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Grec Terminale Cours et devoirs Séquence 3 Devoirs 5 et 6 ...

Chapitre 4 > le récit de voyage revu et corrigé. A. Pour ..... Reportez-vous au corrigé de l'exercice 2 en fin de chapitre. ...... confector, oris, m : celui qui prépare.




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Grec
Terminale



Cours et devoirs

Séquence 3

Devoirs 5 et 6







Rédaction : Dominique Augé
Coordination : Rozenn Jarnouën 


Sommaire

Introduction (rappels et conseils)

Chapitre 1 > En route pour l’aventure !
A. Lucien dans l’aventure de son temps
B. Lucien : le périple d’une vie
C. Histoires vraies : une œuvre aventureuse
D. Webographie
Corrigés des exercices

Chapitre 2 > Un projet ambigü
A. Pour entrer dans la lecture du texte
B. Texte 1 : Préface (Paragraphes 2-4)
C. Prolongement culturel : Lucien et Voltaire
D. Entraînement à l'examen
Corrigés des exercices

Chapitre 3 > une parodie de l’épopée
A. Pour entrer dans la lecture du texte
B. Texte 2 : les femmes-vignes
C. Prolongement culturel : Lucien et Hérodote
D. Entraînement à l'examen
Corrigés des exercices

Chapitre 4 > le récit de voyage revu et corrigé
A. Pour entrer dans la lecture du texte
B. Texte 3 : la vie dans la baleine
C. Prolongement culturel : Lucien et
D. Entraînement à l'examen
Corrigés des exercices

Bilan de séquence

Fiches grammaire

Corrigés des exercices

Fiche vocabulaire 

Devoirs 5 et 6










Séquence 3



Lucien, Histoires véritables, ou le roman d’une aventure incroyable ?
Introduction


Objet d'étude :
étude d'une œuvre intégrale. Lucien, Histoires vraies, Livre 1


Édition de référence


Pour travailler cette œuvre au programme, vous devez vous être procuré l’édition suivante qui sera utilisée comme référence :

– Lucien de Samosate, Histoires vraies, Hatier-Les Belles Lettres (2013) –
ISBN : 978-2-218-96154-0

Elle comporte le texte intégral, la traduction et un accompagnement pédagogique en vue des épreuves du baccalauréat.

Remarque : Il existe une autre édition en Livre de Poche de l’ouvrage de Lucien de Samosate.

Objectifs de la séquence et problématique
L'objectif de cette séquence est de parvenir à la maîtrise du sens et des visées d'une œuvre intégrale en langue grecque.
Il s'agira ici d'étudier en quoi le livre I des Histoires vraies de Lucien est une œuvre iconoclaste où la parodie est support de la satire. En effet, si la parodie des textes qui constituent la littérature grecque faisant référence à son époque a une visée comique, cette visée se double d’une intention critique. Ce rhéteur entend dénoncer dans son roman nombre de superstitions et de croyances absurdes.

Nous vous proposons trois extraits traduits et commentés que présenteront à l’oral les inscrits concernés et de nombreuses références au texte qui vous permettront une connaissance plus exhaustive de l’œuvre. Pour présenter les textes à l’épreuve du baccalauréat, l'idéal serait que vous soyez capables de traduire seuls des passages, après lecture de la présente séquence et par là même d’acquérir des réflexes de traduction (même si le dictionnaire est autorisé lors de l’épreuve orale). La Fiche Vocabulaire en fin de séquence vous aidera à mémoriser les mots récurrents dans ce roman. Enfin, vous trouverez également en fin de séquence une bibliographie et une webographie pour approfondir des points qui vous intéresseraient. Certains sites, en particulier, présentent une iconographie intéressante.


P11 Conseils de méthode

Nous vous conseillons vivement de lire l’œuvre intégrale en traduction, courte, plusieurs fois, que vous prépariez l’épreuve orale ou écrite du baccalauréat. Vous la trouverez à la fin de votre édition Hatier - Les Belles Lettres. Cette lecture, en traduction, doit d’abord être un plaisir. Cédez sans retenue à l’invention de Lucien et laissez-vous porter comme le narrateur sur ce bateau à la découverte de ces contrées nouvelles. Seule la connaissance précise de l’œuvre vous permettra de poser les premiers jalons d’une compréhension véritable et pertinente.



Nature des épreuves : rappels

P13 Si vous préparez l’épreuve écrite, celle-ci portera sur l’œuvre intégrale inscrite au programme, le livre I des Histoires vraies de Lucien de Samosate, pour deux années consécutives : la session du baccalauréat de 2014 et celle de 2015

Bien vous préparer à l’épreuve écrite
Cette épreuve aura pour support un extrait de l'œuvre, d'une trentaine à une quarantaine de lignes, accompagné d'une traduction excepté un passage consacré à la version. Votre lecture personnelle de l’œuvre intégrale vous aidera à situer ce passage dans son contexte et à en analyser le sens au fil des questions.
Le sujet est divisé en deux parties.
La première partie, évaluée sur soixante points, comporte trois questions :
la première (quinze points) demande au candidat de repérer et d'analyser un fait de langue (morphologie, syntaxe, lexique) ;
la deuxième question (quinze points) porte sur une comparaison de traductions ;
la troisième (trente points) induit une démarche de commentaire, et porte sur la qualité littéraire de l'extrait.
La deuxième partie est un exercice de version évalué sur quarante points.

Les exercices autocorrectifs proposés dans cette séquence vous préparent tous à l'une des parties de l'épreuve écrite :
les questions posées sur les textes avant la traduction vous demandent d'effectuer des repérages précis ou de revoir certains points de syntaxe ; vous vous entraînerez à l’exercice de la version en vous obligeant à traduire précisément les trois extraits proposés et les passages complémentaires présentés. En fin de chapitre, plusieurs exercices préparent spécifiquement à l’examen. Chaque moment est donc important et exge un travail précis.

Important : la préparation de l'épreuve écrite nécessite de s'entraîner à l'écrit.
Astreignez-vous à rédiger correctement vos réponses dans les exercices autocorrectifs, et à citer le texte grec de façon précise (par des termes ciblés et non des phrases entières) pour illustrer et justifier vos interprétations. Ainsi, le jour de l'examen, vous aurez acquis les bons réflexes de présentation et de formulation.
Il est important aussi, pour la préparation à la version, de vous approprier votre dictionnaire (dont l'usage est autorisé le jour de l'épreuve) en le manipulant fréquemment durant l'année pour vous constituer des repères.

Bien vous préparer à l’épreuve orale
Important : la préparation d'une épreuve orale requiert un entraînement à l'oral.
Si vous préparez l'épreuve orale, l'interrogation portera sur les trois extraits traduits et commentés dans la séquence.

Votre prestation devra comprendre 4 étapes :
une introduction,
la lecture à haute voix du passage à traduire (environ huit lignes ou vers),
sa traduction méthodique par groupes grammaticaux,
un commentaire de l'extrait.
Un travail de mémorisation est donc indispensable. En effet, pour l'introduction, on attendra :
des éléments de contexte historique et littéraire,
une présentation de l'auteur et de l'œuvre,
la situation dans l'œuvre du passage à traduire.
Les fiches de vocabulaire données en fin de séquence vous permettront de retrouver plus facilement le sens des textes. Le jour de l’examen, vous disposerez d'un dictionnaire durant le temps de préparation.
La lecture à haute voix des textes doit être travaillée régulièrement ; on attend une lecture fluide, expressive, et qui respecte la syntaxe du texte grec. Quant à la traduction du texte à l'oral, elle doit s'articuler sur le découpage grammatical de chaque phrase. La présentation de chaque traduction sous forme de tableau vous engage à procéder selon cette méthode, et c'est un exercice auquel vous devrez vous entraîner à haute voix lors de vos révisions, pour que la construction grammaticale du texte soit maîtrisée le jour de l'épreuve.
Après la lecture et la traduction du court passage défini par l'examinateur, vous devrez donner du texte entier un commentaire construit et ordonné, qui sera illustré de citations précises en grec. De fait, la méthode est très proche de celle de l'épreuve orale de français :
une organisation structurée en parties et paragraphes,
un commentaire qui rend compte des idées du texte, de ses objectifs, de son registre, de ses particularités lexicales et stylistiques,
une conclusion synthétique.
Enfin, l'oral se clôt par un entretien avec le professeur durant lequel les lectures cursives, les documents complémentaires, votre connaissance de l'œuvre intégrale, pourront être mis à profit.
L'examinateur vous proposera en fin d'épreuve un bref extrait de l'œuvre (deux à trois lignes) non préparé durant l'année, accompagné de sa traduction. Vous devrez faire sur cette traduction toutes les remarques que vous jugerez nécessaires (choix grammaticaux, lexicaux, partis pris esthétiques du traducteur) et montrer que vous êtes capable de vous approprier rapidement une phrase grecque inconnue. L'évaluation de ce dernier exercice ne peut qu'ajouter des points à la note finale, et agit donc comme un « bonus »; vous pourrez vous y préparer en travaillant les exercices de comparaison de traductions qui sont donnés à la fin de chaque chapitre du cours.

Dernier conseil, pensez à maîtriser la gestion de votre temps : vous disposerez d'un temps de préparation de trente minutes, et l'épreuve orale elle-même durera environ quinze minutes. Il est indispensable, lors de vos révisions, de vous astreindre à retrouver la traduction (huit à dix minutes) et le commentaire (quinze à vingt minutes) de chaque texte dans les limites du temps de préparation imparti : il est donc hors de question de rédiger vos notes !




À toutes et à tous, bon courage !







Chapitre 1 > En route pour l’aventure !



Les Histoires vraies de Lucien sont le premier roman parodique de l’Antiquité : l’auteur imite le genre romanesque déjà pratiqué et connu de ses lecteurs. Pour comprendre l’horizon d’attente du public et l’intention du romancier, il est essentiel de replacer les Histoires vraies dans leur contexte historique mais aussi culturel, littéraire et scientifique. Lucien, syrien, est un homme de son temps, il a bénéficié de l’éducation grecque dispensée à l’élite de la société (paideia).


Lucien dans l’aventure de son temps !
Lucien est un écrivain syrien qui écrit en grec dans le monde romain. Tout un programme ! Si cela peut à première vue sembler déroutant, il n’y a pourtant ici rien d’incongru. La situation est même tout à fait normalisée. Quand Lucien naît aux environs de 120 après Jésus-Christ, le monde est un monde décentré et multiculturel. L’empire romain, dans la première moitié du IIème siècle, a été encore agrandi par les conquêtes de l’empereur Trajan et s’étend de l’Espagne à l’Arabie. Il s’étend de la Britannia (qui désigne la Grande-Bretagne, mais pas l’Écosse, appelée Calédonia, jamais conquise) à l’Égypte et de la Syrie, province natale de Lucien, et de l’Euphrate (en Mésopotamie) à l’Hispanie jusqu’aux Colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar). Les Romains ont partout imposé leurs administrations mais ils ont toujours respecté les us et coutumes des provinces colonisées (la Pax Romana). En Commagène, la patrie de Lucien, on parle le syriaque ou l’araméen, la langue locale, on utilise le latin comme langue officielle et adminsistrative, et comme ailleurs dans l’empire, on apprend à l’école le grec, utile pour communiquer partout dans l’empire, la koinè, et nécessaire pour accéder à la vraie culture.
Le monde dans lequel Lucien évolue est un monde pacifié ; il vit sous le règne des Antonins et bénéficie de cette sympathie philhellène qui privilégie l’épanouissement de la culture grecque. Pour réussir, Lucien va suivre, comme beaucoup d’autres, l’éducation classique, la paideia, qui permet à l’élite de maîtriser la langue et la culture grecque sous toutes ses formes : littérature, philosophie, sciences…
Cette période assiste aussi à un regain dintérêt pour l’art de la parole, la rhétorique. De nouveau, les écoles se développent, les orateurs courent à travers le monde civilisé pour faire des conférences… Cette situation rappelle celle que la Grèce avait déjà connue au Vème siècle avant Jésus-Christ, avec les noms célèbres de Gorgias ou Protagoras. On se souvient que la voie de la carrière politique passait par la maîtrise de la parole et que nombre de Grecs avaient recours aux « sophistes » pour ficeler un discours et gagner un procès, souvent au détriment de la vérité et de la morale, comme Socrate leur en faisait reproche ! C’est au IIème siècle une renaissance de la rhétorique et l’on nomme ce mouvement « la seconde sophistique ».
Cette période est intéressante et permet de comprendre le renom qu’un Syrien, loin du pouvoir romain, comme Lucien a pu avoir. La domination romaine en Orient, et en Asie Mineure particulièrement, a renforcé la position des notables locaux en les amenant à concentrer, au sein de leur cité ou de leur province, le pouvoir politique, le pouvoir économique et le prestige social. Rome avait tout à gagner en développant ainsi le pouvoir des élites locales : la domination incontestée d’un groupe social au sein des cités convient en effet tout à fait aux autorités romaines, qui trouvent dans la coopération de ces élites locales le moyen de contrôler de vastes régions sans avoir à déployer une administration centrale trop lourde et nécessairement plus aisément contestée. Rome continue ainsi d’encourager l’évergétisme, pratique qui veut qu’un citoyen se substitue à la cité pour assumer des dépenses publiques, telles que la construction d’édifices, l’approvisionnement en blé ou en huile, l’organisation de fêtes religieuses. Les sophistes de cette période jouissent donc d’une grande respectabilité dans leur patrie, certes, mais pour les plus grands d’entre eux, bien au-delà de leurs frontières, car ils se déplacent d’un bout à l’autre de l’empire. La connaissance approfondie d’une tradition littéraire, grecque, marquée par des thèmes de philosophie morale, comme la concorde, la vertu, la justice, la tempérance, permet à ces orateurs de montrer l’exercice de la raison en politique et leur donne la posture du sage médiateur. Les rhétoriciens rivalisent de virtuosité et sont considérés comme de véritables « vedettes» par la foule. Très souvent, pareils à des acteurs, ils exercent leur art dans les théâtres que l'on réserve tout spécialement en vue de leur prestation et où ils sont applaudis par un public friand de phrases harmonieusement agencées. Toutefois, si la carrière de Lucien est bien caractéristique de ce que les élites locales ont pu vivre, elle présente également des singularités qu’une présentation plus détaillée de notre écrivain permet de comprendre.


P15 Exercice autocorrectif n°1
Observez les deux faces de cette pièce en or qui représentent Lucius Verus. Comment cette pièce met-elle en valeur la victoire de Lucius Verus ?

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Reportez-vous au corrigé de l’exercice 2 en fin de chapitre.



Le périple d’une vie !

 HYPERLINK "http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/90/Lucianus.jpg" 

Sa vie
Lucien est né vers 115/125 apr. J.-C. à Samosate (aujourd’hui appelée Samsat, en Turquie), ville de la province romaine de Syrie située sur l’embouchure de l’Euphrate et l’une des plus importantes de l’Empire, à la fois pour sa richesse économique et pour sa situation géopolitique, à la frontière avec l’Empire parthe. Samosate se trouve au nord de la province, en Commagène. C’est une ville fortifiée, où siègent deux des trois légions de Syrie et qui, sous le règne d’Hadrien, devient métropole (capitale) de la province.
D’extraction modeste, Lucien devait devenir sculpteur comme son oncle ; mais entré chez ce dernier en apprentissage, il finit par s’enfuir, n’éprouvant aucun intérêt pour ce métier. Ce Syrien dont la langue maternelle est l’ araméen entame alors des études dans les meilleures écoles d’Ionie, en Grèce, où il apprend à maîtriser parfaitement l’attique, qui est la langue littéraire grecque. Ses études terminées, il devient avocat à Antioche à 25 ans. Toutefois, les désagréments de ce métier – fourberie, mensonges, luttes, cris…– font qu’il se tourne vers la rhétorique et, autour de 150 apr. J.-C., il commence une longue série de conférences publiques qui lui permettront de voyager à travers le monde romain : Achaïe, Macédoine, Italie, Gaule, etc. Il se fait rapidement reconnaître comme un rhétoricien de talent et sa nouvelle carrière lui fait gagner des sommes considérables. Lucien lit ou récite des opuscules du genre de ceux qui nous restent sous les titres d'Harmonide, Zeuxis ou Antiochus, le Scythe ou le Proxène, Hérodote ou Aétion, Bacchus, l'Éloge de la mouche, etc.
Mais au bout de dix ans de voyages harassants, lassé de donner des conférences et sentant l'impérieux besoin de se ressourcer, Lucien revient en Orient. Entre-temps, il a dû saisir tout l'aspect vain et parfois pervers de la rhétorique, art du savoir-faire plus que de la sensibilité. Comme il le dit lui-même dans la Double Accusation, il quitte «l'art du mensonge pour se mettre au service de la vérité ». Pour lui, la quête de la vérité passe par l'approfondissement des idées philosophiques. C'est donc sur le tard, aux environs de la quarantaine que Lucien tourne la page en faveur de la philosophie.
Il recommence ses voyages à travers la Cappadoce et la Paphlagonie (régions d’Asie Mineure), accompagné de son vieux père et des personnes de sa famille. À partir des années 160, la réputation de notre Syrien lui permet donc de s'immiscer dans les arcanes du pouvoir central à tel point qu'il finit par se lier avec le second empereur en titre après Marc-Aurèle, Lucius Verus. Il suit le prince pendant les terribles guerres parthiques comme en témoigne l'opuscule Comment écrire l'Histoire. Il fait également un séjour dans sa ville natale Samosate en 163. Puis en 165, il décide enfin de séjourner dans sa patrie spirituelle, Athènes. Dans la prestigieuse cité, il fréquente de nombreux penseurs pour épancher sa soif de philosophie. Mais il garde toutefois un sens critique très aiguisé, s’en prenant ainsi violemment aux Stoïciens qu’il fustige sans pitié, leur reprochant leur orgueil démesuré et leur dogmatisme foncier. Les seuls sages athéniens à trouver grâce à ses yeux sont Nigrinos et un certain Démonax auxquels il consacre deux dialogues émouvants autant qu'édifiants. Il ne devient pas philosophe pour autant mais s'attelle dès lors à la mission de dénoncer les philosophes pédants et les charlatans de tout acabit et ce, non sans un certain courage car on sait qu’il se fit de nombreux ennemis.
En 171, grâce à des appuis impériaux non négligeables, Lucien connaît l'apogée de sa course aux honneurs. Il obtient la charge prestigieuse de secrétaire, plus exactement d'archistrator du Préfet d’Égypte Statianus. Mais la chute de ce dernier qui avait soutenu la tentative de coup d'État d'un certain Cassius en 175 provoque inéluctablement le retrait de Lucien de ses fonctions administratives. Déjà d'un âge avancé, Lucien se lance de nouveau dans une série de conférences itinérantes, peut-être dans un but purement lucratif. Puis il revient à Athènes où il meurt aux alentours de l'année 192, à l'extrême fin du règne de Commode.

P15 Exercice autocorrectif n°2
Voici l’extrait d’un dialogue philosophique de Lucien, intitulé La double accusation ou les jugements. Cet extrait est d’inspiration autobiographique. Après l’avoir lu, répondez aux questions suivantes.
( À quels moments de la vie de l’auteur ce passage fait-il allusion ?
( Expliquez en quoi ce passage présente une prosopopée après avoir cherché la définition de cette figure de style.
( Que reproche précisément la Rhétorique à Lucien ?

La Rhétorique : « Citoyens juges, cet homme était encore dans la première jeunesse, barbare de langage, et revêtu, pour ainsi dire, de la robe perse à la mode des Assyriens, lorsque je le trouvai en Ionie, errant, incertain du parti qu'il devait prendre : je le recueillis et me chargeai de l'instruire. Quand il me parut savoir quelque chose, et que je vis ses regards fixés sur moi, il me craignait alors, il avait pour moi de la déférence, une admiration exclusive, je congédiai tous mes autres prétendants riches, beaux, d'une illustre naissance, et j'accordai ma main à cet amant pauvre, obscur, presque enfant, lui apportant une dot précieuse de nombreux et admirables discours. Bientôt j'amenai mon nouvel époux à ma tribu. Je l'y fis enregistrer et déclarer citoyen. (…) Il eut l'idée de voyager pour faire montre des richesses que lui avait procurées mon alliance ; je ne l'abandonnai point, je le suivis partout. Je me laissai conduire par monts et par vaux, j'eus soin de lui attirer sans cesse l'estime et le respect en veillant à son extérieur et sa parure. Ce que j'ai fait pour lui en Grèce et en Ionie n'est rien encore. Il voulut passer en Italie. Je traversai avec lui la mer Ionienne. Enfin je l'accompagnai jusque dans les Gaules, où je l'aidai à faire fortune. Jusque-là, il se montrait docile à tous mes conseils, demeurant sans cesse avec moi et ne découchant pas même une seule nuit. Mais quand il eut suffisamment pourvu à ses besoins, quand il crut sa réputation assez bien établie, il releva les sourcils, prit de grands airs, me négligea ou plutôt me planta là complètement. Cet homme barbu, ce Dialogue, qui abuse de son extérieur pour se faire appeler fils de la Philosophie, il s'est épris pour lui d'un fol amour, et il ne sort pas des bras de cet amant plus âgé que lui. » Lucien, La double accusation, 27-28 
Reportez-vous au corrigé de l’exercice 1 en fin de chapitre.

Ses œuvres
Le corpus des ouvrages attribués à Lucien comprend 86 titres, dont une dizaine sont inauthentiques (apocryphes). On peut les classer en plusieurs catégories.
Des travaux rhétoriques
Ce sont de purs exercices grammaticaux ou encore des « lectures d'introduction », courts récits, jeux d'esprit souvent très soignés, destinés, lors des conférences publiques, à servir de « hors-d'œuvre » avant la lecture d'un texte de plus grande envergure. Citons : Le fils déshérité, Le tyrannicide, l’Éloge de la patrie, l’Éloge de la mouche. Lucien, dans son œuvre, Histoires vraies, continue d’avoir la maîtrise de ces exercices rhétoriques.
Des opuscules autobiographiques
Le songe évoque l’enfance et l’adolescence de Lucien. Le Nigrinos, toute première œuvre philosophique de Lucien, vante la sagesse du philosophe du même nom qu'il fréquenta à Athènes, modèle selon lui, des antiques vertus grecques et qu'il met en contraste avec la richesse et la grossièreté des milieux romains. Quant à l’Apologie, elle se veut une justification de la décision de Lucien de se mettre au service de l'administration impériale, choix ambigü comme pour beaucoup de ses compatriotes à travers l'Empire.
Des pamphlets
Le plus souvent, ces pamphlets prennent la forme d'une lettre adressée à un ami, comme la Mort de Pérégrinos où Lucien écrit à un certain Celsius. Dans ce récit, il conte l'histoire du cynique Protée qui se fit brûler en public aux jeux olympiques de 165 pour y critiquer son orgueil démesuré et son hypocrisie. Dans le Maître de rhétorique, Lucien utilise brillamment le second degré : son oeuvre se présente comme une plaisante invitation à un jeune étudiant de négliger les études classiques rigoureuses afin de se livrer tout entier à la quête de la facilité et de la célébrité, seuls moyens, selon lui, de s'enrichir. L'œuvre vise probablement le rhéteur Julius Pollux, personnage controversé du temps de Lucien. De la même manière, la lecture des Histoires vraies, vous amènera à saisir régulièrement cette maîtrise du registre humoristique sous des formes variées.
Des traités
Plusieurs ouvrages sont des traités et ont un tour plus didactique mais toujours sarcastique. Le plus important de ces traités, Sur la Manière d'écrire l’histoire, est toujours une référence pour l'étude du genre historique dans l'Antiquité. C’est une parodie réussie de l’historien Thucydide, critiquant les auteurs sans talent des récits des guerres parthiques qui sévissent à son époque mais aussi les historiens qui ternissent leurs récits par de basses flatteries adressées à des princes et des hommes de guerre. Cette critique est une constante chez Lucien et l’œuvre au programme en reprend également les termes : comment peut-on faire confiance à des historiens qui accordent du crédit à des affabulations en mettant sur le même plan les événements réels et le récit d’épisodes mensongers ?
Des dialogues
Lucien est le maître incontesté du dialogue philosophique mais un dialogue détourné de sa vocation originelle. En premier lieu, il y a de « petits dialogues » : 30 Dialogues des morts, 26 Dialogues des dieux, 15 Dialogues marins, 15 Dialogues des courtisanes. Les premiers imités par Fénelon, Voltaire et Fontenelle proposent une amusante et cruelle satire des vices et des faiblesses des hommes en enfer où ils apparaissent dans toute leur affligeante vérité. Les Dialogues des dieux, petits textes scandaleux et sacrilèges, peuvent être considérés comme un coup de grâce donné au paganisme agonisant : en effet, Lucien y raille les dieux sans ménagement en révélant les infidélités de Zeus, la jalousie d'Héra, les coucheries d'Aphrodite, etc. Les Dialogues de courtisanes énumèrent avec drôlerie divers types humains : la prostituée cupide, la jeune courtisane encore niaise, le « Don Juan », le jeune homme impatient mal surveillé par son précepteur, l’amant crotté...
Les « grands dialogues » relèvent de maintes catégories. Certains, authentiquement philosophiques, restent proches du modèle platonicien. Ainsi, dans l’Hermotimos, deux personnages s'affrontent : un étudiant attardé- il a plus de 40 ans ! - disciple des stoïciens, qui est plein de bonne volonté, soucieux d’idéal, et un Lucien moqueur, sceptique, cynique qui s'emploie à le défaire de ses fausses illusions. Les Philopseudeis (Les Amis du mensonge) offrent des récits de guérisons miraculeuses, de statues animées, de fantômes : c’est dans ce texte que l’on trouve pour la première fois le thème de l'apprenti-sorcier que Goethe reprendra.
D'autres dialogues se veulent délibérément fantaisistes et sont influencés par l'œuvre de Ménippe de Gadara qui inventa le genre dit « ménippé » au IIIème siècle av. J.-C. Empreints de moquerie et de cynisme, ils ont souvent pour héros Ménippe lui-même, personnage à travers lequel c'est bien sûr Lucien qui s'exprime et qui fustige la folie des hommes : la Nécyomancie (Le Voyage aux enfers), l’Icaroménippe (Le Voyage chez les dieux), la Traversée pour les enfers où la mort suppose un renversement des situations personnelles : le méchant, en l'occurrence ici le tyran, est sévèrement châtié tandis que le pauvre cordonnier et le philosophe - cynique - sont conduits vers l'Île des Bienheureux. Mais l’ouvrage le plus grinçant est sans nul doute les célèbres Philosophes à vendre où l’on voit les plus grands philosophes (Diogène, Socrate, Pyrrhon et Pythagore, etc.) tous raillés et finalement mis en vente à bas prix vu leur peu de valeur. Cette charge fit scandale.
Des romans
Lucien a composé des romans et des contes fort amusants qui ne sont pas exempts de thèmes philosophiques. Lucius ou l'Âne [roman picaresque), le Navire, et bien sûr Les Histoires vraies.

C. Histoires vraies : une œuvre aventureuse !
Ce texte, chef-d'œuvre absolu de Lucien, souvent considéré comme le premier ouvrage de science-fiction de l'histoire, a souvent été une source d'inspiration, notamment pour le voyage de Pantagruel au Quart Livre de Rabelais, Micromégas de Voltaire, et les Voyages de Gulliver de Swift. Mais au-delà du divertissement, il faut aussi considérer le fait que Lucien l'impertinent voulait montrer qu'il était capable, lui aussi, d'imaginer des histoires tout aussi folles et absurdes que celles tirées de la mythologie, révélant ainsi par voie de conséquence l'inanité des croyances de son temps.


L’œuvre d’un érudit
Lucien a beaucoup lu et critiqué les poètes, les historiens, les sophistes et les philosophes de toutes les écoles. Mais il a des sympathies pour l’épicurisme, le scepticisme et le cynisme. C’est un grand érudit et la lecture des Histoires vraies montre qu’il a complété sa formation en rhétorique par des études approfondies, notamment dans le domaine scientifique.
Trois disciplines sont particulièrement concernées : la cosmologie, l’astrologie et la zoologie.
La cosmologie : Lucien évoque des étoiles : « le Soleil (Hélios) », « l’Étoile du Matin (= Vénus) » (§ 12), « Sirius » (§ 16) ; un satellite : « la Lune » (Séléné) ; des constellations : « la Grande Ourse » (§ 13), « les Pléiades » et « les Hyades » (§ 29).
L’astrologie : Lucien mentionne « le Sagittaire du Zodiaque » (§ 18), un des douze signes zodiacaux, et le Zodiaque entier (§ 28). Ses Histoires réfutent toute conception religieuse de l’astre lunaire (les Anciens considéraient la lune comme une déese).



La zoologie : Lucien emprunte à Aristote (Histoire des animaux, VIII, 605 b) l’appellation Hippomyrmèques (« fourmis – chevaux »), désignant de grosses fourmis ailées, d’où une allusion probable à Pégase, représenté sur les étendards de la légion postée à Samosate. Il se moque des sélaciens de mer (chiens de mer ou requins, § 24). La description de la baleine contient plusieurs éléments zoologiques connus des spécialistes : «  [La baleine] s’avançait, gueule béante, faisant des remous bien à l’avance, baignée d’écume et montrant ses dents qui étaient beaucoup plus longues que les phallus de chez nous et toutes aiguës comme des pieux et blanches comme de l’ivoire. » L’écume est ici le sperme de baleine ; les dents sont les fanons de baleine ou les dents de cachalot.

Cette érudition est également révélée par les références implicites ou non à la littérature et à la philosophie grecque. Lucien est le produit de cette paideia, déjà citée. Il a approfondi l’étude des Anciens (Homère, Hérodote, Platon, Isocrate…). Comme tous, il a reconnu dans l’œuvre de ces grands maîtres un modèle à suivre, à imiter (la mimèsis). Mais pour reprendre la notion développée par les auteurs de La Pléiade, au XVIème siècle, l’innutrition, comme d’autres, il s’est véritablement formé à la lecture et à l’étude de tous ces grands mâitres. De même que Ronsard crèe une œuvre originale à partir des Odes d’Horace, Lucien se nourrit d’Homère pour créer du neuf. Son œuvre est à la fois le témoignage de sa culture livresque et l’expression d’une transformation. Les auteurs rivalisent entre eux non pas en cherchant l’originalité à tout prix, mais en s’efforçant d’atteindre l’excellence des meilleurs auteurs du passé, consacrés par la tradition, voire de les surpasser. Lire Les Histoires vraies c’est à la fois voyager dans le sillage d’une tradition littéraire et la dépasser. En effet, Lucien est un érudit certes, mais le regard qu’il porte sur ses prédecesseurs n’est pas univoque.

L’œuvre d’un critique
La lecture des Histoires vraies montre combien Lucien connaît et parodie ces auteurs cutes de l’Antiquité, comme il le déclare au lecteur dans l’exorde du livre 1 :
« Ce n’est point seulement l’étrangeté du sujet ni l’agrément du projet qui séduira [les lecteurs] ni les mensonges variés que nous avons exposés de façon convaincante et vraisemblable. Mais c’est aussi que chaque détail du récit est une allusion (non sans intention comique) à certains poètes, historiens, philosophes d’antan, dont les ouvrages contiennent beaucoup de prodiges et de fables ; je les citerais bien par leur nom si tu ne devais les identifier toi-même à la lecture. (…) J’ai donc lu tous ces auteurs. » (Lucien, HV 1, § 2-4, traduction de J. Bompaire, CUF).
Dans ce passage, Lucien mentionne différentes catégories d’auteurs qu’il considère avec humour comme des affabulateurs et des menteurs : « certains poètes, historiens, philosophes d’antan ». Comme sa remarque reste très générale, Lucien estime que ses lecteurs sont capables de deviner quels auteurs sont visés : il fait donc confiance à son public parce qu’il sait que ses lecteurs partagent la même éducation littéraire. Toutefois, Lucien cite dans sa préface les noms de trois auteurs qu’il juge essentiels pour son récit à venir : Ctésias, Jamboulos et Homère, chacun représentant une des trois catégories d’auteurs visés.

Ctésias
Dans la préface de son roman, Lucien cite Ctésias de Cnide : « Entre autres, Ctésias de Cnide, fils de Ctésiochos, qui écrivit sur le pays des Indiens sur ce qui s’y trouve des choses qu’il n’avait ni vues ni entendues d la bouche d’un tiers véridique. » Cet auteur fut le médecin du roi de Perse Artaxerxès II: il était donc bien informé sur la Perse et l’Inde voisine pour écrire ses deux ouvrages historiques : les Persika (Récits sur la Perse) et les Indika (Récits sur l’Inde). Pourtant, comme il recourt beaucoup à l’imaginaire et au merveilleux (dans les Persika, la reine Sémiramis devient une colombe, Crésus se délivre miraculeusement de ses chaînes, et dans les Indika les hommes ont des oreilles si grandes qu’ils peuvent s’en couvrir les bras jusqu’au coude), il acquiert la réputation de « menteur », comme le rappelle Lucien dans le Philopseudes (L’ami du mensonge) : « Il y a Hérodote, bien sûr, Ctésias de Cnide, et ne parlons pas du grand Homère : tous étaient des hommes d'une trempe exceptionnelle qui ont usé du mensonge écrit, qui ont trompé leurs contemporains, et dont les affabulations poétiques se sont transmises de génération en génération jusqu'à nos jours. »
P15 Exercice autocorrectif n°3
Voici une série de passages extraits des Indika de Ctésias. Retrouvez les passages des Histoires vraies qui s’en inspirent. Pour vous aider, ces passages se trouvent dans les paragraphes 4 à 16 et 23 à 25.

Extraits des Indika
45, 51 : « Tout en faisant ces descriptions et ces récits fabuleux, Ctésias dit faire les descriptions les plus véridiques qui soient. »
45, 20 : « à Naxos se trouve une source d’où coule quelquefois un vin fort agréable. »
45, 42 : « Ces Têtes de Chien (Kynokephaloi) chassent les bêtes avec des arcs et des javelots et ils les rattrapent à la course, car ils courent vite. »
45, 43 : « Hommes et femmes, [les Indiens] ont tous une queue au-dessus de la croupe, pareille à celle d’un chien, mais plus longue et plus touffue. »

45, 43 : « Ils s’accouplent aux femmes à quatre pattes, comme les chiens. S’accoupler d’une autre manière est chez eux déshonorant. »

45, 43 : « Quand l’un d’eux a un enfant, ce dernier n’a pas le derrière percé et ne va pas à la selle : il a sans doute des fesses, mais l’orifice est soudé. C’est pourquoi ils ne vont pas à la selle, mais leurs urines forment, dit-on, une sorte de fromage qui n’est pas du tout épais mais trouble. »
45, 50 : « Ces hommes ont huit doigts à chaque main et huit aussi à chaque pied, les hommes comme les femmes. »
45, 50 : « Ils ont des oreilles si grandes qu’elles leur couvrent les bras jusqu’au coude et que vers l’arrière elles leur enveloppent le dos tout entier. Leurs oreilles se touchent entre elles. »

Reportez-vous au corrigé de l’exercice 3 en fin de chapitre.

Jamboulos
Toujours dans la préface est cité Jamboulos (IIIe siècle av. J.-C.): « Jamboulos aussi fit quantité de récits extraordinaires à propos de la Grande mer ; le récit mensonger qu’il composa fut manifeste pour tous, sans que le sujet traité fût déplaisant pour autant. ». Auteur d’un roman philosophique d’inspiration stoïcienne, il affirme avoir séjourné sept ans dans une des sept îles du Soleil situées sous l’équateur, où vivait un peuple merveilleux, où la vie est paradisiaque, où les femmes et les enfants sont communs à tous, où règne une paix durable. Nous connaissons son récit utopique grâce à l’historien Diodore de Sicile.
Lucien parodie son récit des préparatifs du voyage (§ 5) et la longue durée de la tempête (§ 6) :


Jamboulos (= Diodore, II 55) : « À cet effet, on emploie deux hommes pour lesquels on équipe un navire de dimensions proportionnées, capable de résister aux tempêtes et d'être aisément conduit par deux rameurs. Ils l'approvisionnent de vivres pour six mois, y font entrer les deux hommes désignés, et leur ordonnent, conformément à l'oracle, de se diriger vers le midi. » 

Diodore II 55 : « Après avoir navigué pendant quatre mois, et lutté contre les tempêtes, ils abordèrent dans l'île désignée, qui est de figure ronde et qui a jusqu'à cinq mille stades de circonférence. »Lucien (I, 5) : « Dans cette intention, j’avais embarqué force provisions, chargé de l’eau en suffisance et recruté cinquante compagnons ayant même âge et même projet que moi. De plus, je m’étais procuré une assez grande quantité de matériel, j’avais pris avec moi le meilleur pilote et j’avais fait consolider mon navire (c’était un bateau léger) en vue d’une navigation longue et agitée. »  

Lucien (I, 6) : « Nous étions ballottés par la tempête soixante-dix-neuf jours durant, mais soudain, le quatre-vingtième, le soleil brilla : nous apercevons, assez proche, une île élevée et boisée. »

c) Homère

Lucien considère donc Homère comme l’initiateur et le maître des auteurs affabulateurs : « Beaucoup d’autres […] consignèrent comme étant les leurs des courses errantes et lointaines, en décrivant des bêtes énormes, des hommes cruels, des genres de vie singuliers. Leur chef de file et leur maître en fariboles de ce genre fut l’Ulysse d’Homère». Le satiriste évoque dans ce passage le récit que fait Ulysse de son voyage de Troie jusqu’à l’île de Phéacie à la cour d’Alcinous, roi des Phéaciens : « [Ulysse] dans ses récits à la cour d’Alcinous parlait de l’esclavage des vents, et de certains hommes à l’œil unique, mangeurs de chair crue et sauvages, et aussi d’animaux à plusieurs têtes et des métamorphoses de ses compagnons sous l’effet de philtres : ainsi il fit bien des contes prodigieux aux Phéaciens, gens naïfs. »
Les références sont explicites :
« l’esclavage des vents » est une allusion aux vents enfermés dans une outre par Éole (chant X, 1-79) ;
les « hommes à l’œil unique, mangeurs de chair crue et sauvages », sont les Cyclopes; l’un d’entre eux, Polyphème, dévore quatre des douze compagnons d’Ulysse, entrés dans sa caverne (chant IX, 105-566) ;
les « animaux à plusieurs têtes » sont les monstres marins Charybde et Scylla (XII, 73-446) ;
quant aux « métamorphoses de ses compagnons sous l’effet de philtres », c’est une allusion à l’épisode de la magicienne Circé : grâce à une drogue (pharmaka), elle avait métamorphosé les compagnons d’Ulysse en porcs ; puis, à la demande d’Ulysse, elle leur redonne, en les frottant d’une autre drogue (pharmakon), leur apparence humaine (X, 133-466).
On peut aisément retrouver dans l’œuvre qui nous intéresse des exemples de ces nombreuses transgressions satiriques.
Transgresser les limites de l’Empire : c’est ce que fait Lucien dans les Histoires vraies, récit d’un voyage au-delà des Colonnes d’Hercule. Originaire de la Syrie, à la limite orientale de l’Empire, il imagine qu’il dépasse la limite occidentale pour naviguer sur l’océan Atlantique. Mieux même, son voyage le conduit à dépasser les limites terrestres pour aller sur la Lune (1, 10-27), puis à vivre dans le ventre d’une baleine (1, 30-42), avant de se rendre aux Enfers souterrains, en franchissant les limites du royaume des morts (livre 2).

Le pouvoir politique, tel que l’imagine Lucien sur la Lune, est toujours exercé par une seule personne, mais il s’agit d’un roi (basileus) et non d’un Empereur (autokrator). Le roi des Sélénites (habitants de la Lune) est Endymion. Son rival est Phaéton, roi des Héliotes (habitants du Soleil). Quant au pouvoir militaire, Lucien le conçoit également à l’image des armées grecques et non de la légion romaine. Nouvelle preuve, certes de l’éducation grecque reçue, mais au-delà du regard plus critique de Lucien sur son temps.
Lucien fait allusion à la triérarchie au début de son voyage (§ 5) : « Dans cette intention, j’avais embarqué force provisions, chargé de l’eau en suffisance et recruté cinquante compagnons ayant même âge et même projet que moi. De plus, je m’étais procuré une assez grande quantité de matériel, j’avais pris avec moi le meilleur pilote et j’avais fait consolider mon navire (c’était un bateau léger) en vue d’une navigation longue et agitée. » Si le roman s’affiche comme un récit fictif, nombreuses sont les références à des réalités sociales ou politiques.  
La guerre romano-parthique de 161-166 hante Lucien de Samosate : sa patrie, la Syrie, a été envahie en 161 par Vologèse IV, roi des Parthes, ce qui a entraîné la guerre entre Lucius Verus et Vologèse. L’auteur syrien évoque ce conflit dans son traité Comment il faut écrire l’histoire. Ses Histoires vraies, datées de 166, contemporaines des événements, accordent une large place aux guerres certes sur un mode parodique : la guerre entre Sélénites et Héliotes et la guerre navale.
La culture littéraire de Lucien, comme le prouvent les nombreuses sources qu’il utilise, est immense et variée. La parodie dans les Histoires vraies montre que l’auteur sait à la fois imiter les textes de ses prédécesseurs et créer un genre littéraire nouveau : le roman parodique.

L’œuvre d’un romancier
L’appellation de « roman », utilisée depuis le Moyen Âge en français pour distinguer les récits en prose ou en vers écrits en langue « romane » (langue vulgaire issue du latin populaire) et les textes écrits en latin (langue savante), ne correspond à aucun terme en grec ancien. Pour désigner ce genre littéraire, les auteurs grecs emploient les noms sungramma, anagramma (« écrit en prose »), dramatikon (« écrit dramatique »), plasma (« fiction »). Plus précis, les rhéteurs distinguent plusieurs sortes de récit ; voici le classement proposé par le rhéteur Nocolaos :
les récits mythiques sont faux et invraisemblables, « comme les mythes des Cyclopes et des Centaures » (Nicolaos, Progymnasmata, 12-13) ;
les récits historiques qui concernent des faits reconnus comme s’étant produits dans le passé et sont donc considérés comme des récits vrais, comme L’Enquête d’Hérodote.
les récits politiques ou judiciaires qui sont racontés dans les procès publics, pour lesquels la vérité ou la vraisemblance doivent être prouvées et établies. 
les récits fictifs sont ceux qui sont racontés dans les pièces comiques, et en général dans les genres dramatiques (´Á¬¼±Ã¹), où sont représentées des actions : ce sont donc des récits vraisemblables, reposant sur l’imitation d’actions qui peuvent se produire.
Selon cette classification, le roman relève des récits fictifs, puisque le narrateur raconte les actions de personnages, qui agissent comme au théâtre, et qui imitent les paroles et les actions humaines ; ainsi, le roman est une fiction vraisemblable. Or si l’on applique cette conception du roman à l’étude des Histoires vraies, il ressort clairement que le roman de Lucien est tout à fait original : l’auteur se refuse à donner de la vraisemblance à son récit et insiste même sur le mensonge. Il abolit donc les différences entre le récit fictif (romanesque) et le récit mythique (la fable) : il intègre même des éléments du récit politique (en imaginant des discours délibératifs) et du récit historique (en parodiant des récits de bataille racontés par Hérodote et Thucydide).
Lucien connaît les romans de ses prédécesseurs et il joue à les parodier. Il bouscule le thème du mariage fréquent dans les ouvrages de Chariton d’Aphrodisias, Chéréas et Callirrhoé (Ier s. apr. J.-C.) et de Xénophon d’Éphèse, les Éphésiaques (IIe s. apr. J.-C.) en faisant décliner une proposition : le roi Endymion propose en effet au narrateur de lui donner en mariage son fils (car il n’existe que des hommes chez les Sélénites), ce qu’il refuse ! Le roman Ninos et Sémiramis (Ier s. apr. J.-C.) et surtout les Histoires babyloniennes de Jamblique (IIème s. apr. J.-C) qui se déroulent en Babylonie, contrée voisine de Samosate, peignent un décor fantaisiste que Lucien retrouve : les héros sont attaqués par des eunuques au nez et aux oreilles coupés, trouvent refuge dans des tombes, se font passer pour des fantômes !
Les Merveilles d’au-delà de Thulé d’Antonius Diogène (antérieur à Lucien) sont un roman influencé par la pensée du philosophe et mathématicien Pythagore. L’intrigue du roman est formée par les aventures de Deinas, qui voyage autour du monde : c’est dans ce cadre que sont racontées les merveilles d’au-delà de Thulé (contrée située aux confins du monde). Un des personnages, Mantinias, affirme que certaines de ses propres aventures se sont déroulées sur le Soleil et sur la Lune. Le roman d’Antonius Diogène est donc l’une des sources de Lucien, bien que le ton humoristique ne soit guère présent dans ce récit.
Le Satiricon attribué à Pétrone (Ier s. apr. J.-C.) raconte les aventures d’Ascylte, Encolpe et Giton, qui traversent les bas-fonds de Rome. Le romancier raille la société romaine, notamment le parvenu Trimalcion. Les Métamorphoses ou L’âne d’or du sophiste et philosophe africain Apulée (IIe s. après J.-C.) s’inspirent du roman L’Âne de Lucius de Patras, qui a aussi servi à Lucien de Samosate pour son roman L’Âne. Apulée imagine les aventures du héros Lucius métamorphosé par accident en âne, qui pourra retrouver sa forme humaine en mangeant des roses. Le récit de sa quête comprend de nombreuses histoires associant crimes et érotisme. Il s’agit d’un voyage spirituel et initiatique. Comme Lucien, Apulée mêle le fantastique et l’humour.
Ainsi notre romancier syrien a su imiter de nombreux aspects des romans antérieurs et contemporains, surtout les récits de voyages fantastiques, les péripéties, la tonalité comique, plusieurs thèmes romanesques attendus mais parodiés.


Corrigés des exercices

P14 Corrigé de l’exercice n°1
Cette pièce en or met en valeur la victoire de Lucius Vérus à la fois par l’iconographie et les inscriptions. Sur le côté face est représenté Lucius Vérus co-empereur (« AUG » = Augustus, titre impérial), portant une couronne de laurier, symbole de la victoire sur les Parthes en Syrie et en Arménie, d’où le surnom « Armeniacus ». Sur le côté « pile » est représentée la déesse Nikè personnifiée (« la Victoire ») : elle peut être identifiée grâce à ses ailes (comme la Victoire de Samothrace). Elle pose la main gauche sur un bouclier rond où est inscrit le nom abrégé « VIC » (« Victoria » en latin). Ainsi chaque côté de cette pièce souligne la victoire de Vérus par l’inscription et l’image.

P14 Corrigé de l’exercice n°2
( Dans cet extrait autobiographique, on distingue plusieurs étapes dans la vie de l’auteur :
- Lucien est né dans la province de Syrie, et «barbare de langage », il y parlait araméen ;
- après avoir appris le grec, il s’est rendu en Ionie pour y apprendre la rhétorique ;
- il devient rhéteur et sophiste : « j'amenai mon nouvel époux à ma tribu » ;
- ayant acquis une parfaite maîtrise de cet art, il devient sophiste itinérant (les rhéteurs restant confinés dans leurs écoles) et s’enrichit par ses conférences : « une dot précieuse », « Il eut l'idée de voyager pour faire montre des richesses que lui avait procurées mon alliance » ;
- il voyage en Grèce, en Italie et dans les Gaules ;
- l’idée de « veiller à son extérieur et sa parure » est une allusion à son style atticiste surveillé, par opposition au style asianiste son éducation à la rhétorique en Ionie ;
- il finit par délaisser la rhétorique pour s’adonner au dialogue philosophique : « ce Dialogue, qui abuse de son extérieur pour se faire appeler fils de la Philosophie, il s'est épris pour lui d'un fol amour ».
( La prosopopée est une figure de style qui consiste à faire parler une personne morte, un animal, une chose personnifiée ou une abstraction. Ce passage présente une prosopopée puisque que la Rhétorique y est personnifiée et qu’elle prend la parole pour raconter la vie de Lucien depuis son éducation jusqu’à sa conversion à la philosophie.
( La Rhétorique reproche à Lucien à la fois son ingratitude et son infidélité. En effet, alors que la Rhétorique lui a offert une instruction oratoire (« je me chargeai de l’instruire… lui apportant une dot précieuse de nombreux et admirables discours ») qui lui a permis de connaître la gloire et la fortune, Lucien finit par se montrer orgueilleux et méprisant (« il releva les sourcils, prit de grands airs, me négligea »). Pire encore, il est coupable d’infidélité, puisque Lucien quitte la Philosophie (il « me planta là complètement »), qui avait été son épouse (« j’accordai ma main à cet amant… j’amenai mon nouvel époux à ma tribu… ne découchant pas même une seule nuit ») pour coucher avec le Discours « fils de la Philosophie ». Cette deuxième personnification (qui assimile le Discours à un jeune homme) fait sourire car la Rhétorique accuse Lucien d’être l’amant du Discours. En somme, ces reproches d’ingratitude et d’infidélité visent la conversion de Lucien qui est passé de la Rhétorique à la Philosophie.


P14 Corrigé de l’exercice n°3

Extraits des Indika
45, 51 : « Tout en faisant ces descriptions et ces récits fabuleux, Ctésias dit faire les descriptions les plus véridiques qui soient. »
45, 20 : « à Naxos se trouve une source d’où coule quelquefois un vin fort agréable. »

45, 42 : « Ces Têtes de Chien (Kynokephaloi) chassent les bêtes avec des arcs et des javelots et ils les rattrapent à la course, car ils courent vite. »
45, 43 : « Hommes et femmes, [les Indiens] ont tous une queue au-dessus de la croupe, pareille à celle d’un chien, mais plus longue et plus touffue. »

45, 43 : « Ils s’accouplent aux femmes à quatre pattes, comme les chiens. S’accoupler d’une autre manière est chez eux déshonorant. »

45, 43 : « Quand l’un d’eux a un enfant, ce dernier n’a pas le derrière percé et ne va pas à la selle : il a sans doute des fesses, mais l’orifice est soudé. C’est pourquoi ils ne vont pas à la selle, mais leurs urines forment, dit-on, une sorte de fromage qui n’est pas du tout épais mais trouble. »
45, 50 : « Ces hommes ont huit doigts à chaque main et huit aussi à chaque pied, les hommes comme les femmes. »
45, 50 : « Ils ont des oreilles si grandes qu’elles leur couvrent les bras jusqu’au coude et que vers l’arrière elles leur enveloppent le dos tout entier. Leurs oreilles se touchent entre elles. »
§ 4 : Protestation de mensonge : « Je dirai la vérité au moins sur ce seul point : en disant que je mens. »
 § 7 : « Nous arrivons sur un fleuve où coulait du vin, passablement semblable à celui de Chios. »
§ 16 : « Les Kynobalanes (glands-chiens) … cinq mille hommes à face de chien combattant sur des glands ailés. »

§ 23 : « Au-dessus des fesses [des Sélénites] il pousse à chacun un grand raifort, comme une queue, qui est toujours vert et qui ne casse pas quand on tombe à la renverse. »
§ 23 : « Les jeunes garçons n’offrent pas leur derrière pour la relation sexuelle mais leur jarret au-dessus du mollet, car c’est l’endroit où ils sont percés. »
§ 23 : « Ils n’urinent ni ne vont à la selle, car ils ne sont pas percés au même endroit que nous. »
§ 23 : « Quand ils travaillent ou font de l’exercice, ils suent du lait par tout le corps et ils le font cailler pour avoir du fromage. »

§ 23 : « [Les Sélénites] n’ont pas d’ongles aux pieds et ils ont tous un orteil unique. »

§ 25 : « En guise d’oreilles ils ont des feuilles de platane. »
P2 Webographie

Pour compléter vos connaissances sur le monde romain du second siècle et sur les empereurs romains de cette époque
 HYPERLINK "http://www.empereurs-romains.net/" http://www.empereurs-romains.net/
 HYPERLINK "http://www.histoiredumonde.net/Liste-des-empereurs-romains.html" http://www.histoiredumonde.net/Liste-des-empereurs-romains.html

Pour vous documenter plus précisément sur les liens complexes que nouent les sophistes et le pouvoir au cours de cette période
 HYPERLINK "http://www.cairn.info/revue-hypotheses-2000-1-page-69.htm" http://www.cairn.info/revue-hypotheses-2000-1-page-69.htm

Pour fixer précisément certaines notions stylistiques essentielles et bien distinguer la parodie du burlesque ou l’ironie de la satire…
 HYPERLINK "http://www.lyc-levigan.ac-montpellier.fr/doc_pedagogie/espace_eaf/cours/registres/definitions.htm" http://www.lyc-levigan.ac-montpellier.fr/doc_pedagogie/espace_eaf/cours/registres/definitions.htm


Chapitre 2 > Un drôle de contrat


Un drôle de titre pour un drôle de roman
Le roman de Lucien est tout à fait étonnant, voire déconcertant : son titre est mensonger car l’auteur entreprend de nous raconter une histoire totalement inventée, mêlant avec habileté réalité et fiction En effet, au cours de son voyage, le narrateur cite des personnalités réelles, mais laisse également libre cours à son imagination et part à la rencontre des êtres mythologiques ; les personnages évoluent dans des lieux insolites ; la temporalité est fantaisiste. La structure du roman surprend aussi : l’œuvre, en deux livres, reste inachevée, malgré la promesse de l’auteur de la continuer. Pour bien comprendre et dominer cette œuvre parodique, il est nécessaire de la connaître dans son ensemble et de réviser plusieurs notions fondamentales de narratologie.

Le titre grec est »·¸Æ ´¹·³®¼±Ä±, littéralement Récits vrais. Diêgêma désigne le récit en général, la narration ; d où la traduction « histoires ». Étymologiquement, diêgêma vient de diêgeomai signifiant « exposer (hêgeomai) en détail (dia) ». Quant à alêthes, cet adjectif est l’antonyme de pseudês, « faux », « mensonger » : on le traduit par « vrai », « véritable ». Lucien a donc choisi un titre ironique, puisqu’il énonce, avec une antiphrase, le contraire, comme l’auteur le reconnaît dans l’introduction de l’ouvrage (§ 4) :
« Puisque je n’avais rien de vrai à raconter (car je n’avais jamais rien vécu d’intéressant), je me suis adonné au mensonge avec des sentiments bien plus nobles que les autres [auteurs]. Car je dirai la vérité au moins sur un point : en disant que je mens. »

P15 Exercice autocorrectif n°1
Plusieurs titres des Suvres lucianesques prouvent la passion de l auteur pour le thème du mensonge : ‘›•§‘”¡Ÿ£ — ¨•¥”Ÿœ‘¤™£, ¨•¥”Ÿ›Ÿ“™£¤—£ —  •¡™ ¤—£ ‘ Ÿ¦¡‘”Ÿ£, ¨•¥”Ÿ£Ÿ¦™£¤—£. — £Ÿ›Ÿ™š™£¤—£, ¦™›Ÿ¨•¥”—£ — ‘ ™£¤©. Voici les traductions de ces quatre titres. Associez chaque titre grec transcrit à sa traduction française :
Le diseur de mensonge =
Le faux sophiste =
L’ami du mensonge =
Le faux prophète (ou Le faux devin) =

Reportez-vous au corrigé de l’exercice 1 en fin de chapitre.

Pourquoi, d’autre part, Lucien a-t-il employé le pluriel diêgêmata, alors qu’il raconte un seul voyage ? Plusieurs explications sont possibles :
les Histoires vraies comprennent deux livres ; la coupure au milieu de l’épisode de la baleine est une imitation des récits épiques : dans l’Odyssée, l’épisode d’Ulysse arrivant chez les Phéaciens est raconté aux chants VII et VIII ; ses récits couvrent plusieurs chants, IX à XII. De même, dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, le voyage de Jason et des Argonautes partis à la conquête de la toison d’or est narré en quatre livres ou chants.
Cette coupure entraînant une division de la narration en plusieurs livres est également une nécessité technique : le rouleau de papyrus (volumen), longs de plusieurs mètres, est à peu près l’équivalent de trente pages de nos éditions modernes.
Le rhéteur Hermogène, contemporain de Lucien, fait une distinction entre le diêgêma (« le récit ») et la diêgêsis (« l’œuvre narrative, la narration ») :
« Le récit diffère de l’œuvre narrative comme le poème de l’œuvre poétique : poème et récit concernent un seul fait, œuvre poétique et narration en concernent plusieurs ; par exemple l’Iliade est une œuvre poétique de même que l’Odyssée, tandis que la fabrication du bouclier [Iliade 18], l’évocation des morts [Odyssée 11], le meurtre des prétendants [Odyssée 22] sont des poèmes. De même l’histoire d’Hérodote et l’ouvrage de Thucydide sont des œuvres narratives, tandis que l’anecdote d’Arion [Hérodote I, 23-24], celle d’Alcméon [Thucydide II, 102] sont des récits. (Hermogène, Progymnasmata)
Ainsi on comprend pourquoi Lucien parle de « récits vrais » au pluriel : son ouvrage complet (livres I et II) forme une œuvre narrative, une narration (diêgêsis), tandis que les femmes-vignes, la guerre des Sélénites contre les Héliotes, le séjour dans le ventre de la baleine forment des « récits », c’est-à-dire des épisodes ou séquences narratives.

Lucien se montre donc provoquant et joue avec les catégories rhétoriques. Le satiriste qu’il est s’amuse à provoquer ses lecteurs en bousculant leurs habitudes. En effet, les élèves grecs ont appris cette définition du récit à l’école du rhéteur : « Les théoriciens définissent le récit comme l’exposé d’un fait réel ou donné comme tel. » (Hermogène, Ibidem). Or, Lucien avoue d’emblée que ses récits sont mensongers ; mieux même, il parle d’ « affabulations » : « J’ai tenu à transmettre quelque chose à la postérité et je ne veux pas être le seul à ne pas participer à la liberté d’affabuler (muthologein). » Il raconte donc des « récits mythiques », en subvertissant les catégories rhétoriques apprises chez le rhéteur. En effet, rappelons les différentes sortes de récit selon Nicolaos (cf. chapitre 1) :
Le récit historique : récit vrai
Le récit mythique : faux et invraisemblable,
Le récit politique
Le récit fictif (donc romanesque) : vraisemblable.
En appelant son récit Histoires véritables, Lucien crée un horizon d’attente : les lecteurs s’attendent à lire des récits historiques, tirés de faits réels ; or, à la surprise de ses lecteurs, Lucien n’écrit pas de récits vrais, ni même un roman (récit vraisemblable), mais un récit qui parodie un récit mythique. Lucien amène alors inévitablement ses lecteurs à adopter une double posture : les historiens, les poètes et les philosophes sont tous des menteurs ; prendre le contrepoint de l’attitude déférente à l’égard des valeurs culturelles unanimes est un gage de sympathie.

Dès la lecture de l’introduction, le public comprend que Lucien écrit un roman parodique. La parodie consiste à la fois à imiter et à faire rire. La parodie est fondamentalement une réécriture et l’on appellera hypertextes, toutes les œuvres dérivées d’une œuvre antérieure, c’est-à-dire l’hypotexte, « texte placé en dessous », par transformation ou par imitation. La parodie étant imitation comique, le roman parodique de Lucien est l’hypertexte. Quant aux hypotextes, ce sont toutes les sources étudiées dans le chapitre 1 : les historiens, les philosophes et les poètes. Pour affiner cette analyse de la parodie, il convient maintenant de la distinguer de notions voisines et de l’intégrer dans ce que Genette appelle le « tableau général des pratiques hypertextuelles :


Lucien déguise donc ses sources : aux lecteurs d’être perspicaces et de mobiliser leur culture !
Les diêgêmata lucianesques sont également des pastiches (imitation ludique) : Lucien imite les actions nobles et héroïques de l’épopée, mais en faisant agir des créatures mythologiques inférieures à l’homme (les combattants sélénites et héliotes) : c’est ce que l’on appelle le genre héroï-comique (traitement d’un sujet vulgaire dans un style noble).
La forgerie est une imitation sérieuse, comme celle de Perrot d’Ablancourt qui écrit la suite des Histoires vraies de Lucien.

P13 Distinction entre la parodie, le burlesque et l’héroï-comique au XVIIe siècle : À l’époque classique (au XVIIe siècle), où le public était très sensible aux différences de sujets et de styles, on distinguait aussi plusieurs formes de parodie : la terminologie mérite d’être retenue et exploitée pour la lecture des Histoires vraies :
la parodie consiste à appliquer un texte noble singulier à une action vulgaire fort différente de l’action d’origine, mais ayant avec elle suffisamment d’analogie pour que l’application soit possible.
Le travestissement burlesque consiste à transcrire en style vulgaire un texte noble dont on conserve l’action et les personnages.
Le poème héroï-comique consiste à traiter un sujet vulgaire dans un style noble en pratiquant hors de propos le style héroïque en général.





Texte 1 : une préface à interpréter

Pour entrer dans la lecture du texte…
C’est une préface bien singulière qui ouvre ce livre, loin des promesses du titre…Le style se rapproche de la prose rhétorique et les phrases s’allongent en de grandes périodes, savamment disposées et bien équilibrées, le propos démarre bien sérieusement loin de l’histoire et de la fiction que nous faisait miroiter le titre… Poursuivant même dans la provocation ou la désorientation de son lecteur, Lucien établit un premier parallèle entre l’athlète et l’érudit, qui se retrouvent dans le gymnase, en affirmant que l’un et l’autre méritent au bout de leurs efforts une pause que la lecture du présent ouvrage pourrait occuper. L’auteur semble ici prolonger la réflexion esquissée dans un autre ouvrage Comment écrire l'histoire et affirme avec force sa position par rapport à la vérité historique dont se réclament les historiens avant de conclure, dans une pirouette finale, que faute d’avoir lui-même quelque chose à dire il a tout inventé…Et si cette Préface nous en disait plus…

P18 Exercice de lecture

Lisez d'abord le texte grec à haute voix (la lecture à haute voix est à travailler, particulièrement pour l'épreuve orale !). Veillez à bien lire les enclitiques, rattachés au mot qui les précède, prenez soin de repérer les groupes nominaux, les verbes conjugués. Observez les reprises lexicales, les champs sémantiques, soyez sensible au mouvement des phrases&

§2. “s½¿¹Ä¿ ´´½ ¼¼µ»t ! ½qÀ±Åù ±PÄ¿ÖÂ, µ0 Ŀ֠Ŀ¹¿{Ä¿¹Â Äö½ ½±³½ÉüqÄɽ A¼¹»¿Öµ½,  ¼t ¼y½¿½ º Ä¿æ Ãĵw¿Å ĵ º±v DZÁwµ½Ä¿Â ȹ»t½ À±Ás¾µ¹ Ät½ ÈÅDZ³É³w±½, »»q Ĺ½± º±v ¸µÉÁw±½ ¿Pº ¼¿Åÿ½ À¹´µw¾µÄ±¹, ¿7y½ Ĺ º±v ÀµÁv Äö½´µ Äö½ Ãų³Á±¼¼qÄɽ ÆÁ¿½uõ¹½ QÀ¿»±¼²q½É‡ ¿P ³pÁ ¼y½¿½ Äx ¾s½¿½ ÄÆÂ QÀ¿¸sõÉ ¿P´r Äx DZÁwµ½ ÄÆÂ ÀÁ¿±¹ÁsõÉ À±³É³x½ Ãı¹ ±PĿ֠¿P´´ EĹ ȵ{ü±Ä± À¿¹ºw»± À¹¸±½ö ĵ º±v ½±»u¸É ¾µ½·½yDZ¼µ½, »»´ EĹ º±v Äö½ 1ÃÄ¿Á¿Å¼s½É½ º±ÃÄ¿½ ¿Pº ºÉ¼ó´uÄÉ ”½¹ºÄ±¹ ÀÁy Ĺ½±Â Äö½ À±»±¹ö½ À¿¹·Äö½ ĵ º±v Ãų³Á±Æsɽ º±v ƹ»¿ÃyÆÉ½ À¿»»p ĵÁqÃű º±v ¼Å¸}´· Ãų³µ³Á±ÆyÄɽ, ¿S º±v @½¿¼±ÃÄv ½ ³Á±Æ¿½, µ0 ¼t º±v ±PÄ÷ ÿ¹ º ÄÆÂ ½±³½}õÉ Ʊ½µÖø±¹ ¼µ»»¿½.
§3. šÄ·Ãw±Â A šÄ·Ã¹yǿŠA š½w´¹¿Â, C ÃŽs³Á±Èµ½ ÀµÁv ÄÆÂ 8½´ö½ Ç}Á±Â º±v Äö½ À±Á´ ±PĿ֠ ¼uĵ ±PÄx µ6´µ½ ¼uĵ »»¿Å »·¸µ{¿½Ä¿Â $º¿Åõ½. ³Á±Èµ ´r º±v 8±¼²¿æ»¿Â ÀµÁv Äö½ ½ ÄÇ ¼µ³q»Ã ¸±»qÄÄà À¿»»p À±Áq´¿¾±, ³½}Á¹¼¿½ ¼r½ À±Ã¹ Äx ȵ洿 À»±Ãq¼µ½¿Â, ¿Pº ĵÁÀÆ ´r E¼É Ãޏµv Ät½ QÀy¸µÃ¹½.  ¿»»¿v ´r º±v »»¿¹ Äp ±PÄp Ä¿{Ä¿¹Â ÀÁ¿µ»y¼µ½¿¹ ÃŽs³Á±È±½ a ´u Ĺ½±Â ±ÅÄö½ À»q½±Â ĵ º±v À¿´·¼w±Â, ¸·Áwɽ ĵ ¼µ³s¸· 1ÃÄ¿Á¿æ½ÄµÂ º±v ½¸Á}Àɽ `¼yķı º±v ²wɽ º±¹½yķı‡ ÁÇ·³x ´r ±PĿ֠º±v ´¹´qú±»¿Â ÄÆÂ Ä¿¹±{Ä·Â ²É¼¿»¿Çw±Â A Ä¿æ I¼uÁ¿Å H´ÅÃõ{Â, Ŀ֠ÀµÁv Äx½ »ºw½¿Å½ ´¹·³¿{¼µ½¿Â ½s¼É½ ĵ ´¿Å»µw±½ º±v ¼¿½¿Æ¸q»¼¿Å º±v `¼¿Æq³¿Å º±v ³Áw¿Å Ĺ½p ½¸Á}À¿ÅÂ, Ĺ ´r À¿»ÅºsƱ»± ¶÷± º±v Äp QÀx ƱÁ¼qºÉ½ Äö½ ıwÁɽ ¼µÄ±²¿»qÂ, ¿7± À¿»»p ºµÖ½¿Â ÀÁx 0´¹}ı ½¸Á}À¿Å Ŀz ¦±w±º±Â ĵÁ±Äµ{ñĿ.
§4. ¤¿{Ä¿¹Â ¿V½ ½ÄÅÇ|½ À±Ã¹½, Ä¿æ ȵ{ñø±¹ ¼r½ ¿P ÃÆy´Á± Ä¿z ½´Á±Â ¼µ¼Èq¼·½, AÁö½ $´· Ã{½·¸µÂ B½ Ä¿æÄ¿ º±v Ŀ֠ƹ»¿Ã¿ÆµÖ½ QÀ¹Ãǽ¿Å¼s½¿¹Â‡ ºµÖ½¿ ´r ±PÄö½ ¸±{¼±Ã±, µ0 ½y¼¹¶¿½ »uõ¹½ ¿Pº »·¸Æ Ãų³ÁqÆ¿½ÄµÂ. ”¹yÀµÁ º±v ±PÄx QÀx ºµ½¿´¿¾w±Â À¿»¹ÀµÖ½ Ĺ ÃÀ¿Å´qñ ĿÖ ¼µ¸´ !¼¶Â, 5½± ¼t ¼y½¿Â ¼¿¹Á¿Â f ÄÆÂ ½ Ä÷ ¼Å¸¿»¿³µÖ½ »µÅ¸µÁw±Â, Àµv ¼·´r½ »·¸r 1ÃÄ¿ÁµÖ½ µ6Ç¿½ ¿P´r½ ³pÁ ÀµÀy½¸µ¹½ ¾¹y»¿³¿½ Àv Äx ȵ洿 ÄÁ±Ày¼·½ À¿»z Äö½ »»É½ µP³½É¼¿½sÃĵÁ¿½‡ º½ ½ ³pÁ ´t Ä¿æÄ¿ »·¸µ{ÃÉ »s³É½ EĹ ȵ{´¿¼±¹. ŸUÄÉ ´´ ½ ¼¿¹ ´¿ºö º±v Ät½ À±Áp Äö½ »»É½ º±Ä·³¿Áw±½ ºÆÅ³µÖ½ ±PÄx A¼¿»¿³ö½ ¼·´r½ »·¸r »s³µ¹½. “ÁqÆÉ Ä¿w½Å½ ÀµÁv g½ ¼uĵ µ6´¿½ ¼uĵ À±¸¿½ ¼uĵ À±Á´ »»É½ ÀŸy¼·½, Ĺ ´r ¼uĵ E»É D½Äɽ ¼uĵ Ät½ ÁÇt½ ³µ½sø±¹ ´Å½±¼s½É½. ”¹x ´µÖ Ä¿z ½ÄųÇq½¿½Ä±Â ¼·´±¼ö À¹Ãĵ{µ¹½ ±PÄ¿ÖÂ.


P15 Exercice autocorrectif n°1 : Avant de traduire
Relevez au moins trois éléments qui attestent du style fortement rhétorique de cette page.
Etudiez l’importance du champ lexical de la vérité et du mensonge.


=> Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre.

Traduction du texte

Consignes de travail

P15 À l'aide des notes et du découpage du texte, travaillez la traduction en masquant la colonne de la traduction française, et en cherchant le sens de chaque unité grammaticale.
Puis formulez à l'écrit votre traduction personnelle. Comparez-la enfin avec celle qui vous est proposée.

Notes de grammaire et de vocabulaire
Le vocabulaire vous est donné selon son ordre d apparition dans le passage.
¼¼µ»u -u -sÂ: dans le ton juste, d'où: bien réglé, bien proportionné, bien ordonné.
ÈÅDZ³É³w± -±Â, !: évocation des âmes des morts; attrait, séduction, joie, plaisir,
ȹ»y -u -y½: privé de, dégarni, simple.
Ãĵֿ -± -¿½: de citadin, de bon goût, cultivé.
DZÁwµ¹Â -µÃñ -µ½: plaisant; de bon goût, de bon ton.
¸µÉÁw± -±Â, !: action de voir; contemplation de l'esprit, méditation, étude.
¼¿Åÿ -¿Â -¿½: qui est étranger aux muses, d'où: grossier, sans goût.
QÀy¸µÃ¹Â -µÉÂ, !: action de mettre dessous; base; pensée fondamentale (d'un récit), thème,
ÀÁ¿±wÁµÃ¹Â -µÉÂ, !: choix premier, d'où: volonté, plan, intention.
À±³É³y -y -y½: qui amène à soi; qui attire, engageant, séduisant.
À¹¸±½öÂ: d'une manière persuasive ou convaincante.
½±»·¸öÂ: vraisemblablement.
ÆsÁÉ, ¿4ÃÉ, $½µ³º¿½, ½u½¿Ç±~ ½µÇ¸uÿ¼±¹, ½sǸ·½, ½u½µ³¼±¹: apporter, fournir, présenter.
±0½wÄÄ¿¼±¹, ±0½w¾¿¼±¹, ½¹¾q¼·½, ”½¹³¼±¹: dire à mots couverts, laisser entendre, faire allusion à.
Ãų³Á±Æµ{ -sÉÂ, A: écrivain (en général); prosateur.
ºÉ¼ó´uÄÉÂ: hapax: sans être raillé sur la scène, sans être ridiculisé.
ĵÁqÃĹ¿Â -¿Â -¿½: prodigieux, merveilleux, étrange.
¼Å¸}´·Â -·Â -µÂ: mythique, fabuleux, légendaire.
@½¿¼±ÃÄw: adv. nommément, par son nom.
Ʊw½É, Ʊ½ö, Æ·½±, ÀsƱ³º±~ Ʊ½¿æ¼±¹, Ʊ½¿½, ÀsÆ·½±~ Ʊ½¸uÿ¼±¹, Æq½¸·½, ÀsƱü±¹: montrer; Moyen: paraître.
AÁqÉ, DÈ¿¼±¹, µ6´¿½, }Á±º±~ @Ƹuÿ¼±¹, dƸ·½, }Á±¼±¹/f¼¼±¹: voir.
»·¸µ{É: dire la vérité.
À»qÃÃÉ, À»qÃÉ, À»±Ã±, ÀsÀ»±º±: façonner, imaginer.
`¼yÄ·Â -·Ä¿Â, !: crudité; cruauté, inhumanité, sauvagerie.
º±¹½yÄ·Â -·Ä¿Â, !: nouveauté; singularité.
²É¼¿»¿Çw± -±Â, !: moquerie bouffonne, mauvaise plaisanterie. de ²É¼¿»yÇ¿Â, ¿Å, A/!: qui se tient aux aguets près de l'autel (soit pour dérober des offrandes, soit pour mendier).
ĵÁ±Äµ{¿¼±¹: raconter des choses extraordinaires ou invraisemblables, d'où mentir, duper, tromper.
ÁÇ·³y -¿æ, A: qui est la cause première, qui est l'auteur, d'où: protecteur, chef.
´¹·³s¿¼±¹: exposer en détail, raconter, décrire.
¼¿½yƸ±»¼¿Â -¿Â -¿½: qui n'a qu'un oeil.
`¼yƱ³¿Â -¿Â -¿½: qui mange de la chair crue.
³Á¹¿Â -± -¿½: qui vit dans les champs, campagnard, d'où: sauvage; violent.
À¿»ÅºsƱ»¿Â -¿Â -¿½: qui a beaucoup de têtes.
½ÄųÇq½É, -ĵ{¾¿¼±¹, -sÄÅÇ¿½, -ĵÄ{Ç·º±: (avec le dat) .rencontrer; lire.
ȵ{´É, ȵ{ÃÉ, ȵÅñ, ȵź±~ ȵÅøuÿ¼±¹, ȵ{ø·½, ȵÅü±¹~ ȵ{´¿¼±¹, ȵ{ÿ¼±¹, ȵÅÃq¼·½, ȵÅü±¹: tromper; Moyen: mentir.
ÃÆy´Á±: fortement, avec véhémence.
¼s¼Æ¿¼±¹, ¼s¼È¿¼±¹, ¼µ¼Èq¼·½, -: blâmer, adresser des reproches à
ÃŽu¸·Â -·Â -µÂ: qui a ses habitudes, habitué; habituel.
QÀ¹Ãǽs¿¼±¹, QÀ¿ÃÇuÿ¼±¹, QÀµÃÇy¼·½, QÀsÃÇ·¼±¹: promettre.
»±½¸q½É, »uÃÉ, »±¸¿½, »s»·¸±: être caché à, d'où échapper à.
Ãų³ÁqÆÉ, -³ÁqÈÉ, -s³Á±Æ±, -³s³Á±Æ±~ -³Á±Æuÿ¼±¹, -µ³ÁqÆ·½, -³s³Á±¼¼±¹: rédiger, composer.
ºµ½¿´¿¾w± -±Â, !: recherche ou amour de la vaine gloire.
À¿»µwÀÉ, -»µwÈÉ, -s»¹À¿½ -»s»¿¹À±, »µ¹Æ¸uÿ¼±¹, -µ»µwƸ·½, -»s»µ¹¼¼±¹: laisser, léguer, transmettre.
ÃÀ¿Å´q¶É, ÃÀ¿Å´qÃÉ/-ÿ¼±¹, ÃÀ¿{´±Ã±, ÃÀ¿{´±º±~ ÃÀïÅ´±Ã¸uÿ¼±¹, ÃÀ¿Å´qø·½, ÃÀ¿{´±Ã¼±¹: être empressé, s'empresser; s'activer.
ÄÁsÀÉ, ÄÁsÈÉ, ÄÁµÈ±/ÄÁ±À¿½, ÄsÄÁ¿Æ±~ -, ÄÁsƸ·½/ÄÁqÀ·½, ÄsÄÁ±¼¼±¹: tourner, orienter.
µP³½É¼¿½sÃĵÁ¿½: adv. au comparatif de µP³½}¼É½ -ɽ, -¿½: qui a de bons sentiments, bienveillant, bon; prudent, sage.

Morphologie et syntaxe
L expression du potentiel dans un système conditionnel
Ä¿¹¿{Ä¿¹Â, ce démonstratif neutre désigne l ensemble des ouvrages ; à ce démonstratif correspond le corrélatif ¿7¿½, complément interne de ÆÁ¿½uõ¹½.
: nominatif neutre pluriel. du pronom relatif EÂ, %, E, dont l'antécédent est Äö½ ½³½ÉüqÄɽ et qui est le sujet des verbes À±Ás¾µ¹ et À¹´µw¾µÄ±¹ (Règle d accord du neutre pluriel !).
¼t: cette négation employée avec l indicatif dans la subordonnée relative donne un caractère général à la phrase.
EĹ...¾µ½·½yDZ¼µ½: cette proposition est sujet de À±³É³x½ Ãı¹, comme »»' EĹ... ”½¹ºÄ±¹.
½ ³Á±Æ¿½: cet indicatif imparfait exprime l irréel.
¼µ»»¿½: ce verbe, à l indicatif imparfait pour traduire l irréel, se construit avec des infinitifs.
»»¿Å: ce complément au génitif est l un des deux compléments du verbe $º¿Åõ½; ce verbe a en effet ici 2 compléments, l'un au génitif se rapportant à la personne qu'on entend, l'autre à l'accusatif se rapportant à la chose dont on entend parler.
a ´u ±ÅÄö½: expression qui est attribut des compléments À»q½±Â et À¿´·¼w±Â.
µ0: conjonction de subordination qui introduit une interrogative dépendant de ¸±{¼±Ã±.
f: subjonctif présent à la 1ère personne du singulier de µ0¼¹ dans une proposition de but introduite par 5½±.
ÀµÀy½¸µ¹½: cet emploi du plus-que-parfait traduit un trait stylistique archaïsant et donc soutenu.
º½: cette locution tardive signifie ici au moins.
½: acc. neutre sing. du nombre cardinal µ7Â, ¼w±, ½; complément interne de »·¸µ{ÃÉ.
½ donne à l infinitif ºÆÅ³µÖ½ une valeur de potentiel.
g½: ce génitif s explique par l attraction de ÀµÁw à la place de l accusatif attendu du complément de µ6´¿½ (ÀµÁw Ä¿{Äɽ ).
Ät½ ÁÇu½: accusatif de relation.


Traduction juxtalinéaire

Paragraphe 2¼¼µ»t ! ½qÀ±ÅùÂUn divertissement approprié³s½¿¹Ä¿ ´´½ ±PÄ¿ÖÂpourrait s offrir à euxµ0s A¼¹»¿Öµ½ Ŀ֠Ŀ¹¿{Ä¿¹Âil ressortait Äö½ ½±³½ÉüqÄɽde leurs lectures ¼t ¼y½¿½telles que non seulementÀ±Ás¾µ¹elles offriraientÄt½ ÈÅDZ³É³w±½ ȹ»t½une pure séductionº Ä¿æ Ãĵw¿Å ĵ º±v DZÁwµ½Ä¿Âtirée d une matière raffinée et plaisante»»qmais aussiÀ¹´µw¾µÄ±¹contiendraientĹ½± º±v ¸µÉÁw±½ ¿Pº ¼¿Åÿ½une certaine étude non indigne des Muses¿7y½comme ce queQÀ¿»±¼²q½É je supposeĹ º±v ÆÁ¿½uõ¹½qu ils penserontÀµÁv Äö½´µ Äö½ Ãų³Á±¼¼qÄɽde la prose que voici ;¿P ³pÁ ¼y½¿½en effet non seulementÄx ¾s½¿½ ÄÆÂ QÀ¿¸sõÉÂl étrangeté du sujet¿P´r Äx DZÁwµ½ ÄÆÂ ÀÁ¿±¹ÁsõÉ et le charme de l inventionÃı¹ ±PĿ֠À±³É³x½leur seront plaisants¿P´´ EĹnon seulement le fait¾µ½·½yDZ¼µ½que nous rapportonsȵ{ü±Ä± À¿¹ºw»±des mensonges diversÀ¹¸±½ö ĵ º±v ½±»u¸ÉÂavec conviction et vérité»»´ EĹ º±vmais aussi le fait queÄö½ 1ÃÄ¿Á¿Å¼s½É½ º±ÃÄ¿½chacun des éléments racontés¿Pº ºÉ¼ó´uÄÉ ”½¹ºÄ±¹surgisse non sans être parodiéÀÁy Ĺ½±Â Äö½ À±»±¹ö½ À¿¹·Äö½ ĵ º±v Ãų³Á±Æsɽ º±v ƹ»¿ÃyÆÉ½à certains des anciens poètes, prosateurs et philosophesÃų³µ³Á±ÆyÄɽqui ont composéÀ¿»»p ĵÁqÃű º±v ¼Å¸}´·beaucoup d histoires prodigieuses et fabuleuses¿S º±vceux également que ½ ³Á±Æ¿½j aurais mentionnés@½¿¼±ÃÄvnommémentµ0 ¼t º±vsi du moinsƱ½µÖø±¹ ¼µ»»¿½ils ne devaient apparaître±PÄ÷ ÿ¹à tes propres yeuxº ÄÆÂ ½±³½}õÉÂ.par la lecture.Paragraphe 3 šÄ·Ãw±Â A šÄ·Ã¹yǿŠA š½w´¹¿ÂParmi eux ainsi Ctésias de Cnide, fils de CtésiochosC ÃŽs³Á±Èµ½qui a écrit ÀµÁv ÄÆÂ 8½´ö½ Ç}Á±Âà propos du pays des Indiens º±v Äö½ À±Á´ ±PÄ¿ÖÂet des régions proches ¼uĵ ±PÄx µ6´µ½ce q il n a lui-même pas vu¼uĵ $º¿Åõ½ni entendu»»¿Å »·¸µ{¿½Ä¿Â.de quelqu un qui disait la vérité.³Á±Èµ ´r º±v 8±¼²¿æ»¿ÂDe même, Iamboulos a écritÀµÁv Äö½ ½ ÄÇ ¼µ³q»Ã ¸±»qÄÄÃà propos des régions qui se trouvent dans la Grande MerÀ¿»»p À±Áq´¿¾±beaucoup de récits incroyables³½}Á¹¼¿½ ¼r½ À±Ã¹ Äx ȵ洿 À»±Ãq¼µ½¿Âfabriquant un mensonge connu de tous¿Pº ĵÁÀÆ ´r E¼É Ãޏµv Ät½ QÀy¸µÃ¹½.tout en proposant un sujet point désagréable.À¿»»¿v ´r º±v »»¿¹Beaucoup d auteursÄp ±PÄp Ä¿{Ä¿¹Â ÀÁ¿µ»y¼µ½¿¹choisissant les mêmes sujets que ceux-ciÃŽs³Á±È±½ont décrit a ´u Ĺ½±Â ±ÅÄö½ À»q½±Â ĵ º±v À¿´·¼w±Âleurs soi-disant errances et voyages¸·Áwɽ ĵ ¼µ³s¸· 1ÃÄ¿Á¿æ½ÄµÂrapportant la grande taille des animauxº±v ½¸Á}Àɽ `¼yķıÂla cruauté des hommesº±v ²wɽ º±¹½yķıÂ.et les bizarreries de leurs modes de vie.ÁÇ·³x ´r ±PĿ֠º±v ´¹´qú±»¿Â ÄÆÂ Ä¿¹±{Ä·Â ²É¼¿»¿Çw±ÂLe premier et leur maître dans cette bouffonnerieA Ä¿æ I¼uÁ¿Å H´ÅÃõ{Âc est l Ulysse d HomèreĿ֠ÀµÁv Äx½ »ºw½¿Å½ ´¹·³¿{¼µ½¿Âdécrivant à ceux qui entouraient Alkinoos½s¼É½ ĵ ´¿Å»µw±½et la servitude des ventsº±v ¼¿½¿Æ¸q»¼¿Å Ĺ½p ½¸Á}À¿Å des hommes à un oeil, º±v `¼¿Æq³¿Å º±v ³Áw¿Å et cannibales et sauvagesĹ ´r À¿»ÅºsƱ»± ¶÷±et encore des animaux à multiples têtesº±v Äp Äö½ ıwÁɽ ¼µÄ±²¿»qÂet des métamorphoses de compagnonsQÀx ƱÁ¼qºÉ½sous l effet de poisons¿7± À¿»»pcomme beaucoup d autres chosesºµÖ½¿Â ĵÁ±Äµ{ñĿque cet homme a inventéesÀÁx 0´¹}ı ½¸Á}À¿Å Ŀz ¦±w±º±Â.devant les Phéaciens qui sont des gens simples. Paragraphe 4T¿{Ä¿¹Â ¿V½ ½ÄÅÇ|½ À±Ã¹½,Découvrant donc tous leurs récits¿P ÃÆy´Á± Ä¿z ½´Á±Â ¼µ¼Èq¼·½je n ai pas du tout blamé leurs auteursÄ¿æ ȵ{ñø±¹d avoir mentiAÁö½observant$´· Ã{½·¸µÂ B½ Ä¿æÄ¿que c'était déjà un fait habituelº±v Ŀ֠ƹ»¿Ã¿ÆµÖ½ QÀ¹Ãǽ¿Å¼s½¿¹Âchez ceux aussi qui s'engagent à philosopher(¼r½) ºµÖ½¿ ´r ±PÄö½ ¸±{¼±Ã±Mais je me demande avec étonnement ceciµ0 ½y¼¹¶¿½ »uõ¹½s'ils pensent dissimulerÃų³ÁqÆ¿½ÄµÂqu'ils écrivent des choses¿Pº »·¸Æqui ne sont pas vraies”¹yÀµÁ C'est pourquoiº±v ±PÄx ÃÀ¿Å´qñÂdésirant moi aussiQÀx ºµ½¿´¿¾w±Âpar amour d'une vaine gloireÀ¿»¹ÀµÖ½ Ĺ Ä¿Ö ¼µ¸´ !¼¶Âlaisser quelque chose à nos successeurs5½± ¼t ¼y½¿Â fafin que je ne sois pas le seul¼¿¹Á¿Â ÄÆÂ ½ Ä÷ ¼Å¸¿»¿³µÖ½ »µÅ¸µÁw±Âà ne pas avoir part à la liberté d'affabulerÀµv ¼·´r½ »·¸r µ6Ç¿½parce que je n'avais rien de vrai1ÃÄ¿ÁµÖ½à raconter- ¿P´r½ ³pÁ ÀµÀy½¸µ¹½ ¾¹y»¿³¿½-car je n ai rien eu à subir de remarquable-Àv Äx ȵ洿 ÄÁ±Ày¼·½je me suis orienté vers un mensongeÀ¿»z Äö½ »»É½ µP³½É¼¿½sÃĵÁ¿½qui fût largement plus honnête que les autresº½ ½ ³pÁ ´t Ä¿æÄ¿ »·¸µ{ÃÉcar je dirai au moins la vérité sur un point»s³É½ EĹ ȵ{´¿¼±¹en disant que je mensOUÄÉ ´´ ½ ¼¿¹ ´¿ºöJe suis ainsi d avisº±v Ät½ À±Áp Äö½ »»É½ º±Ä·³¿Áw±½ ºÆÅ³µÖ½que j échapperai à l accusation d autrui±PÄx A¼¿»¿³ö½en affirmant en personne¼·´r½ »·¸r »s³µ¹½.que je ne dis rien de vrai.“ÁqÆÉ Ä¿w½Å½J écris donc ÀµÁv g½ ¼uĵ µ6´¿½sur des choses que je n ai pas vues¼uĵ À±¸¿½que je n ai pas éprouvées¼uĵ À±Á´ »»É½ ÀŸy¼·½que je n ai pas apprises de quelqu un d autreĹ ´r ¼uĵ E»É D½Äɽet de plus sur des choses qui n existent pas¼uĵ Ät½ ÁÇt½ ³µ½sø±¹ ´Å½±¼s½É½.et qui ne peuvent pas commencer à être.´¹x ´µÖpour cette raison il faut Ä¿z ½ÄųÇq½¿½Ä±Âque mes lecteurs¼·´±¼ö À¹Ãĵ{µ¹½ ±PÄ¿ÖÂ.n y accordent aucune confiance.

Traduction élaborée
Paragraphe 2
Ils peuvent jouir d un divertissement opportun s ils profitent de ces lectures capables de les séduire pleinement par leur sujet raffiné et plaisant mais aussi de leur fournir une matière d’étude dont ne rougiraient pas les Muses. C’est ainsi qu’à mon avis ils jugeront la prose que voici. C’est qu’en effet ils trouveront plaisants l’étrangeté du sujet et le charme de l’invention, le fait que nous rapportons avec conviction et vérité des mensonges variés mais surtout que chacune des inventions contienne une allusion, non dénuée d’humour, à certains des anciens poètes, prosateurs et philosophes, tous auteurs d’histoires prodigieuses et fabuleuses, que j’aurais mentionnés par leurs noms si tu ne les reconnaissais pas toi-même à la lecture.
Paragraphe 3
Il en est ainsi, entre autres, de Ctésias de Cnide, fils de Ctésiochos qui a écrit sur le pays des Indiens et les régions qui en sont proches sans n’y avoir rien vu ou entendu d’un témoin authentique. De la même façon, Iamboulos a écrit sur les pays autour de la Grande Mer une quantité de récits incroyables et il a fabriqué un mensonge, certes agréable, que tous connaissent. Beaucoup d’autres, s’inspirant des mêmes sujets, consignèrent comme étant les leurs des courses errantes et lointaines, en décrivant des bêtes énormes, des hommes cruels, des genres de vie singuliers. Leur chef de file et leur maître en fariboles de ce genre fut l’Ulysse d’homère quand il décrivait à la cour d’Alkinoos l’asservissement des vents, les hommes à un œil, cannibales et sauvages, et les animaux aux nombreuses têtes, les métamorphoses de ses compagnons victimes de poisons, et encore d’autres inventions narrées devant les Phéaciens, qui sont des gens naïfs.
Paragraphe 4
A la découverte de tous ces récits, je n’en ai pas voulu à leurs auteurs de nous mentir en sachant que même ceux qui démarrent en philosophie en ont déjà l’habitude. Je me demande néanmoins s’ils croient nous faire croire qu’ils nous disent la vérité. Pour la même raison, en quête d’une vaine gloire, j’ai eu envie de laisser quelque chose à nos successeurs afin de ne pas être le seul à ne pas prendre part à la libre affabulation. Comme je n’avais rien de vrai à raconter- car il ne m’est rien arrivé d’original- j’ai choisi la voie du mensonge, bien plus honnêtement que les autres, car en disant que je mens, je dirai au moins une vérité. Si j’affirme moi-même que je ne dis rien de vrai, j’échapperai, à mon avis, aux accusations des autres. J’écris donc sur ce que je n’ai pas vu, ce que je n’ai pas vécu, ce que personne ne m’a dit ; je raconte des choses qui n’existent pas et qui ne peuvent être. Pour ces raisons, il faut que mes lecteurs n’y croient pas du tout.

P15 Pistes pour le commentaire
Comment et pourquoi Lucien se définit-il dans une identité d’écrivain ?
Quel pacte de lecture l’auteur passe-t-il avec son public ?
Quel sens Lucien confère-t-il à l’ouvrage qu’il donne à lire ? En quoi cette expérience de lecture promet-elle d’être passionnante ?

P14 Éléments de commentaire
1. Cette Préface peut à juste titre nous surprendre. L’auteur y définit un programme et une méthode : il y explique ce que va être le sujet de son livre tout en donnant à son lecteur les premières clés d interprétation. Or, dès les premières lignes, la situation semble bien complexe. Lucien s affirme comme une identité singulière : l emploi, répété, de la première personne du singulier en atteste : ¸±{¼±Ã± ou encore ³ÁqÆÉ. C est bien ici la parole d un écrivain qui nous est livrée dans la confession même de l acte d écriture. L emploi des temps est aussi source d information : le présent d énonciation renvoie à l instant de la création (³ÁqÆÉ/ ³Á±Æ¿½) tandis que les temps du passé semblent renvoyer à une expérience passée mais toujours intime et personnelle (ÄÁ±Ày¼·½, À±¸¿½). Lucien convie même son existence propre dans ce moment de confession en rappelant qu il ne lui est rien arrivé de mémorable (¿P´r½ ³pÁ ÀµÀy½¸µ¹½ ¾¹y»¿³¿½) ! La négation n en nie pas la réalité ! Cette revendication identitaire a une conséquence essentielle : Lucien, en se présentant comme un écrivain, se situe dans une tradition qu il réclame avant de s en détacher. Cette communauté est d ailleurs complexe. Lucien se situe à la fois du côté des auteurs et du côté des lecteurs : le vocabulaire et l énonciation en témoignent à plusieurs reprises. L emploi de la première personne du singulier du verbe ³ÁqÆÉ fait de Lucien un écrivain qui s adresse en personne à son lecteur largement interpellé (±PÄ÷ ÿ¹), mais les reprises lexicales tissent un lien étroit entre ceux qui le lisent et ceux qu il lit& (½ÄÅÇ|½ / Ä¿z ½ÄųÇq½¿½Ä±Â). C est donc une connaissance précise que Lucien met en valeur, connaissance de surcroît partagée avec une élite qui a les mêmes références, les mêmes valeurs intellectuelles au point d’identifier ceux dont on n’a même pas besoin de citer les noms. Cette proximité avec le lecteur, cette aisance dans le monde de l’écriture, permet à Lucien d’établir en toute légitimité dans cette Préface, un véritable pacte, à valeur d’engagement. Si le pacte semble évident, les bases en sont néanmoins plus complexes.

2. Pour reprendre la formule de P. Lejeune, cette Préface engage l’écrivain et son lecteur dans une même collaboration a priori harmonieuse d entente partagée. L auteur, en toute bonne foi, si l on en croit l isotopie de la vérité et du mensonge, explique ce qu il a fait et ce qu il n a pas fait (ÀµÁv g½ ¼uĵ µ6´¿½ ¼uĵ À±¸¿½ ¼uĵ À±Á´ »»É½ ÀŸy¼·½) ; il livre même précisément les motivations qui l ont poussé dans cette entreprise : l envie de gloire (QÀx ºµ½¿´¿¾w±Â), le besoin d avoir comme les autres sa part de jeu et d exprimer sa pleine liberté d inventer pour laisser comme les autres un témoignage du pouvoir d affabulation (Ŀ֠¼µ¸´ !¼¶Â). Ceci semble clair et simple& Pas vraiment ! En effet, c est en fait à une remise en cause d un certain nombre de valeurs traditionnellement admises par l élite cultivée que nous invite Lucien. Sa légitimité d’écrivain et son expérience donnent un plus grand crédit à son propos d’autant que l’argumentaire, exercice rhétorique parfait, lui donne toute sa force. Lucien amène tout d’abord son lecteur à une première conclusion au terme d’un vrai raisonnement : tout individu, l’athlète érudit en premier lieu, a besoin de divertissement ; la lecture des fictions exotiques lui en donne l’occasion ; on aura donc plaisir à lire un ouvrage qui se place dans cette tradition. Mais c’est pour dire aussitôt que ce même ouvrage ne s inspire de ces livres que pour mieux tous les parodier, dans une expression euphémique succulente (¿Pº ºÉ¼ó´uÄÉÂ). La verve est d autant plus aiguisée que dans une énumération qui prend la force d une amplification, tous sont traités a fortiori de bonimenteurs : les poètes, les historiens comme les philosophes ! Si le livre de Lucien, comme tous les autres, raconte des choses fausses, c’est pour mieux se moquer de tous ceux qui avant lui l’ont fait ! Mais l’argumentaire se poursuit en prenant comme un envol : le paragraphe suivant développe trois exemples, détaillés et précis. Les noms sont donnés, les griefs aussi ! Ctésias de Cnide, médecin d’Artaxerxès, se voit traité d’affabulateur sans scrupule puisqu’il prétend connaître ce qu’il n a jamais vu. Jamboulos est accusé des mêmes torts, lui aussi a menti. Les pluriels employés alors semblent grossir le nombre de ces livres tous plus grossièrement mensongers les uns que les autres : À¿»»p À±Áq´¿¾±, À¿»»¿v ´r º±v »»¿¹, ¸·Áwɽ& Mais Lucien termine cet exposé par l’exemple le plus probant : c’est Ulysse lui-même mis en scène devant les Phéaciens réunis autour d’Alkinoos, et au-delà du personnage, dans une mise en abyme, c’est Homère lui-même devant tous ses lecteurs confondus… L’assimilation est alors complète et l’adjectif employé (0´¹}ıÂ) pour souligner la naïveté de ce peuple est applicable à tous ceux qui pensent, avec la même naïveté, que toutes ces histoires sont vraies ! Le problème est bien là en effet ! Chacun peut mentir en littérature, c est même une liberté (ÄÆÂ ½ Ä÷ ¼Å¸¿»¿³µÖ½ »µÅ¸µÁw±Â) que compte bien prendre Lucien ! C est même un divertissement assuré, plein de charme comme le souligne tout un lexique redondant : Ãĵw¿Å ĵ º±v DZÁwµ½Ä¿Â, ¿Pº ¼¿Åÿ½, Äx DZÁwµ½& Le problème vient du fait que ces auteurs mentent sans le dire et font passer pour vrai ce qui est faux. Le raisonnement de Lucien peut alors trouver son expression finale : pour se moquer de cette longue tradition, Lucien va lui aussi raconter une suite de mensonges mais il affirme dès le début que tout est faux ; nous sommes dans la fiction et celle-ci n’est pas affaire de vérité : les termes s’opposent avec force dans un croisement qui amplifie la conclusion : puisque Lucien ne dit rien de vrai (¼·´r½ »·¸r »s³µ¹½), inutile de lui accorder le moindre crédit (¼·´±¼ö À¹Ãĵ{µ¹½ ±PÄ¿ÖÂ) ! La causalité (”¹x) est parfaite et s impose comme une nécessité (´µÖ). Le blâme est donc sévère puisqu il ne vise pas seulement les écrivains mais s adresse à tous ceux qui prétendent poser le vrai quand ils manient le faux : les philosophes subissent l assaut (Ŀ֠ƹ»¿Ã¿ÆµÖ½ QÀ¹Ãǽ¿Å¼s½¿¹Â). C est bien là la preuve que sous cette allure enjouée et facile, Lucien invite son lecteur à un pacte d incrédulité ou mieux à aiguiser son esprit pour être capable de repérer le mensonge qui prend l’allure de la vérité. C’est bien constater que derrière la fiction incroyable qui nous est promise se profilent d’autres sujets, plus sérieux peut-être… L’aventure des personnages est imaginaire mais l’aventure de l’esprit à laquelle nous invite Lucien est formatrice.

3. Pour mieux comprendre le sens de ces premières lignes il convient de revenir aux tout premiers mots, en dehors de nos délimitations.
« (eÃÀµÁ) Ceux qui pratiquent l athlétisme et prennent un soin actif de leur corps ne se soucient (¿P ¼y½¿½) pas seulement de leur forme et des exercices physiques, (»»p º±v) mais aussi de la détente prise en temps utile ; ils la considèrent comme la partie principale de leur entraînement. (¿UÄÉÂ) De même, ceux qui se sont consacrés aux lettres doivent, à mon avis, après la lecture assidue des textes sérieux, détendre leur esprit et le rendre ainsi plus vigoureux pour l effort à venir. » (Trad. J. Bompaire)
Il n’est pas utile de rappeler l’importance du sport dans l’éducation grecque comme tout au long de la vie. Mais Lucien, dans cette habile comparaison initiale, renverse le topos habituel : il ne s’agit pas de dire qu’après l’effort intellectuel, une activité sportive est agréable et ressourçante. Ici Lucien présente la lecture de son ouvrage comme une détente identique à celle qui est offerte par la pratique du sport. Il évoque même l’intérêt d’une telle pratique pour l’entraînement (À±Á±ÃºµÅq¶µ¹½). Si la lecture de fictions extravagantes peut divertir, c est-à-dire détourner des tracas du quotidien, elle n en est pas pour autant gratuite. Bien au contraire, elle fait partie de l entraînement car elle forme l esprit. Elle aiguise les capacités intellectuelles. Comment ? C’est ce que Lucien laisse comprendre dans notre passage : il invite son lecteur à reconnaître derrière les aventures qu’il va rapporter maintes références à d’autres ouvrages, il lance le défi de retrouver ceux dont il fait la parodie et de comprendre ce qui est visé par la satire. C’est là développer l’esprit critique. C’est à cette visée bien particulière que nous devons nous attacher. Cet avant-propos en posant les bases d’une connivence avec le lecteur est bien programmatique : Lucien, en distrayant par un cadre exotique, en séduisant par les ressources d’une imagination débridée, n’entend pas reposer son lecteur. Il s’agit bien au contraire de l’exercer : la satisfaction personnelle à comprendre l’implicite, le plaisir à saisir un second degré sont autant d’atouts pour débrider l’esprit et le rendre plus apte à démythifier ce qui doit l’être. Lucien n’a de cesse dans ces quatre paragraphes de bousculer son lecteur, par une rhétorique vive et reconnue (les lecteurs de l’Antiquité étaient sensibles aux diverses figures dont le texte déborde), ou par les habiles traits d’humour que sont les jeux croisés entre les lexiques de la vérité et du mensonge. Gageons, avec Lucien, qu’un tel exercice de la pensée ne peut que développer les aptitudes intellectuelles !

C. Prolongement culturel :

P18 Textes complémentaires

VOLTAIRE
D. Entraînement à l'examen

P15 Exercice autocorrectif n°2 : Comparaison de traductions
Comparez les deux traductions de l’extrait suivant.



P18 Lecture cursive bilingue


 

P15 Exercice autocorrectif n°3
Montrez quels sont les éléments qui dramatisent le récit des derniers instants de Néron et lui confèrent une portée symbolique.


P15 Exercice auto correctif n°4 : analyse de l’image

Confrontez la représentation officielle de Néron adulte (il a 23 ans en 60 apr. J.-C), et celle que nous en donnent aujourd'hui les œuvres cinématographiques. Quelles caractéristiques morales et physiques les auteurs ont-ils retenues ici ?




Placer ici les documents suivants :

Document 2 : Buste de Néron daté de 60 apr.J.C.
Source : AKG-images, réf.1-IT829-H5

Document 3 : Néron incarné par Charles Laughton dans le film de Cecil B. de Mille, Le Signe de la Croix (1932)
Source : Rue-des-Archives ; réf. 00494614

Document 4 : Néron incarné par Peter Ustinov dans le film de Mervyn Le Roy, Quo Vadis (1951)
Source : Rue-des-Archives ; réf. 00494190 en quart de page
Corrigés des exercices

P14 Corrigé de l'exercice n°1

Repérage

P14 Corrigé de l’exercice n°2

P14 Corrigé de l’exercice n°3 


P14 Corrigé de l’exercice n°4 


Chapitre 3 > Décadence et pouvoir

A. L’oubli de la pietas, des valeurs morales et citoyennes de Rome

La pietas est une valeur bien romaine, qui ne se limite pas à notre seule « piété » religieuse. La pietas s'exerce certes envers les dieux, que l'on doit craindre et honorer, mais elle est aussi une vertu civique, fondée sur la reconnaissance de valeurs altruistes, collectives, qui constituent la notion de citoyenneté, et sur le respect de la vie humaine. L'historien Pierre Grimal écrit dans son ouvrage La Civilisation Romaine :
« Il est donc une Pietas envers les dieux, mais aussi envers les membres de divers groupes auxquels on appartient, envers la cité elle-même, et, au-delà de celle-ci, finalement envers tous les êtres humains. Mais il est certain que le seul fait d’appartenir à l’espèce humaine constituait une véritable parenté, analogue à celle qui liait les membres d’une même « gens » ou d’une même cité et créant des devoirs de solidarité, d’amitié ou tout au moins de respect. »
On voit bien dans cette définition en quoi les valeur de la pietas pouvaient être liées à celles de la République romaine. On attend cependant aussi d'un bon prince qu'il fasse preuve de pietas envers les dieux auxquels il reste soumis, et envers les hommes qu'il gouverne. Seuls cinq empereurs, y sont, selon Suétone, parvenus, ceux qu'il qualifie de « divi », divins, dans les titres de son œuvre : César, Auguste, Claude, Vespasien et Titus. Car le pouvoir absolu qui est accordé au prince n'est pas toujours compatible avec l'humilité, l'humanité et le contrôle de soi que suppose la pietas. On voit, dans les biographies de Suétone, que le prince est divinisé de son vivant, qu'il est à la fois, dans la cité, dominus et deus. Ce statut suscite en lui à la fois la peur des complots, l'angoisse de sa propre fragilité humaine, et un désir irrépressible de transgresser les lois morales et citoyennes, de repousser les limites de l'interdit, d'affirmer sa toute-puissance. Tibère, Caligula, Néron entre autres, succomberont à cette démesure.
Néron va pourtant entamer son règne sur des actes de pietas authentiques : pietas familale en célébrant les honneurs en la mémoire de son père, celle de Claude et d'Auguste, et en qualifiant publiquement Agrippine de « meilleure des mères » (Néron, IX), pietas civique par des mesures de clémence et de générosité (X). Mais il va très vite bafouer ces valeurs à tous les niveaux : le respect des dieux, en transformant la religion en un spectacle dont il est lui-même l'acteur : « Voyant qu’on le mettait au niveau d’Apollon pour le chant, et du Soleil, pour la conduite des chars, il avait même résolu d’imiter aussi les exploits d’Hercule; il avait, dit-on, fait préparer un lion qu’il devait, paraissant tout nu devant l’arène de l’amphithéâtre, soit assommer à coups de massue, soit étouffer entre ses bras, sous le regard du peuple. » (Néron, LIII) ; les lois civiques, en humiliant les citoyens de Rome dont il fait les figurants de ses jeux dans l'arène du cirque, ou qu'il prostitue à ses plaisirs ; les lois morales et humaines, en nourrissant des désirs incestueux pour sa propre mère, et en la faisant assassiner, après avoir éliminé une bonne partie des membres de sa famille ; Suétone évoque aussi des actes de cruauté cynique au chapitre XXXVII, et bien sûr sa responsabilité dans l'incendie de Rome, aujourd'hui contestée par les historiens modernes. Mais cette parole de Néron illustre bien mieux que ses actions en quoi sa déchéance et sa cruauté sont avant tout liées au pouvoir excessif dont il dispose, et donc à la décadence politique de Rome : «negavit quemquam principum scisse quid sibi liceret » : il déclara que nul empereur avant lui n'avait su tout ce qui lui était permis... (Néron, XXXVII)


B. Texte 2 : Les jeux juvénaux (§ XII)

Introduction 
Néron a dix-sept ans lorsqu’il accède au pouvoir impérial. Les débuts de son règne sont marqués par des actes de piété filiale, et des références explicites au mode de gouvernement d’Auguste ; il fait distribuer des ressources aux pauvres, fait voter des lois populaires, prétend refuser la violence.
Mais dès les jeux juvénaux qu’il fait donner en 58 pour célébrer le jour où il fait couper sa première barbe, les signes de son pouvoir se font plus ambigus et inquiétants…

P18 Exercice de lecture

Lisez d'abord le texte latin à haute voix (la lecture à haute voix est à travailler, particulièrement pour l'épreuve orale !). Repérez les nominatifs, les verbes conjugués, et certains groupes fonctionnels déclinés au même cas ; tenez compte aussi des constructions grammaticales (conjonctions de subordination, reprises de construction...).

[XII] Exhibuit autem ad ferrum etiam quadringentos senatores sescentosque equites Romanos et quosdam fortunae atque existimationis integrae, ex isdem ordinibus confectores quoque ferarum et varia harenae ministeria. Exhibuit et naumachiam marina aqua innantibus beluis; item pyrrichas quasdam e numero epheborum, quibus post editam operam diplomata civitatis Romanae singulis optulit. Inter pyrricharum argumenta taurus Pasiphaam ligneo juvencae simulacro abditam iniit, ut multi spectantium crediderunt; Icarus primo statim conatu juxta cubiculum ejus decidit ipsumque cruore respersit. Nam perraro praesidere, ceterum accubans, parvis primum foraminibus, deinde toto podio adaperto spectare consueverat. Instituit et quinquennale certamen primus omnium Romae more Graeco triplex, musicum gymnicum equestre, quod appellavit Neronia; dedicatisque thermis atque gymnasio senatui quoque et equiti oleum praebuit. Magistros toto certamini praeposuit consulares sorte, sede praetorum. Deinde in orchestram senatumque descendit et orationis quidem carminisque Latini coronam, de qua honestissimus quisque contenderat, ipsorum consensu concessam sibi recepit, citharae autem a judicibus ad se delatam adoravit ferrique ad Augusti statuam jussit. Gymnico, quod in Saeptis edebat, inter buthysiae apparatum barbam primam posuit conditamque in auream pyxidem et pretiosissimis margaritis adornatam Capitolio consecravit. Ad athletarum spectaculum invitavit et virgines Vestales, quia Olympiae quoque Cereris sacerdotibus spectare conceditur.

P15 Exercice auto-correctif n°1 : Avant de traduire

Un peu de grammaire
1. Analyser la forme « innantibus beluis ».
2. Recherchez la construction grammaticale de la phrase « Nam perraro... consueverat ».
3. Analysez la forme « ferri ».

Vocabulaire
4. Réfléchissez aux sens de la conjonction « et » dans le texte.

àð => Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre.


Traduction du texte

Consignes de travail

P15 À l'aide des notes et du découpage du texte, travaillez la traduction en masquant la colonne de la traduction française, et en cherchant le sens de chaque unité grammaticale.
Puis formulez à l'écrit votre traduction personnelle. Comparez-la enfin avec celle qui vous est proposée.

Notes de grammaire et de vocabulaire
exhibeo, es, ere, bui, bitum : présenter, produire
existimatio, onis, f : estime, réputation
confector, oris, m : celui qui prépare
fera, ae, f : bête sauvage, fauve
ministerium, ii, n : fonction de serviteur, service
naumachia, ae, f : naumachie, représentation d’un combat naval
inno, as, are : nager dans
belua, ae, f : grosse bête, bête féroce, monstre
item (adv.) : de même, également
pyrricha, ae, f : pyrrhique, danse guerrière spartiate
ephebus, i, m : éphèbe, jeune homme de 16 à 20 ans
edo, is, ere, edidi, ditum : produire, faire voir
opera, ae, f : travail, activité
argumentum, i, n : sujet, matière (d’une œuvre, d’une pièce)
ligneus, a, um : fait de bois, en bois
simulacrum, i, n : représentation, image, portrait, statue
juvenca, ae, f : génisse
abdo, is, ere, didi, ditum : cacher, enfouir
ineo is, ire, ivi, itum (+ acc.) : entrer dans, pénétrer
conatus, us, m : essai, tentative
juxta (+ acc.) : près de
cubiculum, i, n : chambre à coucher ; loge de l’empereur au théâtre
decido, is, ere, cidi : tomber de ; tomber mort, succomber
cruor, oris, m : sang
perraro (adv.) : très rarement
ceterum (adv.) : du reste, mais
foramen, inis, n : ouverture, trou
adaperio, is, ire, perui, pertum : ouvrir, découvrir
consuesco, is, ere, evi, etum (+ inf.) : avoir l’habitude de
certamen, inis, n : lutte, bataille ; concours
dedico, as, are : dédier, consacrer ; inaugurer
praebeo, es, ere, bui, bitum : offrir, présenter, fournir
praepono, is, ere, posui, positum : mettre à la tête de, mettre devant
sedes, is, f : siège ; place
carmen, inis, n : chant poétique, poème
contendo, is, ere : faire des efforts pour atteindre ; lutter, rivaliser
quisque, quae-, quid- : chacun, chaque ; quisque + superlatif : tous les plus…
concedo, is, ere, edi, esum : accorder, céder, permettre
adoro, as, are : se prosterner devant (à l’orientale)
defero, is, erre, tuli, latum : transporter, remettre ; offrir, décerner
Saepta, orum, n.pl : enceinte de vote sur le forum
buthysia, ae, f : sacrifice de bœufs
apparatus, us, m : magnificence, recherche, apprêt
condo, is, ere, didi, ditum : fonder, bâtir / enfermer, enfouir, recueillir
pyxis, idis, f : boîte, coffret
margarita, ae, f : perle
Ceres, eris, f : Cérès, déesse de l’agriculture et des moissons


Traduction juxtalinéaire

Exhibuit autem ad ferrum etiamMais il produisit aussi au combatquadringentos senatores sescentosque equites Romanosquatre cents sénateurs et six cents chevaliers romainset quosdam fortunae atque existimationis integrae,certains d’une fortune et d’une réputation intactes,ex isdem ordinibuset dans ces mêmes ordres (il nomma)confectores quoque ferarum et varia harenae ministeria.aussi les responsables des fauves et divers employés des arènes.Exhibuit et naumachiamIl fit donner aussi une naumachieinnantibus beluis marina aqua ;avec des monstres marins nageant dans de l’eau de mer ;item pyrrichas quasdamil fit également exécuter des pyrrhiquese numero epheborumpar un nombre d’éphèbesquibus singulis optulit diplomata civitatis Romanaeauxquels il offrit à chacun un brevet de citoyen romainpost editam operam.après qu’ils eurent présenté leur travail.Inter pyrricharum argumentaEntre les sujets des pyrrhiquestaurus iniit Pasiphaamun taureau pénétra Pasiphaéabditam ligneo juvencae simulacro,cachée dans la représentation en bois d’une génisseut multi spectantium crediderunt ;ainsi que le crurent beaucoup de spectateurs ;primo statim conatudès son premier essaiIcarus juxta cubiculum ejus deciditIcare tomba mort près de la loge de Néronipsumque cruore respersit.et éclaboussa de son sang le prince lui-même .Nam perraro praesidere,En effet il présidait très rarement (les spectacles)ceterum accubansmais, couché sur un lit,parvis primum foraminibus spectare consueverat,il avait pris l’habitude de les regarder d’abord par de petites ouvertures,deinde toto podio adaperto.puis sur un podium entièrement découvert.Primus omnium RomaeLe premier de tous à Romemore Graecosuivant la coutume grecqueinstituit et quinquennale certamen triplex,il institua un concours quinquennal triple,musicum gymnicum equestre,musical, gymnique et hippique,quod appellavit Neronia ;qu’il appela jeux Néroniens ;dedicatisque thermis atque gymnasioayant inauguré des thermes et un gymnasesenatui quoque et equiti oleum praebuit.il offrit aussi l’huile aux sénateurs et aux chevaliers.Toto certaminiDurant tout le concoursmagistros praeposuit consulares sorteil désigna pour présidents des consulaires tirés au sortsede praetorum.à la place des préteurs.Deinde in orchestram senatumque descenditEnsuite il descendit à l’orchestre avec le sénatet sibi recepitet il reçut pour luiorationis quidem carminisque latini coronam,la couronne d’éloquence et même de poésie latinede qua honestissimus quisque contenderat,pour laquelle tous les plus honorables citoyens avaient rivalisé,ipsorum consensu concessam,et qu’ils lui cédèrent d’un commun accord.citharae autemMais devant la couronne de joueur de cytharea judicibus ad se delatamque lui accordèrent les juges (litt :accordée à lui par les juges)adoravitil se prosterna ferrique jussitet ordonna qu’elle fût portéead Augusti statuam.devant la statue d’Auguste.Gymnico, Pendant le concours de gymnastique,quod in Saeptis edebat,qu’il faisait donner dans l’enceinte des élections,inter buthysiae apparatumdans l’apparat d’un sacrificebarbam primam posuitil fit couper sa première barbeconditamque in auream pyxidem et pretiossisimis margaritis adornatamet l’ayant fait enfermer dans un coffret d’or orné des perles les plus précieusesCapitolio consecravit.il la consacra à Jupiter Capitolin.Ad athletarum spectaculumAu spectacle des athlètesinvitavit et virgines Vestales,il invita même les vierges vestalesquia Olympiaeparce qu’à Olympieconceditur quoque Cereris sacerdotibusil est permis aussi aux prêtresses de Cérèsspectare.d’y assister.

Traduction élaborée
Mais il mit aux prises quatre cents sénateurs et six cents chevaliers, dont quelques-uns jouissaient d'une fortune et d'une réputation à l'abri de tout reproche. Il choisit, dans les mêmes ordres, des combattants contre les bêtes, et pourvut à divers emplois de l'arène. Il donna aussi une naumachie où des monstres marins nageaient dans de l'eau de mer. Il fit danser la pyrrhique à des jeunes gens auxquels il délivra ensuite des diplômes de citoyens romains. Parmi les sujets de ces pyrrhiques, un taureau saillit Pasiphaé, qui était, ainsi que le crurent beaucoup de spectateurs, renfermée dans une vache de bois. Dès son premier effort, Icare tomba à côté de la loge de Néron et le couvrit de sang. En effet, Néron présidait rarement alors, et regardait le spectacle par de petites ouvertures; mais, dans la suite, il s'établit en plein podium. Il fut le premier qui institua à Rome des jeux quinquennaux qu'il appela "Néroniens". Ces jeux étaient de trois genres, à la manière des Grecs, c'est-à-dire qu'il y avait de la musique, des exercices gymniques et des courses à cheval. Après avoir consacré des bains et un gymnase, il offrit de l'huile aux sénateurs et aux chevaliers. Le sort désigna parmi les consulaires les intendants des jeux, et on leur donna la place des préteurs. Néron descendit ensuite dans l'orchestre, au milieu du sénat, et reçut la couronne d'éloquence et de poésie latine que les plus illustres citoyens s'étaient disputée, et qu'ils lui accordèrent d'un consentement unanime. Il baisa celle que lui décernèrent les juges, comme joueur de luth, et la fit mettre au pied de la statue d'Auguste. Dans les jeux gymniques qu'il donna au Champ de Mars, il déposa les prémices de sa barbe au milieu d'un sacrifice solennel, les renferma dans une botte d'or garnie des perles les plus précieuses, et les consacra à Jupiter Capitolin. Il invita même les Vestales au spectacle des athlètes, parce qu'à Olympie on permettait aux prêtresses de Cérès d'y assister.


P15 Pistes pour le commentaire
1. Quelles sont les actions de Néron qui révèlent dans ce passage son mépris des valeurs romaines traditionnelles ?
2. Montrez en quoi, malgré une apparente neutralité, l’écriture de Suétone met en lumière la démesure de l’empereur.

P14 Éléments de commentaire

1. Suétone semble décrire le déroulement des jeux sous forme de constats, sans jugements explicites. Mais plusieurs éléments sont destinés ici à choquer le lecteur romain :

( le traitement réservé aux classes aristocratiques, auxquelles Néron assigne des places et des tâches dégradantes : le verbe « exhibuit » est employé de façon anaphorique dans les deux premières phrases, et met sur le même plan les mots « naumachiam » et « senatores » ; appliqué aux sénateurs et chevaliers, le terme a évidemment une valeur péjorative et humiliante ; en outre, les termes « senatores », « equites » Romanos » (avec une insistance volontaire sur la mention « romains »), et « isdem ordinibus » sont associés à des fonctions habituellement réservées à des esclaves : « ad ferrum », « ferarum », « confectores», « harenae ministeria » : ce sont ici des citoyens, et les plus prestigieux, qui constituent le spectacle du prince ; il s’agit d’avilir de façon calculée l’orgueil des familles patriciennes : « existimationis integrae ». De même, d’anciens consuls, « consulares », sont ravalés au rang d’organisateurs de concours : « magistros certamini » et traités comme de simples magistrats : « sede praetorum » (les préteurs étaient les magistrats chargés des questions de justice). Enfin, Néron offre l’huile aux sénateurs et chevaliers, à la mode grecque : « senatui quoque et equiti oleum praebuit », c’est-à-dire qu’il les engage à lutter au gymnase, à combattre en athlètes ; or si la participation aux jeux athlétiques était en Grèce un devoir de citoyenneté et un honneur car ces jeux avaient une résonance religieuse, ils ne sont à Rome qu’un divertissement populaire ; donc, adressé à des nobles romains, le geste est insultant.

( le don de la citoyenneté romaine, qui est le plus grand honneur que Rome puisse accorder à un individu, devient ici le fait du prince, et est offert à des danseurs, à des amuseurs, juste parce qu’ils ont bien exécuté leur numéro : « post editam operam diplomata civitatis Romanae optulit ».

Øð( les lieux de la démocratie sont bafoués : l enceinte des élections (« in Saeptis ») est détournée en lieu de spectacle (« gymnico ») et consacrée au culte impérial : « inter buthysiae apparatum barbam primam posuit ».

Øð( l affront fait aux Vestales, vierges consacrées vouées au culte de Vesta, la déesse du foyer et du feu de Rome (Suétone insiste sur le terme « virgines » par la conjonction « et »), que l’on invite au spectacle d’hommes dénudés : « ad athletarum spectaculum », car les athlètes combattaient nus au gymnase. Là encore, la justification avancée, le parallèle avec les mœurs grecques : « quia Olympiae quoque.. » est sans valeur et insultante pour un Romain, d’autant que le culte de Cérès, déesse de la fertilité, induisait sans doute des rites bien différents…

( l’abondance des termes grecs : « pyrrichas, « epheborum », « gymnico », « buthysiae », « pyxidem », les expressions qui se réfèrent aux usages de la Grèce : « more Graeco, oleum praebuit », et même le verbe « adoravit » car le fait de se prosterner est considéré comme « oriental » à Rome, révèlent que Néron se réclame d’une culture, de valeurs que les Romains ont toujours considérées avec méfiance et associées à une forme de décadence morale et physique.

( enfin, le culte de la personnalité de l’empereur, certes pratiqué depuis Auguste et qui avait pris sous Caligula des proportions pathologiques, est dès ce début du règne de Néron esquissé de façon déjà inquiétante :
on voit la volonté de popularité du jeune prince, qui « descend » au milieu de son peuple et participe aux mêmes activités : « in orchestram senatumque descendit », « coronam… sibi recepit », mais aussi usurpe les prix que lui décernent des juges peu libres de leur verdict : l’expression « ipsorum consensu concessam » est à comprendre avec quelque ironie… ;
le même désir d’être populaire et reconnu transparaît dans sa façon de marquer de son nom les nouveautés qu’il introduit à Rome : « quod appellavit Neronia » ;
enfin et surtout, la façon dont est mis en scène le sacrifice de la « première barbe », qui marquait le passage à l’âge d’homme du juvenis, possède les premiers indices d’une divinisation de la personne de l’empereur : hécatombe d’animaux (« buthysiae »), luxe extraordinaire du cérémonial : « apparatum, « auream pyxidem », pretiosissimis margaritis », nature divine accordée à ce qui fut une « parcelle » du prince : « Capitolio consecravit ».
On voit donc au fil du texte que le statut de citoyen romain, qui revêt traditionnellement un caractère sacré et qui garantit à ce citoyen des droits et une dignité inaliénables, est désormais soumis au bon plaisir de l’empereur, et que la pietas que doit tout citoyen à l’État romain se déplace désormais sur la personne exclusive du prince.

2. Le style de Suétone se distingue par une apparente neutralité :
( les verbes d action dominent : « exhibuit » repris deux fois, « instituit », « praebuit »&  : il n y aucune intervention du narrateur, ni de jugement de valeur exprimé.
Øð( la narration n a pas de chronologie claire : les phrases sont parfois sans lien entre elles, il y a des retours en arrière ou des anticipations ; Suétone retrace globalement le déroulement des jeux juvénaux, mais il digresse sur la création postérieure des joutes néroniennes, « quod appelavit Neronia », évoque les habitudes successives de Néron lors des spectacles, « primum...deinde... » ; le récit manque donc de construction visible, et le lecteur n'a pas le sentiment que le biographe s'exprime à travers sa narration.

La critique ou la visée morale du texte s’expriment cependant, mais de façon très implicite, par des indices que le lecteur devra parfois « décoder ».
Ainsi, Suétone emploie le même verbe, « exhibuit », pour les sénateurs que l’on fait combattre dans l’arène, et pour les autres spectacles : « naumachiam », « pyrrichas » : même non formulée, la volonté d’humilier les patriciens apparaît au lecteur.
ØðLes nombreux effets de juxtaposition grammaticale, rendus dans le texte latin par des points virgule, finissent par donner l impression d une accumulation frénétique et jamais satisfaite ; d autant que les chiffres évoqués sont très élevés : « quadrigentos », « sescentosque » ;
L’usage récurrent des termes « et », « etiam » et « quoque » marque ce qui constitue un abus, un excès de la part du prince : « etiam senatores exhibuit », « ex isdem ordinibus confectores quoque », « exhibuit et naumachiam », « instituit et quinquennale certamen », « senatui quoque et equiti », « invitavit et virgines vestales » …
ØðEnfin, la description des spectacles eux-mêmes révèle une volonté de dépasser la nature :
( il y a un désir de démesure dans les thèmes choisis : on représente dans l'enceinte réduite de l'arène des combats navals, « naumachiam », on y reconstitue un espace maritime, « aqua marina », « innantibus beluis » 
( on cherche aussi à représenter ce qui dépasse l'humain, le surnaturel, le mythique : l’accouplement monstrueux de Pasiphaé, épouse de Minos et reine de Crète, avec un taureau blanc, dont naîtra le Minotaure : « taurus Pasiphaam... iniit », le vol d'Icare et son défi aux lois humaines : « Icarus primo statim conatu... » . Suétone montre bien qu'il s'agit ici de donner l’illusion du vrai, de représenter ce qui ne peut pas l'être : voir l'antithèse entre les termes « simulacro » et « crediderunt » ligne 5, et la mort réelle du faux Icare qui est décrite avec crudité : « ipsumque cruore respersit ».
Il faut noter enfin que les mythes de Pasiphaé et d'Icare sont tous deux liés au Soleil, qui fit fondre les ailes de l'imprudent jeune homme, et dont Pasiphaé était la fille. Or le Soleil est la divinité dominante dans les cultes orientaux de la royauté, et on a vu son importance dans les présages qui ont accompagné la naissance de Néron. Ce choix a donc ici un lien fort avec la divinisation de la personne de l'empereur.



C. Prolongement culturel : Racine, Britannicus – Tacite, Annales


P18 Textes complémentaires

Racine, Britannicus (1669) Acte III, scène 8, vers 1041- 1056.

Racine, dans sa tragédie, fait de nombreuses entorses à la chronologie et aux faits historiques. La pièce se clôt bien sur l'empoisonnement de Britannicus sur l'ordre de Néron, en 55 ap.J.C, mais la rivalité entre les deux princes est ici amoureuse : Néron médite de répudier sa femme Octavie pour épouser Junie, mais celle-ci aime Britannicus et en est aimée. Cependant, en arrière-plan, c'est la lutte entre Néron et Agrippine pour le pouvoir personnel, leurs ambitions et leurs manœuvres, qui sont le ressort de l'action. On voit progressivement le Néron amoureux et capable de bonté se changer en un despote sanglant, sous l'aiguillon de la jalousie et la crainte des complots tramés par sa mère. Le dialogue suivant montre la naissance du tyran.

Néron Ainsi par le destin nos vœux sont traversés : J'obéissais alors, et vous obéissez. Si vous n'avez appris à vous laisser conduire, Vous êtes jeune encore, et l'on peut vous instruire. Britannicus Et qui m'en instruira ? Néron Tout l'empire à la fois, Rome. Britannicus Rome met"elle au nombre de vos droits Tout ce qu'a de cruel l'injustice et la force, Les emprisonnements, le rapt et le divorce ? Néron Rome ne porte point ses regards curieux Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux. Imitez son respect. Britannicus On sait ce qu'elle en pense. Néron Elle se tait du moins : imitez son silence.

Britannicus Ainsi Néron commence à ne plus se forcer. Néron Néron de vos discours commence à se lasser. Britannicus Chacun devait bénir le bonheur de son règne. Néron Heureux ou malheureux, il suffit qu'on me craigne.


Tacite, Annales, livre XIV. 4-10 (Traduction de J.L Burnouf, 1859)

Tacite donne ici son propre récit des attentats de Néron contre sa mère et de la mort d'Agrippine. Cette version est à confronter avec celle de Suétone.

Un vaisseau plus orné que les autres attendait la mère du prince, comme si son fils eût voulu lui offrir encore cette distinction; car elle montait ordinairement une trirème, et se servait des rameurs de la flotte: enfin, un repas où on l'avait invitée donnait le moyen d'envelopper le crime dans les ombres de la nuit. C'est une opinion assez accréditée que le secret fut trahi, et qu'Agrippine, avertie du complot et ne sachant si elle y devait croire, se rendit en litière à Baies. Là, les caresses de son fils dissipèrent ses craintes; il la combla de prévenances, la fit place, à table au-dessus de lui. Des entretiens variés, où Néron affecta tour à tour la familiarité du jeune âge et toute la gravité d'une confidence auguste, prolongèrent le festin. Il la reconduisit à son départ, couvrant de baisers ses yeux et son sein; soit qu'il voulût mettre le comble à sa dissimulation, soit que la vue d'une mère qui allait périr attendrit en ce dernier instant cette âme dénaturée.
Une nuit brillante d'étoiles, et dont la paix s'unissait au calme de la mer, semblait préparée par les dieux pour mettre le crime dans toute son évidence. Le navire n'avait pas encore fait beaucoup de chemin. Avec Agrippine étaient deux personnes de sa cour, Crepereius Gallus et Acerronia. Le premier se tenait debout près du gouvernail; Acerronia, appuyée sur le pied du lit où reposait sa maîtresse, exaltait, avec l'effusion de la joie, le repentir du fils et le crédit recouvré par la mère. Tout à coup, à un signal donné, le plafond de la chambre s'écroule sous une charge énorme de plomb. Crepereius écrasé reste sans vie. Agrippine et Acerronia sont défendues par les côtés du lit qui s'élevaient au-dessus d'elles, et qui se trouvèrent assez forts pour résister au poids. Cependant le vaisseau tardait à s'ouvrir, parce que, dans le désordre général, ceux qui n'étaient pas du complot embarrassaient les autres. Il vint à l'esprit des rameurs de peser tous du même côté, et de submerger ainsi le navire. Mais, dans ce dessein formé subitement, le concert ne fut point assez prompt; et une partie, en faisant contrepoids, ménagea aux naufragés une chute plus douce. Acerronia eut l'imprudence de s'écrier "qu'elle était Agrippine, qu'on sauvât la mère du prince" et elle fut tuée à coups de crocs, de rames, et des autres instruments qui tombaient sous la main. Agrippine, qui gardait le silence, fut moins remarquée, et reçut cependant une blessure à l'épaule. Après avoir nagé quelque temps, elle rencontra des barques qui la conduisirent dans le lac Lucrin, d'où elle se fit porter à sa maison de campagne.
Là, rapprochant toutes les circonstances, et la lettre perfide, et tant d'honneurs prodigués pour une telle fin, et ce naufrage près du port, ce vaisseau qui, sans être battu par les vents ni poussé contre un écueil, s'était rompu par le haut comme un édifice qui s'écroule; songeant en même temps au meurtre d'Acerronia, et jetant les yeux sur sa propre blessure, elle comprit que le seul moyen d'échapper aux embûches était de ne pas les deviner. Elle envoya l'affranchi Agermus annoncer à son fils "que la bonté des dieux et la fortune de l'empereur l'avaient sauvée d'un grand péril; qu'elle le priait, tout effrayé qu'il pouvait être du danger de sa mère, de différer sa visite; qu'elle avait en ce moment besoin de repos." Cependant, avec une sécurité affectée, elle fait panser sa blessure et prend soin de son corps. Elle ordonne qu'on recherche le testament d'Acerronia, et qu'on mette le scellé sur ses biens : en cela seulement elle ne dissimulait pas.
Néron attendait qu'on lui apprît le succès du complot, lorsqu'il reçut la nouvelle qu'Agrippine s'était sauvée avec une légère blessure, et n'avait couru que ce qu'il fallait de danger pour ne pouvoir en méconnaître l'auteur. Éperdu, hors de lui même, il croit déjà la voir accourir avide de vengeance. "Elle allait armer ses esclaves, soulever les soldats, ou bien se, jeter dans les bras du sénat et du peuple, et leur dénoncer son naufrage, sa blessure, le meurtre de ses amis : quel appui restait-il au prince, si Burrus et Sénèque ne se prononçaient ?" Il les avait mandés dès le premier moment : on ignore si auparavant ils étaient instruits. Tous deux gardèrent un long silence, pour ne pas faire des remontrances vaines; ou peut-être croyaient-ils les choses arrivées à cette extrémité, que, si l'on ne prévenait Agrippine, Néron était perdu. Enfin Sénèque, pour seule initiative, regarda Burrus et lui demanda s'il fallait ordonner le meurtre aux gens de guerre. Burrus répondit "que les prétoriens, attachés à toute la maison des Césars, et pleins du souvenir de Germanicus, n'oseraient armer leurs bras contre sa fille. Qu'Anicetus achevât ce qu'il avait promis." Celui-ci se charge avec empressement de consommer le crime. À l'instant Néron s'écrie "que c'est en ce jour qu'il reçoit l'empire, et qu'il tient de son affranchi ce magnifique présent ; qu' Anicetus parte au plus vite et emmène avec lui des hommes dévoués." De son côté, apprenant que l'envoyé d'Agrippine, Agermus, demandait audience, il prépare aussitôt une scène accusatrice. Pendant qu'Agermus expose son message, il jette une épée entre les jambes de cet homme; ensuite il le fait garrotter comme un assassin pris en flagrant délit, afin de pouvoir feindre que sa mère avait attenté aux jours du prince, et que, honteuse de voir son crime découvert, elle s'en était punie par la mort.
Cependant, au premier bruit du danger d'Agrippine, que l'on attribuait au hasard, chacun se précipite vers le rivage. Ceux-ci montent sur les digues ; ceux-là se jettent dans des barques; d'autres s'avancent dans la mer, aussi loin qu'ils peuvent ; quelques-uns tendent les mains. Toute la côte retentit de plaintes, de vœux, du bruit confus de mille questions diverses, de mille réponses incertaines. Une foule immense était accourue avec des flambeaux : enfin l'on sut Agrippine vivante, et déjà on se disposait à la féliciter, quand la vue d'une troupe armée et menaçante dissipa ce concours. Anicetus investit la maison, brise la porte, saisit les esclaves qu'il rencontre, et parvient à l'entrée de l'appartement. Il y trouva peu de monde ; presque tous, à son approche, avaient fui épouvantés. Dans la chambre, il n'y avait qu'une faible lumière, une seule esclave, et Agrippine, de plus en plus inquiète de ne voir venir personne de chez son fils, pas même Agermus. La face des lieux subitement changée, cette solitude, ce tumulte soudain, tout lui présage le dernier des malheurs. Comme la suivante elle-même s'éloignait : "Et toi aussi, tu m'abandonnes," lui dit-elle : puis elle se retourne et voit Anicetus, accompagné du triérarque Herculeius et d'Obaritus, centurion de la flotte. Elle lui dit "que, s'il était envoyé pour la visiter, il pouvait annoncer qu'elle était remise; que, s'il venait pour un crime, elle en croyait son fils innocent ; que le prince n'avait point commandé un parricide." Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. "Frappe ici," s'écria-t-elle en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups.
Voilà les faits sur lesquels on s'accorde. Néron contempla-t-il le corps inanimé de sa mère, en loua-t-il la beauté ? Les uns l'affirment, les autres le nient. Elle fut brûlée la nuit même, sur un lit de table, sans la moindre pompe; et, tant que Néron fut maître de l'empire, aucun tertre, aucune enceinte ne protégea sa cendre. Depuis, des serviteurs fidèles lui élevèrent un petit tombeau sur le chemin de Misène, prés de cette maison du dictateur César, qui, située à l'endroit le plus haut de la côte, domine au loin tout le golfe. Quand le bûcher fut allumé, un de ses affranchis, nommé Mnester, se perça d'un poignard, soit par attachement à sa maîtresse soit par crainte des bourreaux. Telle fut la fin d'Agrippine, fin dont bien des années auparavant elle avait cru et méprisé l'annonce. Un jour qu'elle consultait sur les destins de Néron, les astrologues lui répondirent qu'il régnerait et qu'il tuerait sa mère : "Qu'il me tue, dit-elle, pourvu qu'il règne."


D. Entraînement à l'examen

P15 Exercice autocorrectif n°2 : Comparaison de traductions
Comparez les deux traductions de l’extrait suivant.

Extrait :
[X] Et cum de supplicio cujusdam capite damnati ut ex more subscribere admoneretur : « Quam vellem », inquit, « nescire litteras ! »

Traduction n°1 : H. Ailloud (1961).
Un jour qu'on le priait de signer, selon l'usage un arrêt de mort, il dit : « Comme je voudrais ne pas savoir écrire ! »

Traduction n°2 : P. Klossowski (2010).
Et comme on le pressait de souscrire, selon l'usage, une condamnation à mort, il s'écria : « Que j'eusse aimé n'être qu'un analphabète ! »

=> Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre.

P18 Lecture cursive bilingue : Le matricide (§ XXXIV)

Verum minis ejus ac violentia territus perdere statuit; et cum ter veneno temptasset sentiretque antidotis praemunitam, lacunaria, quae noctu super dormientem laxata machina deciderent, paravit. Mais terrifié par ses menaces et sa violence, il résolut de la faire mourir ; et, comme il avait tenté trois fois du poison et constaté qu’elle s’était protégée par des antidotes, il fit agencer les lambris de son plafond, de telle manière que mus par un mécanisme, ils s’effondrent sur elle, la nuit, pendant qu’elle dormirait.Hoc consilio per conscios parum celato solutilem navem, cujus vel naufragio vel camarae ruina periret, commentus est atque ita reconciliatione simulata jucundissimis litteris Baias evocavit ad sollemnia Quinquatruum simul celebranda; Ses complices ayant mal gardé son secret, il imagina un navire pouvant se disloquer, pour qu’elle y périsse soit par naufrage, soit écrasée par la chute du pont, et, feignant pour cela une réconciliation, il l’invita par une lettre très affectueuse à célébrer avec lui les fêtes des Quinquatries (fêtes de Minerve) ;datoque negotio trierarchis, qui liburnicam qua advecta erat velut fortuito concursu confringerent, protraxit convivium repetentique Baulos in locum corrupti navigii machinosum illud optulit, hilare prosecutus atque in digressu papillas quoque exosculatus.ayant ordonné à des commandants de vaisseaux de briser comme par accident la galère liburnicienne sur laquelle elle était venue, il prolongea le festin, puis lui offrit pour son retour à Baules le navire truqué à la place du sien qui avait été détruit, il la reconduisit tout souriant, et même lui baisa la poitrine au moment du départ.Reliquum temporis cum magna trepidatione vigilavit opperiens coeptorum exitum. Sed ut diversa omnia nandoque evasisse eam comperit, inops consilii L. Agermum libertum ejus salvam et incolumem cum gaudio nuntiantem, abjecto clam juxta pugione ut percussorem sibi subornatum arripi constringique jussit, matrem occidi, quasi deprehensum crimen voluntaria morte vitasset.
Le reste du temps, il veilla avec une grande agitation, attendant l’issue de son projet. Mais lorsqu’il sut que tout avait tourné autrement, et qu’elle en avait réchappé à la nage, à court d’idées, comme L. Agermus, un affranchi de sa mère, venait plein de joie lui annoncer qu’elle était saine et sauve, il jeta à la dérobée un poignard près de lui et, sous prétexte qu’il avait été envoyé pour le frapper, ordonna de le saisir, de l’enchaîner, et de mettre à mort sa mère, comme si elle avait voulu éviter par un suicide la découverte de son crime.Adduntur his atrociora nec incertis auctoribus: ad visendum interfectae cadaver accurrisse, contrectasse membra, alia vituperasse, alia laudasse, sitique interim oborta bibisse. On ajoute à cela, et non sans garanties, des points plus atroces : il serait accouru pour contempler le cadavre de sa mère assassinée, aurait palpé ses membres, aurait critiqué ceci, vanté cela, et entre temps, pris de soif, se serait mis à boire.Neque tamen conscientiam sceleris, quamquam et militum et senatus populique gratulationibus confirmaretur, aut statim aut umquam postea ferre potuit, saepe confessus exagitari se materna specie verberibusque Furiarum ac taedis ardentibus.Cependant, bien qu’il fût réconforté par les félicitations de l’armée, du sénat et du peuple, il ne put, ni sur le moment ni jamais par la suite, supporter la conscience de son crime, et avoua souvent qu’il était tourmenté par le fantôme de sa mère, et par les fouets et les torches ardentes des Furies.

P15 Exercice autocorrectif n°3
Comparez le récit que fait Suétone de la mort d'Agrippine avec la version donnée par Tacite dans ses Annales, que vous avez pu lire dans le texte complémentaire ci-dessus.

=> Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre.


P15 Exercice autocorrectif n°4 : Analyse de l’image
Étudiez la composition de ce tableau et notamment comment est mise en scène l'absence d'humanité de Néron. À quels indices voit-on que l'artiste a lu l’œuvre de Suétone ?

=> Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre.

Placer ici le document 5 : « Néron au cirque », 1897. H.Siemiradzki (1843-1902)

Source : AKG-images ; réf.1 IT-829-E2






P21 Attention !

Vous pouvez à présent réaliser le devoir n°5. Il a été conçu pour être rédigé à cette étape de votre cours.

Corrigés des exercices


P14 Corrigé de l'exercice n°1

Un peu de grammaire
1. La forme « innantibus beluis »  est un ablatif absolu : le participe présent à l'ablatif pluriel « innantibus » a pour sujet « beluis », et pour complément circonstanciel de lieu le groupe à l'ablatif « marina aqua » ; traduction littérale : « des bêtes nageant dans de l'eau de mer » ; cet ablatif absolu est apposé au nom « naumachiam » qu'il qualifie.
2. La phrase a pour verbe principal « consueverat », dont dépendent deux propositions infinitives, «praesidere » et « spectare » ;  cette dernière est structurée par deux adverbes de temps, « primum » et « deinde », qui introduisent de façon parallèle deux compléments circonstanciels à l'ablatif, « parvis foraminibus » et « toto podio adaperto » ; enfin, le participe présent « accubans » est un nominatif singulier, et s'accorde avec le sujet non exprimé de « consueverat », qui est Néron.
3. La forme « ferri » est l'infinitif présent passif du verbe « fero, fers, ferre » qui signifie « porter » ; il s'agit ici du verbe d'une proposition infinitive induite par le verbe « jussit » ; le sujet de « ferri », non repris, est « coronam citharae », qui est aussi le COD de « adoravit ».

Vocabulaire
4. La conjonction « et » est employée pour coordonner deux propositions ou deux groupes nominaux, à quatre reprises dans le, et on la traduit par « et ». On la trouve entre un verbe et son COD trois fois : « exhibuit et naumachiam », « instituit et quinquennale certamen », « invitavit et virgines Vestales ». Elle a alors une valeur plus forte et on la traduit par « aussi » ou « même ».


P14 Corrigé de l'exercice n°2
Les deux traductions données sont très semblables sur le plan de la construction grammaticale. C'est plutôt sur celui du vocabulaire que les traducteurs ont opéré des choix de sens différents.
Tout d’abord, le verbe « admonere », qui signifie « avertir, inciter, exhorter », a été traduit de façon plus forte mais aussi plus juste dans la version n°2 par « on le pressait », qui montre bien que toute forme de cruauté est, à ce moment de son règne, rejetée par Néron.
Ensuite, l'expression « nescire litteras » a donné lieu également à deux traductions différentes, la seconde étant – là encore – plus radicale par le choix du terme « analphabète » ; en latin, « scire litteras » signifie savoir lire et écrire, connaître les rudiments grammaticaux ; la version n°2 est donc plus proche du texte latin ; elle est aussi plus hyperbolique et théâtrale, on sent que le prince veut frapper son entourage avec cette formule.
Enfin, on peut remarquer la traduction très raccourcie dans les deux versions de l'expression « de supplicio cujusdam capite damnati », littéralement « du supplice d'un homme condamné à mort » ; le sens n'en est pas altéré, mais là encore la lourdeur de la formulation latine exprime bien la difficulté qu'éprouve le jeune Néron à ôter la vie d'un homme.


P14 Corrigé de l'exercice n°3
Les faits rapportés par Tacite et Suétone et leur chronologie sont sensiblement les mêmes. C'est sur le plan de la narration que ces deux auteurs diffèrent.
Suétone rapporte les événements comme à son habitude, de façon factuelle, sans les commenter ni les dater précisément. Cela donne un récit où les actions s'enchaînent rapidement, juxtaposées par des points-virgule. On a l'impression qu'il n'y a pas de délai entre le projet et sa réalisation, ni entre les différents attentats ; même effet d'accumulation au moment crucial où il piège l'affranchi Agermus, dans une phrase longue où se suivent des participes, un ablatif absolu, des subordonnées au subjonctif. En outre, l'action est rapportée du point de vue de Néron, puisqu'il s'agit de sa biographie, avant de se référer à des témoignages plus ou moins attestés sur son comportement après le matricide. Le tout n'occupe qu'un chapitre, dans lequel Suétone joint aussi le meurtre de Domitia Lepida, la tante qui avait élevé Néron pendant l'exil de sa mère.
La version de Tacite est beaucoup plus développée et dramatisée.
On y trouve d'abord beaucoup plus de détails, sur les plans conçus par Néron, sur le mécanisme du bateau truqué et les manœuvres à bord pour le faire chavirer, sur l'identité de ceux qui ont participé au meurtre... Tacite crée en outre de vrais personnages secondaires, comme Crepereius Gallus ou Acerronia, qu'il fait agir, parler, mourir, donnant ainsi à Agrippine la stature d'une héroïne qui échappe à la mort par ses propres ressources ; il met aussi en scène des « figurants », comme la foule venue sur le rivage, ou l'esclave qui « abandonne »  Agrippine au moment ultime. Tout ceci ménage des effets d'attente, de dramatisation, de même que les éléments de décor, comme la nuit calme et brillante d'étoiles lors de l'effondrement du navire, ou la faible lumière dans la chambre quand les soldats y font irruption. Le personnage d'Agrippine est aussi rendu héroïque par les paroles qu'elle prononce, et qui sont rapportées au discours direct ou indirect libre. Enfin, Tacite adopte dans son récit un point de vue omniscient, et nous fait partager de façon parallèle les craintes et les décisions de Néron et d'Agrippine : on suit le raisonnement lucide et les mensonges stratégiques de la mère qui veut sauver sa vie, puis la terreur qui s'empare du fils lorsqu'il se sait découvert ; on voit aussi l'influence des conseillers dans le meurtre final. Plutôt qu'un document historique, le lecteur a l'impression de lire un texte romanesque, qui prend en compte la psychologie des personnages et maintient en haleine bien que la fin soit connue de tous.

P14 Corrigé de l'exercice n°4
Le tableau représente Néron descendu dans l'arène pour contempler le cadavre d'une chrétienne. Il est composé de façon à faire ressortir violemment le corps blanc et dénudé de la jeune femme, contrastant avec la masse noire du taureau sur lequel elle avait été ligotée, et les couleurs vives des costumes de l'empereur et de sa cour. Ces derniers forment à gauche un groupe compact, dont seul ressort l'empereur car il représenté de face alors que tous les autres le sont de profil, tournés vers lui. Néron est obèse, il est vêtu d'étoffes colorées et précieuses et non de la toge impériale traditionnelle, blanche et pourpre. Sa posture est celle du dédain, du mépris pour la morte qu'il contemple de haut. La position du cadavre nu est très stylisée, presque érotique, et il peut y avoir aussi de la luxure dans le regard de l'empereur. En arrière-plan, des indices qui révèlent que cette mort cruelle était avant tout un spectacle : les musiciens, les fleurs qui dissimulent les liens de la martyre, la richesse de la statuaire qui orne le cirque ; on voit aussi un indice du faste impérial, la litière dorée qui a porté Néron de sa loge à l'arène. Les seuls personnages dont le visage exprime une émotion sont, de façon un peu paradoxale, les gladiateurs, les autres ne marquant que de la curiosité ou de l'indifférence.
Ce tableau a une double influence : celle de Suétone, qui rapporte aux paragraphes XI et XII la passion de Néron pour le cirque, mais aussi sa lubricité et sa cruauté aux paragraphes XXVI à XIX, mais aussi celle d'un roman très populaire et contemporain de l’œuvre picturale, Quo Vadis, écrit en 1895 par l'écrivain polonais Henryk Sienkiewicz. L'action se situe au moment de l'incendie de Rome et des persécutions menées contre les chrétiens, désignés par l’État comme responsables de cet incendie, et l'un des personnages féminins, une jeune chrétienne, subit le même supplice que celui qui est peint par H.Siemiradzki, au point que le tableau pourrait presque constituer une illustration du roman. On voit bien que la « légende » de Néron s'est enrichie au fil des siècles, s'est nourrie d’œuvres successives, littéraires, picturales puis cinématographiques, et que le travail de vérité des historiens modernes a dû bousculer beaucoup de clichés.













Chapitre 4 > L’hybris, la démesure

A. Le défi aux lois naturelles

L'hybris ou «  hubris » est une notion grecque qui marque tous les courants philosophiques du monde antique. L'hybris est un sentiment violent inspiré à l'homme par une passion, surtout celle de l'orgueil ; mais elle est parfois aussi provoquée par la passion amoureuse, la jalousie, l'ambition... Elle constitue, d'un point de vue religieux, une faute fondamentale, car elle pousse à dépasser les limites humaines, et à vouloir plus que ce que le destin et notre condition d'homme ont fixé pour nous. Icare qui tente de voler trop près du Soleil, Prométhée qui vole le feu divin, Agamemnon qui réclame un traitement divin au retour de la guerre de Troie, se rendent coupables d'hybris et sont châtiés. La punition de l'hybris est la némésis, la destruction qui rappelle douloureusement au fautif sa fragilité humaine. Et on oppose à l'hybris les valeurs de mesure, de modération, de tempérance.
L'hybris des empereurs, et donc leur décadence morale, est indissociable du statut divin qui leur est accordé : le peuple romain accepte de traiter le princeps comme un dieu, celui-ci oublie donc qu'il n'est qu'un homme. Elle se manifeste par une démesure que nous avons pu voir déjà au chapitre 3 dans les actes politiques du prince, mais qui envahit aussi le cadre privé. Démesure dans les monuments que l'on veut laisser à la postérité, démesure dans les comportements érotiques : volonté de défier la nature en la maîtrisant, et en la détournant, en soumettant les éléments naturels, en modifiant le sexe et la nature des êtres... Le prince s'attribue ici les prérogatives du dieu. La mort de Néron, contraint de ramper comme un animal, de trembler, de pleurer devant sa propre tombe, lui rappellera trop tard sa condition d'homme.


B. Texte 3 : La construction de la domus aurea (§ XXXI)

Introduction 
Au début de son règne, Néron avait fait édifier une « maison de transition », la Domus Transitoria, qui réunissait ensemble toutes les propriétés de ses prédécesseurs. Après l'incendie qui ravage Rome en 64 apr. J.-C et qui détruit en grande partie ce palais, il fait élever sur les monts du Palatin et du Caelius la Domus Aurea, littéralement la « Maison de l'Àge d'Or », en référence aux temps mythiques du dieu Saturne, où régnaient l'abondance, la fertilité et l'harmonie entre les hommes et les dieux.
Conçu par deux architectes, Severus et Celer, ce palais gigantesque occupait presque deux kilomètres carrés de superficie, il comprenait un lac artificiel, des thermes alimentés par de l'eau de mer, une salle de banquet dont le plafond de treize mètre de diamètre figurait la voûte céleste et tournait sur lui-même, et, dans le vestibule, une statue colossale de Néron, d'une hauteur de plus de trente mètres.
Après la mort de Néron, l'espace du palais sera rendu au peuple romain. Les empereurs suivants y feront édifier d'autres ouvrages, comme les thermes de Trajan, ou le Colisée, construit sur l'emplacement du lac, et dont le nom maintient le souvenir du « colosse » perdu...

P18 Exercice de lecture
Lisez d'abord le texte latin à haute voix (la lecture à haute voix est à travailler, particulièrement pour l'épreuve orale !). Repérez les nominatifs, les verbes conjugués, et certains groupes fonctionnels déclinés au même cas ; tenez compte aussi des constructions grammaticales (conjonctions de subordination, reprises de construction...).

[XXXI] Non in alia re tamen damnosior quam in aedificando, domum a Palatio Esquilias usque fecit, quam primo « transitoriam », mox incendio absumptam restitutamque « auream » nominavit. De cujus spatio atque cultu suffecerit haec rettulisse. Vestibulum ejus fuit, in quo colossus CXX pedum staret ipsius effigie ; tanta laxitas, ut porticus triplices miliarias haberet ; item stagnum maris instar, circumsaeptum aedificiis ad urbium speciem ; rura insuper arvis atque vinetis et pascuis silvisque varia, cum multitudine omnis generis pecudum ac ferarum. In ceteris partibus cuncta auro lita, distincta gemmis unionumque conchis erant; cenationes laqueatae tabulis eburneis versatilibus, ut flores, fistulatis, ut unguenta desuper spargerentur ; praecipua cenationum rotunda, quae perpetuo diebus ac noctibus vice mundi circumageretur ; balineae marinis et albulis fluentes aquis. Ejus modi domum cum absolutam dedicaret, hactenus comprobavit, ut se diceret « quasi hominem tandem habitare coepisse ». Praeterea incohabat piscinam a Miseno ad Avernum lacum contectam porticibusque conclusam, quo quidquid totis Bais calidarum aquarum esset converteretur ; fossam ab Averno Ostiam usque, ut navibus nec tamen mari iretur, longitudinis per centum sexaginta milia, latitudinis, qua contrariae quinqueremes commearent. Quorum operum perficiendorum gratia quod ubique esset custodiae in Italiam deportari, etiam scelere convictos non nisi ad opus damnari praeceperat. Ad hunc impendiorum furorem, super fiduciam imperii, etiam spe quadam repentina immensarum et reconditarum opum impulsus est ex indicio equitis R. pro comperto pollicentis thesauros antiquissimae gazae, quos Dido regina fugiens Tyro secum extulisset, esse in Africa vastissimis specubus abditos ac posse erui parvula molientium opera.
 
P15 Exercice autocorrectif n°1 : Avant de traduire
Un peu de grammaire
1. Analysez les formes suivantes : « in aedificando », « perficiendorum » et «  impendiorum ». Vous pourrez vous aider de la fiche grammaire n°2 à la fin de votre cours.
2. Comment traduisez-vous les pronoms relatifs dans les expressions « de cujus spatio » et « quorum operum » ?
3. Analysez les formes verbales « deportari » et « damnari ».
4. Analysez les formes verbales « pollicentis » et « molientium ».

àð => Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre.


Traduction du texte

Consignes de travail

P15 Ce texte constitue le sujet de votre devoir n°6. Vous devrez donc le travailler à l'aide du vocabulaire et de la traduction élaborée ci-joints. La traduction juxtalinéaire vous sera donnée dans le corrigé du devoir, de même que les éléments d'un commentaire construit.

Notes de grammaire et de vocabulaire

damnosus, a, um : dépensier ; coûteux
usque (+ acc.) : jusqu’à
transitorius, a, um : qui sert de passage
absumo, is, ere, sumpsi, sumptum : faire disparaître, ruiner
restituo, is, ere, tui, tutum : remettre en place, réparer, restaurer
cultus, us, m : raffinement, luxe, élégance
sufficio, is, ere, feci, fectum : suffire, être suffisant (pour + inf.)
laxitas, atis, f : étendue, espace libre
miliarius, a, um : qui contient le nombre de mille
porticus, us, f : galerie, passage couvert, portique
stagnum, i, n : étendue d’eau, lac
instar (indécl) : équivalent, aussi grand que (+ gén.)
circumsaepio, is, ire, saepsi, saeptum : entourer, enclore
species, ei, f : aspect, apparence ; la préposition « ad » exprime ici le but poursuivi
rus, ruris, n : campagne
insuper (adv.) : en plus, par-dessus
arvum, i, n : terre labourée, champ
pascuum, i, n : pâturage
pecus, udis, f : animal domestique, bétail
cuncti, ae, a : tout
lino, is, ere, ivi, itum : couvrir
distingo, is, ere, tinxi, tintum : nuancer, varier, diversifier
unio, onis, f : grosse perle
cenatio, onis, f : salle à manger
laqueatus, a, um : lambrissé
eburneus, a, um : fait d’ivoire
versatilis, is, e : qui tourne, mobile
fistulatus, a, um : muni de tuyaux, de tubes
desuper (adv) : d’en haut, de dessus
spargo, is, ere, si, sum : répandre, semer
praecipuus, a, um : principal, plus important
vice (+ gén.) : comme, en guise de
circumago, is, ere, egi, actum : faire tourner
dedico, as, are : inaugurer
absolutus, a, um : achevé, complet
hactenus (adv.): jusqu’à ce point, seulement
comprobo, as, are : approuver, faire l’éloge de
praererea (adv.) : en outre
incoho, as, are : entreprendre, commencer
contego, is, ere, texi, tectum : couvrir
quisquis, quidquid (indéf.) : tout ce qui, n’importe quel
fossa, ae, f : fossé, canal
commeo, as, are : aller dans un sens ou un autre, circuler
perficio, is, ere, feci, fectum : réussir, achever
gratia (+ gén.) : à cause de, en vue de, pour
ubique (adv.) : partout
custodia, ae, f : détention, prison
opus, eris, n : œuvre, travail ; ici, travaux forcés
praecipio, is, ere : prescrire, ordonner
damno, as, are : condamner
super (+ acc.) : outre
fiducia, ae, f : confiance, assurance
repentinus, a, um : soudain, imprévu
reconditus, a, um : caché, secret
compertus, a, um : reconnu pour vrai, certain
polliceor, eris, eri, pollicitus sum : promettre
gaza, ae, f : trésor, richesses
specus, us, m : caverne, grotte
abdo, is, ere, didi, ditum : écarter, éloigner ; cacher, enfouir
eruo, is, ere, rui, rutum : déterrer, découvrir
molior, iris, iri, itus sum : faire des efforts, tenter, entreprendre

Traduction élaborée
Ce fut surtout dans ses constructions qu'il se montra dissipateur. Il étendit son palais depuis le mont Palatin jusqu'à l’Esquilin. Il l'appela d'abord "le Passage". Mais, le feu l'ayant consumé, il le rebâtit, et l'appela "la Maison dorée". Pour en faire connaître l'étendue et la magnificence, il suffira de dire que, dans le vestibule, la statue colossale de Néron s'élevait de cent vingt pieds de haut ; que les portiques à trois rangs de colonnes avaient un mille de longueur ; qu'il renfermait une pièce d'eau, semblable à une mer bordée d'édifices qui paraissaient former autant de villes; qu'on y voyait des champs de blé, des vignobles, des pâturages, des forêts peuplées de troupeaux et d'animaux sauvages de toute espèce. Dans les diverses parties de l'édifice, tout était doré et enrichi de pierreries et de coquillages à grosses perles. Les salles à manger avaient pour plafonds des tablettes d'ivoire mobiles, qui, par différents tuyaux, répandaient sur les convives des parfums et des fleurs. La principale pièce était ronde, et jour et nuit elle tournait sans relâche pour imiter le mouvement du monde. Les bains étaient alimentés par les eaux de la mer et par celles d'Albula. Lorsqu’ après l'avoir achevé, Néron inaugura son palais, tout l'éloge qu'il en fit se réduisit à ces mots : "Je commence enfin à être logé comme un homme." Il voulut construire un bain couvert depuis Misène jusqu'au lac Averne, l'entourer de portiques, et y faire entrer toutes les eaux thermales de Baïes. Il commença aussi un canal, depuis l'Averne jusqu'à Ostie, dans un espace de cent soixante milles, pour dispenser d'aller par mer. Ce canal devait avoir une telle largeur que deux galères à cinq rangs de rames pussent s'y croiser. Pour achever de pareils ouvrages, il fit transporter en Italie tous les détenus, et ordonna que les criminels ne fussent condamnés qu'aux travaux. Outre la confiance qu'il avait en son pouvoir, ce qui encourageait cette fureur de dépenses, c'était l'espoir qu'il conçut tout à coup de s'emparer de richesses immenses et cachées. Car un chevalier romain lui avait assuré qu'il trouverait d'anciens trésors en Afrique, dans de vastes cavernes où la reine Didon les avait enfouis en s'éloignant de Tyr, et qu'il en coûterait fort peu de peine pour les retirer.
 

P15 Pistes pour le commentaire 
Notez bien : comme le commentaire de ce texte figure dans le sujet du devoir n°2, il ne vous sera donné ici que des pistes de recherche. À vous de les construire, de les développer, et de trouver dans le texte les citations latines à exploiter.

1. Par quels procédés d'écriture Suétone essaie-t-il de faire imaginer au lecteur la démesure de la Domus Aurea ?

P14 Pistes à exploiter 
( La longueur et la construction grammaticale des phrases : énumérations, juxtapositions, abondance des conjonctions « et » et « ac », phrases nominales dans lesquelles le verbe n'est pas répété...
( Des chiffres et mesures précis ;
( Des procédés d'insistance : accumulations, subordonnées de conséquence, reprises anaphoriques...
( Des comparaisons frappantes.

2. quels indices voit-on que Néron a perdu toute conscience de son humanité à ce moment de son règne ?

P14 Pistes à exploiter 
( La volonté irrationnelle de « reconstituer » l'univers entier dans son seul palais, et de maîtriser la nature ;
( L'inhumanité dont il fait preuve en exploitant à son profit les condamnés ;
( La perte de sa lucidité, sa crédulité, qui lui fait penser qu'il va utiliser un argent « mythique » pour entrer lui aussi dans la mythologie de Rome ; rechercher et commenter le sens du mot « furor » ;
( L'opposition choquante entre la démesure, la richesse de son palais, et la parole retenue par Suétone ; commenter « quasi hominem ».


Placer ici le document 6 : la Domus Aurea

Source : AKG-images ; réf.5 IT-R1-F102- 1980








Vue de l'une des salles de la Domus Aurea. Ce document donne une idée des innovations architecturales et esthétiques commandées par Néron pour ce palais, et que l'on retrouve dans des dimensions plus modestes dans la villa qu'il fit construire pour Poppée à Oplontis, en Campanie, ou dans certaines riches villas de Pompéi. On remarque ici, outre la hauteur des salles, l'emploi nouveau dans l'architecture romaine des plafonds en voûte, et la généralisation du trompe-l'œil dans les peintures murales. Le trompe-l'œil fait partie intégrante de l'esthétique voulue par Néron : il s'agit, comme dans les jardins ou la création du lac artificiel, d'imiter et d'égaler la nature par l'art, de créer l'illusion, un décor théâtralisé dans lequel « mettre en scène » la beauté. On voit ici que la fresque figure plusieurs étages successifs, de fausses colonnes, de faux tableaux encadrés, des draperies, des ouvertures vers un extérieur factice ; et il faut imaginer que le faux alternait ici avec le vrai : de vraies portes dissimulées, de vraies fenêtres offrant le même paysage que le paysage peint. La confusion et le dépassement du naturel par l'artificiel est l'une des constantes de l'esthétique décadente.

P1 Documents complémentaires

Pour une visite virtuelle de la Domus Aurea, qui reconstitue les transformations du lieu jusqu'à nos jours, rendez-vous sur youtube et tapez les mots : Rome Domus aurea.
Un reportage sur les fouilles archéologiques menées actuellement sur le site est également accessible sur youtube. Tapez les mots clés : euronews science le palais de Néron à Rome bientôt ouvert.


C. Prolongement culturel : Pétrone, Satiricon – Suétone, Caligula

P18 Texte complémentaire

Pétrone. Satiricon.
Le Satiricon est un roman satirique attribué, de façon aujourd'hui contestée, à l'auteur latin Pétrone, contemporain de Néron. Il se déroule dans la Rome de la fin du 1er siècle apr. J.-C., dont il décrit les milieux marginaux et débauchés. Le récit conte les aventures de deux jeunes homosexuels, Encolpe et Ascylte, ainsi que du jeune amant du premier, l'adolescent Giton. Encolpe a été frappé d'impuissance par le dieu Priape alors que son ami et rival, Ascylte, convoite l'amour de Giton. Au cours de leur errance, ils sont invités à un splendide festin organisé par un riche affranchi, Trimalcion. Cet extrait décrit les fastes du repas offert par ce nouveau riche à ses nombreux convives. Les thèmes décadents sont ici bien présents, en particulier l'absence de mesure, l'excès de raffinement et la mise en scène artificielle du naturel.
XXXV. À l'élégie succéda le second service, dont en vérité la splendeur ne fut pas selon notre attente. Sa nouveauté pourtant attira tous les regards. C'était un surtout en forme de globe, représentant les douze signes du Zodiaque rangés en cercle. Par-dessus chaque signe, le maître d'hôtel avait placé le mets analogue et correspondant : sur le Bélier, des pois chiches cornus ; sur le Taureau, une pièce de bœuf ; sur les Gémeaux, des testicules et des rognons; sur l'Écrevisse, une couronne; sur le Lion, des figues d'Afrique; sur la Vierge, une matrice de jeune truie ; sur la Balance, deux bassins couverts, l'un d'une tourte, l'autre d'un gâteau ; sur le Scorpion, un petit poisson de mer de ce nom ; sur le Sagittaire, un lièvre ; sur le Capricorne, une langouste ; sur le Verseau, une oie ; sur les Poissons, deux surmulets. Au centre, une touffe de gazon ciselée se couronnait d'un rayon de miel. Un esclave égyptien portait à la ronde du pain dans un petit four d'argent, en tirant de son rauque gosier un hymne en l'honneur de je ne sais quelle infusion de laser et de vin. Comme nous abordions assez tristement de si pauvres mets : - Croyez-moi, dit Trimalchion, faisons honneur au souper : c'est là le fin de notre affaire.
XXXVI. Dès qu'il eut dit, nouvelle symphonie : quatre danseurs accourent, et la partie supérieure du globe est enlevée par eux. Cela fait, nous vîmes au-dessous, à savoir comme nouveau service, des volailles grasses, des tétines de truie, et un lièvre au milieu, décoré d'une paire d'ailes pour figurer Pégase. Nous remarquâmes aux angles du surtout quatre satyres. De leurs cornemuses jaillissait une sauce de garum poivré, sur des poissons qui nageaient dans cet autre Euripe. Tout éclate en applaudissements, à commencer par les valets, et l'on attaque gaiement des mets d'un choix aussi exquis. Trimalchion ne fut pas moins charmé que nous de la surprise : - Coupez ! s'écria-t-il. Aussitôt s'avance l'écuyer tranchant ; et, mesurant ses gestes sur l'orchestre, il va déchiquetant les morceaux de telle sorte, qu'on eût dit un conducteur de chars qui court dans la lice aux sons de l'orgue hydraulique. Cependant Trimalchion disait toujours en radoucissant sa voix : - Coupez ! coupez !
XL. Bravo ! s'écrie-t-on tout d'une voix ; et, les bras levés vers le plafond, nous jurons qu'Hipparque et Aratus n'étaient pas comparables à notre hôte. Cela dura jusqu'à l'arrivée des officiers de table, qui étendirent sur nos lits des tapis où étaient figurés en broderie des filets, et des piqueurs armés d'épieux, et tout l'équipage d'une chasse. Nous ne savions encore où porter nos conjectures, lorsqu'en dehors de la salle de grands cris s'élèvent, et tout à coup des chiens de Laconie s'en viennent courir autour de la table. Ils étaient suivis d'un plateau où gisait un sanglier de première grandeur, coiffé du bonnet d'affranchi, et portant accrochées à ses défenses deux petites corbeilles tissues de feuilles de palmier, l'une remplie de dattes de Syrie, l'autre de dattes de la Thébaïde. Il était entouré de marcassins en pâte cuite qui semblaient chercher la mamelle et dire : Prenez que ceci est une laie ; les convives qui les eurent purent les emporter. Du reste, pour dépecer cette pièce, ce ne fut point Coupez, l'écuyer tranchant des volailles, qui fut appelé, mais une espèce de géant barbu, ceint d'un tablier qui lui allait aux genoux, affublé du costume bariolé et muni du couteau de chasseur. Il tire son arme, en donne un coup furieux dans le flanc de l'animal ; et de la plaie qu'il ouvre part un essaim de grives. Des oiseleurs, apostés avec leurs baguettes, les épient dans leur vol autour de la salle, et en un moment les rattrapent. Puis, en ayant fait remettre une à chacun de nous, Trimalchion ajouta : - Maintenant voyez si ce porc sauvage a mangé tout le gland. Aussitôt les valets s'approchent des corbeilles suspendues aux défenses, et les deux espèces de dattes sont en nombre égal distribuées aux convives.

Traduction de M.Nisard (1842)



Suétone, Caligula. XXII.

Dans sa biographie consacrée à Caligula, Suétone évoque aussi les tendances à l'hybris de l'oncle
maternel de Néron. Caligula est convaincu d'être une divinité vivante, et se comporte comme tel.

J'ai parlé jusqu'ici d'un prince; je vais parler d'un monstre. Chargé d'une foule de surnoms, tels que le pieux, l'enfant des armées, le père des soldats, le très bon, le très grand, après un souper qu'il avait donné à des rois venus à Rome pour lui rendre leurs devoirs, il les entendit se disputer entre eux sur la noblesse de leur origine, et s'écria en grec : "Qu'il n'y ait qu'un seul maître, qu'un seul roi". Et il s'en fallut de peu qu'il ne prît aussitôt le diadème et ne convertît l'apparence du principat en insignes de la royauté. Mais, comme on l'avertit qu'il avait surpassé la grandeur des princes et des rois, il commença à s'attribuer la majesté divine. Il fit venir de Grèce les statues des dieux les plus célèbres par leur perfection ou par le respect des peuples, entre autres celle de Jupiter Olympien. Il leur ôta la tête et y fit substituer la sienne. Il prolongea jusqu'au Forum une aile de son palais, et transforma en vestibule le temple de Castor et Pollux. Souvent il venait se placer entre ces deux frères et s'offrait aux adorations de ceux qui entraient. Quelques-uns le saluèrent du nom de Jupiter Latial. Il institua pour sa divinité un temple spécial, des prêtres et les victimes les plus recherchées. Il y avait dans ce temple une statue d'or faite d'après nature, que chaque jour on habillait comme lui. Les plus riches briguaient avidement ce sacerdoce, et ils enchérissaient à l'envi les uns sur les autres. Les victimes étaient des flamants, des paons, des tétras, des poules d'Afrique, des pintades et des faisans, qu'on sacrifiait chaque jour, selon le rang établi entre les espèces. La nuit, Caligula invitait la lune, lorsqu'elle brillait dans son plein, à venir l'embrasser et à partager sa couche. Le jour, il s'entretenait secrètement avec Jupiter Capitolin, tantôt lui parlant à l'oreille et feignant d'écouter ses réponses, tantôt élevant la voix et se brouillant avec lui; car on l'entendit un jour le braver en ces termes : "Ou tu m'enlèveras, ou je t'enlèverai"; enfin selon son expression, il se laissa fléchir ; et, invité par Jupiter à venir loger chez lui, il établit un pont par-dessus le temple d'Auguste, du mont Palatin jusqu'au Capitole. Bientôt, pour être encore plus voisin, il fit jeter les fondements d'un nouveau palais sur la place même du Capitole.

Traduction de M.Cabaret-Dupaty (1893)
 
D. Entraînement à l'examen

P15 Exercice autocorrectif n°2 : comparaison de traductions
Comparez les deux traductions de l’extrait ci-dessous.

Extrait :
[XXVI] Petulantiam, libidinem, luxuriam, avaritiam, crudelitam sensim quidem primo et occulte et velut juvenili errore exercuit, sed ut tunc quoque dubium nemini foret naturae illa vitia, non aetatis esse.

Traduction n°1 : T. Baudement (1858).
Il ne se livra d'abord que par degrés et en secret à la fougue de ses passions,à la débauche, au goût du luxe, à l'avarice, à la cruauté, que l'on voulut faire passer pour des erreurs de jeunesse ; mais personne, même alors, ne douta que ce ne fussent plutôt les vices de son caractère que de son âge.

Traduction n°2 : P. Klossowski (2010).
Il ne donna que graduellement des preuves d'insolence, de débauche, de luxure, de cupidité et de cruauté, et d'abord secrètement et de façon à faire croire à des écarts de jeunesse, mais déjà il ne faisait de doute pour personne que pareils vices ne procédaient point du jeune âge, mais du fond même de sa nature.
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P18 Lecture cursive bilingue

Scènes de débauche. § XXVIII.XXIX.

Puerum Sporum exsectis testibus etiam in muliebrem naturam transfigurare conatus cum dote et flammeo per sollemnia nuptiarum celeberrimo officio deductum ad se pro uxore habuit ; Après avoir fait émasculer un jeune garçon nommé Sporus, prétendant même le transformer en vraie femme, il se le fit amener avec dot et voile nuptial, en grand cortège, selon le cérémonial des mariages, et le traita comme une épouse ;exstatque cujusdam non inscitus jocus bene agi potuisse cum rebus humanis, si Domitius pater talem habuisset uxorem. cela inspira à quelqu'un cette plaisanterie assez spirituelle : si Domitius son père avait pris une telle femme, quel bonheur c’eût été pour l'humanité !Hunc Sporum, Augustarum ornamentis excultum lecticaque vectum, et circa conventus mercatusque Graeciae ac mox Romae circa Sigillaria comitatus est identidem exosculans.
Ce Sporus, paré des ornements d'une impératrice et porté en litière, l'accompagna en Grèce dans les assemblées judiciaires et les marchés, et bientôt à Rome même pendant les Sigillaires, et Néron le couvrait à tout instant de baisers.Nam matris concubitum appetisse et ab obtrectatoribus ejus, ne ferox atque impotens mulier et hoc genere gratiae praevaleret, deterritum nemo dubitavit, utique postquam meretricem, quam fama erat Agrippinae simillimam, inter concubinas recepit.
Il souhaita même posséder sa mère, et en fut dissuadé par les ennemis d'Agrippine, qui craignaient de voir cette femme féroce et avide de pouvoir gagner trop d'influence grâce à ce genre de faveur ; personne ne douta de cela, surtout lorsqu'il reçut parmi ses concubines une prostituée bien connue pour sa ressemblance frappante avec Agrippine.Olim etiam quotiens lectica cum matre veheretur, libidinatum inceste ac maculis vestis proditum affirmant.
On affirme même que jadis, chaque fois qu'il se faisait transporter en litière avec sa mère, son désir incestueux était dénoncé par des taches sur ses vêtements.Suam quidem pudicitiam usque adeo prostituit, ut contaminatis paene omnibus membris novissime quasi genus lusus excogitaret, quo ferae pelle contectus emitteretur e cavea virorumque ac feminarum ad stipitem deligatorum inguina invaderet et, cum affatim desaevisset, conficeretur a Doryphoro liberto;
Lui-même prostitua sa pudeur à un tel point qu'après avoir souillé presque toutes les parties de son corps, il imagina une nouvelle sorte de jeu, dans lequel couvert d'une peau de fauve, il s'élançait d'une cage et se ruait sur les parties sexuelles d'hommes et de femmes liés à un poteau, et lorsqu'il avait assouvi sa lubricité, se livrait à son affranchi Doryphore ;cui etiam, sicut ipsi Sporus, ita ipse denupsit, voces quoque et hejulatus vim patientium virginum imitatus.
il se fit même épouser par cet affranchi comme lui-même avait épousé Sporus, allant jusqu'à imiter les cris et les gémissements des vierges qui subissent violence.Ex nonnullis comperi persuasissimum habuisse eum « neminem hominem pudicum aut ulla corporis parte purum esse, verum plerosque dissimulare vitium et callide optegere », ideoque professis apud se obscenitatem cetera quoque concessisse delicta.
J'ai appris de plusieurs personnes qu'il était absolument persuadé que « nul homme n'était pudique ni pur en aucune partie de son corps, mais que la plupart dissimulaient ce vice et le cachaient habilement » ; c'est pourquoi il pardonnait tous leurs autres délits à ceux qui lui avouaient ouvertement leur obscénité.

P15 Exercice autocorrectif n°3

En quoi ce passage montre-t-il que Néron s'acharne à transgresser les limites de la morale humaine ?

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Corrigés des exercices

P14 Corrigé de l'exercice n°1
1. La forme « in aedificando » est un gérondif décliné à l'ablatif singulier. Le gérondif est une forme verbale qui permet de donner à l'infinitif d'un verbe une déclinaison complète. Décliné à l'ablatif, il a donc la fonction d'un complément circonstanciel ; on le traduira littéralement par « dans le fait de construire », et il est dans la phrase sur le même plan grammatical que « in alia re ». « Impendiorum » est une forme de gérondif au génitif pluriel. Il est complément du nom « furorem » ; une traduction littérale serait : « la folie de dépenser ».
Lorsque le gérondif est doté d'un COD, il s'accorde en genre et en nombre avec ce COD, et il lui donne son cas grammatical. Comme il s'accorde désormais avec un nom, on l'appelle adjectif verbal.C'est le cas pour « perficiendorum ». « Perficiendorum » a pour COD « quorum operum » ; il est au génitif car introduit par la préposition « gratia » (+ génitif) qui exprime le but ; on traduira donc l'expression par : « pour achever de tels travaux ».
2. Les pronoms relatifs cités sont ici des relatifs de liaison. On trouve le relatif de liaison en tête de phrase, après une ponctuation forte. Il sert à lier les deux phrases, d'où son nom, et on le traduit par un adjectif démonstratif, comme «  is, ea,id », précédé d'une conjonction de coordination. On traduira donc « de cujus spatio » comme si l'on avait « et de spatio ejus », et « quorum operum » comme « et eorum operum ».
3. « Deportari » et « damnari » sont des formes d'infinitif présent passif. Ils sont les verbes de deux propositions infinitives induites par le verbe « praeceperat ».
4. Les formes « pollicentis » et « molientium » sont deux participes présents. Le premier est décliné au génitif singulier, il est apposé et s'accorde au complément du nom « equitis R. » ; le second est au génitif pluriel, il est substantivé, c'est-à-dire qu'il a la fonction d'une forme nominale, et il est complément du nom « opera ».
On traduit le plus souvent le participe substantivé par l'expression « celui, ceux qui… »


P14 Corrigé de l'exercice n°2
Les vices de Néron ont donné lieu à des traductions différentes : « petulantia » est traduit par « fougue des passions » et par « insolence », plus péjoratif ; « luxuriam » par « goût du luxe » et par « luxure » ; « avaritiam » par « avarice » ou « cupidité ». Dans les trois cas, les deux sens sont attestés dans le dictionnaire, mais il s'agit là de partis pris qui modifient vraiment le sens donné au texte de Suétone.
La préposition « velut » qui signifie «comme, comme pour »  est plus exactement traduite dans la deuxième version par « de façon à faire croire », qui rend l'intention de Néron lui-même, alors que la première version laisse entendre une intervention extérieure.
La conjonction « ut » dans la proposition « ut … foret » exprime une conséquence : « de sorte qu'il ne fut douteux pour personne... », qui n'est rendue dans aucune des deux traductions.
Enfin, la construction « naturae illa vitia, non aetatis esse », formée d'un sujet, « illa vitia » + sum + un complément au génitif, est un emploi particulier du génitif comme un attribut, qui signifie « être le propre de », ou « être le rôle, le devoir de ».
La traduction de Pierre Klossowski accentue donc nettement les défauts de Néron dans l’énumération de ses vices et en le présentant comme un manipulateur.

P14 Corrigé de l'exercice n°3
Néron cherche d'abord à maîtriser les lois de la nature, en transformant la nature des êtres : les hommes en femmes, les hommes en bêtes. Il inverse les sexes, en faisant émasculer le jeune Sporus et en le traitant comme une épouse, puis en devenant lui-même « l'épouse » de son affranchi : « ita ipse denupsit ». Il se transforme aussi lui-même en fauve de cirque (« ferae pelle contectus »), pour se satisfaire sur des êtres des deux sexes. La modification de la nature passe aussi par l'artifice, la mise en scène, la théâtralité qui accompagne chacun de ses caprices : il reconstitue le déroulement d'une cérémonie de mariage («per sollemnia nuptiarum »), d'un supplice de cirque, il imite les cris des vierges violées. Tout se déroule toujours sur le mode du « jeu » : voir les termes « lusus », « limitatus » ; mais ce jeu implique la souffrance d'autrui, dont il tire aussi son plaisir.
Le dépassement de la morale humaine passe aussi par la transgression des interdits : l'interdit de l'inceste, dont il manifeste les preuves dans des circonstances publiques comme le transport en litière ; l'interdit de l'homosexualité, qu'il officialise en détournant les rituels sacrés du mariage et du pouvoir impérial, puisqu'il donne à Sporus les attributs d'une « impératrice » : « Augustarum ornamentis » (noter que le mot « augustus » a en latin un sens religieux, il exprime le caractère sacré du prince ; ce que fait Néron est donc, tout à fait sacrilège pour un Romain) ; enfin, il souille aussi son propre corps, qui est sensé incarner Rome dans sa suprématie et son caractère sacré, et dont Suétone dit qu'il le « prostitue » (« suam pudicitiam prostituit »), et le livre à d'anciens esclaves.
Pour finir, Néron ne conçoit même plus qu'une morale puisse exister pour les autres. Il tire de son propre comportement une vérité générale (voir la citation entre guillemets : « neminem hominem... »), et entend modifier moralement les autres en les corrompant.

Remarque : Beaucoup d’historiens contemporains interprètent le comportement et la politique de Néron à l’éclairage de sa fascination pour l’Orient dont la Grèce fait pait partie. d’un Néron, fasciné pa l’Orient. Ainsi, Donatien Grau, professeur à Paris-Sorbonne explique que « la Maison d'Or présente par son gigantisme et sa splendeur un caractère typiquement oriental, pour un esprit romain. Ses jardins luxuriants, en particulier, témoignent d'un art de vivre bien éloigné de la frugalité et de l'esprit vieux-romains. […] Cela rejoint un des autres éléments de cet orientalisme culturel : la débauche, qui a été interprétée comme une marque de sur-humanité. Néron, en bravant les interdits, en se détournant de la morale, affirmerait qu'il est radicalement autre, radicalement supérieur aux autres. L'assassinat dont il est présenté comme l'auteur serait une marque de l' « amoralisme de Néron » (G. Charles-Picard), qui se manifesterait aussi par les performances théâtrales du prince, qui auraient pour fonction de montrer qu'il est au-dessus des hommes, qu'il peut dominer le mépris qu'éprouvent les Romains envers les acteurs et les forcer à approuver ce qu'ils haïssent, parce que c'est lui qui l'accomplit ; de là découle une interprétation possible des Augustians, qui seraient la manifestation d'une contrainte imposée à l'aristocratie par Néron, contrainte de changer de valeurs, de passer de Rome à l'Orient. Les Iuuenalia, célébrées en 59, fêtes en l'honneur de la Jeunesse, cérémonies religieuses devenues scènes de débauche, seraient le prodrome de ces mutations profondes et le symbole d'une civilisation « rajeunie », littéralement, « rajeunie » en échappant aux règles d'une morale ancienne et vieillie. Ce rajeunissement de la culture passe aussi par un rajeunissement de l'art, rajeunissement profondément lié à l'Orient, dans un monde dont il apparaît comme l'origine : le prince est représenté dans ses portraits comme jeune, ses portraits qui sont inspirés très nettement de l'art oriental, notamment égyptien. La littérature elle-même se montre en mouvement, chez Lucain comme chez Pétrone, sous la forme du « baroque ».












Bilan de séquence


Nous avons pu voir dans cette séquence que l'écriture de Suétone, par sa concision, son absence d'ornements stylistiques et de jugements explicites, conservait une forme d'objectivité et se caractérisait par une documentation réelle.
Mais cette œuvre ne se démarque pas autant qu'il pourrait le paraître à première lecture des ouvrages historiques à visée moraliste produits par ses prédécesseurs. En effet, ce que décrit Suétone sans le commenter et sans l'ordonner comme une argumentation, c'est comment le pouvoir impérial évolue vers une personnalisation et une divinisation qui lui font trahir les fondements de la morale romaine traditionnelle, comment le prince fait accepter au peuple cette évolution, soit par la peur, soit par des mesures populistes, et il pointe sans les nommer les grands ennemis de la morale romaine : la Grèce et le raffinement de la culture hellénistique qui attire de nombreux patriciens Romains, l'Orient et son culte de la personne royale, le luxe comme un facteur d'amollissement moral, le pouvoir absolu d'un seul homme, que craignait tant la Rome républicaine. La notion de décadence est très relative car elle se construit toujours par rapport à des valeurs spécifiques à chaque culture: ce qui est « civilisé » ou dans la norme en Grèce ou en Égypte pourra être perçu comme décadent à Rome..
Si l'on relit attentivement la biographie de Néron écrite par Suétone, on verra qu'une grande partie des griefs qui lui sont imputés concerne le plus souvent son amour excessif de l'art qui lui fait négliger ses devoirs impériaux, son absence de mesure, de modération, son attachement aux rites et à la culture de la Grèce. Néron n'est pas un empereur « romain », pas plus que son oncle Caligula. C'est en cela qu'il est, pour un lecteur latin, plus décadent qu'un Auguste ou un Claude, dont Suétone rapporte pourtant aussi les excès, les dépenses, les débauches ou les manœuvres politiques. Et c'est sur ce point que les historiens modernes ont tenté une « réhabilitation » de Néron, en dissociant tout ce qui relevait de sa gestion réelle de l’État des rumeurs, ou des vices dont étaient affligés aussi d'autres empereurs plus épargnés par la postérité.
En outre, Suétone écrit sur des empereurs, pour des empereurs. La dynastie impériale pour laquelle il travaille, les Flaviens, a certes changé, mais pas les excès du régime impérial lui-même. La neutralité de son style donne la base d'une réflexion qu'il laisse à l'initiative de ses lecteurs. Il fournit la documentation, l'érudition, sans paraître « trier » son propos. Au lecteur d'en déduire une lecture politique et morale.
L'écriture de Suétone est donc une écriture de la décadence en ceci qu'elle fait apparaître en filigrane tout ce qui, pour un lecteur romain qui possède les valeurs et les préjugés de son temps, constitue « l'idée » de décadence.
Cette œuvre pose aussi les bases d'un genre, celui de la biographie historique, qui envisage l'histoire à travers un personnage précis, et qui, au lieu d'étudier les faits dans leur causalité politique, sociale ou économique, les restitue dans la logique et la subjectivité d'un seul protagoniste. On a vu comment Tacite multiplie, pour rapporter l'assassinat d'Agrippine, les points de vue et les personnages impliqués, alors que Suétone borne sa narration à ce que décide et fait Néron. En tant que genre narratif, la biographie historique ne permet pas une analyse approfondie des événements : elle raconte une vie, elle n'étudie pas une période de l'Histoire. Il est donc tentant de réduire le texte de Suétone à une somme d'anecdotes. Mais les auteurs antiques ne doivent pas être soupçonnés de simplicité excessive ; comme, plus tard, leurs successeurs des XVIIe ou XVIIIe siècles français, ils écrivent sous des régimes autoritaires où la critique doit se masquer pour s'exprimer et où l’œuvre littéraire obéit souvent à une commande ou à un désir d’État. Un texte narratif a souvent une visée argumentative, et une écriture « neutre » est un bon procédé pour mettre en valeur le caractère scandaleux de ce qui est raconté.


P21 Attention !

Vous pouvez à présent réaliser le devoir n°6. Afin de vous entraîner au mieux aux épreuves du baccalauréat, vous avez à réaliser, au choix, un devoir écrit ou un devoir oral sous forme numérique. Ce devoir porte sur le texte n°3 de cette séquence.




Fiche grammaire

L'ablatif absolu et les fonctions du participe


A. Les fonctions du participe

La langue latine emploie trois participes : présent, futur et parfait.
Le participe présent exprime une action ou une circonstance qui se passent en même temps que l'action exprimée par le verbe conjugué de la phrase.
Le participe futur exprime un futur proche, une intention ou une fatalité.
Le participe parfait indique une circonstance antérieure à celle exprimée par le verbe conjugué de la phrase.

À noter : le participe peut s'employer comme un adjectif ou un nom  On dit alors qu'il est substantivé.
Exemple : spectantes : les spectateurs ; audentes : les audacieux.

Le participe peut être l'épithète ou l'apposition d'un nom ; il s'accorde alors en genre, nombre et
cas avec ce nom, qui n'est pas toujours exprimé.
Exemples :
Laborans, beatus sum. En travaillant, je suis heureux.
Audio eum clamantem. Je l'entends crier.
Discipulo interroganti magister respondit. Le maître a répondu à l'élève qui l'interrogeait.

On peut noter que le participe parfait apposé marque la succession de deux actions, et est donc souvent traduit en français par un complément circonstanciel.
Exemple : Hostes victos Caesar pepercit. Après avoir vaincu ses ennemis, César les épargna.

Le participe peut aussi s'employer dans une proposition participiale. Il a alors son propre sujet, des compléments, et une fonction circonstancielle. En latin, le sujet et le participe sont dans ce cas à l'ablatif, et on parle d'ablatif absolu.


B. L'ablatif absolu

Voici deux phrases comportant un ablatif absolu :
Hostes victos Caesar pepercit. Après avoir vaincu ses ennemis, César les épargna.
Hostibus victis, Caesar pepercit. Après avoir vaincu ses ennemis, César les épargna.

Vous remarquez que ces deux exemples donnés successivement ont la même traduction.
Mais dans le premier, le mot « hostes » est le COD à l'accusatif de « pepercit », et « victos » s'accorde à l’accusatif pluriel avec « hostes » ; il est donc épithète.
Tandis que dans le second, « hostibus victis » forme un groupe autonome à l'ablatif ; « hostibus » n'a pas de fonction par rapport au verbe « pepercit », il est juste le sujet du participe parfait passif « victis » ; et le cas de l'ablatif indique que le groupe a une fonction circonstancielle ; littéralement : « les ennemis ayant été vaincus ».

Mais la traduction littérale de l'ablatif absolu est rarement conservée. On lui préfère une subordonnée circonstancielle :

de temps : Urbe capta, cives non parsi sunt.
Après la prise de la ville, les citoyens ne furent pas épargnés.
de cause : Nuntiato Romano exercitu, hostes fugerunt.
Comme on avait annoncé l'armée romaine, les ennemis s'enfuirent.
de concession : Nuntiato Romano exercitu, hostes non fugerunt.
Bien que l'on eût annoncé l'armée romaine, les ennemis ne s'enfuirent pas.
de condition : Nuntiato Romano exercitu, hostes fugissent.
Si l'on avait annoncé l'armée romaine, les ennemis auraient fui.

À noter : comme le verbe « esse » n'a pas de participe présent, il est sous-entendu dans des ablatifs absolus qui ne comportent qu'un sujet et un attribut à l'ablatif.
Ex : Cicerone consule : Cicéron consul = sous le consulat de Cicéron


P15 Exercice autocorrectif n° 1
Traduire, puis transformer dans les phrases suivantes les subordonnées circonstancielles en ablatifs absolus.

Postquam fratrem Remum interfecit, Romulus rex fuit.
Ut murum fregerunt, Poeni in oppidum intrare potuerunt.
Bruto, quia reges e Roma pepulerat, populus imperium dedit.


P15 Exercice autocorrectif n° 2
Traduire les phrases suivantes, en variant les solutions.

Oppido capto, milites neminem interfecerunt.
Tot libris lectis, multas res cognosces.
Longa oratione habita, nihil agis.
Equo interfecto, duas horas per agros erravi.



















Fiche grammaire

Le gérondif et l’adjectif verbal



1. Le gérondif est une forme verbale qui permet de donner une déclinaison complète à l'infinitif présent qui, tel quel, ne peut être dans une phrase que sujet ou COD.

Exemple : Errare humanum est (il est humain de se tromper)
S
Legere volo (je veux lire)
COD

Mais comment exprimer « le désir de lire », ou « je suis venu pour lire »?...
c.du nom c.de but

Le gérondif va permettre au verbe de se décliner, au génitif, datif ou ablatif.
Accusatif précédé de « ad »
Exemple : ad legendum veni (je suis venu pour lire)
Génitif
Exemple  cupidus est legendi (il est désireux de lire)
Datif (très rare, complément de certains verbes et adjectifs)
Exemple : legendo adfuerunt (ils assistèrent au fait de lire => à la lecture)
Ablatif : complément de moyen, de cause, de manière :
Exemple  legendo doctior eris (tu seras plus savant en lisant).


2. Lorsque le gérondif doit avoir un COD dans la phrase (ex: il est désireux de lire une histoire), le latin n'admet pas la construction « cupidus est legendi historiam »; pour lui, « legendi historiam » constitue un même groupe fonctionnel; il doit donc s'accorder en genre, nombre, et cas :
=> cupidus legendae historiae.

La forme « legendae », qui s'accorde en genre, nombre et cas avec un nom, est appelée adjectif verbal.


3. Cas de l'adjectif verbal épithête ou attribut

L'adjectif verbal peut se construire avec le verbe « esse », ou bien être épithête d'un nom, comme tout adjectif. Il a alors un sens passif, et un sens d'obligation (legendus,a,um = devant être lu).

Exemple : adjectif verbal, attribut du sujet : delenda est Carthago (il faut détruire Carthage)
construction impersonnelle: pugnandum est (il faut combattre)

À noter : la personne concernée par l'obligation est exprimée au datif.
Exemple : mihi colenda est virtus (je dois pratiquer la vertu)


P15 Exercice autocorrectif n° 3

Donner le gérondif des verbes suivants :
sedeo, es, ere, sedi, sessum – ceno, as, are, avi, atum - pervenio, is, ire, veni - precor, aris, ari,atus sum - patior, eris, pati, passus sum - excipio, is, ere, cepi, ceptum.


P15 Exercice autocorrectif n° 4

Traduire en français
Le moment de travailler. (utilisez : tempus,oris,n; laboro,as,are)
L'espoir de parvenir aux honneurs suprêmes. (spes, ei, f; honos, oris, m; summus, a, um)
Le pouvoir de sauver la république. (potestas, atis, f; servo, as, are)
La décision de prendre les places fortes. (consilium, ii, n; oppidum, i, n)
L'art de bien parler. (ars, artis, f; loquor, eris, loqui, locutus sum)


P15 Exercice autocorrectif n° 5

Traduire
Nobis deis placendum est.
Tu dois chanter maintenant. (utilisez : cano, is, ere )
Optimus medicus patri tuo vocandus est.
Il vous faut prendre la décision la plus sage. (sapiens, ntis)
Omne malum in bonum sapienti viro vertendum est.
Ces nouvelles lois devaient être approuvées par le peuple. (probo, as, are, avi, atum)




Corrigés des exercices


P14 Corrigé de l'exercice n° 1
Après qu'il eut tué son frère Remus, Romulus devint roi.
Fratre Remo interfecto, Romulus rex fuit.
Lorsqu'ils brisèrent le mur, les Carthaginois purent pénétrer dans la place-forte.
Muro fracto, Poeni in oppidum intrare potuerunt.
Le peuple donna le pouvoir à Brutus, parce qu'il avait chassé les rois de Rome.
Bruto, regibus e Roma pulsis, populus imperium dedit.


P14 Corrigé de l'exercice n° 2

Subordonnée de temps : Après la prise de la place-forte, les soldats ne tuèrent personne.
ou de concession : Bien qu'ils aient pris la place-forte, les soldats ne tuèrent personne.

Subordonnée de cause :Parce que tu auras lu tant de livres, tu sauras beaucoup de choses.
ou de temps : Quand tu auras lu tant de livres, tu sauras beaucoup de choses.

Subordonnée de concession : Bien que tu aies tenu un long discours, tu ne fais rien.
ou de temps : Après avoir tenu un long discours, tu ne fais rien.

. Subordonnée de cause : Comme mon cheval avait été tué, j'ai erré deux heures à travers champs.
ou de temps : Après la mort de mon cheval, j'ai erré deux heures à travers champs.


P14 Corrigé de l'exercice n° 3
sedendum – cenandum – perveniendum – precandum – patiendum – excipiendum.


P14 Corrigé de l'exercice n° 4
Tempus laborandi
Spes perveniendi ad summos honores
Potestas servandae reipublicae
Consilium capiendorum oppidorum
Ars bene loquendi.

P14 Corrigé de l'exercice n° 5
Il nous faut plaire aux dieux.
Nunc tibi canendum est.
Ton père doit appeler le meilleur médecin.
Vobis sapientissimum consilium capiendum est.
Un homme sage doit changer tout le mal en bien.
Haec novae leges probandae populo erant.







Fiche vocabulaire

P11 Vocabulaire à retenir : les verbes de l'action et du pouvoir employés dans les textes étudiés


jubeo, es, ere, jussi, jussum : ordonner
sancio, is, ire, sanxi, sanctum : établir, prescrire
praecipio, is, ere : prescrire, ordonner
praesideo, es, ere, sedi : diriger, conduire

occido, is, ere, idi, isum : tuer
damno, as, are, avi, atum : condamner
dimitto, is, ere, misi, missum : chasser

instituo, is, ere, stitui, tutum : établir, adopter
concedo, is, ere, edi, esum : accorder, céder, permettre
comprobo, as, are, avi, atum : approuver, faire l’éloge de

exhibeo, es, ere, bui, bitum : présenter, produire
edo, is, ere, edidi, ditum : produire, faire voir
praebeo, es, ere, bui, bitum : offrir, présenter, fournir
dedico, as, are, avi, atum : dédier, consacrer ; inaugurer
consecro, as, are, avi, atum : vouer à une divinité, rendre sacré, mettre au rang des dieux

incoho, as, are, avi, atum : entreprendre, commencer
perficio, is, ere, feci, fectum : réussir, achever


























Devoirs
5 et 6































Devoir 05

Attention >

Important >
> Veuillez rédiger ce devoir après avoir étudié le chapitre 3 de la séquence 3.

Texte d'étude : Suétone. Extrait de la Vie de Néron.

Statura fuit prope justa, corpore maculoso et fetido, subflavo capillo, vultu pulchro magis quam venusto, oculis caesis et hebetioribus, cervice obesa, ventre projecto, gracillimis cruribus, valitudine prospera ; nam qui luxuriae immoderatissimae esset, ter omnino per quattuordecim annos languit, atque ita ut neque vino neque consuetudine reliqua abstineret; circa cultum habitumque adeo pudendus, ut comam semper in gradus formatam peregrinatione Achaica etiam pone verticem summiserit ac plerumque synthesinam indutus ligato circum collum sudario in publicum sine cinctu et discalciatus.Néron avait une taille ordinaire. Son corps était couvert de taches et malodorant, sa chevelure plutôt blonde, sa figure plus belle qu'agréable, ses yeux bleus et faibles, le cou fort, le ventre gros, les jambes grêles, le tempérament vigoureux ; en effet, malgré l'excès de ses débauches, il ne fut malade que trois fois en quatorze ans; encore ne le fut-il pas au point d'être obligé de s'abstenir de vin, ou de rien changer à ses habitudes. Il avait si peu de décence et de tenue, que, dans son voyage en Grèce, il laissa retomber derrière sa tête ses cheveux, qui d'ailleurs étaient toujours disposés en étages, et que souvent il parut en public vêtu d'une espèce de robe de chambre, un mouchoir autour du cou, sans ceinture ni chaussures.Liberalis disciplinas omnis fere puer attigit. Sed a philosophia eum mater avertit monens imperaturo contrariam esse ; a cognitione veterum oratorum Seneca praeceptor, quo diutius in admiratione sui detineret. Itaque ad poeticam pronus carmina libenter ac sine labore composuit nec, ut quidam putant, aliena pro suis edidit. Venere in manus meas pugillares libellique cum quibusdam notissimis versibus ipsius chirographo scriptis, ut facile appareret non tralatos aut dictante aliquo exceptos, sed plane quasi a cogitante atque generante exaratos ; ita multa et deleta et inducta et superscripta inerant. Habuit et pingendi fingendique non mediocre studium.Dès son enfance, il cultiva presque tous les arts. Sa mère l'éloigna de la philosophie qu'elle lui représentait comme nuisible à un empereur, et son maître Sénèque le détourna de l'étude des anciens orateurs, afin de fixer plus longtemps sur lui-même l'admiration de son disciple. Porté vers la poésie, il faisait des vers avec plaisir et sans travail. Il est faux, comme le croient quelques personnes, qu'il ait donné pour siens ceux d'autrui. J'ai entre les mains des tablettes et des écrits où se trouvent quelques vers de lui fort connus. Ils sont tracés de sa main, et l'on voit aisément qu'ils ne sont ni copiés, ni dictés, tant il y a de ratures, de mots effacés et intercalés. Il eut aussi beaucoup de goût pour la peinture et la sculpture.Maxime autem popularitate efferebatur, omnium aemulus, qui quoquo modo animum vulgi moverent. Exiit opinio post scaenicas coronas proximo lustro descensurum eum ad Olympia iABCáĤ„dG*9hE\¼5B* CJ0OJPJQJ\^J_HÿaJ0nHÿph°PtHÿ9hj%5B* CJ0OJPJQJ\^J_HÿaJ0nHÿph°PtHÿ?hj%hj%5B* CJ0OJPJQJ\^J_HÿaJ0nHÿph°PtHÿ?hj%hj%5B* CJHOJPJQJ\^J_HÿaJHnHÿph°PtHÿ?hj%hj%5B* CJ`OJPJQJ\^J_HÿaJ`nHÿph°PtHÿ9h5eL5B* CJ`OJPJQJ\^J_HÿaJ`nHÿph°PtHÿ&$d%d&d'd NÆOÆPÆQÆ gdG"zgdalyä æ ç ÷ ø 

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