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Trois séances de TD sur la situation des zones urbaines sensibles ...

Je proposerai en 2002/2003 un sujet de DEA sur la pétrogenèse des roches .... Nature (CM, TD, TP) et volume (nombre d'heures effectives) : en moyenne: CM ...... années Ecole Nationale Supérieure de Techniques Avancées (1989-2001).




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Trois séances de TD sur la situation des zones urbaines sensibles

Vous êtes chargés d’une mission pour le Président de la République. La lettre de mission est la suivante. « Vous exposerez la situation dans les zones urbaines sensibles et expliquerez les menaces qu’elle fait peser sur la cohésion sociale. Vous essaierez de faire ressortir les causes principales des difficultés rencontrées dans ces ZUS (et les erreurs d’interprétation à éviter) et proposerez quelques pistes d’actions prioritaires pour préserver la cohésion sociale ».
Pour rédiger votre rapport, vous avez pu consulter les statistiques de l’insee et de l’observatoire des zones urbaines sensibles. Vous avez également rencontré 6 sociologues qui ont travaillé sur différents aspects de la réalité sociale dans ces ZUS et qui vous ont fait part de leurs travaux et de leurs principaux résultats. Rédigez ce rapport qui doit faire 3 pages minimum. N’oubliez pas de l’illustrer par des données chiffrées. Essayez d’organiser votre propos en plusieurs parties. Commencez par rédiger une fiche de lecture de chaque document et rédigez un plan détaillé avant de vous lancer dans la rédaction de votre rapport.

Document 1 La population des ZUS
Les zones urbaines sensibles (ZUS) sont des territoires infra-urbains définis par les pouvoirs publics pour être la cible prioritaire de la politique de la HYPERLINK "http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/ville.htm"ville, en fonction des considérations locales liées aux difficultés que connaissent les habitants de ces territoires.
Les zones urbaines sensibles (ZUS) comptaient 4 361 000 habitants en 2006, dont 204 600 dans les départements d’outre-mer. Contrairement à la population générale, la population des 717 ZUS métropolitaines a diminué de 2,3 % depuis 1999. Désormais, à peine 7% de la population réside en ZUS. La répartition est cependant inégale. La part de la population résidant en ZUS est maximale à La Réunion et en Guyane, autour de 15 % ; elle dépasse 10 % dans le Nord - Pas-de-Calais, en Île-de-France et en Corse. À l’inverse, elle est inférieure à 3 % en Bretagne, dans le Limousin et en Midi-Pyrénées.
La population des ZUS est plus jeune que la population générale, elle compte davantage de familles nombreuses et de familles monoparentales, elle compte deux fois plus d'étrangers, de Français par acquisition et d'immigrés que dans les unités urbaines englobantes1.
Le niveau de formation de la population s’est accru dans les ZUS, mais moins vite que dans le milieu urbain englobant. Dans les ZUS, la moitié des habitants ne disposent d’aucun diplôme supérieur au brevet des collèges, contre un tiers dans les unités urbaines englobantes. Cet écart a augmenté de 2,6 points entre 1999 et 2006. La part des diplômés universitaires reste deux fois plus faible en ZUS.
Dans les ZUS, le taux d’activité des 25-49 ans est inférieur de 7,2 points à celui observé dans les unités urbaines englobantes. La différence est plus prononcée pour les taux d’emploi2, particulièrement chez les femmes et les étrangers. 34,5 % des étrangères de 25 à 49 ans sont en emploi en ZUS, contre 60,0 % dans leurs unités urbaines et 76,2 % des Françaises du même âge des mêmes unités urbaines.
Insee Première N°1328 - décembre 2010.
1. Désigne les autres quartiers de la commune dans laquelle se trouve la ZUS.
2. Part des actifs occupés dans la population totale.

Document 2 Les ZUS : une concentration de difficultés sociales



Document 3 Chômage des jeunes
Taux de chômage par âge et par sexe

En %
Zones urbaines sensibles (Zus)
Quartiers hors Zus des unités urbaines ayant une Zus

Hommes

Ensemble Hommes
18,1
7,7

15-24 ans
41,7
19,1

25-49 ans
14,6
6,4

50-59 ans
12,9
5,8

Femmes

Ensemble Femmes
15,6
7,7

15-24 ans
29,6
16,1

25-49 ans
15,1
7,3

50-59 ans
8,5
4,7



Ensemble
16,9
7,7

Source : Insee - Enquête emploi. Année des données : 2008, population active de 15 à 59 ansDocument 4 Discriminations à l’embauche
Nombre moyen de candidatures pour obtenir un entretien selon le profil du candidat et l'emploi

Profil des candidats
Comptables
Serveurs

Nationalité marocaine, nom et prénom à consonance marocaine
277
21

Nationalité française, nom et prénom à consonance marocaine
54
17

Nationalité française, nom à consonance marocaine, prénom à consonance française
23
9

Nationalité française, nom et prénom à consonance française
19
6

Note de lecture : Un marocain avec nom et prénom marocains doit envoyer en moyenne 21 CV avant d’avoir une proposition d’entretien d’embauche pour un emploi de serveur.



Source : Centre d'analyse stratégique, université d'Evry. Année des données : 2006, Test sur 264 offres d’emploi, 2112 CV envoyés
Document 5 Relations fraternelles et promotion du pôle déviant
En considérant leurs implications normatives, les relations fraternelles apparaissent comme des modalités tout à fait déterminantes de la construction identitaire. Les collatéraux apparaissent pour le public enquêté, comme les relais, conscients ou non, de ces dynamiques déviantes qui ont pignon sur rue et que stigmatisent les parents. La dissonance des normes horizontales et verticales1 affaiblit d’abord ces dernières sur lesquels pèsent de lourds enjeux. Face à ces processus d’entraînement, les parents semblent déconnectés. L’essentiel des mécanismes d’influence leur échappe et s’établissent dans l’intimité et l’informalité des relations juvéniles. Le contrôle externe privilégié par les familles (en axant leur éducation sur la normalisation et le contrôle des comportements par opposition aux contrôles internes basés sur la persuasion par le dialogue) limite leur connaissance et leur compréhension de l’évolution de l’attitude de leurs enfants. Ces modèles de socialisation contradictoire se croisent et cohabitent au sein de l’univers familial. De la chambre au salon, les codes de conduite diffèrent et les mises en scène aussi.
Ainsi, l’imprégnation de la « culture des rues » et la promotion du pôle déviant s’effectue relativement tôt pour les enfants du quartier. Il y a toujours un décalage temporel entre l’intériorisation de ces modèles de conduite et leur mise en pratique. Avant d’émerger dans l’espace public, la bande est avant tout un style de vie qui occupe une bonne place dans le champ des « délires » possibles. Elle devient pertinente comme réponse à certaines trajectoires marquées par l’échec scolaire et un rapport incertain à l’avenir. Le poids de l’environnement social et urbain immédiat pèse ainsi lourdement, car parallèlement aux conditions matérielles d’existence, il impose un héritage normatif déviant contre lequel les institutions de socialisation luttent avec des ressources inégales.
Focalisée sur les parents, la société tend de ce point de vue à occulter le rôle socialisateur des germains en général et de la fratrie en particulier. Or, l’univers des bandes et la culture des rues trouvent dans les relations familiales horizontales, un puissant atout à sa promotion. La répétitivité, l’informalité et parfois l’inconscience qui permettent cette transmission par le bas sont redoutablement efficaces.
Marwan Mohammed (chapitre du livre M. Mohammed, L. Mucchielli, dir., HYPERLINK "http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_bandes_de_jeunes-9782707153456.html"Les bandes de jeunes. Des HYPERLINK "http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_bandes_de_jeunes-9782707153456.html""Blousons noirs" à nos jours, reproduit avec l'aimable autorisation des éditions La Découverte).
1. Normes horizontales : transmises par les personnes de même statut (cousins, frères, copains). Normes verticales : transmises par les parents.

Document polycopié n°6 L’abstention dans les quartiers populaires
Dans une cité comme les Cosmonautes1, au terme de plus de vingt-cinq ans de démobilisation, ce sont 60% environ des habitants de la cité dont on sait par avance qu’ils ne participeront pas au vote, quels que soient le contexte de l’élection et les enjeux politiques du scrutin. Ils en sont tout simplement empêchés par leur situation de non-inscrits ou de malinscrits2. C’est, en effet, au stade de l’inscription que se joue aujourd’hui largement l’(auto-)exclusion électorale des milieux populaires. Dans la mesure où les individus y sont de moins en moins incités à la faire par leur environnement, tout obstacle à la participation tend à devenir, dans ces milieux, insurmontable. (…) Les groupes d’appartenance familiaux, amicaux, professionnels, de voisinage, sont aujourd’hui trop déstructurés pour produire ces micropressions et ces incitations à voter qui permettraient de contrebalancer l’indifférentisme traditionnel observable en milieu populaire. De l’analyse statistique et de l’enquête ethnographique, il ressort, en effet, que la non inscription et la participation de plus en plus intermittente sont aussi des conséquences, parmi d’autres, de phénomènes apparemment bien éloignés de l’activité électorale : la mobilité des individus porteuse de déracinement (et de malinscription), la fragilisation des ménages, la montée de la solitude et de l’isolement, la précarisation de pans entiers du travail salarié et la progression d’une inactivité plus ou moins forcée, qui concerne aujourd’hui fréquemment plus de la moitié de la population des grands ensembles. Et si l’on comprend que c’est dans la déstabilisation des milieux populaires et la déstructuration de leurs environnements, y compris les plus intimes, que résident les facteurs les plus décisifs de la démobilisation électorale en cours dans les banlieues, l’on devine également qu’il faudra plus que des promesses électorales ou des plans de communication, même ciblés, pour que le pays légal ressemble à nouveau un jour au pays réel.
Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention, Folio, 2007.

1. Cité de Seine-Saint-Denis.
2. Situation d’un individu en âge de voter qui est inscrit dans un bureau de vote qui n’est pas celui de l’endroit où il réside. Le cas le plus fréquent est le cas où l’individu, lors d’un déménagement, omet de modifier son inscription pour pouvoir voter dans le bureau de vote de son nouveau lieu de résidence.
Document 7 Genèse de la « surdélinquance1 » dans les ZUS
Une explication courante s’agissant des «jeunes issus de l’immigration» consiste à mettre en avant leur «double culture » présentée comme constituant fatalement une source de contradictions et de conflits, donc de perturbations psychologiques et de déviances. Dans sa généralité, cette idée est fausse, d’une part parce qu’elle repose sur un modèle opposé de parfaite homogénéité culturelle qui n’a pas de sens dans un très vieux pays d’immigration comme la France, d’autre part parce qu’elle réduit la construction de la personnalité sociale à la problématique culturelle, passant ainsi sous silence celle de l’intégration socioéconomique.
Ce qui est exact, c’est que la question des origines et le rapport à la culture des parents se pose fatalement à la « deuxième génération » d’immigrés. Mais de quelle manière ? Les travaux historiques comme les enquêtes sociologiques récentes soulignent que, en France, les jeunes Français nés de parents étrangers (qu’il s’agisse des vagues d’immigration italiennes et espagnoles de la première moitié du XXe siècle, ou aussi bien des vagues d’immigration maghrébines de l’après-guerre) ont globalement toujours connu en même temps un double processus : d’une part une très forte pression de conformité à l’égard du pays d’accueil, amenant à rejeter précocement la culture d’origine de leurs parents, perçue comme inférieure ou archaïque, au point de pouvoir en ressentir de la honte, d’autre part un mouvement de contestation visant à rejeter le stigmate et à faire accepter dans l’espace public leur spécificité. S’agit-il d’une contradiction ? Dans son remarquable bilan, Gérard Noiriel laissait la question «ouverte ». Quant à nous, il nous semble qu’il n’y a pas de contradiction entre ces deux attitudes qui procèdent de la même source : le fait que la culture du pays d’origine soit stigmatisée dans le pays d’accueil. Toutes les contradictions prétendues insurmontables liées à la «double culture » se ramènent donc selon nous à un unique problème central : la gestion du stigmate, la dévalorisation identitaire qu’il provoque dès l’enfance et, inséparablement, les réactions de défense et les stratégies de revalorisation de soi qu’il induit plus ou moins. Et « plus ou moins », en fonction de quoi ? Il nous semble que cette gestion du stigmate est liée principalement à trois éléments : primo la réussite ou non de l’intégration socioéconomique, intégration dont la phase cruciale est le parcours scolaire du jeune, secundo les déterminants familiaux que sont l’histoire familiale (incluant la nature du projet migratoire et le discours tenu sur lui), la réussite professionnelle des parents, l’attitude de ces derniers vis-à-vis de l’école et plus largement des valeurs du pays d’accueil, tertio les éléments du contexte immédiat de vie, en particulier les effets plus ou moins stigmatisants de l’habitat, les expériences plus ou moins précoces et intenses du racisme et les influences exercées par les groupes de pairs.
À partir de la fin des années 1980, pour des raisons économiques et peut-être surtout politiques (l’échec des mobilisations collectives des années 1982-1986), le facteur temps produit un effet inverse par rapport au modèle de trajectoire couramment partagé dans le monde ouvrier et chez les immigrés de la première génération. Comme le dit Khosrokhavar, « pour la première fois, une génération ne croit plus à l’utopie de l’ascension sociale étalée dans le temps». Cumulée avec la stigmatisation dans l’espace public et dans le rapport aux institutions, cette perspective d’un destin social misérable produit d’intenses sentiments de frustration, d’exclusion et de mépris subi collectivement. C’est dans ce sens que nous proposons de parler de sentiments de victimation collective pour analyser la mentalité de ces jeunes qui disent souvent eux- mêmes vivre dans des ghettos, et pour souligner que ces représentations collectives se rigidifient au point de confiner parfois à une théorie du complot : le complot d’une société injuste et raciste.
Les comportements délinquants juvéniles trouvent certainement dans ces représentations de puissants arguments déculpabilisateurs. Mais de quels comportements délinquants s’agit-il précisément ? Le sentiment de vivre dans un ghetto ne semble pas encourager en soi la violence contre des personnes privées comme le meurtre ou le viol. L’enfermement dans l’espace micro local peut générer par contre davantage de violences entre jeunes de villes ou de quartiers frontaliers. De fait, la forte hausse des coups et blessures non mortels dans les statistiques de police depuis la fin des années 1980, corroborée sur ce point par les enquêtes de victimation, traduit sans doute cette intensification des affrontements juvéniles, souvent en petits groupes. Ensuite, on peut remarquer que les plus fortes hausses de la délinquance enregistrée des mineurs, au cours des années 1990, concernent avant tout les vols (notamment les vols de voiture dont on sait qu’ils peuvent avoir diverses significations, dont celle de se venger d’un groupe adverse, les bagarres (qui nous renverraient à nouveau à ces processus de conflits locaux), les consommations et trafics de drogues, les destructions et dégradations de biens publics et les « outrages et violences » envers des agents de la force publique. Et, encore une fois, si ces données institutionnelles ne constituent en aucune façon une mesure exacte du niveau et de l’évolution des comportements, elles entérinent néanmoins certaines réalités sociales dont les institutions se préoccupent plus particulièrement. Ceci amène à souligner deux autres dimensions probables de cette surdélinquance localisée des jeunes issus de l’immigration.
Une première est économique. Le sentiment que toute perspective d’insertion économique et sociale est bouchée constitue logiquement un puissant facteur facilitant l’investissement de l’économie souterraine dans ses composantes classiques (par exemple les vols, recels et reventes de pièces détachées de voitures) ou plus récentes (le développement du trafic et de la revente de cannabis depuis les années 1980). Une seconde est sa dimension anti-institutionnelle. Nous pouvons parler ici d’une « violence contre les institutions » qui regroupe diverses formes de dégradation et de violence exercées à l’encontre des biens et des personnes qui symbolisent les institutions. Ceci concerne de nombreux acteurs (policiers, transporteurs collectifs, écoles et bâtiments publics, parfois pompiers), mais l’un d’eux joue un rôle décisif en raison de la fréquence et de la nature de ses rapports avec les jeunes des quartiers concernés : c’est la police. « Les tensions avec la police sont une dimension majeure de l’expérience urbaine des jeunes des quartiers pauvres », constate Michel Kokoreff. De fait, nombre de recherches indiquent clairement que les relations entre jeunes d’origine africaine et police dans ces quartiers dits très sensibles fonctionnent avec des cycles de provocations, ripostes, représailles, etc., entretenus de part et d’autre. C’est bien dans ces contextes qu’éclatent parfois des « émeutes » qui cristallisent les représentations collectives en question et cette « revendication essentielle de dignité et de justice ». Comme l’expliquent également Bachmann et Le Guennec, au delà des incidents qui précipitent le déclenchement d’une émeute, « contre qui se battent les émeutiers ? Contre un ennemi sans visage. Contre ceux qui les nient quotidiennement, les condamnent à l’inexistence sociale et leur réservent un avenir en forme d’impasse. L’environnement quotidien est tissé de méfiance et d’hostilité ; le futur est bouché. Aucun allié. Aucune issue. […] Ces deux sentiments forts, la sensation de l’impasse et la conscience du mépris, sont toujours à la racine des fureurs banlieusardes ».
Laurent Mucchielli, « Délinquance et immigration en France : un regard sociologique », Criminologie, vol. 36, n° 2, 2003, p. 27-55.

1. Terme qui désigne le fait que les pratiques délinquantes dans les ZUS sont supérieures à la moyenne observée ailleurs. Deux interprétations erronées à éviter : d’une part, cela ne doit pas conduire à penser que la délinquance est généralisée dans ces ZUS, d’autre part, cela ne doit pas conduire à penser qu’elle est absente ailleurs.




Document 8 Capital guerrier, délinquance et société de consommation
« En tant que défis à l'ordre et à la loi et conduites comportant des risques, les actes délinquants sont en toute logique considérés comme des sortes de performances ou d'exploits. » L'organisation délinquante des jeunes de cité se développe grâce à un État social incapable d'enrayer les dérégulations du marché de l'emploi et la déstabilisation de la condition salariale analysée par Robert Castel.
Pour mieux appréhender la colère des jeunes de cité, cette dimension doit s'articuler aux frustrations engendrées par notre société de consommation. « Lorsque tu manges à côté de quelqu'un qui a faim, tu n'es pas en sécurité », dit un proverbe africain. La faim : pas seulement celle de l'estomac, mais aussi l'envie qui surgit de la comparaison avec autrui. En ce sens, nous parlons là d'une pauvreté relative, indexée sur notre définition subjective de la richesse et de la pauvreté. Nous nous sentons pauvres relativement à nos semblables. Dans les pays riches, le niveau d'inégalité s'avère peut-être plus déterminant que l'inégalité elle-même. Les «Trente Piteuses » ont inexorablement accentué l'inégalité entre très pauvres et très riches, tout en s'accompagnant d'un matraquage publicitaire de plus en plus perfectionné, de plus en plus ciblé, utilisant de plus en plus de supports simultanés dont le démarchage à domicile, les courriers, les appels téléphoniques, sans compter les affiches, les radios, les télévisions, et maintenant les SMS et Internet.
Comment gérer le décalage entre le coût de la vie et les injonctions constantes qui stimulent l'acte d'achat ? Comment ne pas être jugé comme un demi «clochard» et rejeter le stigmate de la pauvreté ? Comment, quand on s'appauvrit, vivre à côté de ceux qui s'enrichissent ? Les frustrations sont entretenues par notre société de consommation et ses fables publicitaires : si vous achetez « ça », vous deviendrez « ça » ; avec tel parfum, telle voiture, vous posséderez « la » femme... L'agressivité d'un tel matraquage est source de souffrance et de perte de confiance en soi. Le désœuvrement, l'ennui, le sentiment d'inexistence sont grevés d'images chocs symbolisant la réussite économique et le pouvoir sexuel. La libération sexuelle des années 1960/1970 a ainsi été en partie convertie et instrumentalisée par le business de la frustration et de la consommation, qui utilise désormais plus facilement le corps féminin pour vendre. L'usage du sexe pour «booster» les ventes se montre d'autant plus efficace que celui-ci capte l'attention des consommateurs en un laps de temps très court. Impact fort en un minimum de temps: c'est le principe même de la publicité.
Les violences sexistes de nombreux jeunes de cité perdent de leur sens si elles ne sont pas reliées à ce contexte de frustrations. Ces jeunes expriment d'ailleurs un sentiment de douleur devant la beauté des femmes choisies et magnifiées par les grands médias : « elles font mal », « elles me tuent », « elles me piquent les yeux », disent-ils.
Notre société de consommation et d'accumulation produit de la délinquance en discréditant l'image du travailleur pauvre : celui qui, malgré son travail, n'a pas les moyens d'acquérir les signes extérieurs de richesses prétendument accessibles au plus grand nombre, mais rejetant ceux qui en sont privés dans les marges et le ridicule. Grand Farouk s'énerve :
«Tu vois pas le nombre de gars au RMI qui portent des Air Max (baskets) à 1200 balles (180 euros). Comment t'expliques ça? Si t'as pas de sapes (de vêtements à la mode), t'es moins que rien. T'as pas de caisse (de voiture), t'as pas de meuf (de petite amie). Les gens, ils te respectent pas, ils t'évitent. C'est l'argent qui contrôle! Tu vois dans la pub, comment ils te disent tout le temps que si t'as pas ça, t'as pas ça, tu vaux rien! Ils te disent vas-y consomme et tu seras quelqu'un. C'est ça, la société aujourd'hui. À tous les niveaux, c'est pareil, même chez ceux qui sont blindés d'oseille y'en a qui font des complexes. »
Ce consumérisme s'observe dans l'ensemble de notre société (comme le remarquait à l'instant Grand Farouk), bien que des personnes résistent à ses appels frénétiques. Faut-il naître privilégié pour échapper au consumérisme? Assurément, non, mais cela peut aider à s'en lasser puis à s'en détacher, à partir du moment où l'éducation et la culture dévaluent le matérialisme primaire ambiant et offrent des repères identitaires qui échappent au règne de la marchandise.
Comment mépriser l'argent lorsque l'on n'en a pas? Actuellement, les stratégies employées par les jeunes de cité pour réduire leur niveau de frustration consistent soit en un repli ascétique, sur la cité ou même le foyer si cela est possible, soit en un investissement dans la délinquance, soit en un engagement religieux. Malgré leur jeune âge et leur conformisme, les épreuves qu'ils traversent les invitent de temps à autre à faire une pause pour réfléchir, et, dans ces moments là, ils ressentent un vide spirituel et manquent de repères identitaires alternatifs et valorisés, éloignés du monde marchand. Les fables pour enfants du discours religieux, islamiques en l'occurrence, apaisent temporairement, parfois régulièrement, cette accumulation de frustrations. Dans le cas contraire, il reste la délinquance.
L'absence d'opportunité légale justifie l'engagement dans une carrière délinquante, mais loin de l'intrépidité de l'aventurier, nous observons fréquemment une rhétorique qui se rapproche du placement du «bon père de famille» et qui refuse une fixation radicale et définitive dans une identité de hors-la-loi. La stratégie d'épargne entretient un projet de conversion et une recherche de « normalité » incarnée par la fondation prévisible d'une famille. Elle doit permettre de circonscrire la délinquance à une époque précise jugée difficile, pendant laquelle il faut s'adapter et préparer impérativement le futur. Les lascars rationalisent leur comportement afin d'atténuer l'opprobre qui pèse sur eux et leurs proches'. En vieillissant, beaucoup souhaitent se placer du côté du plus grand nombre. Après une jeunesse tumultueuse, ils rêvent de tranquillité. Autrement dit, l'existence de l'outlaw culture évoquée repose en grande partie sur un conformisme contrarié qui a été obligé de prendre des chemins de traverse pour espérer atteindre ses objectifs. Seuls les moyens utilisés sont déviants, pas les buts recherchés. Ce qui s'observait dans l'Amérique du milieu du 20e siècle se discerne encore mieux aujourd'hui, Merton écrivait : « Bien que notre idéologie des classes ouvertes et de la mobilité sociale persiste à le nier, pour ceux qui sont situés au plus bas de la structure sociale, la civilisation impose des exigences contradictoires. D'une part on leur demande d'orienter leur conduite vers la richesse et d'autre part on leur en refuse les moyens légaux. La conséquence de cette incohérence est une proportion élevée de comportements déviants.»
Thomas Sauvadet, Le Capital guerrier : Solidarité et concurrence entre jeunes de cité, (2006), Paris, Armand Colin.



Document 9 Violence sociale, violences urbaines
Beaucoup ont été surpris par les violences [dites] urbaines des semaines dernières. Ayant publié en 2003 un livre intitulé Violences urbaines, violence sociale (Fayard, 2003) dont le point de départ était une « émeute urbaine » dans la ZUP de Montbéliard, ces événements ne pouvaient pas constituer pour nous une surprise. Les dernières phrases de notre livre évoquaient l’ampleur des discriminations subies par les jeunes Français issus de l’immigration et s’interrogeaient sur les conséquences sociales de l’impossible accès à l’emploi stable pour la majorité d’entre eux. Et le livre s’achevait par ces mots : « autant de bombes à retardement !... ». Il n’était pas besoin d’être devin pour anticiper l’avenir tant la récurrence des émeutes urbaines depuis quinze ans en France s’inscrit dans un « ordre des choses » qui renvoie à des phénomènes structurels tels que : chômage des jeunes non ou peu diplômés, précarisation sans issue, aggravation de la ségrégation urbaine, échec scolaire, paupérisation et déstructuration des familles populaires habitant en HLM, discriminations à l’embauche et racisme ordinaire, etc. Autant de phénomènes qui produisent, à la longue une violence sociale multiforme qui ne se donne pas toujours à voir mais qui, condensée et coagulée, peut éclater soudainement. Il suffit d’un détonateur. Donner un sens à une émeute urbaine, qui produit toujours un effet de surprise, voire de stupéfaction, c’est avant tout mettre au jour cette violence invisible, peu spectaculaire - si bien qu’on n’en parle peu dans les médias - qui, seule, peut expliquer l’espèce de rage autodestructrice qui la caractérise. (…)
Pour apporter la preuve de son interprétation des émeutes - des bandes de « voyous » qui sèment le désordre dans les quartiers - le Ministre de l’Intérieur1 a sorti de son chapeau des données statistiques qui établiraient que 80% des jeunes déférés au parquet seraient « bien connus des services de police ». Or, cette statistique brandie comme un trophée, et reprise sans recul par les médias audiovisuels, est plus que contestable. Les premières comparutions immédiates des « émeutiers » au tribunal de Bobigny ont fait apparaître que la majorité d’entre eux n’ont pas d’antécédents judiciaires et ne peuvent donc être étiquetés comme « délinquants ». La plus lourde peine jusqu’alors prononcée (quatre ans de prison pour un incendiaire d’un grand magasin de tapis) concerne un jeune de vingt ans, intérimaire, titulaire d’un bac pro de peinture, fils d’ouvrier français habitant la banlieue d’Arras. La sociologie des jeunes déférés au Parquet (près de 3000) reste à établir, mais les données tirées des audiences montrent, à l’opposé des déclarations du Ministre de l’Intérieur, qu’il s’agit de jeunes « ordinaires », appartenant aux milieux populaires : certains sont scolarisés, d’autres ont des petits boulots (intérimaires, vendeurs, commis de cuisine) ou peuvent encore être scolarisés. Sans casier judiciaire, ils se sont précipités dans le mouvement, attirés par l’effervescence du moment, portés par le même sentiment de révolte, sur fond de partage des mêmes conditions sociales d’existence et de conscience d’appartenance à une même génération sacrifiée. En ce qui concerne les mineurs, le juge Jean-Pierre Rosenczveig constate qu’au tribunal pour enfants de Bobigny, sur 95 mineurs déférés devant la justice, seuls 17 d’entre eux étaient connus de la justice : « et encore, quelques-uns étaient connus non pas pour des faits de délinquance, mais parce qu’ils faisaient l’objet d’une mesure d’assistance éducative pour enfance en danger » (Le Figaro du 19/11/05).
Pour comprendre les émeutes urbaines, il faut avoir pu mesurer et sentir à quel point est décisive l’expérience vécue, de plus en plus tôt, de la désespérance sociale. On s’aperçoit donc que la réalité sociale que vivent les jeunes de cité est fort éloignée de la sociologie de bazar dont nous gratifie, chaque jour, notre Ministre de l’intérieur. La fuite en avant du gouvernement dans la logique répressive (couvre-feu de trois mois) illustre une profonde méconnaissance des structures mentales des populations qui habitent en banlieue. Abdemalek Sayad, sociologue, grand connaisseur de l’immigration algérienne en France, écrivait dans un de ses textes de La Misère du monde que « le monde de l’immigration et l’expérience de ce monde sont sans doute fermés à la plupart de ceux qui en parlent ». Ce qui inquiète dans la réaction de nos gouvernants, c’est leur grande difficulté, d’une part, à mesurer la fragilité sociale des habitants de cité, ce monde de souffrance qui s’enracine dans une histoire (comme le montre de manière exemplaire l’histoire de la famille de Fouad, ce jeune de 19 ans violemment frappé par des policiers devant les caméras de France 2, retracée dans Le Monde du 16 novembre) et, d’autre part, à percevoir le potentiel d’énergie et de ressources que recèle cette jeunesse des cités. Encore faut-il pouvoir un temps suspendre ses préjugés de classe et de caste et considérer la commune humanité qui habite « au-delà de nos périphs ».
Stéphane Beaud et Michel Pialoux, La « racaille » et les « vrais jeunes. Critique d’une vision binaire du monde des cités, 2005. 1. A l’époque Nicolas Sarkozy.

Document 10 Une montée du rejet des immigrés en Europe
Selon un sondage IFOP, 68 % des Français et 75 % des Allemands considèrent que les musulmans " ne sont pas bien intégrés " dans leur société
Banalisation du discours sur les dangers de l'" islamisation " porté par une partie des droites européennes ? Effets des analyses des dirigeants français et allemands sur l'échec de l'intégration des populations immigrées ? Dernier avatar du débat sur l'identité nationale ? Poussée réelle des revendications religieuses ? Tout ou partie de ce cocktail semble avoir convaincu une partie des opinions publiques française et allemande de la difficile intégration de l'islam et des musulmans dans leur société respective.
Ce jugement apparaît clairement dans un sondage de l'IFOP réalisé du 3 au 9 décembre 2010 dans les deux pays et publié en exclusivité par Le Monde. Alors que 42 % des Français et 40 % des Allemands considèrent la présence d'une communauté musulmane comme " une menace " pour l'identité de leur pays, 68 % et 75 % estiment que les musulmans ne sont " pas bien intégrés dans la société ". Au-delà du constat, relayé récemment par les discours des responsables politiques, les raisons avancées pour expliquer cet échec débordent les explications socio-économiques généralement admises, illustrant une cristallisation sur les différences culturelles et confessionnelles.
Ainsi, 61 % des Français (67 % des Allemands) qui estiment que les musulmans ne sont pas intégrés mettent tout d'abord en avant "leur refus" de le faire, puis "les trop fortes différences culturelles" (40 % pour la France, 34 % pour l'Allemagne), avant le phénomène de ghettos (37 % - 32 %) ou les difficultés économiques (20 % - 10 %). Le « racisme et le manque d'ouverture de certains Français-Allemands " sont avancés par 18 % des premiers, 15 % des seconds.
Les évolutions de l'opinion publique française ont, pour l'anthropologue Dounia Bouzar, un lien logique avec les discours politiques actuels. " Les responsables politiques, à droite comme à gauche, valident la définition de l'islam portée par les radicaux de tous bords ; l'apogée ayant été atteint avec la loi sur le voile intégral ", explique la chercheuse qui a analysé les discours politiques au cours des dernières années.
Stéphanie Le Bars, Islam et intégration : le constat d’échec franco-allemand, Le Monde, 5 janvier 2011.

Doc 5
Texte qui montre comment les relations dans la fratrie peuvent conduire à l’intériorisation de la culture de rue et annihiler totalement les normes et les valeurs que veulent transmettre les parents. Conflits normatifs entre deux instances de socialisation.
Faire le lien avec les conditions matérielles d’existence. Si la fratrie promet le pôle déviant, c’est parce que leurs conditions d’existence (chômage, pauvreté, échec scolaire), les y a conduits eux-mêmes.


Doc 7 Mucchielli
Rejet de l’explication culturelle des difficultés vécues par les jeunes issus de l’immigration. 2 arguments :
Idée qu’il y aurait une culture « française » homogène et qui perdurait dans le temps. Cela n’a pas de sens dans un pays comme la France où la culture ne cesse d’évoluer sous l’influence des vagues d’immigration successives.
Tendance à oublier la question de l’intégration socio-économique.

Double processus pour les jeunes issus de l’immigration :
Pression de la société vers l’assimilation : peut conduire au rejet ou à la honte de la culture d’origine perçue comme inférieure. C’est un blédard !
Contestation de cette assignation à l’assimilation : rejet du stigmate qui conduit à des revendications concernant la reconnaissance de cette culture d’origine dans la société et qui peut conduire au retournement du stigmate (le retour vers la religion peut être lu en partie ainsi).
Ce double processus lié au même phénomène : la dévalorisation de la culture des parents dans l’espace public.

Gestion du stigmate plus ou moins aisée donc plus ou moins propice à des pratiques déviantes :
Intégration socio-économique liée notamment au parcours scolaire ;
Histoire familiale (projet migratoire, réussite professionnelle des parents, attitude de ces derniers vis-à-vis de l’école et de la culture du pays d’accueil) ;
Expériences plus ou moins précoces et intenses du racisme et influences exercées par le groupe de pairs.

Sentiments de victimation collective (représentations collectives rigidifiées, voir textes de rap) liés à :
Difficultés socio-économiques.
La stigmatisation dans l’espace public (racisme ordinaire et discriminations).
La stigmatisation dans le rapport aux institutions (discours des hommes politique, des médias, parcours scolaires, rapport avec la police).
’! Représentations qui constituent de profonds arguments déculpabilisateurs. Délinquance :
Violences entre jeunes de la ville ou des quartiers frontaliers. Hausse des coups et blessures depuis les années 80.
Vols, trafics de drogue.
Destructions de biens publics.
Outrage et violence envers les policiers.
Deux dimensions de cette surdélinquance :
Insertion économique et sociale bouchée donc investissement dans l’économie souterraine.
Dimension anti-institutionnelle. Violence contre les institutions et ses représentants. Tension avec la police. Contexte des émeutes.
Sensation de l’impasse et conscience du mépris = racines des fureurs banlieusardes.




Doc 8
Lien entre montée de la délinquance et déstabilisation de l’Etat social et de la condition salariale. (Les enfants issus des précédentes vagues d’immigration ont connu des périodes de plein-emploi. Si les enfants et petits-enfants d’Italiens ou de Polonais ont connu une assimilation rapide, ce n’est pas en raison d’une culture plus assimilable, mais principalement parce qu’ils ont vécu dans un contexte plus favorable).
Tension entre notre société de consommation et les inégalités subies par les populations des ZUS. Frustrations entretenues par notre société de consommation et la publicité. Etre, c’est avoir. Or ils n’ont pas. Difficile de se détacher d’un tel discours lorsque l’on est privé d’argent. Plus facile pour les milieux plus privilégiés de prendre leur distance avec le matérialisme de nos sociétés.
Pour réduire niveau de frustration :
Repli ascétique (trainer dans la cité ou rester chez soi ne coûte pas cher).
Délinquance.
Engagement religieux (notamment crise identitaire liée à la stigmatisation et à la double culture).
Adhésion aux normes dominantes et aux buts de la société (fonder une famille, matérialisme). Délinquance vue comme un passage pour ensuite revenir dans la normalité. Mais pas possible d’accéder à ces buts par les moyens traditionnels (voir difficultés économiques et sociales dans les ZUS). Donc délinquance. Anomie au sens de Merton.

Document 9
Genèse sociale des violences urbaines. Violence sociale multiforme : chômage, précarité, ségrégation urbaine, paupérisation et déstructuration des familles populaires, discrimination à l’embauche et racisme ordinaire.
Violence sociale invisible, peu spectaculaire, donc pas traitée dans les médias.
Sarko : émeutes perpétrées par des bandes de voyous. Mais majorité des émeutiers arrêtés n’avaient pas de casier judiciaire. Jeunes ordinaires des milieux populaires. Sentiments de révolte liée aux conditions d’existence. Désespérance sociale de plus en plus précoce.
Dirigeants politiques ne semblent pas avoir conscience du rôle joué par ces difficultés sociales dans les émeutes.
On peut ajouter que ces émeutes sont toujours déclenchées par un accrochage avec la police. Tension permanente entre les policiers (représentant des institutions) et jeunes des cités.

Corrigé TD sur les ZUS

Constat du fait que ces ZUS concentrent des populations qui subissent un grand nombre de difficultés économiques et sociales. Taux de chômage élevé, difficultés scolaires, taux de pauvreté plus élevé qu’ailleurs, surdélinquance (dont les premières victimes sont les habitants de ces cités eux-mêmes). Emeutes urbaines récurrentes (2005 et 2007 pour les deux épisodes en date). Relations tendues avec les forces de police.

Dangers pour la cohésion sociale :
Montée de la délinquance : violence entre quartiers, vols et drogue, violences anti-institutionnelles.
Ségrégation spatiale qui fragmente notre société en territoires où les conditions de vie sont radicalement différentes.
Ressentiment dans ces quartiers vis-à-vis des promesses non tenues de la République. Sentiment d’être mis à l’écart de cette société pour la jeunesse de ces quartiers.
Abstention et rejet généralisé de la classe politique.

Genèse sociale des difficultés
Rejet des explications culturalistes. Les jeunes de ces quartiers, pour la plupart français, ont intériorisé les et valeurs dominantes, notamment les valeurs matérialistes (argent, consommation) qui font que dan s notre société l’on est ce que l’on possède.

Les causes profondes de la situation des ZUS résident dans l’absence d’intégration socio-économique de certains habitants de ces quartiers.

Explication des difficultés d’insertion socio-économique :
Réussite scolaire et capital culturel. Etablissements scolaires ségrégés. Concentration d’élèves peu armés pour la réussite.
Réussite scolaire et conditions économiques dans la famille : place pour travailler.
Réussite scolaire et culture anti-école. Sentiment de victimation collective : stigmatisation et racisme ordinaire, discrimination des grands frères (causalité du probable). Ecole comme symbole de la société globale et de ses institutions. Texte qui montre comment les relations dans la fratrie peuvent conduire à l’intériorisation de la culture de rue et annihiler totalement les normes et les valeurs que veulent transmettre les parents. Conflits normatifs entre deux instances de socialisation. Faire le lien avec les conditions matérielles d’existence. Si la fratrie promeut le pôle déviant, c’est parce que leurs conditions d’existence (chômage, pauvreté, échec scolaire), les y a conduits eux-mêmes.
Discrimination à l’embauche.

PISTE DE SOLUTION Mettre le paquet sur l’éducation prioritaire : réduction de la taille des classes en primaire. Lutter frontalement contre les discriminations à l’embauche est une nécessité pour lutter contre la culture anti-école, mais aussi plus prosaïquement pour faciliter l’accès à l’emploi.

Explication du sentiment d’être mis à l’écart, d’être méprisé, de ne pas être reconnu en tant que membre à part entière de la communauté des citoyens
Jeunes issus de l’immigration doivent faire avec la dévalorisation dans la société de la culture d’origine de leurs parents. Aujourd’hui, crispation dans la société autour de l’islam. Double ressenti : mépris pour la culture d’origine repris à son compte par le jeune et volonté d’affirmer son lien fort avec cette culture d’origine (éventuellement retournement du stigmate).
En fonction de son intégration socio-économique, l’individu sera plus ou moins à l’aise avec cette contradiction. En cas de difficultés, tendance au retournement du stigmate et au rejet de la culture dominante. Retour vers la religion peut être lu ainsi. Difficultés socio-économiques. Les enfants issus des précédentes vagues d’immigration ont connu des périodes de plein-emploi. Si les enfants et petits-enfants d’Italiens ou de Polonais ont connu une assimilation rapide, ce n’est pas en raison d’une culture plus assimilable, mais principalement parce qu’ils ont vécu dans un contexte plus favorable. Ils n’ont pourtant pas moins été stigmatisés l’insulte «  macaronis » équivaut à l’insulte «  bougnoules ».
Autre élément facilitant (ou compliquant) la gestion de cette contradiction : le vécu plus ou moins important du racisme ordinaire et de la stigmatisation. Là aussi tendance au retournement du stigmate.
Enfin, l’insertion socio-économique des parents est déterminante et le discours qu’ils tiennent vis-à-vis du pays d’accueil et de son école. Or, on sait que le chômage frappe durement la génération des pères, souvent ouvriers.
La stigmatisation dans le rapport aux institutions (discours des hommes politique, des médias, parcours scolaires, rapport avec la police et contrôle au facies).

Conséquence : Sentiments de victimation collective (représentations collectives rigidifiées, voir textes de rap).

Surdélinquance dans les ZUS
Sensation de l’impasse et conscience du mépris (violences sociales) = racines des fureurs banlieusardes.
Sentiment de l’impasse. Anomie au sens de Merton : intériorisation des normes et valeurs dominantes (notamment valeurs matérialistes), mais impossibilité d’accéder à ces buts par les moyens légitimes. Donc utilisation de moyens illégitimes. Frustrations entretenues par notre société de consommation et la publicité. Etre, c’est avoir. Or ils n’ont pas.
Lien avec ce qui précède : ce sentiment de victimation collective est un élément déculpabilisateur pour s’inscrire dans une carrière délinquante (malgré les normes et valeurs transmises par les parents).

Plan marshall pour les banlieues, éducation prioritaire, lutte contre les discriminations, promotion d’un discours moins stigmatisant vis-à-vis des musulmans de France, comportement exemplaire de la part de la police et avant tout lutte contre le chômage, les inégalités et la pauvreté.
Genèse sociale des comportements déviants :
-Bavures policières. -Le chômage de masse dans les cités. -L'éducation de seconde zone. -La justice à deux vitesses. -Les discriminations à l'embauche. -Le délit de faciès. -La misère au quotidien.



Document 3 Genèse sociale de la violence dans les quartiers
Après avoir analysé des processus qui traversent toute la société française, il faut s interroger sur les différences relatives des types de territoire et de groupes sociaux les habitant. Non seulement les modes de vie des « hypercentres » diffèrent largement de ceux des zones rurales « profondes » et des zones périurbaines en pleine croissance, mais au sein même des « banlieues » des moyennes et grandes villes, la polarisation sociale ne cesse de croître. À tel point que les sociologues n hésitent plus à parler de « ghettoïsation » (Didier Lapeyronnie) et de « séparatisme social » (Éric Maurin). Et ces processus ne sont pas seulement spatiosocioéconomiques, ils ont aussi des conséquences psychologiques en termes d identités collectives (donc de frontière tant sociale que mentale).
Les enquêtes annuelles de victimation de l’Insee signalent que les agressions, comme les vols contre les particuliers, sont plus intenses dans les zones urbaines sensibles (zus). Les enquêtes locales de victimation du Cesdip précisent que les zus n’enregistrent des taux vraiment plus élevés qu’en matière d’agressions intrafamiliales. Nos études sur dossiers judiciaires appuient ce constat de violences graves (tant les homicides que les coups et blessures suivis d’ITT1 chez les majeurs comme chez les mineurs), produites la plupart du temps dans le cadre de l’interconnaissance et souvent dans des relations familiales ou conjugales. Elles surviennent plus souvent qu’ailleurs dans les territoires qui concentrent les personnes en situation de grande précarité socioéconomique. Facteur supplémentaire de mal-être, de dépressivité, de stress et d’agressivité, cette dernière ne peut qu’envenimer les conflits interpersonnels à tous les niveaux : au sein des familles, entre voisins, entre groupes de jeunes, entre les familles et les enseignants et entre les jeunes et les policiers. C est ici une sorte de violence du ressentiment, de l échec et de l humiliation.
Alliée au développement continu de la société de consommation, cette ségrégation constitue le principal facteur contredisant le processus général de pacification des mœurs commencé à la fin du Moyen Âge en Europe. C’est donc à la question de l’organisation démocratique de la répartition des richesses déterminant les conditions de vie que renvoie aussi in fine l’analyse de l’évolution des violences interpersonnelles dans nos sociétés dites « postmodernes ».
Laurent Mucchielli, Grands Dossiers N° 18 - mars-avril-mai 2010, France 2010 / Les grands défis.

1. Interruption temporaire de travail.

Le tableau des nouvelles formes de délinquance que dressent aujourd hui nombre d intervenants dans le débat public est en substance le suivant : nous serions face à une jeunesse désocialisée, déscolarisée, sans repères moraux et sociaux, pourvue de parents «démissionnaires». Pire : ces jeunes seraient massivement toxicomanes et, pour consommer comme pour s’enrichir, ils deviendraient fatalement de jeunes trafiquants de drogues qui ne tarderaient pas à s’organiser en bandes délinquantes et armées, organisant toute une économie souterraine dans leurs cités et terrorisant les territoires environnants. C’est ainsi que les incendies de voitures serviraient uniquement à faire disparaître les voitures volées, tandis que les émeutes ne seraient en rien l’expression d’un sentiment d’injustice, mais simplement un moyen de tenir à distance la police pour mieux protéger les trafics.
Et dans cette véritable organisation délinquante, les plus âgés initieraient les plus jeunes. Ainsi se mettrait progressivement en place un véritable «système mafieux» organisé autour de quelques « familles délinquantes » contrôlant peu à peu tout un quartier et utilisant les jeunes pour se protéger de la police3. Ensuite, il ne s’agirait pas de n’importe quelles familles, mais des maghrébines. Il y aurait à cela des raisons « culturelles» :

3. C’est la démonstration proposée notamment par la commissaire Bui-Trong (1998) des
Renseignements généraux, le commissaire divisionnaire Bousquet (1998) du Syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la police nationale, et le tandem formé par un conseil privé en sécurité et un journaliste enseignant à l’Institut de criminologie de l’Université de Paris 2-Assas (Bauer et Raufer, 1998). «jugé peu dangereux par la tradition et la culture de populations d’origine maghrébine, légitimé par son impact économique positif, le trafic de haschisch structure les emplois du temps et soutient la capacité de consommation du quartier. Facteur de paix sociale, il maintient sur le quartier le voile du silence mafieux » (Bousquet, 1998 : 119). Cette évocation d’une consommation (et par la suite d’un trafic) de drogues qui serait en quelque sorte légitimée par « la culture de populations d’origine maghrébine » constitue pourtant une erreur. En réalité, un seul pays du Maghreb est producteur de haschisch : le Maroc (Observatoire géopolitique des drogues, 1996 : 113-115). Le problème n’est donc pas maghrébin en général, mais marocain en particulier. En outre, il n’est pas lié à la « culture » du Maroc, ma


7. On ne commettra pas l’erreur fréquente (par exemple chez Bauer et Raufer (1998 : 5 et 10)) consistant à tirer des conclusions de l’analyse de la population carcérale. Les étrangers sont surreprésentés en prison pour au moins quatre raisons : 1) il s’agit souvent de personnes dont le seul délit est le défaut de papiers en règle, infractions qui, par définition, ne sont commises que par les étrangers (ce sont les clandestins) ; 2) ils sont surreprésentés parmi les auteurs poursuivis par la police pour certaines infractions actuellement sévèrement condamnées (en particulier le trafic de drogue) ; 3) ils sont surreprésentés parmi les populations les plus pauvres qui sont elles-mêmes surreprésentées dans l’ensemble des auteurs d’atteintes aux biens et aux personnes ; 4) les recherches ont établi depuis longtemps qu’à infraction égale, les étrangers sont condamnés plus sévèrement que les nationaux (Robert, 1995 ; Tournier, 1997 ; Mary et
Tournier, 1998).


Tous les chercheurs qui ont observé de près les pratiques policières, en France comme à l’étranger, concluent à la réalité d’un discours raciste généralisé, qui constitue pour les policiers une véritable norme à laquelle il est difficile, lorsqu’on est policier de base, d’échapper et plus encore de s’opposer. Le caractère normatif de ce racisme policier en fait avant tout un élément de la culture policière, distinct du racisme ambiant ou de celui des couches sociales dont les policiers sont issus, et qui n’a pas un caractère de construction idéologique ou doctrinaire. […] le racisme policier a essentiellement un caractère réactif.
On n’entre pas dans la police parce qu’on est raciste, on le devient à travers le processus de socialisation professionnelle. En d’autres termes, l’habitude de juger les individus en fonction de leurs caractéristiques ethniques supposées s’acquiert sur le tas, au cours de la socialisation professionnelle. […] les représentations racistes ont un caractère opératoire, en ce qu’elles permettent de différencier des individus. Dans la pratique, en orientant la vigilance policière, elles participent du mécanisme de la prédiction créatrice. Elles constituent en quelque sorte des instruments de travail et font partie de cet ensemble de connaissances pratiques qui forment l’arrière-plan, la référence du travail policier. Le recours aux attributs ethniques a pour les policiers un caractère fonctionnel, au même titre que l’âge ou le sexe, dans la mesure où la police de la rue renvoie avant tout à une conception de la normalité conçue comme adéquation d’un type de population, d’un espace et d’un moment donnés.
Tout décalage entre ces trois paramètres déclenche le soupçon policier et peut déboucher sur une intervention (Lévy et Zauberman, 1998 : 293-294 ; voir aussi Monjardet, 1996).



Notre interprétation principale (non exclusive, donc) est ainsi que la surreprésentation des étrangers résidant en France dans les personnes mises en cause par la police et la gendarmerie est fortement liée à leurs conditions de vie. En France, les ressortissants des pays africains – et leurs enfants, qu’ils aient ou non acquis la nationalité française – sont globalement dans une situation socioéconomique précaire, voire très précaire.
Ils appartiennent d’abord massivement aux milieux populaires. Au recensement de 1990, les actifs étrangers originaires des pays du Maghreb sont ouvriers dans 66,5% des cas, employés dans 15,8% et chômeurs n’ayant jamais travaillé dans 4,2% des cas (INSEE, 1994). Le cumul de ces trois catégories donne 86,5 %, à quoi s’ajoutent 5,2% d’artisans-commerçants (restaurateurs, épiciers, etc.) rarement fortunés. Au total, on peut donc estimer qu’ils appartiennent aux milieux populaires dans environ 90% des cas (contre 60 à 65% dans la population française). Les étrangers sont même surreprésentés dans les métiers ouvriers les moins qualifiés et les plus pénibles11. Ils sont ensuite nettement surreprésentés parmi les travailleurs en intérim12 et en contrat à durée déterminée13. Ils sont enfin beaucoup plus touchés par le chômage. Dans l’enquête «Emploi » de l’INSEE en 1992, le taux de chômage des Français était de 9,5 %, celui des étrangers, de 18,6 % mais il montait à 29,6% chez les

11. Si la part des étrangers dans la population active en 1991 était de 6,8 %, ils constituaient presque le double (13,1 %) des travailleurs victimes d’accidents du travail et presque le triple des travailleurs accidentés avec incapacité permanente (17,6 %) (INSEE, 1994).

12. L’« intérim » est un travail qui correspond généralement à un remplacement, pour une durée limitée (quelques semaines ou quelques mois), à temps complet ou partiel.

13. Un « contrat à durée déterminée », comme son nom l’indique, est une embauche pour une durée limitée, qui n’offre aucune promesse pour la suite et ne donne droit à aucune indemnité lorsqu’il prend fin.

Maghrébins et, parmi ces derniers, le taux de chômage de la tranche des 15-24 ans atteignait 50,6% (INSEE, 1994). La même enquête, datée de mars 2000, indique que ces ordres de grandeur n’ont pas changé. Le taux de chômage des étrangers (20 %) est le double du taux global des actifs (10 %), le triple (30 %) si l’on exclut les ressortissants de pays de l’Union européenne. Or, une recherche quantitative récente a pu montrer l’existence d’une corrélation très significative entre les vols et le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans non diplômés (Lagrange, 2001a).
L’enquête sur les revenus fiscaux de l’INSEE (1997) indique de son côté que, si 7% de l’ensemble des ménages résidant en France vivent sous le seuil de pauvreté, cette proportion s’élève à 25% pour les ménages dont le chef possède la nationalité algérienne, marocaine ou tunisienne (Hourriez et al., 2001). Cette situation, de plus, ne cesse de s’aggraver. Dans la région parisienne (Île-de-France), où résident environ 12% de l’ensemble des étrangers, ces derniers représentaient 18% des ménages les plus pauvres en
1978. En 1996, cette proportion s’élève à 32% (Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2002 : 80-81).
Logiquement, cette population pauvre se concentre dans les quartiers qui font l’objet des politiques de la ville (Castellan et al., 1992). En 1992, un peu plus de 500 quartiers faisaient l’objet d’un contrat de ville et regroupaient environ 3 millions d’habitants. Leurs principales caractéristiques démographiques étaient la surreprésentation des étrangers (18%, soit trois fois plus que sur l’ensemble du territoire métropolitain), des jeunes de moins de 20 ans (33% contre 26% dans tout le territoire métropolitain) et des familles nombreuses (de 6 personnes ou plus dans le ménage (7,5% contre 3,2% dans tout le territoire métropolitain)). Plus précisément encore, dans ces quartiers la part d’étrangers parmi les moins de 15 ans atteignaient 21,6% (contre 7% dans tout le territoire métropolitain).
Les « zones urbaines sensibles », créées par le Pacte de relance de la ville (1996), regroupent aujourd’hui près de 4,5 millions de personnes, avec des caractéristiques et des proportions globalement similaires, à l’exception notable d’un taux de chômage des jeunes qui a nettement progressé dans la décennie 1990 (Le Toqueux et Moreau, 2002).
En définitive, la surdélinquance des étrangers résidant en France ressemble à une version moderne de la surdélinquance traditionnelle des milieux sociaux les plus précarisés dans une société industrielle, telle qu’on peut en trouver des échos dans la littérature savante et la presse depuis le XIXe siècle. La liste des problèmes liés à ces conditions de vie précarisées est classique : familles fréquemment déstabilisées par le chômage et les accidents du travail chez les pères, précarité des conditions de vie générales qui bloque l’accès à de nombreuses ressources et génère un fort sentiment de frustration chez les enfants, familles nombreuses vivant dans peu d’espace, d’où un investissement de la rue comme terrain de jeux et d’expériences pour les enfants (de là découlent à la fois une intense sociabilité juvénile et des problèmes de surveillance parentale), faible niveau scolaire ne permettant pas un soutien à la scolarité des enfants14, fréquence plus importante des cas de troubles psychologiques et d’alcoolisme chez les parents. Cependant, à ces problèmes sociaux classiques s’ajoutent, pour certaines catégories d’étrangers, ceux liés à des stigmates spécifiques. Pour tenter de le comprendre, il faut analyser à présent la situation des jeunes hommes issus de l’immigration africaine, nés en France de parents étrangers.



Éléments psychosociologiques sur la délinquance des jeunes issus de l’immigration africaine
Les explications culturalistes constituent un réductionnisme avec lequel les sciences sociales ont mis longtemps à prendre leurs distances, en France comme aux États-Unis. Nous avons vu ce qu’il en était de la fortune du thème du déracinement. Une autre explication courante s’agissant des «jeunes issus de l’immigration» consiste à mettre en avant leur «double culture » présentée comme constituant fatalement une source de contradictions et de conflits, donc de perturbations psychologiques et de déviances. Dans sa généralité, cette idée est fausse, d’une part parce qu’elle repose sur un modèle opposé de parfaite homogénéité culturelle qui n’a pas de sens dans un très vieux pays d’immigration comme la France, d’autre part parce qu’elle réduit la construction de la personnalité sociale à la problématique culturelle, passant ainsi sous silence celle de l’intégration socioéconomique.
Ce qui est exact, c’est que la question des origines et le rapport à la culture des parents se pose fatalement à la « deuxième génération » d’immigrés.
Mais de quelle manière ? Les travaux historiques comme les enquêtes sociologiques récentes soulignent que, en France, les jeunes Français nés de parents étrangers (qu’il s’agisse des vagues d’immigration italiennes et espagnoles de la première moitié du XXe siècle, ou aussi bien des vagues d’immigration maghrébines de l’après-guerre) ont globalement toujours connu en même temps un double processus : d’une part une très forte pression de conformité à l’égard du pays d’accueil, amenant à rejeter précocement la culture d’origine de leurs parents, perçue comme inférieure ou archaïque, au point de pouvoir en ressentir de la honte, d’autre part un mouvement de contestation visant à rejeter le stigmate et à faire accepter dans l’espace public leur spécificité. S’agit-il d’une contradiction ? Dans son remarquable bilan, Noiriel (1988 : 211-245) laissait la question «ouverte ». Quant à nous, il nous semble qu’il n’y a pas de contradiction entre ces deux attitudes qui procèdent de la même source : le fait que la culture du pays d’origine soit stigmatisée dans le pays d’accueil. Toutes les contradictions prétendues insurmontables liées à la «double culture » se ramènent donc selon nous à un unique problème central : la gestion du stigmate, la dévalorisation identitaire qu’il provoque dès l’enfance (Vinsonneau, 199617 ; Esterle-Hedibel, 1999) et, inséparablement, les réactions de défense et les stratégies de revalorisation de soi qu’il induit plus ou moins (Malewska, 1982 ; 1991; Camilleri et al., 1990). Et « plus ou moins », en fonction de quoi ? Il nous semble que cette gestion du stigmate est liée principalement à trois éléments : primo la réussite ou non de l’intégration socioéconomique, intégration dont la phase cruciale est le parcours scolaire du jeune, secundo les déterminants familiaux que sont l’histoire familiale (incluant la nature du projet migratoire et le discours tenu sur lui), la réussite professionnelle des parents, l’attitude de ces derniers vis-à-vis de l’école et plus largement des valeurs du pays d’accueil, tertio les éléments du contexte immédiat de vie, en particulier les effets plus ou moins stigmatisants de l’habitat, les expériences plus ou moins précoces et intenses du racisme et les influences exercées par les groupes de pairs.


À partir de la fin des années 1980, pour des raisons économiques et peut-être surtout politiques (l’échec des mobilisations collectives des années 1982-1986), le facteur temps produit un effet inverse par rapport au modèle de trajectoire couramment partagé dans le monde ouvrier et chez les immigrés de la première génération (Mucchielli, 2002 : 107 et suivantes)18. Comme le dit Khosrokhavar (1997 : 186), « pour la première fois, une génération ne croit plus à l’utopie de l’ascension sociale étalée dans le temps». Cumulée avec la stigmatisation dans l’espace public et dans le rapport aux institutions, cette perspective d’un destin social misérable produit d’intenses sentiments de frustration, d’exclusion et de mépris subi collectivement. C’est dans ce sens que nous proposons de parler de sentiments de victimation collective pour analyser la mentalité de ces jeunes qui disent souvent eux- mêmes vivre dans des ghettos, et pour souligner que ces représentations collectives se rigidifient au point de confiner parfois à une théorie du complot : le complot d’une société injuste et raciste (Mucchielli, 1999b).
Les comportements délinquants juvéniles trouvent certainement dans ces représentations de puissants arguments déculpabilisateurs. Mais de quels comportements délinquants s’agit-il précisément ? Le sentiment de vivre dans un ghetto ne semble pas encourager en soi la violence contre des personnes privées comme le meurtre ou le viol. L’enfermement dans l’espace micro local peut générer par contre davantage de violences entre jeunes de villes ou de quartiers frontaliers. De fait, la forte hausse des coups et blessures non mortels dans les statistiques de police depuis la fin des années 1980, corroborée sur ce point par les enquêtes de victimation (Robert et al., 1999), traduit sans doute cette intensification des affrontements juvéniles, souvent en petits groupes. Ensuite, on peut remarquer que les plus fortes hausses de la délinquance enregistrée des mineurs, au cours des années 1990, concernent avant tout les vols (notamment les vols de voiture dont on sait qu’ils peuvent avoir diverses significations, dont celle de se venger d’un groupe adverse (Esterle-Hedibel, 1996)), les bagarres (qui nous renverraient à nouveau à ces processus de conflits locaux), les consommations et trafics de drogues, les destructions et dégradations de biens publics et les « outrages et violences » envers des agents de la force publique (Aubusson de Cavarlay, 1997). Et, encore une fois, si ces données institutionnelles ne constituent en aucune façon une mesure exacte du niveau et de l’évolution des comportements, elles entérinent néanmoins certaines réalités sociales dont les institutions se préoccupent plus particulièrement. Ceci amène à souligner deux autres dimensions probables de cette surdélinquance localisée des jeunes issus de l’immigration.
Une première est économique. Le sentiment que toute perspective d’insertion économique et sociale est bouchée constitue logiquement un puissant facteur facilitant l’investissement de l’économie souterraine dans ses composantes classiques (par exemple les vols, recels et reventes de pièces détachées de voitures) ou plus récentes (le développement du trafic et de la revente de cannabis depuis les années 1980). Une seconde est sa dimension anti-institutionnelle. Nous pouvons parler ici d’une « violence contre les institutions » qui regroupe diverses formes de dégradation et de violence exercées à l’encontre des biens et des personnes qui symbolisent les institutions. Ceci concerne de nombreux acteurs (policiers, transporteurs collectifs, écoles et bâtiments publics, parfois pompiers), mais l’un d’eux joue un rôle décisif en raison de la fréquence et de la nature de ses rapports avec les jeunes des quartiers concernés : c’est la police. « Les tensions avec la police sont une dimension majeure de l’expérience urbaine des jeunes des quartiers pauvres », constate Michel
Kokoreff (2003 : 144). De fait, nombre de recherches indiquent clairement que les relations entre jeunes d’origine africaine et police dans ces quartiers dits très sensibles fonctionnent avec des cycles de provocations, ripostes, représailles, etc., entretenus de part et d’autre (pour une synthèse récente : Esterle-Hedibel, 2002). C’est bien dans ces contextes qu’éclatent parfois des « émeutes » qui cristallisent les représentations collectives en question et cette « revendication essentielle de dignité et de justice » (Lapeyronnie, 1993 : 263)20. Comme l’expliquent également Bachmann et Le Guennec (1996 : 355), au delà des incidents qui précipitent le déclenchement d’une émeute, « contre qui se battent les émeutiers
? Contre un ennemi sans visage. Contre ceux qui les nient quotidiennement, les condamnent à l’inexistence sociale et leur réservent un avenir en forme d’impasse. L’environnement quotidien est tissé de méfiance et d’hostilité ; le futur est bouché. Aucun allié. Aucune issue.
[…] Ces deux sentiments forts, la sensation de l’impasse et la conscience du mépris, sont toujours à la racine des fureurs banlieusardes ».




Comment les frustrations, les humiliations et les rancœurs accumulées tout au long de l’année explosent-elles dans l’émeute ?

HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"Quelle représentation du « ghetto » et de son avenir ?
Si vivant, bien écrit, bien documenté et souvent juste soit-il, le livre de Luc Bronner demeure un livre de journaliste. La chose peut sembler aller de soi, mais il n’est pas sûr qu’elle contente l’auteur qui a beaucoup lu les sociologues et qui n’hésite pas à donner son avis, voire à distribuer quelques bons et mauvais points. A plusieurs reprises, il n’en donne toutefois qu’une vision simplificatrice, presque une sorte de cliché. Par exemple, « les émeutes de 2005 ont été présentées par l’extrême gauche et une partie de la recherche française comme l’ébauche d’un mouvement politique. Les RG, comme les observateurs de terrain, n’ont rien vu de tel » (p. 97). Ce qui est doublement simplificateur. Ou encore : « Des acteurs de terrain, y compris des maires de gauche, abordent frontalement la dimension culturelle de la crise des banlieues. Loin des précautions oratoires de l’élite intellectuelle et universitaire » (p. 149). On retrouve là la vieille image des intellectuels enfermés dans leur tour d’ivoire, par opposition à la « vérité du terrain ». La réalité est pourtant beaucoup moins simple car beaucoup d’acteurs du terrain n’en ont qu’une vision partielle, celle de leur vécu quotidien, dans la position qui est la leur, avec les lunettes professionnelles qui sont les leurs. Si l’observation d’aspects de la vie quotidienne est indispensable, la prise de distance réflexive ne l’est pas moins, souvent pour revenir au terrain explorer des dimensions moins visibles au premier abord. Le travail du journaliste ne peut pas être tout à fait celui du sociologue.
10  Ce que la quasi-totalité des chercheurs ayant écrit sur les émeutes de novembre 2005 ont souligné, HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
14De fait, des quartiers populaires L. Bronner ne met en exergue qu’une partie de la vie quotidienne, réelle mais très partielle. En ce sens, il n’échappe pas à l’une des caractéristiques de la façon ordinaire de travailler des journalistes : s’attacher au plus visible, au plus choquant, voire au plus spectaculaire. Ceci s’illustre dans la sélectivité des lieux comme dans celle des problématiques, et finalement dans la tonalité générale.
15Sur les lieux d’abord, L. Bronner prend exclusivement ses exemples dans certains des quartiers les plus durs de la banlieue parisienne, en particulier la banlieue nord (et notamment le fameux « 9-3 » - la Seine-Saint-Denis). Ce choix est volontaire. Il est une sorte de miroir grossissant, mais aussi déformant. Car il existe des centaines de quartiers populaires en grande difficulté à l’échelle nationale (rappelons que près de 300 avaient participé, à des degrés très divers, aux émeutes de 2005), mais qui ne « collent » pas forcément à l’image tendue à travers ce livre. Et ceci est loin d’être anecdotique car la dimension « ethnique », si centrale dans ce livre, se pose moins dans d’autres territoires. Du coup, on y aperçoit sans doute mieux d’autres facteurs moins visibles.
11  Voir par exemple V. Le Goaziou, L. Mucchielli, dir., Quand les banlieues brulent. Retour sur les é HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
16Sur les problématiques, donc, à présent. Dans son chapitre sur les médias, l’auteur critique à juste titre « la fascination pour la voiture qui brûle » (p. 164). Mais y a-t-il lui-même échappé ? Du premier au dernier chapitre, ce livre trahit aussi une sorte de fascination pour la façon dont les adolescents occupent l’espace public des cités, en particulier pour les violences qu’ils peuvent commettre, empêchant de voir ou de réellement travailler d’autres dimensions de la vie des cités, empêchant de décrire la vie du reste des autres habitants – hommes et femmes, jeunes et vieux – autrement que comme prisonnière de l’emprise des adolescents. Pire : cette violence adolescente est régulièrement présentée comme « gratuite » ou « irrationnelle ». « Haine brute, sans raison. Sans origine, sans objectif », lit-on encore page 102. Dès lors, tout contexte disparaît, tous les problèmes, ou presque, sont relégués au second plan. Relégués les énormes problèmes d’échec scolaire, l’incroyable niveau du chômage des jeunes, les précarités sur tous les plans, les conséquences des discriminations, les relations exécrables avec la police HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"11. Certes, des chiffres sont donnés à plusieurs endroits. Mais ils ne sont que produits comme tels, ils ne sont pas travaillés, c’est-à-dire explorés dans leurs conséquences et dans leurs relations entre eux. Quelles conséquences ont-ils sur la vie quotidienne des familles et de leurs enfants ? Comment se fabrique l’engrenage de la délinquance ? Pourquoi les parents ont-ils tant de difficultés à faire face ? Comment les frustrations, les humiliations et les rancœurs accumulées tout au long de l’année explosent-elles dans l’émeute ? Tout ceci n’est pas expliqué, ni même réellement discuté. C’est juste mentionné. Au fond, à quoi sert d’annoncer que « la ‘crise des banlieues’ est un télescopage entre des crises globales – l’urbanisme, le chômage, la précarité, l’immigration, etc. – et des destins individuels, des itinéraires personnels » (p. 21) si, en réalité, l’ouvrage consiste à démontrer que « la crise des banlieues, dans sa forme la plus visible, la plus spectaculaire, est d’abord une banale crise d’adolescence, une histoire d’hormones qui agitent les garçons (p. 51) ? Une fois encore, on en reste au niveau du visible, on ne voit plus que ces jeunes qui occupent l’espace public, du milieu de la journée à tard dans la nuit. Même le problème de l’abandon politique des quartiers populaires, si bien traité dans le chapitre 8, est finalement déconnecté du reste. Puisque l’on en revient à la fin au message de fond, martelé de bout en bout : le problème serait « la prise de pouvoir d’une jeune génération nihiliste, sans projet politique » (p. 252). Or comment ces jeunes (et leurs parents !) pourraient-ils construire des projets politiques s’ils ne sont représentés et soutenus politiquement par personne ?
12  Comme le remarque Etienne Balibar, « plus que jamais peut-être le principe de la race ou de la ‘ra HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
17Tout contexte disparaît « ou presque », disions-nous. Car, en réalité, il n’est qu’un seul facteur – hors le poids démographique de l’adolescence – qui est constamment mis en exergue : le facteur migratoire, pour ne pas dire le facteur racial. C’est bien ce qui ressort massivement de ce tableau : le ghetto, ce sont les immigrés « non-Blancs ». Le ghetto, ce sont des familles africaines trop nombreuses, des familles polygames et des « choix religieux, signe d’une forme d’intégrisme » (chapitre 6). L’ethnicisation ou la racialisation, c’est la tendance à décrire des mécanismes collectifs (comportements, attitudes, représentations, opinions) comme produit de « l’origine » des individus HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"12. On a déjà dit, le dérapage sur ce seul point d’un auteur pourtant fort intelligent et documenté illustre la profondeur de cette représentation ethnicisée des problèmes. Or il nous semble que, dans son versant ethnique, la thèse du « ghetto » opère une sorte d’OPA sur les intentions individuelles et collectives des populations visées. Car il ne suffit pas de constater la concentration raciale et la vie communautaire des minorités pour parler de « ghetto ». Il faudrait également être capable de démontrer – et pas seulement suggérer – quelles en sont les conséquences : en quoi cela fabrique t-il un fonctionnement différent de celui des quartiers populaires peuplés de pauvres non issus des immigrations récentes, pour lesquels sont préférées les expressions « cités ouvrières » ou « quartiers populaires » ? Le paradigme du « ghetto » traduit une vision du monde social qui s’inquiète davantage du regroupement ethnique que de la concentration de la pauvreté. Certes les deux aspects sont étroitement imbriqués, mais la désindustrialisation brutale de certains territoires du Nord ou de l’Est, ou bien le déclin rapide de certaines zones rurales, ont créé des poches de pauvreté parfois encore plus terribles qu’Aulnay-sous-Bois ou Mantes-la-Jolie sans que l’on y théorise pour autant le « ghetto ». Les voitures n’y brûlent guère et la population, ancienne, appartient au groupe majoritaire. Mais est-ce là tout ? Qu’on nous comprenne bien : il ne s’agit pas de nier que les dimensions raciales contribuent à définir les identités et les attitudes individuelles et collectives ; tout l’y encourage actuellement, et la stigmatisation ne peut que susciter la contre-stigmatisation, le racisme susciter le contre-racisme. Mais pourtant est-ce là le tout, ou même le fond du problème ? Finalement, est-ce que la concentration des minorités est plus « inquiétante » que la concentration des misères ? En quoi la « race » empire ou transforme t-elle la pauvreté ? En quoi transforme t-elle la question ancienne et classique de la délinquance, de même que ses facteurs anciens et classiques que sont les fragilités des familles, la taille des fratries, l’échec scolaire, le déficit d’insertion professionnelle, l’influence de l’environnement résidentiel « criminogène » ? Tout cela ne date pas d’hier. Tout cela ne date pas des dernières vagues d’immigration. Les recherches menées dans la plupart des pays occidentaux l’ont mis en évidence tout au long du 20ème siècle et toujours aujourd’hui.
HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"La « demande de ghetto », une rationalisation du sentiment d’impuissance ? 
18Ainsi le ghetto immigré constitue bien l’image dominante que le lecteur garde après avoir refermé ce livre pourtant riche et souvent très juste. Le but fondamental est bien du reste d’alerter sur « la bombe à retardement des ghettos ethniques » (p. 143). Et en ce sens, le livre est réussi. Il connaît du reste un réel succès, notamment auprès des élus et acteurs locaux. Ce qui peut selon nous assez aisément se comprendre. Le ghetto comme paradigme à prétention sociologique nous semble rencontrer une « demande de ghetto », à savoir une lecture du monde social et une philosophie de l’action publique entérinant un retour de la race perçue comme l’aveu d’échec des politiques d’intégration et des politiques de la ville ainsi que comme une menace globale pour la cohésion sociale. Cette demande peut se comprendre comme un effet de la dégradation socio-économique forte et continue HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"13, de l’épuisement des institutions de socialisation, d’encadrement et d’émancipation HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"14, du désengagement de l’Etat, du durcissement des rapports sociaux et de certaines formes de violences, de la banalisation de certains délits rémunérateurs (trafics, braquages, etc.) et du raidissement de la question raciale à tous les niveaux. Toutes ces évolutions ont fragilisé les populations et déstabilisé les institutions situées « en premières lignes ». Celles-ci, en perte de confiance et de légitimité, sont en quête d’une nouvelle lecture et de solutions. On comprend bien alors que le « ghetto » est une lecture, voire un refuge, mais offrant quelles solutions ?
13  Voir les rapports annuels de l’Observatoire des zones urbaines sensibles (http://www.ville.gou et HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
14  F. Dubet, Le déclin de l’institution, Paris, Seuil, 2002.
15  Appel qu’on ne peut que partager. Tous les travaux de recherche montrent depuis la fin des années HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
16  Proche en cela, une fois de plus, du livre de Didier Lapeyronnie qui tend lui aussi à décrire un m HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
17  Nous refusons pour notre part de parler de « ghetto », pour toutes ces raisons, qui s’ajoutent à d HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
18  N’est du reste pas non plus cité le livre de M. Kokoreff, La force des quartiers. De la délinquanc HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"(...)
19Malgré son appel final à favoriser (enfin) l’empowerment à travers la politique de la ville HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"15, il nous semble que le succès de ce livre, et le succès du terme « ghetto », repose au fond beaucoup sur la noirceur du tableau qu’il décrit volontairement HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"16, et sur l’espèce de justification qu’il fournit de ce fait à un sentiment d’impuissance très répandu aujourd’hui parmi les acteurs de terrain HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"17. Pas un mot n’est écrit sur les ressources des quartiers, qui servirait de base au développement de ces processus d’empowerment HYPERLINK "http://sociologie.revues.org/506"18. Dès lors le risque est réel que, malgré l’intention louable et sincère de l’auteur, loin d’encourager la poursuite de la lutte contre tous les mécanismes qui concourent au processus de ghettoïsation, son livre conforte chez beaucoup de ses lecteurs l’idée que les habitants sont au fond les principaux responsables de leur malheur, comme les parents sont les principaux responsables du devenir de leurs enfants. Or si cette idée domine progressivement les consciences, on voit mal quelles alternatives les pouvoirs publics et les acteurs locaux seront capables d’opposer aux recettes sécuritaires de court terme. On voit mal quelles raisons d’espérer et quelle force d’agir ils en retireront pour les années futures.
La fortune du « ghetto »
Réflexions critiques à partir d’un ouvrage récent (Luc Bronner, La loi du ghetto. Enquête sur les banlieues françaises, Paris, Calmann-Lévy, 2010)
Marwann Mohammed et Laurent Mucchielli
Référence(s) :
Luc Bronner, La loi du ghetto. Enquête sur les banlieues françaises, Paris, Calmann-Lévy, 2010


Insertion professionnelle des jeunes selon l'origine nationale, trois après la fin des études Unité : %RépartitionTaux de chômageOnt un emploiOnt un emploi à durée indéterminéeOnt un emploi à temps partielEffectifsEnsemble10014776314731 000Les deux parents sont nés en France7813796413569 000Un de leurs deux parents est né à l'étranger101476631475 000Les deux parents sont nés à l'étranger122566561687 000- au Maghreb63061521643 000- en Europe du Sud2985721212 500- en Turquie1196951138 000- en Afrique sub-saharienne1295953239 500- ailleurs22367571514 000Source : Céreq, enquête génération 2004


Taux de chômage après la fin des études * selon l'origine nationale et le diplôme Unité : %EnsembleNon diplômésCAP-BEPBacBac + 2Bac + 3 ou plus2 parents nés en France13301612661 parent né en France14271915872 parents nés à l'étranger dont au moins 1 en UE102169982 parents nés à l'étranger hors UE284226231813* Ensemble des jeunes actifs sortis du système éducatif en 2004 : 664 000 individusSource : Céreq -génération 2004


Position sur le marché du travail des secondes générations selon le pays de naissance des parents Unité : %HommesFemmesAyant un emploiAu chômageInactifsAyant un emploiAu chômageInactivesNatifs *88,310,11,674,313,512,2Italie / Espagne88,710,31,175,213,511,3Portugal83,814,31,974,716,09,4Algérie74,823,22,064,622,313,1Maroc / Tunisie79,019,41,666,421,711,9Afrique Sub-saharienne78,119,22,671,418,89,8Turquie74,421,24,439,429,431,2Asie du Sud-Est76,022,71,375,911,612,6* natifs : personnes nées en France de deux parents nés en FranceSource : Insee - Enquête Etude de l'histoire familiale. Année des données : 1999, population de 18 à 40 ans



(…) Les relations que ces jeunes entretiennent avec la police prennent sens autour de la question de l'honneur. « Être pris » fait partie du « jeu ». Les jeunes rencontrés mettent rarement en cause les décisions des magistrats, certains précisant que l'institution judiciaire est nécessaire. Mais ce qu'ils ne supportent pas, ce sont les humiliations ressenties. Face à la police, ce qu'ils défendent, c'est leur capital symbolique. C'est l'attitude des policiers plus que leur fonction qu'ils contestent : « Ils se prennent pour -des cow-boys. » Si les policiers s'inscrivent dans le registre du capital « guerrier », leur comportement est interprété comme une forme de défi auquel il est essentiel de répondre.
Défendre sa face, se faire respecter, être reconnu, se faire un nom : autant d'expressions qui manifestent l'importance du capital symbolique pour rendre .compte de l’attitude de ces jeunes considérés comme « incivils ».
(…) La « rue », c'est-à-dire le groupe de pairs et l'ethos qui y est associé, fonctionne à la fois comme protection contre l’extérieur, comme ressource, symbole d'autonomie et de dignité et en même temps comme handicap dès lors qu'il s'agit de se faire une place en dehors du quartier. Ce qui constitue un capital symbolique positif dans la culture de la rue fonctionne comme capital symbolique négatif, stigmate, en dehors de la cité, à moins de pouvoir le convertir en capital socialement valorisé (via le sport, la culture hip-hop par exemple).
Isabelle Coutant, Délit de jeunesse, 2005.







5 janvier 2011 Islam et intégration : le constat d'échec franco-allemand

Selon un sondage IFOP, 68 % des Français et 75 % des Allemands considèrent que les musulmans " ne sont pas bien intégrés " dans leur société

Banalisation du discours sur les dangers de l'" islamisation " porté par une partie des droites européennes ? Effets des analyses des dirigeants français et allemands sur l'échec de l'intégration des populations immigrées ? Dernier avatar du débat sur l'identité nationale ? Poussée réelle des revendications religieuses ? Tout ou partie de ce cocktail semble avoir convaincu une partie des opinions publiques française et allemande de la difficile intégration de l'islam et des musulmans dans leur société respective.
Ce jugement apparaît clairement dans un sondage de l'IFOP réalisé du 3 au 9 décembre 2010 dans les deux pays et publié en exclusivité par Le Monde. Alors que 42 % des Français et 40 % des Allemands considèrent la présence d'une communauté musulmane comme " une menace " pour l'identité de leur pays, 68 % et 75 % estiment que les musulmans ne sont " pas bien intégrés dans la société ". Au-delà du constat, relayé récemment par les discours des responsables politiques, les raisons avancées pour expliquer cet échec débordent les explications socio-économiques généralement admises, illustrant une cristallisation sur les différences culturelles et confessionnelles.
Ainsi, 61 % des Français (67 % des Allemands) qui estiment que les musulmans ne sont pas intégrés mettent tout d'abord en avant " leur refus " de le faire, puis " les trop fortes différences culturelles " (40 % pour la France, 34 % pour l'Allemagne), avant le phénomène de ghettos (37 % - 32 %) ou les difficultés économiques (20 % - 10 %).
Le " racisme et le manque d'ouverture de certains Français-Allemands " sont avancés par 18 % des premiers, 15 % des seconds. " Malgré une histoire coloniale différente, une immigration différente et des modes d'intégration différents, il est frappant de relever que le constat, dur et massif, est le même dans les deux pays, souligne Jérôme Fourquet, de l'IFOP. On passe en outre d'un lien entre immigration et sécurité ou immigration et chômage au lien entre islam et menace identitaire. "
L'installation durable de l'islam dans les pays européens et sa visibilité accrue vont clairement de pair avec une crispation des opinions publiques, même si des clivages apparaissent entre jeunes et personnes âgées et entre électeurs de droite et de gauche. Globalement, en 2010, 31 % des Français associent en premier lieu l'islam au " rejet des valeurs occidentales ", alors qu'ils n'étaient que 12 % dans ce cas en 1994 et 17 % en 2001. Par le passé, " fanatisme " et " soumission " étaient les mots les plus massivement associé à l'islam.
La question du voile islamique montre l'importance prise par la visibilité de l'islam dans le débat public. Aujourd'hui, 59 % des Français sont opposés au port du foulard par les musulmanes dans la rue et seuls 32 % se disent " indifférents " ; un chiffre en forte baisse par rapport aux vingt dernières années, au cours desquelles 55 % des personnes sondées affichaient leur indifférence à cette question.
Les positions face à l'édification de mosquées connaissent depuis une dizaine d'années une évolution similaire : 39 % des Français s'y disent opposés en 2010, contre 22 % en 2001. Mais surtout, alors que près d'un Français sur deux était " indifférent " (46 %) à cette question en 2001, ils ne sont plus que 34 % aujourd'hui dans ce cas.
Moins marqués par la laïcité et la neutralité religieuse dans l'espace public, les Allemands se montrent plus indifférents au port du voile islamique dans la rue (45 %). De même, 44 % d'entre eux ne sont pas hostiles à des partis politiques ou des syndicats se référant à l'islam, contre 14 % des Français. Les proportions sont en revanche comparables face à l'éventualité d'élire " un maire d'origine musulmane " : 52 % de Français et 49 % d'Allemands n'y sont " pas hostiles ", un chiffre en progression constante depuis vingt ans en France.
Les évolutions de l'opinion publique française ont, pour l'anthropologue Dounia Bouzar, un lien logique avec les discours politiques actuels. " Les responsables politiques, à droite comme à gauche, valident la définition de l'islam portée par les radicaux de tous bords ; l'apogée ayant été atteint avec la loi sur le voile intégral ", explique la chercheuse qui a analysé les discours politiques au cours des dernières années.
" Jusqu'alors, l'islam y était présenté comme une différence, il est devenu une barrière à l'adhésion aux valeurs de la République. Alors que, dans le même temps, les demandes d'associations musulmanes sur la manière de respecter la laïcité ou de lutter contre les radicaux se multiplient ", assure Mme Bouzar, qui a créé le cabinet Cultes et Cultures Consulting.
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aöpÖÿÿÿÿÿÿdð¤$1$7$8$H$If$dð¤d¤d$1$7$8$H$Ifa$ Pour Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), la perception actuelle de l'islam par l'opinion publique est " réversible ". " On traverse une période difficile liée à la nouvelle visibilité de l'islam, reconnaît-il. Mais les crispations sont principalement dues aux groupes rigoristes qui créent un sentiment de peur. " Il préfère mettre en avant " la normalisation " des relations entre les responsables musulmans et les pouvoirs publics ou les représentants des autres confessions.
Dans le contexte actuel, il met toutefois en garde les musulmans contre tout ce qui peut " attiser les tensions, qu'il s'agisse des demandes de viande halal dans les cantines, de temps ou de salles de prière sur le lieu de travail, de lieux de culte imposants ou jugés ostentatoires ". " Il ne s'agit pas de s'effacer, prévient-il, mais de tenir compte du contexte. " Ses appels à organiser plusieurs services le vendredi dans les mosquées bondées, pour éviter " les prières de rue ", sont jusqu'à présent restés lettre morte. Ces pratiques marginales ont été abondamment dénoncées par le Front national.
Stéphanie Le Bars
© Le Monde

Sortir du cercle vicieux : conditions matérielles d’existence et stigmatisation qui poussent à des conduites déviantes et à des pratiques de retournement du stigmate, ce qui confirme ceux qui stigmatisent dans leurs préjugés, ce qui renforce encore la stigmatisation et rend encore plus difficile la possibilité pour les jeunes des quartiers populaires de s’en sortir….