CALVINO Italo - Comptoir Littéraire
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André Durand présente
Italo CALVINO
(Italie)
(1923-1985)
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Au fil de sa biographie sinscrivent ses uvres
qui sont résumées et commentées
(surtout Le vicomte pourfendu, Le baron perché, Le chevalier inexistant et Si par une nuit dhiver un voyageur
qui sont étudiés dans des fichiers à part).
Bonne lecture !
Il est né le 15 octobre 1923 à Santiago de Las Vegas, une banlieue de La Havane, à Cuba.
Son père, Mario, qui était originaire de San Remo (Ligurie), avait, en 1909, étant un anarchiste, émigré au Mexique pour y participer à la révolution mexicaine, et occuper un poste important au ministère de lagriculture. Puis il sétait établi à Cuba pour y mener des expériences scientifiques, et diriger une station dagriculture expérimentale.
Sa mère, Evelina Mameli, née à Sassari en Sardaigne, dans une famille qui lui inculqua la «religion du devoir civique et de la science», était une botaniste, professeuse duniversité.
Calvino décrivit ses parents comme étant tous deux de caractère austère mais «de personnalités très différentes», suggérant peut-être de profondes tensions cachées derrière lapparence dun strict couple de la classe moyenne ne connaissant pas de conflits.
En 1925, la famille revint en Italie pour sétablir définitivement dans les collines au-dessus de San Remo, dans la Villa Meridiana, une station expérimentale de floriculture. Mario Calvino y continua ses recherches en agronomie, étant le premier à introduire en Europe des fruits alors exotiques tels que lavocat et le pamplemousse. Il possédait, à San Giovanni Battista, des terres ancestrales comportant les vastes forêts et la faune luxuriante quon allait retrouver dans Le baron perché, où Italo et son frère, Floriano (né en 1927 et qui allait devenir un éminent géologue) grimpaient aux arbres, et y restaient des heures à lire leurs livres favoris.
Italo eut avec ses parents un rapport conflictuel. Si son père lui inculqua le goût des classifications, il était plus attiré par la littérature, ses lectures favorites étant celles de Poe, Kipling, Stevenson, Chesterton, Hemingway, d'une façon générale, de la littérature anglo-saxonne de «short stories». Sa lecture du Livre de la jungle de Kipling le fit se sentir comme le «mouton noir» d'une famille qui avait pour la littérature moins d'estime que pour les sciences. Il écrivit alors des pièces de théâtre comiques, des nouvelles, des bandes dessinées et même quelques poèmes. Attiré aussi par le dessin, il fut surtout fasciné par les films américains et les dessins animés.
Adolescent, il fut mal à laise avec la pauvreté de la classe ouvrière, souffrant de voir les travailleurs faire la queue dans le bureau de son père le samedi pour recevoir leur paie hebdomadaire.
Le pays, dirigé par Benito Mussolini, vivait alors dans létouffante atmosphère du fascisme. Un des premiers souvenirs de Calvino fut celui dun professeur socialiste qui avait été brutalisé par une bande de lyncheurs fascistes : «Je me souviens clairement que nous étions en train de dîner quand le vieux professeur vint, le visage contusionné et saignant, son nud papillon tout déchiré, demander de l'aide.»
Ses parents le firent aller à une école maternelle anglaise, le collège St George ; puis à une école primaire privée protestante ; enfin, pour ses études secondaires, dans un établissement public, le Liceo Gian Domenico Cassini où il passa trois ans à étudier Dante et lArioste, ce qui allait le marquer pour la vie. Ses parents, qui étaient des francs-maçons dun esprit républicain qui occasionnellement dérivait vers un socialisme anarchique, parvinrent alors à lexempter, en tant que non-catholique, de lenseignement religieux et de la fréquentation de léglise, ce qui le força à justifier cet anticonformisme, expérience quil allait considérer comme salutaire car elle le rendit «tolérant aux opinions des autres, particulièrement dans le domaine de la religion, car je me souviens combien il me fut pénible d`être lobjet de moqueries parce que je ne suivais pas les croyances de la majorité.»
Sa mère réussit à éviter son enrôlement dans les scouts fascistes armés, les Balilla moschettieri, qui avaient de huit à quatorze ans. Mais il fut obligeé de participer aux assemblées et aux parades des avanguardisti, qui avaient de quatorze à dix-huit ans, puis à loccupation italienne de la Riviera française en juin 1940.
En 1941, dissimulant ses ambitions littéraires pour plaire à sa famille, il entra à la faculté d'agronomie de l'université de Turin, où son père avait autrefois donné des cours. Il allait plus tard confier : «De la petite enfance à la jeunesse, jai grandi dans une ville de la Riviera resserrée dans son microclimat... Sortir de cette coquille fut pour moi répéter le trauma de la naissance; mais je ne men aperçois quà présent.» Cette année-là, il passa quatre examens, tout en lisant les oeuvres décrivains anti-fascistes, Elio Vittorini, Eugenio Montale, Cesare Pavese, Johan Huizinga et Carlo Pisacane, ainsi que celles des hommes de science Max Planck, Werner Heisenberg et Albert Einstein. Plein de dédain pour les étudiants de Turin, il se voyait comme enfermé dans «une coquille provinciale» qui offrait lillusion dune immunité contre le cauchemar fasciste : «Nous étions des durs de province, des chasseurs, des joueurs de billard, des frimeurs, fiers de notre manque de sophistication intellectuelle, méprisant la rhétorique patriotique et militaire, grossiers dans nos discours, habitués des bordels, dédaigneux de tout sentiment romantique et désespérément dépourvus de femmes.»
En 1943, il entra à luniversité de Florence, et à contrecur passa trois autres examens en agriculture. Il rencontra alors un brillant étudiant venu de Rome, Eugenio Scalfari, qui allait fonder lhedomadaire L'espresso et le quotidien La repubblica. Les deux jeunes hommes nouèrent une longue amitié. Calvino attribua son éveil politique à leurs discussions. Assis ensemble «sur un énorme rocher au milieu dun ruisseau près de notre propriété», ils fondèrent le Mouvement universitaire libéral.
À la fin de 1943, les Allemands réussirent à occuper le Nord de lItalie, et à y établir pour Benito Mussolini la République de Salò. Calvino, qui avait alors vingt ans, refusa le service militaire, et, abandonnant ses études, entra dans la clandestinité, dut se cacher. En conséquence, ses parents furent, à la Villa Meridiana, pendant quelques mois, tenus en otages par les nazis. Calvino écrivit que sa mère, à travers cette épreuve, «fut un exemple de ténacité et de courage [...] se comportant avec dignité et fermeté devant les S.S. et la milice fasciste, dans sa longue détention comme otage, surtout lorsque les chemises noires trois fois firent semblant de tirer sur mon père devant ses yeux. Les événements historiques auxquels les mères participèrent acquirent la grandeur et l'invincibilité de phénomènes naturels.»
Au printemps 1944, Evelina encouragea ses fils à entrer dans la Résistance italienne, au nom de la «justice naturelle et des vertus de la famille». Il évalua que, parmi tous les groupes de résistants, les communistes avaient «la ligne politique la plus convaincante», et étaient les mieux organisés. Il adhéra donc au parti communiste, et, prenant le nom de bataille de «Santiago», rejoignit la brigade Garibaldi. Pendant vingt mois, il participa aux combats dans larrière-pays de San Remo, jusqu'à la Libération.
En 1945, après avoir longtemps hésité entre Milan et Turin («La guerre à peine finie, lappel des grandes villes fut pour moi plus fort que mon enracinement provincial. Cest ainsi que jhésitai quelque temps entre Milan et Turin ; le choix de Turin eut certes ses raisons et ne fut pas sans conséquences : aujourdhui jai oublié les unes et les autres, mais durant des années je me suis dit que si mon choix mavait conduit à Milan, tout aurait été différent.»), il sétablit dans cette dernière ville quil allait décrire comme une «ville qui est grave, mais triste». De retour à l'université, il abandonna la faculté d'agriculture pour celle des lettres, où il étudia la littérature anglaise.
Il commença à écrire de brèves nouvelles inspirées par lexpérience de la guerre, où il suivit la vogue du néoréalisme, mouvement littéraire et cinématographique qui se développa en Italie, qui était une volonté de décrire la réalité telle qu'elle est, sans en occulter les problèmes et les injustices, en opposition à la culture fasciste dominante, les écrivains estimant alors qu'il était de leur responsabilité historique de se faire les porte-voix du peuple et de ses besoins, d'adopter un langage simple et direct, souvent calqué sur la langue de tous les jours, en prenant pour modèles les Américains Hemingway et Dos Passos.
En 1946, deux de ces nouvelles furent publiées par Elio Vittorini, dans Il politecnico, une revue hebdomadaire publiée à Turin en association avec luniversité : Andato al commando et Campo di mine (pour laquellle il partagea un prix avec Marcello Venturi).
Ayant lu LÉtat et la révolution de Lénine, et voyant la vie civile comme une continuation de la lutte des partisans, il se plongea dans laction politique, leffervescence du climat utopique de l'après-guerre, se joignant principalement au mouvement ouvrier de Turin, collaborant à des revues.
Il obtint un emploi dans le département de publicité de la maison d'édition de Giulio Einaudi. Il fit alors la connaissance des écrivains Felice Balbo, Natalia Ginzburg, Norberto Bobbio, Alfonso Gatto, Cesare Pavese (qui l'encouragea à écrire lui donna de précieux conseils), et de beaucoup d'autres intellectuels de gauche.
Il quitta Einaudi pour être journaliste pour le quotidien officiel du Parti communiste italien, L'unità, et pour le nouvellement fondé magazine politique communiste, Rinascita.
En 1947, il conclut brillamment ses études en obtenant une maîtrise après avoir présenté un mémoire sur Joseph Conrad.
Alors quil avait auparavant tenté, sous limpulsion dune urgence décriture et de mise au point idéologique, de raconter, à la première personne, son expérience de résistant, et quil navait pas obtenu de résultat probant, il adopta un point de vue extérieur, et donc un certain détachement, son travail lui donnant enfin entière satisfaction.
Ce fut ainsi que, grâce à Cesare Pavese, il publia :
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Il sentiero dei nidi di ragno
(1947)
Le sentier des nids daraignée
(1978)
Roman
Dans une des anciennes villes-forteresses de la côte ligure, au temps de la Seconde Guerre mondiale, le narrateur, Pin, est un garçon d'une dizaine d'années, apprenti cordonnier paresseux, maigre et grossier. Comme il est orphelin, il est rejeté par les autres garçons, et dautant plus que sa sur est la prostituée du village. Il est obligé de se réfugier dans le monde des adultes, dont il se méfie, quil considère comme hostile, devant chanter des chansons sentimentales, et aussi avoir lesprit aiguisé pour survivre. Ainsi, à la taverne, il entend des propos quil peut imiter, pour déclencher des rires obscènes, pour, avec son franc parler, «mettre en boîte» les hommes qui, toutefois, ne le prennent pas tellement au sérieux, pour apprendre à insulter et à jurer. On le met au défi de voler le P38 dun Allemand qui fricote avec sa soeur. Mais, son forfait commis, personne ne semble sintéresser à lissue du pari, et Pin, rempli de rage et de désespoir, enterre son précieux butin dans la terre du «sentier des nids daraignées», le lieu, que lui seul connaît, où elles pondent leurs ufs, lieu quil aimerait faire connaître à de bon compagnons. Son crime lamène en prison.
Lui, qui cherchait un ami véritable sur qui il pourrait compter et à qui il pourrait confier le fabuleux secret du «sentier des nids daraignées», finit par le trouver en la personne d'un homme d'une stature imposante, bon et chaleureux, le «Cousin», avec qui il semble immédiatement bien s'entendre, qui n'hésite pas à laider. Mais il déteste les femmes, et le répète inlassablement, car il semble que sa femme l'ait trompé alors qu'il était au combat.
Lorsque leur village est occupé par les Allemands, certains des habitants rejoignent la Résistance, même s'ils sont plus motivés par une peur du changement que par un engagement politique. Le «Cousin» emmène Pin dans les montagnes pour retrouver, qui affrontent les Allemands et les fascistes, une bizarre et hétéroclite compagnie de partisans. Ce sont des personnages étonnants : Loup Rouge, le Marle, les quatre beaux-frères calabrais (le Duc, le Marquis, le Comte, le Baron), Pelle. Avec eux, Pin vit alors de nombreuses aventures extraordinaires, doit affronter tout ensemble labsurdité superficielle des combats et leur vérité profonde. Il passe par de difficiles expériences de formation, sans pouvoir parvenir à attribuer un sens historique ou politique à ses actes, la guerre se situant pour lui entre le jeu et la représentation théâtrale. Le «Cousin», qui est si gentil, est pourtant limpitoyable tueur du détachement.
Apparaît, au milieu du roman, la figure du «commissaire politique» Kim, un jeune étudiant en médecine passionné de psychanalyse, persuadé que tout comportement humain peut s'expliquer logiquement par le désir «de ne plus avoir peur», mais qui est lui-même plein d'incertitude, rongé de questions, et n'aspire qu'à un seul but : être serein comme tous ces partisans qui savent pourquoi ils se battent ; avec sa froideur intellectuelle, il représente la ligne idéologique et politique officielle des communistes, et, connaissant les faiblesses et les limites de «ses» partisans les emploie pour un calcul de stratégie militaire et politique.
À la fin du roman, lorsque Pin semble avoir perdu tout espoir dans sa recherche d'un ami sincère, et fuit seul dans la forêt, il rencontre à nouveau le «Cousin», son ami fidèle qui lui redonne espoir en l'humanité. Il finit par rentrer sain et sauf à son village.
Commentaire
La guérilla des partisans italiens contre les Allemands et les fascistes, toile de fond bien triste, se déroula de septembre 1943 à avril 1945.
Ici, en dix épisodes, elle est vue par les yeux pleins de poésie dun enfant précoce, dont on suit le parcours initiatique, le couple quil forme avec cet autre rejeté quest «le Cousin» étant aussi étrange que celui quon trouve dans Des souris et des hommes de Steinbeck.
Pin est une sorte de Gavroche, mi-tendre mi-dur. Mais, tandis que Gavroche domine un peu son environnement, Pin reste un enfant ingénu, paumé, un résistant malgré lui, qui ressent la solitude, le manque d'affection et l'incertitude, qui pleure sa détresse.
En adoptant son point de vue, Calvino évita au récit les lourdeurs de ce qui aurait pu être une uvre emphatique sur la Résistance. Animé du plaisir que lui donnait la narration, il lui conféra un caractère fantastique, lyrique ; parvint à parer la réalité des attributs du rêve sans pour autant lui faire perdre sa consistance. De son aveu, il fut animé du désir de transmettre quelque chose d'un magma humain «au sein duquel l'Histoire prend forme» («lHistoire est faite de petits gestes anonymes»), mais, si tous les détails sont vrais, leur reconstitution est tout imaginaire. Ainsi, le roman transfigurait donc déjà le néoréalisme de cette époque, car lauteur amorça un procédé qui allait lui devenir propre : sans aucun sentimentalisme, alléger la narration afin de rendre l'uvre accessible à tous, y compris aux lecteurs non avertis.
Évoquant la complexité des êtres les plus simples et des situations souvent ambiguës, en même temps I'absurdité superficielle des combats et leur vérité profonde, il fit du roman une fable philosophique. Mais il ne s'y trouve ni jugement moral, ni distinction entre le bien et le mal. Il posa seulement cette douloureuse question : devient-on résistant par choix ou la vie décide-t-elle pour vous? Il semble ici que le destin ait fait beaucoup pour Pin.
Bien qu'il ne possède pas l'obsession de la symétrie et de l'ordre quon allait trouver dans ses oeuvres suivantes, le roman, où Calvino maintint sa distance par la sobriété du langage, est magnifiquement écrit.
Le roman fut bien accueilli par Elio Vittorini et par d'autres intellectuels, rencontra un succès surprenant dans l'après-guerre en Italie (ses ventes dépassèrent les cinq mille exemplaires), remporta le prix Premio Riccione. Dans un essai clairvoyant, Pavese vit dans le jeune écrivain un «écureuil de la plume» qui «grimpa dans les arbres, plus par plaisir que par crainte, pour observer la vie des partisans comme une fable de la forêt.»
Malgré ce succès, Calvino refusa la réédition du roman pendant près d'une décennie. Lédition définitive, la troisième, parut en 1964, accompagnée d'une préface où il admit que cette répugnance était causée par la façon dont il avait utilisé et caricaturé les camarades qui avaient lutté à ses côtés.
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En 1948, Italo Calvino, accompagné de Natalia Ginzburg, rendit visite à Hemingway, à son domicile, à Stresa, pour manifester, à celui qui était l'une de ses idoles littéraires, son admiration, en particulier pour sa nouvelle Collines comme des éléphants blancs.
Pour Calvino et pour bien dautres intellectuels italiens, la deuxième moitié des années quarante fut marquée par un débat fondamental : celui des rapports entre la littérature et lidéologie, de la possibilité de dépasser le réalisme devenu obsolète en tant quexpression esthétique, sans pour autant refuser la notion dune littérature «témoin de son temps».
Il publia :
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Racconti
(1949)
Aventures
Recueil dune cinquantaine de nouvelles
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Lavventura di un soldate
Laventure dun soldat
Nouvelle
Un soldat, assis à côté dune veuve, se demande si elle sent ses doigts contre sa hanche.
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L'avventura di una bagnante
Laventure dune baigneuse
Nouvelle
Une baigneuse, seule dans la mer, perd son slip, ressent de langoisse, et en vient à douter de la solidarité humaine.
Commentaire
En 1991, Philippe Donzelot en fit un film de quatorze minutes.
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L'avventura di un impegiato
Laventure dun employé
Nouvelle
Un morne fonctionnaire, après avoir passé une nuit sans sommeil avec une femme quil a rencontrée à une réception, veut parler à tout un chacun de son «aventure», pour ne pas perdre la sensation de nouveauté et dexcitation quil a connue.
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L'avventura di un miope
Laventure dun myope
Nouvelle
Un myope a bien du mal à choisir une paire de lunettes. Puis, quand il la fait, il croit découvrir un monde entièrement neuf.
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L'avventura di un lettore
Laventure dun lecteur
Nouvelle
Ce lecteur aime les gros volumes, «épais, tassés, trapus», pour pouvoir les tâter, les soupeser avant de sy plonger.
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Lavventura di uno fotografo
Laventure dun photographe
Nouvelle
Antonio, photographe opposé aux instantanés, est incité à en prendre quand même de deux femmes qui jouent dans leau, où, du fait du mouvement de lune delles, il se trouve projeté. Il décide de revenir aux poses, comme on faisait au XIXe siècle. Doù la recherche dun vieil appareil, son acquisition, et un rendez-vous pris pour le lendemain, où ne se présente toutefois que lune de ces femmes, lautre ayant craint de tomber dans un traquenard de séducteur.
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L'avventura di una moglie
Laventure dune épouse
Nouvelle
Une épouse habituellement sage, rentrant ce jour-là à l'aube, se rend compte quelle na pas ses clés, et, dans sa confusion émoustillée, attend, dans un café fréquenté par des ouvriers, le réveil de sa concierge.
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L'avventura di un viaggiatore
Laventure dun voyageur
Nouvelle
Une nuit, dans un train, un voyageur rumine sur les conditions sociales qui le piègent dans un perpétuel cycle de travail, de devoir et de perte de soi.
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L'avventura di due sposi
Laventure dun ménage
Nouvelle
Une ouvrière a du mal à concilier quotidiennement son travail à lusine avec sa vie privée, son mari, qui travaille de nuit, rentrant quand elle part.
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L'avventura di un poeta
Laventure dun poète
Nouvelle
Usnelli et son amie, Delia, explorent en barque le bord de la mer. Il essaie dexprimer la beauté du paysage, mais ne peut que rester silencieux.
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La formica argentina
La fourmi argentine
Nouvelle de quarante pages
Un jeune couple et son enfant viennent sétablir dans une ville, sans sinquiéter du fait que leur oncle leur ait parlé des fourmis qui sy trouvent. La propriétaire du logement quils louent semploie à distraire leur attention des murs, où il y en a qui circulent, en leur parlant longuement du compteur à gaz. Ils mettent leur enfant au lit, et partent faire une promenade, voyant leur voisin répandre avec un soufflet de la poudre sur les plantes de son jardin, en invoquant les fourmis. Quand ils reviennent à la maison, ils la trouvent infestée de ces insectes, dont le mari se souvient alors avoir entendu dire quils viennent dAmérique du Sud. Ils se mettent au lit, avec le sentiment dentrer dans un avenir plein de nouveaux troubles. On apprend ensuite de quelles façons dautres affrontent les fourmis : en utilisant des poisons ; en recourant à des stratagèmes pour les embarrasser ou les tuer ; depuis vingt ans, le représentant dune agence de contrôle répand de la mélasse pour les tuer, mais beaucoup croient quau contraire ainsi il les nourrit. Le jeune couple, fou de rage, vient voir la propriétaire dans son salon sombre et solennel ; elle affirme quil ny a pas de fourmis dans une maison bien tenue ; mais, à la voir sagiter dans son fauteuil, il est clair quil y en a qui rampent sous ses vêtements. Méthodiquement, Calvino décrit les différentes réponses au fléau : il y a celle du chrétien, qui nie lévidence, celle du manichéen qui accepte le mal, celle du darwinien invétéré pour qui la supériorité génétique triomphera. Mais les fourmis se révèlent indestructibles, et lhistoire se termine lorsque la famille part au bord de la mer, où il ny a pas de fourmis.
Commentaire
Ce récit cauchemardesque, fait de répétitions et de progression angoissante, chef-doeuvre dhorreur retenue avec des notes farcesques sous-jacentes, peut être rapproché de ceux de Kafka. On peut y voir un tableau dun environnement où la nature prend sa revanche, la dénonciation de lincapacité des humains à sorganiser contre un fléau, un ennemi trop petit et omniprésent pour être dominé.
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La nuvola di smog
Le nuage de smog
Nouvelle
Le narrateur arrive dans une grande ville pour sy occuper dun petit magazine appelé Purification. Son propriétaire, le «commendatore» Corda, est un important industriel qui produit cette pollution de lair (une poussière grise couvre toute chose ; rien nest jamais propre) que son magazine voudrait voir éliminée. Son nouvel éditeur sarrange aisément du double langage de Corda qui prétend vouloir lutter contre la pollution quil produit, tout en affirmant : «Nous ne sommes pas des utopistes, nous sommes des hommes pratiques.» ; ou : «Cest une bataille pour un idéal» ; ou : «Il ny a pas (il ny a jamais eu) aucune contradiction entre une économie en libre et naturelle expansion et lhygiène nécessaire à lorganisme humain, entre la fumée de mes unités de production et le vert de notre incomparable beauté naturelle.» Finalement, la politique éditoriale est fixée : «Nous sommes une des villes où le problème de la pollution de lair est le plus sérieux, mais en même temps nous sommes la ville où le plus est fait pour remédier à la situation.» Le narrateur rencontre lélégante et riche Claudia qui lui en impose, le domine. Il rencontre aussi un ouvrier, Omar, quil admire parce quil est en lutte contre Corda. Il commence à écrire sur les radiations atomiques répandues dans latmosphère ; sur la façon dont le temps change dans le monde. Il se demande sil y a un lien entre les deux phénomènes. Finalement, il se rend dans les faubourgs de la ville où il voit des femmes lavant leur linge, tableau qui le réconforte.
Commentaire
La nouvelle fut publiée bien longtemps avant que devienne générale linquiétude devant la systématique destruction de lenvironnement par lêtre humain. Mais Calvino ne sengagea pas réellement, au sens où lentendait Sartre, pensant que le piège dans lequel nous sommes pris est trop grand pour que la simple politique permette de sen dégager.
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Commentaire sur le recueil
Les premières nouvelles sont de toutes petites aventures réjouissantes et savoureuses, qui arrivent à des personnages en proie à des manies, des obsessions, des ratiocinations inlassables. Elles sont racontées avec élégance, humour et acuité, dans la langue la plus simple, la plus directe. Calvino partit d'une idée, d'un thème, et le développa sur différentes variations. Il déclara : «Si l'on trouve dans la plupart de ces aventures des histoires qui racontent comment un couple ne se rencontre pas, c'est que, semble-t-il, résident dans cette absence de rencontre non seulement une raison de désespérer mais surtout un élément fondamental, sinon l'essence même du rapport amoureux.»
Les deux derniers textes ont beaucou plus dampleur.
Les nouvelles furent illustrées par Yann Nascimbene qui, fervent admirateur de Calvino, indiqua : «L'intelligence, l'humour doux-amer, l'élégance de ces nouvelles m'ont poussé à une rigueur particulière ; il fallait à la fois faire preuve de discrétion et évoquer l'âme de ces récits sans paraphraser. Jamais sans doute ne me suis-je impliqué aussi intensément dans un projet ; en retour jamais aucun projet ne m'a procuré autant de bonheur.»
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Ultimo viene il corvo
(1949)
Le corbeau vient en dernier
Recueil de trente nouvelles
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Andato al commando
Nouvelle
Commentaire
Le début de la nouvelle fait alterner une description du paysage et un dialogue saccadé qui rappelle ceux de Hemingway, en particulier celui de Collines comme des éléphants blancs.
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Campo di mine
Nouvelle
Un jeune homme est voué à une mort instantanée quand il se résout à traverser un champ de fleurs dont on sait quil est jonché de mines.
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Ultimo viene il corvo
Le corbeau vient en dernier
Nouvelle
Deux enfants qui jouent à la guerre font brusquement face à de vrais soldats.
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Nouvelle
Un buf solitaire et mélancolique rêve d'un paradis perdu.
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Nouvelle
Deux frères sèment la terreur dans leur village natal, et d'autres encore invoquent avec force le «droit à la paresse».
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Nouvelle
La foule, indifférente, se réchauffe au soleil tandis que les conjurés assassinent César.
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Nouvelle
Un homme s'arrête au milieu d'une foule. Dans un éclair de génie, il s'écrie : «Plus rien n'a de sens, tout est absurde !» Et il se met à rire. On lui montre que «tout est à sa place, que chaque chose est la conséquence d'une autre». Il se calme, mais, depuis, recherche «cette sagesse trouvée et perdue au même instant».
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Nouvelle
Un homme est envoyé à la guerre. Il tue des ennemis, accumule les médailles, mais ne comprend pas pourquoi il n'est pas autorisé à tuer son seul vrai ennemi, Alberto. Lorsqu'il le fait, on l'inculpe d'homicide et on le pend.
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Monologue nocturne dun noble écossais
Nouvelle
On y assiste aux luttes des clans écossais.
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Commentaire sur le recueil
Les nouvelles, qui avaient été inspirées à Calvino par son expérience de la Résistance italienne, et, le plus souvent, par une observation aiguë et sensuelle de la nature, si elles appartenaient au courant du néoréalisme, étaient pleines de fantaisie et d'inventions inattendues, car, bien qu'abandonnant cette fois le point de vue de l'enfant, il ne put s'empêcher de conserver la veine fabuleuse.
Le recueil démarre sur une série dhistoires concernant lenfance ou la jeunesse, pleines de gentillesse, de poésie et dinnocence. Suivent plusieurs autres qui traitent de la relation enfants-parents ou enfants-adultes, et où le climat général est nettement moins joyeux que dans les toutes premières pages du livre.
Le recueil eut un grand succès.
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Malgré le succès de son recueil de nouvelles, Calvino fut de plus en plus préoccupé par son incapacité à composer un second roman valable. De Il bianco veliero, sur lequel il travailla de 1947 à 1949, seul un chapitre lui parut digne dêtre publié sous la forme de :
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Va così che vai bene'
(1949)
Nouvelle
Juste après la guerre, Foffo et Nasostorto qui, respectivement, essaient de tirer le plus de bénéfice de deux apprentis du marché noir, Costantina et Adelchi.
Commentaire
Adelchi était un Pin daprès-guerre.
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En 1950, Calvino revint chez Einaudi, où il fut chargé cette fois des oeuvres littéraires, une position qui lui permit de découvrir de nouveaux auteurs, de développer une habileté de lecteur de textes, et de perfectionner son propre talent d'écrivain.
À la fin de 1951, présumément pour progresser dans le parti communiste, il passa deux mois en Union Soviétique, comme correspondant de Lunità. À Moscou, il apprit la mort de son père, le 25 octobre, ce qui laffecta profondément. Les articles qu'il produisit alors furent publiés en 1952, et remportèrent le prix Saint-Vincent pour le journalisme.
Alors que, pendant dix-huit mois (1950-1951), il travaillait sur I giovani del Po, un roman réaliste traitant des réalités urbaines de lépoque, et dont il nétait pas satisfait, il fit une importante découverte sur lui-même : «Je commençai à faire ce qui me venait le plus naturellement, cest-à-dire suivre le souvenir des choses que javais aimées le mieux depuis lenfance. Au lieu de mobliger à écrire le livre que javais à écrire, le roman qui était attendu de moi, javais à faire apparaître le livre que javais moi-même envie de lire, celui dun écrivain inconnu, dun autre âge et dun autre pays, découvert dans un grenier.» Et Einaudi lui conseilla dabandonner sa manière néoréaliste, de se débarrasser de ses anciennes conceptions, de ne plus voir la littérature comme porteuse d'un message politique. Il se laissa aller à son penchant pour le conte fantastique, et écrivit en trente jours, de juin à septembre 1951 :
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Il visconte dimezzato
(1952)
Le vicomte pourfendu
Roman de 123 pages
Au cours d'une bataille contre les Turcs, Médard de Terralba, jeune chevalier génois naïf et enthousiaste, est coupé en deux par un boulet de canon. Ses deux moitiés continuent à vivre une existence autonome (l'une incarne le Bien, l'autre le Mal), et finissent par fusionner à l'occasion d'un duel.
Pour un résumé plus complet et une analyse, voir HYPERLINK "CALVINO%20-%20''Le%20vicomte%20pourfendu''.doc" CALVINO - ''Le vicomte pourfendu''.doc
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À partir de 1952, Calvino collabora avec Giorgio Bassani à Botteghe oscure, un magazine littéraire, et à Il contemporaneo, un hebdomadaire marxiste.
De 1952 à 1954, il travailla encore sur un autre roman réaliste traitant des réalités urbaines de lépoque, La collana della regina, qui allait lui aussi rester dans ses tiroirs.
Désirant rendre hommage à son père, et ressentant toujours le besoin impérieux de raconter sa participation à la guerre, il réalisa une «régression» qui lui permit de décrire des fragments de cette guerre à travers les yeux et les mots dun jeune garçon dans :
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Lentrata in guerra
(1954)
Lentrée en guerre
Recueil de trois nouvelles
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Lentrata in guerra
Lentrée en guerre
Nouvelle
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Gli avanguardisti a Mentone
Les avanguardisti à Menton
Nouvelle de vingt-cinq pages
En septembre 1940, alors qua lieu la guerre franco-italienne, le narrateur, un réfléchi jeune homme de dix-sept-ans engagé dans une des organisations de la jeunesse fasciste, les «avanguardisti», mène une vie paisible dans les rues de San Remo, où il remarque cependant le flux de réfugiés qui fuient leurs maisons pour se mettre à labri. Les fascistes recrutent des «avanguardisti» pour les conduire à Menton qui a été annexée à lItalie mais reste un lieu fermé aux civils italiens. Après avoir également inscrit son ami Biancone à cette opération para-militaire, il monte dans un car les y emmenant. En route, il peut vérifier les conséquences de quelques affrontements, et apercevoir sous un tunnel le «train armé» donné par Hitler à Mussolini. À Menton, il se demande : «Est-ce que Menton est comme Paris? [
] Est-ce que la France appartient au passé?» Pendant quon attend lapparition dun train de jeunes phalangistes espagnols, les «avanguardisti» se livrent à un pillage incohérent dans les maisons et les villas abandonnées. Mais le narrateur se dissocie alors de ses camarades et, en particulier, de son ami Biancone. Il rassemble dans le même dégoût «le fascisme, la guerre et la vulgarité», et commet un acte de sabotage anti-fasciste en volant la clef du New Club, lex-siège dune société anglaise, qui est devenu la Casa del Fascio des Italiens. Au cours du voyage de retour, percevant et attendant une prochaine évolution de sa vie et de ses valeurs personnelles, il comprend quest inéluctable pour lui laffrontement avec la guerre.
Commentaire
La nouvelle, qui est autobiographique, montre une étape importante du processus de formation par lequel Calvino passa.
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Le notti dell UNPA
Les nuits à lUNPA
Nouvelle
Le sigle UNPA désigne l'Unione Nazionale Protezione antiaerea, service de protection antiaérienne.
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Commentaire sur le recueil
Il aurait dû constituer le noyau central dun roman sur les années de la Seconde Guerre mondiale. Calvino y exprima un esprit de participation curieuse et plutôt maladroite aux événements militaires de lété 1940.
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Entre 1950 et 1956, répondant à une demande de Giulio Einaudi, «Y a-t-il un équivalent italien aux contes des frères Grimm?», satisfaisant aussi son goût pour le merveilleux stimulé par la lecture des ouvrages de Vladimir Propp 'Morphologie du conte et Racines historiques des contes de fées russes, Calvino réunit des contes quil trouva dans des recueils du XIXe siècle, en traduisit deux cents des plus beaux de différents dialectes en italien, ou les réécrivit tout bonnement. Cela donna :
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Fiabe italiane
(1956)
Contes italiens
Recueil de nouvelles en quatre volumes
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Le loup et les trois fillettes
Nouvelle
Commentaire
Cest une version du Petit chaperon rouge.
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Oncle Loup
Nouvelle
Commentaire
Cest une autre version du Petit chaperon rouge.
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La fausse grand-mère
Nouvelle
Commentaire
Cest une histoire dogresse.
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Commentaire sur le recueil
Dans cet ample corpus (plus de deux cents nouvelles), aux fées et aux magiciens s'ajoutaient d'autres héros, qui pouvaient être aussi bien Jésus-Christ et saint Pierre errant dans le Frioul ou en Sicile, ou des personnages autochtones, truculents et burlesques.
Calvino remarqua les similarités structurales de toutes ces histoires, où progression, dédoublement et retournement s'étendent en vertu d'une logique imperturbable à partir du plus mince incident. Il conclut son recueil par une réflexion sur le rôle fondateur du conte par rapport à la forme romanesque. Son affirmation : «Les contes sont vrais» allait marquer durablement son uvre.
Cet ouvrage singulier est captivant pour les adultes non moins que pour les enfants. Il figure dans les programmes scolaires italiens pour la richesse de son contenu, aussi bien poétique qu'ethnographique et social.
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Il midollo del leone
(1955)
La moelle du lion
Essai
Calvino pensait que le personnage du roman moderne ne peut pas ne pas être fragile, quil doit avoir laspect du lion, et être à lintérieur tendre comme la moelle. Par aiileurs, il affirma sa foi «en une littérature qui soit une présence active dans lHistoire».
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De 1955 à 1958, Calvino eut une liaison avec l'actrice Elsa de Giorgi, une femme mariée et plus âgée. Il lui écrivit des centaines de lettres d'amour, dont des extraits furent publiés par le grand quotidien dinformations italien Il corriere della sera en 2004, provoquant une certaine controverse.
En 1956, il écrivit le livret de La panchina, opéra de Sergio Liberovici.
En 1956, la répression par les Soviétiques de linsurrection hongroise, et labsence de réaction de la part de la direction du parti communiste italien, puis la révélation tardive des atrocités du stalinisme, amenèrent Calvino à se détourner du parti communiste (il démissionna en août 1957, sa lettre, publiée dans L'unità, étant devenue rapidement célèbre), et, progressivement, à séloigner de l'engagement politique. Cette rupture ne modifia ni sa vision du monde ni sa conception dune littérature comme «défi au labyrinthe», comme quête du sens et de la place du sujet dans lHistoire.
Il trouva de nouveaux débouchés pour ses écrits périodiques dans les magazines Passato e presente et Domani Italia.
Peu après sa démission, il publia :
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La gran bonaccia delle Antille
(1957)
La grande bonace des Antilles
(1994)
Recueil de trente-quatre nouvelles
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Le mouton noir
Nouvelle
Une ville tout entière étant peuplée de voleurs, le seul habitant honnête est destiné à mourir de faim.
Commentaire
Dans cette nouvelle qui, prise au pied de la lettre, est drôle, mais dont la logique est implacable, Calvino tentait de comprendre les mécanismes de linterminable Seconde Guerre mondiale. Entre les lignes, on découvre la véritable Histoire, passionnante et toujours d'actualité lorsqu'on a conscience de ce qui se passe autour de soi, dans son milieu, sa ville, son pays et
sa planète. La nouvelle s'impose comme une véritable critique sociale.
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Il generale in biblioteca
"Un général dans la bibliothèque
Nouvelle
Les autorités de «lillustre nation de Pandurie» soupçonnent que «les livres contiennent des opinions hostiles au prestige militaire». Cependant, les censeurs sont si absorbés dans leur lecture quils sont «en proie à des sentiments contradictoires», et, finalement, se métamorphosent en une intelligentsia.
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La gran bonaccia delle Antille
La grande bonace des Antilles
Nouvelle
Du fait de labsence totale de vent, deux navires ennemis restent immobiles au milieu dune guerre.
Commentaire
Cette allégorie satirique dirigée contre limmobilisme du parti communiste italien vis-à-vis de lUnion soviétique provoqua la colère de ses dirigeants.
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La décapitation des chefs
Nouvelle
Un touriste visite un pays où il tombe sur une nouvelle machine conçue pour atteindre un parfait égalitarisme : elle satisfait aux exigences de la loi qui impose que les dirigeants soient décapités à la fin de leur mandat.
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Luomo di Neandertal
Lhomme de Néanderthal
Nouvelle
Dans la pittoresque vallée de Neander, juste à lextérieur de Düsseldorf, un interviewer demande à lhomme de Néanderthal, qui est vieux de trente-cinq mille années, de justifier sa célébrité : nest-elle pas due à sa simple endurance?
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Le memorie di Casanova
Les mémoires de Casanova
Nouvelle
Le légendaire amoureux Casanova parle de celle qui le quitta : une femme qui lui offrit tout delle mais employa en fait une habile stratégie qui lui permit déviter la capture.
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Nouvelle
La foule qui se réchauffe au soleil est tout à fait indifférente, tandis que les conjurés assassinent César.
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Prima che tu dica "pronto"
Avant que tu dises Allô
Nouvelle
Des gens qui se téléphonent n'ont rien à se dire : «Dans ce cas, obtenir ou non la communication n'a pas une grande importance».
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Commentaire sur le recueil
Les textes montrent comment, à travers mille et une manières, Calvino sut débrouiller l'écheveau inextricable de notre monde contemporain. Avec une ironie plus ou moins amère, il détecta le grain de sable qui fait s'enrayer la machine, le petit rien qui atteint des proportions telles que le lecteur se trouve lui aussi pris dans la mécanique. En effet, gravement («Les hommes se tourmentent dans un seul but : tenir ensemble le monde pour qu'il ne s'écroule pas») ou légèrement, sous le couvert d'histoires comiques, il nous prit à témoin des fissures du monde. Pour lui, le sens des choses, des actions, des sentiments nest jamais apparent ; il est toujours caché, toujours ailleurs, ne laissant transparaître que des signes, vagues, légers, imperceptibles, sur lesquels lécrivain put se pencher pour tenter de les déchiffrer, tout en sachant que la vérité dévoilée restera élusive.
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Alors que la rédaction du roman La spéculation immoblilière loccupa pendant quinze mois, Calvino, pour compenser la lourdeur de son contenu socio-politique, écrivit en deux mois seulement :
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Il barone rampante
(1957)
Le baron perché
(1960)
Roman de 283 pages
Au XVIIIe siècle, en Ligurie, Côme, fils aîné du baron Laverse du Rondeau, alors âgé de douze ans, se réfugia dans un arbre, et jura de ne plus jamais en descendre. Évoluant dans les arbres, il se rendit compte qu'il pouvait ainsi se rendre où il le désirait. Il se retrouva tout d'abord dans le jardin de ses voisins où il fit la connaissance de Violette, une jeune marquise dont il tomba éperdument amoureux. Et, bien qu'il fût perché, il prit part à tous les événements de la région, et rencontra même Napoléon, car il était devenu célèbre. Mais tous se posaient la même question : Côme descendrait-il un jour ou allait-il mourir perché?
Pour un résumé plus complet et un commentaire, voir HYPERLINK "CALVINO%20-%20''Le%20baron%20perché''.doc" CALVINO - ''Le baron perché''.doc
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La speculazione edilizia
(1957)
La spéculation immobilière
Roman
Au début des années cinquante, sur la Riviera italienne, la nouvelle bourgeoisie turinoise ou milanaise découvre le charme des résidences secondaires. La famille Anfossi, représentante de la vieille bourgeoisie traditionnelle, se voit obligée de vendre un de ses terrains. Sans regret pour le paysage qui se modifie, disparaît sous les coulées de béton, Quinto Anfossi, le fils intellectuel, voulant simposer à tout prix un comportement «économique», s'embarque dans une assez louche affaire de construction immobilière. Cachée derrière la haie, l'arrosoir à la main, sa mère observe avec anxiété les manoeuvres de son associé, l'entrepreneur Caisotti. Incarnant les traits les plus caractéristiques de ce nouveau monde fait de petites affaires, dintrigues et de cynismes, il n'épargnera guère l'apprenti spéculateur. .
Commentaire
Avec sa plume incisive et sarcastique, dans un merveilleux mélange de poésie et de quotidien, de contestation et d'ironie, Italo Calvino se livra à une satire sociale et politique. Il dénonça le fait que le «miracle économique» de l'après-guerre, et particulièrement le boom économique de l'Italie du nord dans les années 50, provoquèrent une urbanisation triomphante, une frénésie immobilière qui défigura la Riviera ligurienne (San Remo et les environs), deux mondes saffrontant : dune part, la vieille bourgeoisie traditionnelle, et, dautre part, les affairistes, les escrocs, les spéculateurs, qui pourrirent la société italienne.
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Il cavaliere inesistente
(1959)
Le chevalier inexistant
(1962)
Roman de 180 pages
Dans larmée de Charlemagne, se trouve un chevalier, Agilulfe, dont l'armure blanche est vide, ce qui ne lempêche pas dêtre très valeureux au combat, de se faire le protecteur du jeune et inexpérimenté Raimbaut de Roussillon, qui tombe amoureux dune belle amazone, Bradamante, qui cependant lui préfère «le chevalier inexistant». Comme lexploit qui valut à celui-ci son adoubement, le sauvetage de Sofronie, est contesté par Torrismond de Cornouailles, qui se dit son fils, Agilulfe part en quête de preuves, suivi par Bradamante que suit Raimbaut, tandis que Torrismond sen va rejoindre les chevaliers du Saint-Graal. Agillulfe sauve à nouveau Sofronie, devenue esclave du sultan du Maroc, dont cependant Torrismond, qui a été rejeté par les chevaliers du Saint-Graal, tombe amoureux. Agilulfe, désespéré, a fui, et Raimbaut part à sa recherche, ne trouvant que les pièces de larmure, quil reconstitue, et quil revêt, se couvrant de gloire dans une bataille contre «une armée de Sarrasins», Bradamante étant alors séduite par le porteur de larmure, avant de reconnaître Raimbaut, et de labandonner. Il «reprend sa vie dintrépide soldat», toujours espérant trouver Agilulfe et Bradamante, et arrive au couvent où sur Theodora a été obligée de nous raconter cette histoire pour expier ses péchés, se révélant être «la fameuse Bradamante» !
Pour un résumé plus complet et un commentaire, voir HYPERLINK "CALVINO%20-%20''Le%20chevalier%20inexistant''.doc" CALVINO - ''Le chevalier inexistant''.doc
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En 1959, Calvino prit la direction, avec Elio Vittorini, de l'importante revue culturelle Il menabò di letteratura, qui explora le rôle de la littérature dans le nouvel âge industriel. Il y publia cette année-là un article intitulé Il mare delloggettivita (La mer de l'objectivité) où, faisant une lecture sceptique des auteurs du Nouveau roman (Butor, Robbe-Grillet), il récusait cette conception de lêtre humain submergé par le flux ininterrompu de tout ce qui existe, tout en étant partisan d'une écriture romanesque résolument moderne.
Cette année-là, il reçut le prix Bagutta.
En 1959-1960, en dépit des restrictions sévères imposées aux étrangers communistes, et grâce à une invitation de la Fondation Ford, il put visiter les États-Unis, pendant six mois dont quatre furent passés à New York. Impressionné, il déclara : «Naturellement, jai visité le Sud et aussi la Californie, mais je me suis toujours senti un New Yorkais. Ma ville est New York.» Les lettres quil écrivit alors à Einaudi furent pour la première fois publiées sous le titre "Journal américain 1959-1960" dans Ermite à Paris in 2003.
En 1960, sous le titre de I nostri antenati (Nos ancêtres), il réunit ses trois romans fantastiques, «héraldiques» et allégoriques, que sont Le vicomte pourfendu, Le baron perché et Le chevalier inexistant. Ce regroupement était justifié par la similitude des héros («Mes personnages sont souvent obstinés sinon obsédés. Ce sont des gens qui se proposent un but très simple et qui le portent aux dernières conséquences. Ou bien, à partir d'un point de départ donné, ils explorent toutes les possibilités.»), lutilisation de la même technique narrative, du même mode de développement de la trame fictive : une situation initiale «irréaliste » du point de vue de la vraisemblance du monde, une image fondatrice souvent proche de la bande dessinée, puis, à partir de cette impulsion visuelle, une fiction qui se développe rationnellement, d'une façon implacablement réaliste et implacablement logique, pour exposer les conséquences, souvent humoristiques parce qu'imprévisibles, de ces situations paradoxales. Cela déclenchait un mécanisme interprétatif, mais avec beaucoup de fantaisie, dhumour, dironie grinçante. La narration se fait sur deux niveaux : le plus immédiatement perceptible, le récit fabuleux, mais aussi le niveau allégorique et symbolique qui est très riche et invitant à la nuance, la morale étant dabord une invitation à la nuance, puisqu'il apparaît que la vérité absolue est une chimère. Avec cette trilogie, Calvino renouvela le roman historique en le rendant très proche du lecteur par la fantaisie, l'ingénuité de l'imagination. Il déclara : «Ces trois histoires ont en commun le fait d'être invraisemblables et de se dérouler en des époques lointaines et en des pays imaginaires, dêtre totalement fantastiques. Chacun des personnages s'impose volontairement une règle difficile et la suit jusqu'en ses ultimes conséquences, parce que sans celle-ci il ne serait soi-même ni pour soi ni pour les autres. La trilogie est basée sur les expériences portant sur le fait de savoir comment se réaliser en tant qu'êtres humains : dans Le chevalier inexistant la conquête de l'être ; dans Le vicomte pourfendu l'aspiration à une complétude par-delà les mutilations imposées par la société ; dans Le baron perché une voie vers une complétude non individualiste à atteindre à travers la fidélité à une autodétermination individuelle : trois niveaux d'approche de la liberté. Et, dans le même temps, j'ai voulu qu'elles fussent trois histoires ouvertes, comme on dit, qui avant tout tiennent debout en tant qu'histoires, par la logique de la succession de leurs images, mais qui commencent leur vraie vie dans le jeu imprévisible d'interrogations et de réponses qu'elles suscitent chez le lecteur. Je voudrais qu'elles puissent être regardées comme un arbre généalogique des ancêtres de l'homme contemporain, en lesquels chaque visage cèle quelque trait des personnes qui sont autour de nous, de vous, de moi-même.»
Pour Nos ancêtres, il obtint le prix Salento.
Au début des années soixante, Calvino vécut à Rome : «Rome est la ville italienne où jaurai peut-être vécu le plus longtemps sans me demander pourquoi.»
Pendant quatre ans, il ne publia pas duvre importante, ses lettres de cette époque témoignant de sa déception grandissante devant le roman contemporain, et de son anxièté du fait quil navait rien de plus à dire.
En 1962, il rencontra à Paris la traductrice argentine à lU.N.E.S.C.O. Esther Judith Singer.
Cette année-là, il écrivit deux scénarios :
- L'amore difficile (Amour difficile), sketch du film L'avventura di un soldato (L'aventure d'un soldat) réalisé par Nino Manfredi ;
- Renzo e Luciana (Renzo et Luciana), sketch du film Boccaccio 70 (Boccace '70), réalisé par Mario Monicelli.
Cette année-là encore, il publia, dans Il menabò di letteratura, un article intitulé La sfida al labirinto (Le défi au labyrinthe), où il réfléchissait à la situation littéraire internationale, tentait de définir sa propre poétique dans un monde de plus en plus complexe et indéchiffrable : «Si lexpérience la plus récente me porte à aller vers un discours [
] qui incarne la multiplicité du monde dans lequel nous vivons, je continue à croire quil ny a pas de solution valable esthétiquement, moralement, historiquement, qui ne pase par la fondation dun style.»
Il publia enfin un roman quil avait commencé dix ans auparavant :
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La giornale di uno scrutatore
(1963)
La journée dun scrutateur
(1964)
Roman de 100 pages
En 1953, lors dune journée délection nationale en Italie, le narrateur, Amerigo Ormeo, un militant communiste, est délégué par son parti pour surveiller la régularité des votes dans un bureau établi à l'intérieur d'un hospice religieux de Turin, lhôpital Cottolengo pour incurables, qui accueille ceux que les autres institutions charitables rejettent, et qui forme une ville dans la ville. Lui, qui est ainsi dans une forteresse de lennemi, est profondément troublé par son contact imprévu avec un monde parfaitement irrationnel, avec ces électeurs diminués : vieillards impotents, goitreux ou paralytiques, idiots ou monstres, qu'un prêtre ou une religieuse accompagne jusqu'à l'isoloir. La situation est grotesque, il se demande si devraient avoir le droit de voter des êtres qui ne lui semblent pas humains, et il sait que les hôpitaux, les asiles et les couvents ont servi de grands réservoirs de votes pour le parti de la Démocratie chrétienne. Mais il apprécie quen Italie, pays qui a toujours été courbé et écrasé devant toute forme de pompe, dapparat, de somptuosité, dornement, soit pris une silencieuse revanche contre les fascistes, dont les fanfreluches dorées étaient maintenant tombées en poussière, tandis que laustère démocratie allait de lavant. Il découvre aussi quil forme, avec le député démocrate chrétien et un infirme en qui se résume toute la communauté, une géométrie de regards, de «parentés» et dexclusions réciproques non point figée mais subtilement changeante.
Comme il rentre chez lui pour le dîner (il a une servante qui lui fait la cuisine et le sert !), il cherche un livre à lire, mais se dit que la «pure littérature» na plus cours, que la littérature personnelle est comme une rangée de tombes dans un cimetière, quelle soit celle décrivains vivants ou morts. Maintenant, il cherche autre chose dans les livres : la sagesse ou simplement une aide pour comprendre les choses. Il reçoit alors un coup de téléphone de Lia, sa maîtresse, qui lui annonce quelle est enceinte. Choqué par la facilité avec laquelle les gens se multiplient, il est un ardent partisan du contrôle des naissances, même si son parti y est hostile.
De retour à lhôpital, il observe des enfants qui sont conformés comme des poissons, et se demande à nouveau à quel point un être humain est humain. Au long de cette longue après-midi, lennui ne manque pas de latteindre. Aussi fait-il surgir dans sa rêverie sa maîtresse, non sans sinterroger sur son besoin urgent de beauté, sur la perfection de la beauté dans la Grèce antique où, cependant, on éliminait les enfants mal formés, les filles en surnombre ; sur la recherche de la beauté qui conduit à une civilisation inhumaine.
La journée se termine, le vote est clos. Il proteste avec une certaine mollesse contre les irrégularités et les fraudes, car, sil a «appris que le changement, en politique, seffectue à travers un long et complexe processus», cette expérience la rendu plutôt pessimiste. Il pense quen ces années, le parti communiste italien, parmi ses nombreuses autres tâches, doit aussi assumer la position dun idéal parti libéral, qui na jamais réellement existé. Du haut de lhôpital, la lumière rouge du soleil déclinant, lui fait découvrir de nouvelles perspectives sur la ville.
Commentaire
Ce court apologue politique, le dernier roman réaliste de Calvino, sa dernière uvre de militant marxiste, dénonçait le scandale des élections, et langoisse de lindividu qui, bien que mis en scène de lextérieur, était envisagé dans sa totalité. Dans ces portraits narquois passait quelque chose de lappartenance ancienne de lauteur au parti communiste, de linquiétude que lui inspirait l'Italie contemporaine.
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Marcovaldo ovvero Le stagioni in città
(1963)
Marcovaldo ou Les saisons à la ville
Recueil de vingt nouvelles
Elles ont toutes pour héros Marcovaldo, modeste employé, aux fonctions mal définies, d'une société industrielle implantée dans une grande ville morne du nord de l'Italie, dans les années cinquante et soixante. Pauvre, il est malheureux avec sa femme, et sue pour procurer à ses six enfants leur maigre pitance journalière. Il est constamment à la recherche de la solitude et de la nature. Mais la nature de la grande ville est différente de celle qu'il a gardé en souvenir, elle est loin d'être la nature saine et pure de son enfance. Témoignant quotidiennement de son inadaptation à l'univers urbain, il se réfugie dans le rêve, ne cesse déchafauder des projets.,Au désarroi de sa femme, de ses enfants, de son patron et de ses voisins, il tend à la réalisation de ses rêves, donne libre cours à ses fantaisies, essaie, avec plus dingénuité que dhabileté, à alléger son fardeau et celui de ceux qui lentourent. Mais les résultats ne sont jamais ceux quil espérait. Et, sil est attentif à toutes les manifestations de la beauté de la nature que son univers dasphalte cache, sil décèle les traces les plus ténues de vie animale ou végétale dans la ville, cela lui vaut une suite d'aventures et de mésaventures rocambolesques, ces anecdotes couvrant toutes les saisons de l'année.
Il cueille des champignons à l'arrêt du tram.
Il prend un bien curieux bain de sable.
Il débite des panneaux daffichage, au bord dune route, pour en faire du bois de chauffage.
Il s'amourache d'une plante d'appartement singulièrement envahissante.
Il est amené, par un chat dont il est l'ami, et, accessoirement, par une truite, à rencontrer une étrange vieille marquise.
Il sème la terreur avec un lapin vénéneux.
Il mène une guerre personnelle contre les nourritures synthétiques.
Il conduit sa famille dans un tour de supermarché qui devient une véritable transe car absolument rien ne leur est accessible.
Pensant pouvoir court-circuiter des chasseurs, il répand de la colle sur le toit de son immeuble pour capturer (dans le but de les faire rôtir) les bécasses d'automne.
Seul dans la ville en plein mois daoût, il voit sesquisser une autre ville où la pierre, les arbres, certains animaux inattendus reprennent une vie indépendante.
N'arrivant pas à trouver le sommeil, il décide de passer la nuit sur le banc d'un jardin public, sous la fraîcheur de marronniers touffus.
Il se régale dune journée de neige.
Il cherche au bord du fleuve un endroit pas trop pollué pour y pêcher.
Il regarde avec envie passer les vaches en transhumance vers la montagne, se sentant comme au fond d'un puits.
Il tombe amoureux dune plante verte «magique», qui se trouve dans un bureau, sa compagne dinfortune), dont il prend soin en allant jusquà commettre des actes extrêmes.
Après en avoir rêvé longtemps, il passe une nuit de sommeil sur un banc de square.
Étant allé voir un film sur lInde, il sort du cinéma dans le brouillard, se perd et, croyant monter dans un autobus, les yeux toujours pleins des visions du film en couleur, senvole dans un avion à destination de Bombay.
Commentaire
Ces vingt textes, doux et amers, poétiques, drôles, dun charme saisissant et dune originalité exubérante, pleins de verve et desprit, montrent chacun une des gaucheries chroniques de ce Charlot père de famille. Ils traitent de la réalité quotidienne, mais deviennent de petits contes «à l'usage des enfants mais aussi des adultes», Calvino ayant encore indiqué avoir suivi, pour cet ouvrage, le modèle des «petites histoires à vignettes des journaux pour enfants».
Ce fut sa première oeuvre composée dune série de petits textes formant un grand texte. Ils s'organisent en effet autour d'un seul et même scénario de bande dessinée.
Dans chacun de ces textes, qui est une histoire ancrée dans une saison, et les saisons sécoulent au fil des histoires, le thème fondamental est celui de la perception, «sous» la réalité, d'un autre monde plus vivable, plus réel, le thème de la subversion du réel et de l'imaginaire. Puis, grâce au déchiffrement de ces traces, Marcovaldo s'évade dans une rêverie sur l'«état de nature» avant que la conclusion, invariable, n'intervienne sous la forme d'une brutale désillusion, la recherche s'avérant décevante, impossible, façon pour Calvino de rejeter toute illusion de fuite dans l'espoir d'un monde édénique. Le caractère stéréotypé de la structure narrative, la répétitivité de l'effet produit chaque fois par la «chute» finale, la brièveté des séquences fondées sur un comique de situation, sont bien des éléments qui renvoient, morphologiquement, à la bande dessinée. Sans doute est-ce pour ne pas donner à ces récits une pesanteur par trop néoréaliste que Calvino eut recours à cette forme très particulière héritée de ses lectures d'enfance.
Car le recueil est une série de croquis satiriques du comportement urbain où le fantastique nest jamais loin, où le ton confine à labsurde, où la violence de la critique se voile derrière le sourire, souvent amer et attendri. On y lit une protestation contre lurbanisation triomphante causée par le «miracle économique» de l'après-guerre (thème qui était aussi celui de La spéculation immobilière, 1957), alors que Marcovaldo appartient à un groupe social pour qui, en ces années cinquante, la consommation est encore d'abord le fait des autres, des «riches» (voir à ce propos Au supermarket ou Les fils du Père Noël), et qui subit une dure réalité, celle du prolétariat urbain, bien éloignée des espoirs, nés à la fin de la guerre, dans un monde fraternel et égalitaire.
Le livre fut illustré de dessins de Tofano.
Il obtint le prix Veillon.
Il eut de très nombreuses rééditions y compris scolaires.
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En février 1964, à Cuba, Italo Calvino épousa Judith Esther Singer (ils allaient, lannée suivante, avoir une fille, Abigail). Un critique avança lidée que ce nouveau statut expliquait quà partir de ce moment ses fictions allaient être fermement encadrées.
Au cours de ce voyage, il visita sa ville natale, et rencontra Ernesto Che Guevara, ce qui allait lamener, le 15 octobre 1967, quelques jours après la mort de celui-ci, à décrire dans un article liimpression durable quil lui avait faite.
De retour en Italie, il sétablit à Rome. Toutefois, il allait se rendre régulièrement à Turin, pour collaborer avec Einaudi (chez qui il se fit le défenseur et larbitre le plus influent de tous les romans davant-garde italiens ou étrangers, publiant Queneau, Perec, Borges, aux uvres desquels il voua une indéfectibe admiration) et avec les deux grands quotidiens dinformations italiens : Il corriere della sera et La repubblica.
Cette année-là, il republia Le sentier des nids daraignées, avec une importante nouvelle préface qui offrait une canonique définition du néoréalisme qui avait imprégné le roman.
Il publia :
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L'antitesi operaia
(1964)
Essai
Ce fut la dernière tentative de Calvino pour une analyse complète des différents phénomènes économiques, sociaux, politiques et culturels.
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Ti-Koyo e il suo pescecane
(1964)
Ti-Koyo et son requin
(1964)
Scénario
Un jeune garçon polynésien découvre un bébé requin, et décide de lélever avec laide dune amie. Mais cet animal de compagnie peu commun, une fois devenu adulte, est relâché à contre-coeur à la mer par celui qui est devenu un jeune homme, pêcheur de perles. Mais la pêche traditionnelle est remplacée par une pêche industrielle. Un jour, alors quil est en danger, il est sauvé par son requin. Quand son village est détruit, le squale se faitt en quelque sorte son protecteur. Ti-Koyo, son amie et le requin se mettent en quête dun lieu paisible ou tous trois pourraient vivre en paix.
Commentaire
Le film fut réalisé par Folco Quilici.
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Lintérêt constant de Calvino pour la littérature française le conduisit vers cette autre avenue de la modernité, celle quouvrait cet écrivain éclectique et inclassable quétait Raymond Queneau, qui proposait une littérature qui relève de la combinatoire, des possibles narratifs, des jeux avec le langage, tout en maintenant le «plaisir du texte». Il allait le traduire, le préfacer, le commenter, participer aux activités de lOuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle), groupe d'écrivains expérimentaux quil avait créé, dont les membres cultivaient toutes les formes d'écriture à contraintes, activités qui allaient linfluencer fortement. Nhésitant pas à définir Queneau comme son maître, ayant, comme lui, une soif inassouvie de connaissances, le souci constant de comprendre lêtre humain dans ses aspects les plus contradictoires et incongrus, de le définir dans ses finalités dordre éthique, il allait enrichir sa propre oeuvre en mettant les mathématiques, les sciences naturelles, la science-fiction, la sociologie, la sémiologie et le structuralisme au service du conte philosophique ; il allait publier des oeuvres représentant cette nouvelle orientation, fortement expérimentale, de sa recherche. Son écriture allait être fondée non seulement sur lexploitation narrative dune image matricielle, comme cétait le cas dans le cycle fantastique de I nostri antenati, mais également sur une analyse rigoureuse des mécanismes de limagination visuelle. Son ambition allait être dutiliser la création littéraire pour relier les champs du savoir, et inciter à une approche critique et responsable des différents codes et langages qui organisent la culture occidentale.
Ce fut ainsi que, après avoir traversé une crise et une très longue période de silence, sinspirant directement d'une uvre de Raymond Queneau, La petite cosmogonie portative (1950), lui empruntant images et ludisme langagier, il publia dabord dans Il caffè, un magazine littéraire, puis en librairie :
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Le cosmicomiche
(1965)
Cosmicomics
(1968)
Recueil de douze nouvelles
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La distanza della Luna
La distance de la Lune
Nouvelle
«Autrefois, selon sir George H. Darwin, la Lune était très proche de la Terre. Ce sont les marées qui, peu à peu, len éloignèrent : les marées que la Lune, précisément détermine dans les eaux terrestres, et par lesquelles la Terre perd lentement son énergie.»
Qfwfq, le narrateur, entité d'une espèce indéterminée, personnage sans âge, dont on sait juste qu'il est au moins aussi vieux que le monde, qui traverse lespace-temps avec autant de fluidité quun courant dair, nous conte lépoque où la Lune était très proche de la Terre, à portée d'une échelle. Fermier, il s'employait alors, avec le capitaine Vhd Vhd, sa femme, son cousin sourd, et aussi quelque fois la petite Xlthlx, à recueillir du «lait» de Lune. Il nous présente un quotidien simple et concret. Il nous plonge aussi dans la réalité drôle et très humaine des amours impossibles et chastes entre la femme du capitaine, Mme Vhd Vhd, et le cousin sourd.
Commentaire
Dans cette nouvelle, tout senvole, plane, se détache du sol, se «lunifie», se fait lune en suspension et légèreté. La matière devient filamenteuse, aquatique, liquide, bougée par des marées qui sont les respirations dune Lune trop proche de la Terre
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Sul far del giorno
Au point du jour
Nouvelle
Qfwfq et sa mystérieuse tribu, formée dun père, dune mère, dune sur, dun frère, dune grand-mère, ainsi que de connaissances, qui ne sont tous que des êtres sensoriels mais sans formes, vivent dans luniverselle poussière qui est sur le point de devenir la nébuleuse qui va contenir notre système solaire. Où et qui ils sont est, littéralement, obscur, puisque la lumière na pas encore été inventée. Aussi ny a-t-il pour eux rien à faire quà attendre, rester couverts du mieux quils peuvent, sommeiller, parler de temps à autre pour sassurer quils sont toujours là ; et, naturellement, se gratter les uns les autres ; parce que toutes ces particules tournant constamment sentent seulement une gênante démangeaison, qui va commencer à faire changer les choses. Car la condensation se produit. La grand-mère perd son coussin, «un petit ellipsoïde de matière galactique». Des choses se coagulent. Du nickel se forme. Des membres de la tribu senvolent dans toutes les directions. Soudain, la condensation est complète, et la lumière apparaît. Le soleil est maintenant à sa place, et les planètes commencent leurs orbites. Surtout, il fait mortellement chaud. Comme la Terre commence à sépaissir, la sur de Qfwfq, G'd(w)n seffraie, et disparaît à lintérieur de la planète. Il nest plus question delle jusquà ce que Qfwfq, bien plus tard, en 1912, la retrouve à Canberra, mariée à un certain Sullivan, un cheminot retraité, si changée quil la reconnaît à peine !
Commentaire
Cest lhistoire de la création de lunivers.
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Un segno nello spazio
Un signe dans lespace
Nouvelle
Comme Qfwfq a remarqué que la galaxie met exactement deux cents millions dannées, pas une minute de moins, pour effectuer une révolution, il est obsédé par le désir de laisser un signe dans lespace, quelque chose qui lui soit particulier, qui marque son passage, et qui puisse impressionner quiconque pourrait le voir. Ce désir est le résultat de sa volonté de penser, parce que penser navait jamais été possible auparavant, dabord parce quil ny avait rien sur quoi penser, puis parce que les signes auxquels penser étaient absents. Mais, à partir du moment où ce signe existe, il est possible pour quelquun de penser à la chose quil représente.
Malheureusement, un contemporain de Qfwfq, Kgwgk efface son signe, et le remplace par le sien. En rage, Qfwfq veut faire un nouveau signe dans lespace, un signe réel qui fasse mourir denvie Kgwgk. Ainsi, cette compétition fait naître lart. Mais la tâche de faire un signe est devenue plus difficile parce que le monde avait commencé à produire une image de lui-même, et quen chaque chose une forme commençait à correspondre à une fonction, quen ce nouveau signe on pouvait percevoir linfluence dune nouvelle façon de regarder les choses, ce quon pourrait appeler un style.
Qfwfq est satisfait de ce nouveau signe. Mais, comme le temps passe, il laime de moins en moins, pense quil est quelque peu prétentieux, démodé. Il décide de leffacer avant que son rival le voie. Pendant un certain temps, il apprécie quil ny ait rien dans lespace qui puisse le faire paraître comme un idiot aux yeux dun rival.
Mais le réel artiste déteste ne rien faire. Aussi Qfwfq en vient-il à samuser en fabriquant de faux signes pour ennuyer Kgwgk : des entailles dans lespace, des trous, des taches, de petits trucs que seule une créature incompétente comme Kgwgk pourrait prendre pour des signes. Cependant, il constate avec horreur, chaque fois quil passe près de ce quil pense être un de ses faux signes, quil y en a une douzaine dautres, griffonnés sur le sien..
Finalement, tout est devenu si embrouillé par un enchevêtrement de signes sans signification que le monde et lespace semblent le miroir lun de lautre, lun et lautre minutieusement ornés de hiéroglyphes et didéogrammes, et que Qfwfq abandonne. Il ny a plus de point de référence parce quil apparaît clairement que, indépendent des signes, lespace nexiste pas et, peut-être, na jamais existé.
Commentaire
Au vieux débat sur lêtre et le non-être, Calvino ajouta sa propre conception dune multiplicité de signes qui compromet toute signification. Quil y ait trop de noms pour désigner une chose, cest comme sil ny avait pas de nom pour elle, comme si elle nexistait pas.
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Tutto in un punto
Tout en un point
Nouvelle
Au commencement, avant le «big bang», dans le vide sans son, sans temps, toute la matière était concentrée en un seul point. Qfwfq peut en parler parce que, enfant, il y était : «Vous comprendrez quon était tous là - où ailleurs aurions-nous pu être? Personne ne savait encore quil pouvait y avoir lespace. Et pas plus le temps. Quest-ce que nous aurions pu faire du temps, serrés là comme des sardines?»
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Senza colori
Sans les couleurs
Nouvelle
Avant quil y ait une atmosphère sur la nouvelle Terre, tout est dans la même teinte de gris. Avec lapparition de latmosphère apparaissent aussi les couleurs qui envahissent les planètes, ce qui effraie Ayl, quaime cet adolescent quest Qfwfq, qui courtise aussi Lll et Mrs. Vhd Vhd.
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Giochi senza fine
Jeux sans fin
Nouvelle
Avant que lunivers ait formé guère plus que des particules, Qfwfq et son ami, Pfwfp, alors que se déploient les couleurs incandescentes dexplosions stellaires, jouent aux billes sur la courbure de l'espace avec des atomes d'hydrogène naissant. Qfwfq poursuit son ami autour du firmament. «Qui a attendu deux cents millions d'années peut bien aussi en attendre six cents ; et donc, j'attendis ; la route était longue mais enfin je n'avais pas à la faire à pied ; assis en croupe sur la galaxie, je parcourais les années lumière en caracolant sur les orbites planétaires et stellaires comme sur la selle d'un cheval aux sabots lançant des étincelles...»
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Lo zio acquatico
Loncle aquatique
Nouvelle
Comme, à un stade de lévolution, des animaux quittent la mer et viennent vivre sur la terre, en particulier Qfwfq qui est un aventureux jeune vertébré, sa famille, vivant sur la terre, est quelque peu honteuse du vieil oncle N'ba N'ga qui reste aquatique, vit encore dans la mer, refuse de devenir amphibien et de venir sur le rivage, avec les gens «civilisés».
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Quanto scommettiamo?
Combien devons-nous parier?
Nouvelle
Qfwfq parie quun univers va apparaître, et remporte ce premier pari fait avec le doyen (k)yK. À travers les temps, ils continuent à faire des paris, et, habituellement, Qfwfq gagne parce quil parie sur la possibilité quun certain événement se produise, tandis que le doyen presque toujours parie contre elle. Mais Qfwfq commence à faire des sauts sauvages dans lavenir (par exemple un pari sur la conduite dune Italienne en 1926), et à perdre. Puis ils en viennent à parier sur des personnages de romans non encore écrits ; par exemple, le doyen gagne le pari sur le sort quallait donner Balzac à Lucien de Rubempré à la fin des Illusions perdues. Les deux parieurs sintéressent à de vastes fondations de recherches dont les bibliothèques contiennent dinnombrables références. Finalement, comme lunivers humain lui-même, ils commencent à se noyer dans les signes, et Qfwfq pense avec nostalgie au début où, à travers le vide, il était agréable de tirer des lignes et des paraboles, de saisir le point précis, lintersection entre lespace et le temps, quand lévévement allait surgir, indéniable dans la proéminence de son rougeoiement ; alors que, maintenant, les événements coulent sans interruption, sont une pâteuse masse dévénements sans forme ou direction, qui entoure, submerge, écrase tout raisonnement.
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I dinosauri
Les dinosaures
Nouvelle
Le dernier des dinosaures se trouve être Qfwfq, qui rencontre la race suivante, celle des mammifères, qui ne comprennent pas quil est lun de leurs terribles ennemis du passé. Ils le trouvent tout à fait laid, mais pas excessivement étranger. Amusé, il écoute les légendes sur sa race qui la présentent comme monstrueuse, qui sont le résultat de la puissante imagination de lêtre humain, des mots quil emploie, des signes quil reconnaît. Finalement, il comprend que, plus les dinosaures disparaissent, plus il étendent leur domination dans lesprit des survivants. Mais il ne regrette pas dêtre le dernier des dinosaures, et il quitte les nouveaux pour traverser les vallées, les plateaux et les plaines, arriver à une gare, prendre le premier train, et se perdre dans la foule.
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La forma della spazio
La forme de lespace
Nouvelle
Alors que Qfwfq «tombe» à travers lespace, il ne peut sempêcher de remarquer que sa trajectoire est parallèle à celle dune belle femme, Ursula H'x, et à celle du lieutenant Fenimore, qui est aussi amoureux delle. Qfwfq fait tous les calculs du monde pour savoir si, malgré le postulat des parallèles, il pourra bientôt rejoindre la demoiselle, imagine que la forme de lespace change, de manière quil puisse toucher Ursula Hx (ou lutter avec Fenimore).
Commentaire
Par le fait que son personnage veuille sapprocher de celui d'Ursula H'x, Calvino voulut montrer que seule une passion vraie peut faire dévier un homme de sa trajectoire prédestinée. Il compara aussi l'existence à son travail d'écrivain : «Ce qu'on pouvait considérer comme des lignes droites à une seule dimension était en réalité plutôt semblable à des lignes cursives, tracées sur une page blanche, par une plume qui déplace les mots et les morceaux de phrases
». Le déroulement de lexistence est comme un livre qu'on écrit au fur et à mesure, les pâtés, les ratures, les brouillons étant les passions, ce qui le rend imparfait et magnifique.
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Gli anni-luce
Les années-lumière
Nouvelle
Qfwfq, regardant dautres galaxies dans son télescope, comme il le fait chaque nuit, en remarque une où est pointé droit vers lui un signe disant : «Je vous ai vu». Étant donné quil en est séparé par un gouffre de cent millions dannées, avec hâte, il consulte son journal pour déterminer ce quil faisait ce jour-là, et découvre que cest quelque chose quil voulait cacher, et dont il avait espéré que ce serait oublié. Et il commence à sinquiéter, à se demander ce que les gens, dans les galaxies de lunivers pensent de lui. Il continue à chercher des signes, spéculant sur ce que chacun révèle des jugements des autres sur lui.
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La spirale
La spirale
Nouvelle
Qfwfq est un mollusque sur un rocher dans la mer primitive. Sont décrites avec minutie ses sensations. Il se dit lui-même être quelque peu narcissique, car il passe toute le temps à sobserver, à saimer, voyant toutes ses qualités et tous ses défauts, bien quil nait pas déléments de comparaison. Aussi se considère-t-il au paradis, jusquà ce que la chaleur du soleil vienne gâcher les choses. Il sent les vibrations dun autre sexe ; il y a des ufs à fertiliser : cest lamour.
Des ères passent. La coquille-Qfwfq est sur le ballast dun chemin de fer alors quun train passe. De jeunes Néerlandaises regardent par la fenêtre. Qfwfq nest étonné par rien, car il a limpression quen faisant la coquille, il a fait aussi «le reste». Mais il na pas prévu une chose : les yeux qui, finalement, se sont ouverts pour le voir ne sont pas les siens mais ceux dautres.
En réponse aux nouvelles choses, Qfwfq sexprime en faisant une coquille qui devient une spirale, qui nest pas très efficace pour assurer la défense, mais est belle. Et sa bien-aimée fait sa propre coquille, qui est identique à la sienne.
Aussi lartiste en lui se réjouit-il que le mâle et la femelle soient finalement unis dans la rétine de lil dun étranger.
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Commentaire sur le recueil
«Cosmicomique» est un néologisme qui combine habilement les lexèmes «cosmos» et «comique».
Le recueil, qui rassemble des fictions qui se développent sur une base scientifique (chacune des nouvelles débute avec une citation qui semble être un extrait, aride et scolaire, dun manuel de physique, dastronomie ou de géologie, qui présente une hypothèse scientifique ou une découverte récente liée aux origines de l'univers), est bien une uvre de science-fiction, de préhistoire-fiction si lon veut, Calvino ayant voulu intégrer à la littérature le discours de la science, à lépoque des premiers satellites, des premiers lancers dans lespace, et des premiers hommes sur la Lune, qui est dailleurs un des thèmes dominants des nouvelles.
Est racontée la naissance et lévolution de lunivers ; est expliqué comment lunivers est né dun point plus petit quun atome, comment il est courbé, comment le système solaire sest formé depuis une nébuleuse, comment lorbite de la Lune changea il y a longtemps, comment les dinosaures disparurent, comment sont apparus lêtre humain et la société, etc..
Doté dune formidable inventivité, Calvino eut là une idée ingénieuse et enchanteresse, une idée que personne auparavant navait mise par écrit, son uvre ne ressemblant à rien de connu, lidée de traduire, avec une éblouissante imagination, des théories scientifiques en des histoires dune fantasmagorie poétique ; de montrer que la science peut être un voyage fabuleux en nous-même à travers l'histoire de l'Univers ; de donner à la science des airs de mythologie ; de faire jaillir de cet univers invisible et presque impensable des histoires capables d'évoquer des impressions élémentaires comme le firent les récits bibliques, les mythes cosmogoniques des peuples de l'Antiquité (alors queux partaient des mythes pour aborder et comprendre les phénomènes de la Terre et du ciel, il partit de la science actuelle pour retrouver le plaisir de raconter, et de penser en racontant), doù lintertextualité foisonnante de cette «petite mythologie à lusage de notre temps» ; de créer des personnages à partir de formules mathématiques et de simples structures cellulaires ; de composer une véritable bande dessinée, de nous inviter au rêve, de nous amuser, le comique tenant à ce que les incontestables concepts de la physique sont soumis à la satire, que langoisse devient un effroi doux et amusant, quon y trouve un trésor d'humour pimenté d'un trait de nonsense. Il est patent que Calvino s'est bien amusé en écrivant ces contes.
Le narrateur, Qfwfq, dont on peut remarquer que le nom est un palindrome, rebondit sur chacun de ces citations données en introduction, et, avec sa voix bien à lui, très reconnaissable, très logique, y va de son anecdote, relate certains de ses souvenirs personnels, amoureux ou familiaux, étroitement liés à la formation de l'univers et à l'apparition de la vie sur Terre. Ainsi, comme souvent chez Calvino, une image (ici la représentation visuelle de I'avant-texte scientifique) déclenche un développement imaginaire, intériorisant cette image fondatrice en un récit.
De naturel bougon, coureur de jupons et poète, souvent ridicule du fait de son égocentrisme, aussi vieux que le monde, ce héros protéen, tantôt animal primitif, tantôt pur esprit, voire particule élémentaire à I'origine de I'univers, est un guide hors pair qui met le cosmos à notre portée. Ses différentes vies semblent sans commencements, impliquant transmigration et transformation, toute mention de la mort et de la naissance étant manifestement absente. Il semble toujours avoir été même sil ne perd pas de temps à spéculer sur ce fait. Il nous parle de son existence datome avant que des formes de vie napparaissent, quand toute sa famille vivait sur une nébuleuse ; de sa vie en tant que mollusque sur le fond de la mer, damphibien, de dinosaure, de fermier sur la Lune, etc.. Il est omniscient et infaillible ; son savoir est si vaste qu'il embrasse, à un ou deux milliards de kilomètres près, tout le système solaire ; quel que soit le sujet abordé : galaxies, dinosaures, systèmes solaires ou encore ères géologiques
rien de ce qui s'est passé depuis des millions d'années ne lui est étranger. Peu importe ce qui est mentionné, il se souvient ou peu consulter son journal. Il connaît aussi bien l'amour que les mathématiques, la passion s'exprimant à travers ses différentes relations amoureuses, autant le langage que l'art des paradoxes. Avec lui, toutes les conceptions ordinaires sont mises en lumière, examinées, remises en question, rejetées. Le monde, c'est lui en somme.
La plupart de ses amis et parents ont des noms tout aussi imprononçables que le sien, qui semblent le résultat dune errance des doigts sur le clavier : Pfwfp, la petite Xlthlx, la mémé Bbb, Gd(w)n, la sur, Rwzfs, le frère, le vieil oncle N'ba N'ga, le sournois Kgwgk, le Doyen (k)yK, Monsieur Hnw, la belle Lll, lodieux Pbert Pberd, Madame Ph(i)Nko, son soupirant Monsieur de XuaeauX, la sensuelle Ursula Hx, le capitaine Vhd Vhd, Mme Vhd Vhd, Zzu, la bien-aimée Mrs. Ph (i) Nk0, etc. Ils reçoivent des caractérisations anthropomorphes (titres tels que lieutenant, capitaine, doyen, ou liens de parenté tels que grand-mère, ou encore les formes telles que Madame, Monsieur) qui annoncent une possible lecture métaphorique. Et, bien quils ne soient pas tous humains, ils ont tous dhumaines faiblesses : incompréhension de leurs corps et de leur environnement, névrose, ennui, esprit de compétition, intrigues amoureuses triangulaires, passion du jeu, etc.).
Les Cosmicomiques sont des paraboles où sont évoqués des problèmes anthropologiques fondamentaux (l'origine du monde, de la matière, de la pensée, de la conscience de soi, des signes...) ; où lélasticité de lesprit est explorée par des changements de quantité et déchelle dans le temps et dans la forme ; où, à travers les yeux de Qfwfq et de sa famille, avec un anthropomorphisme délirant, nous voyons lespace et le temps sur une échelle humaine, tandis que les émotions humaines, enjouées, tumultueuses, mélancoliques, sétendent jusquà remplir lunivers ; où les infinis du temps et de lespace deviennent momentanément acceptables à lesprit fini ; où le lecteur entrevoit sa propre infinitésimale signification comme part de la complexe vastitude du cosmos ; où nous pouvons enlever couche après couche les fausses conceptions que nous nous faisons de nous-mêmes ; où nous sommes forcés dabandonner, avec le sourire, nos habitudes anthropocentriques, limage traditionnelle de lêtre humain, pour parvenir à lêtre plus fondamental que celui qui est identifié à un corps particulier ou à une vie éphémère.
Calvino nous rappelle que «Le monde existait avant lhomme et il existera après. Lhomme est seulement une occasion que le monde a à disposition pour organiser certaines informations sur lui-même.» Il nous offre la chance inespérée de comprendre que le sens réel de la vie repose dans l'accomplissement personnel et dans le respect du monde vivant.
Par leurs thèmes, ces textes se faisaient aussi l'écho d'un débat intellectuel central dans I'Italie des années 60, celui qui opposait I'historicisme (le sujet comme produit de I'Histoire) au structuralisme (le sujet comme «effet de langage»).
Lors de la parution du recueil, la critique italienne dénonça le formalisme «désengagé» de ces nouvelles, qui sont de véritables laboratoires expérimentaux. Mais, aujourdhui, elles sont considérées comme une des plus éblouissantes et joyeuses fictions littéraires du XXe siècle.
En 2007, à Genève, le recueil fut adapté au théâtre par Paola Pagani,
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En 1966, la mort dElio Vittorini affecta grandement Calvino. Il passa par ce qu'il appela une «dépression intellectuelle», quil décrivit comme un passage important dans sa vie : «J'avais cessé d'être jeune. Peut-être que c'est un processus métabolique, quelque chose qui vient avec l'âge. Javais été jeune pendant une longue période, peut-être trop longue. Tout à coup, j'ai senti que je devais commencer mon vieil âge, oui, le vieil âge, peut-être avec l'espoir de le prolonger en commençant plus tôt.»
En 1967, il sétablit à Paris («Le lieu idéal pour moi est le lieu où il est le plus naturel de vivre en étranger : Paris est ainsi la ville où je me suis marié, où jai trouvé une maison, élevé ma fille.») Dans la capitale française fermentait ce qui allait éclater dans la révolution culturelle de mai 1968. Il y fut surnommé «L'ironique amusé». Il traduisit le roman de Queneau Les fleurs bleues, qui est une illustration remarquable du concept de «multiplicité», et qui était destiné à devenir lun des piliers de sa propre réflexion théorique. Il mit un grand soin à restituer fidèlement, aux lecteurs italiens, la saveur originale, en dépit des différences entre les contextes sociolinguistiques et les traditions littéraires respectives, au point que cet effort dadaptation accentua la lisibilité du texte : il rendit les jeux langagiers, les effets de style, les réinventant parfois de toutes pièces, les engrenages subtils dun texte qui produit sa signification à partir dune interaction parfaite entre le langage, le récit et lorganisation formelle du roman.
Par lentremise de Queneau, il fit la connaissance de Roland Barthes, de Claude Lévi-Strauss, des membres de lOuLiPo, dont Georges Perec.
En 1967, il publia Appunti sulla narrativa come processo combinatorio, essai qui allait être repris, en 1980 sous le titre Cibernetica e fantasmi dans le recueil Una pietra sopra.
La même année, il donna une suite aux Cosmicomics avec :
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Ti con zero
(1968)
Temps zéro
Recueil de huit nouvelles
Il est organisé en trois parties :
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Altri Qfwfq
Plus de Qfwfq
Ce sont dautres nouvelles «cosmicomiques» qui mettent en scène Qfwfq : "La molle Luna" (La douce Lune), "Lorigine degli uccelli" (Lorigine des oiseaux), "I cristalli" (Les cristaux), "Il sangue, il mare" (Sang, mer).
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Priscilla
Priscilla
Qfwfq est, à Paris, tombé amoureux dune fille nommée Priscilla. Trois nouvelles consécutives, "Mitosi", "Meiosi", "Morte", sont consacrées aux processus biologiques gouvernés par la mort comme fin.
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Ti con zero
Qfwfq disparaît, et Calvino explore le domaine de la logique et des mathématiques, dans des «récits déductifs» qui proposent des scénarios virtuels aptes à contenir tout limpondérable de lexistence dans lespace de la conjecture, où on distingue les influences de Nathalie Sarraute, dAlain Robbe-Grillet.
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Monte Cristo
Le comte de Monte Cristo
Nouvelle
«Une série de plans» du château d'If où se morfond Edmond Dantès, le héros du Comte de Monte-Cristo, dAlexandre Dumas, est assimilé avec «les pages d'un manuscrit sur le secrétaire d'un romancier». Les chapitres empilés, redécoupés, recollés, qui fixent l'écriture dans son résultat matériel peuvent simuler une prison dans leur entassement. Mais ils sont en réalité une issue pour le prisonnier.
Commentaire
Dans ce récit vertigineux, tout à fait dans lesprit de Borgès, Calvino se livra à une étourdissante interprétation métaphysique de la captivité dEdmond Dantès, montra lessentielle unité de la multiplicité de toutes choses. La nouvelle attestait une inflexion du rapport de Calvino avec une réalité vécue comme labyrinthe, la littérature ayant pour fonction ou d'en chercher les issues ou de reconnaître leur inexistence.
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La memoria del mondo e altre storie cosmicomiche
(1968)
Recueil de nouvelles
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La memoria del mondo
La mémoire du monde
Nouvelle
Ayant stocké sur des fichiers toutes les informations disponibles dans le but darchiver lunivers, un savant convoque son collaborateur, et lui apprend que cette mémoire nest pas la reprise brute des événements tels quils se sont produits, mais une version acceptable de ces mêmes événements. Ce monde-fiction a besoin, pour être, de lélimination de tous les témoins oculaires, ce quatteste la conclusion, qui réalise la synthèse parfaite de la fiction et de lHistoire dans la correction de la réalité là où elle ne coöincide pas avec le modèle. En effet, le savant efface alors de cette mémoire son collaborateur en lui donnant la mort, car il est à la fois le dépositaire du secret de la falsification, et lex-amant de sa femme, et risquerait, en restant en vie, de ternir limage parfaite, définitive, de celle-ci dans les circuits de lordinateur.
Commentaire
La nouvelle, très «borgesienne», illustre aussi le caractère des systèmes totalitaires, comme le stalinisme, qui se voulaient clos, auto-régulés, fermés à laltération de lHistoire.
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Calvino suivit les soulèvements étudiants des années 1967-1970 avec un certain détachement, même si ses propres idées évoluaient dans la direction de lutopie à travers sa lecture de lutopiste Charles Fourier, car il préparait lédition dune sélection de ses uvres pour Einaudi.
En 1968, il eut à la télévision un entretien sur «science et littérature», où il justifia lopinion paradoxale quil a souvent soutenue, suivant laquelle Galilée est le plus grand écrivain italien.
En 1969, il accepta décrire un texte, Il castello dei destini incrociati, pour accompagner la somptueuse édition pour bibliophiles, chez Franco Maria Ricci, des cartes du tarot de Bergame qui date du XVe siècle (Tarocchi. Il mazzo visconteo di Bergamo e New York - Tarots. Le jeu de cartes Visconti de Bergame et de New York). Ce texte fut repris, chez Einaudi, avec une suite, qui illustrait les cartes du tarot ordinaire, La taverna dei destini incrociati (1973) dans :
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Il castello dei destini incrociati
(1969-1973)
Le château des destins croisés
(1976)
Roman
Il est constitué de deux parties qui suivent le même modèle.
Un voyageur arrive à destination (un château dans un cas, une taverne dans l'autre, tous deux au cur dune vaste forêt). Se tient alors une table dhôte (quel meilleur endroit pour débuter une histoire?) qui rassemble tous ces gens fortuitement réunis. Dans la plus pure tradition romanesque, les convives se proposent de raconter tour à tour ce quils ont vécu (histoires damourl, batailles, conquêtes, trahisons). Mais un enchantement les rend soudain tous, lui-même compris, muets. Comment vont-ils sy prendre pour raconter sans mots? Chacun, pour donner son histoire à déchiffrer aux autres, utilise un jeu de tarots, leurs différentes configurations révélant leurs épreuves. Un narrateur suit la façon dont chacun dispose les cartes, juxtalinéairement sur une table, et élabore une mise en récit à partir de ces informations visuelles. Les récits s'édifient donc simultanément, carte après carte, dans les deux dimensions du plan. Sur chaque page du livre apparaissent les cartes, les figures salignant dans toutes les combinaisons imaginables, et, à leur côté, I'interprétation que le narrateur en suggère. Les récits qui en résultent, et qui souvent se chevauchent, semblent être la distillation de toutes les histoires jamais racontées. On y trouve des figures bien connues des mythologies, de la littérature ou de lHistoire (l'alchimiste qui a vendu son âme, «I'irrésolu» qui est incapable de choisir dans un monde qui ne cesse de lui infliger cette torture, Parsifal, Roland fou amoureux, saint Georges, saint Jérôme, Faust, dipe, Hamlet...), mais aussi certaines que lauteur inventa.
Commentaire
La présentation et la rédaction de ces récits partent d'une surprenante contrainte, autre application des matrices fictionnelles proposées par lOuLiPo, celle des figures du tarot, qui, malgré leurs aspects lacunaires et énigmatiques, obéissent à un symbolisme qui limite toute combinatoire extrinsèque, mais qui contiennent toutes les vies, y compris celle du narrateur et celle du lecteur, Calvino découvrant ou redécouvrant la plus ancienne des mécaniques narratives, mais pliant le foisonnement de ses virtualités en adoptant la formule du recueil de nouvelles à la Boccace. Il indiqua : «Ce livre est d'abord constitué d'images, des cartes du tarot, puis de mots écrits».
Cest une «machine littéraire» d'une extraordinaire virtuosité et d'une grande ambition qui est susceptible de produire, et de mettre le lecteur en état de produire, «tous les récits du monde», un nombre infini d'histoires, de destins qui s'entrecroisent, à I'image de la «vie» sans doute, puisque Calvino affirmait à cette époque que la réalité, le «monde extérieur» doivent, eux aussi, être analysés comme des «histoires», des structures narratives.
L'organisation géométrique des parcours de lecture, qui était rigoureuse dans Le château, devint plus chaotique dans La taverne. Alors que Le château utilisait le Roland furieux (Histoire de Roland fou d'amour, Histoire d'Astolphe dans la lune...) comme point de départ, dans La taverne, se déploya un ensemble foisonnant de références culturelles : grands mythes de la littérature occidentale (Faust, Parsifal), allusions aux uvres de grands écrivains et de grands peintres (Lucrèce, Shakespeare, Sade, Stendhal, Carpaccio, Dürer
), allusions aux sciences humaines avec Sigismond de Vienne ; bref, tout le patrimoine de la culture occidentale se trouvait évoqué en filigrane de la vie des personnages.
Une note finale fit allusion à un troisième ensemble : Le motel des destins croisés, qui ne fut jamais rédigé.
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En 1970, Calvino publia :
- Gli amori difficili, un recueil de nouvelles écrites entre 1949 et 1967, et pour la plupart déjà publiées dans Ultimo viene il corvo, I racconti, Ti con zero;
- Orlando furioso di Ludovico Ariosto raccontato da Italo Calvino (Roland furieux choisi et raconté par Italo Calvino [1982]), un commentaire du poème épique de quarante-six chants, écrit par Ludovico Ariosto, dit en français l'Arioste, au début du XVIe siècle, qui s'inscrivait dans le cycle carolingien comme un lointain descendant de La chanson de Roland, étant présenté, à sa sortie, comme une suite de Orlando innamorato (Roland amoureux) de Matteo Maria Boiardo.
En 1971, il publia Teoria dei quattro movimenti. Il nuovo mondo amoroso, une anthologie critique des textes de Charles Fourier, quil plaça dans le cadre dun vaste débat sur la fonction sociale et pédagogique de la littérature et des arts. Il expliqua dans la préface que parcourir cette uvre composite et inachevée, ouverte à de multiples interprétations, correspondait pour lui, en quelque sorte, à parcourir lhistoire même des avant-gardes afin délucider «lexpérience que le discours littéraire a conduite sur lui-même, pour son propre usage, pour son utilité publique». Cependant, les trois écrits quil consacra ensuite à Fourier, La sociétà amorosa (1971), Lordinatore dei desideri (1971) et Quale utopia? (1973), montrèrent clairement que sa fascination initiale pour la machine logico-fantastique de Fourier sétait estompée progressivement. À travers sa lecture, il découvrit linsuffisance de tout discours utopique, et en vint à affirmer son exigence dinstaurer un rapport avec la réalité en marge des doctrines et des écoles, en cherchant dans les plis, dans les zones dombre, dans les effets involontaires que le système le plus sophistiqué finit toujours par entraîner.
Il publia :
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Le citta invisibili
(1972)
Les villes invisibles
(1974)
Roman de 180 pages
Assis dans un jardin, le jeune voyageur vénitien Marco Polo raconte à lempereur de Chine, Kublai Khan, potentat qui possède déjà tout mais qui, âgé et mélancolique, est insatisfait, une série d'anecdotes de voyages, lui décrit les cinquante-cinq villes qu'il a visitées, et que lempereur na pas vues. Elles sont classées selon différentes catégories :
- Les villes et la mémoire : Diomira (dont les visiteurs jalousent ceux chez qui la ville suscite une douce mélancolie), Isidora (qui est rêvée par le voyageur alors quil est jeune, et où il arrive alors quil est âgé), Zaïre (qui sest imprégnée du passé, et le possède «pareil aux lignes dune main»), Zora (dont les qualités sont inoubliables), Maurillia (où la ville moderne ne ressemble en rien à la Maurillia de jadis, «une autre ville qui par hasard sappelait aussi Maurillia») ;
- Les villes et le désir : Dorothée (qui est organisée dune façon très géométrique), Anastasie (qui peut être décrite comme une ville du désir et vécue comme une ville de lesclavage), Despina (qui se présente différemment selon quon lapproche par terre ou par mer, le chamelier la voyant comme un navire grâce auquel il pourrait sévader du désert, le marin la songeant comme un chameau qui lui permettrait de fuir la mer), Foedora (où des maquettes sont emboîtées dans des boules de verre), Zobéïde (dont le plan des rues fut établi comme une trappe destinée à capter une femme entrevue en rêve par les architectes) ;
- Les villes et les signes : Tamara (dont les rues sont pleines daffiches, et au-dessus de laquelle le vent métamorphose en figures les nuages), Zirma (qui «est redondante : elle se répète de manière à ce que quelque chose se grave dans lesprit»), Zoé (qui est une ville «à l'existence indivisible», où chaque activité est possible en tout lieu, et qui devient floue), Ipazie (où les signes sont échangeables), Olivia (que Marco Polo introduit en avertissant : «Il ne faut jamais confondre la ville et le discours qui la décrit, car le mensonge nest pas dans le discours, mais dans les choses») ;
- Les villes effilées : Isaura («la ville aux mille puits, qui s'est élevée présume-t-on sur un profond souterrain»), Zénobie (qui, «bien que située sur un terrain sec, repose sur de très hauts pilotis»), Armilla (qui na ni murs ni plafonds ni planchers), Sophronia (qui comprend deux villes, celle des plaisirs forains et celle des institutions, la première étant cependant fixe, la seconde mobile !), Octavie (que ses habitants ont construite suspendue en lair, au-dessus dun précipice, attachée par des cordes aux crêtes des montagnes) ;
- Les villes et les échanges : Euphémie (qui est une ville de marchands), Chloé (où ne se trouvent dans les rues que des étrangers, et qui est parcourue dune constante vibration voluptueuse), Eutropie (qui est en fait un ensemble de villes, une seule étant habitée, les autres pouvant lêtre quand les habitants sont lassés de la première), Ersilie (dont les habitants ont coutume de tisser des fils entre leurs maisons, en signe de liens affectifs ou formels de toutes sortes, et qui, lorsque les fils empêchent la libre circulation dans les rues, vont sinstaller ailleurs pour y reconstruire leurs réseaux de communication), Sméraldine (qui est une «ville aquatique» où «un réseau de canaux et de rues se superposent et se recoupent») ;
- Les villes et le regard : Valdrade (qui, étant construite sur les rives d'un lac, paraît au voyageur comme deux villes : «l'une qui s'élève au-dessus du lac et l'autre, inversée, qui y est reflétée»), Zemrude (qui change selon l'humeur de celui qui la regarde ; elle est divisée en deux niveaux : celui du haut, où l'on trouve des appuis de fenêtres et des fontaines, et celui du bas, où il y a le ruisseau et les détritus ; la Zemrude du haut n'est décrite qu'à travers les souvenirs de ceux dont les yeux restent désormais fixés au sol), Baucis (dont les habitants ont bâti la ville sur des perches, et «préfèrent ne pas descendre»), Phyllide (qui reste en partie invisible pour ses habitants, parce quils ne reconnaissent que les points dans la ville qui sont reliés à telle ou telle sensation), Moriane (qui passe dun état magnifique à un état repoussant tous les six mois) ;
- Les villes et le nom : Aglaurée (qui a, sous ce nom, une réputation, qui ne correspond pas à sa réalité), Léandra (qui compte deux sortes de dieux, les Lares et les Pénates), Pirra (dont Marco Polo sémantise le nom), Clarisse (dont le nom indique quelle est la ville glorieuse), Irène (qui alimente les regards et les pensées des voyageurs qui l'approchent, mais dont personne n'a vu l'intérieur) ;
- Les villes et les morts : Mélanie (où lon ne naît que pour prendre la place des morts, tous acteurs dans un dialogue éternel et orienté vers une incertaine fin), Adelma (dont tous les habitants ont le visage de défunts que le voyageur a connus jadis), Eusapie (où la nécropole et la ville des vivants sont indissolublement liées), Argie (qui «a de la terre à la place de lair»), Laudomie (qui «a près d'elle une autre ville dont les familles portent les mêmes noms : c'est la Laudomie des morts, le cimetière») ;
- Les villes et le ciel : Eudoxie (où «on conserve un tapis dans lequel tu peux contempler la véritable forme de la ville»), Bersabée (dont les habitants sont obsédés par une ville céleste quils imaginent toute en or et en pierres précieuses, daprès laquelle ils construisent la Bersabée terrestre, tandis quil y a encore une Bersabée souterraine et infernale), Tecla (dont les habitants pensent éviter la débâcle en la bâtissant et rebâtissant sans arrêt), Périntie (dont les habitants ont voulu sassurer la grâce des dieux, en construisant leur ville daprès les calculs des astronomes, cette ville prometteuse nayant cependant produit que des créatures horriblement déformées), Andria (qui est en parfait accord avec l'harmonie céleste) ;
- Les villes continues : Léonie (dont le déjet «envahirait peu à peu le monde, si sur la décharge sans fin ne pressait, au-delà de sa dernière crête, celle des autres villes, qui elles aussi rejettent loin delles-mêmes des montagnes de déchets.»), Trude (dont le voyageur découvre quelle «ressemble très exactement à la ville dont il vient»), Procope (où lespace est peuplé de petits personnages de plus en plus nombreux : «une foule toujours plus dense» qui fait disparaître le paysage, recouvrant tout), Cecilia (qui est illustre, mais pas aux yeux du chevrier qui y passe avec ses bêtes), Penthésilée (qui «se répand sur des mille aux alentours en un bouillon urbain délayé dans la plaine») ;
- Les villes cachées, qui sont souterraines : Olinde (où, sans cesse, apparaît «une Olinde toute neuve qui dans ses dimensions réduites conserve les traits et lécoulement de lymphe de la première Olinde et de toutes les Olinde qui sont sorties lune de lautre»), Raïssa (qui est malheureuse mais contient «une ville heureuse inconsciente de sa propre existence»), Marozia (où, entre les murs compacts, peut apparaître une autre ville, cristalline, transparente), Théodora (qui se débarrassa de différents animaux, condors, serpents, araignées, mouches, termites, rats, avant dêtre exclusivement humaine), Bérénice (où une Bérénice juste est enroulée dans une Bérénice injuste).
Au début et à la fin de chacune des séries, un dialogue entre Marco Polo et le grand Khan introduit un élément de continuité narrative. Celui de la fin évoque latlas du Grand Khan, où seraient répertoriées, qui le font rêver :
- les plus célèbres villes heureuses de tous les temps : des villes réelles, hantées par lHistoire, dont certaines sont futures (Constantinople, Jérusalem, Grenade, Lübeck, Paris, Nefta, le mont Saint-Michel, Urbino, Cuzco, Mexico, Novgorod, Lhassa, la Corne dor, Amsterdam, la Nouvelle-Amsterdam ou Nouvelle-York, Los Angeles, Kyoto-Osaka, une San Francisco de l'an 2300, pas Venise dont cependant Marco Polo dit : «Chaque fois que je fais la description d'une ville, je dis quelque chose de Venise. Les images de la mémoire, une fois fixées par les paroles, seffacent. Peut-être, Venise, ai-je peur de la perdre toute en une fois, si jen parle. Ou peut-être, parlant dautres villes, lai-je déjà perdue, peu à peu.») des villes imaginaires (la Nouvelle Atlantide, Utopie, la Ville du Soleil, Océana, Tamoé, Harmonie, New-Lanark, Icarie) ;
- des villes maudites et monstrueuses : Enoch, Babylone, Butua, Yahoo, «le meilleur des mondes».
Commentaire
En 1960, Calvino avait reçu du producteur Franco Cristaldi la commande dun scénario ayant pour sujet le récit de Marco Polo, marchand vénitien qui, en parcourant la Route de la soie, atteignit la Chine en 1275, y séjourna dix-sept ans, étant entré au service de l empereur, Kkbilaï, le Grand Khan mongol, qui le chargea de diverses missions, tant en Chine que dans des pays de l'océan Indien. Ce récit, la narration de ses voyages, il lavait, à son retour, dicté à Rustichello de Pise, qui le rédigea directement en français. Il était intitulé Le devisement du monde ; mais est aussi fréquemment utilisé le titre Le livre des merveilles du monde.
Le projet naboutit pas, mais Calvino avait rédigé une centaine de pages. Il y revint à la fin des années soixante, ajoutant, à intervalles irréguliers, le tableau dune ville. Dans une conférence prononcée en 1985 à lUniversité Columbia, à New York, il indiqua : «Pendant quelque temps, il ne venait à mon imagination que des villes tristes et pendant quelque temps que des villes heureuses ; il y avait une période où je comparais les villes au ciel étoilé, aux signes du zodiaque, et une autre période où au contraire jen venais toujours à parler des immondices qui déferlent chaque jour à lextérieur des cités. Cétait devenu un peu comme un journal qui suivait le cours de mes humeurs et de mes réflexions ; tout finissait par se transformer en images de villes : les livres que je lisais, les expositions dart que je visitais, les discussions avec les amis. Mais toutes ces pages mises ensemble ne faisaient pas encore un livre. Un livre (je crois) est quelque chose avec un principe et une fin (même sil ne sagit pas dun roman au sens strict), cest un espace dans lequel le lecteur doit entrer, tourner, se perdre peut-être, mais à un certain point trouver une issue, ou peut-être beaucoup dissues, la possibilité douvrir une route pour aller au loin.»
Sur la quatrième de couverture des éditions successives, il indiqua : «À la manière des compilations géographiques médiévales, ces nouvelles dun monde quun Grand Khan mélancolique reçoit de la bouche dun Marco Polo visionnaire forment un catalogue demblèmes. Mais ici aussi, dun chapitre à lautre - petit poème en prose, apologue ou récit de rêve - on peut tracer une route, retracer le sens dun parcours, dun voyage. De lunique voyage encore possible, peut-être : celui qui se déroule à lintérieur des relations entre les lieux et leurs habitants, au-dedans des désirs et des angoisses que lon éprouve à vivre les villes, à en faire notre élément, à en souffrir.»
Cette structure, où les descriptions de cinquante-cinq villes (nombre qui est aussi celui des villes cités dans Utopia de Thomas More) sont organisées en onze séries entre lesquelles sintercalent des dialogues, est complexe, le livre illustrant le souci combinatoire de Calvino qui, faisant partie de l'OuLiPo, put, en composant ce «patchwork» de villes, soumettre son écriture à des contraintes, dessiner une réalité labyrinthique. Dans la synthèse sur son oeuvre quil rédigea en 1985 pour une conférence quon trouve dans Leçons américaines, il indiqua : «Jai construit une structure à facettes où chaque court texte [
] se trouve pris dans un réseau qui permet de tracer des parcours multiples et de tirer des conclusions ramifiées et plurielles.»
Mais cette complexité est compensée par la brièveté des descriptions : d'une demi-page à une page et demie de petit format, elles sattachent à une seule particularité de la ville ou de ses habitants, en respectant ce principe d'équilibre : plus d'allusions chargent le récit, plus court il est. Ces descriptions, qui ne sont pas liées l'une à l'autre, peuvent être lues comme autonomes, ou comme des variations sur un même thème. Comme, contrairement aux "Mille et une nuits" ou au "Décaméron", elles ne recèlent aucune action, quelles sont statiques, il est bien difficile de voir une trame narrative animer l'ensemble. Il est donc pratiquement impossible de retenir l'ordre des histoires ni du premier coup, ni à la relecture. Le livre devient donc ainsi non seulement non-linéaire, mais aussi interactif : le lecteur est invité à poursuivre les voyages de Marco Polo : soit à revenir dans des endroits qu'il a déjà visités, soit inventer ses propres villes, inventer ou bien combler les lacunes laissées par le malicieux Vénitien et / ou par l'auteur non moins malicieux, à trouver et à activer lui-même les liens intérieurs, en se demandant quel est le principe qui réunit les récits dans les chapitres, ce qui le transforme presque en coauteur. Il s'agit pour le lui de piocher dans ces descriptions une ville qu'il aimera plus qu'une autre.
On peut considérer que les descriptions, si elles ne sont pas liées au niveau du sujet, sont liées à un «métaniveau», par une multitude de moyens, conformément à la définition de l'hypertexte. Quant aux textes qui entourent les onze sections de louvrage, qui se distinguent par leur typographie (caractères italiques), ils présentent une combinaison de dialogues rapportés en style direct, et de scènes proprement théâtrales, et se situent souvent, eux aussi, à un «métaniveau».
Il est inutile de chercher dans cette uvre la description de villes connues. L'exotisme qui présida à la fabrication des «villes invisibles» ne fut fidèle à quelque géographie réelle que ce soit. Leurs noms sont étonnants, étranges, tantôt d'origine pseudo-orientale (Zaïre, Tamara), tantôt latinisants (Octavie, Léonie), tantôt grecs (Foedora, Phyllide), tantôt mythologiques (Léandre, Bérénice), tantôt empruntés à la commedia del arte (Clarice, Sméraldine). On y remarque labondance des prénoms féminins. Mais on trouve des noms pourvus dautres connotations, tels Zaïre ou Procope, ou évoquant des concepts abstraits : Euphémie, Eudoxie, Eutopie. Cette onomastique est faite pour exalter limagination et nourrir la méditation.
Létrangeté des villes se dégage aussi de la diversité des styles et des points de vue adoptés dans chacun de ces cinquante-cinq courts textes qui sont de «petits poèmes en prose» où I'imagination se déploie librement, lensemble pouvant être vu comme un exercice de style. Seuls douze des textes sont rédigés à la première personne. Trois utilisent le vocatif : «ô Kublai magnanime» (Zaïre) ; «ô grand Khan» (Foedora) ; «sage Kublai» (Olivia), et deux (Zermude et Phyllide) utilisent le tutoiement qui évoque un dialogue implicite. On trouve des dialogues rapportés dans Irène, Cecilia et Bérénice. Le dialogue inclus dans le texte relatif à Cecilia est particulièrement significatif : «Tu me reproches quà chacun de mes récits je te transporte au beau milieu dune ville sans rien te dire de lespace qui sétend entre une ville et lautre : si ce sont des mers qui loccupent, des champs de seigle, des forêts de mélèzes, des marais. Cest par un récit que je te répondrai.» Cest donc le récit (ici la description de Cecilia) qui se substitue à la cartographie, au plan durbaniste.
Si, à I'image du Livre des merveilles de Marco Polo, Les villes invisibles est un récit de voyages, alors que le texte du commerçant vénitien décrivait des villes inscrites dans des espaces réels, les villes imaginaires, fabuleuses, mystérieuses, du Marco Polo de Calvino semblent ne pouvoir qu'appartenir au monde du rêve. Leurs descriptions sont précises et baroques à la fois. Leurs coordonnées spatio-temporelles ne sont pas fixes ; elles ne sont pas localisables sur une carte ; leur accès nest indiqué que de façon elliptique : «En partant de là et en allant trois jours vers le levant» (Diomira) - [lhomme qui chevauche longtemps] au travers de terrains sauvages» (Isadora) - «Au bout de trois jours, allant vers le midi» (Anastasie) - [lhomme marche] pendant des jours entre les arbres et les pierres» (Tamara) - «Au-delà de six fleuves et trois chaînes de montagnes» (Zora) - «Par bateau ou à dos de chameau» (Despina) - «À quatre-vingts milles du côté du noroît» (Euphémie) - «Après sept jours et sept nuits» (Zobéïde) - «après avoir marché sept jours à travers bois» (Baucis) - «Passé le gué, franchi le col» (Moriane) - «quand on se penche au bord du plateau» (Irène) - «touchant terre à» (Bersabée), etc... Le temps où se déroule le roman est élastique ; dans les récits de Marco, des dromadaires et des jonques côtoient des gratte-ciel, des radios et des aéroports ; des petites rues sinueuses et des hameaux voisinent le système européen de canalisation ; on trouve une ville des morts parfaitement égyptienne, mais aussi des lares et des pénates.
Au fil du dialogue entre Marco Polo et Kublai Khan, se développe une relation. Lempereur est arrivé à ce moment dans la vie des empereurs où, après l'orgueil d'avoir conquis des territoires d'une étendue sans bornes, ils ressentent une sensation de vide. Nostalgique mais animé par un désir délucidation, il a besoin des récits de voyages de Marco Polo pour connaître l'étendue de son empire, mais aussi pour combattre l'inéluctable délabrement de ses villes conquises. Le récit pallierait alors le temps que rien n'arrête. Il exige de Marco Polo un effort vers la totalité, voudrait, par la connaissance, atteindre une maîtrise vraie de son immense empire : «Le jour où je connaîtrai tous les emblèmes, demanda-t-il à Marco Polo, saurai-je enfin posséder mon empire?» Mais le Vénitien le détrompe : «Sire, ne crois pas cela : ce jour-là tu seras toi-même emblème parmi les emblèmes.» Il découvre plutôt dans ses récits un élément qui transcende son empire terrestre et temporel ; il y discerne, «à travers les murs et tours destinés à s'effondrer, la trace d'un motif si subtil qu'il pourrait échapper au rongement des termites».
Pour sa part, Marco Polo est loin de décrire scrupuleusement ces villes. Il rend plutôt les sensations quil a éprouvées lors de ses visites. Selon lui, la perception qu'on a d'une ville change en fonction des voyages qui surviendront après la première visite. Et, avec ces descriptions, il donne surtout des fables consolantes, comme le constate Kublai Khan. Il invente ces villes à des fins de rédemption : «Je collecte les cendres d'autres villes possibles qui disparaissent pour laisser la place, des villes qui ne peuvent jamais être reconstruites ou inscrites dans la mémoire.»
En 1985, Calvino avait aussi indiqué : «Si Les villes invisibles reste celui de mes livres où je crois avoir dit le plus de choses, cest parce que jai pu y concentrer en un unique symbole toutes mes réflexions, toutes mes expériences, toutes mes conjectures.»
En montrant que toute ville est concevable, même la plus folle, même la plus monstrueuse, il voulut dabord manifester les craintes que lui inspiraient les villes du XXe siècle. En évoquant un urbanisme imaginaire, il rejetait lurbanisme réel, et surtout labsence de tout urbanisme dans certaines villes modernes. Déjà Marcovaldo, seul dans la ville en plein août, voyait s'esquisser une autre ville, où la pierre, les arbres, certains animaux inattendus reprenaient une vie indépendante. Il manifesta sa nostalgie des cités idéales projetées par les architectes de la Renaissance, et dont les agencements saperçoivent encore sous le développement des villes italiennes. Il tenait lurbanisation accélérée, avec lexode rural qui en a été complémentaire, pour la plus grande révolution qu'ait connue la Pénisule au XXe siècle.
Dautre part, il était inquiet devant la prolifération inéluctable des mégapoles, le lecteur étant, peu à peu, conduit au milieu d'une mégalopolis contemporaine près de recouvrir la planète. «Je pense avoir écrit quelque chose comme un ultime poème damour dédié aux villes, au moment où il devient toujours plus difficile de les vivre en tant que villes. Peut-être approchons-nous dun moment de crise de la vie urbaine et Les villes invisibles sont un songe qui naît au cur des villes invivables.» - «Les villes sont en train de se transformer en une seule ville, en une ville ininterrompue où l'on perd les différences qui autrefois caractérisaient chacune d'elles. Cette idée, qui parcourt tout mon livre Les villes invisibles, me vient de la façon de vivre qui est désormais celle de beaucoup d'entre nous
»
On peut encore voir dans Les villes invisibles une allégorie de la société, de toute société.
Enfin, sa préoccupation ne fut pas tant de proposer des univers imaginaires, mais den assurer larchitecture pour en faire un système de connaissance. Cétait déjà le propos de la trilogie Nos ancêtres et cela allait être celui de Palomar, Les villes invisibles tenant une place centrale dans son uvre. On peut penser que ces descriptions, dont chacune s'attache à une ville et même seulement à un élément d'une ville, s'emboîtent pour donner limage même du monde, un peu comme lavait fait Borgès avec sa bibliothèque infinie. Cest ce que semble signifier cet échange entre Marco Polo et Kublai Khan. Alors que le premier décrit un pont, pierre par pierre, le second demande :
«- Mais laquelle est la pierre qui soutient le pont?
- Le pont n'est pas soutenu par telle ou telle pierre, répond Marco, mais par la ligne de l'arc qu'à elles toutes elles forment.
Kublai Khan reste silencieux, il réfléchit. Puis il ajoute :
- Pourquoi me parles-tu des pierres, c'est l'arc seul qui m'intéresse.
Marco répond :
- Sans pierres il n'y a pas d'arc.»
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En 1972, lAcadémie des Lynx, la plus ancienne académie purement scientifique d'Europe, conféra à Italo Calvino le prestigieux prix Feltrinelli.
Il publia :
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Lo sguardo dellarcheologo
(1972)
Essai
Calvino posa les bases dune nouvelle poétique en suivant de près la voie tracée par Queneau. Il proposa une nouvelle démarche qui consistait à se placer du côté des objets, des lieux, des langages, dans le seul but de les décrire pièce par pièce, sans les intégrer nécessairement en une histoire ou en un usage, car cest seulement en renonçant à nous placer au centre de lexplication des choses, affirmait-il, que nous pouvons découvrir ce que les choses ont à nous apprendre sur nous-mêmes.
Le texte fut repris en 1981 dans le volume Una pietra sopra.
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Le 8 novembre 1972, Calvino, invité dhonneur à un déjeuner de lOulipo, y eut sa première participation officielle. Le 14 février 1973, il en devint formellement membre de plein exercice. La critique italienne, lui tenant assez longtemps rigueur de cette double appartenance, allait préférer passer sous silence les fruits «oulipiens» de son exil. Il allait alors passer par six années de relatif silence.
En 1973, il adhéra à la Coopérative italienne décrivains qui se proposait de lutter contre la concentration des maisons dédition entre les mains des gros industriels. Il prépara pour Einaudi, chez qui il était conseiller dédition, un volume de nouvelles de Silvinia Ocampo, intitulé Porphyre.
La même année, non sans surprendre les cercles intellectuels italiens, il écrivit des nouvelles pour Playboy dont, dans lédition américaine, une nouvelle qui, indiqua Esther Calvino, était née d«une question plutôt vague, posée par IBM : dans quelle mesure était-il possible décrire un récit à laide dun ordinateur? Cétait à Paris en 1973, et ce genre dinstrument nétait pas dun accès aisé.» Mais lidée dutiliser les techniques informatiques au service de la littérature, en particulier de la résolution des problèmes combinatoires quon peut y définir, ne pouvait que séduire ladmirateur de Queneau. Il écrivit donc :
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"L'incendio della casa abominevole"
(1973)
Lincendie de la maison maudite
Nouvelle
Une liste d«actes abominables» est trouvée dans les restes dune maison incendiée, avec quatre cadavres carbonisés. Cest à un programmeur dordinateur quil est demandé de découvrir qui a composé le macabre inventaire, avant quil ne soit lui-même pris au piège de la mortelle conspiration.
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À la demande de Federico Fellini, Calvino écrivit, pour servir de préface à Quattro film : I Vitelloni, La Dolce vita, Otto e mezzo, Giulietta degli Spiriti publié chez Einaudi :
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Autobiografia di uno spettatore
(1974)
Autobiographie dun spectateur
Nouvelle
Calvino se rappelle sa découverte du cinéma, qui occupa une place importante dans son adolescence, étant un «moyen dévasion» qui permettait de «projeter [s]on attention dans un espace différent», de fuir loppression familiale. Il allait au cinéma «presque chaque jour et peut-être deux fois par jour», fasciné par les films d'aventures et daction du cinéma américain, tels que Les lanciers du Bengale avec Gary Cooper, ou La mutinerie du Bounty avec Charles Laughton et Clark Gable, jusquà ce quen 1938 ils subissent la censure des fascistes. Ce loisir si important pour lui participa à son éveil sexuel, avec des icônes féminines comme Viviane Romance.
Il rapporte aussi une rencontre inattendue avec Fellini.
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En 1975, il sétablit à nouveau à Rome. Il travaillait énormément, continuant à diriger la maison d'édition Einaudi et la collection Centopagine, écrivant de nombreuses préfaces de livres d'auteurs contemporains, de classiques anciens et modernes, préparant des livrets pour des musiciens, son nom étant régulièrement cité dans les journaux italiens.
Ainsi, Einaudi ayant publié Idem, un volume consacré au peintre Giulio Paolini, Calvino en écrivit la préface, La squadratura (Lencadrement), où il confronta le travail du peintre et celui de lécrivain, établit un parallèle entre le cadre en peinture et les incipits en littérature.
Cette année-là, il fut fait membre honoraire de lAmerican academy.
En 1976, il reçut le prix d'État autrichien pour la littérature européenne .
Cette année-là, il fit un voyage au Mexique, dont des échos allaient se trouver dans différentes de ses uvres. Il donna des conférences dans plusieurs villes américaines.
En 1977, il fit un voyage au Japon.
En 1978, il condamna l'assassinat du leader de la Démocratie chrétienne Aldo Moro, commis par les Brigades rouges, dans de nombreux articles où il raconta son expérience personnelle de la prison et des extorsions subies en 1944, son opinion sur la question étant claire et nette.
Après une longue période de silence, il publia un livre portant sur le bloquage dun écrivain, et sur la créativité :
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Se una notte dinverno un viaggiatore
(1979)
Si par une nuit d'hiver un voyageur
Roman de 270 pages
Un lecteur passionné de romans découvre que le livre qui l'absorbe depuis quelques minutes, Si par une nuit dhiver un voyageur, est incomplet, interrompu au bout de quelques dizaines de pages. Frustré de son plaisir, il retourne à la librairie, où on lui remet un exemplaire en bon état. De retour chez lui, il constate que ce volume contient une autre histoire, aussi captivante que la première, mais quil nen a, encore une fois, que le début. Comme il est toujours en quête de la suite qui lui échappe, il va d'un début de roman à un autre, tous des romans modernes mais chacun dun type différent : un roman despionnage brumeux ; un roman familial sordide situé dans la campagne polonaise ; un journal dun naïf, impliqué malgré lui dans lorganisation dune évasion ; un roman psychologique scabreux consacré à un triangle amoureux sur fond de révolution et de guerre civile ; un roman noir d'une vulgarité appuyée, histoire dun règlement de compte crapuleux entre truands ; un roman «introspectif» racontant la mésaventure dun «visiting professor» sur un campus américain ; un roman à la Robbe-Grillet peignant la confusion dont est victime un millionnaire amateur de miroirs et très précautionneux ; un roman «érotique pervers» japonais, à la Kawabata, présentant dinsolites relations dans une famille ; un roman mexicain à la Juan Rulfo aboutissant à un drame sanglant ; un roman fantastique suivant le délire onirique dun personnage à la Gogol.
Il découvre aussi les mystérieuses activités (interpolations, vols, réécritures de manuscrits) d'un écrivain-faussaire, Hermès Marana. Le contenu du Journal d'un autre personnage, l'écrivain Silas Flannery, témoigne de toutes les difficultés suscitées par l'écriture d'un roman. Enfin, encadre ces fictions discontinues la lecture (complète et même pourvue d'un «heureux dénouement») d'une onzième «histoire», d'amour celle-là, entre le lecteur et Ludmilla, une lectrice, car ils sont rapprochés par leur dévorante passion pour les romans et par leurs enquêtes communes, leurs conjectures, leurs frustrations au sujet de toutes ces fictions laissées en suspens.
Pour un résumé plus complet et un commentaire, voir
HYPERLINK "CALVINO%20-%20''Si%20par%20une%20nuit%20d'hiver%20un%20voyageur''.doc" CALVINO - ''Si par une nuit d'hiver un voyageur''.doc
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En 1979, Calvino publia une anthologie italienne des écrits théoriques de Queneau, Segni cifre et lettere, ce titre étant une variation sur celui du Français : «Bâtons, chiffres et lettres».
Il publia :
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Nota del traduttore
(1980)
Note du traducteur
Essai
Calvino, qui avait traduit le roman de Queneau, Les fleurs bleues, résumait les interprétations quon en avait faites, et indiquait une perspective critique qui rendait justice à la cohérence de tout son parcours artistique. Grâce aux enseignements tirés de cette expérience, il développa une nouvelle ligne de recherche, où lexpérimentation de nouvelles formes décriture allait demeurer indissociable dune réflexion sur la vocation et le rôle de la littérature dans la culture contemporaine.
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En 1980, la naissance d'un vaste réseau de corruption politique et administrative en Italie poussa Calvino à publier dans La repubblica un article mémorable : Apologue de l'honnêteté dans un pays de corrompus.
En 1981, il fut décoré de la légion dhonneur.
Il publia :
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Una pietra sopra. Discorso di lettaratura e societa
(1981)
La machine littérature
(1984)
Recueil de chroniques
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Cibernetica e fantasmi
Cybernétique et fantasme.
De la littérature comme processus combinatoire
«Nous avons dit que la littérature est, tout entière, dans le langage, quelle nest que la permutation dun ensemble fini déléments et de fonctions. Mais la tension de la littérature ne viserait-elle pas sans cesse à échapper à ce nombre infini? Ne chercherait-elle pas à dire sans cesse quelque chose quelle ne sait pas dire, quelque chose quelle ne sait pas, quelque chose quon ne peut pas savoir? Telle chose ne peut pas être sue tant que les mots et les concepts pour lexprimer et la penser nont pas été employés dans cette position, nont pas été disposés dans cet ordre, dans ce sens. Le combat de la littérature est précisément un effort pour dépasser les frontières du langage ; cest du bord extrême du dicible que la littérature se projette ; cest lattrait de ce qui est hors du vocabulaire qui meut la littérature.»
Commentaire
Ce fut une conférence prononcée en novembre 1967 dans plusieurs grandes villes italiennes, sous le titre Il racconto come operazione logica e come mito, et répétée dans de nombreux pays, dont la France.
Raymond Lulle, son «ars combinatoria» et Raymond Queneau étaient longuement évoqués.
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Perché leggere i classici
"Pourquoi lire les classiques
Calvino répondait que les classiques deviennent notre sang, notre chair, notre âme, quils nous aident à nous définir, que leur voix résonne en nous déchos toujours renouvelés, car ils sont doués du fascinant pouvoir dêtre redécouverts à chaque lecture : «Un classique est un livre qui na jamais fini de dire ce quil a à dire.» Il ajoutait : «À un certain moment de sa vie dadulte, il est important pour un lecteur de relire des livres découverts dans sa jeunesse. Bien que ce livre demeure inchangé, le lecteur a changé, lui, sa perspective et sa perception de la vie sont différentes et cette nouvelle rencontre avec un même roman sera une expérience totalement différente.»
Il indiqua les écrivains qui avaient accompagné sa vie et fécondé son uvre : Homère, Xénophon, Pline, Ovide, Nezâmi, Cardan, Cyrano, Defoe, Diderot, Voltaire, Ortes, Dickens, Balzac, Fourier, Stendhal, Tolstoï, Maupassant, Tchekhov, Twain, James, Stevenson, Conrad, Pasternak, Gadda, Montale, Hemingway, Ponge, Borges, Queneau, Pavese et Perec.
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Commentaire sur le recueil
Cétaient des chroniques de Calvino consacrées à la littérature, et parues dans la presse italienne entre 1955 et 1979, qui portaient sur : la langue italienne, le roman, le comique, l'érotique, le fantastique, la littérature combinatoire, la littérature et la réalité, la littérature et la politique, la littérature et la philosophie, la littérature et la science, les écrivains Pavese, Vittorini, Fourier, Manzoni, Roland Barthes, Northrop Frye, lextrémisme, le dessinateur Saul Steinberg, le cigare de Groucho, etc..
"Pourquoi lire les classiques?allait ensuite être supprimé pour figurer en 1991 dans le recueil éponyme.
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Le 6 mars 1982, Calvino fit, dans La repubblica, une nécrologie : Ricordo di Georges Perec.
Stimulé par dautres arts, il commenta des photographies, des tableaux (en particulier ceux de Domenico Gnoli , De Chirico et Arakawa), des musiques. Il écrivit un livret pour Zaïde de Mozart, et, pour son ami, Luciano Berio, celui de La vera storia (1982).
Il publia :
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Palomar
(1983)
Palomar
(1985)
Recueil de vingt-sept nouvelles de 122 pages
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«À la suite dune série de mésaventures qui ne méritent pas dêtre rappelées, monsieur Palomar avait décidé que sa principale activité serait de regarder les choses du dehors.» Par conscience (angoisse?) existentielle, cet homme taciturne, discret, attentif et plein de sollicitude, décide un beau jour d'échapper à l'univers du langage et d'appréhender du regard le monde qui l'entoure, va observer, inspecter, décrire, analyser le monde qui lentoure, en essayant dêtre toujours le plus objectif possible. Il sétait dit : «Cest peut-être justement cette méfiance vis-à-vis de nos sens qui nous empêche de nous sentir à laise dans lunivers. La première règle que je dois me fixer est alors celle-ci : men tenir à ce que je vois». Ses aventures et mésaventures sont celles dun regard.
Les vacances de Palomar
En vacances, il veut observer une vague, une seule, en la distinguant bien de toutes les autres.
Marchant sur la plage, il voit, plus loin devant lui, une femme aux seins nus étendue sur le sable ; il se demande comment il va faire face à cette situation, où il devra poser son regard. Il passe sans la regarder. Puis il considère qu'il l'a peut-être blessée en l'ignorant. Il revient sur ses pas, et l'examine sans insister, au même titre que le ciel et la mer. Mais il se demande sil est juste d'aplatir une personne au niveau d'un paysage. Alors il repasse, insiste un peu plus ; mais c'est un regard froid, il faudrait que ce soit un hommage. Il retourne vers la baigneuse ; mais celle-ci, ulcérée, se lève et se rhabille, fuyant ce faux satyre.
Il contemple des tortues qui font lamour.
Il suit un reflet de soleil, si parfaitement perceptible, et si fuyant dès quon lapproche.
Palomar en ville
De sa terrasse, contemplant sa ville, Rome, observant la parade des étourneaux dans le ciel, monsieur Palomar la découvre du point de vue dun oiseau.
Un gecko étant venu se placer sur la fenêtre du salon, sous la lampe allumée près du poste de télévision, son regard hésite entre ces images violentes, et le ventre translucide du reptile secoué par sa déglutition difficile.
Dans son jardin, il essaie de comprendre le sifflement dun merle.
Examinant microscopiquement linfini de sa pelouse, il observe en détail les plantes variées qui sy trouvent, tente de maîtriser de lil un brin dherbe.
Au zoo, il se compare à une girafe. Il se demande pourquoi un gorille albinos saccroche à un vieux pneu, sa solitude tragique le conduisant à des considérations sur la condition humaine. Il sextasie devant la diversité des reptiles, et se demande comment ils vivent la durée du temps.
Au Mexique, ll sinterroge sur la signification, ou labsence de signification, des motifs de larchitecture précolombienne.
À Paris, parti faire des achats, il est absorbé devant les galantines, les pâtés, les terrines. Les noms et les étiquettes font surgir devant lui des scènes de pâturages, de chasse, de traditions sacrées, une épicerie devenant pour lui le musée dune civilisation. Chez un marchand de fromages, il note dans un carnet leurs noms (dont chabicholi, au sujet duquel Calvino avoua sêtre trompé : «Il faut lire chabichou bien sûr !»), sémerveille de leur variété ; mais, au moment où on lui demande de faire sa commande, énervé, il achète le plus simple.
Au Japon, il sintéresse à un jardin zen.
Les silences de Palomar
La vision télescopique de monsieur Palomar se dirige vers la lune, les planètes et les étoiles. S'obligeant à aller les contempler, il choisit la plage, et y va au mois daoût, époque des étoiles filantes. Il doit s'équiper d'une lampe et d'une carte du ciel, et s'y réhabituer puisque les positions des étoiles ont changé. Il médite sur le nom des constellations, sur le sentiment de l'immensité du firmament, sur l'intérêt que présentent les zones obscures, sur le manque de familiarité que nous avons avec le firmament par rapport aux Anciens. Une foule l'observe de loin, comme s'il était un dément.
Il finit par s'interroger sur la raison de son être et non-être. «Monsieur Palomar songe à ce que serait le monde sans lui : le monde illimité davant sa naissance, et lautre, bien plus sombre, daprès sa mort ; il essaie dimaginer le monde davant les yeux, davant nimporte quel oeil ; et un monde qui deviendrait aveugle par suite dune catastrophe ou dune lente corrosion.»
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Commentaire sur le recueil
Cétait, pour lessentiel, une série d'articles rédigés par Calvino de 1975 à 1983 (avec une périodicité variable), pour le journal Il corriere della sera. En les reprenant, il les remania, supprima toutes les références à lactualité culturelle de lépoque. De ce fait, leur contexte dorigine disparaît, et le lecteur nest plus en mesure de les situer dans une perspective diachronique par rapport à linformation de lépoque ni à la biographie de lauteur.
Or certains indices permettent de déceler en monsieur Palomar des éléments autobiographiques. Un interviewer lui ayant dit : «On a le sentiment que Palomar est très autobiographique», Calvino répondit : .«Chacun des petits chapitres correspond en effet à une expérience de la vie quotidienne. C'est en quelque sorte un journal intime qui ne restitue que des événements minimes, les observations de quelqu'un qui n'est pas un observateur par son tempérament mais qui s'efforce de regarder. Comme Palomar lorsqu'il regarde les étoiles, je dois faire sans cesse effort dans le but d'acquérir une compétence.» Il indiqua aussi : «Je rêvais d'une connaissance minutieuse de la nature des choses, au point que leur substance même se dissout au moment d'être saisie. Pendant des années, j'ai essayé de noter tout ce qui me paraissait une expérience de connaissance.»
Calvino reconnut une parenté entre son personnage et celui de HYPERLINK "../V/VALÉRY%20Paul.doc" Paul Valéry, Monsieur Teste : «D'abord, j'avais pensé bien sûr à Monsieur Teste. J'ai une grande admiration pour Paul Valéry penseur et essayiste. Mais la parenté des deux personnages est tout de même de surface : Monsieur Teste est I'esprit à l'état pur alors que Palomar est tout entier dans les choses qu'il voit. Monsieur Teste a le culte de son esprit alors que Palomar ne connaît que le doute et l'ironie. Toutes ses démarches aboutissent à un échec et son rêve est de s'annuler soi-même en tant que sujet pour être un instrument à travers lequel le monde regarde le monde.»
Dans un petit texte introductif, lauteur avertit le lecteur que son texte est structuré d'une façon rigoureuse. Il ajouta : «Comparé à mes derniers livres, Palomar a un schéma très simple. C'est un recueil de textes très courts, d'une certaine cohérence thématique et disposés dans un certain ordre. C'est vrai que, dans la composition de mes livres, je suis quelque peu obsédé de l'ordre, de la symétrie, et même des constructions numérologiques. Je ne suis pas membre de l'Oulipo pour rien. Pour composer mon livre, je suis parti d'un matériel accumulé depuis des années. Il y a dix ans que j'ai fait paraître les premiers textes de Palomar dans le Corriere della sera, mais une idée claire de ce que devait être le livre définitif m'est venue petit à petit, et j'ai dû récrire plusieurs textes pour qu'ils s'adaptent au projet. Projet qui était d'abord très vaste et qui n'a fait que se réduire. Enfin, je me suis fixé sur une structure ternaire, qui a pour elle I'autorité de Dante. La divine comédie est faite de trois cantiques de trente-trois chants chacun, composés en tercets. Comme tous les Italiens (au moins ceux de mon âge), j'ai passé trois ans au lycée à étudier Dante, et cela m'a marqué pour la vie. Dès que j'ai décidé que mon livre aurait la forme 3 x3 x3, j'ai écarté les textes qui n'épousaient pas cette structure et j'en ai composé de nouveaux, c'est-à-dire j'ai récrit encore une fois le livre. Mais le problème qui m'a donné le plus de souci a été de trouver une conclusion, ou des conclusions, aux expériences de monsieur Palomar. Et il m'est arrivé d'écrire juste à la fin mes pages les plus négatives.»
Loeuvre est en effet organisée en trois parties, qui peuvent être lues dans nimporte quel ordre. Elles sont elles-mêmes divisées en trois chapitres, la prospection analytique du personnage évoluant de lun à lautre. Chacun des textes déroule, dans le cadre d'une fiction ténue, consacrée au quotidien ou à des voyages de Palomar, ses réflexions, ses monologues intérieurs. Mais il ne s'exprime quasi jamais au style direct, le narrateur sessayant à la justesse de lanalyse, et décrivant les circonvolutions intellectuelles du héros. Partout, le langage est juste et intensément évocateur.
Chacun des textes présente le même schéma narratif : monsieur Palomar (dont le nom est celui dun célèbre observatoire de Californie) est attiré par un objet, un lieu, un phénomène, une situation, une attitude, qui lintrigue et quil voudrait mieux connaître ; il se livre alors à une minutieuse observation, sélectionne, classe rigoureusement et cherche à quantifier les résultats de son observation ; enfin, il tente une description. Ce «parti pris des choses» se manifeste par une appropriation des objets, des êtres, des situations qui l«interpellent» dans la mesure où, réflexivement, ces fragments de la réalité lui permettent de réfléchir sur son propre rapport au monde. Ainsi, l'observation de la ville de Rome lamène à conclure que toute description exhaustive du monde est impossible. Mais cette connexion entre le réel et le sujet est fragile ; elle se dénoue sans avoir donné un sens, fût-il partiel, à sa présence au monde. Un rapport fugitif s'établit entre la conscience du personnage et un fragment de réalité isolé par son regard. Il voudrait être en dehors des choses. Mais regarder, cest déjà agir. Il accomplit chaque fois le parcours du particulier à un général désespérément fugace.
Calvino indiqua que le livre «peut être vu comme un de mes cahiers d'exercices, celui dédié à la description, un genre littéraire tombé en désuétude. Depuis que Breton a remplacé les descriptions par des photos dans Nadja, on pense qu'elles sont devenues inutiles. Palomar voudrait être une réhabilitation de Ia description. Je cherche à démontrer qu'il y a un récit dans toute description et, inversement, que tout récit nécessite une ou plusieurs descriptions.» Il dit encore : «La connaissance doit commencer par la surface : prendre un objet et le décrire. Chacun de ces objets pose un problème de lecture, de traduction en mots d'un discours que l'objet fait au-dehors de tout langage. Palomar est une tentative de lecture des choses.» C'est, avec humour, la phénoménologie appliquée à la littérature.
Mais, si monsieur Palomar tient compte à la fois des phénomènes qui se présentent à son esprit et des structures de sa conscience dans lacte de les connaître, une telle phénoménologie naboutit jamais au-delà du constat de la compacité des objets, de la dissemblance de leurs multiples facettes, de la pluralité des points dobservation possibles. Même dans les rares cas où il découvre, comme par un sortilège, quelques éclats de vérité, ceux-ci restent éphémères et fuyants.
Il explore aussi le langage, les significations et les symboles.
La contradiction entre la conduite humaine et le reste de lunivers ayant toujours été une source dangoisse, monsieur Palomar essaie déchapper à sa subjectivité en se réfugiant parmi les corps célestes. Il se lance alors dans des spéculations sur le cosmos, le temps, linfini, la relation entre lêtre et le monde, lunivers comme miroir, et enfin la mort, sa propre mort. Il est entraîné dans les espaces dune intériorité dépouillée, où, par-delà lécran de son ego, en suivant les traces de ses refoulements jusquaux sources de silence doù jaillit le langage, il poursuit sa recherche, derrière le visible, de linvisible signification : «Le soulagement dêtre mort devrait consister en ceci : une fois éliminée cette tache dinquiétude quest notre présence, la seule chose qui compte est le fait que les choses sétendent et se succèdent sous le soleil, dans leur impassible sérénité.»
Si lactivité principale de monsieur Palomar est de regarder le monde, d'en observer les phénomènes ténus, les paradoxes minuscules, si le tout petit, le moléculaire, et le très, très gros, le cosmique, provoquent tous deux dans son esprit le même vaste vertige, cela nest pas aussi sans occasionner quelques mésaventures avec ses congénères, des complications qui le laissent pantois : le monde ne va pas de soi, le regarder vraiment n'est pas sans risque. Mais, malgré ses multiples déceptions, ce chercheur de connaissance ne renonce jamais à connaître le monde, et à se connaître lui-même. Il réitère ses tentatives avec une obstination qui na dégale que sa redoutable maladresse. Calvino indiqua : «Palomar est un obstiné de la lecture de textes non écrits, comme un vol d'étourneaux, ou la peau d'un gecko. Je ne peux pas dire qu'il est un obstiné de la description parce qu'on ne le voit pas en train d'écrire ; c'est moi qui accomplis cette tâche à travers ses pensées. Mais, de toute façon, si nous voyons Monsieur Palomar se balader avec un carnet et une plume dans une fromagerie, on peut bien conclure qu'il envisage un texte écrit.!» Cependant, il précisa : «Dans ce livre, je ne parle jamais d'écriture. Il n'est pas dit que Palomar est un écrivain. Il est quelqu'un qui veut lire le monde et, à la fin seulement, il décide de le décrire dans une sorte d'autobiographie infinie et, bien entendu, impossible.»
Sa marginalité nétant que le pendant subjectif de laltérité des choses quil ne cesse dinterroger, monsieur Palomarl donne, à tous ceux qui le croisent en chemin, limage de lui-même la moins flatteuse quil pouvait espérer : la soif de savoir et de vérité de ce savoureux personnage, qui est impatient et taciturne en société, préférant remâcher ses pensées, et écouter le chant des oiseaux ou le silence des espaces infinis, le fait passer pour un hurluberlu ridicule, un vieux gaga, sinon un fou.
Aussi, sous lhumour se devine le désespoir. Et, au total, se dégage un pessimisme que renforce son ultime méditation : il va mourir à l'instant même où «il entreprend de décrire chaque instant de sa vie».
On peut reconnaître, dans cette uvre, qui est à la fois fantaisiste et sérieuse, sous les perplexités ratiocinantes du voyeur, beaucoup de philosophie, même si la pensée de monsieur Palomar se situe en dehors des grands systèmes, si sa science est la science de ce qui est destiné à rester en dehors de nos mémoires, la science de ce qui naura pas de place dans nos manuels.
Il y avait dans la démarche de Calvino une volonté pédagogique. Il précisa : «Pédagogie du regard et de la réflexion. Le lecteur doit apprendre à regarder et à n'être jamais satisfait de ce qu'il a vu. C'est peut-être en ce sens-là que mon travail diffère de celui de lécole du regard d'il y a trente ans [le Nouveau Roman]. La leçon à laquelle je me rattache, c'est plutôt celle du Parti pris des choses de Francis Ponge et tout ce qu'il a écrit après.»
Il résuma ainsi la quête de son personnage : «Le monde autour de Palomar se meut dans une totale absence d'harmonie [...] il espère toujours y découvrir un dessein, une constante...» On sent toujours la préoccupation du sens des choses, de la façon dont elles sont reliées entre elles. Monsieur Palomar est en quête de vérités fondamentales sur la nature de lêtre. Calvino déclara : «En la relisant, je m'aperçois que l'histoire de Palomar peut se résumer en deux phrases : Un homme se met en marche pour atteindre, pas à pas, la sagesse. Il n'est pas encore arrivé.»
Ce qui est en jeu, ce n'est rien de moins que la place de l'être humain dans un univers qui fragmenté, incertain, insaisissable. Pour Calvino, la nature est fondamentalement indifférente à nos besoins.
Ce livre spirituel et élégant est une des plus brillantes créations de Calvino,
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En 1983, Calvino écrivit le scénario du film d'Ana Luisa Liguori, Amores dificiles.
Cette année-là, à son domicile de Piazza Campo Marzio à Rome, il donna au réalisateur canadien Damian Pettigrew une série d'entretiens sur son oeuvre, dont des transcriptions furent publiées dans The Paris review en 1992, dans La repubblica en 1995, et dans un livre intitulé Uno scrittore pomeridiano en 2003. Les vidéos de ces entretiens allaient servir de base à une docu-fiction intitulée Calvino cosmorama (2010), mettant en vedette Neri Marcorè dans le rôle de Calvino, et comprenant aussi des images d'archives rares, des documents inédits, des photographies et un enregistrement unique dune conférence de Calvino sur son dernier roman, M. Palomar.
Le 16 mai 1984, Calvino publia une analyse de La vie mode d'emploi sous le titre Pérec et le saut du cavalier.
Il publia encore :
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Collezione di sabbia
(1984)
Collection de sable
Recueil d'articles
Rédigés à Paris pour le quotidien Il corriere della sera, ils portaient sur la culture plutôt que sur la politique ou la littérature. On y constate quobservateur infatigable, Calvino sut étendre la possibilité de narrer à l'ensemble du visible ; ainsi chaque objet (timbres-poste, mappemondes ou monstres de cire), chaque lieu retrouvent sous sa plume tout leur pouvoir spéculatif.
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En 1984, Calvino publia Cosmicomiche vecchie e nuove (Cosmicomics vieux et neufs) qui regroupait les textes de 1965, de 1967, et incluait de nouveaux récits «cosmicomiques», certains déjà publiés, d'autres totalement inédits, qui furent les derniers textes de fiction quil rédigea avant sa mort.
Il publia :
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Saggi 1945-1985
(1985)
Recueil dessais
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Sguardi daliopaco
De lopaque
Essai
Calvino présente sa vision du monde, suit sa pensée confuse, doù le titre, lopaque sopposant à la clarté de la mémoire. Il décrit plusieurs paysages pour finir par calculer poétiquement lintensité de la lumière.
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Sotto il sole giaguaro
(1986)
Sous le soleil jaguar
Recueil de nouvelles
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Il none, il naso
Le nom, le nez
Nouvelle
Le client fin de siècle d'une élégante parfumerie des Champs-Élysées est à la recherche d'un parfum unique, qui est celui d'une femme mystérieuse entrevue, masquée, dans un bal.
À Londres, un musicien de rock drogué connaît un rut animal, excité quil est par la femme dont lodeur lentraîne dans une folle poursuite.
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Sotto il sole giaguaro
Sous le soleil jaguar
Nouvelle
Un couple gourmand, qui fait du tourisme au Mexique, découvre une étonnante combinaison damour sublime et damour érotique à travers la cuisine locale, qui est «élaborée et audacieuse», du fait des piments et des épices. Il n'arrive plus à communiquer que dans ces nourritures exotiques, au fond desquelles rôde le souvenir (le vu?) de l'anthropophagie.
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Un re in ascolto
Un roi à l'écoute
Nouvelle
Un tyran qui sest fait roi, par prudence, ne quitte plus son trône, et ne connaît de son royaume que les bruits qui en montent jusque dans son immense palais, bruits de plus en plus étendus, de plus en plus complexes, et quil tente de décrypter, qui portent des messages contradictoires de délivrance, damour et de trahison. «Le cliquetis des machines électroniques» le rassure, tandis quune foule dopérateurs fait entrer en mémoires de nouvelles données, surveille sur les écrans des tabulations compliquées, extrait des imprimantes de nouveaux rapports.
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Commentaire sur le recueil
Calvino voulait écrire un recueil de nouvelles sous le titre Les cinq sens. La mort ne lui laissa que le temps d'en écrire trois, qui sont des variations drolatiques sur l'odorat, le goût et l'ouïe, où l'angoisse ne manque toutefois pas de s'insinuer, car les sens promettent la satisfaction du désir et un salut, mais ne mènent quà leurs sources : le nez qui sent, le palais qui savoure, loreille qui écoute. Chacun des personnages de ces nouvelles spirituelles, fantastiques, subit une perte, que Calvino traite avec humour.
Ces nouvelles montrèrent encore sa maîtrise de lart de la narration.
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En 1984, Calvino avait été convié par l'université Harvard à y donner un cycle de conférences aux "Norton poetry lectures", au cours de lautomne 1985. Sa femme indiqua quelles furent pour lui une «obsession» au cours de sa dernière année. Il eut le temps, au cours de l'été, den écrire cinq, qui furent réunies dans :
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Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millennio
(posthume, 1988)
Leçons américaines, aide-mémoire pour le prochain millénaire
Recueil de cinq essais
Calvino craignait de voir s'abattre sur l'humanité des fléaux, dont le plus grave lui paraissait être l'inconsistance. L'unique remède qu'il y voyait consistait en une «idée de littérature». Aussi voulut-il recommander généreusement au nouveau millénaire qui approchait cinq «valeurs ou qualités ou spécificités littéraires» qui lui tenaient à coeur :
- La légèreté («leggerezza»). Lart de lécriture permet de lire le monde sans se laisser mettre en cage par la pesanteur de lexistence, qui doit être portée légèrement, puisque de toute façon elle doit être portée : «Quand le royaume de lhumain me paraît condamné à la pesanteur, je pense voler, comme Persée, dans un autre espace.» Il cita Lucrèce, Ovide, Boccace, Cavalcanti, Leopardi, et Kundera, parmi dautres, comme toujours, pour illustrer ce quil voulait dire.
- La rapidité, une habileté qui combine laction (représentée par Mercure) avec la contemplation (représentée par Saturne), Calvino insistant sur la métaphore du cheval «pour désigner la rapidité desprit».
- Lexactitude, la précision et la clarté de la langue.
- La visibilité, limagination visuelle étant un instrument de connaissance du monde et de soi-même.
- La multiplicité, qui a été illustrée par les excentriques de la littérature (Flaubert, Gadda, Musil, Perec, lui-même), Calvino décrivant brillamment leur tentative de faire connaître linfinité de possibilités, pénibles mais exaltantes, ouvertes à lhumanité, affirmant que langoisse de la multiplicité proliférante peut être vaincue : «Je crois que toute forme de connaissance doit aller puiser dans ce réceptacle de la multiplicité potentielle. Lesprit du poète, tout comme lesprit du savant à certains moments décisifs, fonctionne par association dimages, suivant un processus qui constitue le système le plus rapide de liaison et de choix entre les formes infinies du possible et de limpossible. Limagination est une sorte de machine électronique : en tenant compte de toutes les combinaisons possibles, elle choisit celles qui obéissent à une fin, ou qui sont tout simplement les plus intéressantes, les plus agréables, les plus amusantes.»
Commentaire
Ce fut le testament que nous laissa Calvino. Cétait la plus éloquente et la moins défensive Défense de la littérature" écrite au XXe siècle. Les valeurs universelles quil recommandait de chérir aux générations futures sont celles pour lesquelles on lapprécie. Il affirma la joie de la littérature, le plaisir de la lecture et de l'écriture.
La sixième conférence, sur laquelle il avait travaillé mais quil navait pas écrite, sintitulait «cohérence», ce qui, au premier abord, étonne et amène à se demander comment il aurait défendu cette idée.
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La strada di San Giovanni
(posthume, 1990)
La route de San Giovanni
Recueil de nouvelles
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La strada di San Giovanni
La route de San Giovanni
Nouvelle
Calvino allait avec son père du village de La Punta di Francia à San Giovanni pour y faire leur marché. Comme son père ne cessait de nommer les plantes dans le latin absurde des botanistes, il sentait «une faille» entre eux, entre ce savoir colossal, et son désir à lui darriver la ville : «Il nous était difficile de nous parler. Tous deux de nature prolixe, prisonniers d'un océan de mots, ensemble nous demeurions muets, nous marchions côte à côte en silence le long de la route de San Giovanni.»
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Autobiografia di uno spettatore
(1974)
Autobiographie dun spectateur
Voir plus haut.
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Ricordo di una battaglia
"Souvenirs dune bataille"
Nouvelle
Calvino raconte une bataille à laquelle il participa quand il était dans la Résistance : limpatience des combattants cachés dans les vignes, la panique lors de la fuite, la grande tristesse lorsquil perdit un de ses compagnons. Puis il en vient à une profonde et émue réflexion sur le rôle des souvenirs réel et des souvenirs imaginaires.
Commentaire
La nouvelle est marquée par la confusion liée à la remémoration de souvenirs douloureux. Lauteur joue sur lambiguïté, sur le jeu des ombres.
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La poubelle agréée
Nouvelle
Calvino parle de sa vie à lui et à sa famille à Paris, se bornant à décrire quelques moments bien ordinaires, sattardant en particulier sur les tâches ménagères quil partageait, tant bien que mal, avec sa femme et sa fille. Or, parmi toutes les occupations domestiques, la seule qui semblait lui réussir était la sortie de la poubelle. Il définit la poubelle, son emploi, son évolution avec lapparition des sacs plastiques et du recyclage. La question sociale est notamment touchée quand il est question de lemploi déboueur et de limmigration.
Il évoque aussi des images du San Remo des années trente, le caractère austère de ses parents et son rapport conflictuel avec eux, son voyage aux États-Unis en 1959.
Commentaire
Calvino sattacha à ce point à des détails que sa narration prend un rythme lent et hiératique, comme si les actes en question, des actes aussi banals que la collecte des ordures, correspondaient aux moments successifs dun rituel. On peut interpréter le geste quotidien de vider la poubelle comme une définition de soi ; il lui permet de «[s]identifier comme étant complet sans résidus».
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Commentaire sur le recueil
Ces cinq élégants et frappants «exercices de mémoire» sont des nouvelles autobiographiques où Calvino se demande comment faire pour que la mémoire redécouvre encore la trace de quelques parcours inattendus de la vie ; comment le langage peut rendre compte de ce dont on se souvient. Il arpente les lignes infinies du souvenir qui le conduisent à une autre de ses interrogations parallèles : l'analyse des sensations qui ont déterminé l'oubli, et les retrouvailles avec le souvenir. Même dans la mélancolie, il n'abandonne jamais le ton humoristique.
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La Foresta-Radice-Labirinto
(posthume, 1991)
Forêt Racines Labyrinthe
Conte pour enfants
Il y a une forêt si épaisse, si touffue, si labyrinthique quon nen voit pas le bout. Il y a Arbrebourg, une ville, capitale dun royaume, qui est privée de toute végétation : «toutes les plantes, à lintérieur de la cité, avaient fané, perdu leurs feuilles, puis étaient mortes». Il y a Clodovée, un roi fatigué qui rentre de guerre, et qui ne retrouve plus son chemin dans cette forêt où les racines semblent maintenant sélancer vers le ciel, et les branches senfoncer dans le sol, une forêt qui s'est muée en un enchevêtrement hostile, et qui est en lutte contre la ville-forteresse qui la refuse. Il y a une reine marâtre, et un premier ministre, Curwald, qui veulent profiter de labsence du roi pour semparer du pouvoir. Avec leurs hommes de main, ils veulent encercler la ville pour lui tendre un guet-apens, mais ils se perdent à leur tour dans la forêt. Il y a une princesse, Verveine, qui se languit de ne pas voir son père rentrer et qui, happée par un vieux mûrier dans lenceinte de la ville, se retrouve comme par enchantement au cur de «la forêt libre qui lattirait tant». Il y a aussi, comme toujours, un jeune homme qui sinquiète de la disparition de la belle jeune fille au balcon, et qui, grimpant à la cime dun arbre, se retrouve lui aussi en pleine forêt. Et il y a surtout un oiseau extraordinaire qui a «les plumes changeantes du faisan, les grandes ailes puissantes dun corbeau, le long bec dun pic, et laigrette de plumes blanches et noires dune huppe.» Cest cet oiseau-là qui apparaît chaque fois pour égarer ou guider les personnages
Commentaire
Forêts, racines, labyrinthe est un titre dont les constituants apportent un utile éclairage sur de nombreux aspects de la pensée de Calvino. Cette triade, récurrente dans sa pensée, en souligna la parenté essentielle avec les orientations de l'Oulipo.
Il proposait ici un conte pour des enfants qui deviennent grands, et pour des grands qui redeviennent enfants. On y trouve des oppositions systématiques déléments symboliques : nature / culture, vie sauvage / civilisation, langage / littérature, etc. On peut donc y lire une tentative de réconcilier des labyrinthes a priori incompatibles, celui de la forêt touffue, sens dessus dessous, du langage sauvage qui retourne à ses racines, et celui de la ville rectiligne et policée, du langage plus élaboré, plus civilisé régi par la syntaxe, par la normalisation grammaticale. Entre ces deux labyrinthes qui sopposent, un oiseau chimérique, un oiseau inventé et recomposé par permutation du langage, un oiseau poétique (dans le sens de création) fait le lien, perd ou guide celui qui le suit
Cet oiseau, nest-ce pas ce quon nomme tout simplement la littérature?
Le livre a été illustré par Bruno Mallart.
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Eremita a Parigi. Pagine autobiografiche
(posthume, 1994)
Ermite à Paris. Pages autobiographiques
Recueil de textes
Calvino se raconte en esquissant au passage le tableau de toute la génération qui grandit sous l'étouffoir fasciste, prit le maquis pendant la guerre, adhéra au communisme, et finit par se réfugier dans les tours d'ivoire de la désillusion.
Ermite à Paris est aussi un magistral éloge des villes dans lesquelles Calvino vécut : San Remo, Turin, Florence, Rome, New York ("Journal américain 1959-1960") et Paris. Pour lui : «Les villes sont en train de se transformer en une seule ville, en une ville ininterrompue où l'on perd les différences qui autrefois caractérisaient chacune d'elles. Cette idée, qui parcourt tout mon livre Les Villes invisibles, me vient de la façon de vivre qui est désormais celle de beaucoup d'entre nous.»
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En 2006 fut publié Romans, nouvelles et autres récits, deux forts volumes réunissant les oeuvres des premières années de la carrière littéraire de Calvino, ce quon peut considérer comme sa première manière (grosso modo de 1947 à 1960).
Il y affirma : «Tant que le premier livre n'est pas écrit, on possède cette liberté de commencer qu'on ne peut utiliser qu'une seule fois dans sa vie ; le premier livre te définit déjà...»
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Le 6 septembre 1985, Italo Calvino, alors qu'il préparait ses Leçons américaines, dut être conduit à l'ancien hôpital de Santa Maria della Scala de Sienne où, pendant la nuit du 18 au 19 septembre, il fut frappé dune soudaine hémorragie cérébrale, et, entouré de sa femme, de sa fille et de ses amis les plus proches, mourut, à l'âge de soixante-deux ans.
Doté dune intelligence prodigieuse, dune vision précise, dune vive sensibilité, dune imagination luxuriante, dune grande virtuosité narrative, dun sens aigu de la construction, dune ironie acérée et de la liberté de ton que seuls les plus grands possèdent, il fut un véritable Protée de lécriture, un homme-orchestre des lettres, un touche-à-tout, à la fois romancier, nouvelliste, scénariste, journaliste, critique littéraire, essayiste, théoricien de la littérature, éditeur, défenseur et arbitre de tous les romans davant-garde italiens et étrangers. Les oeuvres quil produisit furent des surprises continuelles, aucune ne ressemblant à une autre. Même sil travailla tant ses uvres que son ami, Gore Vidal, put dire que son nom aurait dû être «Italian Calvinist», son secret fut la légèreté, une manière presque enfantine de se frotter aux questions les plus graves, dalléger la narration afin de rendre l'uvre, selon le niveau d'interprétation adopté, accessible à tous, y compris aux lecteurs non avertis. «Si le romancier ne s'amuse pas, il ne peut rien réussir de bon», disait-il.
Il se montra un conteur habile qui, sil adorait les bizarreries littéraires qui lui permettaient de réconcilier l'absurde et la logique, le délire et la méditation, le quotidien et le surnaturel, en de géniales divagations, sut mettre lhistoire au premier plan, avec simplicité mais jamais simplement, sut aussi, avec un humour fin, une fantaisie exubérante, un goût immodéré pour le paradoxe, mettre en scène des récits dramatiques et denses, se livrer à des acrobaties narratives souvent périlleuses, sans jamais accabler son lecteur. S'il écrivait un conte philosophique, il y glissait un zeste de facétie ; s'il se lançait dans quelque cogitation pascalienne, il la saupoudrait d'une pincée de surréalisme ; s'il revêtait la casaque du moraliste, il n'oubliait jamais sa mission d'ironiste ; et s'il sacrifiait aux sophistications de la littérature expérimentale, il y ajoutait la grâce du funambule. Il réalisa ce miracle, rarissime en littérature : être populaire tout en faisant dans le haut de gamme.
Son attention à lévolution des idées de son temps, son dialogue avec les peintres, les musiciens, les théoriciens de l'art, sa sensibilité aux recherches formelles les plus contemporaines, sa recherche de nouvelles expériences intellectuelles, firent de lui un disciple de Raymond Queneau, et un membre de lOuLiPo, qui osa des techniques décriture inédites, se soumit à des contraintes, jouissant de ce fait dune grande vogue parmi les universitaires, qui aiment les oeuvres qui sont de complexes mécanismes dhorlogerie. Mais, gardant un sens éveillé des composantes irrationnelles de la création littéraire, et restant fondamentalement intéressé par lêtre humain, il évita la sécheresse, en dépit d'une égale tendance à ne dévoiler que par de rares éclairs une sensibilité sans doute ombrageuse.
Ses essais, toujours très pertinents, démontrèrent que, même dans ses périodes de silence de la création, il ne cessa jamais de lire et décrire au sujet de ce quil avait lu, se révélant un des plus éminents critiques de la seconde moitié du XXe siècle.
Son effort, dans ses uvres littéraires comme dans ses essais critiques ou autobiographiques, en fut un pour exprimer les choses dans leur totalité ou dans un mouvement qui tend vers la totalité. Cet effort est celui de l'artiste comme celui du savant : pour lun et pour lautre, le monde ne se présente pas comme une prolifération indéchiffrable car chacun élabore, pour en venir à bout, un canevas, un réseau de coordonnées qui organise son travail et en assure la cohérence. La complexité des chemins n'est donc jamais celle d'un chaos, mais plutôt d'un labyrinthe dont il nous faut précisément relever le défi. Aussi voulut-il briser la frontière entre la science et la littérature.
Comme son «baron perché», il fut un observateur oblique et faussement détaché du réel : il se tint, selon sa propre expression, sur un «balcon», non pas à l'écart de la société mais à une certaine distance d'où les points de vue peuvent et doivent être multipliés à I'infini. Il participa au débat sur le rôle des intellectuels, sur la fonction de la littérature dans un monde où le champ des idéologies avait progressivement été assujetti à lempire des signes et de limage. Il chercha, tout au long de son uvre, à cerner la spécificité du fonctionnement de la «machine littéraire» et du romancier. Salman Rushdie disait de lui : «Il met sur le papier ce que vous saviez depuis toujours, sauf que vous n'y aviez pas pensé avant.»
Lui, pour qui la fonction de la littérature est de proposer des «contre-mondes» ou «mondes possibles», professa un doute qui sexerça sur la validité d'une parole univoque, aisément contredite par une autre parole, et ainsi de suite, mais non sur la validité de la parole en général. Cet individualisme lucide, leçon de sagesse autant que d'écriture, justement parce qu'il ne conclut pas à l'impossibilité de la parole, le laissa maître d'intervenir de façon critique hors de la littérature. C'est ainsi quil montra une attention constante aux problèmes et aux maux de la société, quil s'éleva contre la tendance à réduire les difficultés et les ambiguïtés du jeu politique italien à une simple volonté de «répression». Son uvre ne fut pas militante, mais arc-boutée à nos inquiétudes : «J'écris pour essayer de soustraire le monde à la dégradation générale»
Sa pensée (qui évoque mais écarte les solutions philosophiques, de Platon à Hegel...) converge curieusement avec celle, plus sèchement intellectuelle toutefois, qui présidait aux spéculations d'un Jorge Luis Borgès. Pour ce pessimiste, l'écriture fut l'aléatoire mais unique évasion.
Il touche des publics très différents, la critique le suivant avec une faveur constante, une grande partie de ses livres étant constamment réédités, notamment en éditions bon marché, ce qui est un test qui ne trompe pas, un grand nombre darticles de journaux et de revues, démissions de radio et de télévision, de colloques et de travaux universitaires lui étant consacrés, diverses distinctions lui ayant été accordées, son obtention du prix Nobel de littérature ayant été plusieurs fois attendue.
Il fut assurément, en raison de labondance comme par la qualité de son uvre narrative comme de son activité éditoriale, l'un des plus importants écrivains italiens de la seconde moitié du vingtième siècle, à la fois le Voltaire et le Borgès de la Péninsule. Mais ses livres sont traduits en de nombreuses langues, et il fut recherché partout dans le monde. En France, il fut sans doute lauteur italien le plus et le mieux connu pendant le dernier tiers du XXe siècle. Il est adulé en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Cet acteur de premier plan de la littérature mondiale fut un des esprits les plus curieux et novateurs du XXe siècle.
André Durand
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