incliner sa piété sur l’humble lit de mort où l’illustre savant, dont la découverte apportait au monde une éblouissante espérance de fraternité, s’est endormi dans le silence austère de sa désillusion, mais aussi dans la sérénité infinie de sa conscience et de sa foi. » Après le défilé des troupes de la garnison de Paris devant le cercueil, le cortège funèbre s’ébranle, sa famille proche et quelques amis l’accompagnent à sa dernière demeure, le caveau de famille situé au père Lachaise, où repose déjà Marie, sa tendre épouse.

Le 24 novembre 1940 le cinquantième anniversaire de la découverte de l’effet Branly est célébré. Une cérémonie a lieu à l’Institut Catholique et une plaque de marbre est apposée sur le mur extérieur de l’ancien laboratoire, rue de Vaugirard. Quinze ans plus tard, en 1955, Monseigneur Blanchet, Recteur de l’Institut Catholique de Paris, prend la décision de créer une école répondant aux besoins de l’industrie électronique alors naissante. L’abbé Valentin est chargé d’assurer le démarrage de cette nouvelle école, l’Institut Supérieur d’Electronique de Paris (ISEP), appelée « Ecole Branly ». La direction de l’école est rapidement confiée à un polytechnicien, l’abbé Jean Vieillard. L’école est fondée sur les lieux même du laboratoire d’Edouard Branly. Le nom du grand savant est ainsi perpétué. Ainsi que le dira le 24 mars 1960, le duc de Gramont, membre de l’Académie des sciences et président de l’Institut d’optique, lors des cérémonies commémoratives du vingtième anniversaire de la mort du savant : « Rendre hommage à Edouard Branly qui par son œuvre, sa modestie, son labeur persévérant, son désintéressement, sa probité scientifique, compte parmi les meilleurs fils de notre pays, c’est montrer à notre jeunesse quelles ressources profondes la France peut tirer de la vie de ses grands hommes passés et présents ». Deux ans plus tard, le 24 mars 1962, un buste de Branly, œuvre du sculpteur Sarrabezolles, est inauguré au jardin du Luxembourg, près de la porte de la rue de Fleurus, à quelques centaines de mètres du laboratoire où le savant a passé toute sa vie.

Le Musée Branly

Le Musée Branly est situé dans les locaux de l’Institut Catholique, rue d'Assas, dans le sixième arrondissement de Paris. On peut voir dans les vitrines du Musée, une partie des instruments décrits dans les ouvrages de Branly. On y découvre également la fameuse salle de cuivre. Le site Internet du Musée ( HYPERLINK "http://museebranly.isep.fr" http://museebranly.isep.fr) permet de faire une visite virtuelle et de découvrir les différents appareils exposés. Par ailleurs, un catalogue très agréable à lire Musée Branly, appareil et matériaux d'expériences, Association des Amis d'Edouard Branly (1997), permet de découvrir de façon plus approfondie les instruments présentés.




 Edouard Branly est déclaré admissible le 11 août 1864, il n'a pas encore 20 ans (il les aura le 23 octobre 1844). L'Ecole Polytechnique imposait alors l'âge limite de vingt ans pour être élève.
 Normale, Edouard Herriot, Nouvelle société d’édition, 1932.
 Epoque qui correspond à peu près aux années Pasteur puisqu’il fût responsable de l’administration et directeur des études scientifiques de 1857 à 1867.
 Charles Hermite est professeur à l’Ecole Normale Supérieure, à Polytechnique, à la Sorbonne ainsi qu’au Collège de France. Il démontre la transcendance du nombre e et résout l’équation du 5e degré. On lui doit également la notion « d’espace hermitien » qui trouvera plus tard d’importantes applications en mécanique quantique.
 Il y avait à l’époque cent un élèves pour les trois promotions réunies. Branly faisait partie des non « signataires » de la lettre, estimant cette agitation inutile et gênante pour le travail.
 Etienne Arago est, avec Maurice Alhoy, le fondateur du journal "Le Figaro".
 Dans les classes préparatoires aux Grandes Ecoles se déroule chaque semaine des "interrogations" (encore appelé dans le jargon de ces classes des "colles") dans chaque matière scientifique. A partir d'un programme identifié (correspondant aux derniers cours donnés par le professeur), les interrogateurs (ou "colleurs") font passer un oral aux élèves, généralement sous forme d'exercices. Ce système permet la préparation à l'oral des concours.
 La thèse d’Edouard Branly porte la dédicace suivante : « A la mémoire de M. Edouard Desains. A mon maître, M. Paul Desains ». Notons d'une part qu’il s’agit de la première thèse française sur le potentiel électrique, d'autre part qu'au début des années 1870 on ne compte que trois ou quatre thèses de sciences physiques par an à Paris.
 Mon père Edouard Branly, Jeanne Terrat-Branly, Ed. Corrêa, 1947.
 Alfred Baudrillart, qui deviendra en 1907 recteur de l’Institut Catholique de Paris, était également normalien, ce qui a fait dire à Edouard Herriot, lorsqu’il prononca son éloge lors de sa succession à l’Académie française : « L’Ecole a fourni des recrues pour toutes les carrières : écrivains, poètes, auteurs dramatiques, critiques (en abondance), diplômates, explorateurs, poltiques et même des professeurs. Elle a aussi formé des prêtres… »
 Maurice le Sage d’Hauteroche d’Hulst (1841-1896) deviendra, en 1881, le premier recteur de l’Institut Catholique de Paris, le Pape Léon XIII le fera prélat.
 Branly indique dans ses notes manuscrites qu'il va être amené à quitter en 1875 "l'Université d'Etat pour entrer à l'Université Catholique en formation où une belle installation appropriée à ses recherches personnelles lui est promise."
 C’est ainsi par exemple que les Congrès scientifiques internationaux des catholiques y seront fondés en 1888.
 Il sera membre (1882) puis président de l’Académie de médecine (1912).
 Branly au temps des ondes et des limailles, Philippe Monod-Broca, Belin, 1999.
 Nous ne développons ici ni le contexte de la physique de l’époque, ni la découverte elle-même qui font l’objet, respectivement, des chapitres 2 et 3.
 C’est-à-dire les rayons ultraviolets.
 Branly transférera son cabinet médical en 1913 dans une rue voisine, la rue Andrieux. Il y poursuivra ses consultations jusqu’en 1916.
 Alexandre Millerand (1859-1943) avait été ministre du Commerce et de l’Industrie entre 1899 et 1902. Il deviendra ministre des Travaux publics de 1909 à 1910 ; ministre de la Guerre en 1912 et 1913 puis de 1914 à 1915 ; Président du Conseil en 1920 et Président de la République de 1920 à 1924.
 Les citations Nobel sont rédigées ainsi : le prix Nobel de physique est attribué à Lord Rayleigh « Pour ses études sur la détermination de la densité des plus importants des gaz et pour sa découverte de l’argon », le prix Nobel de chimie est attribué à Ramsay « En reconnaissance de ses services dans la découverte des éléments gazeux inertes de l’air et la détermination de leur place dans le tableau périodique des éléments ».
 Signalons que quelques mois plus tard, toujours en 1911, la presse à sensation étale la liaison existant entre Marie Curie et Paul Langevin. Le scandale retombe à l’annonce de l’attribution à Marie Curie d’un deuxième prix Nobel, de chimie cette fois, « en reconnaissance de la part active qu’elle a prise dans le développement de la chimie par la découverte des éléments, le radium et le polonium, par la détermination des propriétés du radium et par l’isolement à l’état métallique du radium, enfin, par ses expériences au sujet de cet élément remarquable » (Marie Curie est la seule femme à avoir reçu deux prix Nobel).
 Yvonne Choquet-Bruhat est une mathématicienne internationalement reconnue. On lui doit de nouvelles formulations de la relativité générale d’Einstein. Elle a reçu en 2004 le « Marcel Grossmann Award », du nom de Marcel Grossmann, ami et collègue d’Einstein qui donna la structure mathématique à la théorie d’Einstein.
 Branly était également membre de l'Académie pontificale des sciences et de l'Académie des sciences de Pologne.
 Pierre Jacques est le collaborateur de François Coty à l’Ami du peuple.
 Branly sera fait Grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction de l’ordre, en janvier 1938.
 Voir par exemple « L’environnement spatial » (collection Que sais-je ?), Jean-Claude Boudenot, PUF, 1995.
 Voir par exemple : ISEP : une école d’ingénieurs du troisième millénaire, 50 ans d’histoire. Ouvrage collectif édité à l’occasion du cinquantenaire de l’Ecole.