mon portrait - Free
Je m'en corrige un peu aujourd'hui, et j'espere, moyennant Dieu, de rentrer ..... de
Lys Cleramboust, Vanosq, Cohasseau, Bayeux, La Richardiere, Grandoit, ...
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304
Nice 959
Rousseau 577, 687
Rome 596
Kirchberger 599, 750 Mort de Kirchberger 1000
Portrait de Tournier 599
Voyages 699
Choiseul 706
Neveu Rome 732
Paris (1797) 734 Retour à Paris (en 1797) 823
Départ dAmboise -> Paris 709
Swedenborg 789
Amboise (1797) 811, 812
Aurore naissante 1013
Cimetière dAmboise 1022, 1030
Garat 1091
Agent de Lyon 346
La vierge 393
Le spleen 1105, 1110
La prière 635, 626
Angleterre 704,
Pas faire de bruit 740
Retour à Petit Bourg 759
Relud 788
Nourrice 824
Mercier 988
1
J'ay eté gay; mais la gayté n'a eté qu'une nuance secondaire de mon caractere; ma couleur reelle a eté la douleur et la tristesse à cause de l'enormité du mal (Barruch. 2:18) et de mon profond desir pour la renaissance de l'homme. Aussi je ne suis gay que comme en passant, et parce que ne pouvant pas toujours traiter mes semblables, comme des hommes faits, je me sens porté à ne les traiter que comme des enfants, ce qui fait que je m'ennuye quand les gaytés sont trop longues, ou bien je deviens desagréable et dur par impatience, chose dont je me repents, et qui est très opposée à ma maniere d'etre.
2
Tous les hommes peuvent m'etre utiles, il n'y en a aucun qui puisse me suffire. Il me faut Dieu.
3
Mon plus grand charme eut eté de rencontrer des gens qui devinâssent les verités, car il n'y a que ces gens-là qui sont en vie.
4
Les mêmes personnes sont quelquefois revoltées de mon orgeuil et dans l'admiration de ma modestie; si ces personnes s'elevoient un peu plus haut, peut-être ne seroient-elles plus embarassées sur mon compte; car ce que je sens est plus beau que de l'orgeuil.
5
On ne m'a donné de corps qu'en projet.
6
II m'a fallu continuellement moissonner où on n'avoit point semé pour moi.
7
Il y a eu deux êtres dans le monde en presence desquels Dieu m'a aimé; aussi quoique l'un de ces deux êtres fût une femme, (ma B.) j'ay pu les aimer toutes deux aussi purement que j'aime Dieu, et par consequent les aimer en presence de Dieu; et il n'y a que de cette maniere-là dont l'on doive s'aimer, si l'on veut que les amitiés soient durables.
8
J'ay eté moins l'ami de Dieu que l'ennemi de ses ennemis, et c'est ce mouvement d'indignation contre les ennemis de Dieu qui m'a fait faire mon premier ouvrage.
9
On ne peut jamais prononcer sur la mesure de quelqu'un qui est doux et reservé, à moins que ce ne soit à son avantage. Or comme ce sont deux manieres d'etres que je me suis souvent entendu accorder, j'en dois conclure que tous ceux qui m'ont condamné se sont trop pressés.
10
J'ay eté attendri un jour jusqu'aux larmes à ces paroles d'un predicateur : Comment Dieu ne seroit-il pas absent de nos prieres, puisque nous n'y sommes pas presents nous-mêmes?
11
Il y a en moi une si grande ardeur pour l'avancement du regne de Dieu, que j'ay souvent prié la main suprême d'operer par moi quelques-unes des oeuvres que le monde taxe de folies, et qui sont malheureusement presque toujours les seules capables de frapper les sages eux-mêmes, tant l'etre intérieur sommeille en nous, et est l'esclave de l'homme extérieur.
12
Tous les hommes auroient du etre des medecins les uns pour les autres. Je crois que dans cette repartition de proprietés curatives, la mienne eut eté de guérir les maux de tète. Quant aux maux de coeur, c'est Adam qui les a donnés à toute sa posterité, aussi a-t-il fallu une puissance bien supérieure à la sienne pour les guerir. C'est-à-dire qu'il a fallu le coeur de Dieu.
13
J'ay dit souvent comme les foibles et les paresseux : Le plus grand présent que Dieu puisse faire à l'homme c'est celui des circonstances. Mais j'ay dit aussi d'autres fois : Tous les presents ont eté faits à l'homme puisque Dieu lui a donné l'etre.
14
Je n'ay eu que deux postes dans ce monde : sçavoir le paradis ou la poussiere; je n'ay pas sçu demeurer dans les postes intermediaires; voilà pourquoi j'ay eté si peu connu, du plus grand nombre, et que ceux qui m'ont approché m'ont toujours blamé ou loué avec excès. Je pourrois dire en d'autres termes que je n'ay eu que du divin et du terrestre, et point d'astral. Lisez 16.
15
La nature de mon ame a eté d'etre extremement sensible, et peut-être plus susceptible de l'amitié que de l'amour. Cependant cet amour même ne m'a point eté etranger; mais je n'ay pu m'y livrer librement comme les autres hommes, parce que parce que (sic) j'ay eté trop attiré par de grands objets, et que je n'aurois pu jouir reellement de la douceur de ce sentiment qu'autant que le sublime appetit qui m'a toujours devoré auroit eu la permission de se satisfaire; or c'est une permission que des maitres sacrés m'ont toujours refusée. Enfin je n'aurois voulu me livrer au sensible qu'autant que mon spirituel n'auroit pas paru crime et folie. Oh si ce spirituel eut eté à son aise, quel coeur j'aurois eu à donner!
16
J'ay changé sept fois de peau etant en nourrice; je ne sçais si c'est à ces accidents que je dois d'avoir si peu d'astral. En outre je n'avois dans cet age que les digestions les plus imparfaites; c'est là sans doute ce qui m'a valu une constitution foible quoique susceptible de toutes les passions de la matiere, ce qui est ce que j'appelle terrestre n° 14.
17
Le bonheur inexprimable que j'ay reçu de la Providence est d'avoir eté tellement attelé au char que je n'en ay jamais eté delié, quoique j'aye quelquefois sommeillé, que je me sois quelquefois arreté, et que je me sois laissé souvent detourner par les charmes trompeurs des pays que je parcourois, ou abbattre par les fatigues de la route; mais comme j'etois toujours attelé, le moindre coup de fouet me fesoit reprendre vigueur, et continuer mon chemin.
18
Le sort et la fortune sont pour moi dans ce bas monde comme un vaisseau de conserve qui fait route avec moi pour me procurer des secours et des subsistances au besoin; mais qui doit aller ainsi à coté de moi jusqu'au port, en m'offrant toujours de belles esperances, et cependant ne pouvant jamais mettre une chaloupe à la mer pour me soulager dans ma vraie detresse, tant l'orage est violent, et les flots agités.
19
Il y a trop de germes de foiblesse semés en moi, pour que je sois jamais un homme fort, mais il y a aussi trop de germes de bonheur semés en moi pour que je ne sois pas heureux à jamais.
20
On m'avoit placé au milieu d'une mer agitée, et on m'avoit donné une grande barque à gouverner, à moi seul. Au lieu de trouver des secours dans mes proches spirituels ou temporels, les uns m'ont fait un crime de vouloir apprendre l'art de la navigation, les autres m'ont emporté le biscuit, la fortune m'a refusé de quoi acheter des instruments, la nature m'a refusé la force de ramer longtems, independamment de ce que l'on avoit placé par fois près de moi diverses fourmillieres qui d'une maniere ou de l'autre ne tendoient qu'a infecter ma cargaison. Malgré cela mon vaisseau n'a pas encor chaviré, et j'espere, moyennant Dieu, qu'il arrivera à bon port.
21
Je n'ay pas eu le don de montrer l'esprit qui nous accompagne et nous suit partout, en nous environnant sans cesse de ses oeuvres physiques, sensibles, et effectives, mais j'ay eu par la grace de Dieu le don de demontrer cet esprit et la certitude de ses actes reels et constants autour de nous; et ces preuves-là sont ecrites dans l'intelligence de tous les hommes.
22
Quelques personnes m'ont dit en face qu'elles me trouvoient beaucoup de raison et fort peu d'esprit, d'autres m'ont dit qu'elles me trouvoient beaucoup d'esprit et fort peu de raison; c'est ce qui m'a appris à ne pas me reposer sur les jugements des hommes, mais à poursuivre paisiblement ma carriere sans consulter les opinions, et à supporter de mon mieux le fardeau des circonstances, qui je l'espere, finiront par m'etre plus favorables qu'elles ne me l'ont eté jusqu'à present, car je ne puis m'empêcher de compter sur les compensations soit icy-bas soit ailleurs.
23
C'est une verité constante que des esprits ardents ont souvent commencé par concentrer toutes mes facultés, et même par les blesser; et puis quand je me montrois ainsi avec mes blessures, ces mêmes esprits ardents, loin de se les imputer, m'en fesoient un crime, et au lieu de les guerir par des calmants, ils ne sçavoient y appliquer que de l'eau-forte et des caustiques.
24
La Divinité ne m'a refusé tant d'astral que parce qu'elle vouloit etre seule mon mobile, mon element, et mon terme universel.
25 - 31 janvier 1792
Presque toutes les circonstances de ma vie m'ont prouvé qu'il y avoit sur moi un décret qui me condamnoit à ne faire qu'approcher de mon but et à ne le pas toucher. Mais je n'avois pas encor découvert l'esprit de ce decret. C'est aujourd'hui 31 janvier 1792 que cette connoissance m'a eté donnée. Elle m'apprend que ce decret a eté porté sur moi par une prudence de la sagesse; car si j'avois eu des circonstances aussi favorables que mon esprit etoit facile, j'aurois percé plus loin qu'il ne convient à un etre en privation, et j'aurois communiqué ce qui doit peut-être rester encor caché, tant mon astral etoit transparent. Je ne parle pas des sciences humaines dans lesquelles j'aurois pu aussi trop sejourner, et qui m'auroient pu nuire en plus d'un sens.
26 - 31 janvier 1792
Ce même jour 31 janvier 1792, il s'est fait un baptême sous un nom que j'ay cru etre Wishoa en le prononçant à la maniere angloise; mais en l'examinant le lendemain matin avec plus de soin j'ay presumé que ce pouvoit etre wie (iod, he, vau, he) comme Dieu, semblable à Dieu, ou bien vis (iod, he, vau, he) force de Dieu. Le premier sens est celui de l'allemand wie. Le second celui du latin vis. Et ce second sens est plus conforme aux circonstances dans lesquelles ce baptême a eté donné, et aux impressions les plus habituelles du cathecumene. Je n'oserois pas croire que ce fut un homme de Dieu, quoique je le désirâsse bien ardemment. Mon idée porte encor plus sur (lettre hébraïque : iod, schin, espace, iod, he, vau, he = Ieschoua ?).
27 Projet de mariage
Trois personnes ont voulu que je me mariâsse, et ces trois personnes sont une demoiselle que j'appelle l'ange, moi, et le diable; mais une quatrieme personne ne l'a pas voulu, et l'emportera selon toute apparence sur les trois autres, car cette quatrieme personne est le bon Dieu qui n'a cessé de renverser tous les projets des desirs humains et temporels qui nous gouvernoient tous trois, et de venir au secours de mes foiblesses en me preservant lui-même de moi.
28 A lâge de 18 ans
A lage de 18 ans il m'est arrivé de dire au milieu des confusions philosophiques que les livres m'offroient : Il y a un Dieu, j'ay une ame, il ne me faut rien de plus pour etre sage; et c'est sur cette baze-là qu'a ete elevé ensuite tout mon edifice.
29 - Mon royaume n'est pas de ce monde
Mon royaume n'est pas de ce monde. Cette verité evangelique n'a pas tombé à mon egard sur les seules cupidités mondaines dont je me suis en effet peu soucié, mais aussi sur les diverses cupidités spirituelles inférieures où j'ay vu les hommes se precipiter comme par torrent et qui etoient bien au-dessous du poste qui m'attrayoit. J'ose croire même que ce poste etoit le vrai sens du passage evangelique cy-dessus, puisque je vois sans cesse S` Paul, et tous les prophetes, ne pas lui donner une autre explication. Comment donc aurois-je pu m'arrêter à toutes les revolutions spirituelles que j'ay vu se passer de mon tems, elles me parloient bien, comme tout spiritualiste, de celui dont le royaume n'est pas de ce monde, mais elles ne me menoient pas à ce royaume, et aussi en effectivité elles se contentoient presque toujours de la figure, et tout en disant que ce royaume n'etoit pas de ce monde, elles s'etablissoient cependant dans ce monde par toutes leurs spéculations retrécies, par leurs phenomenes inférieurs, et en courbant sans cesse l'esprit des Ecritures sur des evenements temporels, lui, qui comme les cedres du Liban, ne tend qu'à porter sa tête majestueuse jusque dans le ciel des cieux.
30
Plusieurs fois dans ma vie j'ay dit que je remerciois Dieu de deux choses; la premiere de ce qu'il y avoit des chefs, la seconde de ce que je ne l'etois pas. Je me suis confirmé plus que jamais dans ce sentiment le vendredi 3 fevrier 1792, comme deputé de la Societé philantropique du Roi.
31
Mon vrai dissolvant au physique c'etoit du lait. Et en effet c'est avec du lait que plusieurs fois dans ma vie je me suis gueri de la fievre, tandis qu'avant de connoitre mon temperament je me suis inutilement laissé traiter par les medecins qui ne me guerissoient point. Je puis dire qu'au moral c'est encor le même dissolvant qu'il me faudroit, puisqu'avec la douceur seule on peut me faire sortir de moi-même. Mais les hommes que j'ay vus l'ont si peu cru pour la pluspart qu'ils me donnoient presque toujours ce qu'il ne me falloit point. Aussi ils m'ont fait pour ainsi dire continuellement rentrer en moi-même, et puis ils m'accusoient ou d'etre trop boutonné, ou d'être orgeuilleux.
Peauvres hommes, combien vous vous etes trompés sur mon compte!
32
Dès les premiers pas que j'ay faits dans la carriere qui m'a absorbé tout entier, j'ay dit : Ou j'aurai la chose en grand, ou je ne l'aurai pas. Et depuis ce moment j'ay eu plusieurs raisons de croire que ce mouvement n'etoit pas faux.
33 Sa croix
Il est bien clair que ma croix etoit un décret puisque je ne pouvois ni l'eviter, ni la combattre, et c'est ainsi que doivent etre toutes les croix, sans quoi on ne nous auroit pas dit de les porter.
34 Sa timidité
J'ay eprouvé"combien la trop grande solitude, et le deffaut de réaction concouroient à augmenter ma timidité qui n'est déja que trop grande. Cela a été quelquefois jusqu'à me faire perdre la parole. Notamment à l'entretien tenu le 13 fevrier 1792 en présence de 7 evêques. Je n'avois qu'une phrase à y dire, et c'est celle-cy. Non seulement ce n'est pas avec l'esprit qu'on eprouve les esprits, mais c'est avec plus que l'esprit, comme on eprouve les metaux avec une substance plus active que les metaux. Mais la timidité m'arrêta et je ne rendis qu'à moitié mon idée; cette même timidité m'a empêché de faire une plus ample connoissance avec d'autres personnes qui dans le vrai etoient trop entourrées pour que ma maniere d'etre pût se faire appercevoir d'elles, et pour que même j'en fisse la tentative, mais j'y ay peu perdu.
35
Les personnes à qui je n'ay pas convenu ont eté communément celles qui ne m'ont pas connu par elles-mêmes, mais par les opinions, et les doctrines des autres, ou par leurs propres passions, et par leurs propres prejugés. Celles qui m'ont laissé me montrer ce que je suis ne m'ont pas repoussé, et au contraire elles m'ont aidé à me montrer encor davantage. Parmy celles qui m'ont le plus fait sortir de moi-même je dois compter la marquise de Chabanois. Bien entendu que ma B. est avant tout.
36
Dans l'ordre de la matiere j'ay eté plustot sensuel que sensible; et je crois que si tous les hommes etoient de bonne foi, ils conviendroient que dans cet ordre-là il en est d'eux comme de moi. Quant aux femmes, je crois que c'est communément le contraire, et qu'elles sont disposées naturellement à etre plus sensibles que sensuelles.
37
C'est une verité que je suis venu dans ce monde avec dispense, comme je l'ay dit plusieurs fois. On a même porté l'attention jusqu'à me découvrir les merveilles secrettes dans lesquelles nous vivons, et cela sans me faire travailler pour les acquerir, et surement dans l'intention de m'epargner toute surprise lorsque le moment sera venu pour moi de me reunir à ces magnificences.
38
Une autre attention qu'on a eu pour moi, c'est de m'epargner tous les tourments politiques, jusqu'à ce que je fusse assez preparé pour etre au-dessus.
39
J'ay bien senti que nous devions tout diviniser autour de nous si nous voulions etre heureux, et dans les mesures de la verité; mais j'ay senti aussi qu'au lieu de remplir cette loi essentielle, nous materialisions Dieu tous les jours, et que nous l'immolions sans cesse sur l'autel de tous les objets qui nous environnoient.
40
Depuis que l'inexprimable misericorde divine a permis que l'aurore des regions vraies se decouvrît pour moi, je n'ay pu regarder les livres que comme des objets de lamentation, car ils ne sont que des preuves de notre ignorance, et une sorte d'offense faite à la verité, tant elle s'eleve au-dessus d'eux. Ces livres morts nous empêchent aussi de connoitre le livre de vie; et voilà pourquoi ils font tant de mal au monde, et nous reculent tant en paroissant nous avancer. Boeh, cher Boeh, tu es le seul que j'excepte, car tu es le seul qui nous mene réellement à ce livre de vie. Encor faut-il bien qu'on puisse y aller sans toi.
41
Lorsque dans les premiers tems de mon instruction je voyois le maitre P. preparer toutes les formules et tracer tous les emblêmes et tous les signes employés dans ses procedés theurgiques, je lui disois : Maitre, comment, il faut tout cela pour prier le bon Dieu! Je n'avoir guerres que 25 ans lorsque je lui tenois ce langage; aujourd'hui que je suis près d'en avoir le double, je sens combien mon observation etoit fondée, et combien dès mon plus bas age, j'ay offert des indices de l'espece de germe qui etoit semé en moi.
42
J'ay reçu de la nature trop peu de physique pour avoir la bravoure des sens. Mon ame animale même etoit trop foible par nature, et a eté trop mal gouvernée par mes supérieurs et par les circonstances, pour s'elever jusqu'à l'heroïsme, et même jusqu'à l'intrepidité ordinaire parmy les hommes. Mais mon ame divine a tellement eté cherie et favorisée de Dieu, que c'est lui qui a tout fait pour moi dans mille evenements de ma vie, de façon qu'avec les secours qu'il veut bien me donner, malgré mes fautes, et mes souillures, je me trouve au-dessus de toute crainte et rempli de toutes sortes d'assurances.
43
Les trois quarts et demi des hommes n'ont pas vu que j'etois un homme impatient de la justice et en même tems, soit par nature, soit par education, très craintif de leur deplaire, et de blesser leurs passions, tandis que je ne cherchois qu'à reveiller leur activité, et leur zele pour la conquête du royaume de Dieu.
44
On a pris la précaution de me tuer, même en me fesant naitre, et cela, afin que j'eusse moins de travail à faire pour mourir. Néantmoins ma constitution etoit saine, ou peut-être etoit-elle trop foible pour essuyer les chocs si ordinaires aux gens robustes. Aussi j'ay dit plusieurs fois que je ne me portois pas assez bien pour etre malade.
45
Les livres que j'ay faits n'ont eu pour but que d'engager les lecteurs à laisser là tous les livres sans en excepter les miens.
46
L'on m'a volé deux fois en 1792 lorsque je demeurois chez la d. d. B. Dieu m'a fait la grace de n'etre presque pas même effleuré par cet evenement qui me reduisoit aux moyens les plus bornés. Le terme de mon grand oeuvre est toujours devant mes yeux, et la bonté suprême permet que cette affection en moi l'emporte sur toutes les autres. Aussi j'ay vu par là que le diable ne nous tente que dans ce qui n'est pas notre foible; et de là il en resulte la manifestation de ce que nous sommes. Dieu nous tente aussi quelquefois, mais c'est dans ce qui est notre foible, et comme il nous soutient lui-même, il en resulte sa gloire et notre amour.
47 - Mon deffaut de sydérique
Mon deffaut de sydérique ayant influé sur mon deffaut d'elementaire a eté cause que j'ay eu fort peu d'humeurs. Aussi je n'ay pas sçu traiter la moindre question avec ceux qui y apportoient des passions. Mais si je sçais si peu me deffendre contre une passion, je n'ay pas eté si timide ni si emprunté envers les erreurs, et je puis dire qu'il n'y en a point eu sur la terre avec qui j'eusse refusé de me battre. C'est peut-être encor mon deffaut de sydérique qui m'a valu cela, parce que ma tête en a eté plus diaphane.
48
Il y a eu un moment où j'ay cru que ma puissance pharaonique alloit me rendre la liberté; mais j'ay payé bien cher cette croyance.
49 - Mon deffaut de sydérique
C'est mon deffaut de sydérique qui a eté cause qu'il y a eu si peu de mouvement temporel dans ma carriere. C'est ce même deffaut qui a eté cause que si peu de gens m'ont connu, parce que la chose venoit de si loin qu'ils ne se donnoient pas la peine d'attendre; enfin c'est pour cela que tant de gens l'ont emporté sur moi parce qu'ils etoient plus de niveau avec le moment, et que moi je n'y etois pas assez.
50
Toutes les circonstances de ma vie ont eté comme des echelons que Dieu plaçoit autour de moi, pour me faire monter jusqu'a lui; car il ne vouloit pas que je reçusse de joyes, de consolations, de lumieres, et de bonheur reel par aucune autre main que par la sienne; et son seul objet etoit que je vécûsse, et que je demeurâsse exclusivement avec lui. Verité ecrite, dès mon plus bas age, dans ma destinée, et qui n'a fait que se developper à toutes les epoques de ma vie.
51
Peu de gens ont eu la patience et la sagesse d'attendre jusqu'à la cristallisation de mes idées pour s'assurer de quelle nature etoit mon sel. Ils ne m'ont jugé que sur les scories dont il etoit mélangé. Cependant si l'on ne porte pas son coup d'oeil jusqu'à ce resultat, on n'a aucune connoissance positive ni sur les choses ni sur les personnes.
52
Comme c'etoit dans l'intelligence de la parole que j'avois reçu quelques graces, c'est dans l'usage de cette parole que j'ay du etre contrarié, et surtout dans les circonstances qui auroient pu m'en procurer les avantageux développements, parce que notre ennemi qui est prince de ce monde, et qui en dispose, ne manque jamais de nous gêner et de nous attaquer dans l'objet même auquel nous sommes appellés, et dans l'espece de don qui nous est accordé.
53
Ce n'est point mon travail d'esprit qui a usé mon corps avant le tems; au contraire ce travail m'auroit continuellement rajeuni, puisqu'il etoit lié à la jeunesse universelle. Ce sont les obstacles et les maladresses des hommes à mon egard qui ont produit cet effet-là. Car il y a une chose dans le monde qui domine en eux, qui est la seule qu'ils apperçoivent et qu'ils desirent, et cette chose-là, la nature ne me l'avoit pas donnée; il m'auroit donc fallu des mains attentives qui m'eussent soigné dans ma disette, au lieu de m'en blamer et de m'en faire des reproches. D'un autre coté j'avois reçu deux naturels que cette chose (qui est l'esprit du grand monde) ne connoit pas, sçavoir le naturel des deux extremes, ou du divin et de l'enfance; mais les hommes m'ont encor si méconnu dans ce genre-là que m'ayant pris à faux dans tous les points, ils m'ont ruiné par leurs sacades, tandis qu'avec un peu d'aide de leur part, je ne sçais pas qui auroit pu peindre la douceur du sort qui pouvoit m'attendre, même icy-bas.
54
Grace à Dieu, j'ay reconnu pourquoi le sort m'avoit refusé toutes ces circonstances qui m'auroient aidé à me développer dans le genre de mon objet essentiel, et même à acquerir aussi beaucoup dans le genre des objets d'agrément pour l'esprit; c'est que je me serois trop jetté par là dans l'extérieur, je n'aurois vecu soit divinement, soit spirituellement que dans l'extérieur, et l'on vouloit que mon oeuvre fût toute centrale et invisible.
55
On a voulu me juger avant que je fûsse né de nouveau; ce n'est cependant qu'alors que notre nature radicale se fait connoitre.
56
Je n'ay rien de plus que les autres hommes. J'ay senti qu'eux et moi nous etions tous, les fils de Dieu. Seulement j'ay eu tellement la persuasion de la noblesse de cette origine que j'ay tâché de mon mieux de conserver quelques lambeaux de mon extrait baptistaire.
57
Une personne très recommandable par ses bonnes qualités n'a jamais pu me voir que de coté. J'ay pensé quelquefois que quand elle s'appercevroit un jour combien elle me prenoit à gauche, elle se redresseroit. Mais en attendant je portois les coups; et d'ailleurs je crois que je formerois en vain un pareil espoir; la tête spirituelle de cette personne est dans son coeur, et son coeur est dans sa tête temporelle. Je ne vois pas quel aplomb il y a à attendre de cette compléxion.
58
Dans l'initiation que j'ay reçuë et à laquelle j'ay du dans la suite toutes les bénédictions dont j'ay eté comblé, il m'arriva de laisser tomber le bouclier par terre; ce qui fit de la peine au maitre; cela m'en fit aussi à moi, en ce que cela ne m'annonçoit pas pour l'avenir beaucoup de succès. Mais j'ay compris depuis que c'etoit une suite de ma contexture qui vouloit que pour les choses de ce monde, je fusse toujours à coté, ou au-dessous, sans que cela puisse rien faire pour mon avancement et mes espérances dans un autre ordre de choses. C'etoit aussi un type de mon divin simple.
59 Angleterre Best
En 1787, j'ay vu en Angleterre un vieillard nommé Best qui avoit la proprieté de citer à chacun très à propos des passages de l'Ecriture sans qu'il vous eut jamais connu. En me voyant, il commença par dire de moi : He threw the world behind him, il a jetté le monde derriere lui. Ce qui me fit plaisir, car il y a du vrai là-dedans. Ensuite il me cita le 3è verset de Jeremie, ch. 33, Clama ad me, et exaudiam te, et docebo te grandia et firma quae nescis : Criez vers moi et je vous enseignerai des choses grandes et sures que vous ne sçavez pas. Cela me fit aussi beaucoup de plaisir ; mais ce qui m'en fit davantage, c'est que cela se verifia dans la quinzaine.
60 Rousseau : comparaison entre Rousseau et Saint-Martin
A la lecture des Confessions de J. J. Rousseau j'ay eté frappé de toutes les ressemblances que je me suis trouvées avec lui, tant dans nos manieres empruntées avec les femmes, que dans notre gout tenant à la fois de la raison et de l'enfance, et dans la facilité avec laquelle on nous a jugés stupides dans le monde quand nous n'avions pas une entiere liberté de nous developper. Mais les différences que j'ay trouvées aussi entre nous deux, c'est la constance avec laquelle il suivoit un objet quand il l'avoit entrepris, constance que je n'ay pu avoir que forcément, et dans l'attrait urgent qui m'a dominé; c'est la richesse de son stile et la force de ses expressions, c'est la facilité avec laquelle il formoit ses attachements, tandis que je n'en ay pu former de réels qu'avec ceux en qui je trouvois des traces de la sagesse et de l'esprit de Dieu. Je crois que cet homme valoit mieux que moi, et que s'il avoit reçu les mêmes graces que moi il en auroit fait un meilleur usage. Quant aux dons de l'esprit, je crois que le mien etoit aussi facile que le sien, mais que je n'aurois jamais approché de sa profondeur si l'on ne m'eut ouvert des portes qui m'ont montré ce que ni Rousseau ni tant d'autres ne soupçonnerent jamais d'exister. Ma plume aussi n'etoit pas si lente et si tardive que la sienne. J'ay souvent ecrit du premier jet, et même c'est ordinairement ce que j'ay ecrit de meilleur. Pour son physique il a eté mieux traité que moi par l'astral, et cela a eté la source de sa grande sensibilité qui a eté plus remuée par rapport à ce monde, tandis que la mienne l'a eté plus par rapport à l'autre. Notre temporel a eu quelque similitude, vu nos positions différentes dans ce monde; mais surement s'il s'etoit trouvé à ma place avec ses moyens, et mon temporel, il seroit devenu un autre homme que moi. V. n° 419.
61 Son père
Dans mon enfance, et même dans ma jeunesse j'ay menti quelquefois à mon pere, par foiblesse et par timidité, parce que ce pere si respectable et si tendre avoit cependant si peu connu mon caractere, qu'il ne m'inspiroit que de la terreur là où il eut pu si facilement m'inspirer de la confiance. (Temoins l'histoire du couteau.) Depuis cet age j'ay tellement repris mon gout naturel pour la verité que c'est elle que j'aime par-dessus tout, et que je me fais plus de plaisir et plus de bien en disant vrai même contre moi, qu'en mentant à mon avantage.
62
De toutes les routes spirituelles qui se sont offertes à moi, je n'en ay pas trouvé de plus douce, de plus sure, de plus riche, de plus feconde, de plus durable, de plus divine que celle de la pénitence, et de l'humilité.
63
Je suis si foible que j'aurois eu continuellement besoin que l'on me poussât pour me faire avancer, et je n'ay presque jamais rencontré que des gens qui vouloient au contraire me repousser, et me faire reculer; Dieu le sçait, si ces gens-là avoient pu me connoitre, ils se seroient mis à genoux pour me prier de continuer.
64 Mon défaut dastral
Mon deffaut d'astral a influé beaucoup sur la region inférieure de mon etre corporel, ou sur les intestins qui, au dire des gens instruits, ont un grand rapport avec cet astral. A leur tour, ces intestins ont un grand rapport avec les bases de l'edifice qui sont les jambes. Aussi le moindre froid à mes jambes me donne-t-il sur le champ le dévoiement. Les six ans que j'ay passés au service ne m'ont pas laissé deux jours de suite sans cette incommodité parce que la fatigue du metier etoit trop grande pour moi, et que les forces passant toutes dans mes jambes, il n'en restoit plus pour les digestions, c'est là ce qui a epuisé le baume de mon sang, et m'a rendu frêle pour le reste de mes jours. Une seule idée de plus dans une tête qui m'est bien chere m'auroit epargné beaucoup de ces inconvénients, mais cette idée ne lui etoit pas donnée, et ma vie entiere a eté une immolation perpetuelle opérée sur moi par cette puissance.
65 Voyages en Angleterre, en Italie, Tieman
Dans le voyage que j'ay fait en Angleterre, j'ay senti que dans ce pays-là, tout me parloit jusqu'aux pierres, aussi j'ay ecrit quelques notes sur ce pays qui m'ont paru avoir quelque interêt. Dans mon voyage en Italie, j'ay senti que dans ce pays-là les hommes même ne me disoient rien; aussi je n'y ay rien ecrit. Cependant si les pierres modernes de Rome ne me parloient pas comme celles d'Angleterre, les pierres anciennes m'y parloient beaucoup, et j'avois commencé à mettre là-dessus la plume à la main. Mais l'ami Tieman me fit quelque dispute scientifique sur le mot Kittim de Jeremie et de Moyse, d'où je fesois deriver la grande Grece, et d'où je voyois sortir l'accomplissement des propheties, et des conquêtes des Romains sur les Juifs, et enfin la destruction de ces mêmes Romains. Cela m'arrêta au premier pas et je n'ay point continué, tant j'ay besoin d'etre encouragé dans mes occupations, et de n'etre pas repoussé par des difficultés qui ne me parroissent pas justes. Au demeurant cet ami Tieman est un homme plein de mérite, de connoissances, et des plus excellentes qualités.
66
J'ay reconnu que c'etoit une chose très salutaire, et même très honorable pour un homme que d'etre, pendant son passage icy-bas, un peu balayur (sic) de la terre.
67 Respect filial
Le respect filial a eté dès mon enfance un sentiment sacré pour moi. J'ay approfondi ce sentiment dans mon age avancé, et il n'a fait que se fortifier par là; aussi je le dis hautement : Quelques souffrances que nous eprouvions de la part de nos pere et mere, songeons que sans eux nous n'aurions pas le pouvoir de les subir et de les souffrir, et alors nous verrons s'aneantir pour nous le droit de nous en plaindre; songeons enfin que sans eux nous n'aurions pas le bonheur d'etre admis à discerner le juste de l'injuste; et si nous avons occasion d'exercer à leur egard ce discernement, demeurons toujours dans le respect envers eux pour ce beau present que nous avons reçu par leur organe, et qui nous a rendus leurs juges; si même nous sçavons que leur etre essentiel est dans la disette et dans le danger, prions instamment le Souverain maitre de leur donner la vie spirituelle en recompense de la vie temporelle qu'ils nous ont donnée.
68 La main de Dieu
J'ay eté dans la main de Dieu comme le gibier devant le chasseur. Il m'a poussé tantôt d'un coté, tantôt de l'autre, bordant sans cesse mon chemin de barrieres pour m'empêcher de tomber dans les précipices, ou le bordant de précipices pour m'empêcher de m'ecarter de la ligne où il vouloit me faire marcher, et au bout de laquelle il vouloit me prendre.
69 Violon
Ma foiblesse physique a eté telle, et surtout celle des nerfs, que quoique j'aye joué passablement du violon pour un amateur, mes doigts n'ont jamais pu vibrer assez fort pour faire une cadence.
70
De tous les etats de la vie temporelle les deux seuls que j'aurois aimé à exercer eussent eté celui d'evêque et celui de medecin; parce que, soit pour l'ame, soit pour le corps ce sont les seuls où l'on puisse faire le bien pur, et sans nuire à personne, ce qui n'est pas possible dans l'ordre militaire, dans l'ordre judiciaire, dans l'ordre des traitans etc. Je n'aurois pas aimé à n'etre que curé, non pas par orgeuil, mais parce qu'un curé n'est pas aussi libre dans son instruction que peut l'etre un evêque.
71 La prière
La maniere dont j'ay senti quelquefois que la priere devroit marcher pour être bonne, ce seroit que chaque acte de la priere de l'homme fût un hymne ou un cantique enfanté de son coeur; c'est-à-dire qu'il devroit créer lui-même ses psaumes, et non pas se contenter d'en lire.
72
Dans une des conférences que j'ay eues avec le cy-devant dernier duc d'Orléans, il m'est venu une clef superbe sur l'admiration qui est la seule substance dont l'ame humaine puisse vivre, et dont en même tems l'ame humaine est la seule qui soit susceptible sur la terre. Cette clef se trouve parmy toutes les notes que je receuille journellement. J'avois eu d'abord le projet d'en faire un ouvrage en regle, mais ma tiedeur sur les ouvrages de plume m'a empeché de realiser ce projet.
73
Il me semble que je pouvois apprendre, et non pas enseigner; il me semble que j'etois en etat d'etre disciple, et non pas maitre. Mais excepté mon premier educateur M. de P. et mon second educateur J. B. mort il y a 150 ans, je n'ay vu sur la terre que des gens qui vouloient etre maitres, et qui n'etoient pas même en etat d'etre disciples.
74
J'ay eu des reproches d'insensibilité à me faire dans la maison Le Bref dans les premiers tems de mon arrivée à Paris en 1760; la mort de la mere ne m'affecta pas autant qu'elle l'auroit du d'après les amitiés, et les honnêtetés que je recevois dans cette maison surtout de la part de la fille qui etoit d'un caractère charmant; mais mon ame etoit dejà affaissée par les biais de mon education; et l'embarras et la gêne où cela la tenoit lui ont oté dans mille occasions l'usage de ses sentiments, plustot que ses sentiments même. C'est même là ce qui m'a fait juger par Mme Le Bret quelques années après d'une maniere peut-être precipitée, lorsqu'elle me dit dans le parloir du Pretieux-Sang que je n'etois pas fait pour etre amoureux.
Cependant je convins de cela en partie quelques tems après en sa presence, en lui disant comme par esprit de prophetie, que mes plus grands exploits seroient en ecritures.
75
Quoique je ne sois point marié, j'ay senti que si les epoux n'ont pas soin de se guérir des dégouts de leurs corps par le gout de leurs esprits, leur societé ne peut etre qu'un enfer.
76
J'ay vu les sciences fausses du monde, et j'ay vu pourquoi le monde ne pouvoit rien comprendre à la verité, c'est qu'elle n'est point une science, et qu'il veut toujours la comparer avec ces sciences fausses dont il se berce, et se nourrit continuellement.
77
La foiblesse dont j'ay parlé n° 69 au sujet des cadences, s'est etenduë aussi pour moi sur le méchanisme de la versification. J'ay fait peu de vers dans ma vie, et même c'est un genre que j'aurois craint, mais il est tel vers, particulierement dans mon petit poëme sur la poésie, qui a tant pris sur mes nerfs que pour en accoucher, j'ay été obligé de me coucher par terre.
78
Dans ma jeunesse, une personne qui m'est chere me demanda à quel etat je me destinois; je repondis que je me destinois à etudier. On me dit avec dédain : A quoi cela mene-t-il? Cette seule parole a eté pour moi une source inépuisable de maux, soit pour le moment où on la prononça soit pour tous ceux qui l'ont suivi, tant ma sensibilité etoit grande par rapport à l'objet dominant qui fesoit toute mon ambition.
79
Il m'a eté aisé de voir qu'aux yeux des hommes, si vous n'avez point de corps, vous passez bientôt pour n'avoir point d'esprit, car tout leur esprit est dans leur corps.
80
Quelquefois je nie suis dit : Je ne connois qu'un seul péché à l'homme sur la terre, c'est d'approcher des autres hommes, et ce peché-la est la source de toutes ses souffrances, de toutes ses ténébres, de toutes ses ignorances, de tous ses vices, et de toutes ses passions. Dieu et la verité ne se trouvent que dans l'isolement; et la paix ne se trouve que dans Dieu et la verité. N'approchons donc des hommes que dans des occasions urgentes, c'est-à-dire pour les soulager au physique et au moral quand nous le pouvons, mais gardons-nous d'en approcher dans le spirituel sans en avoir l'ordre, car nous ne ferons que les egarer, ou nous tromper nous-même; ou bien si nous leur apportons la verité, nous nous en ferons des ennemis, parce qu'ils ne sont pas prêts à la recevoir et à l'entendre.
81
Les occasions où j'ay reçu les marques les plus signalées de la protection divine c'est pour le corporel, dans une circonstance facheuse qu'eut le rg` à Nantes en 1766, avec les jeunes gens de la ville; pour le moral, dans une circonstance où je me trouvois de garde dans ce même régiment et dans cette même ville; pour le spirituel, c'est la connoissance de mon premier educateur; pour le divin c'est la connoissance de mon second educateur.
Dans cette facheuse affaire qu'eut le rgt un cama-rade avec qui j'etois lié parce qu'il sçavoit les mathematiques, fut très blessé, et en mourut; je l'ay regretté, mais j'ay cru voir s'accomplir sur lui quelques traits de justice dans cet evenement. C'etoit un homme très brave. Il etoit même audacieux, plustot cependant par spéculation mondaine que par nature.
82
Un fameux ministre le duc de Choiseul a eté sans le sçavoir l'instrument de mon bonheur, lorsque voulant entrer au service, non par gout, mais pour cacher à une personne chere mes inclinations studieuses, il me plaça dans le seul régiment où je pouvois trouver le tresor qui m'etoit destiné. Quelqu'un me dit un jour, à ce sujet, fort plaisamment que Dieu a fait quelques fois nourrir ses prophetes par des corbeaux.
83
Plusieurs fois dans ma vie j'ay reconnu qu'il etoit plus aisé d'avoir la paix avec le diable qu'avec les hommes, parce qu'avec ceux-cy il faut toujours faire des compliments lors même que vous les sçavez le plus dans les travers et dans l'egarement, au lieu qu'au demon, nous avons le droit de lui dire notre façon de penser, et qu'il est obligé de l'entendre, quelque peu flatteuse qu'elle soit pour lui.
84
Si le tems, et les circonstances ne nous sévrent pas des liens et des obstacles de notre destinée, il faut nous en sévrer nous-même; car la mort même des personnes qui nous sont contraires ne nous délivre pas toujours de leurs entraves et de leurs influences, si nous n'avons pas pris la précaution de nous en sévrer auparavant. Je puis dire que telle est ma tâche.
85
Il y a environ vingt-cinq ans que M"° Guimard fut très louée dans Paris pour avoir fait quelques sacrifices pécuniaires en faveur des pauvres. J'en entendis surtout faire des eloges pompeux chez M' de Zurlauben, colonel du rgt des Gardes suisses; j'en fus revolté, et je ne pus m'empêcher de dire qu'il falloit que l'argent fût une chose d'un bien grand prix aux yeux des 'hommes, puisqu'ils celebroient si fort ceux qui avoient le courage de s'en defaire.
86
C'est une douleur pour moi d'entendre les hommes de pieté parler si légérement de ce sublime amour qui est le vrai et le seul terme de l'oeuvre; ils ne sentent pas que ce beau nom ne devroit se prononcer de notre part que de la même maniere dont il se prononce de la part de Dieu, c'est-à-dire, que par des oeuvres, des bienfaits, et des merveilles vivantes.
87
Dans les idées de mariage qui m'ont occupé de tems en tems, il y en a eu qui m'ont attrayé par le desir et l'espoir d'employer utilement les prieres de mon epouse et les miennes à obtenir la grace et le salut d'une personne prétieuse pour moi. D'autrefois j'ay eté retenu par la crainte que la pensée de cette personne prétieuse ne se portât sur notre union, et ne la souillât par son influence. Mon Dieu, pardonnez-lui.
88
Il m'a eté clairement demontré qu'il y a deux voies : l'une où l'on s'entend sans parler, l'autre où l'on parle sans s'entendre.
89
Trois personnes ont concouru à developper en moi la gayté. Carlin de la Comedie-Italienne; d'Hayange du regiment de Foix, et Moliere, lors des comedies que Poncher ma tante jouoit à son theatre de Chassenay en Champagne, et dans lesquelles je fesois des roles. Cette Md. Poncher a eté un des personnages les plus marquants pour moi, par l'extraordinaire repoussement que j'eprouvai lorsque mon pere me presenta à elle à Paris en 1759. C'est chez elle où j'ay passé les premiers tems de ma jeunesse; j'y voyois quelquefois du monde aimable, et particulièrement la vieille duchesse de Chatillon que j'adorois presque à cause de ses manieres honnêtes et de ses vertus attrayantes, quoiqu'elle eut 75 ans, et moi 16. Ma tante n'avoit autre chose que des ridicules, de la vanité dans tous ses gouts, et elle etoit dominée par toutes les avarices, et tous les orgeuils de ce monde. Il etoit difficile d'etre moins que cet educateur-là ce qu'il me falloit, car à tous ces ridicules et à toutes ces vanités, elle joignoit toutes les ignorances, et toutes les maladresses dans tous les genres, soit sciences, soit talents, mais en en ayant néanmoins toutes les prétentions; et c'est sous de pareils auspices que j'entrois pour ainsi dire dans la vie! Vraiment quand je reflechis aux obstacles qui ont eté semés dans la carriere de mon esprit, je dois m'etonner qu'il soit encor au monde. Je reviendrai encor quelquefois sur ces premiers tems de ma vie, et sur mon sejour chez ma tante.
90
Les gens du monde m'ont paru bien à plaindre, tant leur esprit est entrainé par la roué destructive qui dissipe continuellement leurs pensées. J'en ay connu une qui ayant etudié la geographie dans son enfance, me disoit dans un age mur : La géographie! n'est-ce pas un livre où il y a la Moldavie et la Valachie? Et cette personne s'applaudissoit encor de son ignorance. Une autre qui avoit appris les mathematiques definissoit l'algebre une science où on fait des ronds.
91
Rousseau disoit qu'une operation d'algebre etoit pour lui comme de jouer un air avec une serinette. Je dis moi que la science géométrique toute entiere, est à l'egard des hautes verités, ce que sont en musique, les instruments à touche à l'egard de la voix humaine. On ne peut pas jouer faux avec ces instruments, mais aussi on ne peut pas leur donner la vie et l'expression de l'organe naturel. Il en est de même des sciences mathematiques. Elles tiennent forcément l'esprit dans des mesures justes, mais elles ne lui laissent pas les elans de sa nature divine, libre, et qui aime à se perdre dans l'infini. En un mot les mathematiques quoique ravissantes et infiniment utiles ne doivent etre qu'un des echelons de l'esprit, et ne peuvent pas etre son poste.
92
Ma foiblesse m'a porté quelquefois à faire comme la plu spart des gens du monde qui ne demandent des conseils et des lumieres que parce qu'ils ont la parresse de n'en vouloir pas chercher eux-même.
93
J'ay senti qu'à la nature de mon esprit, et au gout qu'on lui avoit donné, il etoit impossible que je ne fusse pas né homme par le sexe, quoique je fusse chetif de corps. J'ay connu des femmes qu'il etoit impossible qu'elles ne fussent nées femmes; mais j'en ay connu aussi qui auroient du naitre hommes, par l'elevation de leur esprit, temoins ma cherissime B. et j'ay connu des hommes qui devoient naitre femmes par la petitesse du leur, témoins
.. m.
94
Je me disois dans ma jeunesse :
Fais en sorte d'etre assez heureux pour n'etre jamais content que de ce qui est vrai.
Que peux-tu craindre? Tu as un point d'appui à tout instant sous la main.
Tenir bon, c'est la vraie priere, en ce que c'est celle qui maintient toute la place en etat.
Ne parle jamais de la priere qu'à ceux qui y sont preparés, sans cela tu n'en serois pas entendu.
Laboure ton champ sans relâche de l'orient à l'occident, et du nord au sud; c'est le vrai moyen de le rendre fertile.
Il y a des hommes assez heureux pour ne pouvoir s'egarer quand ils le voudroient. Je t'en remercie; mais il faut bien prendre garde de s'en enorgeuillir.
Ne me laisse pas faire le mal que je veux, et fais-moi faire le bien que je ne veux pas.
95
J'ay pretendu longtemps à une chose impossible, sçavoir qu'il y eut une sans fourberie, car dès qu'il n'y a point de quoy, il faut cacher la difformité.
A cela ma B. repondit : Celui qui a un aiguillon se deffend par l'aiguillon; celui qui a des raisons se deffend par des raisons, celui qui est souple cherche en se pliant, et en se repliant d'eluder les coups de son adversaire, et celui qui est frustré de tout, fait au moins voir le poing.
96
C'est une verité qu'il n'y auroit pas assez de papier dans le monde pour ecrire tout ce que j'aurois à dire. Il y a 25 ans que j'ay eu cette pensée. Que seroit-ce donc aujourd'hui que mes fonds se sont tellement accrus que je me prosterne de honte et de reconnoissance pour la main bienfesante et miséricordieuse qui veille avec tant d'attention sur moi, et qui ne craint pas de me combler de ses graces malgré mes ingratitudes et mes lâchetés!
97
Le monde frivole (surtout les femmes) passe sa vie dans une chaine de néants qui se succedent, et qui lui otent jusqu'aux moyens de s'appercevoir qu'il y ait une verité, de même que la capacité de la saisir; aussi quand on vient par hazard à en agiter quelqu'une devant lui, il faut voir comment elle y brille, et comment elle y est entendue. Il est tellement identifié avec le neant, que tout le fatigue, l'ennuie, et l'importune, excepté le néant. Les femmes y sont comme des enfans qui regardent tout, qui crient à la moindre contradiction, mais qui n'ont pas d'autre force que celle de crier, et qu'il faut deffendre de tout, parce que la peur et l'impuissance sont leurs elements constitutifs. Dieu sçait combien j'excepte ma B. de ce jugement, ainsi que plusieurs autres.
Ce même monde frivole tient continuellement l'esprit du sage dans l'angoisse, non pas dans l'angoisse de la génération qui feroit sa vie, mais dans l'angoisse de l'inaction qui fait sa mort.
98
Il me semble entendre dejà les annonces de ma destruction physique. Tous mes nerfs se retirent, et se replient sur eux-mêmes. Ma vu è perd sensiblement de sa force, mes membres perdent leur souplesse et leur agilité, je ne puis presque pas fermer les mains sans douleur quand je m'eveille; si je laissois aller cette dissolution comme elle va pour tant de malheureux mortels, elle entraineroit avec elle le prisonnier, et le retiendroit englouti sous ses décombres. Mais, graces à Dieu, je sens que ce prisonnier a la liberté de respirer quelquefois, et j'espere, moyennant les secours dont on l'a comme accablé, qu'il ne respirera que mieux encor lorsque sa prison arrivera à son terme. J'eprouve même de telles consolations, et il m'est donné de tels apperçus qu'ils ne conviennent pour ainsi dire qu'à une autre région que celle que j'habite, et qu'ils contribuent peut-etre à accélerer cette destruction physique qui me devient chaque jour plus sensible. Petit-Bourg le 25 may 1792, à lage de 49 ans et 4 mois.
99
Dans mon enfance et dans ma jeunesse j'ay eu une figure et des yeux assez remarquables pour m'avoir attiré des regards et même des eloges embarrassants pour moi qui etois timide, notamment à Nantes de la part de M°°° de la Musanchere et de Menou; et cela en pleine table, et quelquefois dans les ruës, de la part des passans. Mais le vrai est que lorsque je me suis regardé dans un miroir, sans me trouver laid, j'etois bien loin de me trouver tel que je semblois etre pour les autres, et je me suis persuadé que leur imagination fesoit la moitié des frais.
100
Mr de La Chevalerie est un de ceux qui m'a le plus décelé les inconséquences de mon premier educateur, dès que cet educateur l'avoit admis à ses mysteres. Je m'en expliquai assez clairement à ce disciple pour exciter sa bile; et sans la prudence de M' et de M°° de Luzignan entre les mains desquels tomba une lettre qu'il m'envoyoit et que je n'ay point vué, il auroit fallu nous couper la gorge.
101
A Page de 22 ans, allant joindre le regiment de Foix à Bordeaux, je me trouvai à Poitiers dans une auberge avec un officier d'un autre corps qui avoit 36 ans. Je fus d'un etonnement extreme de voir cet homme faire encor le galant auprès des femmes, et serrer de près une fille de la maison. Je ne pouvois me persuader qu'à 36 ans, on pensât encor à ces choses-là. Le tems est un abîme de durée pour l'enfance et la jeunesse; comme elles sont accoutumées à voir se succeder pour elles les joyes et les sensations, et à n'en avoir point de permanentes, elles croient qu'il n'y en a point pour elles qui ayent ce caractere. Et elles auroient raison dans l'ordre inférieur et matériel parce que toutes ces sensations-là devroient avoir leur terme et leur mesure si c'etoit la sagesse qui les dirigeât. Mais comme c'est malheureusement le contraire pour les quatre-vingt-dix-neuf centiemes de l'espece humaine, il arrive que les tenebres et les illusions de l'homme le poursuivent jusqu'à la fin de sa vie; et qu'il se trouve dans sa vieillesse occupé encor (quand ce ne seroit qu'en pensée) de toutes ces funestes seductions qui le retardent, et que le coup d'oeil plus pur de la jeunesse lui avoit montré comme devant cesser plustot, et ne pas l'abuser si long tems.
102
Mon chetif physique auroit demandé plus de secours qu'un autre, et j'en ay eu moins. J'aurois eu besoin d'une nourriture frequente et abondante pour me sou-tenir dans mes entreprises d'ecritoire qui dans le vrai accélerent extraordinairement mes digestions, et j'ay ete souvent au dépourvu. Ma constitution auroit demandé que j'eusse soupé encor plus que diné; et j'ay l'inconvénient de ne pouvoir souper seul sans etre malade, par le deffaut d'action, qu'au moins la presence d'autres convives, et la conversation me pro-curent. Cependant c'est à moi d'opter, puisque je suis solitaire. Je peux plus aisement diner seul; mais les circonstances m'entrainent souvent à diner chez d'autres, et l'on y dine trop pour moi. Voilà de ces fausses positions dont l'homme est continuellement le jouet et la victime. Mais je puis dire néanmoins que mes jours sont d'or en comparaison de ceux des autres hommes.
103
J'ay par le monde une amie comme il n'y en a point; je ne connois qu'elle avec qui mon aine puisse s'epancher tout à son aise, et s'entretenir sur les grands objets qui m'occupent, parce que je ne connois qu'elle qui se soit placée à la mesure où je desire que l'on soit pour m'etre utile; malgré les fruits que je ferois auprès d'elle, nous sommes separés par les circonstances. Mon Dieu qui connoissez le besoin que j'ay d'elle, faites lui parvenir mes pensées, et faites moi parvenir les siennes; et abregez s'il est possible les teins de notre séparation.
104
Il m'a eté aisé de sentir que rien ne rend l'ame tiede comme la prosperité dans la matiere, puisque notre vie corporelle n'est qu'une pénitence, et que toutes les larmes de l'homme ne sufflroient pas pour le laver; aussi m'a-t-on enseigné plusieurs fois à ne pas m'ensevelir dans les prosperités, niais à employer tous mes efforts à prier et à avancer tandis que je me portois bien, afin que l'on ne m'oubliât pas lorsque je serois malade. Conseil très salutaire, et qui s'applique à tous les cas.
105
A Brailly, à Abbeville, à Etalonde près la ville d'Eu j'ay formé des liaisons interessantes avec Mesdames d'Openoi, de Bezon, M" Duval, Fremicourt, Felix, les Dumaisniel. Fremicourt est un de ceux qui a eté le plus loin dans l'ordre opératif. Mais il s'en est retiré par le pouvoir d'une action bienfesante qui l'a éclairé. Je n'etois point assez avancé dans ce genre, ni dans aucun autre genre actif pour faire un grand rôle dans cette excellente societé, mais on y est si bon qu'on m'y a accablé d'amitiés.
Duval etoit un incrédule qui avoit resisté à tous les docteurs, et à tous les théologiens. Il vint me voir à Paris, et Dieu permit qu'en deux ou trois conférences je lui fisse faire complettement demi-tour à droite; de façon qu'il est devenu aussi exemplaire qu'il l'avoit eté peu autrefois. Je l'ay revu en 1792, lorsqu'il fut nommé colonel de dragons. Ses vertus m'enchanterent, et je n'ay pu le définir autrement qu'en disant que c'est un corps de fer, un coeur de feu, et une ame de lait. Ses connoissances ne me parroissent pas egaler ses vertus; mais qu'a-t-il à regretter en cela? Il est devenu depuis lieutenant gui.
106
Une voie particuliere s'est ouverte à Lyon en 1785. J'y fus appellé pour partager la recolle. Au milieu des nombreuses richesses qu'elle offroit, elle renfermoit aussi de la fausse monnaie, et l'on a fini par s'en dégouter. On y avoit abusé des nombres, et de la doctrine à moi connué antérieurement sur les animaux. On y avoit surtout abusé du goût de Willermoz pour la maçonnerie, car on en avoit mis partout. Je vins à cette initiation avec le desir le plus pur, et l'ame la mieux disposée; mais comme je ne trouvai dans aucun genre l'aliment qu'il me falloit, je me trouvai à la fin plus arrieré qu'au commencement. En effet quels etoient les fameux? Le doyen Castellas, la Rochette, la Berger, M1a Belle-Cire, Paganucci, etc. etc. etc. Il y en avoit qui auroient pu aller loin si on les avoit autrement embouchés; tels sont Savaron, Monspey, Milanois surtout, qui avoit eté si bien traité de la nature physique et morale, et qui a fini par abandonner tout, parce que le pilote qui s'etoit chargé de lui ne sçavoit pas poser son compas ailleurs que sur des simagrées et des apparences, quoiqu'ayant de grandes vertus et plus de connoissances qu'on n'auroit du lui en donner.
107
J'avois dit à 25 ans que tous les hommes etoient des prophetes sans le sçavoir; je l'ay imprimé depuis, et je ne m'en repents pas, car il est bien clair qu'il faut que ce soit la volonté autre que la notre qui se fasse, or celui qui fait la volonté autre que la notre n'est-il pas prophete? Mais il est plus aisé de nier ce principe que de le suivre. Voilà ce qui fait tant d'impies ou de prophetes manqués.
108 Les avares sont des voleurs. Il n'y a qu'à voir comment l'Ecriture les traite. Je l'ay peut-être eté quelquefois; mais je n'ay jamais eté cupide, et j'ay même eprouvé par experience que l'argent ne me fesoit jamais plus de plaisir que quand je le donnois. Aussi n'ay-je jamais reçu un liard de qui que ce soit sur la terre, si ce n'est de mon pere; encor lui ay-je parfois renvoyé de ses lettres de change quand je croyois n'en avoir pas besoin, ce qui l'etonnoit au dernier point. (Mon Suisse.)
109
L'esperance de la mort fait la consolation de mes jours, aussi voudrois-je que l'on ne dît jamais : l'autre vie; car il n'y en a qu'une.
110
La main qui nous gouverne ne veut pas absolument qu'on la connoisse; je me dirai donc : Laissons la faire, puisque c'est ce qu'il y a de plus sur, et ce qui lui convient le mieux; ne nous plaignons pas non plus si ses voies sont lentes, puisqu'elle ne peut rien faire pour nous qu'avec le tems; mais n'oublions pas que c'etoit à nous de tuer le tems, et que si nous n'y prenons garde, c'est lui qui peut nous tuer, et qui nous tué reellement tous les jours; et l'on vouloit me forcer de me laisser faire !
111
J'ay une belle-mere à qui je dois peut-être tout mon bonheur puisque c'est elle qui m'a donné les premiers elements de cette éducation douce, attentive, et pieuse qui m'a fait aimer de Dieu et des hommes. Je me rappelle d'avoir senti en sa présence une grande circoncision intérieure qui m'a eté fort instructive et fort salutaire. Ma pensée etoit libre auprès d'elle, et l'eut toujours eté si nous n'avions eu que nous pour temoins; mais il y en avoit un dont nous etions obligés de nous cacher comme si nous avions voulu faire du mal.
112
Ma cherissime B. lisoit un jour quelques-unes de mes notes, où j'avois mis celle-cy : La parole que l'on garde n'en devient que plus forte, car rien n'affermit l'homme comme le silence. Elle prit sa plume, et ajouta de sa main : da capo.
113
Dans une circonstance critique de ma vie où j'avois des torts (c'etoit à Tours dans la maison de mon premier beau-frere M' Aubry) je me dis avec assurance : La vraie maniere d'expier ses fautes, c'est de les reparer, et pour celles qui sont irréparables, de n'en etre point decouragé.
114
La maison de Pont-Carré à Paris m'a offert le grand exemple d'une femme forte. Elle etoit fille de Mr de La Tour 1°' president d'Aix, et de M d'Aligre. Elle s'est immolée à ce qu'elle a cru etre son devoir envers ses parents, et elle a vu son terme avec le calme d'un heros. Son mari a eu quelque part à mes objets par la communication que lui en avoit fait d'hauterive, et il en avoit retiré d'assez bons fruits. A la mort de sa femme, je le suivis à sa maison de campagne où elle avoit voulu etre enterrée dans le cimetiere. J'avois eté froid en voyant son cortege partir de Paris; je fus froid en voyant sa fosse. Je ne sçais pourquoi les morts ne m'attristent pas extremement. C'est peut-être par l'idée que j'ay eu souvent que la mort n'etoit qu'une promotion. Les ceremonies religieuses qui accompagnent les sepultures me touchent beaucoup davantage; j'ay revu depuis M' de Pontcarré à Rouen, et chez M' d'Etteville près Guillon, où je fus bien faché de ne pouvoir rester que 3 jours, parce que j'avois l'espoir d'y defricher utile-ment quelque terrein.
115
La pluspart des peres donnent la naissance à leurs enfants, et puis ils les laissent là comme des bêtes. Les malheureux! ils ne veulent pas se donner le soin de penser à l'etenduè de leurs droits, et à tous les avantages qui en resulteroient pour leur posterité.
116
C'est parce que l'homme fait trop des choses qu'il veut, qu'il ne peut plus faire de celles que voudroit son guide, car ce guide etant souverainement bon, il faut que la volonté de l'homme soit nulle, ou ne fasse qu'un avec la sienne, et c'est là l'eceuil et le chef-d'oeuvre de la sagesse. Je n'ay, pour ainsi dire, que des reproches à me faire dans ce genre-là, et peut-être aussi par une suite de mes erreurs, et de ma foiblesse me persuadé-je que je n'aurois pas tant de ces sortes de reproches à me faire si j'avois eu d'autres circonstances, tandis que je ne devrois jamais oublier ce que j'ay ecrit dans le n° 13.
117
Dès mes premieres années spirituelles, je me suis dit.
C'est bien macher à vuide que de courir après la matiere.
Si Dieu ne pardonnoit pas, où en serions-nous?
L'homme est un des attributs de Dieu, c'est pour-quoi il est aussi ancien que Dieu, sans qu'il y ait pour cela plusieurs Dieux.
Nous sommes tous voeufs, notre tâche est de nous remarier.
Ce n'est que dans la tendance vers notre etre que se fait la purification, tous ceux qui ne la sentent pas n'expient rien, ils ne font que se tacher davantage.
Que les hommes sont aveugles de se croire en vie!
Qu'est-ce que c'est que l'homme tant qu'il n'a pas la clef de sa prison?
Ne mets point ton argent dans une bourse, pour etre plus prompt à faire l'aumône.
Ce qui est est plus loin de nous que ce qui n'est pas. Oh comme Dieu est petit, pourroit-on dire, il ne fait rien que d'une seule maniere.
Les corps sont des etres de vie, s'ils etoient des etres vivants ils ne mangeroient ni ne mourroient point.
Les hommes font servir le vrai au culte de l'apparence, pendant que l'apparence leur avoit eté donnée pour le culte du vrai.
118
La ville de Strasbourg est la seconde après Bordeaux à qui j'aye des obligations inapprétiables, parce que c'est là où j'ay fait connoissance avec des verités prétieuses dont Bordeaux m'avoit dejà procuré les germes. Et ces vérités prétieuses c'est par l'organe de mon intime amie, qu'elles me sont parvenuès puis-qu'elle m'a fait connoitre mon cher B.
Lorsque je fus prêt d'aller dans cette ville pour la premiere fois en 1788, M"° Labourot me fit esperer la connoissance de la fameuse Gros-Jean. Je voulois rompre mon voyage. Mais elle dit. Non, partez, tout est arrangé pour votre depart, vous ne sçavez pas ce qui vous attend à Strasbourg. Je ne tardai pas à voir qu'elle avoit eu raison sans le sçavoir.
Indépendamment de cela j'y eus aussi l'aventure la plus romanesque qui puisse exister et qui seule aura peut-être dans ce receuil un article à part.
119
Ma bêtise auprès des femmes n'a jamais mieux paru qu'à Page de 20 ans, chez M°° Duvau à Paradis près Amboise. Je m'y pris d'inclination pour une jeune dame. Je me bornois à ecrire ma declaration sur un papier que j'allois deposer en cachette dans un coffret de sa toilette; puis quand il me revenoit d'autres pensées, je retournois à mon papier pour les ecrire. Puis je disois à la dame qu'elle trouveroit mes sentiments sur sa toilette. Je n'obtins rien avec ces manieres-là. Quelques tems après je fus obligé de partir pour le regiment. Je voulus exprimer mon amour verbalement, mais je trouvai un acceuil si froid que cela me guérit presque subitement.
120
J'ay vu presque généralement dans le monde que c'etoit ceux qui ne sçavoient pas les verités, qui etoient les plus empressés de les dire.
121
Vers l'année 1780 je lus dans mon cabinet chez Mesdames d'Arquelay rué S`-Thomas-du-Louvre un tableau allégorique fort instructif; sçavoir une main tenant un oignon de fleur qui au bout de quelques tems se developpa et produisit une fleur dont la racine touchoit à terre, et dont le sommet s'elevoit jusqu'aux cieux. Ce tableau m'interessa beaucoup, et je crois en appercevoir l'explication dans les fleuraisons où j'entre et qui 'n'annoncent de si belles recoltes pour le reste de mes jours.
122
Chez ces mêmes dames j'eus un jour une conférence sur le magnétisme animal,_ avec W Bailly, devenu, depuis, maire de Paris. Il avoit eté un des commissaires nommé par le Roi pour examiner ce phenomene, et avoit signé le miserable compte que la commission en rendit. Lorsque pour lui persuader l'existence du pouvoir magnétique sans soupçon de fourberie de la part des malades, je lui citai les chevaux que l'on traitoit alors à Charenton par ce procedé. Il me dit : Que sçavez-vous si les chevaux ne pensent pas? Au lieu de profiter avec modestie de l'avantage qu'il me donnoit sur lui par cette proposition, je lui repondis, avec etourderie : Monsieur, vous etes bien avancé pour votre age. Il a été guillotiné au Champ-de-Mars.
123
Aux yeux du monde, ce qui est difficile devient bientot impossible, car il se garde bien de se donner le moindre mouvement pour vaincre, et pour acquerir; aussi, comme il ne gagne rien, et qu'il perd toujours, il finit par n'avoir rien, et par dire qu'il n'y a rien, et que par conséquent l'on ne peut rien avoir. Oh que ce monde m'a fait souffrir!
124
Mon ame craint naturellement de se developper, elle aime mieux se concentrer, et se tuer, pour ainsi dire, que de se mettre dans le cas par son developpement, et son accroissement de se montrer à des yeux qui la méconnoitroient, et qui la prostitueroient; mais elle ne doit pas se livrer à cette impression; elle doit sçavoir qu'en se developpant, elle peut toujours mettre quelque chose de Dieu au monde, et que ce qu'elle aura mis au monde, y peut aussi faire honorer quelquefois le grand principe. Il faut enfin qu'elle brule sans cesse du zele de la maison du Seigneur; et elle ne doit jamais laisser eteindre ce feu par la parresse, et une fausse crainte, mais l'entretenir continuellement avec sagesse, avec prudence, et activité.
125
A Sienne en Toscane au mois d'octobre 1787, je sentis un tremblement de terre, qui etoit le premier que j'eusse senti de ma vie. Quoiqu'il fut leger, je craignis que la nouvelle ne s'en repandlt, et n'inquietât des amis que j'avois laissés à Lyon. J'ecrivis pendant les secousses à M°° Provensal, et pour justifier le griffon-nage et les pattes de mouche que le mouvement, et un peu la peur, me faisoient faire, je dis qu'il fesoit grand froid, et que j'avois les doigts gelés. Quand j'eus pris le tems d'observer le tremblement, je ne le jugeai pas dangereux, et je rassurai quelques habitants. Ils etoient tous dans les places et dans les grands chemins. Il n'y eut en effet aucun accident.
126
Essayez de faire valoir auprès des hommes sans intelligence et sans gout pour la verité, les droits de votre raison, et les privileges de la sagesse, ils vous repondront comme Pharaon repondit au peuple juif qui se plaignoit des injustices de ses exacteurs : Qu'on retranche la paille à ce peuple murmurateur, et cependant que l'on exige de lui qu'il fournisse la même quantité de briques.
127
Lavater ministre à Zurich est un de ceux qui a le plus goûté L'Homme de désir. Il en a fait un eloge des plus distingués dans son journal allemand du mois de décembre 1790. Il avouë ingenument qu'il ne l'entend pas tout; et dans le vrai, Lavater, eut eté fait pour tout entendre s'il avoit eu des guides. Mais faute de ce secours il est resté dans le royaume de ses vertus qui est peut-être plus beau et plus admirable que celui de la science; et en outre, ce qu'il avoit de science, il l'a un peu prodigalisé dans les livres. Peut-être me dois-je à moi-même un semblable reproche? Cet homme respectable ne m'est point connu personnelle-ment.
128
On sent ses progrès par la forme et la couleur des oeuvres de l'ennemi; on sent en outre jusqu'à quelle région s'etendent ses attaques, et jusqu'à quelle circonférence il est descendu. Alors on prend courage.
129
Le marechal de Richelieu vouloit me faire causer avec Voltaire qui mourut dans la quinzaine. Une autre personne dont j'ay oublié le nom vouloit me faire causer avec M' de Voyer qui mourut aussi dans la quinzaine. Je crois que j'aurois eu plus d'agrement et plus de succès auprès de Rousseau, mais je ne l'ay jamais vu. Quant au marechal, j'ay eu plusieurs conférences avec lui, tant chez lui que chez la cy-devant marquise de La Croix; et je lui ay trouvé une judiciaire assez juste. Je pense même que s'il avoit eu 20 ans de moins, nous aurions pu nous entre-tenir avec plus de fruit. Mais son age et sa surdité etoient de trop puissants obstacles, et je l'ay laissé là.
130
Nos oeuvres sont la monnoie de nos lumieres.
131
C'est en vain que se dit heureux celui qui fuit toujours les sens de son esprit. Mais cet esprit, il ne faut pas le chercher, il faut l'attendre en paix dans la sou-mission et dans la confiance. Il faut encore moins faire de nos yeux la borne de notre esprit, tandis qu'ils n'en doivent etre que le guide et l'indice. Ainsi celui qui est heureux est celui qui se laisse toujours porter et qui ne se porte pas lui-même, qui fait en sorte de ne jamais vivre que de la vie de son ame spirituelle, qui ne cherche pas parmy les hommes, son meilleur ami; celui-là pourra se dire : Il n'y a pas de joye comme celle que donne la sagesse.
132
Les malheureux hommes! ils ne se donnent qu'à la peinture! Et cela dans tous les genres.
133
Lorsque l'homme va de bonne foi dans la sagesse, elle prend si bien soin de lui, qu'elle fait tourner à son profit jusqu'à ses vices, et c'est là la honte et la punition du mauvais. Et c'est ce qui fait que l'homme parvient à tellement sentir les douceurs qui sont faites pour lui, qu'il ne veut plus gouter autre chose.
134
Oui si l'homme ne mouroit jamais il seroit toujours en etat de mourir, car ce qui est vivant ne connoit pas même la mort. Mais aussi, de même que ce qui est vivant ne connoit point la mort, de même ce qui est mort ne connoit point la vie.
135
Autrefois je n'aimois point à me promener dans les promenades publiques tant j'avois l'inquietude que tout le monde me regarderoit. A present, je crois au contraire que personne ne me regarde, c'est ce qui fait que je m'y promene plus hardiment. J'ay changé egalement de maniere d'etre dans la communication de mes idées; autrefois je craignois d'en dire toujours trop; à present je sens que l'on peut dire tout. Il est vrai que je songe cependant encor quelquefois aux mesures de la prudence, et à l'observation des degrés pour ceux qui ecoutent. Mais je suis sur cela beaucoup moins difficile que par le passé, et je sens qu'il faut donner aux hommes pour les nourrir, et pour leur faire naitre le gout.
136
Un des mouvements de gayté les plus vifs que j'aye eprouvé dans ma vie, c'est à la lecture d'une expliation de l'Apocalipse par un jesuite italien dont le nom. L'ouvrage est en trois volumes in-12, et a eté composé en anglais. Il me fut preté par M' de Scé parents des Montbarey, de la part du marechal de Broglio. Au sujet des sauterelles à face d'homme, allant à cheval, et jettant de la fumée et du feu ch. 9, l'auteur dit : Elles etoient à cheval, apparemment c'etoit pour aller plus vite. Elles etoient au nombre de deux cent millions cela veut dire beau-coup. Elles jettoient de la fumée, du feu etc. c'etoit des pistolets et des carabines qu'elles tiroient, mais S` Jean ne pouvoit sçavoir ce que c'etoit parce que la poudre à tirer n'etoit pas encor inventée de son tems.
Le très aimable W de Scé voulut faire semblant de se facher de ce que je fesois si peu de cas d'un livre qu'il auroit cru devoir m'interesser davantage; je l'assurai, au contraire, en riant à mon tour, que jamais livre ne m'avoit fait tant de plaisir, et ne m'avoit occasionné tant de rejouissance; au vrai, je riois à gorge deployée, et il ne pouvoit pas douter de ce que je lui disois.
137
Pleure, homme, tant que tu seras vierge, et que tu ne trouveras point de mari, mais tache aussi de ne prendre que des maris avec qui tu puisses rester vierge. Songe que tout consiste dans les preparatifs, et dis sans cesse à Dieu : J'apposerai ton nom sur toutes mes actions afin qu'elles soient bonnes. Voilà ma tâche.
138
J'ay eté degouté de bien bonne heure des explications scientifiques des hommes; ou pour mieux dire, il n'y en a jamais eu une qui ait pu trouver accès chez moi; il y avoit en moi quelque chose qui les repoussoit naturellement. Et je me disois : Comment les hommes peuvent-ils trouver quelque chose en fait de science? Ils expliquent la matiere par la matiere, de sorte qu'après leurs demonstrations on auroit encor besoin d'une démonstration.
139
Il a eté bien doux pour moi de trouver dans mon Livre rouge ecrit il y a vingt ans ce passage-cy n° 400, Avant la creation visuelle, il en a fallu une autre qui ne l'est pas. Cette profonde verité que je ne pouvois developper alors m'a eté merveilleusement eclaircie et prouvée par l'ami J. B M' de Buffon a aussi voulu nous parler de cet objet-là dans ses Epoques de la nature; mais il a patdgé complettement, en ce que pour lui c'est la même substance et la même nature dans les deux regnes, ou les deux epoques. Ce Livre rouge est disseminé dans tous mes ecrits posterieurs.
140
Le duc de Bouillon chez qui j'allai passer quinze jours à sa terre de Navarre en 1780, est un de ceux en qui j'ay trouvé le plus de justesse d'esprit, et d'aptitude à saisir les choses abstraites. Je vis chez lui M°° Dubarry; et je remarquai avec quelle affectation on parloit bas en sa présence; quoique son regne fût passé depuis plusieurs années, on la traitoit toujours en princesse et en favorite. Macdonald ancien cama-rade à moi etoit retiré chez le duc dont il etoit parent; il y etoit bien venu parce que le duc etoit, en effet un excellent homme; et surtout avoit une bien grande sensibilité; cependant je vis en lui un contraste bien frappant. Il souffroit de voir seulement egorger un poulet, mais il a assisté d'un bout à l'autre au supplice de d'Amiens, parce que ce Damiens etoit l'assassin de son ami intime.
141
Mon ame dit quelquefois à Dieu : Sois tellement avec moi, qu'il n'y ait absolument que toi qui sois avec moi. Et cette parole n'est que la reelle expression de ce qui a eté de tout tems le veritable desir de mon ame.
142
Une femme nommée Md° Bert... de Bl.... qui venoit souvent chez ma tante, m'y remarqua dans Page de ma fraicheur et de la jeunesse de ma figure. Comme j'etois fort bête auprès des femmes, je ne tirai point parti de ses honnêtetés quoiqu'elles fussent assez significatives. Un jour ma tante voulut l'avoir à diner, et me chargea du billet d'invitation. Lorsqu'elle arriva elle me dit : Je parie que c'est vous qui avez ecrit le billet que j'ay reçu. Comment le sçavez-vous, lui dis-je? Vous n'avez jamais vu de mon écriture. Oh, me repondit-elle, mon coeur me l'a dit bien plustot que mes yeux. Cette fadeur me dégouta tellement que je n'ay pas remis le pied depuis chez cette dame. Elle venoit toujours chez ma tante, et me fesoit des yeux qui m'auroient exterminé si elle avoit pu. Vingt ans après cette scêne nous nous rencontrâmes nez à nez au spectacle; nous etions chacun dans des loges qui se touchoient, et nous eumes en même teins la curiosité de voir qui nous avions pour voisins; elle se retira comme si elle avoit vu le diable.
143
Le sort n'a fait toute ma vie que me râtisser comme un navet de peur que je reçusse quelque appui des choses de ce monde qui ne sont en effet qu'une ecorce. Il m'a ratissé dans la fortune, dans les liens de famille, dans les liens spirituels humains, dans la force et la santé de mon corps, dans les alliances maritales qui se sont offertes pour moi, dans les charges et emplois ou dignités de la societé, dans les connoissances d'agretnent telles que la litterature et l'histoire où j'aurois fait des progrès si j'eusse eu des emules, dans les sciences exactes qui m'auroient eté utiles autant qu'agréables si ces mêmes secours ne m'avoient manqué; enfin, il voudroit me râtisser aussi dans les vastes objets qui m'ont eté offerts et dans l'union qu'il me faut faire exclusivement avec eux. C'est à moi à me mettre en garde, et à me deffendre de ses coups après avoir eté si bien averti.
144
J'ay trouvé par le monde des gens que j'etois fâché qu'ils fussent prêtres, parce que cela empêchoit que je ne leur apprisse à le devenir.
145
Mon premier sejour à Lyon en 1773, 74, et 75, ne m'a pas eté beaucoup plus reellement profitable que celui de 1785. Voyez n° 106. J'y eprouvai un repoussement plus marqué encor que celui n° 89. Mais il etoit d'un autre genre; il etoit dans l'ordre spirituel, au lieu que celui que j'eprouvai de ma tante n'etoit que de l'ordre terrestre, n'en connoissant pas d'autre alors. Néanmoins ces repoussements n'ont jamais changé ni l'un ni l'autre; et leurs racines n'ont fait que se montrer davantage; j'ose même croire que la voie de Lyon n° 106, a eté une ramification de cette racine. C'est cependant lors de ce premier sejour à Lyon que j'ay developpé et aligné les instructions que j'avois reçuès à Bordeaux; et ce travail m'a exercé aux lumieres de l'esprit et du raisonnement; mais l'action y manquoit tellement tant de ma part, que de celle de mes collegues que je n'ay pas fait alors les vrais profits que j'aurois desiré, et qui sont reellement les seuls qui se comptent.
146
Je voudrois trois choses. 1° Que l'homme n'oubliât jamais qu'il y a une autre lumiere que l'elementaire, et dont celle-cy n'est que le voile et le masque (verité qui m'est venué un jour en allant de Beauvais-sur-Cher, à ma maison d'Athée, et qui m'a eté magnifiquement confirmée depuis par mon ami J. B.) 2° Que l'homme se persuadât que rien ne peut et ne doit l'empêcher de faire son travail. 3° Qu'il sentît que ce que l'homme sçait le mieux, c'est ce qu'il n'apprend point.
J'ay vendu cette maison d'Athée qui m'etoit venuë par heritage de ma mere. Je pourrois trouver dans le nom de cette maison, dans la vente que j'en ay fait, quelques rapprochements avec ma destinée et avec le genre marqué d'opposition qui m'a dominé; mais ces apperçus seroient trop legers pour qu'il me fût permis de m'y arrêter longtems. Mon pere a habité cette maison pendant plusieurs années, et il en a fait un autre usage que moi; son ame douce y a joui des plaisirs d'un sejour agréable. Quant à moi, j'y ay beaucoup joui aussi dans mon enfance, en y jouant beaucoup avec le petit Bernard, fils du metayer ou closier qu'on appelloit le bonhomme Jacques, qui, je me rappelle, ne s'asseoyoit jamais qu'en disant : Adieu jeunesse. J'y ay joui aussi bien vivement dans mon adolescence, en y lisant un jour dans une prairie à Page de 18 ans les Principes du droit naturel de Burlamaqui. J'eprouvai alors une sensation vive, et universelle dans tout mon etre, que j'ay regardée depuis comme l'introduction à toutes les initiations qui m'attendoient.
147
Les petits poissons se laissent aisement prendre à l'hameçon, n'etant encor ouverts qu'au charme et à l'attrait de l'appas. Les vieux poissons le sont en outre à l'experience, aussi se prennent-ils plus difficilement à l'hameçon. J'ay vu cette verité s'accomplir pour ceux qui sont encor novices aux choses spirituelles; ils ne sont sensibles qu'aux charmes, et ne sçavent pas se deffendre des erreurs qui en sont le noyau. P P.*
148
Ce qui devroit etre le vrai merite de la jeunesse, ce seroit de ce qu'elle a plus de tems devant elle pour pour (sic) se procurer un meilleur sort dans l'ordre de la verité. Ce qui devroit faire le vrai merite de la vieillesse, ce seroit de ce qu'elle est censée avoir si bien rempli sa carriere, qu'elle s'est en effet assurée dejà ce meilleur sort qui doit faire l'ambition de la jeunesse. Voilà ce que j'aurois voulu pratiquer et obtenir.
149
Quand est-ce que je me suis senti ne rien craindre, dans les cieux, sur la terre, et dans les enfers? C'est lorsque j'ay craint le péché.
150
L'ennemi a eu beau faire, ma parole est venuë au monde malgré lui, et elle lui sera un jour assez importune pour qu'il s'en afflige, comme il le fera de toutes les paroles vraies qui se seront engendrées sur la terre; c'est là ce qui fait ma consolation, car nous ne venons tous à la vie terrestre que pour ce sublime et magnifique objet, et ceux qui l'auront atteint doivent s'attendre à des recompenses, parce qu'autant les paroles vraies peseront sur l'ennemi, autant elles satisferont le principe de toute verité, et il ne demandera pas mieux que de payer ceux qui auront etendu son regne.
151
Dans ma jeunesse, lorsque j'entendois tout le monde soit dans les maisons, soit dans les ruès causer ensemble pour se plaindre tous les uns des autres, pour se disputer sur de frivoles objets d'interêts, et murmurer tous contre l'injustice, je me disois : Il faut surement qu'il y ait un secret general et une loi cachée qui mettroit tous les hommes d'accord s'ils connoissoient ce tresor; car je ne vois point les bêtes s'agiter ainsi, et manifester si universellement leur inquietude. Dans un age plus avancé, j'ay eu la solution de ce problême, et c'est ce problême resolu qui a fait le bonheur de ma vie.
D'autrefois quand je voyois tout le monde s'agiter sans cesse et essayer de prouver par leurs discours, par leurs mouvements, et par leurs gestes même qu'ils avoient raison, je me disois : Il est etonnant que depuis le tems que les hommes démontrent tous et à tous les pas, il y ait cependant si peu de verités parmy eux.
152
Si l'on n'est pas complet dans l'intelligence, dans les lumieres, dans les connoissances, dans les vertus, dans les dons de la parole, et dans les oeuvres, il ne faut pas se présenter devant les hommes, car comme ils manquent de tout, ils ne vous aideront pas du bout du doigt dans toutes ces choses-là, et ne verront que ce qui vous manque et non point ce que vous avez; c'est une idée qui m'est venue après quelques entre-vues avec les deux Segur fils du marechal, et ayant tous deux beaucoup d'esprit. 1788
153
Pendant le ministere de M' de Montbarey il m'eut eté très aisé d'avoir la croix de S`-Louis, si j'avois sçu profiter de la bonne volonté qu'avoient pour moi sa femme, sa fille la princesse de Nassau, et sa soeur, la comtesse de Coaslin; mais au premier refus qu'il fit de me faire avoir un relief pour l'interruption de mes services, je m'en tins là; quand il fut sorti du ministere je luy reparlai de cela, et il me tint un langage tout différent. Quand j'ay eté dans l'humain j'ay quelquefois regretté cette bagatelle; parce que je sçais qu'elle n'est rien quand on l'a, et qu'elle est tout quand on ne l'a pas (ce qui est commun à toutes les choses de ce monde) mais quand j'ay eté raisonnable je n'y ay pas seulement pensé; et quand j'ay eté juste je me serois blamé de l'avoir acceptée puisque je ne Pavois pas gagnée.
La d. d. B. a voulu aussi faire une tentative à ce sujet lorsqu'elle eut l'idée de me faire son ecuyer; mais le ministre Puységur y mit bon ordre.
154
Par la raison que Dieu veut cire le seul qui fraye avec moi pour l'instruction, il veut etre le seul avec qui je fraye pour la communication, et la confiance.
155
Si c'est par ma foiblesse naturelle que je n'ay pas avancé autant que je l'aurois du dans ma carriere, c'est aussi par le pouvoir sécret mais dominant de la personne qui a eté le mobile universel de ma vie. Je n'aurois pu avancer sans devenir etranger au monde (dans toute l'etenduë du terme) et peut-être egalement etranger à cette même personne; or comme à tout moment je peux lui devoir mes soins et mes jours, je me suis souvent arrêté, pour etre en mesure de pouvoir lui rendre ce que je lui dois. Nul autre etre sur la terre ne pourroit me faire faire une semblable combinaison.
156
Dans ma jeunesse etant à la campagne chez ma tante avec un musicien nommé Quentin qu'elle m'avoit donné pour maitre de violon, je m'avisai de vouloir composer une symphonie, quoique je n'eusse de ma vie appris la composition. Ce ne pouvoit etre qu'un assemblage de fautes, et en effet ce n'etoit pas autre chose. Le musicien Quentin à qui je la montrai et qui etoit bon compositeur ne put pas en lire deux mesures sans la jetter là. Je vouloir cependant qu'il me rendît compte des fautes qu'il y trouvoit, tandis que pour rendre ce compte il auroit fallu commencer par etudier six mois de suite, avant de connoitre les bases et les principes sur lesquels il devoit s'appuyer. J'ay reconnu dans mille occasions de ma vie, que telle etoit la marche de la plus part des gens du monde, et des ignorants; et puis ils se fachent quand vous ne les faites pas comprendre. C'est surtout dans mon objet que cette fausse marche est contrariante pour celui qui est un peu au fait. Aussi me suis-je dit souvent que c'est une grande science que de sçavoir faire des questions.
157
Au college de Pontlevoi où j'ay etudié on donnoit en propre à la fin de la seconde les deux croix qui avoient servi de recompense momentanée pendant les classes précédentes. Les deux ecoliers qui les remporterent alors dans ma classe, furent un nomme Gautier de Tours, et un nommé Douat de S`-Jean-de-Luz. Je me trouvai monter à la retorique, immédiatement après eux deux; et c'est ce poste d'approximation qui a semblé etre le mien dans toutes les autres occasions de ma vie.
158
J'ay senti pourquoi l'homme aveugle avoit des inquietudes quoiqu'il eut la vie en lui, c'est qu'il ne peut se le persuader, cependant s'il s'appliquoit à s'instruire des principes des choses, il verroit combien la connoissance du reste lui deviendroit simple et familiere, car après avoir connu l'existence de ces principes, il parviendroit à les connoitre dans leur mouvement, et dans leur jeu, ce qui est la seule chose qui soit la veritable science.
159
J'ay dit dans le Livre rouge n* 260, Il Hait toujours. Lorsque j'ecrivis cela il y a 25 ans je n'en avois que le sentiment; depuis lors j'en ay eu la preuve, et la conviction.
160
Il seroit bien malheureux pour l'homme, qu'après avoir passé par les miseres de la vie, cela fût encor
à recommencer, et tel est le sort de ceux qui se croient à leur place sur la terre. Car qui est-ce qui sera assez fort pour avoir ainsi touché cette bouê sans se sallir? Voilà ma doctrine fonciere.
161 *
162 Mon pere n'ayant pu eteindre en moi le gout que j'avois pour les objets profonds, essaya vers ma trentieme année de me donner des scrupules sur les recherches dans les verités religieuses qui doivent etre toutes de foi. Il m'engagea à lire un sermon du pere Bourdalouë dans lequel ce predicateur prouvoit qu'il ne falloit pas raisonner. Je lus le sermon, puis je repondis à mon pere : C'est en raisonnant que le pere Bourdalouë a voulu prouver qu'il ne falloit pas raisonner. Mon pere garda le silence, et n'est pas revenu depuis à la charge.
163
Il est bien clair que les hommes doivent etre menés, et qu'ils n'ont que leurs yeux pour les conduire; c'est pour cela qu'il n'y a que la science fausse qui donne de l'orgeuil, parce qu'il n'y a qu'elle qui eloigne du principe, et dans laquelle les hommes se menent eux-même.
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Etant encor tout jeune je disois à ma belle-mere : Vous entendrez parler de moi sans que je puisse vous dire encor dans quel genre ce sera. Elle me rappella ces paroles-là lorsqu'en 1791, l'Assemblée nationale fit une liste de ceux pariny lesquels on choisiroit un gouverneur au prince royal, et que je me trouvai je ne sçais comment sur cette liste; car assurement je ne Pavois pas cherché, et cette idée n'avoit pu venir qu'à quelqu'un qui ignoroit combien jetois peu propre à une pareille place.
165
C'est à Lyon que j'ay ecrit le livre intitulé : Des Erreurs et de la verité. Je l'ay ecrit par désoeuvrement, et par colere contre les philosophes. Je fus indigné de lire dans Boulanger que les religions n'avoient pris naissance que dans la frayeur occasionnée par les catastrophes de la nature. J'ecrivis d'abord une 30' de pages que je montrai au cercle que j'instruisois chez M` Willermoz, et l'on m'engagea à continuer. Il a été composé vers la fin de 1773 et le commencement de 1774, en quatre mois de tems, et auprès du feu de la cuisine, n'ayant pas de chambre où je pûsse me chauffer. Un jour même le pot à la soupe se renversa sur mon pied, et le brula assez fortement.
C'est à Paris, partie chez M°" de Luzignan au Luxembourg, partie chez M°e de La Croix que j'ay ecrit le Tableau naturel, à l'instigation de quelques amis. C'est à Londres et à Strasbourg que j'ay ecrit L'Homme de desir à l'instigation de Tieman. C'est à Paris que j'ay ecrit Ecce homo d'après une notion vive que j'avois euë à Strasbourg. C'est à Strasbourg que j'ay ecrit Le Nouvel homme à l'instigation du cher Silverielm ancien aumonier du roi de Suede, et neveu de Swedenborg. J'ai pris l'epigraphe de chacun de ces ouvrages dans celui qui précédoit leur publication et si j'en publie d'autres, je suivrai probable-ment cet usage.
166
Jamais un poëte de profession ne peut ecouter, il faut toujours qu'il parle et qu'il ne vous laisse d'autre sens que celui de l'oreille tant il est habitué à se faire ecouter. C'est une observation que j'ay faite chez le vicomte de Segur en entendant l'abbé de Lile qui est vraiment un poéte distingué. J'ay plus connu là l'espece poétique en deux heures de tems que je ne Pavois connuë dans toute ma vie.
167
Après le duc de Choiseul, c'est Grainville premier capitaine de grenadiers au rg` de Foix qui a eté l'instrument de mon entrée dans les hautes verités qu'il me falloit. C'etoit en 1765, quelques jours après mon arrivée dans le reg`. Je n'etois pas très jeune, il me distingua entre mes camarades, et vint à moi sur la place du Chateau-Trompette. Il me fit quelques questions auxquelles je repondis de mon mieux selon les foibles connoissances que j'avois; il fut content néanmoins, et dans peu de jours, on m'ouvrit toutes les portes que je pouvois desirer. Champoleon, cap' au même rg` etoit plus instruit que Grainville, et il auroit pu m'etre plus utile qu'il ne me l'a eté s'il ne s'etoit cru obligé de se voiler et de me faire tirer la langue. Il n'y avoit pas de zele aussi vif, et aussi pur que le mien. Si Martinetz de Pasqually qui etoit notre maitre à tous avoit voulu me connoitre, il m'auroit conduit autrement qu'il n'a fait, et auroit fait de moi un autre sujet, quoique je lui aye cependant des obligations inexprimables, et que je remercie Dieu tous les jours d'avoir permis que je participâsse, quoiqu'en petite mesure, aux lumieres de cet homme extraordinaire qui a eté pour moi le seul homme vivant, de ma connoissance, dont je n'aye pas fait le tour.
168
J'ay senti qu'il seroit à propos de ne demander les dons et les connoissances qu'à mesure qu'on en a besoin, parce qu'alors c'est la nature et non pas la volonté humaine qui nous dirige; aussi nous est-il dit que nous ne devons marcher que par la volonté de notre chef, et qu'il ne faudroit jamais ecrire, parler, agir sans ordre.
169
Pourquoi tous les hommes ne travaillent-ils pas à connoitre et à sentir la simplicité des loix immuables par lesquelles tout est gouverné ! Pourquoi ne les respectent-ils pas assez pour craindre toujours de les dénaturer et de les corrompre, comme etant surs de ne pouvoir trouver hors d'elles que la confusion! Oui, il faut que l'homme soit un grand monstre, il avoit eté choisi pour retablir l'ordre, et c'est lui qui a mis, et qui met le desordre partout.
170
Les principes qu'on m'a donnés m'ont si bien servi, que je puis dire n'avoir perdu de causes sur mes grands objets, que celles que je n'ay point plaidées, quoique cependant toutes celles que j'ay plaidées je ne les ay pas gagnées pour cela, parce qu'il y en a eu quelques-unes dont le succès a eté indécis, et d'autres où je n'ay rien produit du tout; mais dans aucune je n'ay eté obligé de reculer, et quoique mes idées trouvent toujours à s'etendre et à acquerir avec toutes les personnes qui me font l'honneur de vouloir bien s'entretenir avec moi, ces mêmes idées n'ont jamais changé dans ce frottement et elles s'y sont souvent grandement confirmées; je dois beaucoup en ce genre particulierement, au marquis de Luzignan, au curé de St-Sulpice Tersac, au marechal de Riche-lieu, au duc d'Orleans-Egalité, au medecin Brunet, au chevalier de Boufflers, à w Thomé, toutes connoissauces qui n'ont duré qu'un moment, et n'ont eté que des passades.
171
J'allai vers 1780 à La Faleize chez W de Tournis avec les deux dames Ainslies soeurs de l'ambassadeur d'Angleterre à Constantinople que j'avois connuès à Bordeaux, avec le poète Boucher, et une jeune et jolie femme MQe Pergaux et un monsieur dont j'ay oublié le nom. Je fus dans des ravissements de la beauté du lieu; je fis des vers, etant electrisé par l'atmosphere du poète. Mais le maitre de la maison, bien loin de soupçonner mon genre d'occupation, et la liberté de mon coeur, me crut l'amant de la jeune femme que je n'avois jamais vuè, et dont il devint amoureux lui-même. Cela mit tant de froideur dans ses manieres à mon egard que quoique je J'aye rencontré plusieurs fois à Paris depuis, nous etions comme deux etrangers. Ce qui me frappa le plus à sa terre, c'est la momie, les inscriptions des bosquets, et surtout le diner impromptu dans la petite cabane, devant une fontaine en cascade où je me surpris les larmes aux yeux.
172
En 1768, etant en garnison à L'Orient j'eus un songe qui me frappa. J'etois dans les premieres années de mes grands objets, et c'est à L'Orient même que j'en avois eu les premieres preuves personnelles en lisant un livre de mathematique. La nuit je vis un gros animal renversé par terre du haut des airs par un grand coup de fouet; je vis ensuite un autel que je pris pour etre chretien, et sur lequel je vis quantité de personnes passer et repasser avec précipitation, et comme voulant le fouler aux pieds. Je me reveillai avec beaucoup d'affliction de ce que je venois de voir; et la suite de ma vie m'a appris combien d'evenements qui me sont arrivés depuis ont l'air d'etre la confirmation de ce malheureux songe. Cependant ce n'est qu'une epreuve, et non un décret. J'ay mes raisons pour le penser ainsi. C'etoit l'annonce du renverse-ment de l'Eglise. Voyez le n° 834.
173
Je n'ay cessé de dire tout haut ce qui me manquoit pour avancer dans mon oeuvre et pour la completter; mais je n'ay presque trouvé que des gens qui. au lieu de m'aider à acquérir ce que je n'avois pas, se fesoient une vertu de me contester ce que j'avois.
174
Une de mes persuasions a eté que pour avoir la per-mission de parler, il falloit avoir passé quinze ans sur le ventre, et dans la poussiere. Car c'est là que l'homme apprend la grande science de ne se pas presser, qu'il apprend combien il s'eleve quand il est humble et simple, et combien il est fort et heureux quand il ne contemple que d'en haut la region inférieure, et qu'il ne peut plus songer qu'il est icy-bas.
175
Homme, me suis-je dit quelquefois, tu as des peines, et tu as le pouvoir de prier ton Dieu! Mais en même teins je me disois : Comment les hommes n'auroientils pas des peines, puisque tous leurs soins ne tendent qu'à les dispenser de prier leur Dieu?
176
M° de La Mardelle, frere de MQe Duvau, procureur du Roi au présidial de Tours, le même qui engagea mon pere à me faire entrer dans la robe, quoique j'y fusse si peu propre, voulut longtems après m'engager à prendre une place dans le Conseil souverain du Port-au-Prince dont il etoit devenu procureur général sous le ministere du duc de Choiseul. Je sçus les projets attenants à celui-là qui le dirigeoient, je les sçus par mon premier educateur qui alors etoit à S`-Domingue où il est mort en 1774. Je repondis à La Mardelle que depuis que nous nous etions connus, j'avois fait quelques pas dans la carriere des définitions, et que quoiqu'il me reprochât dans sa lettre de rester à ne rien faire en Europe, j'avois appris qu'il y avoit encor une autre maniere d'etre utile aux hommes que celle de les juger, de les pressurer, ou de les tuer. Ce ne
furent point ses projets secondaires qui me firent ecrire ainsi, ce fut l'effet de mes grandes persuasions qui me dominoient dejà depuis longtems. En 1785 ces projets secondaires se remontrèrent par le ministere de M"' d'Alzac, mais sans plus de succès.
177
Je n'ay rien vu parmy les hommes qui ne me demontrât la verité de leur principe, mais c'est sur l'objet qu'ils se trompent. Cependant il y a une proportion continué entre l'accroissement des forces spirituelles de l'homme, et les obstacles successifs auxquels il est exposé; mais comme il ne met point ses forces à profit, et que les obstacles suivent constamment leur progression croissante, il est vaincu. A qui s'en plaindre?
178
Mon crime aux yeux des hommes a eté d'avoir compris. Ce crime m'a eté vivement reproché, particulierement par ceux qui ne comprenaient pas. Quelques femmes surtout ont eté en ce genre mes plus grands adversaires, elles etoient pour moi comme autant de Saturnes qui epioient mes accouchements afin de devorer tous mes enfans, de maniere que j'etois obligé d'user de ruse pour enfanter. D'ailleurs les femmes etant communément plus liées au sensible que l'homme, quand elles ont senti, elles croyent qu'elles ont compris, et la verité même est obligée de se taire et de se cacher devant leurs ténébres. Mais tous mes Saturnes auront beau faire, ma priere est née malgré leurs jugements, et un jour elle jugera leurs jugements même, à leur grand regret.
179
Il y a quelques années qu'apres une cérémonie religieuse dont j'avois taché de profiter pour ma purification, je me trouvai les yeux si nets que dans moins d'un quart d'heure, je commis cinq ou six fautes qui ne m'auroient rien paru dans un autre tems, niais qui alors me semblerent graves et contraires à la charité qui devroit toujours nous animer. L'une de ces fautes fut envers un pauvre dans l'eglise de S`-Roch. Les autres furent chez M de S`-Martin la magnétiseuse, chez qui arriva M de Fourqueux dont je voulois eviter les questions et les conversations philosophiques, pour en avoir eu déjà plusieurs fois avec elle très inutilement. C'etoit ma faute, si elle etoit si ardente. Mes premiers ecrits en étoient la cause; car comme ils ont eté faits sans ordre, je ne dois pas me flatter qu'ils ayent eté toujours selon la mesure. Cette dame de Fourqueux, s'addressoit, en effet, à tout le monde, à l'abbé Rozier, Willermoz, Cazotte, d'Hauterive, les Luzignan, et nous mettoit sans cesse en panne les uns devant les autres, ou plustot sembloit devant chacun se plaindre de tous, afin d'exciter la confiance ou l'envie de parler dans celui avec qui elle causoit le dernier.
180
L'esprit est pour notre ame, ce que nos yeux sont pour notre corps. Si nous n'avions que de l'esprit, nous ne serions rien, de même que sans la vie de nos corps, les yeux nous seroient inutiles; les statués ont aussi des yeux, mais elles n'en profitent pas pour cela, puisqu'elles n'ont point la vie.
181
Dieu permet quelquefois que nous ecoutions nos prejugés, lorsqu'il sçait ce qu'il y aura après pour nous attendre. Je ne quittai si promptement la charge que La Mardelle m'avoit fait prendre, que pour n'avoir pas l'embarras et la honte de paroitre en robin devant le regiment de Chartres qui venoit en garnison à Tours; sans cette circonstance, et sans cette puérilité, je serois resté par foiblesse dans un etat que j'abhorrois, qui ne me convenoit sous aucun rapport, et dans lequel je n'avois aucune connoissance, et ne pouvois esperer d'en acquérir. Si j'y etois resté, je n'aurois pas pris l'etat du service, je ne serois pas allé à Bordeaux, et je n'aurois pas mis le pied dans la carriere qui seule pouvoit faire mon bonheur en ce monde. Voyez le n° 82, et 167.
182
C'est du fonds de mon etre que je me suis dit souvent, que nous nous flatterons en vain de reussir en quoi que ce soit, si auparavant nous ne prenons pas la précaution de prier.
183
Le sens absolument faux m'a fait moins de peine que le sens à moitié vrai, parce que cette moitié vraie empêchoit l'autre de se rectifier.
184
J'ay eu beaucoup d'agréments dans la famille Burdin à Tours. On m'y a comblé de bontés et d'amitié. Le pere etoit un homme qui avoit beaucoup de lecture et de connoissance, mais nullement dans le genre qui m'a dominé. Les desastres arrivés dans leur maison par les derangements du fils ainé m'ont porté un coup mortel en m'enlevant une societé pretieuse pour moi. La fille M" de La Mardelle etoit un modele de bonne education, et d'amabilité. Je n'oublierai jamais qu'etant chez elle à Reugny avec sa soeur, son mari et quelques autres, on fit une partie de promenade à cheval, où il lui echappa un mot qui amusa beau-coup la compagnie; que de là nous allames pour prendre du lait dans une ferme voisine, et que quoique j'aimasse prodigieusement le lait, je refusai d'en prendre, et je mentis en disant que je ne l'aimois pas, le tout, parce que je m'apperçus que je n'avois pas le sol dans ma poche, et que je croyois que c'etoit à moi de payer.
185
Les hommes ont cru que c'etoit un mauvais mouvement qui me retenoit si souvent de leur parler' de la sagesse, tandis que cela ne venoit que de ma frayeur qu'on n'en fût pas digne; et j'ay une telle idée de la sublimité de cette sagesse que je ne presume pas que la route qui y conduit puisse leur etre developpée dans toute sa profondeur, et encor moins divulguée à la multitude.
186
J'avois reçu de la nature un genre d'esprit qui auroit pris à tout ce qu'on auroit voulu, d'autant que mon ame ne voulant que le bien n'auroit offusqué en rien mon esprit, mais les hommes et les circonstances se sont reunis à qui mieux mieux pour que je ne prisse à rien; et dans le vrai, sans les coups de force que la Divinité a donnés à ma destinée, j'aurois eté l'homme le plus nul, le plus ignorant, et le plus insignifiant de toute la terre, quoiqu'avec de grandes dispositions pour etre autre chose.
187
Un des traits de celui qui n'a cessé de me combattre, est ce qui m'arriva à Strasbourg en 1791. Il y avoit trois ans que j'y voyois tous les jours mon amie intime; nous avions eu depuis longtems le projet de loger ensemble, sans avoir pu l'exécuter; enfin nous l'exécutons. Mais au bout de deux mois, il fallut quitter mon paradis, pour aller soigner mon pere. La bagarre de la fuite du Roi me fit retourner de Luné-ville à Strasbourg où je passai encor quinze jours avec mon amie; mais il fallut en venir à la séparation. Je me recommandois au magnifique Dieu de ma vie pour etre dispensé de boire cette coupe; mais je lus clairement que quoique ce sacrifice fût horrible, il le falloit faire. Et je le fis en versant un torrent de larmes. L'année suivante à Pâque, tout etoit arrangé pour retourner près de mon amie, une nouvelle maladie de mon pere vient encore comme à point nommé, arrêter tous mes projets. Je me rappelle qu'etant au college où je prenois gout à mes petites etudes, mon pere me les fait interrompre au bout de six mois et me fait revenir pour me faire faire un habit. Quoique l'interruption ne fût que de quinze jours, elle rompit cependant assez mon allure, pour que je n'aye jamais pu la reprendre depuis, avec le gout et le charme que j'y trouvois auparavant. Ma vie entiere n'a eté qu'une suite de semblables brisures; et cela sera de même jusqu'à ce que j'aye vaincu complettement, et que ma jonction commencée soit parfaite; alors la rouë du monde et de ses puissances ne m'entraînera plus quoique je sois encor dans le monde.
188
Dieu m'a fait sentir qu'il n'aime que ceux qui s'aiment assez eux-mêmes pour sacrifier tous leurs jours, et tous leurs moments au soin de leur etre, et qui prisent tant la noblesse de leur existence spirituelle divine, qu'ils ne se donneroient pas -pour tous les tresors de tous les univers. Mais combien de fois ay-je oublié cette sublime verité! Combien de fois ne me suis-je pas donné pour des vanités, et pour rien!
189
Il n'est pas difficile de reconnoitre que les maux de la nature seroient si bien de simples apparences pour nous, que si nous etions fideles à nos mesures, ils se gueriroient par de simples regimes, au lieu de ces remedes violents que nous sommes obligés tous les jours d'employer. C'est une experience que j'ay faite plusieurs fois.
190
Lorsque j'ay eu le bonheur de faire quelque chose, je n'ay eté etonné de rien; c'est lorsque l'on ne fait rien que l'on est etonné de tout.
191
Quand j'ay eu le bonheur de persévérer quelque tems dans la sagesse, je suis parvenu bientot au point d'etre pour les autres hommes, comme une nation à part, et qui parle une langue etrangere; c'est même alors une peine inutile à prendre auprès d'eux que d'essayer de s'en faire entendre; voilà pourquoi les hommes qui s'occupent de la verité deviennent si aisément des anachorettes.
Il en est de même des fausses affections dont l'espece humaine est la proye, et qui l'empêchent de s'elever à la région libre et vive; les hommes sont presque tous comme ces insectes enfermés dans de la gluë, ou dans des gommes, et dans ces fossilles trans-parents que l'on rencontre dans la terre. Il est impossible qu'ils se remuent, et qu'on les tire de leur prison.
192
En ecrivant, comme je l'ay fait, plusieurs pensées detachées, je me suis bien dit que je ne devois pas compter avoir fait par là une production durable, parce que des pensées détachées sont à peu près comme des pensées perdues. En effet les pensées détachées ne conviennent qu'aux esprits très foibles, ou qu'aux esprits très forts. Mais pour ceux qui sont entre ces extrêmes, il leur faut des ouvrages suivis qui les nourrissent, les echauffent, et les eclairent tout à la fois. Et ces avantages quoique pouvant etre dans les pensées detachées, s'y trouvent cependant d'une maniere trop concise pour que le grand nombre puisse en retirer une subsistance suffisante.
193
Le genre d'esprit que j'ay aimé le plus c'est celui des personnes qui ont du gout pour les démonstrations. Mais malheureusement je n'ay presque vu que des gens qui se contentoient d'assertions, qui receuilloient par-cy, par-là quelques theorêmes, et puis venoient les repeter avec un air de confiance et de superiorité qui fesoit mal; c'est surtout dans mon objet que j'ay vu avec peine nombre de personnes suivre cette marche; et comme elles se passoient de démonstrations, elles ne pouvoient pas peser les théorêmes qu'elles avançoient, et elles professoient des blasphêmes avec autant de securité qu'une verité la plus sacrée. Cecy a eté pour moi un grand supplice.
194
En 1788, j'allai avec un très digne ami à moi, M' de Kacheloff à Montbeliard chez M" la duchesse de Wirtemberg que j'avois connuë précedemment à Paris. Elle nous traita comme elle avoit traité le grand-duc de Russie son gendre. Pendant les deux jours que nous y fûmes, on ne cessa de nous fêter. Je me rappellerai toute ma vie le dejeuné que nous fîmes tous les trois dans la grotte au chateau d'Etupes. J'y eprouvai un sentiment si pur, et un attendrissement si vif que je ne pus m'empêcher de pleurer. Comme on ne peut approcher les grandeurs royalles sans etre titré, la duchesse me fesoit comte toutes les fois qu'elle me parloit; alors je disois gayment à mon compagnon de voyage : Il faut surement que nous soyons quelques empereurs déguisés, à la maniere dont on nous traite.
195
Une des raisons qui a secondé les obstacles matrimoniaux pour moi, a eté de sentir que l'homme qui reste libre n'a à resoudre que le problême de sa propre personne; mais que celui qui se marie a un double problême à resoudre.
196
J'ay eté ennemi de la science à cause que j'aimois les hommes, et que je les voyois egarés par elle à tous les pas. Les docteurs, au contraires deviennent ennemis et rivaux des hommes à cause de la science qu'ils n'envisagent que sous les couleurs de l'orgeuil et de l'ambition terrestre.
197
J'ay eté longtemps à me convaincre qu'il y avoit plu-sieurs degrés dans l'intérieur de l'homme, et souvent je me suis cru avancé tandis que je n'en etois encor qu'à la surface de mon intérieur; j'ignorois alors ce que j'ay senti depuis, sçavoir que nous ne sommes rien tant que le feu n'est pas allumé jusque dans notre centre.
198
C'est une chose qui m'a eté demontrée, que les verités sont de plusieurs ordres, j'en ay reçu que je ne pou-vois dire à personne, j'en ay reçu que je pouvois dire à quelques-uns, j'en ay reçu que je pouvois dire à plusieurs, j'en ay reçu que je pouvois dire à beau-coup, j'en ay reçu que je pouvois dire à tout le monde.
199
J'etois dans une grande erreur lorsque je croyois qu'il y eut une position que je dusse préférer à une autre, et que je crûsse plus propre à me rendre heureux. C'etoit sans doute, parce que je la regardois comme vraie et sure, mais comment pouvois-je en avoir cette idée-là sans me livrer à l'illusion, puisque cette position eut toujours eté dans la région apparente, comme toutes les autres positions?
200
Une des causes qui m'a retardé dans mon oeuvre, a eté une consideration fondée sur la tournure de mon etre que je sçais etre extremement chetif, et n'etant capable de rien par le peu de forces que la nature m'a données. J'ay senti que si je voulois brusquer la chose par mes efforts, ils me laisseroient aisement en chemin avant de l'atteindre, ou je ne sçaurois pas la conserver après l'avoir obtenuë; j'ay donc eté obligé de me resigner à l'attente et à la patience avec moi-même, de diriger mes vuës, ma conduite, mes mouvements de tout genre pour que le grand Etre fît lui-même cette chose en moi, enfin de m'imposer pour premier et universel ouvrage de ne pas mettre en moi des obstacles à cette oeuvre, c'est-à-dire, de me concentrer et de me rendre passif jusqu'à ce que la chose elle-même me transmuât en son activité. Car c'est là le seul moyen par où cette chose active peut en effet etre durable en moi et persévérante. C'est peut-être aussi dans cette intention que l'on m'a fait si foible, et si chetif, afin que toute la gloire appartint à la source à qui appartient toute la force.
201
J'ay senti que l'homme peut s'elever jusqu'à Dieu; et j'ay vu que communément les femmes ne s'elevent que jusqu'à l'homme, et que c'est pour cela qu'il faut tant les conduire par le sensible, et par l'extérieur, pour les soutenir dans la carriere, et alimenter leur religion, mon vénérable Boèhme m'en donne claire-ment la raison, en me disant que nul etre ne s'eleve au delà de sa mere.
202
Il y a plusieurs probabilités que ma destinée a eté de me faire des rentes en ames; si Dieu permet que cette destinée s'accomplisse, je ne me plaindrai pas de ma fortune, car cette richesse-là en vaut bien d'autres.203
Je passe aisement à un homme quelconque de n'avoir point d'esprit; mais je ne passe à personne d'avoir l'esprit gauche; car il y a des bases à la portée de tous, et d'après lesquelles chacun peut se rectifier selon ses mesures; mais malheureusement, qui sçait resister à la roué qui entraine notre esprit?
204
Un des hommes le plus rempli de l'esprit evangélique que j'aye trouvé dans ma vie est l'abbé Pépé, que j'ay vu à Naples; cet homme est vraiment un ange pour la vertu et pour la douceur. Il avoit pour ami un noble génois de la famille des Grimaldi; ce noble genois etoit né à Naples et y etoit resté sous le simple nom de dom Jacquino. Il avoit 70 ans, et avoit passé sa vie dans la pieté la plus austere, ayant donné tout son bien aux pauvres, et vivant lui-même comme le dernier des pauvres; toujours en prieres, et en oeuvres, car sa priere etoit efficace. Il recevoit l'aumone, mais ne la demandoit jamais, et même lorsque l'on lui presentoit quelques secours, il ne les acceptoit point qu'autant qu'il lui en etoit donné un ordre direct de son guide. Il a beaucoup ecrit, mais c'etoit en langage napolitain, et différent du bon italien que je n'ay jamais sçu que très imparfaitement. Il annonçoit de grands evenements, mais il ne s'expliquoit point sur ces evenements, ni en general sur sa doctrine, excepté par ses vertus, et par sa conduite. Dom Diego Nazelli sicilien, chevalier de Malthe, au service du roi de Naples etoit aussi de cette societé. Willermoz l'avoit placé à la tête de sa chere maçonnerie dans cette contrée; mais comme il n'y avoit point de fil d'Arianne à ce labyrinthe, il ne sçavoit où se tourner dans le poste qu'on lui avoit donné. Mais tous ces hommes-là etoient si excellents que j'ay respiré près d'eux les meilleures influences. Le Vesuve, Pausilippe, la grotte du Chien, le lac Agnano, Pouzzole, Veïes, Cumes, Pompeia, Herculanum, Caserta où je vis le fameux peintre Hakertz, l'etablissement chinois, la societé des nobles où j'entrevis le baron de Collowrath que La Chevalerie m'avoit presenté à Paris, le Museum dont le directeur etoit aussi de la société de l'abbé Pépé, le chevalier de Réquésens qui etoit un chercheur dans mon affaire, voilà les principaux objets qui me sont restés dans la memoire, et qui m'ont très interessé. S'il me revient quelque chose sur ce pays, je le noterai.
205
Il m'est arrivé bien des fois dans ma vie de fournir des plumes à des geais, qui après s'en etre bien parés, ont voulu m'arracher les plumes qui me restoient, et ont fini par dire que je n'en avois point. Cela m'a eté quelquefois sensible quand je nie suis laissé aller à l'egoïsme et à l'amour-propre. Cela m'a eté sensible aussi quand j'ay vu combien les verités, (si j'en avois) pouvoient en souffrir. Je dois sans cesse me deffendre de la premiere espece de sensibilité, mais je ne dois pas redouter la seconde.
206
La femme m'a paru etre meilleure que l'homme, mais l'homme m'a paru plus vrai que la femme. Un homme qui n'est pas d'aplomb sur les verités n'est pas un homme; il a beau se retourner du coté de la bonté qui est sans contredit une qualité prétieuse à tous egards, il lui manquera encor quelque chose, car il ne sera qu'une figure de femme. De même une femme qui veut regner dans les verités oublie son caractere, et ne sera qu'une caricature de l'homme. Le sentiment est le foyer et le creuset des vertus et de l'amour; l'attention est le creuset et le foyer des verités. Si l'on avoit soin de ne pas confondre ces deux bases, on verroit beaucoup plus clair dans leurs resultats; mais qui est-ce qui se donne ce soin penible et indispensable? Presque personne, aussi combien ay-je eu à souffrir! Baucham.
207
Dans le tems qu'il fut question de me faire entrer dans la magistrature, j'etois si affecté de l'opposition que cet etat avoit avec mon genre d'esprit, que de desespoir je fus deux fois tenté de m'oter la vie. C'est peut-être la foiblesse qui me retint, mais sans doute, c'est encor plus la main suprême qui me soignoit de trop près pour me laisser aller à cet egarement; et qui probablement vouloit que je servisse à quelque chose dans ses plans. Aussi au bout de six mois trouvai-je le moyen de sortir de cet effroyable angoisse. N° 181.
Je n'oublierai point que pendant les six mois que j'ay eté dans la magistrature, j'avois beau assister à toutes les plaidoieries, aux delibérations, aux voix, et au prononcé du president, je n'ay jamais sçu une seule fois qui est-ce qui gagnoit, ou qui est-ce qui perdoit le procès, excepté le jour de ma reception, - où on avoit arrangé un petit plaidoyer, que l'on etoit convenu d'avance qu'il seroit couronné. Je ne crois pas qu'il soit possible de laisser faire à quelqu'un un pas plus gauche que celui que je fis en entrant dans cette carriere. Dieu sçait que je versai des larmes plein mon chapeau, le jour de cette maudite reception, où mon pere assista à mon insçu dans une tribune. Si je Pavois vu, cela m'eut coupé tout à fait la parole.
208
Je me suis trouvé plus de facultés pour travailler à l'oeuvre generale, que pour me concentrer dans l'oeuvre particuliere. Cette oeuvre particuliere, est celle d'un proprietaire qui cultive soigneusement son jardin, et cherche à l'orner de tout ce qu'il y a de beau et de curieux. L'oeuvre generale, est celle du grenadier qui deffend l'Etat, et travaille à la gloire de l'empire entier. Ce grenadier ne songe pas à lui, et est dispensé de tout soin particulier pour son entretien, et pour les choses de la vie; il se livre tout à fait au salut de ses concitoyens. Cette image peut aisement faire comprendre ma pensée. Aussi je ne me trouve en rapport qu'avec ceux qui s'occupent de cette oeuvre generale; je ne sçais presque rien dire à ceux qui en sont encor à défricher leur propre terrein; et l'experience que j'en ay faite vient à l'appui. Ceux qui sont dans l'oeuvre generale, me font toujours sortir quel-que chose de noeuf, ceux qui sont au particulier, et surtout au figuratif me ferment tellement, qu'ils me font tout rentrer, et que je suis absolument stérile auprès d'eux.
209
Malheur à celui qui se livre aux gouts sensibles, avant d'etre assez grand pour les mépriser! Ce trait est une des plus reelles couleurs de mon etre, et exprime une de mes plus certaines persuasions.
210
Dans plusieurs occasions de ma vie, j'ay reconnu qu'il etoit bon que nous laissâssions ignorer si nous sçavons quelque chose.
211
Je faisois beaucoup de questions dans mon enfance, et j'en aurois fait beaucoup d'avantage, si j'eusse eu autour de moi des personnes qui eussent sçu m'y répondre. Un jour mon pere fit abbattre des acacias de son jardin pour en faire faire des chaises et des fauteuils. Lorsque je vis l'ouvrier les apporter toutes faites à la maison, je dis : Je vois bien qui est-ce qui a fait ces chaises et ces fauteuils; mais qui est-ce qui a fait le bois? Je ne reçus pas de reponse satisfesante. J'ay reconnu depuis que les enfans ne fairoient jamais que des questions conséquentes si on avoit le soin de ne pas tenir leur tête vuide, et alors on pourroit leur faire des reponses instructives. La nature et la sagesse qui veille sur eux ne leur donneroit l'idée d'une question qu'après leur avoir fait sentir un besoin relatif à l'objet de cette question; ainsi si l'on sçavoit gouverner les enfans on ne les entendroit guerre avant Page de puberté, demander comment se font les enfans, à moins qu'ils ne fûssent précoces en esprit; ainsi on seroit encor moins dans le cas de leur faire la degoutante reponse de Rousseau : Les femmes les pissent avec douleur.
212
Il y a un pâssage de S` Marc ch. 10, v. (quiconque quittera pour moi son pere, sa mere, ses maisons etc. en trouvera dés ce monde-cg cent fois davantage) qui s'est verifié pour moi à la lettre. J'ay quitté les opinions de mes parents, j'ay même quitté leur maison lorsque les devoirs sacrés de fils et de frere ne m'appelloient pas auprès d'eux; j'ay renoncé par là à l'aisance que j'aurois eue dans leurs foyers; mais il est certain que j'en ay eté plus que dedommagé par les liaisons que mes objets m'ont procurées dans le monde, et par les palais même dans lesquels je me suis trouvé logé et nourri; tant il est vrai que l'Ecriture ne manque jamais de s'accomplir jusqu'au dernier iota. Mais ces dédommagements ne m'ont point egaré, parce que dans ma carriere, on connoit des joyes au-dessus des joyes de ce monde. Aussi quoique j'aye passé ma vie à de grandes tables, je dine parfaitement bien avec un morceau de pain et un morceau de fromage.
213
Indépendamment de ma bêtise auprès des femmes, j'ay eu aussi beaucoup de fierté. Je leur disois : Un homme vaut une femme, pour le moins, et quand il fait tant que de parler, il faut qu'on l'ecoute, ou bien il doit se taire et ne pas parler une seconde fois. Aussi avec ces manieres-là la liste de mes conquêtes n'a pas du etre longue. Le vrai est que j'aurois sçu beaucoup plus de gré à une femme qui, dans le cas où elle auroit pris un veritable gout pour moi, me l'eut avoué dans sa franchise, et se fût conduite en conséquence, qu'à celles qui m'auroient laissé passer par toutes leurs epreuves ordinaires dans lesquelles leur amour-propre, et la crainte d'etre humiliées par des indiscretions les occupent bien davantage que le desir et le besoin d'etre aimées.
214
J'ay senti combien il seroit heureux pour l'homme qu'il ne laissât ouvrir dans son coeur, et dans son esprit que la bonne source; parce que par là il est sur non seulement de la justesse de toutes ses idées, et de la regularité de toutes ses oeuvres, mais il a même la consolation de voir que les unes et les autres sont intarissables.
215
Dans ma jeunesse, et même jusqu'à mon age viril, j'etois assuré de rêver la nuit, lorsque dans le jour j'avois mangé du lievre. Je n'ay point encore eclairci cette correspondance. Depuis que je suis dans mes objets, il m'est arrivé souvent de rêver que je planois dans les airs, et d'avoir une si ferme persuasion de posseder cette proprieté, qu'elle me sembloit tenir à l'essence de mon etre. Y a-t-il là quelque chose qui tienne à notre primitive existence? Je laisse le pro-blême à resoudre.
216
Avant d'aller en Angletterre, j'avois fait connoissance à Paris chez M°` de Coaslin, de mylord Beauchamp fils de mylord Erford cy-devant ambassadeur en France. Je reçus de lui beaucoup d'honnêtetes en Angleterre. Nous allames ensemble à Windsor où nous vîmes le fameux Herschell. Ce lord ne me recherchoit que par rapport à mes objets. Mais je ne restai pas assez longtems dans son pays pour lui faire faire un grand chemin. D'ailleurs, le terrein quoique bon, n'étoit pas vif. Sa femme est fort belle, mais elle me parut comme les autres Angloises avoir bien peur de perdre son douaire... J'ay mangé chez eux avec W de Lauzun, M' du Tems, et M' Horseley. Je demeurois chez le prince Galitziin et Tieman qui eurent tant de bontés pour moi que j'en ay honte. Quelqu'un dont j'aurois, je crois, tiré meilleur parti si j'en avois eu le tems, étoit M' de Woronsow ambassadeur de Russie à Londres. Il me fit aussi beaucoup de politesses, et dans le peu de conferences que nous eumes ensemble, je trouvai en lui un fort bon esprit. J'aurai plusieurs notes à faire sur les Russes dans ce receuil, dans lequel mon portrait est un peu lié à celui des autres.
217
Comment aurois-je pu attendre des hommes qu'ils me vissent tel que j'aurois pu etre? Ils ne m'ont même presque jamais vu tel que je suis. Aussi j'ay eté souvent dans le cas de leur dire; (lorsque, dans cette ignorance où ils etoient de moi, ils pretendoient me gouverner) J'espere bien que j'irai à Dieu encor que vous veuilliez m'y conduire.
218
Une de mes douces victoires dans l'ordre spirituel, a été M°e de Chastenay fille de M' d'Herouville, et femme du second Puysegur le marin, et fameux magnétiseur. Tout ce que nous avions dit ensemble portoit coup et poussoit des racines; et quelqu'intervalle qu'il y eut entre nos entretiens, je la retrouvois toujours au point, où je Pavois laissée. Depuis moi, elle fit liaison avec Mde la duchesse de Bourbon à qui elle fut utile, dans le même genre, et qui dans le même genre lui fut utile à son tour en la portant à la religion pratique. Mais comme son caractere est vif, et son enthousiasme rapide, elle s'est laissée entrainer au systême anticonstitutionnel, au somnambulisme, et à la doctrine des partisants de ces deux objets. Avec des talents superieurs, et un coeur delicieux, elle ne sera pas tout ce qu'elle auroit pu etre, si elle n'avoit puisé que dans elle-même.
219
Lors de ma premiere entrée dans mes objets, je me croyois le seul au monde qui en eut connoissance, après mes maitreS, et mes camarades. J'ay reconnu depuis que c'etoit là l'opinion et l'erreur de tous les novices. Quelquefois cela leur donne de l'orgeuil, mais aussi quelquefois cela leur donne de la reserve et de la précaution; et cela est un grand bien.
220
Quoique j'aye dit n° 201, que les femmes ne s'elevent communement que jusqu'à l'homme, c'est-à-dire qu'elles ne semblent recevoir Dieu que de l'homme, j'ay cependant remarqué aussi qu'elles voudroient bien n'avoir l'air que de le recevoir d'elles-même. Elles tremblent qu'on ne leur fassent appercevoir que celui qu'elles prennent aisement pour leur Dieu, n'est qu'un Dieu inférieur. Comme elles peuvent rarement s'elever plus haut, elles font un crime à l'homme de ne vouloir pas descendre à leur point, et oublier son Dieu pour le leur. Le fonds de ce mouvement en elles est l'amour-propre; et quand il s'y joint la faveur des circonstances, et l'ardeur du caractere, le mal est incurable. Cette observation m'est venué à l'occasion de quelqu'un tres respectable par ses vertus, et qui n'a d'autre deffaut que de ne sçavoir pas etre homme, ni se contenter d'etre femme. Il en est un - autre bien cher à mon coeur, et sur qui cette observation ne peut jamais tomber; car quoique cet etre soit une femme, j'ay dit tout haut, et je le pense, que c'est une femme dans laquelle il y a dix grands hommes.
221
Jusqu'à l'âge de 40 ans ou environ, j'etois dans l'habitude de prier à voix basse, ou demi-basse, et avec des efforts concentrés qui n'ayant pas tout leur jeu, ont opéré quelque derangement dans ma ratte, ou dans les regions voisines. Barberin le magnetiseur s'en apperçut en me touchant, six mois avant que je l'eusse senti moi-même. Depuis que je l'ay senti, j'ay changé mon ton de priere, qui n'est plus qu'à la muette, ou à voix haute, et l'inconvenient dont je parle a cessé d'etre sensible pour moi, quoique je sçache que le derangement lui-même n'a pas cessé. J'ay trouvé aussi que cette nouvelle forme de priere m'etoit plus avantageuse que l'autre au spirituel comme au physique. C'etoit peut-être pour m'amener à cette veritable nature de la priere, et pour me faire mieux connoitre la marche de la parole interne que la sagesse a permis que je fisse l'expérience précédente. Voyez n° 200.
222
J'ay eu une liaison avec M' de Sçeaux le cadet dans laquelle j'ay fait ce que j'ay pu pour qu'il se maintint dans les mesures médiocres quoique bonnes, que la nature lui avoit données. J'avois tellement senti la portée de sa tête que j'evitois de le porter aux choses extraordinaires, parce que n'ayant pas suivi la chaine des instructions, il n'y etoit pas assez preparé. Pendant mon voyage d'Italie, un M' de ma connoissance l'a tellement bourré de mysticités, et de correspondances avec la S`° Vierge qu'il lui a fait tourner la tête, et qu'on a eté obligé de l'enfermer. Le public n'a pas manqué de m'imputer ce facheux dérange-ment, de même qu'il m'a confondu, avec Mesmer, Cagliostro, et tous les charlatans qui sont venus à sa connoissance, parce que pour lui tout ce qui n'est pas dans ses petits sentiers n'a qu'une seule couleur qui est la folie.
223
Souvent j'ay eté etonné de voir les hommes de verité rencontrer tant d'obstacles quand ils veulent seule-ment essayer d'etablir son regne. Mais j'ay senti qu'il falloit pour cela qu'ils attaquassent des contrées dont l'ennemi est le maitre; et que cet ennemi avait soin comme les guerriers terrestres de poser des sentinelles à tous les postes pour empêcher d'entrer son adversaire. C'est au point que quelquefois j'ay eté tenté de dire à Dieu : Vous voulez donc que votre regne s'arrête, puisque vous placez vos envoyés dans des circonstances aussi destructives et aussi funestes!
224
Mon homme spirituel a reconnu qu'il ne pourroit commencer à vivre, que quand il seroit devenu grande fille, parce que ce n'est qu'alors qu'il sera en etat d'engendrer.
225
Pourquoi Dieu permet-il, me suis-je dit, que les hommes soient livrés à tant de desordres, à tant de fausses lumieres, et à tant de fausses situations poli-tiques, ou autres? C'est, m'a-t-on repondu, pour leur demontrer visiblement que toutes ces regions-cy ne sont point la verité.
226
Les Kacheloff, le prince Repnin, Zinovief, la comtesse de Rasoumoski, une autre princesse dont D. m'a parlé dans une de ses lettres, deux Galitzin, M' de Maskof, M' de Scavrouski ambassadeur à Naples, M' de Voronzoff ambassadeur à Londres sont les principaux Russes que j'ay connus personnellement, excepté le prince Repnin que je n'ay connu que par correspondance. Leur imperatrice Catherine II a jugé à propos de composer deux comedies contre les martinistes dont elle avoit pris ombrage. Ces comedies ne firent qu'accroitre la secte. Alors l'impératrice chargea M' Platon evêque de Moscow de lui rendre compte du livre Des Erreurs et de la verité qui etoit pour elle une pierre d'achoppement; il lui en rendit le compte le plus avantageux et le plus tranquilisant. Malgré cela, quelques soient les instances que m'ayent fait mes connoissances pour aller dans leur pays, je n'irai pas pendant la vie de la présente impératrice; et puis j'arrive à un age où de pareils voyages ne se font plus sans de serieuses reflexions; plus l'homme avance en age, moins le teins est sa proprieté.
227
Il m'est arrivé quelquefois en ecrivant de sentir que je ne sçavois ce que j'ecrivois, mais cependant de pouvoir assurer que j'ecrivois de grandes choses. Il m'est arrivé aussi dans un festin au Chatelier-en-Berry avec les L.., de dire à la dame : Vous devez voir quelque chose dans tel endroit, ce qui etoit vrai, et cependant moi, je n'y voyois rien.
228
Les esprits ardents vont par sauts, et plus par impulsion que par lumiere. Les esprits ardents et serrés dans leurs mesures se cramponnent au poste où ils se trouvent sans s'embarrasser de sçavoir de quelle nature il est, et comment ils y sont arrivés. Ils sont ennemis des nuances, parce qu'il ne leur est pas donné de les saisir, ni de les contempler. Les esprits calmes n'ont peut-être pas autant de vigueur qu'eux; mais ils ont beaucoup plus le tact des nuances, et quand ce calme est pris dans un certain ordre de choses, il peut faire parcourir ces nuances avec justesse, et avec un charme inexprimable. Je sçais dans ce genre-là quelles sont les graces que j'ay à rendre à la sagesse; mais je sçais aussi combien peu de gens s'en sont doutés, et combien même sont devenus mes ennemis à cause de ce genre qu'ils ne pouvoient pas suivre, et que, moi, je ne voulois pas abandonner. Un de mes torts a eté sans doute de me tenir auprès des personnes à qui j'occasionnois de pareilles affections, et que je rendois peut-être coupables par là d'ecarts et de mouvements violents qu'ils n'auroient pas eprouvés sans moi. Helas, oui, c'est là un de mes torts. Un degré de plus dans mon election, ou dans mes circonstances me les auroit tous epargnés.
229
Le bonheur dont mon ame a joui est tel que bien des gens ne pouvoient s'en former d'idée; et plusieurs l'ont attaqué, sans se douter peut-être que ce fût par orgeuil, et par regret de n'etre pas si heureux que moi.
230
Plusieurs personnes ont eté funestes à mon esprit, mais non pas de la même maniere. La premiere Ph. vouloit absolument le faire mourir d'inanition; la seconde qui etoit ma tante vouloit ne le nourrir que de vent; la 3° qui est W opéroit sur lui comme un etouffoir. La 4° qui est M°e de La Cr. lui mettoit les fers aux pieds et aux mains. La 5° qui est M°° de L lui eut eté utile si elle n'avoit pas voulu le couper en deux. La 6° qui est M°s de Coasl... le grattoit en-dessous et le deracinoit; la 7° qui est M°° de B. b. lui mettoit un cilice pointu sur tout le corps. Plusieurs autres dont je ne me souviens pas le nourrissoient de légumes à l'eau, et s'etonnoient qu'ils (sic) se plaignît de cette fadeur, tandis que d'autres lui fesoient faire des sauts et des bonds comme à un ballon, et ils s'etonnoient qu'il se plaignît de ne pouvoir pas marcher d'un pas reglé, sans compter ceux qui lui fesoient manger des arêtes qui l'etrangloient, etc. etc. etc. Il n'y a que Dieu, non que Dieu, qui nourrisse nos esprits selon toutes les mesures de la sagesse, et selon toutes les proportions de nos besoins; et cette nourriture est toute dans l'Ecriture
231
Dans l'ordre des communications sociales d'instruction j'ay pris souvent le parti de me laisser mourir aux yeux des autres quand je sçavois qu'ils ne me donneroient pas la permission de naitre, et quand je voyois qu'ils etoient dans l'usage de tout effleurer, et de ne rien approfondir. Je ne voulois pas commettre la prevarication de concourir à cette prodigalité legere et indifférente dans des choses si respectables, je ne voulois pas commencer ce que je voyois n'avoir pas le tems de finir. En un mot, il n'y avoit que les gens extremement difficiles qui m'interressoient, et m'engageoient à me mettre en mouvement; aussi n'y avoit-il que les gens extremement difficiles à qui je convenois dans ce bas monde; pour les autres, j'ay poussé quelquefois la patience, et la tolérance, jusqu'à me laisser honorer de leur pitié.
232
Quand j'ay aimé plus que Dieu, quelque chose qui n'etoit pas Dieu, je suis devenu souffrant et malheureux, quand je suis revenu à aimer Dieu plus que toute autre chose, je me suis senti renaître, et le bonheur n'a pas tardé à revenir en moi.
233
J'ay vu que dans l'ordre des choses humaines, on troquoit du divin et du naturel, pour du social et du politique, et enfin du social et du politique pour du conventionnel, et du figuratif; mais j'ay vu que dans l'ordre des choses reelles, on recevoit du naturel et du divin pour du figuratif, parce que là on reçoit toujours plus qu'on ne donne, attendu que c'est à la vivante verité que l'on s'addresse; au lieu que dans l'humain on reçoit moins que l'on ne donne, parce que l'on n'y vit que dans le regne de la mort.
234
Il m'a eté aisé de sentir combien les faits de l'esprit sont prompts et rapides, puisque ses pensées même qui nous echappent, après nous avoir frappés, ont tant de peine à reparoitre en nous, ou bien, n'y reparroissent que comme des eclairs que nous avons toute la peine du monde à saisir. Aussi une des grandes occupations du sage doit-elle etre de se tenir sans cesse en surveillance, et comme à l'affut de l'esprit,
pour ne pas laisser perdre une seule des semences qu'il nous envoye.
235
Voici ce que j'ay pensé au sujet des entretiens sur les objets essentiels. Quand deux personnes se disputent sur ces objets, il est plus que probable qu'ils ne sont connus ni de l'une, ni de l'autre. Quand un des interlocuteurs s'aigrit et s'irrite, l'autre prouvera sa science en se taisant. Quand les deux interlocuteurs sont instruits, il n'y a entre eux que des entre-tiens doux et instructifs, et qui pourroient durer autant que le monde, sans qu'ils eussent jamais l'occasion ni le sujet d'une dispute.
236
Les poétes m'ont irrité de voir que quand ils ont arrangé des mots d'une maniere bien compassée, et qui paroit heureuse et brillante, ils croyent les avoir inventés. Mais cet orgueil puérile m'a offert aussi l'image instructive, et réprésentative d'une verité du premier ordre qui nous apprend que les mots devroient toujours etre tous neufs.
237
On m'a dit un bien infini de M' Archbold, medecin de Bordeaux qui est fort de la connoissance du comte Maxime de Puysegur gendre du president Pichard, et de celle de M' Vialet d'Aignan, et de l'abbé Sicard instituteur des sourds-et-muets en remplacement de l'abbé de L'Epée, ainsi que de M"° Crassons-Jacquet de La Rochelle, qui m'a ecrit une lettre des plus gratieuses sans que nous nous soyons jamais vus. Ce digne medecin paroit etre toute ame, et je crois que j'aurois passé près de lui d'agréables moments, si j'avois eu le bonheur de le connoitre personnelement et de pouvoir me rapprocher de lui. Peut-être ce penchant que je me sens pour lui tient-il à celui qu'il a la bonté d'avoir pour moi, puisque l'homme aime à etre flatté; mais cela tient encor plus, j'ose l'affirmer, au desir de pouvoir donner jour à ce qui est en moi, que je sçais pouvoir etre utile à mes freres, et glorieux à Dieu, mais que je ne puis laisser sortir qu'avec ceux qui essayent au moins d'etre uns avec moi, et qui ne commencent pas par me massacrer avant de m'entendre.
238
Comme peu de gens ont bu la coupe que j'ay buè, peu de gens aussi ont gouté les joyes que j'ay goutées.
239
M' Boulon jeune medecin qui m'avoit eté instamment recommandé par mon ami Duval, vint causer trois ou quatre fois avec moi sur les opinions philosophiques qui ne sont point selon l'ordre. J'eus cependant du plaisir à causer avec lui parce qu'il a de l'esprit, de l'etude, et de la logique. Après la troisieme conférence, il revint chez moi, pour m'avouer qu'il n'y avoit rien à opposer à ce que je lui avois dit. Je crus alors que mon homme etoit rendu, d'autant que nous formâmes aussitot ensemble le projet de nous voir beaucoup. Cependant depuis lors nous ne nous sommes pas revus, et j'ay sçu que quoiqu'il me trouvât de l'instruction et des moyens je n'avoir point ebranlé sa façon de penser. J'ay eu du regret de ne plus voir ce jeune homme dont l'esprit m'avoit interressé. Peut-être mon amour-propre a eté pour quelque chose dans ces regrets parce que je suis homme; mais ce qui y a eté pour beaucoup plus c'est la douleur que la chose divine eprouve tant d'obstacles, car cette chose divine est, Dieu le sçait, ma passion dominante;.
240
Dans le tems des tableaux matrimoniaux qui me travailloient à Strasbourg, au sujet de la très extra-ordinaire tentative que l'on y fit à mon egard; il me fut dit une fois ce passage de St Paul : Vous courriez
si bien. Ce mot ajouté à toutes les autres circonstances repoussantes que j'appercevois, n'aida pas peu à me retenir.
241
J'ay senti plusieurs fois que c'etoit un grand abus que cette universelle avidité d'ecrire, et de montrer son sçavoir, par laquelle tant de gens se laissent si aisément dominer, mais j'ay vu que cet abus même prouvoit une grande verité, qui est le sentiment du besoin que nous aurions tous d'etre régénérés, et qui fait que nous croyons devoir nous montrer comme si nous Pelions, tant il seroit honteux pour nous de ne l'etre pas, ou de n'etre pas regardés comme tels.
242
Le monde m'a donné une connoissance qui ne lui est pas avantageuse; j'ay vu que comme il n'avoit d'esprit que pour etre mechant, il ne concevoit pas que l'on pût etre bon sans etre une bête.
243
Nous avons presque tous icy-bas des entraves de la part de nos semblables. Emmanuel Swedenborg (d'après ce que m'en a dit son neveu Silverhielm) en avoit de terribles de la part de Charles XII. Quand ces hommes-obstacles viennent à disparoitre de dessus la terre, ils perdent peu à peu l'action fausse qui les enchainoit eux-même, et qui par eux nous enchainoit aussi, quand notre destinée nous avoit uni dans leur cercle, et ils entrent dans une action qui les absorbe en les livrant à la loi exclusive de leur punition ou de leur purification, ou de leur avancement. Et c'est ainsi que nous nous trouvons libres, parce que l'action qui nous travailloit par eux, ne nous travaille plus, n'ayant plus d'organes. Jusqu'à présent j'ay tellement eprouvé une partie de cette verité que je ne puis faire aucun doute de sa certitude.
244
Tantot j'ay cru ne devoir pas me marier parce que je me sentois trop chaste; tantot j'ay cru ne devoir pas me marier parce que je sentois que je ne l'etois pas assez.
245
Il y a un grand inconvénient à vouloir instruire la pluspart des femmes sur les grandes verités; c'est que ces grandes verités-là ne s'enseignent bien que par le silence, tandis que tout le besoin des femmes en question est que l'on parle et qu'elles parlent; et alors tout se désorganise, comme je l'ay eprouvé plusieurs fois.
246
Attendre que les hommes vous soulagent dans votre penible carriere spirituelle, c'est comme si vous etiez tombé au milieu des flots de la mer, et que vous vous avisâssiez de demander aux vagues de vous soutenir et de vous empêcher de faire naufrage; pour toute reponse, elles s'entrouvriroient, et vous laisseroient tomber au fond de l'abime.
247
C'est moins pour instruire que j'ay fait des livres, que pour exhorter et pour préserver. Je sçais que si toutes nos paroles, toutes nos pensées, toutes nos actions, tous nos ecrits ne sont pas engendrés par le centre; et ne sortent pas continuellement du centre comme d'une source inépuisable, nous ne produisons pas du complet, et nous souffrirons dans nos oeuvres puisque leur génération sera imparfaite et susceptible de s'arrêter; je sçais que la vraie génération est si naturelle, si feconde, et en même tems si insensible qu'on ne s'en apperçoit presque pas, mais qu'aussi on ne s'apperçoit jamais de son interruption. Mais si j'ay manqué en quelque chose à la sagesse en ecrivant, je n'en souffrirai pas autant que si j'eusse voulu enseigner, et cela, de mon chef; et comme je n'ay voulu qu'exhorter et préserver, la bonté divine usera, j'espere, d'indulgence envers moi, en faveur de mes intentions.
248
Ma destinée a eté de voir continuellement affluer autour de moi toutes les actions nulles, fausses, et ignorantes que je redoutois, et de voir arrêter et contrarier les actions vraies, vives, et instructives dont je desirois avec passion le développement; de façon que ma priere auroit du n'avoir que deux caracteres, et deux objets; celui d'obtenir que la main suprême ne me laissât aborder et remplir que par le réel, au lieu de l'illusion, et celui d'obtenir qu'elle facilitât elle-même l'issuë et le progrès de ce qu'elle auroit mis en moi, et qui ne pouvoit jamais tourner qu'à sa gloire et à ma satisfaction la plus vive.
249
Rousséau se plaint d'avoir eté fouetté trois fois très injustement pour une faute qu'il n'avoit pas commise. Je l'ay eté une fois dans mon enfance par l'abbé Devérelie pour avoir taché un habit rouge où j'avois mis une bouteille d'encre qui se cassa en jettant mon habit sur une chaise. Cette bouteille etoit dans ma poche par obligeance, je l'y avois mise pour aider à l'abbé, qui etoit mon précepteur, à déménager; et etant tout en sueur je jettai mon habit sans songer à la bouteille. Je n'etois pas si innocent que Rousseau sans cependant etre plus coupable, et il falloit etre bien maladroit pour m'infliger une pareille peine, pour une pareille distraction. Cet abbé avoit une tante Ma° Dury qui etoit une bien bonne femme. Il avoit pour gouvernante une vieille femme nommée Galbrun qui m'aimoit bien. L'abbé Royer etoit en pension chez cet abbé pour les repas seulement. Il aimoit la lecture, il parloit avec esprit, c'est à lui que j'ay du mes premiers gouts pour la littérature, et s'ils avoient eté entretenus, j'aurois pu percer un peu dans cette carriere qui avoit pour moi beaucoup de charmes. Mais mon joug pesoit dejà.
250
Une de mes douleurs a eté de voir certaines personnes qui parce qu'elles etoient bienfesantes se croyoient le privilege d'avoir l'esprit tortu, comme si la vertu etoit incompatible avec un sens droit et mesuré.
251
C'est un proverbe reçu dans le monde, que Dieu est toujours du coté de la justice; mais il m'est resté un embarras sur cette assertion; car lorsque dans les différentes disputes qui s'elevent parmy les hommes, il n'y a aucune justice ni de part ni d'autre, Dieu ne doit plus sçavoir de quel coté se mettre. Cela peut etre vrai dans les extrêmes désemboitures de ce monde, et ne peut l'etre dans tout autre ordre de choses où la puissance de Dieu et sa sagesse sont en activité.
252
Vers l'année 1779 ou 80, les Montbarey à la sollicitation de M°a de L. C. vouloient me faire un sort honoraire par des moyens très legitimes que, selon ce qu'on leur avoit dit, le ministere pouvoit leur fournir. Je ne m'en souciai point, tant j'ay eu d'indifférence pour la fortune. Alors ils imaginerent de me placer comme gouverneur auprès du jeune prince Henri de Nassau-Sarbrich qui, malgré sa grande disproportion d'age, avoit epousé leur fille. Je ne refusai pas tout à fait, prévoyant là un moyen honnête de me faire un sort, et encor plus celui de pouvoir exercer les facultés de mon coeur et de mon esprit. Le Nassau pere me donne un rendez-vous chez lui pour traiter la chose; j'y vais à l'heure dite; on me fait attendre, et puis on me fait dire que le prince est bien faché de ne pouvoir me recevoir, mais qu'il est occupé. Je m'en vas, je n'y retourne plus, et je n'en ay pas entendu parler depuis.
253
Il a eté bien clair pour moi qu'il y avoit une grande différence entre sçavoir se faire tuer, et sçavoir mourir. Les sens nous aident plus dans le premier que dans le second, la sagesse et la verité nous aident plus dans le second que dans le premier. C'est une transposition de leurs facultés qui apprend aux hommes à se faire tuer; mais l'ordre naturel de ces mêmes facultés leur apprendroit à tous à sçavoir mourir.
254
C'est par expérience que je peux dire que la nourriture journaliere d'un homme de desir est un petit morceau de bois de la vraie croix infusé dans des larmes de prophete. Malheur à lui s'il passe un jour sans se repaitre de cet aliment ! Il n'aura pas mangé son pain quotidien.
255
J'ay connu et condamné la methode des docteurs et des academies qui est de n'adopter aucun systême, pas même celui de la verité, parce que s'ils en adoptoient un et qu'ils eloignassent l'incertitude, on n'auroit plus besoin d'eux, attendu qu'on n'auroit qu'à marcher sur la ligne qui seroit connué. Mais l'interêt de leur amour-propre, aussi bien que celui de leur fortune est de promener continuellement le genre humain dans les regions vagues et ténébreuses, afin d'en etre à demeure les guides et les conducteurs. C'est contre ces adversaires de la lumiere, et du veritable aliment des ames que la mienne s'est levée sur la terre; ce qui m'a fait dire que si chacun avoit sa bête dans ce monde, les philosophes etoient la mienne.
256
Il m'a fallu veiller continuellement contre un inconvenient considérable qui se rencontre en conversant avec les hommes, c'est qu'ils sont si enclins à confondre les choses avec les personnes, que quand vous prenez devant eux la deffense d'une verité qui ne leur convient pas, ils s'irritent et vous accusent de ne deffendre que vous-même.
257
Dans les moments de sagesse je me suis dit : Il ne faut quelquefois qu'avoir Bouté des plaisirs du libertinage pour n'en vouloir plus. Mais nous sommes entourrés de tant de terribles et de dangereuses puissances, que si nous n'avons pas un soin continuel de nous soustraire à leur empire, elles ne tardent pas de nous submerger, au milieu même de nos resolutions les plus affermies en apparence.
258
Quand je n'ay eté en opposition avec les hommes que par leurs passions, j'ay senti qu'on pouvoit s'en tirer avec le silence ou la colere; parce que les passions ne tiennent qu'à l'etre inférieur de l'homme. Quand cette opposition s'etendoit jusqu'aux opinions, j'ay senti qu'il falloit se tenir en garde pour ne pas se livrer à la haine, parce que l'opposition des opinions tient à l'etre supérieur de l'homme, ou à l'esprit. Les bêtes se fuient ou se battent parce qu'elles n'ont que des passions, n'ayant qu'un etre inférieur; mais elles ne se haîssent point parce qu'elles n'ont point d'opinions, n'ayant point d'etre supérieur.
259
Il est des hommes qui sont obligés de faire, comme s'ils avoient eté secondés, quoiqu'ils ayent eté seuls presque à tous les moments de leur vie. J'ay senti plus qu'un autre cette necessité; mais dans un de mes bons mouvements, j'ay dit : Eh bien ! et j'en ay eté grandement recompensé ensuite, parce que j'ay vu qu'on vouloit que j'apprisse physiquement et par expérience que mon grand maître etoit tout, et vouloit tout opérer.
260
A Page de 36 ans, comptant trop sur mes forces, et voulant jouer avec M' de Luzignan fils au Luxembourg, à sauter dans une corde, comme dans ma jeunesse où je faisois des triples tours de suite, je me donnai une incommodité qui me restera toute ma vie, qui ne me fait aucun mal, et dont même je ne fus assuré que lorsque dans mon doute, le chirurgien Dufouar que je consultai, m'eut confirmé dans le soupçon que j'en avois. Je logeois alors chez M''* de La C. rué Pot-de-fer, dans la même maison que W de Tiercent. Si l'amour-propre, et l'envie de faire le jeune homme ne m'avoit pas porté à cette gayté de polisson, il ne me seroit pas arrivé pareille aventure.
261
Le genre qui a eté accordé à mon esprit, et qui est de pouvoir combattre la fausse philosophie, et de desirer ardemment la manifestation du royaume, a fait que je n'aurois jamais du avoir eu d'autre place icy-bas que d'etre près des incrédules pour les sou-mettre, ou près de gens qui eussent eu les dons des apôtres, afin que je ne quittâsse pas leur ombre, et que je baisâsse la poussiere de leurs pieds tous les jours de ma vie.
262
Dans l'Ecce homo page * j'ay dit que presque toujours les torts que nous reprochions aux autres, nous en etions les premiers auteurs. Je puis dire que ce reproche a plus de prise sur la nation françoise que sur aucune autre, par la legéreté qui fait son caractere constitutif; je puis dire en outre que parmy les François je suis un de ceux à qui ce reproche soit le plus applicable; et c'est surtout dans ma carriere où j'ay pu reconnoitre cette verité. J'ay trop jetté en dehors, et par là, j'ay occasionné dans les autres des mouvements faux qu'ils n'auroient pas eus sans cela. Je m'en corrige un peu aujourd'hui, et j'espere, moyennant Dieu, de rentrer tellement dans l'oeuvre intérieure, que je ne fasse plus les choses qu'à propos. C'est dans l'homme, que nous devons ecrire, penser, parler; ce n'est point sur du papier, en l'air, et dans des deserts, où nous ne trouvons que des bêtes qui ne nous entendent pas, ou des loups que nous irritons et qui nous devorent.
263
Une fois j'ecrivis à mon pere, dans un sentiment profond, que j'etois né pour la paix et pour le bonheur; et dans le vrai, rien n'est comparable au calme doux dont jouit mon ame, et dont elle pourra jouir encore mieux par la suite, lorsqu'elle aura fait quelques pas de plus; et ces pas-là sont comme assurés pour elle, tant elle en a d'heureuses annonces.
264
La principale de mes pretentions etoit de persuader aux autres que je n'etois autre chose qu'un pécheur pour qui Dieu avoit des bontés infinies.
265
La femme a en elle un foyer d'affection qui la travaille, et l'embarrasse; elle n'est à son aise que lorsque ce foyer-là trouve de l'aliment; n'importe ensuite ce que deviendra la mesure et la raison. Les hommes qui ne sont pas plus loin que le noviciat, sont aisement attirés par ce foyer, qu'ils ne soupçonnent pas etre un gouffre. Ils croyent traiter des verités d'intelligence, tandis qu'ils ne traitent que des affections et des sentiments; ils ne voyent pas que la femme passe tout, pourvû qu'elle trouve l'harmonie de ses senti
ments, ils ne voyent pas qu'elle sacrifie volontiers à cette harmonie de ses sentiments, l'harmonie des opinions; ils ne voyent pas qu'à la longue ce gouffre-là doit ronger et consummer leur propre mesure qui est le don de l'homme; et ce n'est que par l'expérience qu'ils acquerrent cette connoissance. Aussi lorsque des liaisons d'homme et de femme ne reposent pas comme celle de ma B. et moi sur des bases hors de nous, il est impossible qu'elles subsistent, et tot ou tard l'homme s'apperçoit de son déchet et se retire C'est une observation que j'ay faite dans un lieu où tous les moyens en etoient sous mes yeux. Je ne l'ay pas faite par expérience, parce que dans ce genre-là, comme dans cent mille autres occasions, on m'a tout appris gratis et par dispense. Aussi j'ay si bien connu d'avance l'esprit de la personne dont je parle icy que je me suis bien gardé d'y chercher place, attendu que j'ay senti tout de suite qu'il falloit finir ou par rompre, ou par se laisser dévorer. Tenons-nous en garde contre les fournaises.
266
Vers le même tems où je reçus une lettre gratieuse de Madame Crassons-Jacquet n° 237, j'en reçus une autre non moins interressante du baron Kirchberguer de Liebistorf membre du Conseil souverain de Berne. Cet homme que je ne connois point personnellement me paroit avoir une ame et un esprit qui me seroient très analogues; il en dit autant de moi. Aussi j'ay suivi sa correspondance avec grand plaisir; mais pour lui prouver combien je méritois peu tous les eloges qu'il me donnoit, en comparaison des grands elus de la verité, je lui ay recommandé la lecture de mon cherissime J.B. en l'assurant que je n'etois pas digne de denouer le cordon des souliers de cet homme etonnant que la Providence a envoyé sur la terre il y a plus de 150 ans; mon baron aura même eu en cela un grand avantage sur moi, en ce qu'il peut lire cet auteur dans sa langue maternelle qui est aussi la sienne, au lieu que je ne peux que me traîner dans cette lecture, ayant commencé fort tard à en etudier la langue. Mon baron d'ailleurs ecrit très bien le françois, et a de l'instruction dans plusieurs genres qui ne sont point du tout inutiles à la grande affaire.
267
Je dois au moins une notte sur la maison de Luzignan qui m'a comblé de bontés soit à Paris, soit à leur terre du Chatelier-en-Berry. Notre correspondance intime pendant un an sans nous etre vus, notre le" entrevué au Chatelier où l'on fut furieuse de m'avoir parlé comme à un vieillard, tandis que je n'avois que 28 ans, notre société de Paris, moitié spirituelle, moitié humaine, les Modene, les Sauran, les Turpin, les Montulé, les Suffrens, les Choiseul, les Ruffié, la respectable vieille mere Luzignan morte en trois heures sans avoir jamais eté malade (sans oublier l'histoire singuliere de sa petite chienne) les Puymaudans, les Nieul, les Dulau dont le nom de la fille fait epoque dans mon esprit, les Bélabre, l'abbé de Dampierre, le jeune Clermont très eloquent tué à Paris le 10 aoust 1792 * le vieux bonhomme La Riviere, M" de Worms, et de Marjelai, M' Duvivier d'Argenton, l'abbé d'Aubêz, M' de Thiange cordon rouge et me de la garde de robe de M' d'Artois, taillé de la pierre, les Crillon, le chymiste Sage, le généalogiste Chérin fort sur l'histoire, les Culan, les La Côte, le sieur Ricci lieutenant des Invalides du chateau, les des Ecottais, la M`° de Noailles (histoire du fromage) les Flavigny que je n'allai point voir en passant à Parmes en 1787, les Tésan, les Montaigu, l'histoire de l'homme noir qui se tua à coups de couteau dans le jardin du Luxembourg, enfin la très fameuse famille Ricé, pivot de l'histoire du vieillard espagnol ou egiptien, de Dombêz, des deux lettres que je garderai jusqu'à mon tombeau, de l'apprentissage d'ecriturc, du voyage à Bordeaux, des reflexions du boudoir, etc. etc. etc. en voilà assez pour que le souvenir de cette maison respectable ne sorte jamais de ma memoire*. C'est la Revolution de France qui a ras-semblé là tous ces emigrés; et les Luzignam ont été des premiers à s'expatrier. J'ay connu un de leurs serviteurs nommé La Ruë qui dans son etat merite toute la consideration possible. 1787.
268
La sagesse m'a donné une leçon bien salutaire, en me laissant remarquer que les hommes qui n'ont que les connoissances vulgaires, en composent ordinairement un cercle au delà duquel, ils ne voyent plus rien; mais en me laissant remarquer que les sages ont aussi un cercle, mais que c'est un cercle qui renferme tout, et par conséquent dans lequel ils peuvent tout voir, attendu que rien ne lui est etranger.
269
Les moments où j'ay eté le plus heureux sont ceux où je me suis senti pressé de demander à Dieu d'etre à lui seul toutes mes réactions, puisque j'attendrois en vain que les hommes me procurâssent celles qui me sont indispensables et exclusivement nécessaires; car alors je sentois que Dieu devoit finir par prendre si bien possession de moi, qu'il parlât en maitre au milieu de moi et de toutes mes substances, et qu'il fit trembler tout ce qui voudroit me nuire, dans quelque genre que ce fût.
270
Ce n'est pas une chose rare de trouver des frêlons parmy le monde, qui non seulement consumment le miel des abeilles, et demeurent dans la parresse, mais qui en outre tuent les abeilles elles-mêmes, et les dévorent. Ce n'est pas une chose extraordinaire non plus que cecy soit une vraie douleur pour ceux qui aiment la justice. Or Dieu sçait combien je l'ay aimée cette justice!
271
Il y a cinq preceptes qui m'ont eté donnés par la bonne voie et que je n'aurois jamais du oublier. Les voicy.
Si en presence d'un homme honnête, des hommes absents sont outragés, l'honnête homme devient de droit leur representant.
Conduis-toi bien, cela t'instruira plus dans la sagesse et dans la morale que tous les livres qui en traitent, car la sagesse et la morale sont des choses actives.
Ce seroit un grand service à rendre aux hommes que de leur interdire universellement la parole, car c'est par cette voie que l'abomination les enivre, et les engloutit tous vivants.
La route de la vie humaine est servie par des tribulations qui se relayent de poste en poste, et dont chacune ne nous laisse que lorsqu'elle nous a conduits à la station suivante, pour y etre attelés par une nouvelle tribulation.
Il ne faut pas aller dans le desert, à moins que ce ne soit l'esprit qui nous y pousse; sans quoi il n'est pas obligé de nous deffendre des tentations que nous y rencontrons. Aussi combien n'y a t-il pas de gens qui y succombent?
272
J'ay vu des hommes qui n'etoient mal avec personne, mais dont on ne pouvoit pas dire non plus qu'ils y etoient bien; car ils n'avoient point assez de mesures développées pour etre saisis de ce qui est vrai et vif, ni pour etre choqués de ce qui est nul et faux. C'est à Strasbourg où j'ay fait cette observation; et icy je dois me rappeller au moins les noms de plusieurs personnes qui m'y ont interessé, (le nom de ma chere B. est à part de tous ces noms que voicy) ou que j'y ai vuës.
Meyer, la maison Franque, la maison Turquem, la maison d'Oberkirch, la maison Baltazar où j'eus l'etourderie de vouloir jouer du violon, et accompagner une forte claveciniste, tandis que je n'etois pas de force, la maison Mouillesaux, le baron de Razenrid, la younfer de la rué des Har, la cordonniere Westerman, la vieille qui avoit la confiance de Salzmann, et que ma B. me fit consulter lors de l'aventure romanesque, et qui me repondit assez juste par mes buis, le docteur .Haffner, le docteur Blessig, le docteur Oberlin, un maitre d'astronomie et de mathematique, la maison d'Aumont, les Klinglin, Luzelbourg, et Reich, trois officiers des carabiniers, Mercy, Murat, et Tersac, sans compter le jeune de Vogué, blessé à Luneville lors de la revolte contre M' de Malsaigne, trois officiers de Neustrie, Desbreil, Montbeliard, et le major Pesplane, deux officiers de Bretagne, Gilibert, et Deslandes qui est de mon pays, et de la connoissance de Md° Daën, la maison S`-Marcel, la baronne de Rosenberg qui vouloit m'emmener à Venise pour fuir la Revolution de France, la belle comtesse de Potoka qui m'avoit promis de m'ecrire, et qui n'en a rien fait, le pere Ildefonse benedictin d'Etenheim, l'abbé Poinsignon, le zelé abbé Cascaroti polonois, le fameux musicien Plaeyel, les de L'Or, M' Wittenkof lequel avoit de l'amitié pour moi, les Lefort, et leur oncle Falkeneïm, le comte de Welsperg ancien ministre à Vienne, M' et M"' Ebertz, M' Clermond, plusieurs officiers du genie, Laubadere, Chasseloup, d'Hauterive, Laborde./. Je dois dire que cette ville de Strasbourg est une de celles à qui mon coeur tient le plus sur la terre, et que sans les sinistres circonstances qui nous desolent dans ce moment je m'empresserois bien vite d'y retourner. 10 juillet 1792.
273
Ma sagesse m'a dit quelquefois qu'il ne falloit point ecrire mes pensées pour aider ma meinoire en ce que ce seroit manquer de confiance en celui qui me les donne; mais ma sagesse a eté si foible que j'ecrivois même cet avis qu'elle me donnoit.. Ecce homo.
274
Une de mes douleurs a eté de voir qu'on donnoit la lumiere aux gens sans sçavoir s'ils croyoient qu'il leur manquât quelque chose, car ceux qui sont contents et croyent tout avoir, n'en ont pas besoin.
275
J'ay reconnu que pour l'homme il n'y avoit que deux manieres de sortir de la vie; sçavoir comme les insensés, avec orgeuil ou désespoir, ou comme les sages et les saints avec ravissement ou resignation.
276
J'aurois peut-être eté bien malheureux sur la terre, si j'avois eu ce que le monde appelle du pain. Car il ne m'auroit rien manqué, or il faut icy-bas qu'il nous manque quelque chose pour que nous y soyons à notre place.
277
Je n'ay jamais rampé devant ceux qui etoient pourvus des grands emplois, parce que de tout tems j'ay eté au-dessus des emplois de ce monde. Pendant le tems que j'ay passé au service, toute la cour que j'ay faite au ministre Choiseul s'est bornée à aller me faire
ecrire une fois chez son Suisse, encor y etois-je entrainé par mon pere. Ce bon pere avoit voulu me faire avancer dans la magistrature, parce que mon grand-oncle Poncher etant conseiller d'Etat, et nous, etant ses seuls heritiers, on m'eut destiné sa place; mais je dis à mon pere : Voicy la marche que cela suivra. J'entrerai d'abord dans la magistrature inférieure, puis je serai conseiller au Parlement, puis, maitre des requêtes, puis intendant, puis conseiller d'Etat, puis ministre, puis exilé. Je voudrois tout uniment commencer le roman par la queué, et entrer dans cette carriere en m'en exilant.
278
Ma destinée divine etoit si douce et si belle qu'elle sembloit devoir s'accomplir seule, et sans le secours et l'appui du tems; mais comme il faut que ce tems se fasse sentir à toute la posterité de l'homme, il est arrivé que la destinée temporelle s'est approchée constamment, et puissamment de ma. destinée divine, afin de me faire sentir que si l'on vouloit bien que je mangeâsse du pain, on ne vouloit pas que je le mangeâsse sans qu'il en coutât des sueurs à mon front. Elle a fait, cette destinée temporelle, à l'egard de ma destinée divine comme les vagues de la mer à l'egard d'un vaisseau qui entre au port après de violents orages, et des mauvais tems. Elles le suivent, elles se lancent sur lui aussi haut qu'elles peuvent, et elles l'inondent au moins si elles ne peuvent pas le submerger.
279
Je n'ay jamais cherché à remplir les premieres places. Je me suis dit souvent pendant mon petit nombre d'années de service que j'aimerois mieux etre soldat qu'officier. Lorsque mon premier maitre faisoit des voyages à Paris, et que je me trouvois à la tête de son ecole à Bordeaux, en qualité du plus ancien, je fuyois ce poste et je le laissois à d'autres. Chez la d.d.B. où quand la dame d'honneur etoit absente j'etois chargé des honneurs de la table, j'aurois desiré que d'autres s'en chargeassent. Je ne donne point tout cecy comme des preuves de mon humilité; j'avouërai même qu'il y entre beaucoup de parresse; mais une verité tout aussi certaine, c'est qu'il y entre un grand besoin de l'iberté, et d'aisance pour me livrer à mes objets et à ma pensée qui est toujours occupée; et que plus je retranche de tout ce qui est extérieur et temporel, plus je me trouve de force et de teins pour l'intérieur et le spirituel.
280
La lumiere élémentaire m'a paru etre l'ennemie de la lumiere supérieure, en ce que la lune est au nord, et le soleil au midi. Le monde physique ne m'a paru etre autre chose qu'une figure, et j'ay vu là pourquoi l'Ecriture S` l'appelle ainsi. J'ay vu que dans ce lieu de figure que nous habitons, les hommes ne s'occupoient dans l'ordre de leur pensée qu'à des imitations, qu'à des figures de figures. Aussi je me disois que font-ils donc! Pourquoi ne sentent-ils pas qu'il y a autre chose que ce qu'ils voyent! Ou plustot pourquoi ne la voyent-ils pas cette autre chose ! Alors j'ay conclu que le grand air n'etoit bon que pour les corps. J'ay conclu qu'il ne falloit point se decourager avant d'etre sorti de dessus la terre, parce que tant qu'on y est on peut esperer de faire sa reconciliation; enfin j'ay conclu que c'est dans la privation qu'il faut montrer sa force, et que si nous avons le courage et la patience de soutenir toute l'amertume de cet etat, nous pouvons etre surs d'en etre recompensés par des réalités.
281
Quelquefois j'ay trouvé des gens qui n'avoient que des croyances qu'ils appelloient foi, et ils pronon
çoient; j'avois moi des certitudes et des demonstrations, et je n'affirmois pas. Peut-être ma modération etoit-elle coupable par son excès; mais les esprits à qui j'avois affaire etoient si ardents que je n'avois pas d'autres resources. J'ay fait cette observation à C.B. au sujet de la resurrection de la chair.
282
Il y a trois villes en France, dont l'une est mon paradis, et c'est Strasbourg. L'autre est mon enfer, et l'autre est mon purgatoire. Dans mon paradis je pouvois parler et entendre parler régulierement des verités que j'aime. Dans mon enfer je ne pouvois ni en parler, ni en entendre parler, parce que tout ce qui tenoit à l'esprit y etoit antipatique; c'etoit proprement un enfer de glace. Dans mon purgatoire, je ne pouvois guerre en parler, et je n'en entendois jamais parler que de biais. Mais encor valoit-il mieux en entendre parler de biais ou de bricole que de n'en point entendre parler du tout; aussi je me tenois dans mon purgatoire quand je ne pouvois pas aller dans mon paradis. Je dois même dire, que ces biais et ces bricoles ne m'ont pas toujours eté inutiles, puisqu'ils ont exercé mon esprit à se tenir assez ferme sur ses pieds pour pouvoir resister à bien des chocs. Comme c'est dans l'esprit que j'etois particulierement appellé à travailler, c'est dans l'esprit que je devois essuyer le plus d'epreuves; aussi dans ce genre-là j'ay mangé mon pain les trois quarts de ma vie, à la sueur de mon front, et quand je pense aux secousses que j'ay eprouvées, je suis quelquefois etonné que ma tête soit encor au monde. N° 89.
283
Je ne peux pas m'empêcher de regarder, comme un très grand bonheur pour moi, de ce que la pluspart du tems les hommes ne m'ont pas entendu; car je me serois arrêté dans les mesures où ils m'auroient retenu, et ils m'auroient empêché par là peut-être d'atteindre à des choses que je ne pouvois entendre qu'avec Dieu, et par le canal vivant de son instruction directe et intime.
284
On m'a fait connoitre qu'il faut, pour ainsi dire, se tuer, si l'on veut s'empêcher de mourir; que ceux qui ne se tueront point, ne pourront pas manquer d'etre tués, lorsque le grand glaive de la justice sera tiré, et qu'ils le seront alors d'une maniere qui ne leur sera qu'horriblement préjudiciable, au lieu que s'ils avoient eu le courage de se tuer, ils auroient obtenu la vie en echange de la mort volontaire qu'ils se seroient donnée; verité spirituelle, que nous pouvons tous verifier dès ce monde, et avant d'entrer dans notre tombeau matériel.
285
Il ne faut pas approcher longtems des puissants de ce monde, pour voir qu'on leur donne reellement une verge de fer, avec laquelle ils brisent tout, au gré de l'action qui les mène. Quelquefois cette expérience m'a eté penible, mais aussi elle m'a procuré quelques instructions. 1789.
286
Puis-je regretter quelque chose, si le regne qui est semé en moi vient à fleurir? Et au contraire si ce regne venoit à fleurir, ne devrois-je pas me deffendre de tout, et me separer de tout? Voilà l'idée qui m'a le plus servi dans les divers combats que j'ay eu et que j'ay encor journellement à supporter, particulierement par rapport aux tableaux de l'ange, et aux inconvénients de ma solitude.
287
Parmy les peines d'esprit que j'ay eprouvées sur la terre, une des principales a eté de voir combien les hommes éloignoient le tems du royaume de la verité,
en se laissant mener par les mouvements faux ou bornés qui les dirigent; parce qu'alors il faut que l'homme tout entier livre tout son etre et tous ses soins pour les guerir, tandis que cet etre et ces soins ne devroient etre employés qu'au défrichement de la terre. Nous ne devrions etre occupés que de soigner la chose publique, et les hommes se mettent si aise-ment à la place de cette chose publique, qu'ils attirent toutes les heures, et toutes les idées sur leur personne.
288
Je me suis senti tellement né pour la paix et pour le bonheur, et j'ay eu de si fréquentes expériences que l'on m'avoit même, dès ce monde, comme environné du lieu de repos, que j'ay eu la présomption de croire que dans tous les lieux que j'habiterois, il n'arriveroit jamais de bien grands troubles, ni de bien grands malheurs. Cecy s'est verifié pour moi non seulement dans plusieurs epoques de ma jeunesse, mais aussi dans mon age avancé, lors de la Revolution de la France. J'ecris cecy l'an 4' de la liberté le 25 Juillet 1792. Jusqu'à ce moment, je n'ay eté temoins d'aucun des desastres qui ont desolé ma patrie dans cette circonstance, quoique je n'aye pas voulu quitter le royaume malgré les instances qui m'en ont eté faites, notamment par Md« de Rosenberg qui vouloit m'emmener avec elle à Venise. J'ay traversé en outre trois fois presque tout le royaume pendant ces tems de trouble, et la paix s'est trouvée partout où j'etois (excepté l'aventure du Champ-de-Mars de l'eté de 1791, pendant laquelle j'etois à Paris) tout cela me fait croire que sans oser me regarder comme un preservatif pour mon pays, il sera cependant garanti de grand maux, et de desastres absolus tant que je l'habiterai; non pas, comme je viens de le dire que je me croie un preservatif, mais c'est parce que je crois que l'on me preserve moi-même, attendu que l'on sçait combien la paix m'est chere, et combien je desire l'avancement du reine de mon Dieu. Au reste je laisserai icy quelques lignes de blanc que je ne remplirai que quand la Revolu lion sera finie, si mes jours se prolongent jusques là.
Depuis que j'ay ecrit cecy, je me suis trouvé à Paris le fameux jour du 10 août 1792. Voyez le n° 298. Je me suis trouvé aussi à Amboise lors de la plaisante expedition que les habitants de la ville et de nombre d'autre communes allerent faire à Tours le 29 novembre 1792. Je fus dispensé d'en etre vû l'etat de maladie de mon pere, et sur ce qu'on ne me regardoit pas comme domicilié. Mais j'etois aussi à Amboise lors du jugement et de l'exécution de Capet à Paris le lundi 21 j°' 1793. J'etois à Petit-Bourg lors de l'execution d'Antoinette le 16 8"° 93, à Paris lors de l'execution d'Egalité; et les 12 germinal et 1°r prairial de l'an 3 de la Republique. J'etois à Amboise lors du 18 fructidor où on deporta Barthelemi, Pichegru etc. J'etois à Paris lors du decret sur les nobles, et enfin lorsque l'on nous y annonça la paix signée entre Buona-Parte et l'Empereur à Udine le 26 vendemiaire an VI, ou le 17 8"° 1797, c'est-à-dire le lendemain du 4° anniversaire de l'execution de la Reine. J'etois à Paris lors de la paix avec les Anglois ou la paix generaie signée à Londres le 1°' 8"° 1801, le 9 vendemiaire an 10, sous le 1" Consul Bonaparte.
289
II y a plusieurs personnes à qui j'ay eté dans le cas de dire des paroles qui parroissoient dures tandis que ce n'etoient que des paroles vraies telles que celle-cy : J'espere bien que j'irai à Dieu, encor que vous veuilliez m'y conduire.
290
Si je n'avois pas trouvé Dieu, jamais mon esprit n'eut pu se fixer à rien sur la terre. Et même quoique Dieu
seul ait pu subjuguer mon inconstance, je dois dire, à ma honte, que je ne l'ay pas servi avec le zele et la fidelité que devoient attendre de moi sa tendresse et sa munificence à mon egard. Oh oui, s'il n'y avoit pas eu de Dieu, j'aurois eté le jouet de toutes les babioles qui gouvernent les hommes de ce bas monde, et j'aurois eu de moins qu'eux la fixité qu'ils ont la pluspart pour celles de ces babioles qu'ils adoptent, parce qu'ils ont presque tous plus de caractere que moi. Mais avec les graces que j'ay reçuès, je ne changerois pas de caractere avec eux, car mon caractere est d'avoir tout à attendre avec confiance de la main qui veut bien prendre soin de moi, et d'etre convaincu que si je la laisse faire, elle fera pour moi tout le caractere et tous les mouvements qui me seront nécessaires.
291
Dans mes etudes de college, et dans ma liaison avec La Mardelle à Tours, mon stile, et mon gout de litterature s'etoit un peu tourné du coté de la pompe et des images. Cela m'a eté peut-être utile lors de mes trois premiers ouvrages, dans lesquels la forme etoit nécessaire pour faire passer le fonds qui convenoit à si peu de personnes, et qui devoit déplaire à tant d'autres. Mais aujourd'hui je dois moins m'occuper de cette forme, et de ces figures, ayant de si grandes verités à receuillir et à repandre qu'elles peuvent se passer de tout ornement. Je ne puis en ce genre avoir un meilleur modele que mon cherissime B. Il n'y a pas une fleur dans ses ouvrages, parce qu'il n'y a pas un mot de ses ouvrages qui ne soit un fruit.
292
Dans les contrarietés que j'ay eprouvées, j'ay remarqué une difference sensible qui a jetté un grand jour sur mon caractere et ma maniere d'etre; c'est que les attaques et les méprises qui tomboient sur moi m'atlligeoicnt beaucoup sans doute, mais n'alloient pas toujours jusqu'à m'emouvoir; mais celles qui tomboient sur les verités, et la grande chose, m'emouvoient au point de me faire reellement souffrir. J'ay reconnu par là que la verité m'avoit donné plus de sensibilité pour elle que pour moi-même; j'ay cru même pouvoir dire que la sensibilité qui m'etoit propre, quoiqu'elle pût venir de mon orgueil, pouvoit venir aussi de mon suprême amour pour cette verité que j'idolâtre, parce que la pluspart des gens ne sçachant la juger que par les personnes et non par elle-même, pouvoient se prevenir contre elle, dès qu'ils seroient mal disposés en ma faveur. Plaise au ciel que je ne me trompe pas dans cette observation! Et si elle est juste, puisse-t-il recevoir mes actions de graces du lot qu'il m'aura donné!
293
Je n'etois propre qu'à une seule espece d'element; et les trois quarts du tems, les personnes même les plus desireuses du bien se tenoient toujours dans des elements etrangers à celui-là, et m'y retenoient avec elles. De façon qu'après un bien long sejour dans ces elements etrangers (et en supposant même que ces per-sonnes y eussent eu des triomphes et des victoires) la chose vraie et essentielle que j'appelle mon element, ne s'en trouvoit pas plus avancée d'un cran.
294
Voicy un petit memorial sur mon historique à Bordeaux. Mon entrée baroque au rg` de Foix, mon début avec le colonel, comte de Langeron sur la place d'arme du Chateau-Trompette, prés d'un sergent du rg' de Condé qui etoit venu dresser le rg` tout en recruë depuis son retour des Isles. Les noms qui me sont restés des officiers. St-Cou, Fitz-Patrik, du Laurent, Courteville, du Chastelet, Mayac, Chanpoleon, du Rosel, Renti, Concarnau, San-Dominguo, Montai,
d'Hayenge, Guillemain (tué à Nante) le major Cher d'Ary, le lieutenant-colonel d'Anderni (son bon valet La Pierre) Macdonal, L'Epine, La Haye, des Hayes, La Cottiere, Deval, Sigoyer, La Serre, Flamenville, Cauliere, Chasteignier, Gayot, Malherbe, Legrand (neveu de Grainville, et le plus bel homme que j'aye vu de ma vie) Trenonay (qui m'engagea à diner le jour de l'affaire de Nante) les deux Mondion, d'Au, Rey, La Girousiere, Montredon, les deux Dustou, Villars, Bouvet, de Lys Cleramboust, Vanosq, Cohasseau, Bayeux, La Richardiere, Grandoit, d'Amfreville, Fremont (qui fut tué au combat de M' Destaing) Milly; je ne dois pas oublier le fameux pere Bullet, aumonier du regiment, ni Strolle chirurgien-major, ni le beau L'Esperance tambour-major, Maxa qui de sergent de ma compagnie devint officier, ainsi que Langevin etc. Mes garnisons ont eté Bordeaux, Blaye, Nantes, L'Orient, Rochefort, Longwy, Tours par interim pour veiller aux dépôt des malades. J'ay quitté le rg` en 1771 lorsqu'il etoit à L'Ile, pendant un semestre. Ces semestres que j'allois toujours passer à Bordeaux deplaisoient un peu à M' de Langeron; j'etois même obligé de jouer au fin avec lui et avec mon pere, pour cultiver mes grands objets dans ce pays-là comme si j'eusse eu de mauvais desseins, temoins l'affaire des recrués pour lesquels je supposai une mission.
Mais je passe à d'autres details et à d'autres liai-sons dans cette même ville. Liaisons mondaines, le marechal de Richelieu, Md Ainslie, Sandilan, Grace, Montbrison, les musiciens Beck, et de La Lande, M' Prune, les Vertamon, M" Pifon au Chateau-Trompette etc. Liaisons spirituelles, le M° P... quelques officiers du rg' et en ville, de Serre, d'Hauterive, l'abbé Fournier, Fatin, Shild, Laborie, les Coëffard, quelques personnes de Libourne, Fortin et sa soeur, (il me mena à Polliac chez M' de Loupes de Geres) Mathias un ingénieur des ponts et chaussées, le major Colas, son frère Benoni, le pere Verillac. Evenements spirituels, soit à S'-Surin, soit dans la rué des Juifs, soit dans la rué Carpenteyre, soit dans la rué S''-Croix; brulure de papiers un mardy gras, lors de l'arrestation de M' de Labaume, etc. Tous ces lieux, toutes ces personnes, tous ces evenements laissent dans mon esprit des souvenirs interressants, et les couleurs que mon etre a prise dans ce pays en différents voyages sont au nombre des plus essentielles qui puissent entrer dans mon portrait.
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Mille fois on m'a fait des reproches de ne pas parler; mais je n'aimois à parler que lorsque je pouvois tout dire, et je n'aimois à tout dire qu'à ceux qui etoient resolus à tout quitter pour la verité; et au lieu de cela je rencontrois presque toujours des gens qui en sçavoient justement assez pour ne pouvoir plus jamais rien sçavoir, et qui en outre apportoient aux sciences divines une espece de disposition si melangée qu'on ne pouvoit s'y livrer avec aucune confiance.
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Une verité bien singuliere et que j'ay remarquée depuis bien peu de tems c'est que les ecoliers valent communément mieux que leurs maitres quoiqu'ils ne soient pas aussi sçavants. La comtesse Julie de Sérent valoit mieux que le monde qu'elle voyoit. La duchesse de B. valoit mieux que tous les docteurs qui l'environnoient. J'ose dire que je valois mieux que mon premier maitre dans les choses spirituelles, quoiqu'il fut un puit de science auprès de moi qui ne sçavois rien; je valois mieux que la personne qui voulut nous instruire à Lyon en 1785, quoiqu'elle fut plus favorisée que moi; je valois mieux que M' Herenshwand grand juge des Gardes suisses, que M" (sic) Chabanon, l'academicien, que M" de Merinville, Moussu, et Piat
du Plessisà qui je m'addressois dans ma jeunesse pour acquérir des connoissances. Ceux qui dans la suite se sont addressés à moi valoient mieux que moi surtout quand ils etoient encor jeunes, et qu'ils n'avoient pas eu le malheur de se laisser gater l'esprit par les systêmes. La raison de toutes ces grandes différences est que l'eleve se donne toujours tout entier, et que le maitre se diminué soit pour se mettre à la portée de ses eleves lorsqu'il est sage et qu'il veut leur bien, soit pour menager son amour-propre, et conserver du respect par sa reserve et son mystere; enfin l'eleve est un etre dont l'ame est toujours prête à suivre; mais le maitre est un etre dont l'ame n'est pas toujours prête à marcher, à moins qu'il ne marche lui-même sur les traces de. celui seul qui s'est rendu le maitre de tous les maitres de la terre.
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Dans moi chaque passion n'etoit pour ainsi dire, qu'une idée; et c'est là mon deffaut, et par où je paye tribut à l'humanité; c'est d'autant plus malheureux pour moi, que mes passions mêmes etoient pures et ne respiroient que le vrai. J'ay vu au contraire des personnes dont chaque idée etoit une passion, et c'etoit d'autant plus facheux pour elles que leurs idées étoient presque toujours fausses.
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Le 10 aoust 1792, je me suis trouvé à Paris. Tout ce jour-là fut rempli de meurtres et de massacres sanglants. Les autres jours furent un peu moins agités, et ce n'est qu'au bout de sept ou huit jours que la tranquilité fut retablie. J'etois venu à Paris pour prendre des papiers d'affaire qu'il falloit envoyer chez mon pere à Amboise. Le tocsin et les tambours ne cesserent de se faire entendre depuis le 10 au matin, c'est-à-dire à minuit jusqu'à six ou sept heures. Tout fut en armes dans Paris. A dix heures je voulus sortir pour aller voir quelqu'un qui etoit logé ruë Montmartre proche les diligences; j'etois logé hotel de Bourbon ruë du Fauxbourg S`-Honoré tous les gens de la maison pieuroient, et se nettoient presque à mes pieds pour m'empêcher de sortir. Mais je leur dis que j'etois venu pour un devoir sacré, et qu'il falloit le remplir quelque chose qui pût arriver. Je sors, et vais fort tranquilement jusques vers la moitié de mon chemin par le boulevart. Alors je vois deboucher subitement des colonnes du peuple de plusieurs ruës et criant : Aux armes, aux armes, tout le monde, on s'egorge aux Thuileries. Je n'eus pas, grace à Dieu, la plus petite emotion pour mon propre compte; seulement je hatai le pas pour etre plustot rendu chez la personne; dans les courses que je faisois journellement de chez elle, chez moi, je fus très souvent exposé aux fureurs du peuple armé. Mais je fus calme, et il ne m'arriva rien. Je dois la sérénité dont j'ay joui alors aux bonnes nourritures que je prends journellement dans mon cher B. et surtout à celles que j'avois prises dans de vives prieres faites pendant toute cette nuit du 10, où le tocsin et les cloches m'empêcherent de dormir; je l'ay dit ailleurs n° 42, je n'ai point assez de physique pour avoir la bravoure des sens. Et même pour que j'aye de la bravoure, il faut qu'elle soit toute divine; dès que je me soustrais un instant à la main de cette suprême puissance je ne suis plus rien. Je ne dois pas omettre une circonstance où la main attentive de la Providence s'est fait connoitre, et m'a surveillé dans la bagarre. Elle me fit sortir de chez moi un quart d'heure avant que la grande canonade ne commençât, et cette canonade fut si forte qu'elle ebranla toute la maison, et troubla beaucoup tous ceux qui y etoient. Cette même main me fit passer par le boulevard; et le vent etant nord, repoussoit le son et le bruit des canons, de façon que je n'en entendis rien du tout.
Eh bien, malgré ces attentions excessives que cette main vigilante eut pour moi, j'ay eté assez ingrat que de l'oublier deux jours après, en présence de quel-qu'un qui me montroit les voyages de Cook. Que suis-je!!!!
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Dans ma jeunesse, et dans les premiers tems de ma carriere spirituelle, il y avoit certains passages de l'Ecriture Sainte qui, lorsque je les lisois, sembloient etre comme autant de barres de fer rouge qui traversoient mon coeur et qui le bruloient physiquement. Les différentes circonstances destructives par où j'ay passé, et particulièrement la constance du joug de Gessen ont un peu alteré cette delicieuse sensibilité; mais je crois qu'elle n'est pas entierement perdue, ni tout à fait impossible à récouvrer; il n'y a rien que la pénitence ne puisse nous rendre.
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Il m'a eté donné de sentir que rien de ce qui est relatif à notre etre physique et moral ne devroit nous rester inconnu, et que tous les details, et tout l'historique de nos deux etres soit dans le passé, soit dans le present ne devroient point nous etre etrangers, parce que j'ay senti que c'etoit une chose naturelle qu'un maitre de maison sçut ce qui se passe chez lui.
301
Il y a des etres qui ont dédaigné mon affaire à cause de ma personne; s'ils ne s'etoient pas pressés ils auroient fait grace à ma personne en faveur de mon affaire.
302
Tout ce que je voulois c'etoit de me deffendre des mouvements vitieux, des faux plaisirs, des fausses attaches, des fausses peines, et traverser l'ennemi, les maladies, les elements, les assemblées saintes en laissant toujours peser sur moi la grande action, et en me tenant toujours prosterné dans l'humilité.
303
J'ay joui à Toulouse de la societé d'une très aimable famille, les Dubourg. Et j'ay eu occasion d'y voir M" Villenouvet, Rochemontès, Quelus, Labadens, Mazade, homme de beaucoup d'esprit; les charmantes promenades de Rochemontés me resteront longtems dans la mémoire. La situation est magnifique. J'ay eté frappé de la bonté des ames pures que j'ay rencontrées dans la délicieuse famille Dubourg. Il y a eté question de quelques velléités de mariage pour moi, premierement avec rainée Dubourg, et ensuite avec une Angloise nommée Mlle Rian. Mais tous ces projets se sont evanouis comme tous ceux qui n'ont tenu qu'aux choses de ce bas monde, car mille experiences m'ont appris qu'en vain le sort tenteroit de me lier à la terre, et que je n'etois né que pour une seule chose. Heureux, heureux, si les circonstances n'eussent pas laissé si souvent ma foiblesse à elle-même, et ne m'eussent pas exposé par là à descendre, au lieu de monter comme je n'aurois du cesser de le faire 1778.
304
Vers la moitié du mois de 7°'° 1792, j'ay eté rappellé par autorité de mon pere, de mon paisible sejour de Petit-Bourg à Amboise. Sans les puissants secours de mon ami Boëhme, et sans les lettres de ma cherissime amie B.... j'aurois eté aneanti dès les premiers moments que j'ay eté rendu dans ma ville paternelle, tant etoient nuls les soins que j'avois à y rendre, et les appuis que j'avois à y attendre. Encor malgré ces deux soutiens j'ay eprouvé de telles secousses de néant que je puis dire avoir appris à y connoitre l'enfer de glace et de privation. Cependant j'y ai trouvé aussi quelques legers tempéraments, et j'en parlerai dans des articles à part; mais helas, combien ces tempéraments sont foibles en raison de ce qu'il me faudroit! Mon Dieu, mon Dieu, que votre volonté soit faite ! Ma cherissime amie me manda à ce sujet le passage de S` Paul 1' Cor. 7 : 20 etc. Que chacun reste dans la vocation où Dieu l'a appellé. Il y a un grand sens pour moi dans cette citation. Car j'etois sous cette même puissance lorsque l'on m'a ouvert la carriere.
305
Une de mes peines a eté de voir que dès qu'il y avoit de l'esprit, les hommes fussent assez bêtes et assez malheureux pour se livrer à la matiere. Mais la source de tous mes tourments a eté de ce que le sort m'avoit placé auprès de ces hommes qui ne vouloient pas se donner la peine de chercher l'esprit, et qui avoient sur moi par leur droit naturel une autorité à la fois puissante et destructive.
306
Indépendamment du : Vous courriez si bien n° 240, il m'a eté dit aussi : Si vous vous mariez on ne sçaura plus que votre royaume n'est pas de ce monde. Ce pas-sage m'a paru plus fort que l'autre, quoiqu'ils se ressemblent un peu. Il m'a paru même plus fort que ce que j'ay reçu à Mariendal au sujet de la disposition de sa chair. Mais toutes ces suggestions ne me parroissent pas cependant contenir un ordre positif, quelquefois même elles m'ont semblé autant d'accros semés sur ma route pour m'empêcher de former une union dans laquelle j'eusse pu trouver quelques appuis. Car foible comme je me connois, je suis sur de dechoir dans mon isolement, au lieu qu'il est possible qu'un second m'aide à marcher, et si ce second et moi avions le bonheur de nous entendre, personne ne seroit plus heureux que nous. Ma situation actuelle à Amboise fortifie un peu ces réfléxions, mais je ne veux pas me presser de m'y livrer. Car je ne dois pas oublier le n° 286.
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J'ay à me reprocher trois lézineries de ma façon. L'une à un diner que je donnai à Versailles chez Calon où je logeois, à l'abbé de S`-Simon, et au ch" de Chateigner; la 2' en logeant chez Privat à Lyon, et la 3' à un dejeuner que je donnai rué de Seine à Md° de Florange, et aux Puységur; il est vrai que ma fortune etoit bien mediocre alors, mais tant que nous avons de quoi gagner notre vie, nous ne devons pas peser sur les autres, et si nous n'avons pas de quoi traiter convenablement des convives, il ne faut point en inviter. Pendant le peu de sejour que j'ay fait dans cette ville de Versailles, j'y ay connu M'° Roger, Bonroger, Mallet, Jance, Mouèt; mais la pluspart de ces hommes avoient eté initiés par les formes, aussi mes intelligences etoient-elles un peu loin d'eux. Mouët est un de ceux qui etoit le plus propre à les saisir.
308
Cazotte que j'avois vu avec plaisir dans la societé, etoit un des hommes du tems qui eut le plus de la litterature legere. D'Hauterive qui n'avoit pas sondé la force de sa tête l'avoit admis à nos objets; aussi n'en prit-il que la partie douce, et en abandonna-t-il la partie forte qu'il dénigra cependant sans jamais l'avoir possédée. C'est dans cet etat qu'il fit connoissance avec Md° d. L. C. qui ayant la tête beaucoup plus vive qu'il ne le falloit pour lui, l'a entrainé à mille croyances plus exagerées les unes que les autres; et comme tout se concilie dans les têtes qui ne sont pas en mesure, il a allié la devotion, avec le zele du royalisme; ce zele s'est echauffé en lui par cette devotion même; il a cru parler au nom du ciel, et cette croyance l'a conduit à l'echaffaut. J'aimois cet homme, et cependant j'ay toujours senti que nous n'aurions jamais rien pu faire ensemble.
309
J'ay si peu d'occasions de faire usage de mes tresors spirituels (dans ma patrie) que je sens souvent plustot la crainte que l'envie d'en acquerir. Je suis comme ces princes mahometans, et autres asiatiques qui sont obligés d'enfouir leurs richesses, dans des abimes où elles se perdent, puisqu'ils ne trouvent pas jour à les faire circuler, ou même qu'elles seroient sur-le-champ derobées par leurs despotes si elles en etoient connuës.
310
J'ay assez montré dans mes ecrits combien la priere de l'homme intérieur etoit au-dessus des prieres de formules, mais j'ay eprouvé en même tems combien les prieres faites dans les eglises avoient quelquefois l'avantage sur les prieres faites dans la solitude, et sans compagnons. Cet avantage consiste en ce que dans les eglises, on est plus aisement contenu à sa même place que dans la chambre où le moindre intellect, ou la moindre idée vous detourne, et vous fait passer facilement d'un objet à l'autre, ainsi que d'une place à l'autre, or c'est dans la fixité non seulement de nos pensées, mais aussi de notre personne que la chose descend chez nous avec plus d'abondance, et nous remplit le plus de sa vie nourrissante instructive, et vivifiante.
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L'homme fait ce qu'il veut, proposition que j'ay entendue avancer presque généralement, même par ceux qui ne cherchoient pas à sçavoir s'ils etoient ou non dans les mesures; tel que Bonneville auteur de l'Esprit des religions. Je peux repondre à cela qu'il est vrai que certains hommes peuvent faire ce qu'ils veulent, quand certains autres ne font pas ce qu'ils doivent. Cet ecrivain ingénieux, chaud et fecond, m'envoya la réédition de son ouvrage. Voicy le juge-ment que la lecture m'en a fait naitre; il y a eu un architecte qui en batissant une maison, en avoit oublié l'escalier; l'auteur en question paroit dans son edifice n'avoir sçu faire que l'escalier, et avoir oublié la mai-son et jusqu'au moindre logement.
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Voicy ma position spirituelle, à Amboise le 22 8°" 1792. Il me faut travailler sans relâche pour apprendre et retenir la seule langue qui me convienne, et cela sans pouvoir jamais la parler; il me faut au contraire parler sans cesse toutes sortes d'autres langues que je ne dois jamais apprendre, ni retenir. Je prends quelquefois de l'orgeuil en considérant les diverses situations où je me suis trouvé dans ma vie. Je me dis : Il faut que Dieu compte beaucoup sur moi, et qu'il me sçache de grands moyens, puisqu'il veut que je sois même le createur de mes circonstances. Je gemissois ainsi le 22, et le 24 mon pere tomba malade. Je dois rendre icy un temoignage consolant à ma conscience, c'est que dans ce qui concerne mes tribulations j'ay eté toujours plus affecté des desordres qui tenoient au moral et au spirituel que de ceux qui tenoient au corporel. Mon ame a eté dechirée de pitié en voyant à quel point de misere l'homme pouvoit descendre par la negligence de son moral, lorsque j'ay appris à la fois l'histoire des gouines et l'histoire des poux. Mon ame a eté dechirée lorsque j'ay vu la tête de mon pere s'egarer dans sa maladie du mois d'octobre 1792. Je ne me sentois pas le même attendrissement sur son etat corporel; cependant soit respect filial, soit repugnance, je ne pus prendre sur moi ni de le voir saigner, ni de regarder son sang dans la palete, quoique j'aye vu souvent sans trouble saigner d'autres personnes.
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J'ay eté si souvent obligé de retenir mon coeur, que plusieurs fois, les gens qui ne me connoissoient pas auroient pu douter si j'en avois un. Mais comment pouvois-je me determiner à livrer mon coeur à des personnes qui ne l'auroient pris que pour l'ensevelir dans leurs ignorances, dans leurs foiblesses, dans leurs saloperies, et dans leurs souillures? Combien d'autres l'auroient enseveli dans leur néant, ou dans leurs cupidités vaines et abusives? Oh non, ils n'ont pas connu mon coeur, ceux qui l'ont ainsi empêché de se montrer, ils n'ont pas eu la premiere idée de son dissolvant.
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C'est dans l'effusion de mon coeur que j'ay demandé à Dieu de donner la vie spirituelle à celui par qui il a permis que j'aye reçu la vie temporelle, c'est-à-dire, le moyen d'eviter la mort. Cette recompense en faveur de cet etre que j'honore eut eté une des plus douces jouissances qui pût m'etre accordée, et auroit fait la balance de toutes les epreuves que j'ay subies par lui, et à cause de lui.
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Il y a une verité que l'on veut surement que je n'oublie pas, tant on prend soin de me la répéter, c'est l'esprit des diverses situations spirituelles humaines bonnes ou mauvaises par où j'ay passé sur la terre, et par où je passe continuellement; cet esprit est que Dieu a intention par là que les situations bonnes ne m'ensevelissent pas dans la paresse, et que les situations mauvaises ne m'ensevelissent pas dans le décourage-ment, enfin c'est qu'il a intention que je sente que les situations bonnes ne peuvent pas me nourrir, sans lui, ni les situations mauvaises me renverser à coté de lui, et qu'ainsi n'ayant rien à attendre des autres que de lui, ni à craindre d'eux avec lui, je ne cesse pas un seul instant de tenir mes yeux attachés exclusivement sur lui, de façon que les bonnes ou mauvaises situations humaines spirituelles soient toujours pour moi comme n'etant point, et comme ne devant ni ne pouvant me faire ni bien, ni mal.
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Dans mes tems de liberté d'esprit, je me suis amusé à quelques ouvrages de gayté que je n'aurois pu faire dans d'autres tems, et surtout à present. Le*
Le premier est intitulé Le Crocodille, c'est un poème epique en prose, excepté quelques vers par-cy par-là. Cet ouvrage a eté fini à Petit-Bourg, comme il est noté à la fin; mais il a grandement changé et augmenté depuis cette epoque.
Le second est une tragedie dans le genre burlesque, et intitulé La Conjuration des poudres, sujet que j'ay pris dans l'histoire d'Angleterre, et que j'ay trans-porté à la Chine; cet ouvrage n'a eté que commencé, et de tout ce qu'il y en a eu de fait, c'est un monologue qui m'en a paru le plus gay; mais la catastrophe !
Le troisieme est un opera, dans lequel j'ay eu soin que les sourds fussent aussi bien traités que ceux qui ne le sont pas, puisque cet opera consiste dans un silence, un soupir, et puis da capo.
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Il m'a eté aisé de remarquer que les hommes pas-soient leurs jours à se cacher les uns devant les autres, 'nais avec cette différence que les insensés et les hypocrites cachent aux autres leur ignorance, et leurs passions, au lieu que les sages leur cachent leurs lumieres et leurs vertus.
Il m'a eté aisé aussi de remarquer que les hommes agissent avec leur corps comme les enfants avec leur poupée qu'ils habillent et deshabillent continuelle-ment, qu'ils frisent et defrisent, qu'ils parent, et depouillent le moment d'après de ses ornements.
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Mille fois dans ma vie j'ay senti que j'etois placé au milieu de mes nations adverses pharaoniques et autres pour que 1 fût en dérision aux yeux de 2, comme Jerusalem l'etoit aux yeux des nations etrangeres qui remuoient la tête de dedain, en la regardant. Mais si ce traitement a eu lieu quelquefois pour moi par justice, il a eu lieu d'autrefois pour epreuve.
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Tous mes ecrits ont prouvé que nous ne pouvions avoir quelque confiance en nos doctrines qu'autant que nous avions mis notre esprit en pension dans les Ecritures Saintes. Il faut en excepter mon let ouvrage intitulé : Des Erreurs et de la verité, parce que dans cet ouvrage n'ayant pour but que de combattre la philosophie de la matiere, je ne pouvois laisser voir le terme où je menois le lecteur sans l'exposer à se dégouter d'avance, tant les Ecritures sont en discredit parmy les hommes. D'ailleurs j'ay eté nourri de principes naturels; ce sont les seuls que l'on doive d'abord presenter à l'intelligence humaine, et les traditions qui viennent ensuite, quelques sublimes et profondes qu'elles soient, ne doivent jamais etre employées que comme confirmation, parce que l'intelligence de l'homme existoit avant les livres.
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Mon education spirituelle a commencé longtems avant mon education physique et morale. Aussi comme il me faut commencer tard ces deux dernieres educations, j'aurai plus de peine à les parfaire que si elles eussent eté entreprises dans leurs epoques naturelles qui auroient eté celles de mon enfance, et de ma jeunesse. Mais tel a eté le pouvoir du royaume temporel etabli sur moi que je n'ay pu eviter ce redoutable renversement. Heureusement qu'en se jettant à corps perdu dans la confiance active en celui qui peut tout, rien ne doit me paroitre impossible.
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Pour donner une idée de mes gaytés, voicy des vers que je fis à Amboise en 9b'e 1792, malgré les ennuis et les privations que j'y eprouvois. Il s'agissoit d'une maison à moi, dont le crieur public nommé Roguet publioit la vente par adjudication, et cela au son de son tambour.
Achille, Idoménée, Ajax, Agamemnon,
De votre gloire Homere a sçu remplir le monde; Ainsi Monsieur Roguet a repandu mon nom Et l'a fait retentir sur la machine ronde.
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Dans le mois de 9°r' 1792, il y eut à Amboise comme dans plusieurs autres ville et departements, une taxe forcée de toutes les subsistances. Les habitants furent obligés d'aller donner leur commotion à Tours comme ils l'avoient reçuë chez eux. Rien n'etoit plus risible que cette armée. Les uns etoient montés sur des ânes, les autres avoient des manchons; quelques-uns des parasols quoiqu'on marchât en pleine nuit. Cette rumeur ne m'inspira que de la pitié, je presumai qu'elle se trouveroit bientot arrêtée, ainsi que cela arriva à Tours, à Orleans, à Chartres, à Alençon.
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J'ay vu que les hommes etoient etonnés de mourir, et qu'ils n'etoient point etonnés de naitre. C'est là cependant ce qui meriteroit le plus leur surprise et leur admiration.
J'ay vu que l'enfant dedaignoit et laissoit au-dessous de soi les choses du monde qui occupent les hommes parce qu'elles sont au-dessus de lui; mais j'ay vu aussi que les hommes qui ne sont que de grands enfants en fesoient autant relativement aux lumieres, et aux verités eternelles de la divine sagesse, et c'est là ce qui a si souvent traversé mon ame comme avec une epée.
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Lorsque la d.d.B. me fit passer les lettres de l'evêque de la Dordogne Pontard, j'y reconnus une ame angélique et pleine de l'amour de Dieu. Mais comme je le sçais travaillé d'une idée qui demande un long examen et un grand départ je ne pus m'empêcher de voir ce qui manquoit encor à ce digne homme pour etre ce qu'il me faut. Aussi j'ecrivis à quelqu'un alors que quand ce cher Pontard seroit evéque j'irois me jetter à ses pieds pour le prier de me faire prêtre. Ma reponse à la d.d.B. ne lui plut pas. Et dans le vrai, je n'y avois pas mis de prudence, vit la connoissance que j'avois de ses elements. Mais comme son coeur est plein d'envie du bien, elle n'a pas moins d'amitié pour moi, autant qu'elle peut cependant en avoir pour quelqu'un qui la flatte si peu, et qui sçait si peu plier sur les principes.
325
Le sort m'a donné plus de tems qu'il ne m'en faudroit pour les travaux externes et de cabinet si c'etoit là mon but; mais comme mon but est le travail interne, et qu'en ce genre mes forces sont infiniment médiocres, la Providence a disposé les choses de maniere à ce que la longueur du tems qu'elle me donne puisse suppleer aux forces qui me manquent.
326
Il y a un danger qui m'a paru pouvoir exister dans l'exercice même de la complaisance et de la charité, c'est celui de se rendre quelquefois le pourvoyeur des foiblesses, des ignorances, ou des vices des autres. Ce danger-là cependant ne doit pas toujours arrêter, et s'il est bon de le considerer, et de l'eviter autant que possible, il est bon aussi de se souvenir que nous devons appercevoir le moins que nous pouvons les deffauts de nos freres, et que peut-être ce sentiment d'amour que nous eprouverons pour eux leur attirera d'en haut les forces, les lumieres, et les vertus qui leur manquent.
327
Dans ma première année de service qui etoit à Bordeaux, je fus detaché au fort du Ha pendant un mois. Un soir j'allai souper au Chartron, et je fis différer la fermeture de la petite porte jusqu'à ma rentrée, chose que mes camarades m'avoient dit se pouvoir faire sans consequence. En m'en revenant de souper je trouve dans la place S`-Surin un grand tumulte, j'entends des cris, je vois des armes; je m'approche et je reconnois que ce sont de mes soldats que la garde de police de la ville avoit ramassés, et qu'elle emmenoit à son corps de garde jusqu'au lendemain. Je les reclame à l'officier qui les avoit arrêtés, et il a la complaisance de me les rendre. Je leur fais une vive reprimande en les reconduisant au fort; mais en me receuillant en moi-même pendant la nuit je reconnus que j'etois plus coupable qu'eux, que je ne pouvois les punir sans me soumettre moi-même à la même punition, et je ne les punis point; la raison qui me retint me fut donc personnelle, car je ne pouvois en les punissant me dispenser de rendre compte au commandant de leur délit, et par conséquent sans m'exposer à faire connoitre le mien. Depuis ce tems-là je me suis reproché mon égoïsme, et j'ay senti que j'aurois du pour le bien du service tout déclarer au commandant, et le prier même de commencer par me punir, afin que mon exemple fit plus d'impression sur mes soldats.
328
Lorsque j'ay vu les pauvres et les ambitieux demander des secours et des graces à d'autres hommes, je me suis dit: Il faut que les hommes ayent autrefois addressé leurs prieres à d'autres etres qu'à Dieu, et ce qu'ils font aujourd'hui en est surement la suite et la punition.
329
Quand je me suis approché de la sagesse, j'ay senti que l'homme qui auroit le bonheur de s'en remplir n'auroit d'indifférence pour rien, qu'il donneroit à chaque chose le degré d'interêt qui leur appartient, à Cesar ce qui est à Cesar, à Dieu ce qui est à Dieu, car il comprendroit trop de quelle importance seroient les mécomptes dans cette sorte de calcul.
330 Il y a une chose que j'aurois bien desirée pour l'avancement de notre bonheur, et que j'ay dite souvent aux dejeuners de la p. à Paris, c'est que si nous voulions, etre en paix avec nos semblables nous devrions cher-cher à les considérer dans les similitudes qu'ils ont avec nous, et nous fermer soigneusement les yeux sur nos différences. Mais au contraire nous ne nous employons qu'à calculer les différences pour nous en prevaloir contre eux, et nous fermons les yeux sur les similitudes. Aussi n'y a-t-il que le prince des ténébres, des troubles, et des desordres qui fasse des profits dans nos combinaisons.
331
Je me suis demandé pourquoi Dieu est-il si rempli de patience et de longanimité? Pourquoi n'a-t-il pas fait faire plustot de superbes révélations, telles que celles de J.B.? C'est que si le tems avoit fini plustot, les generations n'auroient pas eu lieu, et toute la posterité humaine n'auroit pas passé dans les cercles de la régénération, et que Dieu vouloit que tous y pas-sassent pour qu'ils pussent connoitre son amour. D'un autre coté si le tems n'avoit eté abregé en faveur des elus, personne n'auroit eté sauvé.
332
Les circonstances m'ont presque toujours placé à coté de gens qui me fesoient vendre mon esprit pour mon estomac; mais il y a eu une main vigilante qui a continuellement separé pour moi ces deux regnes, et j'arrive au moment où leur existence sera telle-ment à part, qu'ils ne s'appercevront plus l'un de l'autre.
333
Quand je n'ay eu à combattre que des erreurs, je me suis senti tout de feu; quand j'ay eu à combattre des passions, je me suis trouvé tout de glace. J'ay remarqué que lorsque l'on ne discutoit que des erreurs, la lumiere se montroit de plus en plus; j'ay remarqué que quand on se battoit avec des passions, la fureur et les ténébres ne fesoient que s'accroitre. Telle qu'est la semence, telle est la récolte, et cela dans tous les genres.
334
Mes ouvrages, particulierement les premiers, ont eté le fruit de mon tendre attachement pour l'homme, mais en même tems du peu de connoissance que j'avois de sa maniere d'etre, et du peu d'impression que lui font les verités, dans cet etat de ténébres et d'insouciance où il se laisse croupir. C'est en effet une chose lamentable que de voir le peu de fruit qu'il retire de tout ce qu'on lui offre pour son avancement. Ce ne sont pas mes ouvrages qui me font le plus gemir sur cette insouciance, ce sont ceux d'un homme dont je ne suis pas digne de denouer les cordons de ses souliers, mon cherissime B. Il faut que l'homme soit entierement devenu roc, ou demon pour n'avoir pas profité plus qu'il ne l'a fait de ce tresor envoyé au monde il y a 180 ans. Les apotres qui n'en sçavoient pas tant que lui ont infiniment plus que lui avancé l'oeuvre; c'est que pour les hommes encroutés comme ils le sont, des faits sont plus efficaces que des livres.
335
J'ay vu l'universalité des humains n'etre occupés qu'à gagner ce qu'ils appellent leur vie. Il m'a paru qu'ils auroient mieux fait d'appeller cela gagner leur mort. Car ils ne remplissent leur objet qu'avec des choses mortes, et qu'avec des cadavres, et cela tant au moral qu'au physique.
336
Les engagements humains et terrestres sont trop rem-plis de dangers et d'inconvénients pour que celui qui en est averti doive hasarder de s'en approcher sans en avoir l'ordre direct. Car dans ces sortes d'engagements, nous aurions besoin qu'on ne nous quittât pas un seul moment plus que des enfants, puisqu'à chacun de nos moments nous sommes exposés à tomber dans le feu ou dans l'eau.
Voilà ce que j'ay souvent pensé, et cependant sans l'absurde papisme de certain ange, je ne sçais si j'aurois evité de me lier de ces chaines humaines et terrestres.
337
Il y a eu plusieurs circonstances qui m'ont appris qu'il ne falloit pas confondre la punition avec la cor-rection, qu'il y avoit des etres que Dieu punissoit sans les corriger, mais qu'il y en avoit aussi que Dieu corrigeoit sans les punir, tant ce Dieu est un profond et sage médecin.338
Une des merveilles qui a le plus attiré mon admiration est de voir combien il a fallu que Jacob B. eut une grande dose d'amour et d'eau vive pour qu'elle n'ait pas eté dessechée par la grandeur de son feu et de ses connoissances.
339
En vain j'ay essayé de ramener les hommes par les simples voies de la raison, et en les tenant loin de ces mesures apparentes et prestigieuses qu'ils ont tant de peine à abandonner; pour quelques-uns dont je me suis fait entendre, il y en a nombre sur qui j'ay senti qu'il seroit impossible de rien operer si l'on ne se fesoit fou, c'est-à-dire si on ne se portoit pas en entier dans ces régions et dans ces merveilles dont le vulgaire ne peut pas même entendre parler sans les regarder comme de la démence. Cet inconvénient n'attaque point l'oeuvre qui dans le vrai ne doit se faire que de cette maniere-là; mais il est un travail et une affliction pour le genre de don que j'ay reçu et qui, (si les circonstances ordinaires lui etoient plus favorables,) auroit pu sortir par les voies douces de l'intelligence exercée, et par les paisibles reflexions naturelles.
340
Il a eté bien douloureux pour mon esprit, et pour mon zele de voir que ceux qui etoient chargés par leur etat de professer et de prêcher la foi, etoient ceux qui avoient le moins de foi, et qui rioient même de ceux qui avoient le moindre rayon de cette foi.
341
J'ay senti l'inconvénient qu'il y auroit de contempler continuellement la vie du mauvais coté. J'ay senti que cela pourroit décourager; et qu'il etoit bon de regarder aussi souvent la beauté de la vérité, parce que sa vuë nous rejouit, nous eleve, et nous fortifie. D'ailleurs j'ay senti que l'homme ne devroit marcher qu'avec respect parmy tous les ouvrages de la nature, puis-qu'il n'y peut faire un pas sans y trouver son Dieu. Enfin j'ay senti que ceux qui sont accoutumés à saluer les croix, devroient à tous les pas avoir le chapeau à la main, puisque l'universalité des etres n'existe et ne se meut que par ce pivot. Ces trois idées sont de ma jeunesse; mais dans l'âge que j'ay actuellement j'en ay reçu des demonstrations si consolantes qu'elles font à la fois ma vie et mon bonheur. 1' fevrier 1793.
342
Le spectacle du monde m'a appris que les hommes en général cherchoient par leurs liaisons, leurs engagements, et par les societés qu'ils formoient, à satisfaire un interêt particulier quelconque, qui les fesoit passer sur les inconvénients inséparables de ces
mêmes liaisons, et qui ne les portoit à se livrer ainsi à des contrarietés et à des souffrances, que parce que ce desir particulier ne trouvoit point en eux le moyen de s'assouvir, et qu'ils avoient besoin des autres hommes. Le besoin qûe j'ay eu a eté d'un autre genre, nul homme sur la terre ne pouvoit le remplir, et il n'y avoit que dans la source suprême où je pouvois puiser pour etancher ma soif; voilà pourquoi j'ay formé si peu de liaisons, et d'engagements terrestres, quoique j'en aye formé beaucoup de spirituels; encor ay-je dit et ecrit que dans cet ordre de choses elles-mêmes, les hommes pouvoient m'etre utiles, mais qu'il n'y en avoit aucun qui me dût etre indispensable si j'etois sage et courageux. Voyez n° 2.
343
Je suis le quatrieme rejetton du soldat aux gardes le plus ancien chef connu de la famille; depuis cette tige jusqu'à moi, nous avons toujours eté fils uniques pendant les quatre générations; il est probable que ces quatre générations n'iront pas plus loin que moi. J'ay eu dans ma vie plusieurs exemples de rapports quaternaires, soit au college, soit chez la p. soit dans mes epoques septenaires. Mes developpements spirituels ont montré aussi combien ce quaternaire avait labouré et fertilisé mon intelligence; tous ces rapprochements me font plaisir à considérer. Mais je ne les trace que pour moi, attendu que tous ceux qui y sont etrangers, tant en fait de principes, qu'en fait de resultats n'y verroient que de l'extravagance ou rien.
344
L'experience encor plus que la reflexion m'a appris qu'en vain nous nous flatterions de faire une heureuse navigation si nous ne prenions pas la précaution d'embarquer dans notre vaisseau une grande provision de pénitence.
345
J'aurois bien voulu eviter plus souvent la compagnie de ceux qui etoient grands dans les petites choses et qui etoient petits dans les grandes, mais si je n'en ay pas toujours eu la force, je n'en ay pas eu toujours non plus la permission ni la possibilité.
346
J'ay eté tres chaste dans mon enfance, et l'agent de Lyon m'a designé tel lorsqu'il m'a vu dans ma racine en 1785. Si ceux qui devoient veiller sur moi m'eussent conduit comme j'aurois desiré de l'etre, et comme ils l'auroient du, cette vertu ne m'eut jamais abandonné, et Dieu sçait quels fruits il en fût resulté pour l'oeuvre auquel j'etois appellé! Mes foiblesses en ce genre m'ont été préjudiciables au point que j'en gemis souvent, et que j'en gemirois encor davantage si je ne sentois qu'avec du courage et de la constance nous pouvons obtenir que Dieu repare tout en nous. Le monde est loin de pouvoir calculer les avantages qu'il retireroit de la culture de cette vertu. Cependant c'est une espece d'hommage que les gens policés rendent à la verité en rougissant de parler ouvertement des actes sensuels qu'ils ne rougissent pas d'operer. L'homme brut n'a pas cette delicatesse parce que la connoissance de cette moralité n'est pas même developpée chez lui. Mais l'homme policé n'en est pas plus avancé, car il n'a pas non plus cette delicatesse dans le coeur ni dans la conduite, quoi qu'il l'ait dans les paroles; les lumieres ne sont pour lui que dans sa memoire, et dans la mode; et l'esprit du monde a un soin continuel de les empêcher d'entrer dans son coeur.
347
Ma destinée a eté d'etre en guerre avec tous les hommes, puisqu'il y en a si peu qui cherchent la verité. J'ay eté en guerre avec le monde qui ne travaille qu'à affamer l'esprit de l'homme et à le faire
tomber en ruine, quand il n'est pas assez fort pour le livrer aux grandes iniquités; j'ay eté en guerre avec les philosophes qui ont voulu degrader la nature de l'homme, et la ravaler au rang des bêtes; j'ay eté en guerre avec les sçavants qui ont tellement defiguré la nature que ce miroir est devenu tout à fait meconnoissable entre leurs mains; j'ay eté en guerre avec les theologiens et les princes des prêtres qui ont egaré l'ame humaine, et l'ont tellement detournée de ses voies qu'elle ne sçait plus où trouver de la nourriture. J'ay taché de m'acquitter de mon devoir autant que je l'ay pu dans les diverses circonstances où je me suis trouvé, et je souhaite que mes services en ce genre puissent un jour faire passer l'eponge sur mes ecarts et mes infidélités; mais ce n'est que là-haut que je connoitrai au juste ma sentence.
348
Souvent j'ay remarqué que les femmes, et ceux des hommes qui se laissoient feminiser dans leur esprit, etoient sujettes à nationaliser les questions de choses, comme le ministere anglois a voulu nationaliser la guerre qu'il nous fait en cette presente année 1793. Elles songent plustot à mettre à couvert leur individu que la verité et la justice. (J'excepte toujours de ce jugement ma délicieuse amie B. qui n'est pas femme). J'ay cru voir dans les hommes au contraire un penchant à deffendre plustot la verité qu'eux-même; ce qui m'a paru avoir lieu même au milieu de leurs erreurs et de leurs faux systêmes. La raison qui s'en est presentée à mon esprit est que l'homme lors de son ancienne prévarication a eté plus foible que criminel, qu'après que la femme eut eté extraite de lui à la suite de cette premiere négligence, cette femme fut plus criminelle que foible, qu'enfin la femme etant en quelque sorte un etre apocrife, elle a plus de soins à prendre pour se ligitimer, au lieu que l'homme ayant moins à penser à la deffense de son être originel, peut etre plus entier à la deffense de la verité.
349
Il m'est arrivé de dire quelquefois que je croyois peu à nos pénates. Mais c'etoit une distraction, ayant ecrit sur cela des idées différentes dans mon traité de l'admiration. Mais en outre j'ay eprouvé le contraire en allant voir M' et M° Morès anglois de nation, et qui occupent la maison où je suis né dans le grand-marché à Amboise. J'y ay eprouvé une sensation douce et attendrissante en revoyant des lieux où j'ay passé mon enfance, et qui sont marqués par mille circonstances interessantes de mon bas age.
350
Voicy quelques observations qui m'expliquent beau-coup de choses pour mon propre compte
C'est par attention pour elle-même que la sagesse attend le complément des mesures pour se montrer, parce que tant qu'il existe des mesures fausses, qui la gênent, et devant qui elle ne trouve pas à faire reposer sa paix, elle ne veut et ne doit pas se mettre en evidence. Cette contrainte lui est infiniment penible; ce n'est cependant que par là qu'elle peut esperer de remplir ses plans avec sureté et sans eprouver de perte.
Quand cette sagesse a des oeuvres de justice à opérer elle est encor obligée d'attendre que les mesures soient combles afin que cette oeuvre de justice soit utile à sa propre gloire, ou à l'amendement des malfaiteurs.
351
Une des grandes douleurs de ma vie a eté de me voir dans l'obligation d'etre le parrein de mon pere dans son baptême de mort. Car il n'avoit alors ni la tête, ni la parole assez libres pour que je pusse m'entre-tenir avec lui des consolations d'une autre vie. Je priai alors la d. de B. de vouloir bien lui servir de mareine. J'ay eu mille exemples de la justice divine dans la maladie mortelle de mon pere. La degradation et corruption physique geographique; la longueur de sa maladie qui fesoit une triste compensation avec les joyes qu'il avoit aimées; la privation de sa tête qui m'empêchoit de lui procurer les secours d'un ordre de choses dont il s'etoit toujours ombragé. J'ay appris dans ces douloureuses circonstances combien les hommes se trompoient en soignant si vigilamment leur corps aux depends de leur esprit; ils renversent par là toutes les mesures, ils font mourir l'esprit au lieu de le faire vivre, ils font vivre le corps au lieu de le faire mourir, ils tuent le maitre, et font roi l'esclave. Mon pere est expiré le 11 j°' 1793, à deux heures après midi, sans douleur, ouvrant les yeux plus grands qu'à l'ordinaire, tournant la tête tout autour de lui pour regarder toutes les personnes qui l'environnoient, puis la laissant tomber en avant, ce qui fut son dernier mouvement. Deux heures avant cette epoque j'etois à diner avec l'abbé Habert; j'eus la sensation douloureuse de ce qui se passoit alors, car la mort fesoit deja un assaut dans ce moment. Les larmes me gagnerent, et je ne pus manger. J'ay fait une remarque sur la mort de cet auteur de mes jours. Elle a eu lieu le second mois de la 76° année de son age, le 11 du mois, à deux heures. Son temperamment etoit aquatique et mou. Je tiens de lui dans sa constitution molle quoiqu'il fut sain et moi aussi, mais je n'en tiens pas dans sa qualité aquatique, aussi je ne vivrai surement pas tant que lui. Ma tante Julie est une personne incomparable pour les soins constans qu'elle lui a rendus pendant sa maladie, et jusqu'à son dernier soupir.
L'année qui a precedé celle de sa mort j'avois eu un vif pressentiment sur 58, qui est l'epoque où il me sembloit qu'il devoit mourir. Je n'avois pas alors le sens de ce 58, et je portois ce nombre dans mon esprit jusqu'à ma 58° année. Mais cela s'est accompli d'une autre manière. Le jour où il est mort il s'en falloit huit jours que je n'eusse 50 ans. Ainsi le huit et le cinquante ont eu leur role à jouer dans cette circonstance, et il y a pour moi sous ces nombres des choses consolantes, et qui tiennent à des verités developpées ailleurs sur 8 et sur 50 qui ne font qu'un. La mort de mon pere devoit porter à la fois sur mon année sabbatique temporelle, et sur mon année sabbatique spirituelle. Jusqu'à 50 ans l'homme est en Egipte, et j'y ay eté comme les autres. Le nombre 8 est mon liberateur, comme celui de tous les autres hommes.
Je dois ajouter une seconde remarque sur le nombre des jours de la maladie de mon pere; elle a duré 78 jours moins quelques heures. Ce senaire convenoit à sa décomposition, car il avoit eu un royaume dans le tems.
Mon aimable cousine Lombreuil a repandu de salutaires diversions sur cette noire epoque de ma vie.
352
Je ne me suis laissé allé à composer de pieces et d'idées detachées ce receuil historique moral et philosophique que pour ne pas perdre les petits traits epars de mon existence, ils n'auroient pas merité la peine d'en faire un ouvrage en regle, et je ne donne à ce petit travail que des minutes très rares et très passageres, croyant devoir mon tems à des occupations plus importantes. Le vrai avantage qu'il me procurera c'est de pouvoir de teins à autre me montrer à moi-même tel que j'ay eté, tel que j'aurois voulu etre et tel que je l'aurois pu si j'eusse eté secondé. Au reste j'ai deja noté les raisons pour lesquelles ces appuis m'ont eté refusés, et j'ay la consolation de sentir que c'est pour que les dedommagements m'en soient rendus au centuple.
353
Souvent j''ay senti le besoin de rencontrer des occasions de developper aux hommes les bazes sur les-quelles tout mon edifice repose, @t les principes qui font mon bonheur; j'ay même quelquefois murmuré de ce que ces occasions etoient si rares, mais quand j'ay reflechi combien l'homme etoit eloigné de sa veritable voie, et même de vouloir ecouter la langue de son desir, quand en outre j'ay senti combien il donneroit peu de tems à l'instruction en raison des immenses et nombreux circuits qu'il faudroit lui faire faire pour l'amener seulement à reconnoitre qu'il a un grand oeuvre.à faire et que ce grand oeuvre est la seule chose qu'il ait à faire, alors je me tais, je me calme, je me replie sur moi-même, je me contente de me jetter dans les bras de mon Dieu, et de le prier de rappeller à ce doux foyer tous mes freres.
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Si j'ay fui quelquefois les hommes dans la crainte d'etre infecté de leur corruption; il m'est arrivé aussi d'autresfois de les fuir par foiblesse, et même par orgeuil, en ce que je sentois que leurs maux, et surtout les pouvoirs de leur volonté corrompuë étoient au-dessus de mes moyens de victoire, et n'auroient fait que déceler mon humiliante impuissance; reproche que beaucoup d'autres que moi peuvent se faire sur la terre mais que j'ay du me faire plus qu'un autre, car j'ay eté le plus foible des hommes, et sans les secours que la Providence m'a fournis je n'aurois eté rien du tout; or trouvant partout des hommes qui etoient complets dans leur mollesse et dans leur corruption, et moi n'etant qu'une moitié d'esprit ou qu'une moitié d'elu, il n'est pas etonnant que je dusse avoir du desavantage; aussi j'ay eu plustot la force de resistance que la force de reduction, et si l'on n'a pas sous tous les rapports cette derniere force, la prudence et l'amour-propre doivent nous engager à ne pas chercher le combat.
355
En 1775 je fis un voyage où je m'embarquai de Nice-à Gênes. Il se trouva dans la felouque un inquisiteur de Turin avec qui je liai conversation, et à qui je parlai peut-etre un peu trop franchement sur certains objets, et certaines gens. Dans la route je lui demandai combien il y avoit du lieu où nous nous trouvions à une ville que nous voyions devant nous, il me repondit en françois mais en idiôme italien, ils sont dies lieues. Quand nous fumes près de Gênes il m'engagea beau-coup d'aller le voir à Turin où je devois aller. Sur mon refus il me pressa de dire pourquoi, je ne me deffendis que par des raisons d'affaires, et par des honnêtetés. Mais depuis reflechissant sur nos conversations et sur les dangers que j'aurois pu courir à me trop approcher de cette sainte personne, il me vint dans la pensée que j'aurois pu lui repondre : Ils sont dies raisons.
356
J'ay eu deja deux temoignages puissants de la bonté paternelle qui veille sur moi, sçavoir ma premiere ecole P. et ma seconde B. La premiere etoit plus active, et la seconde plus instructive. Mais comme la premiere n'avoit qu'une activité que je puis appeller collaterale et précaire, je crois pouvoir en esperer une troisieme qui liera l'activité et l'instruction dans une unité vivante et lumineuse, et posera ce que j'appelle la clef de la voute.
357
Lorsque je me disposois à publier mon second ouvrage, il me fut dit dans une maison pieuse de la rué des Petits-Augustins : Tu me prostitué. Malgré ce conseil, j'allai en avant, non sans quelque embaras
intérieur. Ma cherissime amie de Strasbourg, quand je lui racontai cela, me dit que si en pareil cas on lui en avoit dit autant c'eut eté une raison de plus pour elle de ne pas s'arrêter. J'ay reconnu depuis qu'elle pouvoit n'avoir pas tort puisque B. en a bien publié de plus fortes que moi; cependant il pourroit y avoir encor des différences dans les epoques, dans les localités, et surtout dans l'election. Mais je ne veux pas regarder en arriere, et je livre tout, soit l'ouvrage, soit l'ouvrier entre les mains du grand redresseur des torts.
358
On a bien souvent carressé mon esprit, et les intelligences qu'il recevoit, sans que l'on fût fort difficile sur les vertus et la renaissance intérieure d'où cependant tout doit partir; aujourd'hui on me fait payer ces prédilections démésurées, et l'on laisse mon esprit dans un tel denuêment qu'il n'a pour ainsi dire d'autre resource que de s'echarper pour suffire aux circonstances et faire face à tous les postes; car je ne suis entouré que de gens qui se jugulent eux-même, et puis qui voudroient me persuader que ce n'est pas leur faute s'ils ne peuvent pas vivre. Ceux qui n'ont pas de moyens naturels je ne leur fais pas un si grand crime d'avoir peu de volonté, parce que c'est le desir qui engendre cette volonté, mais ceux qui n'ont pas de volonté, et qui cependant ont des moyens, voilà ceux qui m'affligent veritablement. A Amboise ce 7 mars 1793, jour où j'ay donné 270 t à la nation pour l'équipement des soldats que l'on recrute aujourd'hui par toute la Republique au nombre de 300000.
359
Ma crainte la plus vive dans l'ordre des choses spirituelles n'est pas la crainte de n'etre pas un jour tiré du bourbier par la grande misericorde, mais c'est de voir que j'y en laisse, et que j'y en laisserai tant d'autres! Cette douleur spirituelle est le vrai tresor prétieux que la Divinité m'a donné, quelqu'amer qu'il soit à mon coeur, c'est cependant lui qui est ma rançon, et c'est à moi de ne le pas laisser perdre inutilement.
360
La plus grande epreuve que j'aye subie pendant ma vie, et qui jusqu'à 50 ans m'a mis dans des situations spirituelles des plus dangereuses, est que l'on me forçoit de separer mon coeur de mon esprit, et qu'on ne me donnoit pas la permission de les laisser fraterniser. Cette epreuve a pensé me couter mon tresor spirituel que j'ay bien senti depuis ne pouvoir consister que dans cette union. Ils etoient bons l'un et l'autre graces à mon Dieu, mais etant separés ils n'avoient ni les forces, ni les triomphes, ni les jouissances qui les eussent remplis s'ils avoient eté reunis; et c'est parce que peu de personnes ont eté forcées comme moi à cette effroyable separation, que j'ay trouvé tant de gens qui avoient l'avantage sur moi, et qui en même tems me jugeoient si mal. Ils ne distinguoient pas mon etat naturel d'avec mon etat de circonstances.
361
Autre chose est d'etre un brave et experimenté genéral, autre chose est d'apprendre par coeur les loix de la guerre, ou, comme un sçavant peintre, de bien representer des batailles sur la toile. C'est cependant là où j'ay vu que se bornoient la pluspart des curieux et des docteurs dans la vraie science; et l'on ne voudroit pas que mon ame fût dechirée! Elle l'a eté même de ces sortes d'abus qui regnent egalement dans les sciences ordinaires, comment ne le seroit-elle pas lorsque ces abus regardent l'unique et universel fondement de toutes les sciences.
362
Mon oeuvre a sa baze, et son cours dans le divin. Voilà pourquoi elle est si etrangere au sensible, et si peu marquante dans l'ordre extérieur. Elle ne manquera pas, je l'espere, d'avoir aussi son terme dans ce même divin; voilà pourquoi elle ne se fera librement, délicieusement et complétement que quand je serai dégagé de mon enveloppe terrestre. Ce monde-cy n'est pas capable de recevoir et de saisir l'oeuvre d'un homme de paix qui ne veut vivre et agir que dans le principe. Aussi mes suspensions, mes privations, mes tribulations même ne m'allarment point quoiqu'elles m'affligent, et nie fassent souffrir et pleurer. Je sens qu'au milieu de toutes ces ténébreuses angoisses un fil secret me tient attaché pour me preserver. Je crois etre comme un homme tombé d'un vaisseau dans la mer, mais qui tient à la main une corde dont son poignet est fortement entouré, et qui correspond jusqu'au vaisseau. Malgré que cet homme soit le jouet des flots, malgré que les vagues l'inondent et passent par-dessus sa tête, elles ne peuvent pas l'engloutir; il sent de tems en tems son soutien, et a la ferme esperance qu'il va bientot rentrer dans le vaisseau.
363
Les troubles politiques où la France est livrée, cette année 1793, la trahison de Dumouriez qui prolonge si cruellement les suites de la Revolution, les angoisses spirituelles, morales, et physiques où l'etat des choses actuelles nous retient pour des tems qu'on ne peut mesurer, selon la raison humaine, m'ont fait sentir que la bonté et la gloire divine sont comme interressées à mettre un terme à ces maux qui nous travaillent. S'ils duroient jusqu'à affadir le sel dans les hommes de desir, les mêts divins en souffriroient, et j'aime à penser que moyennant Dieu, ce sel sera conservé, et atteindra enfin des epoques où il pourra developper sa saveur. Le regne de Dieu ne peut permettre au regne terrestre et infernal de le deplacer, il ne peut lui permettre que de l'eprouver et de le faire souffrir. Dieu a mis en moi un desir et une sensibilité spirituelle sur ces objets et sur les circonstances où nous nous trouvons, et je me suis dit dans un mouvement secret et vif : Non mon Dieu, tu ne voudras pas que ton regne succombe, l'etat des choses du moment lui est trop contraire, et tu ne peux manquer de nous donner incessamment les moyens de respirer l'air libre de ta sagesse; les hommes et toi ont trop à y gagner; et tu ne veux pas que la vie de l'homme de desir soit vaine et devorée par le néant.
364
Un abus que j'ay reconnu bien tard, quoique je J'aye pressenti presque toute ma vie, c'est celui où l'esprit de l'homme est entrainé par le charme des sciences humaines, et l'empire de l'oeil de ses semblables. Ce danger est tel que l'homme ne se voit plus que comme le seul terme de l'entreprise; et pourvû que sa gloire soit sauve et satisfaite il ne croit pas avoir d'autre but à se proposer. Voilà ce vorace esprit du monde qui engloutit journellement les humains, et qui les nourrit de ce poison corrosif dont il est à la fois le principe et l'organe. Le principe de verité impose aux hommes d'autres loix; il ne leur communique rien que pour son oeuvre à lui-même, il ne leur laisse pas le loisir de se contempler, et de songer à eux; il les traite comme des mercenaires, il ne leur fait gagner leur pain qu'à la sueur de leur front, il ne leur fait pas faire un seul pas qu'ils ne le payent par des efforts penibles, et de longues douleurs; et cependant ce n'est qu'ainsi qu'ils sont heureux, et rien n'est comparable au bonheur d'etre employé au service d'un pareil maitre.
365 Une verité certaine, et que j'ay souvent répétée, c'est que l'on peut trouver Dieu partout; voilà pourquoi, malheur à celui qui se décourage, et qui laisse foiblir sa foi en Dieu, comme s'il cessoit de croire à son universelle et souveraine existence. Mais c'est une verité qui n'est pas moins certaine que l'on peut perdre Dieu partout si l'on n'est pas perpetuellement sur ses gardes. Voilà pourquoi malheur à ceux qui se laissent aller à la negligence, ou qui se laissent prendre aux trop nombreuses illusions dont tous les lieux de notre triste desert sont remplis !
366
Mon ami B. dans son Fuenfte Punct m'a donné une nouvelle clef de mon etre, laquelle s'accorde avec avec (sic) ce que j'ay dit n° 14 et 47. Il m'a montré la difference de magus, et de magia. L'un est le Verstand l'autre le Thun. Il est bien clair que je suis plus abondamment partagé dans l'un que dans l'autre, et c'est ce deffaut de Thun ou de magia qui est cause que les occasions utiles à mon oeuvre et à mon developpement actif naissent si difficilement pour moi, et en même tems que quand elle naissent j'ay si peu l'art de les vivifier. Les hommes ne veulent pas m'appercevoir dans mon poste, et pour les debusquer du leur, il me faudroit le complément physique, spirituel, actif de ce Thun qui me manque, et qui est la seule chose qui puisse avoir action sur eux vu l'etat epaissi où sejournent leurs facultés; ou bien il me faudroit des occasions constantes, stables, et suivies. Ces deux moyens me sont refusés; mais j'ay tant de graces à rendre pour celui qui m'est accordé, que si j'avois la sagesse et la force de lui donner tout mon tems et toute ma confiance, j'ay lieu de croire qu'il ne manqueroit pas de tout faire pour moi; mille témoignages me portent à penser que c'est là où on en veut venir à mon egard.
367
Il m'est venu quelquefois en pensée que le don qui m'etoit fait etoit de nature à ne pouvoir s'exercer icy-bas, et que ce n'etoit que dans la region vraie, que mon penchant pour la verité pourroit se montrer et se faire entendre. Il m'arrive en outre depuis quelques tems de tels developpements, et de tels apperçus, soit en lumieres soit en consolations, que je suis tenté de les regarder comme des provisions que la Providence m'envoye, et des precautions qu'elle me fait prendre pour quelques grandes afflictions et angoisses qui pourroient me venir. Les moments actuels semblent en effet devoir en amener dans plus d'un genre, et vouloir confirmer ce que j'ay ecrit n 38. Le tems m'apprendra si je me trompe. J'ecris cecy à Amboise le 25 avril 1793.
368
Il y a des circonstances penibles qui parroissent devoir attirer la pitié sur un homme, quand elles sont l'effet du cours naturel des choses, et quand cet homme ne semble point y avoir influé en rien; mais aux yeux de la verité, le juste même est coupable d'etre en butte à de pareilles circonstances à moins qu'il n'y soit livré, et envoyé par ordre; car, à moins d'une semblable raison, il n'a que ce qu'il merite quand il subit icy-bas des peines et des contraintes, puisqu'il n'a pas fait usage de ses droits pour les connoître d'avance, et pour percer toutes les régions qui s'opposent à son passage. Il y a dans cecy quelques avis pour mon propre compte; mais ma confiance en la Providence me laisse toujours un espoir incommensurable. J'ay payé mon tribut à mon deffaut de magisme (n° 366) par ces négligences où j'ay tombé et desquelles il m'eut preservé en partie s'il eut eté plus actif; mais cela n'est point une excuse pour moi, car mon divin est si doux qu'il eut suffi à tout, si j'eusse eu la perseverance de le cultiver comme je l'aurois du. Enfin j'ay trouvé dans ce deffaut de magisme la raison pour laquelle les temples batis par la main des hommes m'etoient utiles, c'est qu'ils sont pleins du magisme de la priere et du sacrifice, et que ce magisme influë sur moi, et me rend en partie ce qui me manque. Les forts se passent de tout cela.
369
Un de mes torts a eté de me laisser un peu trop mondIFIER, par les differentes circonstances commodes, agreables, et flatteuses que j'ay rencontrées dans ma vie. Ma foiblesse a eté telle en cela que souvent j'ay sacrifié des choses utiles, à ces puériles futilités. Il semble que la Providence veuille me purger de cette crasse-là aujourd'hui. Ma Ch.e. médusée le 6 avril 1793, lorsqu'elle s'occupoit de me faire preparer un charmant gîte dans le lieu de l'Ecole, on tourne bride, ma blanche affligée de la même maniere, et dans le même mois, tandis que je me fesois une fête d'aller la voir, mille autres contrarietés qui m'attendent peut-être au moment où j'y pense le moins, tout cela me ramene à la simplicité, et à l'obscurité de la vie que j'aurois du toujours mener, et qui a eté toujours foncierement de mon gout, quoique j'en aye si souvent mené une autre. (Icy petite confirmation du n° 367.)
370
J'ay compris que s'il y avoit eu autrefois une tour de Babel perpendiculaire dans la plaine de Sennaar, il y en avoit eu, et il y en avoit encor bien d'autres horizontales sur la terre. Celles-cy sont bien moins criminelles que l'autre, mais vu l'ignorance et les ténébres qui leur servent de baze, et vû l'espace, et les surfaces qu'elles embrassent, elles n'occasionnent pas moins de ravages, quoique les ravages qu'elles occasionnent soient d'une autre nature; je trace icy une de ces tours de Babel horizontales, pour raison à moi conne, et comme memorial d'une observation que la prudence m'a empêché d'exposer ailleurs.
Tour de Babel horizontale.
371
L'usage où l'on est de se demander : Comment vous portez-vous, quand on se rencontre a surement dégénéré de son origine, comme je l'ay mis dans quelques-unes de mes notes. Cet usage ne pouvoit tomber primitivement sur l'homme matériel, et avoit rapport sans doute à la santé de l'esprit, et aux progrès que nous devrions tous faire à tous les instans dans la voie de la régénération. Lors donc que nous avons ravalé cet usage à la seule santé du corps, c'est comme si quand un homme vient chez vous, monté sur sa bête de somme, vous lui demandiez exclusivement des nouvelles de la santé de son âne, de sa mule, ou de son cheval.
372
Jusqu'à présent dans les troubles des départements voisins de celui que j'habite, j'ay eu des preuves de la bonté de la Providence qui veille sur moi, et qui connoissant ma foiblesse physique, mes moeurs paisibles, et mon oeuvre eloignée de toute guerre humaine, a gradué ses attentions selon les evenements d'une maniere remarquable. Les premiers mouvements ont eté médiocres, j'ay eté dispensé d'y prendre part, parce que je n'etois point assez ancien habitant pour etre regardé comme domicilié. Les troubles qui s'elevent en ce moment parroissant etre plus considerables, et moi etant plus ancien habitant, je suis encor dispensé d'y prendre part, et cela par autorité de la loi, et à raison de mon age. La Providence
dispose tout pour le bien de ceux qui l'aiment. Oh si je Pavois aimée, comme elle m'aime, quels flots de bonheur auroient coulé sur moi, et combien serois-je plus avancé que je ne le suis dans ma carriere! Le 8 may 1793, nouvelle confirmation du n° 367.
373
C'est dans le metier des armes que ma voie spirituelle m'a eté ouverte; mais c'etoit au milieu de la paix, et je n'ay jamais fait la guerre. Il semble que la main qui m'a conduit alors veuille le faire aujourd'hui de la même maniere, en me tenant en paix au milieu des troubles qui m'environnent, et en m'ouvrant chaque jour des voies douces et lumineuses soit par la priere, soit par la lecture de l'ami B. Cependant ces troubles s'accumulent et s'approchent tellement qu'il est bien probable que j'en aurai ma part. J'en reconnois d'avance toute la justice pour me rappeller à des sagesses plus severes que celles que j'ay suivies; car au milieu des sentiers attrayants et instructifs que j'ay parcourus, il y a une chose que j'avois oubliée, c'etoit de souffrir et de faire penitence, et il semble que cette chose-là on veuille me la rappeller aujourd'hui, ce qui me paroit etre en ce moment le vrai, et le salutaire but de la main miséricordieuse qui n'a cessé de veiller sur moi, et en effet sans cette chose que j'ay presque toujours oubliée, tout le reste des graces que j'ay reçuës ne seroient rien pour moi, elles tourneroient plustot à ma condamnation, et mon edifice seroit bati sur le sable. Le 11 may 1793.
374
La carriere spirituelle à laquelle je suis devoué, et les differentes personnes qu'elle m'a fait connoitre, m'ont appris que l'actif vaut mieux que le speculatif, la fabrique que la commission, le direct que le secondaire, le positif que le conjectural. Aussi ceux qui ne tiennent pas les choses de la premiere main, ne peuvent ni les repandre avec securité, ni les deffendre avec une invincible mesure, et ils laissent voir dans mille occasions qu'ils ne connoissent pas la valeur de leur propre marchandise.
375
J'ay bien senti que l'etude des sciences exactes en général ne nous menoit pas directement à la verité, que souvent même elle nous arrêtoit en chemin quand nous n'avions pas attention de considerer les objets sous leur vrai point de vuë; mais j'ay reconnu aussi qu'elle ne nous menoit pas au desordre, aux vices, et aux egarements où entrainent mille autres occupations; et si les societés politiques etoient remplies de gens qui se donnâssent à cette espece de travail, et qui employassent ainsi leur tems, on n'y verroit pas tant de brigandages et d'extravagances. J'ay même dit au sujet des mathematiques qu'elles pouvoient avoir l'avantage de mettre de la mesure dans la tête, et que quand on avoit de la mesure dans la tête, il se pouvoit que cela en mît ensuite dans toute la personne.
376
Les circonstances m'ont appris que l'astral etoit la partie sur laquelle, et par laquelle il se faisoit plus de révélations. J'en connois plusieurs pour ma part. 1° Swedenborg. 2° L'agent de Ly.... 1785. 3° Avignon. 4° Les MD. Ces revelations sont différentes sans cependant etre inconciliables; il y en a mille autres sans doute qui ne me sont pas connes, notamment parmy celles qui viennent de la source somnambulique. On peut dire aussi que c'est dans cette partie astrale que se font les plus grands mouvements journaliers dans la pensée de l'homme. C'est le seul trône qui reste aujourd'hui en prise à l'ennemi, aussi il le secoue de toutes ses forces. Parmy les revelations astrales je me garde bien de confondre mon cherissime B. et même je n'y ay compris les qu'à cause de leur mixte; car ils ont des bases aussi sacrées et aussi sures que les bases eternelles.
:377
Dans un roman de M' de Mayer 1°'° partie page 29, à Paris chez de Fer Maison-Neuve 1790, j'ay trouvé une idée qui m'a paru bien douce et bien vraie. Aimer, ce n'est pas avoir perdu l'innocence; il n'y a que les suites de l'amour qui peuvent etre criminelles; mais rien n'est si pur que son berceau.
L'auteur qui a ecrit cette charmante idée en avoit-il compris toute l'etendué? Je l'ignore. Je pourrois presumer que non; car il n'auroit pas fait des romans. Fontenelle cependant pretendoit qu'il y avoit plus de verités dans les romans que dans l'histoire; la raison en pourroit etre que les romanciers tirent leurs fables des principes, au lieu que les historiens tirent souvent leurs principes des fables. Mais les verités des romans n'en seront pas pour cela autre chose que des verités peu fructueuses en ce que les auteurs ne vont pas les puiser dans la source directe, et ne les appliquent pas à leur veritable objet. M" Clement pense co' Fontenelle.
378
Il ne m'a pas eté difficile de sentir que tous les desordres n'etant que des transpositions, ils nous exposent encor à de nouveaux desordres, ou à de nouvelles transpositions parce qu'ils presentent nos principes extralignés et desordonnés à l'action des principes harmonisés et uns qui operant avec une plus grande force que ne peut etre la resistance, augmentent l'excès du dérangement. Le contraire arrive lorsque nos principes sont aussi en harmonie attendu qu'il se trouve alors un analogue qui met nos principes dans le cas de tirer leur utilité de l'unité qui les reactionne, et qui les empêche d'en etre renversés.
On a bien dit qu'une erreur n'etoit qu'une verité pervertie, et qu'un vice etoit dans le même cas relativement à la vertu; on eut du appuyer bien plus encor sur les conséquences que sur la définition.
379
Mon sejour à Amboise se prolongeant plus que je n'avois compté, non seulement j'ay pris le parti de ne plus manger chez l'abbé Hubert qui m'avoit trop fait d'honnêtetés pour que je n'evitasse pas de lui etre plus longtems à charge, mais j'ay cedé aux desirs de quelques personnes qui me pressoient de me faire recevoir dans une societé purement de récréation, composée de gens honnêtes et où on lit les papiers. Dans un autre age, cette demarche eut pu me nuire et m'entrainer encor plus dans ce néant qui est mon ennemi; mais aujourd'hui elle peut m'empêcher au contraire d'y tomber tout à fait, en ce qu'au moins j'aurai occasion de voir des creatures humaines en qui il est possible que je seme quelque grain qui inc dedommage en partie de l'entier isolement où je suis, et de l'absoluë privation de toutes mes liaisons de lumieres, de desir, et de spiritualité.
380 Depuis longtems je me suis dit que nous n'avions aucun droit de percer dans la profondeur de celui qui est, et nous sentons que nous n'en avons pas besoin. Mais nous avons le droit de percer dans tout ce qui sort de ses mains et qui s'en detache, parce que rien ne s'en detache que pour une fin, et que nous pouvons percer dans toutes les causes finales. Aussi nous pouvons demander compte à tout homme des principes qu'il avance, tant qu'ils ne sont pas le principe divin lui-même, et si cet homme ne sçait pas motiver les principes qu'il expose, il lui manque quelque chose dans les lumieres de son jugement. Mais il en est en qui les lumieres du coeur suppléent à ce qui manque dans les lumieres de celui qui enseigne, et ce n'est pas cette classe d'hommes que cette observation concerne.
381
Le plus beau vers qui à mon avis soit dans toute la litterature des hommes est le 853° du VI° livre de l'Enéide. Parcere subjectis et debellare superbos.
Le merite eminent de ce vers est de peindre parfaitement l'esprit des Romains, et de le peindre de la maniere la plus naturelle, sans mots parasites, sans epithetes, sans inversion quelconque, et cependant avec des mots qui semblent tellement appropriés à ce qu'ils doivent dire qu'ils ont l'air de s'humilier avec les humbles et de s'enfler d'arrogance avec les superbes. Ce vers est trop beau par la justesse de l'idée, et par la simplicité de l'expression pour ne pas tenir place parmy les choses inspirées.
382
Un jour je disois à quelqu'un : Voulez-vous comprendre ce que l'Ecriture enseigne, commencez par faire ce que l'Ecriture ordonne. Voyez sur quoi reposent toutes les promesses faites par Moyse et les prophetes au peuple hebreu; sur la fidelité de ce peuple à observer les ordonnances du Seigneur. Voyez sur quoi reposent les menaces; sur sa negligence à suivre les lois ceremonielles et spirituelles de la pro-messe, et de l'alliance. Voyez quelles etoient ces promesses; de posseder la terre, d'etre le peuple de Dieu, et d'avoir Dieu et son esprit pour guide. Voyez quelles etoient les menaces; de languir dans les ténébres et dans l'ignorance. Or comme les docteurs et tous ceux qui s'emparent de la clef de la science n'observent pas la loi et les ordonnances de l'Ecriture, puisqu'ils ne croyent pas à ces ordonnances, ils ne comprennent pas non plus ces mêmes ordonnances, et perdent de vuë l'esprit et le sens de lai verité; ensuite tout ce qu'ils ne comprennent pas ils le modifient à leur gré, et finissent par le retrancher tout à fait, ou par l'expliquer par un sens vague et materiel; ce qui est autant que ravager et renverser de fond en comble la vigne du Seigneur. Lex lux.
383
Quand je me repands un peu parmy les hommes et que je vois à quel point ils sont ensevelis, soit dans leurs occupations temporelles, soit dans leurs fausses cupidités, je ne puis m'empêcher de rendre graces à mon Dieu, car je ne puis m'empêcher de sentir combien il m'a environné de ses preservatifs et de son amour; au point que je ne puis douter qu'il ne m'ait placé dans ce monde comme dans une atmosphere à part du monde; je ne puis m'empêcher par consequent d'avoir une vive confiance que son amour et sa vigilance confineront à m'accompagner jusqu'à la fin de ma carriere, comme ils l'ont fait depuis qu'elle est commencée. Heureux si j'eusse repondu plus fidelement aux insignes faveurs dont il m'a comblé, au lieu de murmurer quelquefois comme cela m'est arrivé, et d'aller jusqu'à dire à Dieu : Seigneur, vous jouerez à coup sur avec moi si vous m'abandonnez à moi seul, et que vous me laissiez sans réaction de la part des hommes, sans attraction de la votre, sans action de la mienne, et qu'avec cela je sois exposé temporellement à toutes les contractions. Une seule impression de ma divine atmosphere devroit ettouffer pour la vie de semblables murmures, car elle me montre, ce que j'ay dit mille fois, sçavoir que Dieu veut etre seul à se charger de mes affaires, et que je ne peux rien faire de mieux que de les lui abandonner toutes entre les mains. J'ay fait cette observation à l'audiënce du juge de paix La Brosse à Amboise le 18 may 1793, où j'entendis plaider un procès d'un ecu pour des arbres.
384
A Rome je logeai pendant les premieres semaines à l'auberge chez Damon, en attendant l'arrivée du prince Galitzin et de Tieman. Un jeune peintre françois nommé Neveu, et très connu du Clermont-Tonnerre tué le 10 aoust 1792, se trouva pendant huit jours à la même auberge et à la même table que moi. Ce jeune homme avait sçu en passant à Lyon que je devois venir à Rome, et il s'occupoit beaucoup de m'y découvrir. Comme je ne disois jamais un mot à table, cela ne lui eut pas eté facile sans la circonstance d'un Anglois qui après diner commença avec lui une conversation sur mes objets. Je vis à la maniere de parler du jeune homme qu'il avoit lu mes ouvrages, et surtout qu'il avoit de grands moyens naturels pour deffendre sa cause. Je ne dis pas encor grande chose. Mais comme on forma la partie d'aller se promener à la Villa Borghese je suivis la compagnie. Là je fis en sorte de lier conversation avec le jeune homme. Il etoit fort reservé, car on l'avoit prevenu qu'il y avoit beaucoup de charlatans en ce genre, et que surtout il falloit se defier de ceux qui se jetteroient à sa tête. Je détruisis cependant en partie sa reserve en lui parlant de quelques personnes de mes amis qui etoient aussi de sa connoissance; enfin je luy demandai son nom, après qu'il m'eut exposé tout son desir de connoitre l'auteur des Erreurs et de la verité. Quand nous en fumes là je lui promis de reconnoitre les marques qu'il me donnoit de sa confiance, en lui en donnant de la mienne, et je me déclarai. Jamais je n'ay vu d'homme plus surpris; il pensa tomber de son haut, et surtout il s'en vouloit extremement d'avoir mangé pendant huit jours avec moi sans m'avoir ni decouvert, ni même pressenti.
Depuis ce moment-là nous nous vîmes tous les jours lui et moi, ainsi qu'un autre jeune homme nommé Méximieux qui fesoit le voyage de Rome avec lui. C'etoit en automne 1787 nous nous vîmes aussi assez souvent chez le cardinal de Bernis, et chez l'abbé (le Bayonne. Les diverses personnes que j'ay vuës clans ces deux maisons et clans celle du bailly de La Brillane ambassadeur de Malthe sont indépendamment des cardinaux Aqua-Viva, Doria, Buon-Compagnon etc. le prince Borghese, les ducs et duchesse de Braschi, le prince de Lichtenstein, le comte de Fortia et sa femme, Santini, la princesse de Santa-Cruce, le commandeur d'Olomieux, la comtesse Piccolomini, un jeune Polignac, le comte de Vaudreuil, M' et M°` de Jonville, le comte de Tchernichef et sa fille, deux Angloises dont l'une etoit ambassadrice à Florence, M' de Vigensten espece d'agent de la Russie, le pere Jaquier jesuite et fameux mathematicien, le grand Narbonne et son neveu, ou plustot le neveu du cardinal, l'evêque de Vesoul, le senateur et sa femme, etc. Ce que j'ay remarqué le plus dans cette ville, c'est S`-Pierre, S`'-Marie-majeure, S`-Jean-de-Latran, les bains de Constantin, le Colisée, le mont Palatin, les termes de Caracalla, les bains de Tite, le tableau de la Transfiguration au Janicule, le Columbarium d'Arrentius, le musée du pape, le musée du Capitole, la louve de cuivre brulée par un coup de tonnerre le jour de l'assassinat de Cesar, la course des chevaux, la longueur des appartements en enfilade, les familia, les abominables manieres de chanter des gens du peuple dans un pays si fameux par la musique, la place d'Espagne, le Vatican, le chateau St-Ange, etc. etc. etc. En general j'ay l'habitude d'etre plustot choqué des deffauts, que frappé des beautés de tout ce que je vois, et cela m'est arrivé à Rome comme ailleurs. J'y etois venu de Turin en six jours et six nuits avec le courier. J'en repartis par des veturini avec une famille sicilienne qui alloit à Gênes; nous fumes obligés de nous arrêter 21 jours, soit à Lerichi, soit à Porto-Venere, soit à Satzanne à cause du mauvais tems. Je restai encor cinq jours à Gênes avant de pouvoir me rendre à Antibes, d'où j'allai passer huit jours à Avignon avec de tres dignes per-sonnes ruë de la Colombe. Je dois ajouter que M' Neveu que j'avois vu à Rome est une des personnes en qui j'ay vu l'elocution la plus parée et la plus pompeuse. Il voulut absolument faire mon portrait. Tieman s'en empara et l'a porté en Russie au prince Repnin.
385
J'ay examiné quel etoit le motif qui engageoit les riches et les heureux du siecle à se batir dans leurs parcs et près de leurs superbes chateaux, des cabannes, des chaumieres, avec toute l'apparence de la simplicité, et même de la misere. Je me suis demandé pourquoi ils aimoient ainsi à parodier les moeurs agrestes, et rustiques tandis qu'à coté de ces cabanes ils ont de magnifiques habitations qui annoncent des gouts et des moeurs si différents. Je n'ay pu en trouver d'autre cause que l'orgeuil qui voudroit avoir à la fois, et l'apparence de la modeste pauvreté, et la realité de toutes les jouissances du luxe et de l'opulence; j'ay vu que l'image de la vertu leur plaisoit, pourvu qu'ils fussent bien surs d'avoir tous les moyens d'etre dispensés de la suivre. Mais enfin ce gout même qu'ils ont encor pour son image, est une etincelle de leur flambeau originel, et qui depose en faveur de leur primitive nature.
386
J'ay vu souvent comparer la vie de l'homme à une vaste mer, dont on regarde comme autant de vagues et de tempêtes toutes les circonstances et les situations par où nous passons. On aurait pu ajouter qu'il y a bien peu de navigations qui ne soient pas dans tout leur cours un naufrage continuel.
387
Conformément à mon caractere jérémiaque n° 1, je me suis souvent affligé de l'inconséquence de l'homme. La voix de l'esprit et de la verité nous crie sans cesse de nous reposer en tout et pour tout, sur celui qui vêtit les lys, et qui nourrit les petits oiseaux. Et nous, au contraire, nous ne pensons, nous n'agissons, nous ne vivons que dans une défiance universelle, puisque nous ne sommes occupés que du soin de satisfaire nos besoins, ou de les prevenir; nous ne vivons que dans l'oubli de l'universelle puissance de celui qui produit tout, qui soutient tout, entretient et nourrit tout, et cela sous nos propres yeux, et dans notre propre être; de façon que nous vivons dans un etat d'offense habituelle envers le principe, en ce que nous nous eloignons sans cesse de la foi dans les choses qui frappent journellement nos yeux, et qui nous sont physiquement demontrées pour etre la verité, et que nous ne nous remplissons, et nous ne respirons que pour un sentiment de défiance qui est une sorte de mensonge injurieux, et même un vol manifeste, puisque nous voulons posseder les choses sans croire qu'elles soient exclusivement à celui qui les fait etre, et qui nous les donne, et c'est dans cet etat que nous pretendons parvenir aux recompenses de la verité en en violant les loix les plus claires et les plus sacrées. Pourquoi ne pas faire à l'egard de cette verité ce que nous faisons dans l'ordre temporel humain? Car nous voulons tous etre reconnus pour les maitres de nos proprietés; s'il en est quelques portions qui nous soient injustement contestées, nous avons recours aux tribunaux et nous avons la confiance que la justice de nos droits triomphera. Conduisons-nous de cette maniere à l'egard de Dieu. Sçachons que tout ce qui existe est sa proprieté, puisque tout vient de lui. Ne cessons pas de le laisser reconnoitre pour le proprietaire de tout ce qui est, et par conséquent de toutes nos facultés, et de tout notre etre, puisque nous sommes aussi sa proprieté. Dans les tribulations dans les injustices que nous eprouvons ayons recours à lui comme au suprême tribunal, et remettons si bien notre cause entre ses mains que nous soyons surs que nos adversaires ne puissent jamais la gagner. Il ne fera surement alors qu'augmenter les presents dont il nous accable journellement.
388
Un inconvénient dans lequel je suis souvent tombé, et qui m'a porté le plus grand préjudice a eté de me laisser aller au plaisir de lire mon ami B. ou plustot au désir de me remplir de ses tresors plus qu'au besoin et au, devoir de creuser ma propre mine, et de travailler à reveiller ce qui dort en moi, et à y ressusciter ce qui y est mort. Comment digerer, et surtout des nourritures aussi substantielles, sans avoir soin de maintenir en bon etat mes forces digestives, et sans m'occuper constamment du soin de les vivifier et de les augmenter par tous les moyens qui sont toujours à la portée de l'homme. Ce travail est telle-ment nécessaire qu'il nous suffiroit si nous nous y livrions avec la perseverance et l'opiniâtreté qu'il demande; et notre etre nous rendroit tout ce que nous cherchons et attendons de la part des autres.
389
Pendant plusieurs années de ma vie j'eprouvois à volonté et subitement un soulagement aux peines, aux ennuis, et même aux privations morales que je pou-vois avoir, et cela simplement en elevant mes yeux en haut soit en plein air, soit dans ma chambre. J'ay attribué cette propriété à l'amant de Venus que les astrologues nommeroient la planette de Jupiter, à cause de son influence joyeuse et aërienne qui est le relatif de ma constitution; cette proprieté ne s'est pas totalement perduë pour moi; elle s'est seulement un peu ralentie quant au physique; mais elle s'accroit quant à l'intérieur parce que mon age et les fruits que je ceuille journellement me portent dans une région au-dessus de l'astral. Lorsqu'elle etoit à cette mesure astrale, elle me parroissoit si naturelle et si facile, que j'etois etonné que les hommes eussent encor des chagrins, ayant un moyen si aisé de s'en guérir.
390
Quoique ma vie ait eté une suite de privations qui à chaque epoque me déroboient les avantages que le sort m'envoyoit, je n'ay jamais regretté les epoques antérieures à celles où je me trouvois; car j'ay toujours senti que soit pour le moment actuel, soit pour le moment qui alloit suivre, je devois attendre plus de consolations et de joyes que je n'eprouvois d'obstacles et de contrarietés; d'ailleurs quoique j'aye d'immenses reproches à me faire dans la maniere dont j'ay usé de mon tems, je remercie Dieu de n'avoir pas fait encor pis, et je ne voudrois pas recommencer dans la crainte de m'en tirer beaucoup plus mal que je ne l'ay fait.
391
En me promenant dans les jardins de Petit-Bourg en 1792 je trouvai un moissonneur qui m'assura que tant que dureroit la Revolution nous n'aurions point de vin, parce que nos Gardes nationales iroient dans les cabarets et se batteroient au lieu d'aller se battre contre l'ennemi. Sa prophetie s'est accomplie pour 1792. Elle paroit vouloir s'accomplir aussi pour 1793. Je laisserai du blanc icy pour marquer jusqu'à quel point elle sera vraie si la Revolution se prolonge; car il y a une personne qui croit qu'elle se prolongera jusqu'en 1796. Les vignes viennent de geler le 31 mai 1793. Ce même jour revolution à Paris sans effusion de sang. Arrestation de 32 membres. La recolte en vin a eté bonne; beaucoup de gens croient à la paix prochaine. Le 12 germinal l'an 3° une crise à Paris où j'etois, deportation de Collot, Barrere, Billaud, Vadier, etc. Je regarde cette crise comme la cloture; il y a eu depuis celle de prairial, et de vendemiaire.
La paix avec l'Empereur signée le 17 avril 1797, 26 vendemiaire an VI, à Leoben par le general Bonaparte.
392
J'ay remarqué qu'il se trouve moins de fous parmy les gens de peine, et dont le corps est laborieusement occupé que parmy ceux qui sont oisifs ou adonnés à des arts frivoles et à des occupations fausses, le tout, proportion gardée entre ces deux classes dont la premiere est la plus nombreuse; de cette verité j'ay cru devoir en conclure que l'action de l'ennemi invisible de l'homme opere dans la folie plus que l'on ne pense, puisqu'il saisit plustot ceux dont l'esprit travaille à faux, que ceux dont l'esprit ne travaille point.
393
Extrait d'une lettre ecrite par moi à M' Vial. d'Aig. au sujet de la Vierge. « L'esprit qui preside à la terre n'est nullement la Vierge, comme vous le croyez ainsi que M' Dutoit. La Vierge est de l'ordre des ames humaines et privilegiée. Elle a eu pour oeuvre la régénération de son cercle, en servant de foyer et de réceptacle à la formation humaine de la clef divine qui devoit ouvrir pour nous la region eternelle. L'esprit de la terre tient à l'esprit général du monde temporel, et n'a pour oeuvre que l'accomplissement des plans physiques spirituels de Dieu pour le tems. Lorsque cette oeuvre sera accomplie, il rentrera dans son action spirituelle simple pour travailler aux nouveaux cieux et à la nouvelle terre. Mais la Vierge et lui seront elernellement d'une cathegorie différente. Regardez cet esprit et tous ceux de sa classe comme le temple, regardez lame de la Vierge et de tous les hommes, particulièrement des elus, comme les adorateurs, regardez les puissances eternelles et sacrées de Dieu comme les ministres, et notre souverain createur comme le Dieu unique qui brillera au milieu de tous ces agents et de toutes les regions dont il recevra un eternel hommage, et vous aurez l'idée que je crois qu'il faut avoir de cette grande et harmonieuse ordonnance dans laquelle toutes ces classes ne feront cependant qu'un et seront consommées dans l'unité. ».
394
Il m'est bien difficile de ne pas m'affliger, comme je l'ay dit dans L'Homme de desir, quand je vois que l'Ecriture etoit un guide doux et bienfaisant que la sagesse suprême avoit donné aux hommes, et qu'ils n'ayent sçu en faire qu'une autorité dure et tyran-nique avec laquelle ils nous menent impérieusement dans des précipices. Combien ne dois-je pas m'affliger davantage quand je vois le peu de fruit de la vertu sacerdotale sur la terre ! Les arts méchaniques même me montrent chacun leur production. Quand un artisan a travaillé pendant le jour, je vois son oeuvre au bout de sa journée. Pourquoi l'etat sacerdotal est-il celui qui ne me montre rien, et qui néanmoins se fasse si bien payer? Voilà de ces abus que la verité ne peut tolérer et qu'elle abolira tôt ou tard. La * elle-même est ce qui a perdu le christianisme, en ce que l'Eglise des prêtres empêcha que cette * ne se perfectionne, comme les autres arts.
* Après ce mot, un mot biffé, non remplacé. V. notes critiques, où nous le restituons (R. A.).
395
J'ay dit et ecrit qu'il falloit que l'homme de verité passât par une grande solitude, et par de grands deserts avant d'arriver à la terre promise; mais je n'avois pas realisé ce précepte temporellement. C'est sans doute pour accomplir cette loi à mon egard, et pour réparer ce à quoi j'ay manqué en ce genre, que les circonstances me tiennent vraiment dans cet absolu désert dans ma propre ville natale, où malgré qu'il y ait de l'esprit et de l'honnêteté, les affaires absorbent tellement que je ne trouve pas jour à placer une seule idée, et encor moins à la faire fructifier.
30 may 1793.
396
Le nombre des personnes qui trompent est surement très considérable, mais celui des personnes qui se trompent elles-même l'est infiniment davantage. Cette idée m'est venuë au sujet de quelques lettres que je reclamois auprès des autorités constituées, et qui leur parroissoient mysterieuses et suspectes parce qu'elles etoient hors de leur portée; j'ay senti en même tems dans cette circonstance combien les hommes etoient aveugles de solliciter les emplois publics, puisque cela les plaçoit dans des positions qui les condamnoient à ne pas croire à l'honnêteté.
397
En fesant un recensement de mes papiers, j'ay jugé à propos de bruler un journal de physique commencé à L'Orient en 1768, parce que c'etoit là où la physique avoit commencé pour moi. J'en tracerai cependant icy les principales notes pour me servir de mémorial. Mlle d. B.1.c. lorsqu'il etoit question de notre mariage. Mon pere jouant souvent un rôle important dont j'aurois pu tirer parti s'il l'avoit voulu. La mort de
d Un singe. Le discours de Donat. Plu-sieurs femmes. Quantité d'arbres, particuliérement des arbres gros-vert. Un autre arbre que j'appelle un etoilier. Mon certificat du reg` lorsque je quittai en 1771. Les signatures des officiers et du colonel Nieul.
Mes bases de convention 5 et 4 pour la dame d'Av.
Le L superbe, et devenu regulateur . Mille autre bases que je rapporterai icy à mesure qu'elles me reviendront. J'y consacrerai cette page.
ter pour l'origine de l'homme. lorsque j'étois en garnison à Longwy. Mon livre de mathematique lorsque j'etois en garnison à L'Orient, legers nuages initiateurs. L'elephant electrisé à coups de fouet, et précipité. Quelqu'un de ma connoissance intime disant la messe, un autre disant la messe à coté, mais finissant plustot, et se portant ensuite lui et le peuple sur l'autel du premier. Grande affliction n° 172. A Lyon, à Bordeaux, à Paris, au Chatelier jusques et compris l'année 1784. Oiseaux, serpents, squelettes. Les Burdins.
v qui m'a eté cher et qui s'est absenté depuis
l'année 1770. o/l à Tours avec J. en 1766. Une assemblée chinoise. Quelques assemblées avec le M° qui est mort en 1775. Le b. de Vesler Gra-
tron en 1776. La mort de Lambert ~J nombre de batteries dont quelques-unes très importunes. Mon
habituel depuis 1768. Un beau Jupiter à la mort de Provensal. La transposition des batteries de droit à gauche depuis environ 1795. Mes grandes bases et mes grandes elections vers la même époque, et depuis, avec constance et developpement.
398
Les tribulations de la terre, si elles m'ont fait mur-murer quelquefois m'ont appris aussi pourquoi la Providence permettoit qu'elles nous arrivassent; c'est que nous avons tous trop de penchant à croire que la terre doit etre douce, et c'est pour nous apprendre qu'elle doit etre amere. Le juste même doit se ressentir de ces tribulations, non seulement pour qu'il conserve le sentiment de cette amertume de la terre, mais aussi par une suite de l'epouvantable dégradation des choses après le peché. Car lorsque Dieu a des plans par rapport à la terre, l'exécution en est douloureuse pour sa sagesse même qui se trouve alors comprimée et comme à l'etroit. Après cela comment le juste oseroit-il murmurer de se trouver aussi froissé à son tour pour des maux qu'il n'auroit point faits?
399
Mon zele pour la justice a souvent souffert de voir que ceux qui par etat se sont etablis medecins des consciences ne cherchoient qu'à les gouverner, tandis qu'ils ne devroient s'occuper qu'à les guerir, et puis s'en tenir là. Mais, ay-je dit, comment s'y prendroientils?
400
Au dernier dépérissement de fortune que j'ay eprouvé (qui est celui d'une vente autentique declarée nulle) je me suis rappellé le passage de Job : Dieu me l'a donné, Dieu me l'a oté; j'ay trouvé même que ce pas-sage ne pouvoit plus suffire, ni aller de niveau avec l'esprit evangelique qui met la perfection dans le denuëment complet; car comme il est dit dans cet Evangile, la justice est devenuë beaucoup plus abondante que du tems de Job. Or si Dieu nous apprend qu'il est un maitre severe qui receuille où il n'a point semé, à plus forte raison veut-il recueillir des fruits du champ de cet Evangile où il a semé avec tant d'abondance.
401
Dans un roman intitulé : Romeo et Juliette, par la cy-devant d. d. B. troisieme avant-derniere lettre j'ay trouvé une image de sensibilité très touchante et très vraie. La voicy.
Il est un amour plus delicat qui prenant sa source dans le coeur n'a besoin que de la certitude d'etre aimé pour vivre et se rallumer à son propre foyer. Il n'y a guerres que les femmes capables de connoitre cet amour-là. Aussi sont-elles presque toujours victimes de leur propre foiblesse, car elles s'attachent autant par les desirs vaincus, que par la jouissance, et leur ame semblable à l'eponge, reçoit de toute part et s'imbibe de ce sentiment, tandis que le feu qu'elles ont allumé s'evapore, et ne leur cause plus que des regrets et des larmes.
402
J'ay vu que c'est dans le regne du desordre et de l'injustice que les hommes s'occupoient journellement d'etablir leur sagesse humaine, leur ordre conventionel, et leur fausse justice, et que quand ils etoient parvenus à faire ainsi triompher l'apparence, ils étoient fort en repos sur les realités. Comment mon ame ne se seroit-elle pas affligée de ce mepris où ils laissent ainsi languir la verité? Aussi qui seroit assez imprudent pour semer dans de pareils terreins? En effet si un champ est couvert de ronces et d'orties, que lui revient-il de voir le soleil lui apporter de la chaleur, et de la lumiere? Cela ne sert qu'à faire fructifier davantage les mauvaises plantes dont il est cou-vert. C'est ainsi que les clartés ne font qu'augmenter les malheurs de l'homme coupable en faisant croitre toutes les plantes vénéneuses dont il s'est laissé infecter, et comme surcharger.
403
Le 7 juin 1793 à Amboise j'ay reçu la plus utile et la plus salutaire de toutes les intelligences qui m'ayent eté envoyées jusqu'à present. C'est celle du verbum plorans. J'en avois mis le germe dans L'Homme de desir n° 4, mais je n'en avois pas encor ceuilli le fruit. Dieu, faites que le gout de ce fruit succulent quoi-qu'amer, ne me quitte plus!
404
Je joins icy la derniere des notes recopiées sur un petit receuil commencé et non fini, et que j'ay fondu dans toutes mes diverses collections. Ce n'est point par sa nouveauté que je la conserve, c'est par l'usage où je suis de conserver tout ce qui me vient dans la pensée. Voicy cette note.
Les hommes qui ne vivent qu'à la surface n'ont que de petites peines, et de petits plaisirs, ils sont aussitot consolés qu'affligés, aussitot affligés que consolés. Ce ne sont que des figures d'homme. Aussi faudra-t-il que la vie de ces hommes-là recommence lorsqu'ils auront quitté cette region visible et apparente, puis-qu'ils n'auront pas vecu pendant le tems qu'ils l'auront traversée, et c'est ce prolongement de tems qui fera leur supplice, parce que la combinaison de leurs substances ne sera pas dans une mesure si douce et si harmonieuse que dans ce monde où tout est dans des proportions de misericorde et de salut.
405
Dans les ennuis que me causent les secousses de la Revolution et dont la bataille et la prise de Saumur ne sont pas une des moindres, j'ay reconnu douloureusement que le principe qui gouvernoit ce bas monde etoit un etre qui commençoit tout et ne finis-soit rien, qui poussoit en divers lieux des germes de cupidité, d'ignorance et de fanatisme, mais ne les fesoit point fructifier autrement qu'en les fesant battre les uns contre les autres, car il ne peut produire de fruits, attendu qu'il est sterile. (A Amboise le 13 juin 1793.) Aussi ses oeuvres ne se consomment jamais, elles ne font que cesser et s'arrêter par l'anéantisse-ment de ses puissances coopératrices.
406
Les hommes du torrent dont malheureusement j'ay vu que l'univers etoit rempli, m'affligent par les epouvantables inconséquences de leur logique. Un parti s'eleve et pour prouver la justesse de ses pretentions vous tire des coups de canon. Un autre parti qui a des pretentions opposées vous tire aussi des coups de canon pour vous prouver qu'elles sont justes. Comment est-il possible que la même sorte de preuve puisse témoigner le pour et le contre? Pauvres hommes!
407
Il ne m'a pas eté difficile, et il ne le seroit à personne de voir la difference de la maniere dont nous traite la nature, et de la maniere dont nous traitent les hommes. Toute la nature s'empresse de nous prodiguer ses secours; la terre ne cesse de nous offrir ses fruits; le cheval vient nous porter. Le boeuf prend notre joug pour fertiliser nos sillons; les animaux nécessaires à notre nourriture viennent dans nos climats à des saisons réglées. Et l'homme trouve des difficultés de la part de ses semblables à respirer l'air que la source de la nature nous envoye, et à parcourir à son gré et sans leur permission les différentes localités de cette enceinte terrestre où ils sont condamnés tous à vegeter pour un tems. Si ces tableaux etoient moins tristes, on seroit tenté quelquefois de regarder les hommes en societé comme s'amusant au jeu de collin-maillard, avec cette différence qu'à ce jeu-là ordinairement il n'y en a qu'un qui porte le bandeau; au lieu qu'icy ils le portent tous, et vont sans cesse se heurtant les uns contre les autres.
408 A quoi l'expérience des choses de la vie m'a-t'elle menée? A reconnoitre que le joug de l'illusion et de l'erreur parroissoit doux aux hommes, et ne les conduisoit qu'à l'amertume, tandis que le joug de la verité et de la lumiere leur parroissoit dur et les conduisoit aux consolations inépuisables, et aux inexprimables douceurs de la paix divine.
409
Les angoisses de tout genre que j'ay eprouvées à Amboise par les suites de la Revolution m'ont appris une grande verité, c'est que les tribulations que la sagesse laisse tomber sur nous, sont toujours analogues à l'espece de vertu qui nous manque pour cette circonstance, et c'est afin de faire sortir de nous cette vertu qui nous manque que cette espece de tribulation nous est envoyée. On peut ajouter que comme nous sommes tous malades, c'est-à-dire, foibles et dénués de vertus, l'etat de peines, de violence, et de tribulation est l'etat le plus naturel pour nous, et le plus salutaire. Je dois avouer en même tems que jusqu'à ce jour j'ay eté traité en enfant gaté, malgré les contrarietés qui m'ont eté envoyées. Combien de millions d'hommes ont eté mille fois plus affligés, tourmentés et inquietés que moi? Le 26 juin 1793.
410
On pourroit aisement prouver aux hommes que la matiere même, et les corps terrestres ne leur parroissent rien, malgré toutes les cupidités dont l'espece humaine est devorée, et cela en leur montrant qu'ils sont toujours prêts à sacrifier leur propre vie, soit à la gloire militaire, soit à l'honneur humain quand il est blessé; car le mepris qu'ils annoncent ou qu'ils affectent pour cette vie terrestre est un indice bien significatif que cette vie terrestre est méprisable, c'est à dire, qu'elle n'est rien; mais ces arguments sont un peu subtils pour eux, aussi je ne me presse pas de les leur proposer.
411
Le 24 Juin 1793, je suis allé à Beauvais avec M'° Calmelet fils et La Sauvagere. Cette maison possedée autrefois par ma soeur, et où j'ay joui des plaisirs et de l'aisance de la vie terrestre n'a pu se remontrer à mes yeux sans m'occasionner de l'emotion, moins par rapport à moi que par rapport à ma pauvre soeur. Les nouveaux possesseurs, (Clement) sont fort aimables. Le pere et la mere sont pleins de bonté et de sensibilité. Leur fille quoique très jeune annonce un être rare. Le troisieme et dernier de leurs garçons agé de cinq ans, me paroit devoir etre un jour un fier homme. M' Réchon ex-oratorien, et instituteur des enfans m'a paru un homme de merite. On m'y a poussé quelques bottes sur mes opinions, mais avec douceur et reserve; de mon coté, je me suis peu montré, excepté sur la maladie de la demoiselle et sur la médecine, où sans etre fort, je dis cependant les mêmes choses qu'avoit dites le medecin. Mal-gré toute l'innocence apparente d'une pareille promenade, j'ay senti au retour combien dans ma carriere on doit peu se permettre de distraction, surtout avec les gens du monde qui quoiqu'honnêtes, sont trop etrangers aux voies qui m'attrayent pour que je ne sois pas en souffrance avec eux, et pour que je n'en eprouve pas du déchet, au moins la premiere fois. V. n° 417.
412
Quand je considere la cruelle ignorance de l'homme, et les horribles ravages qu'il occasionne sur la terre par ses guerres, ses cupidités, et ses horribles abominations, je reviens à l'idée que j'ay euë souvent sur son compte, sçavoir qu'on a plus beau jeu avec le demon qu'avec lui, et je me dis : Le demon, on peut s'en déffaire avec la foi; les catastrophes de la nature, on peut s'en tirer avec du courage, ou de la resignation. L'homme, on ne peut s'en deffaire qu'avec la fureur, et voilà le vrai mal qu'il a apporté dans le monde. V. n° 83.
413
Les situations les plus ruineuses où je me sois trouvé dans ma vie sont celles où je n'avois que moi seul pour maitre et pour appui, et tout moi pour obstacle et pour adversaire.
414
En 1780, ou 81, la inarechale de Noailles vint un jour au Luxembourg où je dinois pour conférer avec moi sur l'ouvrage Des Erreurs et de la verité. Elle, arriva le livre sous le bras, et rempli de petits papiers pour marque. Je sçais que je n'entrai pas grandement en matiere avec elle, et que même je lui expliquai les lettres F.M. d'une manière cocasse et ridicule que je me suis reprochée depuis. La personne qui etoit en tiers avec nous ne me laissoit pas assez libre sur mon vrai sérieux, pour que je le fusse aussi sur ma vraie gayté. Mais cela n'est point une excuse.
415
J'ay eu une jouissance pendant mon sejour à Amboise en 1793 de laquelle j'espere retirer des fruits durables. Il s'agit d'une somme de 1250 * sur laquelle je ne me permettrai pas de m'expliquer plus clairement; tout ce que je puis dire c'est que mon homme intérieur s'en est trouvé bien plus à son aise.
416
Une personne très respectable m'a souvent objecté les vertus d'une certaine autre personne très respectable aussi, comme un témoignage en faveur de ses lumieres. J'aurois pu lui repoudre que les vertus de cette personne etant de l'ordre naturel et humain ne prouvoient rien pour, les choses de l'ordre de l'esprit, parce que les vertus de l'esprit sont d'une autre classe, et que l'Evangile nous les fait connoitre en nous disant ce qui servira de preuve aux fils de l'esprit et de la lumiere : ils gueriront les maladies, ressusciteront les morts, toucheront les animaux venimeux, et les poisons sans en souffrir, etc. etc. etc.
417
Lors de ma visite à Beauvais n° 411, voicy ce que j'aurois pu repondre à la dame qui jettoit des pierres dans mon jardin en me citant le passage de l'Evangile : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. J'aurois pu lui repondre, dis-je, qu'elle-même ne vivoit pas seulement de pain et de viande, mais que son esprit avoit aussi besoin de vivre de conversation soit avec des hommes, soit avec des livres, et, qu'en outre, Rousseau son auteur favori ayant dit que la parole avoit eté nécessaire pour l'institution de la parole, il est probable que la faim qu'elle vouloit plaisanter en moi, elle en eprouvoit la même dôse que moi, et qu'elle vivoit ainsi que moi et tous les hommes, de la parole qui sortoit de la bouche de Dieu; nous aurions vu ce qu'elle auroit eu à objecter; mais cette idée ne me vint qu'après qu'il n'etoit plus teins. Cette lenteur dans mes idées se fait sentir depuis que je ne suis plus en exercice. Je sens même qu'elle s'augmente par mon sejour à Amboise où je vis absolument seul, et où j'ay si peu d'occasions de m'exercer.
418
C'est à l'ouvrage d'Abadie intitulé : L'Art de se connoitre, que je dois mon détachement des choses de ce monde. Je le lisois dans mon enfance, au college, avec delices, et il me sembloit que même alors je l'entendois, ce qui ne doit pas infiniment surprendre, puisque c'est plustot un ouvrage de sentiment que de profondeur de reflexion. C'est à Burlamaqui, comme je l'ay dit ailleurs que je dois mon gout pour les bases naturelles de la raison et de la justice de l'homme; c'est à M" de P. que je dois mon entrée dans les verités
supérieures; c'est à J.B. que je dois les pas les plus importants que j'aye faits dans ces verités. J'attends les ouvrages de Jeanne Leade, et du medecin Pordage qui doivent m'a-t'on dit, consolider fortement mes pas dans cette carrière qui est la seule où se concentrent tous mes voeux. Voyez n° 438.
419
Ce n'est pas seulement dans le caractere, et dans la destinée que je me suis trouvé des ressemblances avec J.J. Rousseau. V. n° 60. C'est aussi dans les principes philosophiques que les diverses situations de notre vie nous ont fait appercevoir et adopter. Quand il dit 1. vol. des Confessions page 127: Cette grande maxime de morale, la seule peut-être d'usage dans la pratique, d'eviter les situations qui mettent nos devoirs en opposition avec nos interêts, et qui nous montrent notre bien dans le mal d'autrui; sur que dans de telles situations, quelque sincere amour de la vertu que l'on y porte, on foiblit tôt ou tard sans s'en appercevoir, et l'on devient injuste et mechant dans le fait, sans avoir cessé d'etre juste et bon dans l'ame. Quand il dit, même vol. p. 147, La vertu ne nous conte que par notre faute, et si nous voulions etre toujours sages, rarement aurions-nous besoin d'etre vertueux; il m'est impossible de ne me pas reconnoitre, comme lui à ces verités; enfin je ne jette presque jamais les yeux sur son historique, et sur les tableaux de son ame sans appercevoir combien la nature nous avoit donné de choses de commun l'un avec l'autre, quoique, comme je l'ay dit, je ne me compare en rien avec lui ni pour la vertu, ni pour les talents. J'entends icy par la vertu la force et l'energie, ce en quoi, Rousseau m'a eté très supérieur; mais j'en excepte l'honnêteté de l'ame, et le doux sentiment de la reconnoissance pour les bienfaits, surtout pour ceux qui concernent l'esprit, le coeur, et la raison. Car cet attrait etoit si vif chez moi que je me serois livré sans reserve, et surement sans ingratitude aux personnes qui auroient eu la bonté de prendre soin de moi dans cet ordre de choses; et je ne crains point de dire que si dans ma jeunesse j'eusse rencontré, comme Rousseau, un abbé Gaimes, et un abbé Gouvon, j'en aurois tiré un autre parti que lui, et je ne leur aurois pas donné lieu de me croire indigne de leur interêt.
420
Plus je m'occupe de mon cher Boêhme, plus je sens que pour se livrer utilement et avec fruit au grand objet de l'oeuvre de l'homme il faut etre ou dans la paix politique, ou dans la paix de la régénération, et quoique je me croie plus dans la derniere que dans la premiere, je ne suis cependant complettement ni dans l'une ni dans l'autre.
421
Le 10 juillet M' Mazade de Percin deputé à la Convention est venu me voir à Amboise au retour d'une mission dont il etoit chargé pour La Rochelle. C'est un homme de beaucoup d'esprit, et que j'ay connu avec grand plaisir à Toulouse dans la maison Dubourg dont il a epousé la fille cadette. Comme il y avoit quinze ans que je ne Pavois vu, et que dans cet intervalle il a fait de très grands voyages qui l'ont un peu changé, je ne le reconnus qu'au bout de quelques secondes. Mais je fus très satisfait de le revoir. Lors de notre liaison il n'a jamais eté que dans des commencements de rapports avec moi relativement à mes objets; depuis ces commencements de rapports, la voie s'est encor bien plus ouverte pour moi, de façon que je n'ay pas poussé loin la conversation sur cette partie, et cela d'autant moins qu'il avoit avec lui un autre deputé de Saintes nommé Garnier que je ne connoissois point. Mazade a eté instruit dans de bons principes, et il en a profité.
422
J'ay eté souvent frappé d'admiration à la lecture d'Young, et de Klopstock; j'ay eté dans l'etonnement de voir quelles resources ces deux ecrivains avoient trouvé dans leur genie pour suffire aux plans qu'ils s'etoient proposés, mais j'ay reconnu en même tems que s'ils avoient eté plus instruits du pays qu'ils parcouroient, ils n'auroient pas suppléé par des ornements de litterature et de poêsie aux profondes verités qu'ils ignoroient. Un seul passage de nos prophetes efface touts les prodiges de leur plume. Milton lui-même etoit un peu sujet à l'astral. Il ne sentoit sa verve que dans les equinoxes.
423
Voicy une de mes différences d'avec Rousseau. Il a dit dans son Heloïse qu'avant de se tuer il falloit regarder s'il ne restoit pas encor autour de soi quelque bonne action à faire. J'ay dit, moi, à une personne qu'avant de se battre en furieux comme font les hommes dans leurs guerres ils devroient regarder autour d'eux s'il ne leur restoit pas encor quelque chose à apprendre. Rousseau etoit meilleur que moi, je l'ay reconnu sans difficulté. Il tendoit au bien par le coeur, j'y tendois par l'esprit, les lumieres et les connoissances; c'est là ce qui nous caracterise l'un et l'autre. Je laisse cependant aux hommes de l'intelligence à discerner ce que j'appelle les vraies lumieres, et les vraies connoissances, et à ne les pas confondre avec les sciences humaines qui ne font que des orgeuilleux, et des ignorants.
424
Le 1" août 1793 je suis, arrivé d'Amboise à Petit-Bourg, un peu pour y reprendre l'allure de mes idées spirituelles qui avoient tant souffert depuis mon sejour dans ma patrie, un peu aussi par l'esperance d'eviter en partie les mouvements qui menacent les departements voisins de la Vendée. La maitresse du logis etoit encor à Marseille. Je le sçavois, mais cela ne m'avoit point empêché de me mettre en route, sçachant que je trouverois une partie de la societé, ce qui arriva en effet. Mais je n'oublierai jamais qu'à quelque distance du chateau il me prit subitement une telle horreur des palais que je me suis bien promis de n'y faire jamais ma demeure habituelle. Aussi j'ecrivis sur-le-champ chez moi pour que l'on songeat à m'y preparer un petit gîte champêtre où mon intention est de me fixer si nos affaires politiques ne me per-mettent pas de poursuivre mes courses projettées. Cette impression d'horreur contre les palais est telle que je les regarde comme une des plus grandes preuves de la degradation de tous nos principes : non seulement ils sont une insulte à la misere du pauvre, non seulement ils consomment en vain d'immenses terreins qui pourroient etre employés plus utilement, mais ils einployent encor faussement nos facultés, et nos talents qui ne devroient se développer dans l'architecture, comme dans tous les autres arts que pour tout ce qui pourroit concourir à honorer Dieu et non pas l'homme.
425
Nulle douleur ne m'a paru comparable à la douleur que nous font eprouver les hommes quand nous vou-Ions marcher dans la ligne de vie. En effet y a-t-il rien de plus cruel que de sentir que les hommes qui devroient tous marcher dans cette ligne de vie soient au contraire les seuls dont nous devions nous garder et que nous devions fuir, car tout le reste peut etre soumis à notre sincere et franche resolution?
426
J'ay eu occasion de voir à Petit-Bourg une vieille fille nommée C qui m'interressoit par ses vertus, et par la forte attraction qu'il y avoit sans son esprit, mais qui ne me persuadoit nullement par sa doctrine sur sa mission, sur le nouvel evangile, sur le regne non commencé, sur la nullité du passé, sur la non-mortalité, etc. toutes choses que ses disciples adoptoient avec le plus grand enthousiasme. Cette nouvelle branche du commerce spirituel s'est presentée à moi sans que je J'aye cherchée comme toutes les autres qui me sont connuës, et elle m'a fourni l'occasion d'exercer ma profession dans cette partie, qui consiste principalement de ma part à etre inspecteur.
427
Un de mes torts les plus graves, et auquel cependant je ne fais attention que bien tard, c'est de m'etre trop livré dans ma vie, à la gayté, et à la plaisanterie. Ce frivole usage de l'esprit est pernicieux à ceux qui veulent marcher dans la carriere de la sagesse; non seulement cela donne à leur esprit une teinte de legereté qui l'empêche de prendre la partie la plus substantielle des verités dont il doit se nourrir, mais cela fait encor que son coeur même à la longue passe aussi dans ce même esprit, et filait par s'evaporer. Malheur à celui qui ne fonde pas son edifice spirituel sur la baze solide de son coeur en perpetuelle purification et immolation par le feu sacré; ce n'est que cet or-là qui peut etre employé par le grand Betzaléel. C'est à mon incomparable Boêhme que je dois d'avoir fait cette reflexion sur moi-même. Il n'y a rien qui puisse se mettre en parallele sur ce point, et sur la loi des sacrifices lévitiques avec son ch. 27 de son Mysterium magnum.
428
Quelqu'un a dit un jour à mon sujet une chose qu'il n'imaginoit peut-etre pas m'etre si honorable; c'est que je ne pouvoir pas etre un instant sans chercher ou à apprendre, ou à enseigner. Il est vrai que l'appetit de mon esprit etoit tel que j'aurois pu employer, et consommer les provisions des plus riches pourvoyeurs s'ils eussent eté à ma portée, ou bien, nourrir ceux qui auroient eu le même desir que moi, et qui auroient attendu patiemment les développements qui sont encor en attente dans moi, et qui sont toujours prêts à se manifester.
429
Au milieu des maux qui ravagent ma patrie, et qui m'epargnent, je n'ay pu m'empêcher d'eprouver un moment de surprise de voir que moi qui ay si mal profité des graces de Dieu, il me traite comme s'il n'avoit aucun reproche à me faire, tandis que nombre d'hommes qui auroient mille fois mieux que moi profité de ces mêmes graces, s'ils les eussent reçués, non seulement en ont eté privés, mais sont traités comme s'ils en avoient abusé. Mais j'ay appris que personne de nous ne sçait ce qu'il y a de caché au fond de notre etre si Dieu ne nous le revele, et que ce qui occasionne quelquefois cette etonnante predilection de Dieu pour certains hommes, c'est le grain de son propre desir qu'il lui a plu de placer en eux, et sur lequel portent tous ses regards, et toutes ses attentions.
430
C'est par une suite des ténébres de notre aveugle région que tant de personnes même d'un bon desir ne sçachent soutenir la verité que par des erreurs, et ne s'apperçoivent pas combien il leur arrive de fois d'employer des verités pour combattre cette même verité croyant ne combattre que des erreurs. Il faut une grande pratique de discution, et un grand discernement d'intelligence spirituelle pour etre toujours à couvert de cet inconvenient; cette reflexion m'est venué au sujet d'un grand deffenseur des Caterinettes.
431
La Revolution françoise m'a aidé à faire un retour essentiel sur moi-même, et sur la marche que la sagesse divine tient à mon egard, c'est que sans les tribulations que cette revolution occasionne, ne fut-ce que par les inquietudes qui en resultent journellement, je n'aurois eté vers Dieu que par la voie de mon propre esprit, au lieu que Dieu vouloit me faire sentir que je ne pouvois aller vers lui que par lui-même. G. J. a ajouté à cela une idée juste c'est que dans des tems de revolution la prudence est comme inutile, parce que la roué tourne si fort et si universellement qu'il faut que tout le monde sente le choc de quelques-uns de ses rayons. La revolution actuelle nous montre aussi combien elle est mué par une main supérieure, puisque l'esprit même en sent les secousses.
432
Mon siege est un peu elevé, voilà pourquoi ce n'est guerres que dans ma cinquantieme année que j'ay commencé à y monter. Le regne naturel a eté foible chez moi, le regne spirituel n'a guerre eté plus fort; il semble que le regne divin est celui qui m'est réelle-ment destiné, et que les deux autres regnes ne doivent plus recevoir que de celui-là leur existence en moi, comme ils le font dans l'ordre universel. Si c'est là mon lot, comme j'ay tout lieu de l'esperer, je n'aurai pas perdu pour attendre.
433
Quand je considere tous les elus de Dieu depuis le premier age du monde jusqu'à mon tems je vois qu'ils ont tous eprouvé la même douleur qui est de sentir la verité leur rendre plus de biens et de magnificences qu'ils ne pouvoient en repandre autour d'eux. Ainsi il faut de toute nécessité que ceux qui sont dans la carriere s'attendent à ressentir les mêmes angoisses, il faut qu'ils renoncent à se trouver en mesure avec les hommes qui les environnent, il faut qu'ils s'abonnent à ne rencontrer de ces mesures justes, veritables, et complettes que dans leur Dieu.
434
Une circonstance où je me suis trouvé à Petit-Bourg relativement à des papiers de sureté nationale m'a appris clairement qu'il y a deux mondes, sçavoir le monde de Dieu, et le monde des hommes; elle m'a appris que les hommes marchent journellement dans le monde des ténébres, tandis que Dieu marche perpetuellement dans la lumiere; elle m'a appris que les hommes ont beau faire des loir, il n'y a que Dieu qui en ordonne l'execution, et qui prononce jusqu'où cette exécution doit aller, et où elle doit s'arrêter, enfin qui sont ceux sur qui elle doit tomber, et qui sont ceux auprès de qui elle doit s'arrêter.
435
Vers la moitié d'octobre 1793 je revins à Paris avec l'ami Gombault, j'eprouvai en arrivant une impression à peu près semblable à celle que j'avois eprouvée peu de tems avant en arrivant à Petit-Bourg. Je sentis vivement la différence de l'atmosphere des villes avec l'atmosphere champêtre. Je sentis toute l'influence de la fausseté de l'esprit des hommes du monde qui s'imposent de frivoles usages, et de vaines habitudes sociales, et qui condamnent avec une severité outrée tout ce qui n'est pas conforme à ces habitudes. Je sentis tout cela au point que si j'eusse eu un azile assuré dans le lieu que je quittois, je me serois cru obligé d'y retourner sur le champ. Mais l'incertitude relativement au local etant egale soit à la ville soit à la campagne, puisque les logements que j'occupois dans l'un et l'autre endroit pouvoient devenir nationaux à tout moment, je ne me pressai pas de suivre ce mouvement interne qui m'avoit frappé en arrivant. Peut-être ay-je eu tort, puisque, comme j'ay ecrit quelque part, que l'esprit s'accoutumoit même au mal que nous lui fesions, c'est à nous à lui faire le moins de mal possible en ne nous tenant pas dans des situations qui lui donnent trop à travailler. Mais ce tort-là, si c'en est un, ne m'a paru assez grave pour balancer les inconvénients d'une solitude complette, comme celle que j'aurois eue au tourne-bride de Petit-Bourg, surtout pendant l'hiver. J'aurois eu les mêmes inconvénients à ma maison de Chandon que je tiens de l'heritage de mon pere. Je me suis donc laissé aller aux entrainements des amis qui m'ont engagé à venir passer l'hiver à Paris; et j'ay la douce consolation d'y eprouver que l'on peut trouver Dieu partout, que partout où on trouve son Dieu, on ne manque de rien, on ne craint rien, on est au-dessus de tout, enfin que l'on peut obtenir toutes les connoissances qui nous sont nécessaires sur notre propre conduite, si on les demande avec confiance.
Au milieu des incertitudes où j'ay flotté pendant quelques teins sur ce point, je pensai à me loger ruë du Doyenné chez des personnes qui me veulent beau-coup de bien. Il y avoit un appartement libre depuis six mois; je lambinai un peu pour en aller faire la demande, et le moment où je la fis, il y avoit 4 heures qu'il etoit loué. Je crus cette aventure-là trop marquée pour qu'il n'y eut pas de la part d'en haut quelque chose de caché là-dessous; j'appris bien le lendemain que ce n'etoit qu'un reste de bail, que je l'aurois eu à 300 ,e de meilleur marché que n'en payoit le locataire, et je sentis que j'aurois eu à souffrir de profiter ainsi de la detresse d'un malheureux; mais je persiste à croire qu'il y a là-dessous une raison plus forte, et ce sera le teins qui me l'apprendra. (Le décret des nobles me l'a appris.)
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Une des raisons qui m'a degouté de faire des livres, c'est que j'ay senti que dans ce genre-là la recolte diminué à mesure que la semence se multiplie; c'est l'inverse de la culture ordinaire, où plus l'on seme, plus l'on receuille.
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Quelle distance j'ay trouvé entre l'homme de l'esprit et l'homme du torrent relativement à l'oeuvre de la chair! Les premiers puisent dans Dieu l'union de leur esprit, dans l'esprit l'union de leur ame, et dans leur ame l'union de leur corps, comme je l'ay dit dans L'Homme de desir; c'est-à-dire qu'ils dominent l'acte charnel, lors même qu'ils l'operent; les seconds en sont perpetuellement dominés lors même qu'ils ne l'operent pas.
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J'ay reçu à la fin de 9"° 1793 à Paris deux volumes allemands, traduction d'une partie des ouvrages anglois de Jeanne Leade, et de Pordage. C'est mon ami Kirchberguer qui me les a envoyés de Bâsle où il est venu commander le contingent du canton de Berne pour deffendre la neutralité. Ces ouvrages me parroissent doux, interressants et instructifs mais ils ne me font point oublier mon cherissime Boëhme que je regarde d'après nombre de gens comme le prince des philosophes divins.
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J'ay regretté avec raison Grainv.... mon premier introducteur dans ma delicieuse carriere, celui qui etoit venu de lui-même au-devant de moi sur la place d'armes du Chateau-Trompette. Sa fin dans le mois de 9". ou X"'° 1793, a eté aussi deplorable qu'il est possible; et je devois esperer qu'il eprouveroit un autre sort, je l'ay regretté par reconnoissance de ce qu'il m'avoit ammené jusqu'à la porte; j'ay regretté P par un vif attachement, parce que c'est lui qui m'avoit fait entrer; aussi j'ay pleuré ce cher P.... et je n'ay pas pleuré l'autre.
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Les livres m'ont paru n'etre que les fenêtres du temple de la verité, et n'en etre pas la porte, c'est qu'en effet ils ne font que montrer les choses aux hommes, et qu'ils ne les leur donnent pas. Or les hommes sont dans un tel etat de langueur et de nonchalance, qu'il ne suffit pas de les amorcer, si on ne les entraine de force. Ce n'est rien que de les attirer, il faut encor les tirer comme des charuës pesantes et inertes; aussi le Reparateur qui etoit la voie, n'a point fait de livres, mais il a monté en haut sur la croix, afin d'attirer, et de tirer tout à lui.
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Il est des occasions où vous faites plaisir à certaines gens de leur parler des choses religieuses; mais c'est plustot à l'esprit de parresse et de retardement qui les arrête que ce plaisir appartient, aussi peut-on dire qu'à ces personnes-là on ne fait réellement ni plaisir ni bien. La pluspart des hommes sont comme des enfans; ou pour mieux dire, ils veulent qu'on les traite comme tels, ils veulent qu'on leur attache des tâtas, afin de pouvoir à leur gré faire des chutes, et avoir le droit de s'en prendre au conducteur. Ils veulent mener leur conducteur par orgeuil, mais ils veulent se laisser porter et traîner par lui par parresse Voilà ce qui arrive à l'homme qui ne descend pas jusqu'au fond de lui-même, et voilà ce que j'ay remarqué au sujet d'une correspondance religieuse à laquelle on m'avoit entrainé et dont je sçavois d'avance quel seroit le mediocre resultat.
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Une de mes douleurs spirituelles a eté de voir la pluspart des hommes, même de ceux qui se jettent dans la voie, ne donner journellement à Dieu que les restes du monde, tandis que le monde entier n'est pas seulement digne des restes de Dieu. J'ay eu sans doute ce tort-là tout comme eux, mais si je commence si tard à m'en appercevoir, j'espere que la bonté divine me donnera assez de persévérance pour porter mon oeuvre jusqu'au terme, et pour me faire froisser par la lime jusqu'à mes racines naturelles sur lesquelles seules Dieu aime à reposer; choses que le monde ne comprend point parce qu'il ne fait jamais limer ni travailler les racines.
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Personne ne peut mieux assurer que moi combien l'action qui regne sur les peres est commune aux enfans. Combien de fois, J m'en avez-vous fait sou-venir !
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Il m'est arrivé, je ne sçais plus dans quelle année de recevoir d'un savoyard à Paris une leçon qui me fut utile, et que je notte icy pour cause. Je venois de toucher un payement, je ne me rappelle plus chez quel banquier. Il me sembla qu'on m'avoit donné douze livres de trop. Je ne m'arrêtai point assez à cette idée pour m'assurer du fait, peut-être même fus-je retenu par la secrette et coupable satisfaction de ce mediocre objet de cupidité. En sortant de chez le banquier, je me fais nettoyer mes souliers par un décrotteur, et en le payant je lui donne par distraction un deux-sols collé au gros sol que je lui avois destiné. Le savoyard detache le deux-sols et court après moi pour me le rendre. Je fus frappé jusqu'au vif de son procedé, et rougissant de honte de ce qu'il etoit mille fois plus honnête que moi, je lui laisse son deux-sols, et je retourne sur-le-champ rendre au banquier les 12 # que je croyois avoir de trop.
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En montant la garde pendant nos tems de Revolution, je me suis apperçu avec quelle facilité l'homme descendoit et s'etablissoit dans les différentes regions qui l'environnent; c'etoit au point que j'etois près de feliciter ceux qui etoient liés aux occupations de ce monde, parce qu'elles fesoient chacune pour eux autant de petits univers qui les remplissoient, et les empêchoient de voir et de sentir leurs veritables ennemis; j'ajoutois à cela que par ce travail forcé ils se purgeoient peut-être aussi de beaucoup de leurs substances heterogênes qui dans le repos pesent sur eux et les affaissent. Mais l'homme de desir, l'homme appellé et determiné au bien supplée à tout, et suffit à toutes les circonstances.
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N'y a-t-il pas de quoi gemir de voir comment les hommes se dirigent dans leur regime animal! La nourriture leur est donnée pour soutenir leurs corps, et ils mangent tellement que c'est beaucoup pour eux quand leurs corps peuvent soutenir leur nourriture. Dans le vrai le seul travail des gens du monde est de resister au travail qu'ils donnent à leur estomac, et quand ils sont parvenus à digérer leur diner, leur journée est faite, et ils se croient pleins de jours, c'est-à-dire en mesure, car ils ne se connoissent pas d'autre tâche.
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Dieu a dit qu'il receuilloit où il n'avoit point semé; et moi j'ay été obligé presque continuellement de semer où il n'y avait point de terre. Les hommes que j'ay vus exigeoient qu'au moment où ils parroissoient je fusse toujours prêt à leur montrer la fin, et cependant nous nous voyions si rarement qu'ils ne se mettoient pas séulement au commencement. Il faut beaucoup de tems pour se mettre même à ce commencement.
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En fevrier 1794 (vieux stile) la maison que j'habitois à Paris devint nationale. J'en fus très affligé par rapport à la maitresse du logis dont le sort ne sembloit pas s'ameliorer par là; j'en fus très affligé aussi par rapport à toutes les personnes attachées à cette maison qui parroissoient par cet evenement etre menacés dans leur petite fortune, et leur petit bien-être; quant à moi particulierement j'en remerciai la Providence, parce que cette maison etoit trop belle pour moi, et que j'ay toujours les palais en horreur. V. n° 424.
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Comme j'ay toujours eté éminemment convaincu de l'illusion de l'esprit du monde, les tribulations que cet esprit envoye à ceux qui le suivent ne m'ont presque jamais approché qu'en figure, et je puis dire que jusqu'à present la Revolution françoise m'a traité en enfant gaté. Mais comme aussi malgré ma persuasion de l'illusion de l'esprit du monde je ne m'en suis pas toujours preservé comme je l'aurois du, il a fallu qu'il frappât un peu sur moi; et il n'y a pas manqué.
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Le decret du 27 germinal me forçant de sortir de Paris comme bien d'autres, je suis revenu à Amboise ma patrie, très dévoué à tout ce que le sort peut me préparer, car j'ay une persuasion secrette que ce decret n'est que la préface de ceux qui pourront lui succéder. Et dans le vrai si parmy les nobles il y a des individus respectables, honnêtes, et justes, il faut convenir néanmoins que la noblesse en elle-même est une gangrene qui ne subsiste qu'en dévorant ce qui l'environne; l'espece n'en vaut rien, or l'espece n'etant composée que des individus, comment frapper sur l'arbre sans frapper sur ses branches et les entrai-1-@r dans sa chute? Ces idées peuvent se regarder comme le commentaire de ce que j'ay ecrit n° 367.
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La derniere garde que j'ay montée avant de quitter Paris l'an 2° de la Republique a eté au Temple dans la cour intérieure, et au pied de la tour où est enfermé le petit Capet. Je ne pus m'empêcher de faire des reflexions sur l'etat des choses politiques dans le moment actuel, de regarder ce lieu où je me trouvois, comme le point de mire sur lequel portoient à la fois tous les yeux de l'Europe, et de me rappeller que lorsqu'on m'avoit mis en 1791 sur la liste de ceux parmy lesquels on se proposoit de choisir le gouverneur du dauphin d'alors, on ne pensoit pas que je le garderois un jour d'une autre maniere qu'on ne l'imaginoit.
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Peu de jours après mon retour à Amboise j'ay eté voir mon neveu à sa maison du Puy près Montbazon. J'ay eté enchanté de la maniere dont il se conduit envers sa femme et envers ma soeur, et combien il fait tout ce qui est en lui pour les rendre heureuses. J'ay saisi l'occasion de lui donner des temoignages sensibles de ma satisfaction. Dans ma route j'ay vu la famille Clement dont la société est infiniment douce et interressante; j'ay vu aussi des malheureux que les secousses du moment inquiettent; et j'ay observé combien les hommes se trompoient sur le bonheur de ce monde. Ce bonheur ne leur est accordé que pour qu'ils aillent plus loin et pour qu'ils montent; au contraire ils s'y arrêtent, ils font comme les prêtres dans les choses religieuses, ils prennent le moyen pour le terme; et quand ce moyen qu'ils prennent pour le terme leur est oté, ils tombent; au lieu que s'ils etoient monté plus haut, l'echelle pourroit se retirer, qu'ils resteroient encor sur leurs pieds. Clementine a bien goûté cela.
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Le degout mutuel qu'eprouvent souvent les amants et les epoux m'a paru avoir une source bien supérieure à celle que le monde lui donne communément. Car cette source me semble n'etre autre chose que l'orgeuil même, en ce que, selon mon cherissime B. chacun d'eux cherche la yongfraw, et ne la reçoit ni ne la donne. Or chacun d'eux eprouve la honte d'avoir trompé et d'avoir eté trompé, dans son attente.
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J'ay senti qu'il n'y avoit que deux manieres de trouver la verité, l'une le silence absolu, et plus exclusif même que celui des Pytagoriciens, pourvû que le desir interne soit allumé; l'autre de parler toujours de cette verité, et de ne parler que de cela. Ce qui fait que les hommes la trouvent si rarement, et finissent par ne plus croire qu'elle existe, c'est qu'ils parlent toujours, et qu'ils ne parlent jamais d'elle.
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Au commencement de prayrial l'an 2 de la Republique je suis venu loger dans un petit appartement chez la citoyenne de Marne place du Grand-Marché à Amboise. Du jardin de cette maison je voyois tout auprès de moi la maison où j'ay passé mon enfance. J'y voyois la chambre où je suis né, celle que j'y ay habitée avec mon frere jusqu'à son âge de huit ans où il a terminé sa carriere, celle où mon grand-pere est mort; au delà de ce jardin est la colline où reposent les cendres de mon pere. Quoique mes occupations me portent à force dans les regions de l'autre monde, cependant je n'ay pas vu tous ces objets avec indifférence, et ces tableaux ne sont point inutiles à la sagesse.
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Le 27 floréal de l'an 2° j'ay eté nommé par le district d'Amboise, commissaire pour la confection du catalogue des livres nationaux, operation qui me fournit l'occasion d'etre utile à la Republique selon le peu de moyens qui sont en moi. Toute autre place m'eut
infiniment embarrassé, par mon peu de connoissance des affaires. Il y a bien dans mon fait un peu de parresse corporelle, si toutefois ont doit appeller parresse, l'effet de la débilité d'un corps comme le mien qui ne peut supporter aucune fatigue, ni même aucun travail, mais il y a aussi beaucoup de calcul spirituel, puisqu'etant prevenu comme je le suis que la grande chose ne se doit faire que dans le repos et l'anihilation de tout notre etre, chaque action extérieure à laquelle nous nous livrons est au préjudice de cette action vive qui doit naitre et exister continuellement dans tous nos centres. Or les occupations humaines sont-elles autre chose que de l'extérieur, et vont-elles ailleurs que dans cet extérieur? Ma commission même ne va pas plus loin, puisqu'il n'y est question d'aucune maniere d'y faire usage de mon jugement et de mon esprit. Aussi je sens bien dans mon intérieur que si mes compatriotes me jugeoient selon mes vraies mesures ils m'appliqueroient à autre chose; je sens enfin que dans le repos et la paix de l'esprit, je pourrois faire des livres de catalogue, au lieu de ne faire que des catalogues de livres. Au demeurant l'orgeuil est voisin de toutes ces choses inférieures et qui ne sont que de reflet, il faut monter pour etre à couvert de ce poison, car alors on ne voit plus qu'une lumiere, et on voit bien qu'elle n'est pas nous.
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Combien de fois ay-je eté à portée de faire une triste reflexion sur les humains, c'est qu'ils ressemblent presque tous à un homme qui seroit tombé dans un fleuve, et qui attendroit pour se mettre à nager, que ce fleuve fût desseché, esperant toujours que les eaux vont s'ecouler! Combien de fois n'ay-je pas eté moi-même cet homme-là.
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I1 y a une chose qui m'a paru malheureusement trop vraie, c'est que bien des gens pleureront un jour d'avoir ri, tandis qu'au contraire il en est d'autres qui riront d'avoir pleuré. J'ay vu aussi avec affliction que les maux du monde etoient fondés sur une erreur de calcul qui consiste en ce que les hommes se livrent à des affections nulles ou fausses, et qu'alors les objets de ces affections leur deviennent nécessaires pour les en guérir; ils se croyent alors au comble de la perfection et dans une joye vraie, tandis qu'ils ne sont qu'au même degré où ils etoient avant de se livrer à cette affection. Les liaisons de ce monde en sont toutes là. Elles font comme les poëtes dont j'ay dit dans L'Homme de desir qu'ils nous mettoient de gayté de coeur dans des positions fausses pour avoir la gloire de nous en tirer.
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En considérant l'etat de l'homme dans ce bas monde, et ma situation personnnelle au milieu de tant de mortels dont je ne peux attendre aucun secours spirituels, et mémo à qui je n'en peux pas procurer, il m'est venu en pensée de me regarder là où je suis, comme le Robinson de la spiritualité, et obligé comme lui (le pourvoir seul à ma subsistance, de me deffendre (les animaux voraces, et d'employer sans cesse tout mon Pire à mn préservation et à mon entretien. Mais je inc suis trouvé comme lui une confiance qui me procure (les consolations, et une forte esperance qu'un jour quelque vaisseau hospitalier viendroit me tirer de mon desert. En attendant, la chaloupe Relud s'est montrée sur l'horison, et peut devenir une epoque marquante dans ma vie. (Je me suis trompé sur cette chaloupe.)
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Peu de gens croiroient ce que je vais dire, et ce que j'ay senti, c'est que dans les plus grandes tribulations, et dansles plus grandes injustices que nous puissions eprouver, nous serions encor plus embarrassés de nos prosperités et de nos faveurs, que tourmentés par nos maux et nos desastres si nous avions soin de contempler les secours puissants qui nous entourent, et ne nous abandonnent jamais.
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Etant au college en rethorique je fus choisi avec quelques autres de mes camarades pour etre lecteur au refectoire pendant le repas. Les jours de gazette on nous les donnoit0à lire avant la lecture ordinaire, et quand il s'y trouvoit des mots abregés ou difficiles à lire, on consultoit ordinairement tout bas le religieux qui presidoit au refectoire. Un jour que j'etois de semaine pour la lecture, on me donne la gazette; il s'y trouve plusieurs fois S. M. Imp. Je no sçavois pas du tout alors ce que c'etoit qu'une Majesté, et encor moins ce que c'etoit qu'une Majesté Impériale. Mais plustot que de consulter, je traduisis de ma tête par les mots : St Mt° imprimeur, et cela à plusieurs reprises de façon que le religieux vint de lui-même me redresser; mais mes camarades qui m'avoient entendu ne manquerent pas de se mocquer de moi comme je le meritois, ' et de me donner le sobriquet de St Mt° imprimeur qui m'est resté. Cependant j'en avois un autre qui a tenu encor davantage, c'est celui d'enfant.
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Si les hommes vouloient ouvrir les yeux davantage ils verroient bien pourquoi Dieu detruit sans cesse leurs ouvrages, c'est qu'ils ne font que des oeuvres sans parole, et que Dieu ne voudroit d'eux que des oeuvres prises dans la parole, ils verroient aussi combien ils affligent l'homme de desir journellement avec leurs oeuvres hors de la parole, puisqu'ils en souffriront tant jusqu'à ce que la parole revienne animer leurs ouvrages.
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Ma besogne bibliographique a eté reçuë et approuvée au Comité d'Instruction publique, sauf quelques observations sur des objets relatifs à cette besogne, et contenus dans la lettre qui en accompagnoit l'envoi. C'est une pitié que cette besogne-là, et cependant il a fallu m'y donner comme si elle etoit importante et profitable pour mon esprit. Mais ce qui m'a soutenu c'est la persuasion que notre Revolution ayant un grand but et un grand mobile, on doit s'estimer heureux toutes les fois qu'on se trouve pour quelque chose dans ce grand mouve9nent; surtout quand c'est de cette maniere-là où il ne s'agit ni de juger les humains, ni de les tuer.
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Ma chaloupe Relud ne m'a pas rendu tous les services que j'en attendois. C'est un peu par attention pour elle que je ne me suis pas jetté à la mer au-devant d'elle; elle ne me parroissoit pas assez sure de sa direction, ni assez confiante en la mienne. J'en fais néanmoins un grand cas; et si j'eusse eté à portée de la connoitre davantage, peut-être aurions-nous fait voyage ensemble.
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A la suite de la bataille de Fleurus (en messidor) nous avons eu de si grands succès dans la Belgique et la Flandre autrichienne que cela tient vraiment du prodige. La decouverte de la conjuration de Roberts-Pierre du 9 au 10 thermidor a ajouté encor de nouvelles forces à notre Revolution; elle en a donné beau-coup aussi au genie de la liberté qui a ouvert alors les prisons à une infinité de détenus. De ce nombre etoit un excellent homme renfermé bien injustement depuis trois mois, l'ami Gomb... qui m'a appris nombre d'autres arrestations que j'ignorois et qui ont été terminées comme la sienne par la delivrance. J'ay eu là une belle occasion de reconnoitre cette inépui-
sable Providence qui ne cesse de me traiter comme un enfant gaté. On avoit arreté quantité de personnes liées, ou attachées à une amie commune à nous; et on se proposoit d'en arrêter beaucoup d'autres de la même cathegorie. Quoique je dattasse plus qu'un autre dans ce cercle-là par bien des raisons, on m'a tellement oublie qu'il n'a pas seulement eté question de moi. Si j'eusse eté à Paris, surement je ne l'aurois pas echappé; et c'est le decret du 27 germinal sur les nobles qui a eté ma sauve garde. Voyez donc comme nous sommes sages quand nous murmurons. J'ay appris depuis que j'avois eu un mandat d'arrêt lancé contre moi; mais je ne 1'ay sçu qu'un mois après. Voyez le ne 542.
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Tu ne veux donc pas etre loué, disois-je souvent à Dieu dans mes prieres pendant l'effroyable regime où la France a passé sous la tyrannique ferule de Robertspierre. Je ne m'attendois pas que la Providence se vengeroit sitot. Pour avoir une idée de cette abominable et infernale justice par laquelle la France etoit gouvernée alors, voicy un fait qui m'a eté raconté par un detenu d'Amboise revenu de Paris à l'epoque de la destruction du tyran. On appelloit journellement dans les prisons les noms des detenus dont on formoit la liste d'execution pour le jour ou le lendemain; et pour la forme on commençoit par les envoyer au tribunal revolutionnaire. Ce detenu en question s'entend appeller et ne se presse pas de repondre. Un voisin voyant son embarras lui dit : Donne-moi cent ecus et j'irai au tribunal pour toi. Le detenu n'hesite pas, il compte les cent écus à l'homme de bonne volonté qui repond à l'appel et se laisse emmener au tribunal, en disant qu'il sçauroit bien s'en tirer. Cherchons dans l'histoire des nations un pareil trait, où la justice soit ainsi travestie en role de theatre, et je ne sçais si nous le trouverons.
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On me presse toujours d'ecrire, particulierement l'ami Gomb.... et cela sur la politique et la Revolution, attendu que la liberté de la presse peut me laisser la facilité de me developper. J'ay, j'en conviens, de grandes choses à dire sur ces grands objets; mais ce qui met beaucoup de lenteur dans l'execution d'une pareille entreprise, c'est en general le peu de fruit que je vois que l'on peut attendre des livres, et les avances enormes qu'il faut faire en travail et en idées avant de pretendre à une recolte qui encor est si casuelle qu'on n'ose seulement pas y compter. En effet il faut premierement faire le livre, secondement le bien faire; il faut ensuite que les hommes le lisent, il faut qu'il leur convienne et qu'il leur plaise surtout par la forme; il faut ensuite que le fond les attache et les surprenne; il faut après cela qu'ils se deter-minent à s'en approprier les principes et à les mettre en valeur et en pratique. Quel est l'ecrivain sur la terre qui puisse se flatter d'un pareil succès. Non surement ce n'est point en lisant nos livres que les hommes nous recompensent de les avoir faits; car ils ne lisent point, et ne sçavent pas lire. Nous en sommes recompensés par l'oeuvre même qui passe en nous avant de passer par notre plume. Aussi je n'ay pas encor renoncé à faire le petit ouvrage qu'on me demande, sans compter le grand ouvrage dont j'ay dejà tous les materiaux et qui ne finira qu'avec ma vie.
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C'est une verité que l'on m'a mené dans ma grande carriere, plustot par les merveilles que par l'alliance (selon la superbe distinction de mon cher B.) quoique dans le fond je me sentisse plus propre à l'alliance qu'aux merveilles. Il est arrivé de là que j'ay peu percé dans les merveilles pour lesquelles je n'etois point fait, et que j'ay resté eloigné de l'alliance qui eut eté mon pays naturel; mais au milieu de ces deux voies que je n'atteignois pas complettement il en est né une mitoyenne qui quelquefois me dispensoit de l'une et de l'autre. C'est l'intelligence; et c'est ce qui m'a fait dire et ecrire que j'etois venu dans ce monde avec dispense; car dans le vrai, je n'ay pas gagné à la sueur de mon front tout le pain que mon intelligence y a mangé. Mon premier maitre me disoit aussi que je n'avois pas besoin de visions dès que j'avois l'intelligence. J'aurois eu besoin qu'il n'eut pas eté aussi insouciant sur l'alliance.
468
Je sens au fond de mon etre une voix qui me dit que je suis d'un pays où il n'y a point de femmes. Voilà pourquoi sans doute toutes les entreprises mari-tales qu'on a faites pour moi ont manqué. Cela n'empêche pas que depuis que j'ay acquis de pro-fondes lumières sur la femme je ne l'honore et ne l'aime mieux que pendant les effervescences de ma jeunesse, comme je l'ay mandé- à Relud. Mais j'aime la femme desossée comme je le disois à l'ange avant que j'eusse sur ce sujet les lumieres que j'ay aujourd'hui car sa matiere est encor plus dégénérée et plus redoutable que la matiere de l'homme.
469
Le télégraphe inventé par le citoyen Chappe est une chose qui dattera dans l'histoire des nations, quoique jusqu'à présent cette découverte paroisse plus propre à satisfaire la curiosité, et à faire plaisir, qu'à etre d'une très grande utilité; mais quand on creuse dans la nature de ce phenomene et que l'on considere qu'il se montre au moment où nous passons par une grande epoque de Page du monde, on est content de voir ainsi les choses marcher de front, parce qu'on espere qu'elles arriveront à un terme où on pourra decouvrir des télégraphes encor plus promts, et plus infaillibles. J'avoue que ce télégraphe m'interesse beaucoup.
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Des lors que l'homme est sorti de la femme il n'y doit plus rentrer, car ce n'est plus à l'homme à etre le mari, c'est la femme qui doit l'etre pour que le vrai mariage s'accomplisse. Ce paradoxe ou cette enigme me fera passer pour très baroque aux yeux du lecteur; mais j'ay d'avance mes dedommagements.
471
Pour m'echapper aux societés nulles et frivoles de ce monde je suis dans le cas quelquefois de leur dire que le feu est chez moi, et qu'il faut que j'aille y veiller. On ne me comprend pas, et on se regarde; au moins on s'accorde à ne pas trouver ma folie triste. Il y en a même un (l'ami Sanche) qui trouvoit que j'etois un fou qui fesois rire. S'il m'avoit connu davantage il auroit vu que j'etois un fou qui fesois pleurer.
472
Dans les causes celebres j'ay parcouru le procès de M" S. et de ses deux enfans avec lesquels elle avoit tué son mari. C'etoit une famille de Marseille. Le crime resta caché plusieurs mois; il fut découvert par une méprise de M` de Cavoy qui en remettant à M' de Pontchartrain alors chancelier, des papiers d'affaire à examiner y laissa parmy sans y faire attention une lettre où tout le crime etoit detaillé. Ce n'est pas seulement cette marche secrette de la justice qui m'a frappé dans cet evenement, c'est la vive et touchante eloquence du capucin qui en accompagnant les criminels au supplice à Aix, disoit au peuple : Priez pour ces malheureux, mais priez aussi pour vous. Nous sommes tous des pecheurs, et
si vous voyez comment Dieu traite ceux même à qui il pardonne, jugez comment il traitera ceux à qui il ne pardonnera point et qui n'auront point fait penitence. Si les capucins n'avoient jamais dit que de ces choses-là, et qu'ils n'eussent pas mis leur vertu dans leur froc, on ne les auroit pas tant meprisés. Celui dont il est question ramena à des sentiments si repentants et si pieux les pénitents dont il s'etoit chargé qu'ils furent un exemple de dévouement et de resignation après avoir été la honte de l'humanité; ce sont ces mouvements puisés dans la sublime logique de l'amour qui ont toujours eu sur moi le plus d'empire.
473
J'ay eu un bel exemple de l'instabilité des choses de ce monde lorsque etant à Amboise je voyois vendre à la citadelle et à Chanteloup tout ce superbe mobilier qui selon la loi de la Revolution etoit devenu proprieté nationale. J'en avois vu faire autant à Paris rué du Fauxbourg Sr Honoré n° 66. Je n'avois pas besoin de ces leçons-là pour etre sur que si la roué de la nature ne fait que tourner, à plus forte raison doit-il en etre de même de la roué des ouvrages de l'homme. Mais cependant ces petites preuves matérielles de tems à autre ne nuisent point. D'ailleurs moi qui vas toujours ceuillant les plantes qui se rencontrent, j'ay eté affligé de voir la puérile ardeur de tant de gens à accumuler toutes ces babioles pour les laisser là le lendemain ou par la mort, ou par le degout.
474
Grace à mon ami Boehme, il m'a eté donné de comprendre pourquoi la Revolution Françoise avoit commencé par les lys; c'est que les extremes se touchent. Et qu'un excès d'ecarts mene à un excès de perdition. D'ailleurs comme ainés ils devoient etre les plus corrigés.
475
Dans ma jeunesse, lorsque le separateur etoit en moi dans son integrité il m'arrivoit quelque chose d'assez singulier quand la soif me prenoit, et que je me disposois à la satisfaire; si c'etoit de l'eau pure que je cherchois à boire, j'etois sur qu'avant de l'avoir touchée, je ne manquerois pas d'eprouver l'envie d'uriner, ce qui ne m'arrivoit jamais lorsque c'etoit du vin que j'allois boire.
476*
477
Si j'avois vu quelques prêtres périr au bas de l'autel où ils prétendoient traiter directement avec la Divinité, j'aurois eté plus persuadé de la verité de ce qu'ils annonçoient, car avec les taches physiques, morales et spirituelles dont ils sont couverts, s'ils avoient approché de si près qu'ils le disent la Divinité, ils n'auroient pu eviter d'en etre consummés, plus rapidement que les substances de la terre ne le sont par le feu de la foudre.
478
Pendant la Revolution de France, me trouvant à Amboise qui est mon lieu natal et ma commune domiciliere, je me rendis comme les autres avec les citoyens de ma compagnie dans les bois de Chanteloup au mois thermidor l'an deux de la Republique pour y travailler à couper, porter, et bruler de la bruyere dont les cendres sont employées à faire de la poudre à tirer. Pendant le repas j'allai me reposer à l'ecart au pied d'un arbre et là je ne pus m'empêcher de reflechir à la bizarerie des destins de l'homme en ce bas monde; en me voyant par l'effet de la Revolution isolé de tous les rapports que j'ay dans l'Europe par mes objets d'etude, et de toutes les personnes qui me font l'amitié de desirer ma présence, et forcé au contraire à venir passer mon tems à travailler de mes bras au milieu d'une forêt pour concourir à l'avancement de la Revolution. Je l'ay fait néanmoins avec plaisir parce que le mobile secret et le terme de cette Revolution se lient avec mes idées et nie comblent d'avance d'une satisfaction inconnue à ceux même qui se montrent les plus ardents. Cela n'empêche pas qu'il me venoit quelquefois sur le terrein pendant mon travail quelques reflexions par rapport au blut. Car je me suis jetté là dans les possibles et par consequent dans les incertitudes, ce qui fait que je ne puis plus rien affirmer. Au reste les simples contributions me mettent dans le même cas. J'ay sçu depuis que les cendres otolent encor là.
479
La chose qui m'a paru la plus rare en frequentant les hommes c'est d'en rencontrer un qui logeat chez lui; ils logent presque tous en chambre garnie, et encor ce ne sont pas là les plus dénués et les plus A plaindre; il en est qui ne logent que sous les portes comme les lazaroni de Naples, ou même dans les ruas et à la belle etoile, tant ils ont peu de soin de conserver leur maison patrimoniale, et de ne se pas laisser evincer de leur propre domaine.
480
Peu de tems après avoir eté à la bruyere dans les bois de Chanteloup au mois thermidor, l'an deux, je servis de temoins pour un enfant mâle qui naquit au citoyen de La Barre, homme de confiance de la citoyenne de Marne dans la maison de laquelle j'etois logé ainsi que lui, place de la Republique à Amboise; je nommai le petit nouveau-né André Regulus; le premier nom pour ses parents, le second pour la Republique, ne connoissant pas dans l'histoire un patriote plus grand et plus fait pour servir de modele que ce citoyen romain. Je le mets au-dessus de Decius qui me paroit un peu hors de mesure. Je le mets au-dessus des deux Brutus, dont le premier est cependant infiniment plus respectable que le second. La naissance de ce petit Regulus m'a rappellé des stances que je fis il y a 9 ou 10 ans à Paris en pareille occasion, lorsque je demeurois dans la maison de M.d.T. avec M. Gregoire. Ces stances furent l'expression de mon attendrissement à la vue de ce petit citoyen de la vallée de larmes. Elles sont intitulées Il bambino; elles ont été trouvées douces. Je n'ay pas eprouvé les mêmes impressions dans la seconde circonstance, aussi je n'ay rien produit. Je deviens chaque jour trop occupé de mon avancement dans mes grands objets pour que j'aye le tems de me livrer aux mouvements de mon coeur en ce monde; ce n'est pas que mon coeur soit endurci, mais c'est qu'il a à s'attendrir d'une autre maniere.
481
De même qu'on a fait apporter aux prêtres leurs lettres de prêtrise, et aux nobles leurs lettres de noblesse, de même nous ne devrons accorder la paix à nos ennemis, qu'autant que tous les rois faux auront apporté leurs lettres de royauté. La fameuse bataille de Fleurus gagnée par Jourdan sur Cobourg dans la première decade de messidor l'an deux, doit ajouter en ce genre un grand poids à nos prétentions; cette victoire me paroit un des plus beaux pas qu'ait fait la Revolution.
482
N'est-ce pas une douleur pour la pensée de voir que l'homme passe sa vie à chercher comment il la passera ! J'ay malheureusement à me faire ce reproche-là comme les autres hommes, tandis que j'avois reçu bien plus de secours qu'eux pour m'en preserver.
483
Le caractere de mon etoile tant spirituelle que temporelle a eté plustot la preservation que le mouvement. Le mercure a eté leger et foible en moi dans les deux genres, aussi mes oeuvres ont eté breves et mediocres dans l'un et dans l'autre; mais en même tems ma santé dans l'un et l'autre genre a eté charmante, et fort peu maladive, parce que le mouvement n'etoit point assez fort pour engendrer en moi des humeurs, et dans le vrai je n'en ay ni au moral ni au physique. Peut-être même n'en ay-je point assez puisque ce sont elles qui soutiennent dans l'action et qui donnent de la force; or j'avoue que ce n'est pas par là que je brille.
484
La famille où je suis né a eté signalée par le bonheur quoique ce ne soit pas d'une maniere uniforme pour tous ses membres. Mon pere a eu le bonheur de la matiere et du néant, ma soeur a eu le bonheur mondain, j'ay eu pour ma part le bonheur spirituel; nous avons tous eté partagés selon nos desirs; mais on ne peut pas etre plus disparate avec des hommes que je ne l'ay eté avec mes parents. Je ne les en ay pas moins aimés, et je ne leur ay pas moins rendu tout ce que je leur devois. Mon neveu a eu le bonheur pécuniaire.
485
En parcourant le monde j'ay eprouvé souvent de rudes chocs. Le principal a eté que la pluspart du tems lorsqu'en vous approchant des hommes vous comptiez avoir à traiter avec une raison, vous ne trouviez à traiter qu'avec une chaise percée pleine de bile, et encor pour trouver cette chaise percée falloit-il l'aller chercher dans les endroits ténébreux et sans jour où on les place ordinairement. J'avois peu de cette bile, comme je l'ay dit cy-dessus; j'avois au contraire beaucoup de sel marin, c'est-à-dire de sel exagonal et cubique. Voilà pourquoi mes bazes sont inébranlables; mais ce sel marin se transformoit aisement en moi en sel nitreux, et lançoit la foudre. Les hommes bilieux ne voyoient là que de la bile parce qu'ils me jugeoient par analogie. Et voilà ce que l'on gagne avec les humains. Je l'ay dit ailleurs, il n'y a que l'homme qui me gêne sur la terre, tout ce qui n'est pas lui est sous une puissance qui envoye chaque chose bonne ou mauvaise où elle doit aller. L'homme est le seul qui ayant à lui une volonté unie à une puissance envoye journellement les choses bonnes et mauvaises chacune où elles ne doivent pas aller.
486 Ma parresse d'esprit ou plustot de corps, a eté liée avec ma facilité. J'etois d'une region où tout s'operoit et se developpoit naturellement; les lignes se prolongeoient sans angle; il n'y avoit point de combat, point de resistance, il n'etoit donc pas nécessaire qu'il y eut dans ma constitution de quoi faire cette resistance, puisque sans cesse on m'en dispensoit, et qu'on se conduisoit avec moi, comme si on eut eu peur que je n'eusse de la peine et de la fatigue. Oh non. Je ne dis pas que nul n'ait eté aimé plus que moi, mais surement nul n'a eté aimé comme moi.
487
Mon temporel et mon philosophique divin ont marché pour ainsi dire, sous la même etoile. On m'a donné des richesses dans l'un et l'autre ordre; et dans l'un et l'autre ordre on m'a presque toujours placé de maniere à n'en pouvoir pas jouir. La Revolution françoise execute pour moi ce double decret, au spirituel par ma separation absolue de tous mes rapports avec des hommes de l'esprit; au temporel par la lenteur et même l'incertitude de la rentrée de toutes mes créances, ce qui fait qu'avec beaucoup de bien, je suis au-dessous de la moindre aisance. Au reste j'ay ecrit ce que j'avois senti et dit dès mon bas age lorsque je m'occupois dejà à scruter mon etre, sçavoir que j'etois heureusement né, mais que je n'etois pas né heureux; je puis ajouter que je n'avois pas besoin d'etre né heureux, puisque j'etois né bien aise, car avec l'un on se passe aisement de l'autre.
488
Ma secte c'est la Providence, mes proselytes c'est moi, mon culte c'est la justice; il y a longtems que tel est le fonds de toutes mes idées, de tous mes sentiments et de toute ma doctrine; plus j'avance en age, plus ces principes et ces mouvements se fortifient en moi, parce que la nourriture que prend mon esprit est absolument dans le même genre; il n'est pas etonnant que ce rapport et cette correspondance laissent en moi des effets qui leur soient analogues.
489
Comme j'ay eu tant de sujets de douleur dans ma vie, je dois tracer icy celui qui a eté un des principaux; ç'a eté de voir des hommes n'avoir conservé de l'enfance que la puerilité, et employer pour la deffendre et la faire regner toute la puissance et l'empire de Page viril sans avoir seulement à y joindre ni une raison ni un principe; tandis qu'au contraire l'homme devroit dissiper les ténébres de son enfance par les lumieres, et tempérer la rudesse et l'orgeuil de ses connoissances par la douceur et l'ingenuité de son premier age.
490
En montant la garde à la citadelle d'Amboise vers le commencement de fructidor auprès des détenus, il me vint cette notion sur les maux et les malheurs de ce monde contre lesquels nous ne cessons de murmurer : Nous ne reflechissons pas que ne devant point rester dans ce monde, il nous faut bien un mode pour en sortir, et que nous ne devrions pas regarder de si près sur l'espece et la nature de ce mode, puisqu'ils tendent tous à la même fin.
491
La fameuse catastrophe de Roberts-Pierre et de son parti arrivée du 9 au 10 thermidor l'an 2 est une epoque qui contribuera beaucoup à l'avancement de la Revolution; on en voit deja les effets par la marche plus mesurée que prend le gouvernement, et par la rupture des fers d'une multitude d'innocentes victimes qui etoient prêtes d'etre immolées. J'ay reçu une lettre de l'ami Gombault qui m'annonce sa delivrance après trois mois de détention, et m'apprend qu'il en est de même de plusieurs de nos connoissances. Il me falloit cette lettre-là pour me faire un peu respirer en paix sur leur compte. Voyez le n° 464 qui a eté retouché d'après celui-cy par la raison du peu d'ordre que j'ay annoncé devoir mettre dans ce receuil.
492
Quand l'homme se fait mechant il n'a que le bonheur de l'enthousiasme et de la rage; quand il ne se fait que bête ou matiere il reste dans l'apparence et n'a réellement ni peine ni plaisir; quand il se fait spirituel il a réellement beaucoup de plaisir; mais ce n'est que quand il se fait divin qu'il connoit la paix vivante et le bonheur complet. J'ay parcouru, quoiqu'en passant, tous ces degrés, aussi ne puis-je etre en doute sur celui de tous qui merite la préférence.
493
Les gens du torrent qui ne connoissent que la conversation de l'externe ont eté quelquefois choqués de mon silence. L'un d'eux surtout qui en raison de son etat ecclesiastique est plus enfoncé que les autres dans l'ignorance et dans son opposition à la verité m'a fait souvent des reproches de ce que je ne parlois pas; premierement si cet homme avoit eté juste, il auroit vu qu'il ne devoit pas se plaindre de ce que j'etois muet, puisque la seule chose dont je sçache un peu parler c'est de la verité, et que cette verité lui fait mal; secondement s'il eut eté un peu moins embrouillé dans les epines du ténébreux néant de ce monde, il auroit vu que je ne me taisois qu'afin que la conversation ne tombât point, ear dès que ceux qui parloient tant ne disoient rien, il falloit bien qu'il y en eut qui ne dissent rien afin de parler.
494
La Bodeau qui etoit femme de chambre chez la cydevant princesse de Montbarrey m'a donné une fois une leçon que j'ay eu tort de ne pas suivre. Elle m'engageoit à marcher, en me disant que je devrois seulement donner quelques jours à l'actif, et que cela suffiroit pour l'ouvrir et le determiner. Je ne dois pas oublier non plus ses services funeraires que je n'ay pas eu le courage de suivre.
495
La queue de Roberts-Pierre qui a fait tant de mouvements après la mort de sa tête, et qui ne menace de rien moins que de la déportation tous les nobles et tous les prêtres m'a appris de nouveau ce que j'avois eprouvé deja si souvent, c'est que nous sommes tellement liés et appesantis par notre parresse que nous ne sçavons faire un pas dans la ligne qu'à coups d'etrivières. Aussi dans l'elan que cette circonstance m'a donné j'ay connu physiquement les deux mondes, et les deux eternités, pourquoi en conséquence nous avions deux mains dont l'une servoit à contenir l'eternité ténébreuse, et l'autre à ouvrir l'eternité lumineuse, enfin à quoi pouvoit servir en nous la musique reelle qui a la proprieté de porter la joye partout, même dans la mort; j'ay appris, dis-je, que tous les soins de celui qui m'aime, tendoient à m'empêcher de poser seulement le pied sur la terre.
496
Le lendemain de la troisieme decade du mois fructidor, l'an deux de la Republique françoise qui repond au 21 7°r" de l'ancien stile ou à l'equinoxe d'automne je me suis transporté d'Amboise à ma maison de Chandon, tant pour y recolter la vendange que pour essayer le nouveau genre de vie que j'allois etre obligé de mener, me trouvant seul avec une servante, moi qui jusqu'à ce moment avois toujours vecu avec compagnie. Je me disposai de mon mieux pour que cette nouvelle carriere ne me fût pas prejudiciable, et que les grands travaux que j'avois à y suivre ne s'y ressentissent pas de ma parresse. J'etois extenué de fatigues, non seulement pour avoir monté la garde la veille, mais encor à cause de tous les trains d'emballage; je n'etois qu'à moitié dans mes mesures. Avant de partir j'allai dire adieu aux Cal et quoique je n'aye point de reproche à me faire d'y avoir dit des choses deplacées, je sentis cependant un moment de vuide qui me fit connoitre combien nous devons nous surveiller, et ne pas compter sur des demies-préparations. Ce depart, et ce nouveau genre de vie peut et doit devenir une epoque pour moi. J'ay pris dans la maison pour mon cabinet la chambre où vingt ans auparavant je reçus dans le coeur la circoncision.
497
Dans le suplément aux Confessions de J.J. Rousseau j'ay remarqué de nouveau combien lui et moi avions d'analogie dans nos humeurs, dans notre caractere, dans nos gouts, et même dans nos passions, ainsi que dans quelques-unes de nos infirmités. J'y ai vu aussi avec plaisir qu'il avoit connu mon ami Kirchberguer et qu'il en disoit du bien. Au reste j'ay eté moins content de ce suplément que des Confessions même si ce n'est par intervalle, ayant trouvé de tems en tems des mouvements d'aine delicieux. Ce suplément me paroit aussi moins bien ecrit; il m'a en quelque façon donné la clef du stile de l'auteur. Son plus grand prix consiste dans les contrastes, et quelques fois plus dans le contraste des mots que dans le contraste des idées; aussi cet interessant auteur nous laisse-t-il souvent dans les avenues de la verité, et dans les regions de l'apparence. Ses lettres qui ter-minent le suplément en question sont à mon avis encore plus inferieures pour le stile; on en sent aisement la raison. Elles etoient moins travaillées que les autres ouvrages de l'auteur, et il avoué lui-même le besoin qu'il avoit de limer longtems ses ecrits. Cela n'empêche pas que je ne lui rende toute la justice qu'il merite. C'est par circonstance qu'il est resté dans les regions inférieures. Par nature il etoit fait pour aller beaucoup plus loin. Je le regarde comme le prophete du sensible naturel. Il avoit le germe du sensible divin, plus même que le germe du sensible spirituel, et si la Providence eut permis qu'il eut reçu la dixieme partie de ce qu'elle a bien voulu laisser venir jusqu'à moi, il en eut tellement mis à profit la valeur qu'il auroit je crois fait descendre Dieu dans le monde. Sans doute que le moment n'en etoit pas encor venu.
498
Quand je reflechis au peu de rapports que je me trouve avec ce qu'il faut etre dans ce bas monde pour n'y pas paroitre etranger et deplacé, je suis tenté quelquefois de me dire en plaisantant qu'on ne m'y a placé que par distraction.
499
J'ay observé en peu de jours trois attentions marquées pour moi de la part de mes bons amis, dans les premiers tems de mon sejour à la campagne. De ces trois attentions les deux premieres furent frappantes et comme d'une utilité necessaire; la troisieme quoiqu'ayant aussi un signalement très notoire sembloit cependant me considérer comme un grand garçon et en etat d'aller tout seul. Néanmoins je sens chaque jour que j'ay toujours besoin d'appui. le . lo . se . rs. id. id. an. at. ne.
500
Pendant que je lisois Emile de Rousseau, et que j'en etois à l'endroit où il recommande si fort de ne point contrarier le developpement de la nature, surtout dans le premier age des enfants j'eus occasion de gemir sur le sort de mon petit filleul n° 480. Sa mere me le fit voir dans la cour, et je remarquai avec quel plaisir l'enfant voyoit le jour. Je l'engageai à le lui faire voir frequemment et à le tenir habituellement à l'air. Oh, me dit-elle, il faudroit sans cesse le porter, et pendant ce tems-là je ne pourrois rien faire; il vaut mieux qu'il soit couché. Je compris que ce mot vouloit dire caché, et je m'en allai la douleur dans le coeur.
501
Au n° 499 je dois joindre une quatrieme attention que je designerai sous la forme d'un serpent en cercle parfait et ayant le bout de sa queue sous ou dans sa gueule. J'ay creusé cette quatrieme attention jusqu'à son fond, et j'ay vu que le mal auroit ses decrets, si vous voulions, et que d'après la loi des proportions, l'espece de bien qui le doit combattre n'a pas même connoissance que ce soit un decret, sans quoi il ne le combattroit pas.
502
Je l'ay déjà dit quelque part, tous nos maux viennent de ce que notre esprit et notre coeur sont separés. C'est là ce qui nous fait sentir des reflets d'orgeuil dans nos productions d'intelligence, et même de vertus; tandis que quand l'ordre et la mesure regnent chez -nous, toutes ces choses sortent de nous naturellement et ne nous surprennent pas; c'est ce qui fait aussi que dans tous les genres nous sommes seduits, entrainés, et egarés par la forme, au lieu d'etre dominés et gourmandés par le principe; enfin c'est ce qui fait la différence entre la luxure, la lubricité, et l'amour; l'homme foible a plus de lubricité et de luxure que d'amour, l'homme fort a plus d'amour que de lubricité.
503
Dans mes idées d'enfance, et en reflechissant, à ma maniere, sur l'etre inconnu qu'on inc donnoit pour la Divinité, il m'est arrivé quelquefois de me demander pourquoi ce n'etoit pas moi qui etois le bon Dieu; je puis dire avec verité que cette extraordinaire question tenoit à mon ignorance, et nullement à mon orgeuil, car je la fesois dans un age où ce vice-là n'est pas encor developpé dans l'homme.
504
Une petite fille, que je crois etre celle de l'ami Kasheloff me fit un jour une reponse qui me plut beaucoup en ce qu'elle me donna une leçon que je meritois. On s'amusoit, comme on fait souvent avec les enfans, à lui demander les noms des diverses capitales de l'Europe etc. Et moi, soit pour me mocquer de ces sottes questions, soit pour embarrasser l'enfant, (car je ne me rappelle pas lequel) je luy demandai quelle etoit la capitale de la lune; elle me repondit tout de suite : C'est le soleil.
505
C'est une triste verité que j'ay malheureusement trop eprouvée, que non seulement nous ne nous instruisons crue nor nos fautes. mais l'on nourroit dire même que par nos crimes. Il est certain que j'ay toujours appris quelque chose de grand à la suite de quelque grand ecart, surtout la bêtise de l'ennemi et l'amour du pere.
506
Pour ma santé il me seroit utile d'user de beaucoup de sucre. Pour mon plaisir il m'eut eté agréable de pouvoir user de plusieurs bougies le soir pour m'aider dans mon travail, et soulager mes yeux qui s'affoiblissent, et même c'étoit là une de mes spéculations. sur la fortune qui devoit me venir. La Revolution fait que nous n'avons ni sucre, ni lumiere d'aucune espece. Il faut bien apprendre par experience qu'il y a un autre roi de ce monde que notre volonté.
507
Voicy comment je me suis figuré ce que c'etoit qu'un sage en comparaison du reste des hommes. Je me suis dit qu'un sage (toutefois dans le sens complet, et qui s'etend jusqu'à la formation des langues) etoit un homme qui prenoit autant de soin de cacher ce qu'il avoit, que les autres en prennent pour montrer ce qu'ils n'ont pas. A Chandon le 5 vendemiaire l'an 3.
508
Mon premier maitre par son regime exposoit ses disciples à des chances très importantes, car en ouvrant toutes les portes comme il fesoit, il pouvoit arriver que le vrai maitre entrât à force du mouvement que nous nous donnions; mais il se pouvoit egallement que des voleurs, et d'abominables tyrans entrassent aussi, et alors oit en etions-nous! Oh combien la voye de mon cherissime B. est plus sage et plus profonde; j'y arrive tard sans doute, mais, monstre que je suis, qu'ay-je fait même pour mériter seulement d'en entendre parler?
509
Les fleaux que la Revolution a fait tomber sur les prêtres et les nobles, m'ont fait faire des reflexions
sur ces deux ordres; et j'ay vu que le sacerdoce valoit mieux que les prêtres, mais que la noblesse etoit plus mauvaise que les nobles. D'après cela je n'ay pas eté etonné que la justice tombât encor plus séverement sur les prêtres; car eux, c'est par une bonne chose qu'ils etoient devenus mauvais, au lieu que les nobles c'est par une mauvaise.
510
Ce seroit peut-être une chose dangereuse à dire à tout le monde que ce qui me passe en ce moment; sçavoir que sous la loi levitique, les plus petites negligences vous separoient du sacrifice et vous donnoient la mort, au lieu que la nouvelle loi vous suit, vous atteint, et vous embrasse encor au milieu même de vos crimes; mais si c'est une chose dangereuse à dire, elle ne m'est pas dangereuse à penser, car elle exprime l'idée que j'ay de l'inepuisable amour, et de l'universelle puissance de celui qui a vaincu la mort pour nous.
511
J'ay reconnu dans quelques personnes, et peut-être aussi dans moi-même que l'homme soit par sagesse, soit par folie desiroit souvent d'etre mort, mais qu'il etoit encor plus souvent près de dire que ce fût à condition de ne pas mourir. La mort est douce, mais non son- mode.
512
A ma maison de Chandon je voyois, tous les jours, un petit garçon nommé Silvain qui etoit un des enfans des plus vifs, et des plus jouants que j'aye jamais vus. Quand je rencontrois des hommes qui se plaignoient d'eux, et qui demandoient comment il falloit faire pour remplir son tems, et eviter l'ennui, je leur disois que cet enfant etoit le plus grand docteur que je pusse leur indiquer en ce genre; car que l'on le laissât tout seul, il ne demanderoit à personne ce qu'il faudroit qu'il fit, il ramasseroit de lui-même un brin d'herbe, un morceau de bois, une paille, et surement il est si riche en activité qu'il aura là de quoi se suffire. Sans doute c'est là le propre de l'enfance, et des grands avantages qu'elle a sur nous, aussi le petit Silvain n'etoit pour moi qu'un primus inter pares. Je l'appellois mon petit maitre d'ecole.
513
Quoique j'aye beaucoup ecrit, et que j'aye probablement beaucoup à ecrire encor, puisque je viens d'entreprendre un ouvrage intitulé : qui ne finira qu'avec ma vie, je n'en ay pas moins senti qu'il y avoit une oeuvre superieure à celle des livres, et qui même sans nuire à mes autres occupations, sera desormais mon objet dominant; (car il est prêt de m'entrainer) aussi en faisant ces reflexions voicy deux vers qui me sont venus :
N'etre que par ecrit remplit peu l'escarcelle;
Le sceptre de la plume est volatil comme elle. V. n° 535.
514
J'ay eprouvé combien nous avions besoin de tout notre etre pour faire notre chemin, et combien la moindre brêche pouvoit nous devenir préjudiciable; c'est après des fautes que j'ay fait cette epreuve. Je n'en ay point commis d'un peu marquées sans que la force et l'activité de mon esprit ne s'en soient senties. Il semble qu'on nous retranche d'un coté ce dont nous avons mesusé de l'autre. Oui, il faut nous constamment, et nous tout entier, puisque nous avons à marcher et à avancer dans le tout.
515
Il y a des choses qui plus vous les lavez plus elles deviennent sales et de mauvaise odeur, parce que vous decouvrez davantage le centre qui est la corruption; au lieu que la saloperie extérieure contient cette corruption du centre et l'empêche de s'exhaler. Ce n'est rien que de ne netoyer que les bords du plat dans tous les genres. Les paysans se lavent moins que les gens du monde, et je mets en fait qu'ils sont cependant moins malpropres. Cette idée paroitra baroque. Mais ce n'est pas d'aujourd'hui que je cours les risques de semblables jugements.
516
Jean-Jacques dont j'aime à parler m'a fait quelque-fois en le lisant tine singuliere impression. Il m'a semblé que son stile fesoit sur l'esprit, ce que la presence d'un grand seigneur bien habillé et couvert de decorations fesoit aux yeux. En voyant celui-cy si bien paré, et si chargé de marques de dignité, on est tenté naturellement de le prendre pour un homme très méritant et dont il n'y a que de bonnes choses à attendre; en lisant Rousseau, et voyant que c'est un homme qui dit si bien, on est tenté de penser que c'est un homme qui ne peut que dire vrai; d'ailleurs il ne vous laisse pas toujours le teins d'y regarder. Il vous entraine, il garde si bien tous les passages que vous ne pouvez vous echapper de lui; il fait un si brillant vacarme que personne n'a le pouvoir ni le tems d'aborder. J'avois eu d'abord le projet d'insérer ces idées-cy dans l'Eclair politique et philosophique; mais c'eut eté trop marquant contre un homme que j'honore; et il y en a assez, dans cette lettre-là, contre lui. J'ay mis à cette lettre une epigraphe angloise tirée des Nuits d'Young : For human veal heav'n husbands all events. Night 1, verse 105, parce que cela ne m'a pas paru un ouvrage assez considerable pour en tirer des miens l'epigraphe selon mon usage. Le titre a changé. V. n° 534.
517
Au mois de brumaire l'an 3, mon ami Kirchberguer m'a envoyé de Suisse un volume contenant plusieurs traités de Jeane Leade traduits en allemand; et une traduction françoise de Weg zu Hernn de notre cherissime amie B. Mais ce qui m'a fait encor plus de plaisir, ce sont les details qu'il y a joints de la vie d'un nommé Gichtel, né à Ratisbonne et qui s'est fait l'editeur des ouvrages de B. à Amsterdam en 1682. Cet homme rare est probablement un de ceux qui ont le mieux profité des riches tresors renfermés dans les ecrits de notre ami.
518
Dans ce même mois de brumaire cy-dessus 517, je suis allé passer un jour à Chesnaie chez la famille Daën, où j'ay retrouvé avec plaisir leur mere et belle-mere Bois-le-Comte que je n'avois pas vue depuis vingt ans, et qui sortoit d'arrestation par suite des cruautés d'un nommé Senar agent des suprêmes autorités. J'ay sondé là l'esprit de ce monde, et j'ay vu combien celui qui en est le chef cherche à mener ses sujets comme à tâtons et avec une lanterne sourde. Le bien-etre de la vie, et les joies humaines empâtent tellement les ames qu'elles ne peuvent plus ni digérer, ni même manger. Aussi me vint-il dans l'esprit que pour guerir les hommes en général, il faudroit faire avec eux, comme certains medecins de chiens font avec les petits chiens des belles dames de Paris; c'est-à-dire qu'il faudroit les tenir spirituellement à la diette pendant un tems, et leur donner chaque jour les etrivieres cinq ou six fois. Au bout de ce traitement ils seroient frais et gaillards, et plus dispos pour prendre de la nourriture, et la digérer. C'est un homme qui passe pour avoir de l'esprit, mais je n'ay pas eté longtems à m'appercevoir que c'est de l'esprit de Paris; aussi mc suis-je tenu en reserve. J'y ai vu aussi un Tourangeau nommé S'-Sauveur qui fait sa demeure dans la maison, c'est un homme agé mais bien conservé, et qui me paroit avoir du merite, et le sens fort droit, sauf certain point.
519
Plusieurs fois j'ay dit que les obstacles que nous ren-contrions de la part des circonstances, dans notre carriere de verité n'etoient que pour que nous n'eussions pas d'autre guide, ni d'autre appui que Dieu; il faut ajouter que nous ne trouvons tant de difficulté à percer dans rame des hommes que pour que nous na-chions que nous n'y devons percer que par la priere.
520
Indépendamment des signes generaux et universels que nous trouvons dans les grands principes et dans la constante fixité de leurs resultats, nous avons chacun nos signes particuliers qui nous servent de guides. Le mien qui est celui qui m'indique le passage du mal au bien, va de la droite à la gauche. Cela m'a paru extraordinaire pendant un tems; parce que selon les notions communes cela doit aller de la gauche à la droite. Mais cela vient de ce qu'icy bas nous marchons vers le soleil levant. Quand nous l'aurons atteint, l'ordre des signes reprendra sa vraie place.
521
Dans le mois de frimaire l'an 3, c'est-à-dire à la fin de 1794, j'ay eté nommé par mon district pour aller comme eleve à l'Ecole normale; et le Comité de Salut public m'a envoyé une requisition pour rentrer à Paris, attendu que le decret du 27 germinal précédent m'en avoit chassé. Si je n'eusse consulté que mon gout particulier, j'aurois préféré qu'on en nommât un autre que moi, parce que cette mission me paroit devoir me courber l'esprit sur les instructions du bas age, et en outre me jetter dans l'externe, moi qui me sens croître en desir et en besoin de rentrer dans l'interne. Mais, comme je me suis tenu passif dans toute cette affaire, et que j'ignore si la Providence ne me destine pas là l'occasion de travailler pour elle contre l'esprit de l'ennemi, j'ay accepté, et je ne sens pas intérieurement de bien mauvais presages sur cette demarche. Les evenements m'apprendront si je me trompe.
Je pourrois rapporter ici ce qui m'arriva au sortir du district et qui m'y fit retourner pour declarer que j'acceptois; je pourrois retracer les paroles relatives aux pierres qui pourroient etre jettées dans le front de quelque Goliath, ce qui a eu lieu. Mais il est bon que tout cela me reste.
Avant de partir pour cette Ecole normale j'ay eté voir ma soeur, mon neveu, et ma niece au Puy. J'ay trouvé doux d'etre au milieu des miens, et j'y aurois joui davantage si je n'y eusse pas vu combien les papillons font de ravage sur la terre, au point que nous nous laissons continuellement avaler par quel-qu'un d'eux, souvent par plusieurs, et ensuite nous nous glorifions chacun du papillon qui nous domine, et nous enveloppe, et nous voulons lui obtenir la superiorité sur les papillons des autres. J'ay eu aussi là une triste idée sur les cauteres, en voyant que c'est là ce que deviennent toutes nos paroles; car quand nous les laissons parvenir à ce point d'ecoulement, elles attirent toujours au dehors et finissent par attirer même notre sang spirituel, et devenir ainsi des vampires plus dangereux que ceux du corps. C'est là ce que j'appelle etre troué, ce qui est l'inverse d'etre percé.
En passant par Tours j'ay soupé avec un citoyen qui s'est occupé avec profit quant aux talents; il a même beaucoup plus de raison que n'en ont les penseurs du monde; malgré cela sa sçience comme celle de tous les gens du monde est d'etre beaucoup plus fort sur les doutes que sur les convictions. Il se nomme
Frederic Fleuri, et est frere d'un gendre de la citoyenne Bois-le-Comte. Depuis ce tems-là ce Frederic a beau-coup gagné.
522
Lorsque dans ma jeunesse il m'arriva de jetter là les livres et de dire : Il y a un Dieu, j'ay une ame, il ne me faut rien de plus pour etre sage, je ne compris pas tout le sens de cette grande intelligence; c'etoit le germe de toute ma destinée spirituelle, et je sens plus que jamais que Dieu seul veut etre mon maitre, mon appui, mon ami, et toutes mes resources.
523
On m'a fait assez generalement le reproche de parler peu. Supposé que je le meritâsse, on auroit pu aussi me trouver quelques excuses. 1° Mon habitude de speculer profondement; ce qui ne se marie guerre avec la parole externe. 2° Les fruits de cette habitude même qui donnent à mes idées une etenduë plus vaste qu'au commun des hommes et qui fait que dans très peu de mots je peux dire plus qu'eux en beaucoup de paroles. 3° La disette de pensées où ces hommes se tiennent et qui les porte à faire mille questions inférieures et mille difficultés du second genre qu'ils pourroient resoudre aisement eux-même s'ils vouloient s'en donner la peine. 4° L'usage si frequent parmy le monde de raconter au lieu de chercher; de remplir le vide par des recits au lieu de le remplir par des principes, en voilà plus qu'il n'en faut pour que je sois rarement avec ce monde dans des mesures qui lui agréent, et qui lui conviennent.
524
Il est probable que l'objet qui m'amene à l'Ecole normale est pour y subir une nouvelle epreuve spirituelle dans l'ordre de la doctrine qui fait mon element; ce n'est que dans le genre que l'on suit qu'on est eprouvé; je serai donc là comme un metal dans le creuset, et probablement j'en sortirai plus fort et plus persuadé encor qu'auparavant des principes dont je suis impregné dans tout mon etre.
525
Combien de fois ay-je eprouvé que ce n'etoit pas de trouver Dieu, qui etoit la chose difficile, mais bien de le conserver!
526
On diroit aux soins continus qu'on a pris de me pre-server des liens de ce monde, qu'on ne m'y auroit envoyé que pour y être comme quelqu'un qui viendroit passer quelques moments de récréation à sa maison de campagne, mais qui par gout et par habitude seroit sans cesse dans l'impatience de retourner à la ville.
527
A ma rentrée dans Paris pour l'Ecole normale, j'ay retrouvé avec plaisir plusieurs personnes de ma connoissance, telles que les Davaux Archbold, Via-lette, Bachelier d'Agès, La Ramiere, Sicard, Lizonet, la Desbordes les Mion, Mazade, ma bête, Corberon, Clementine, Maglasson, Heisch, le jeune homme d'Hervier, Mailly, Gros, Stall, Maubach, les Orsel, Segur, Gombauld, Gros-Jean, d'Arquelay, Menou, j'en ay connu plusieurs autres pour la premiere fois, telles que Nioche, Isabeau, Bodin, Monlord, Lacroix le mathematicien, les Montijeau, Miss Adams, White, Beaupuy, Berthevin, La Tapye, La Roque, le couple Tiroux, Falconet, les La Corbière, Krambourg, Chaix, Relud.
528
Ce que j'ay prevu sur l'Ecole normale 524, a eu lieu le 9 ventose dans la conférence avec Garat sur l'entendement humain. J'avois dejà parlé une fois mais fort peu, et j'obtins les amendements que je demandois sur les mots faire nos idées etc. et sur les causes de la diversité de l'esprit humain. Cette fois-cy j'en demandai trois autres, l'un sur le sens moral, le 2' sur la necessité d'une premiere parole, le 3° sur la matiere non-pensante. Je fus mal reçu par l'auditoire qui est devoué en grande partie à Garat à cause des jolies couleurs de son eloquence, et de son systême des sensations. Malgré cela on me laissa lire jusqu'au bout; et le professeur ne me repondit que par des assertions, et des raisons collaterales, de maniere que mes trois observations restent encor dans leur entier. Et je puis dire qu'il s'y trouve des hazes neuves que je n'aurois pas eues sans cette circonstance. Garat avoit l'air de souhaiter que je me fisse connoitre davantage, et que j'entrâsse plus amplement en matiere, mais je ne m'y sentis nullement poussé, et je me contentai d'avoir lancé mon trait; c'est probablement tout ce que j'aurai à faire dans cette ecole, et je crois que mon rôle y est comme fini. J'ay sçu le lendemain que tous les rieurs avoient eté pour moi.
529
Je dois demeurer plus que convaincu que mon egide a voulu me preserver des sciences humaines, et ne m'en laisser connoitre que ce qu'il m'en falloit pour les combattre, car dans ma jeunesse lorsque j'etois plein d'ardeur pour elles, j'etois privé des circonstances et des moyens qui auroient pu m'aider à me satisfaire; et dans mon age avancé pendant mon sejour à Paris au milieu de tous les docteurs de l'Ecole normale, j'avois bien tous les moyens si j'avois voulu en profiter; mais je n'en avois plus la fureur, et j'etois entrainé par le charme de l'angoisse centrale qui m'ouvroit toutes les voies, et me remplissoit d'esperances inexprimables; il n'est donc pas etonnant que je donnâsse exclusivement la préférence à ce sentier-là.
530
Ma voie spirituelle dans ce monde a eté si douce que je pourrois dire qu'on a voulu en quelque façon que je gagnasse le ciel comme en pantoufles et en robe de chambre. Ma plus grande souffrance a eté de voir comment la verité etoit traitée par le monde; il est si loin d'elle et si impur que c'est un vrai prodige d'amour qu'elle daigne seulement jetter un regard sur lui. Lui au contraire qui ne devroit jamais cesser un moment d'etre fidelement et respectueusement à sa suite; c'est beaucoup quand il veut bien la laisser approcher de lui, encor n'est-ce qu'à condition qu'elle ne sera autre chose que son laquais. Cette souffrance etoit vive j'en dois convenir; mais les consolations qui en resultoient l'etoient encor davantage. J'ay eu un autre genre de souffrance, c'etoit le dénument d'appuis et de soutiens humains et de circonstances; mais j'ay appris dans ces epreuves qu'on nous exerçoit d'abord à nous passer des circonstances favorables, pour que nous acquissions par là la force de soumettre ensuite les circonstances défavorables et activement ennemies.
531
Comment, me suis-je dit, quelquefois, les hommes ne se confondroient-ils pas avec leur corps? Ils se confondent tous les jours avec leur habit.
532
Ce que j'ay dit n° 529 sur la marche que les sciences ont tenue à mon egard demande une grande modification. C'est moins des sciences humaines qu'on a voulu me preserver que de leurs abus et de leur entrainement; on n'a voulu les laisser approcher de moi que quand ma substantialité seroit devenue assez abondante pour qu'elles ne pussent plus l'evaporer comme elles l'ont fait tant de fois dans la jeunesse de mon age spirituel; et je commence à sentir qu'elles n'ont plus ce danger-là pour moi, au contraire elles la fortifient, et la font croitre; j'en ay jugé ainsi dans les petits coups d'oeil que j'ay donnés à la geometrie descriptive de Monge professeur aux Ecoles normales. La Roque y voyoit la geometrie transcendante, et moi j'y ay vu jusqu'à l'origine des langues; mais j'ay appris là aussi combien les inathematiques avançoient peu l'esprit de l'homme, et qu'elles ne fesoient que le preserver comme les bourlets de l'enfant. Malheureusement en serrant l'esprit de l'homme, elles font jaillir en haut quelques lueurs qu'il prend pour la veritable lueur, il s'en glorifie, et il s'arrête, voilà ce dont le vulgaire ne se doute pas.
533
Dieu est si magnifique qu'après m'avoir fait sentir que j'aurois la chose en grand ou que je ne la possederois jamais, il m'a fait sentir en outre qu'il ne se donnoit point par mesure, et qu'il ne pouvoit s'approcher qu'avec le complement et l'unité de ses merveilles, de ses dons et de ses virtuelles faveurs. Il ne veut pas se montrer ni se laisser démontrer sans ses oeuvres. Il veut que nous soyons par lui, comme il veut etre par nous. Telle est la regle irrefragable de la haute et veritable instruction. Toutes les autres quelques bonnes qu'elles puissent etre dans leurs mesures d'intelligences, de discours et de raisons satisfesantes ne sont que des instructions preparatoires.
534
Au sujet de l'ami B."v.'° qui s'est porté avec zele à la publication de la Lettre à un ami par un eleve des Ecoles normales l'an 3, j'ay remarqué que si les bons coeurs etoient une chose rare, les bonnes têtes l'etoient encor davantage.
535
Je me modere beaucoup aujourd'hui en fait d'ouvrages de plume, car ils sont peu de choses à moins que la racine même ne les commande et ne les enfante. C'est dans nos ames que nous devons ecrire, c'est là seul où les pensées germent d'une maniere profitable.
536
Pendant mon sejour à Paris lors des Ecoles normales j'ay eté à portée d'appercevoir le tuf des gens de cour. Dans le tems où ils etoient alimentés par l'atmosphere royale, leur orgeuil, leur cupidité, et toutes leurs autres corruptions ne perçoient qu'au travers d'une amabilité, et d'une elegance de ton et de manière d'etre qui faisoit passer par-dessus tout. Aujourd'hui que cette source n'existe plus pour eux, on ne voit presque plus en eux que ce qui etoit caché sous ces dehors si seduisants; ils meprisoient le marchand lorsqu'ils avoient la certitude d'etre distingués par leurs titres. Aujourd'hui qu'ils ne seroient plus distingués par leurs titres, ils se font marchands afin d'etre distingués par leur fortune, car toute leur frayeur est d'etre confondus avec les autres hommes. Autrefois ils etoient environnés de ce qu'il y avoit de fameux en tout genre, et cette seule approche etendoit quelquefois des voiles sur leur ignorance; aujourd'hui denués de cette resource leur ignorance platte et grossiere se montre à decouvert. Autrefois ils etoient contenus par l'apparence de la moralité et par la décence extérieure qu'il falloit affecter à la cour; aujourd'hui la brutalité et la grossiereté vegetent seules; et c'est par ces tristes effets que j'aurois appris ce qu'il y avoit au fond d'un homme de cour quand je ne l'aurois pas su pour ainsi dire dès les premiers moments de ma vie où j'ay eté à portée d'exercer ma pensée.
537
Le 4 prairéal je suis parti de Paris pour revenir dans mon departement, les Ecoles normales ayant eté fermées le 30 floréal, comme ne remplissant pas le but qu'on s'etoit proposé. Ce but m'avoit paru assez clair dès le commencement. C'etoit d'etablir l'atheïsme et la doctrine de la matiere dans toute la Republique, et plusieurs de mes camarades ont pensé que ma séance avec Garat n° 528, avoit eté le coup de grace de l'Ecole. Ce qu'il y a de sur c'est qu'à la cloture où Garat après plus de huit decades d'absence vint perorer et faire ses adieux à l'assemblée, je sentis que c'etoit une faveur de la Providence que cette ecole fût dissoute, car l'Ecole etoit perdue si elle eut continué, et l'on peut juger quelles en eussent eté les suites.
Avant mon depart je fus temoins pendant trois jours et demi de la secousse qu'eprouva Paris depuis le 1er prairéal par les infernales machinations des ennemis de la Revolution qui couterent la vie au representant Feraud à qui le peuple coupa la tête et la promena sur une pique dans la Convention. J'admirai néanmoins le pouvoir de notre etoile qui delivra la France comme par un coup de baguette magique du danger imminent qu'elle courut pendant plusieurs heures et même plusieurs jours. J'avois eu egalement à admirer lors de la secousse du 12 germinal précédent, où Pichegru se trouva, où Collot d'Herbois, Barrere, et Billaud furent arrêtés, et qui se calma aussi aisement.
En partant d'Amboise pour venir à cette ecole j'eus un petit contretems de la part des passeurs (anglois) qui nous descendirent bien au-dessous du port, et qui n'aborderent qu'avec une grande difficulté; cet evenement qui eut arrêté un Romain me laissa seulement un pressentiment secret que la finale de mon voyage ne seroit pas sans nuages, et quoique je n'en aye parlé à personne, je n'ay pu m'empêcher de me rappeller ce pressentiment lors de l'aventure des premiers jours de prairéal.
538
Le spectacle des societés humaines m'occasionne des impressions douloureuses, en ce que j'y vois des etres qui seroient faits pour la permanence dans le positif, ne vivre au contraire qu'en permanence dans le fortuit, et etre exposés par consequent à toutes les catastrophes de cette region fortuite où elles se succedent d'une manière si prompte et si inattenduè, et en même tems à toutes les douleurs, et à toutes les lamentations que ces catastrophes leur procurent et leur suggerent pour qu'ils s'arrêtent continuellement dans ces filets, et pour que l'oeuvre n'avance point.
539
Lors de ma residence à Paris pour les Ecoles normales je fus logé rué de Tournon au cy-devant hotel de l'Empereur, où je fus aussi mal qu'il est possible, et de toutes manieres. J'aurois pu changer si je lavois voulu. Mais je fis reflexion que j'avois eu dans ma vie des situations si au-dessus de mon etat par leur agrément et leurs commodités, que je ne fus pas fâché de rester un tems dans une situation qui etoit au-dessous de celle que j'aurais pu me procurer, et cela sans que j'eusse cherché de moi-même à etre aussi mal. Il me sembla qu'il y auroit par là une sorte de compensation qui ne pourroit pas m'etre prejudiciable. A la fin de mon voyage j'ay eu au moins en projet la recompense de ce calcul. Un ami m'offrit, et s'engagea très cordialement à me procurer à mon retour à Paris une existence bien différente de celle que je venois de quitter. Cela est encor à venir.
540
En reflechissant à l'opposition que j'ay trouvée de tout tems dans ma famille relativement à mes objets d'occupation cherie, j'ay reconnu que l'esprit de cette opposition qui a eu lieu pour tant d'autres dans le même cas que moi, etoit d'occasionner par là une transplantation. Sans cela les plantes en demeurant indigênes courroient le risque de s'affoiblir, et de ne pas developper leurs vertus; au lieu qu'en se rendant exotiques elles reçoivent des reactions diverses et virtuelles qui font naitre en elles de nouvelles proprietés. et les rendent par là naturelles à plusieurs pays. Je ne puis douter que cette loi-là ne se soit accomplie sur moi, et que je n'en doive les heureux effets à l'opposition de mon pere et de ma soeur, auprès desquels ma pensée ne trouvoit aucun repos, quoiqu'ils eussent l'un assez de jugement, et l'autre assez d'esprit. Si je voulois creuser le passage de l'Evangile : Nul n'est prophete en son pays, j'aurois de quoi remplir des rames de papier.
541
L'état frêle où tombent les têtes humaines qui ne vivent que du néant et de l'esprit du monde est reellement deplorable. J'en ay vu pour qui seule-ment les premiers chants de mon poème du Crocodile etoient si forts qu'elles seroient devenues folles si elles avoient voulu en continuer la lecture. C'est au Puy chez mon neveu que j'ay eu lieu de faire cette observation.
542
Un jour avant celui où la nouvelle de la chute de Robespierre nous arriva à Amboise je me sentis pressé d'un besoin de prier auquel je me laissai aller. Je repassois dans mon esprit les horreurs du regne où nous etions, et dont je pouvois à tout moment eprouver personnellement les cruels effets. Je me resignois en consequence à l'arrestation, à la fusillade, à la noyade; et je disois à Dieu que partout là je me trouverois bien, parce que je sentois et je croyois que j'y serois avec lui. Quand j'appris la nouvelle du lendemain, je tombai de surprise et d'admiration pour l'amour de ce Dieu envers moi; car je vis qu'il avoit pris de bon oeil ce sacrifice que je lui avois fait, tandis que lors même que je le lui offrois, il sçavoit bien qu'il ne m'en couteroit rien.
543
Ma ligne a ressemblé beaucoup à celle de Socrate; elle a eté plus de préservation que d'impulsion. V. n° 483.
544
Les habitants de ma province natale sont tellement retenus dans les douces mais epaisses chaines d'un beau climat, et de jouissances materielles qu'ils ne songent pas qu'ils ayent en eux un autre etre qu'un etre physique; et ils me parroissent etre un peuple qui sera à recommencer dans les regions postérieures à celle du tems.
545
J'ay comparé une fois les chaires des sçavants et tous leurs livres à un bâton de perroquet au milieu d'une chambre; encor ne repetent-ils pas toujours les leçons aussi bien que l'oiseau qui monte et descend sur le baton en gazouillant.
546
Ce n'a pas eté une chose difficile à reconnoitre pour moi qu'il me falloit marcher dans ce monde comme sur une corde tendue et elevée au-dessus de la terre, et avec toutes les précautions des danseurs de corde.
547
J'ay eté quelquefois tellement pénétré de mon indignité que je ne me croyois pas en etat de rien demander à Dieu, tant je craignois de le souiller par l'infection de ma pensée et de ma parole. Aussi je m'abandonnois à lui jusqu'au point de le laisser prier pour moi. J'avois bien aussi la persuasion qu'on obtient de lui les dons qu'on lui demande; mais j'avois en même tems le pressentiment que ces dons-là ne tiennent pas quand ils sont ainsi le fruit de notre desir et de nos demandes, et c'est pourquoi je ne voulois pas les lui demander, et j'attendois qu'ils vinssent gratuitement de sa part en moi, parce que j'etois sur qu'alors ils se soutiendroient eux-même et ne deperiroient pas.
548
Le bien-être terrestre m'a paru si bien un obstacle au progrès de l'homme, et la démolition de son royaume en ce monde un si grand avantage pour lui, qu'au milieu des gemissements qu'occasionnoit le renversement des fortunes pendant la Revolution, par une suite de la maladresse et de l'ignorance de nos legistuteurs, je me suis souvent trouvé tout prêt à prier que ce genre de desordres s'augmentât encor afin de faire sentir à l'homme la necessité de s'appuyer sur son veritable soutien dans tous les genres. Voir n° 578.
549
Lorsque l'Evangile nous dit : Cherchez d'abord le royaume de Dieu et la justice, et le reste vous sera donné par-dessus, il n'entendoit pas seulement par là le bonheur animal et la nourriture corporelle ainsi que je l'ay ecrit à Maubach peu de tems après son arrivé à Louhans dépt de Saone-et-Loire; et cette intelligence est un fruit divin qui se lie fort bien avec le n° 547.
550
Ma brochure en forme de lettre sur la Revolution françoise a à peine eté regardée. Cela ne m'a pas surpris, je l'avois annoncé; mais plus elle a eté rebutée, plus je me suis felicité de l'avoir faite. La raison de mon peu de surprise vient de ce qu'un ouvrage qui renverse les trônes de toute espece dont la societé est remplie ne peut surement convenir à personne. La raison de ma satisfaction vient de ce qu'il faudra bien qu'un jour ils avallent cette pilulle-là quelqu'amere qu'elle soit, et que j'ay l'esperance qu'il y aura bien alors une petite gratification pour le pauvre garçon apotichaire, comme je l'ay mandé à plusieurs de mes amis. Cet ouvrage est intitulé : Lettre à un ami, ou considérations politiques, philosophiques et religieuses sur la Revolution françoise, suivies du précis d'une conference publique entre un eleve des Ecoles normales et le professeur Garat. Par un eleve des Ecoles Normales. Avec l'epigraphe : For human weal heaven husbands all events . Night thoughts. Night 1. V. 105. De l'imprimerie de Migneret rué Jacob n' 1186. L'an troisieme de la Republique françoise.
551
Pendant mon sejour au Puy en messidor et thermidor de l'an 3, j'ay fait une connoissance interessante à Candé dans la personne de la maitresse de la maison, et j'ay renouvellé celle de la cy-devant chanoinesse Komacre dont le caractere est très liant et très aimable en societé. J'ay eprouvé dans les liaisons mondaines qui se trouvent au Puy, combien les deux inondes sont differents l'un de l'autre; et combien l'on s'expose à faire prophaner ou souffrir et humilier la verité et ses amis quand on va faire la guerre dans le pays du monde leger et frivole.
552
J'entends souvent les hommes dire : L'autre monde; je crois que c'est de celui-cy qu'il faudroit parler ainsi, car il n'est que l'enveloppe du monde veritable, comme les corps de baleines, et tous nos vêtements quoiqu'etant les plus exterieurs et les plus sensibles, ne sont cependant que notre second corps, que notre autre corps en comparaison de notre corps naturel.
553
Quand on me demande si je crois aux revenants, je reponds que non, parce que je ne crois point aux s'en allants, attendu que malgré notre mort terrestre, nos esprits ne s'en vont reellement point, et que c'est leur affection qui fait toute leur localité.
554
Les obstacles spirituels que j'ay eprouvés pendant ma vie tiennent encor à une autre clef que celles que j'ay exposées dans divers endroits de ce receuil. Ils tiennent à la grandeur et à la nature de l'ceuvre que je sens se semer en moi, et qui est telle que si elle se fat developpée plus tot, je n'aurois pas été en mesure pour la faire arriver completteiuent à son terme; d'ailleurs elle ne se fût pas bornée comme dans les prophetes à me causer des douleurs et des larmes, mais elle m'eut causé des joyes que mon etre n'auroit pu supporter.
555
Ma destinée spirituelle a eu un caractere mille fois plus touchant pour moi que celle des plus grands elus, et des fameux sages de la terre; c'est que la leur a eu à traverser des douleurs et des angoisses continuelles, et que la mienne n'a eu pour ainsi dire à traverser que des joyes et des satisfactions inexprimables, et qu'elle a cté conservée au milieu de toutes ces jouissances et leur a survecu. Quand je reflechis à la douceur de ma carriere, je ne puis m'empêcher d'y voir une preuve que le grand oeuvre de la paix divine avance.
556
La pluspart des choses qui passent pour vertu chez les hommes, leur ardente justice, leur courage, leur force physique même qui souvent leur tient lieu de tant d'autres qualités, tout cela m'a paru quelquefois n'etre réellement pour eux qu'une maladie; c'est une surabondance et un excès d'un de leurs éléments soit corporels, soit spirituels. Sans cette surabondance, et sans cet excès, ces hommes-là n'auroient rien à montrer. Ils seroient nuls. Quel malheur que nous devions à de pareilles causes tout ce qui est en honneur et admiré des hommes! L'Evangile n'a-t-il pas raison de dire que ce qui est en honneur devant les hommes est en abomination devant Dieu?
557
Dans mes courses et mes liaisons diverses j'ay fait une experience dont je n'ay pas profité autant et aussitot que je l'aurois du, mais qui n'en est pas moins importante, c'est que nous ne nous examinons point assez dans toutes ces circonstances. Or voicy le flambeau que nous ne devrions jamais perdre de vue : La marque qu'on est dans la ligne, c'est lorsque dans notre marche le succès de la chose nous est plus cher que le notre, et quand nos desastres nous touchent moins que ceux de la chose. Cette verité m'a eté surtout sensible à Beauvais où j'ay passé un mois très agreablement à mon retour du Puy, et d'où je suis revenu à Amboise pour l'acceptation de la constitution de l'an 3.
558
Le ralentissement de ma plume n° 535, je le dois, sans doute en partie à ma paresse, mais aussi peut-être à ma douleur sur le retard où je laisserois mes fi. auxquels je peux toujours aider un peu davantage par mon travail vif.
559
J'ay vu la pluspart de mes concitoyens très allarmés aux moindres dangers qui à tout moment menacent l'edifice de notre Revolution; ils ne peuvent se persuader qu'elle soit dirigée par la Providence, et ils ne sçavent pas que cette Providence laisse aller le cours des accessoires qui servent de voile à son oeuvre; mais que quand les obstacles et les desordres arrivent jusqu'auprès de son oeuvre, c'est alors qu'elle agit et qu'elle montre à la fois ses intentions et sa puissance; aussi malgré les secousses que notre Revolution a subies et qu'elle subira encor, il est bien sur qu'il y a eu quelque chose en elle qui ne sera jamais renversé.
560
Il y a une idée qui m'est souvent venue dans l'esprit, toute puerile qu'elle me parût, parce que je ne sentois pas alors la raison de sa puerilité; c'etoit de vouloir que toutes les maisons des hommes fûssent baties uniformement, comme on le voit parmy les castors et les abeilles. Je m'arrêtois bien aux diversités du local, à celle des climats; à celle des matieres premieres, à celle des fortunes, mais ce n'etoit que passagerement, et mon idée prise des animaux l'emportoit. Ce n'est que fort tard que la veritable solution m'est arrivée. Elle tient radicalement aux diverses facultés intellectuelles et imaginatives qui sont si diversifiées parmy les hommes, et qui doivent se manifester avec une egale diversité tant dans leurs batiments, que dans toutes leurs autres oeuvres. Depuis que cette solution a paru, l'idée précédente n'est plus revenue.
561
Si notre esprit en jettant en dehors ne sent pas qu'en dedans il en a encor davantage, il s'épuise et se ruine. C'est un calcul que nous ne devrions jamais perdre de vue un seul instant. Cecy se lie au n° 535.
562
C'est une chose très remarquable pour ceux qui sont dans la ligne, que de la part de cette ligne je n'aye entendu que des paroles douces, salutaires, et de tendres avertissements; tels que : Vous courriez si bien; Lazare levez-vous; Le fils bien-aimé; La chair ne pouvant plus disposer d'elle-même; Dieu nous traversant tout entier; L'ennemi n'ayant que nous pour organe etc. Les paroles dures, menaçantes; les maux, les dangers, on n'a cessé de me tout epargner, moi au contraire qui aurois tout merité de la justice! Je veux rendre icy ce temoignage autentique à l'immense et inexprimable bonté de notre delicieux principe.
563
Par l'universalité des néants que l'on me fait toiser et sentir, je ne doute point qu'on ne veuille nie faire evaluer d'avance l'universalité des réalités qui existent, et qui m'attendent. Car ces néants sont bien nombreux et bien continus.
564
Dans le travail que j'ay fait à la biblioteque d'Amboise, l'an 2, je trouvai un ouvrage intitulé La Vie de soeur Marguerite du S`-Sacrement, et je ne pus m'empêcher d'y jetter un coup d'oeil. Cette religieuse est pour moi un aussi grand prodige pour les vertus, que mon cherissime B. pour les lumieres. Des yeux severes y verront peut-être un peu d'astral en ce que sa consommation a eu l'air de se faire par un feu inferieur, comme par une turba anticipée, qui a rongé ses substances au lieu de les reintégrer, mais si c'est un mal, elle a eu à coté de cela un remede si equivalent qu'on auroit grand tort de la plaindre. En passant à cette héroïne les momeries de son etat, on ne peut se dispenser de la regarder comme une des plus grandes Blues. Sa vie est un tresor. Je l'ay cherchée en vain chez les libraires de Paris. Elle a eté imprimée à Paris chez Pierre Le Petit rue St-Jacques à la Croix d'or en 1655.
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Plusieurs fois Dieu m'a soustrait les occasions des souillures; et je l'en ay remercié au lieu de les regretter.
566
Depuis que le n° 562 est ecrit j'ay decouvert dans mes cours de langues, des paroles dures, mais très instructives; telles que l'homme reposant sur le feu de l'abîme qui ne cesse de le travailler dans la douleur pour que cette douleur s'etende dans tous nos membres et leur fasse produire leurs fruits; et telles que ces paroles semblables à celles de Job 19 : 17, Nabitº%º%m menin e.r!wrruit nxor mea; en les trans-posant toutefois du féminin au masculin. Ces deux paroles sont des sentiers profonds, inepuisables, et d'une immense utilité.
567
Pendant ma courte currie.re militaire, etant en garnison à L'Orient, Rey un de mes camarades, me conta un jour à table l'aventure de deux officiers d'un autre regiment qui pour des crimes commis avotent merité la question, et dont l'un en etant ramené de la chambre de la torture, (lit à l'autre qui y venoit, et qu'II rencontra : Voilà où tu m'as conduit, voilà l'etat où tu m'as mis. Ce tableau me fit tellement frissonner que j'en fus frappé comme d'un trait, et que pendant un très long teins mes nerfs en furent comme dans une espece de dissolution.
568
Il y a une notion sentimentale que l'homme de desir ne devroit jamais oublier, c'est que dans la priere ce n'est point assez de receuillir notre propre plaisir et notre propre utilité. Nous ne devons la compter qu'autant qu'elle va jusqu'à procurer le plaisir de Dieu, l'utilité de Dieu. Or cecy n'a lieu qu'autant que nous parvenons jusqu'à y faire les affaires de Dieu. Mais pour y faire les affaires de Dieu, il faut qu'il les y fasse lui-même, et il ne peut les y faire lui-même que par l'angoisse. Homme apprends là ton metier.
569
Le 7 vendemiaire de l'an 4, j'ay reçu la premiere lettre de l'amie que j'appelle ma, chere. E. et qu'elle m'ecrivoit après sa delivrance, à son arrivée à Moulins. Cette digne personne paroit avoir fait de grands pas pendant sa captivité. Je lui avois ecrit au moment même de sa delivrance que je comptois après ces rudes epreuves trouver en elle le double de mon ancienne E. Et je vois que je ne m'etois pas trompé.
570
J'ay acmé souvent dans mes ecrits des notions sur le bien et le mal. En voicy une que j'y peux joindre; c'est qu'en nous livrant au mal, nous sentons que nous cherchons A plisser à coté du bien, ou à sauter par-dessus, de pour qu'il ne nous apperçoive et ne nous nrrete; quand nu contraire nous nous livrons au bien, nous sentons que nous dedaignons le mal, que nous le meprisons, et que nous pouvons l'envi-sager avec intrepidité, et sans craindre qu'il puisse so comparer en rien aux douces et vives affections que nous eprouvons.
571
Selon Godesu ev6que de Vence dans son Discours sur les ordres sncrt's, page 290, la premiere division des temples qui contenoh l'autel, et s'appelloit le sacraire, ou le sanctuaire, portoit aussi le none de diaconium, apode et p4µº%s. Ce nom héma sonne trop bien à mon oreille par ses rapports avec mon cherissime B. pour que je ne m'expose pas au ridicule d'en faire la remarque; car surement si quelqu'un a eté dans le sanctuaire c'est ce cherissime B. Au reste l'ouvrage de l'evéque do Vence montre douloureusement comment la verité s'est alterée en passant par la main des hommes, et comment A force de lui faire un royaume humain, methodique et retreci, ils ont perdu de vue son regne vivant, libre et immense, et le font perdre de vud egalement à tous ceux qu'ils introduisent dans leur bercail. Ils marchent là comme dans les autres sciences, par une progression arithmetique,
tandis qu'ils devroient ne marcher que par la pro-gression geométrique.
572
Combien de fois ay-je eu lieu de verifier le n° 565! Surtout le 16 vendémiaire de l'an 4, jour où l'on apprit à Amboise la sanglante catastrophe de Paris au sujet de la section Le Pelletier. Deux fois le même jour, j'eus des marques signalées que le bon ami sçachant mon peu de force, y supplea clairement par les siennes, ou plustot simplement par ses attentions. Comment n'aimerois-je pas ce bon ami qui veut bien ainsi venir vivre en ma place! Je lui en ay offert de bien bon coeur mon action de grace; et j'ay eté enchanté de pouvoir lui dire dans l'effusion de mon ame qu'il n'y avoit que gloire et triomphe pour lui, de même qu'il n'y avoit que honte et turpitude pour moi dans tout mon moi.
573
Les hommes et les docteurs vous disent quelquefois : Priez. Mais comment veulent-ils que je prie si la priere ne vient elle-même me diriger et me l'apprendre? C'est comme si l'on disoit à une trompette : Sonne. Elle repondroit, Comment voulez-vous que je sonne si quelqu'un ne vient souffler en moi?
574
Le lendemain du n° 572, j'eus de fortes images du danger qui est toujours voisin des faveurs que nous recevons. Tout est partiel aujourd'hui pour nous. Les bontés de l'ami sont reduites à des mesures. Lorsque ces mesures sont remplies, et accomplies, il cesse son ministère, et l'adversaire revient nous englober de ses illusions. Oh! homme! malheur à toi, si tu te reposes une seule minute.
575
Dans le mois vendemiaire de l'an 4, je fus nommé par ma commune d'Amboise au nombre des membres qui devoient former l'assemblée electorale du département à Tours le 20 du même mois. J'hesitai sur l'acceptation. Mais voyant qu'il n'y avoit point charge d'aine, puisque ma voix ne contraignoit personne, et que je n'avois point de loix à faire ni à prononcer, je eedai. J'etois bien resolu de n'accepter aucune place quelconque à la nomination de l'Assemblée; parce que toutes repugnent à mes principes. Je ne fus pas dans le cas, puisqu'il n'y fut pas mention de moi. Je sentis peut-être un peu tard que je pouvois participer au sang par ma voix pour les juges criminels; mais m'etant laissé embarquer dans ce vaisseau je crus etre obligé de faire mon devoir, et n'essayay pas de l'eluder par des voix perdues. Je fis connoissance dans cette assemblée de M` du Petit-Houars, et je renouvellai celle de M' de Biancour. J'ay resisté assez constamment au néant de cette assemblée jusqu'au huitieme jour; mais ce huitieme jour qui heureuse-ment se trouva le dernier je sentis le matin combien à la longue les affaires humaines prennent sur nous et nous eloignent. J'y ay eprouvé aussi combien l'esprit secret qui les dirige a soin d'y semer de nombreuses entraves pour que le refine du néant se prolonge, et que celui du vif reste toujours caché aux hommes. J'ay revu à Tours pendant cette assemblée une ancienne amie à moi nommée Soulas qui malgré son age de 80 ans est etonnante pour sa santé et la gayté de son esprit aussi bien que par l'image de sa bonne conscience. J'y ay revu la dame de Comacre et la maison Papion. Tours m'a enchanté par sa beauté; il est prodigieusement embelli depuis les trente ans que je ne Pavois habité, et il m'a pris un vif desir de venir l'habiter de nouveau, au moins pendant cet hiver, en attendant que les facilités reviennent de m'en retourner dans mon Paris et chez l'etranger. Un obstacle de famille s'y est opposé.
576 Deslandes, autrefois officier au rg` de Bretagne inc qualifia un jour du titre de spiritualiste, par opposition à celui de naturaliste auquel probablement ses succès dans le magnetisme lui feroient donner la préférence. Malgré son esprit qui est très aimable, et ses vertus héroïques, il ignore que ce n'est point assez pour moi d'etre spiritualiste; et s'il me connoissoit, loin de s'en tenir là, il in'appelleroit diviniste, car c'est mon vrai nom. Voyez le n° 2.
577
Les livres de J. J. Rousseau sont reconnus avec raison pour etre beaucoup mieux faits que les miens. Je suis le premier à le dire. Mais j'ajoute que la carriere qui m'a cté ouverte etoit autrement spatieuse que celle qui l'a eté à Rousseau; que la sienne pouvoit se borner à des livres, et qu'ainsi quand il avoit bien fait ses livres, il pouvoit croire avoir rempli sa tache; tandis que pour moi les livres n'ont du etre qu'un accessoire, et que j'ay du les faire comme rie les faisant point, tant l'oeuvre de l'homme est au-dessus des livres. Aussi je suis bien loin de compter les miens pour quelque chose. Je pourrois dire en outre que les hazes de mes livres sont quelquefois si simples et en même tems si creuses qu'elles doivent echapper au géneral des lecteurs. Rousseau frappoit plus bas que moi.
578
Au n° 548, j'ay dit que je me trouvois quelquefois prêt à prier que nos maux de fortune s'augmentassent encor. Le decret sur la contribution de guerre que la Convention a rendu au moment de sa fermeture sembleroit en ce genre avoir amplement rempli mes intentions. Il paroit si absurde que beaucoup de gens se persuadent qu'il n'a eté porté que pour laisser à la legislature qui va suivre, le merite de le rapporter.
579
J'etois né un roseau presque cassé, ou une foible méche qui fumoit encor. Le regent de ce monde a tellement arrangé les choses qu'au lieu de travailler à me redresser et à me rallumer il a mis une sorte de persévérance opiniatre à me briser tout à fait, et à in'eteindre. Mais grace à Dieu, j'espere qu'il y aura encor quelque chose de moi qui echappera au naufrage.
580
La science de Dieu est de faire trouver l'abondance au milieu de la disette. La science universelle des hommes est de faire trouver la disette au milieu de l'abondance. La Revolution françoise en est une preuve parlante.
581
Il m'a eté fait des confidences sur mon pere qui ont eté pour moi un salutaire preservatif; car sans cela il auroit pu arriver que j'eusse de grands reproches à me faire. C'est une grande et continuelle douleur pour moi, que ce digne homme ne m'ait pas mieux connu.
582 J'aurois pu dire de l'interêt, ce que j'ay dit de l'humilité n° 279. Je n'ay aucune cupidité des biens de ce monde, mais mon desinteressement repose un peu sur ma paresse, et beaucoup sur le besoin que j'ay de me soustraire à toute occupation etrangere à mon grand objet. Par la même raison, sans etre attaché à l'argent, je ne suis cependant pas généreux à toute minute. Il me faut revenir de l'autre monde pour me mettre en mesure dans celui-cy avec les circonstances qui s'y rencontrent d'exercer sa générosité. Quand ce travail est fait, mon ame goute un vrai délice à donner. Avant ce travail elle eprouve une lenteur, que l'on pourroit quelquefois prendre pour de l'avarice, et ce n'est rien de cela. Voyez n° 108.
583
Il y a une correspondance entre la limpidité de ma tête, et la débilité de mes intestins qui ne m'etonne plus depuis les developpements que j'ay reçus sur notre contexture, et sur les rapports combinés du syderique et du terrestre. Cette debilité d'intestins a influé sur celle de toute ma personne corporelle, et par suite sur plusieurs circonstances de ma vie spirituelle, relativement à la conduite.
584
Dans mon premier voyage à Chassenay chez Md` Pon-cher, elle ecrivit à mon pere que je serois aimable si je le voulois. Comme elle n'etoit devouée qu'au monde, ce mot de sa part vouloit dire qu'elle auroit souhaité de m'entraîner tout à fait dans les voies extravagantes du monde. Mais comme mon vrai instinct me retenoit dejà contre les extravagances, je peux dire que dès ces tems-là mon portrait commençoit à se dessiner sans que je le sçusse; et c'est cette même esquisse jettée alors qui n'a fait que se developper pendant toute ma vie.
585
Malgré ce que j'ay dit des chaires des sçavants n° 545, il m'a plusieurs fois passé dans l'esprit l'envie d'en occuper une à Tours dans les Ecoles centrales. Je songeois d'abord à celle d'entendement humain. Ensuite à celle d'histoire quand l'autre fut supprimée. Mais je m'en suis tenu à l'idée, et je n'ay fait aucune demarche pour cela. Malgré les tableaux seduisants que ces idées formoient dans ma tête, une voix plus profonde et plus imposante me retraçoit mon veritable emploi qui est l'angoisse et la grammaire génêsique; et je rentrois alors dans le néant externe auquel je suis condamné dans tous les genres, pour porter tout mon etre vers la realité interne. Quoique dans ces deux chaires d'entendement humain, et d'histoire j'eusse pu trouver à faire filtrer quelques rayons, je ne sçais pas si les terreins auroient eté preparés, je ne sçais pas si je ne me serois pas laissé entrainer trop en dehors, je ne sçais pas si le gout et l'envie des suffrages ne m'eussent pas fait devier de ma ligne, je ne sçais pas si l'obligation de parler à des moments fixes ne m'eut pas été très prejudiciable, moi qui n'aime à parler que quand cela me plait. Or je ne dois pas m'exposer sans ordre à tous ces dangers.
586
J'entends toujours parler les hommes de la legislation et jamais de l'autorité; toujours d'administration et jamais de la proprieté; toujours de juges et de jugement et jamais de la justice. Combien cette désharmonie-là me poignarde, et me donne de coups de lancettes !
587
Ce qui m'a beaucoup servi depuis que je pense, et ce qui a soulagé les maux de l'existence terrestre qui me sont communs avec tous mes semblables, c'est de voir que tous les hommes ne sont sur cette terre que sur leur lit de mort, et que la terre est aussi elle-même sur son lit de mort, ce qu'on peut dire egalement de la creation universelle.
588
C'est une tentative inutile à faire, que celle de vouloir que le grand oeuvre de l'esprit soit sensible au monde; il est impossible qu'il s'en apperçoive; par la même raison on ne peut commencer à etre sur d'avancer qu'autant qu'on ne s'apperçoit seulement pas du monde, ni dans la pensée, ni dans la volonté, ni dans les actes.
589
Dans ma jeunesse je n'ay eu pour ainsi dire, que les joyes de la sagesse; dans mon age mur j'en ay eu alternativement les joyes et les angoisses, j'approche de Page où je n'en aurai plus que les tourments et les douleurs, et cet age aussi bien que cette douloureuse perspective qui lui est montrée, font le bonheur de mes jours, et le plus doux espoir de mon coeur. Je puis ajouter une idée semblable à la precedente, c'est que dans la jeunesse de la sagesse on ecrit ou on dit tout ce qui se presente, et souvent aussi tout ce qui ne se presente pas; dans rage de raison on n'ecrit qu'avec reflexion; dans rage complet on n'ecrit que par ordre.
590
Ceux qui ne sont pas tout à fait au rang des athées et des impies disent au sujet du suicide qu'un soldat ne doit pas quitter son poste sans que son général ne l'en retire. Mais ceux qui parlent ainsi ne sont peut-être pas au fond plus sages que les autres, sans compter qu'ils laissent toujours un peu suspecter leur courage. Le vrai reproche que j'ay à leur faire c'est de confondre si légérement les mots d'etre à son poste, ou de le remplir ce qui est cependant très différent. Or de tous les hommes qui, selon ces sages, sont à leur poste dès qu'ils sont dans la vie humaine, combien en est-il qui le remplissent? Qu'on n'oublie pas la scêne d'Arlequin soldat en faction, se laissant depouiller de ses armes et de ses habits par un voleur, en se contentant de lui demander, si c'est là la ronde ordinario, ou extraordinario, et on aura une idée juste de ces moralistes si retrecis et si faciles. Car Arlequin etoit aussi là à son poste.
591
Heureux ceux qui n'ecrivent qu'avec leurs larmes! J'ay l'espérance que telle sera un jour ma destina-tion; c'est l'ensemble des developpements et des mouvements de ma vie passée qui entraine mon esprit à ces conjectures.
592
Plus 1'oeuvre qui m'appelle et qui m'attend est grande, plus elle me preserve de 1'orgeuil, car plus je sens qu'il m'est impossible de la faire moi-même.
593
N'est-ce pas une chose lamentable et dechirante que nous ne sçachions pour ainsi dire connoitre l'amour de Dieu pour nous que par nos crimes ! Helas ! si nous le trouvons si doux et si grand quand nous nous sommes egarés, que doit-il donc etre quand nous sommes sages et vertueux! Oui ce seroit par l'intérêt même de nos plaisirs que nous devrions etre fideles à ses preceptes et à ses lois. Malheureux ennemi de l'homme tu sçais trop combien tu y perdrois toi-même s'il etoit sage, pour que tu ne t'occupe pas sans cesse du soin de l'en empêcher; mais tu ignores aussi que Dieu est doux même après nos crimes, et que par là tous tes projets sont déçus; car comme tu as perdu la science du commencement des choses, tu ne peux avoir celle de leur terme et de leur fin.
594
Un des grands objets de la Revolution françoise a été de montrer aux hommes ce qu'ils deviendroient si Dieu les abandonnoit entierement à la fureur de sa justice, c'est-à-dire à la fureur de leurs tenebres. Il a voulu leur faire appercevoir la racine infecte sur laquelle repose le regne de la puissance humaine, il a voulu leur apprendre visiblement qu'il est la source d'une puissance bien plus aimable et plus salutaire pour eux. Mais helas combien y en aura-t-il qui profiteront de la leçon! Combien n'y en aura-t-il pas au contraire qui dès le lendemain que l'epreuve sera passée oublieront le service que la main suprême avoit voulu leur rendre par là, et se replongeront de nouveau dans le fleuve d'oubli, ou dans le torrent! Qui ne gemiroit pas de voir combien l'homme est difficile à pêcher dans cette eau trouble, combien de fois le pêcheur jette le fillet en vain et sans rien prendre ! Malheur, malheur, à ceux qui laisseront passer sans profit la grande leçon qu'on nous donne! Elle tendoit à nous rapprocher de Dieu, et les malheureux hommes ne font et ne feront que s'en eloigner davantage!
595
Quand on avance un peu dans la ligne vive, et qu'on s'approche ensuite des hommes de ce monde, on sent qu'il faudroit avoir avec soi un suppléant qui se chargeât de faire pour vous auprès d'eux le role de l'homme d'esprit, car il faut necessairement que nous fassions celui de l'imbecille en leur presence, et qu'ils nous prennent pour des bêtes, attendu que nous ne devons pour ainsi dire ne pas seulement ouvrir la bouche dans cette atmosphere de mensonge.
596
En 1787 etant à Rome, je vis le pape officier solemnellement le jour de Noël dans 1'eglise de S`-Pierre. Il se met sur le corps pour cette ceremonie une quantité innombrable de vêtements pontificaux, sacerdotaux etc. si bien qu'il etouffe de chaleur, et qu'il suë à grosses gouttes. Comme on sçait que c'est pour lui, comme pour tant d'autres un metier que 1'etat de prêtre, et que c'est ce qui le fait vivre, je ne pus m'empêcher de dire au major Tieman qui etoit avec moi ce passage de la Genèse : In sudore vultus tui vesceris pane.
597
Salomon a dit qu'il avoit tout vu sous le soleil. Je pourrois citer quelqu'un qui ne mentiroit point quand il diroit avoir vu quelque chose de plus, c'est-à-dire, ce qu'il y a au-dessus du soleil; et ce quelqu'un-là est bien loin de s'en glorifier.
598
Avant de nous plaindre des maux que nous souffrons, et des privations que nous eprouvons, surtout si c'etoit par l'ordre de la Providence, nous devrions commencer par remercier des biens qu'elle nous fait, et des presents continuels qu'elle nous envoye.
599
Au commencement de l'an 4, mon ami Kirchberguer sçachant la rareté du numeraire en France, et la difficulté d'y avoir le necessaire, même avec des assignats m'envoya de Berne où est sa residence, dix louis en or. C'est le premier argent, autre que le mien propre qui soit entré dans mes mains, malgré la detresse où je me suis souvent trouvé. Mon premier mouvement fut de le lui renvoyer sur-le-champ, d'autant que je n'en avois pas besoin, un de mes fermiers m'ayant donné la veille quelque numeraire en payement. La fierté de Rousseau qui a cté aussi son ami me vint à l'esprit. Mais j'y vis aussi une contradiction; c'est que s'il prêche tant la bienfesance, il faut donc ne pas l'arrêter dans son cours, et il faut lui laisser le prix de ses oeuvres. Cette idée m'a retenu. Un mouvement plus delicat que le premier, quoique moins eclattant m'a fait sentir qu'il falloit laisser à mon ami le doux plaisir d'avoir suivi son honnête impulsion, et de l'avoir conduite à son terme. J'ay donc gardé la somme uniquement pour lui, et non pour moi, car je n'y toucherai pas; je lui en ay envoyé un recepissé pour sa sureté; et je lui remettrai son argent à sa première requisition, si toutes fois je ne le lui porte pas moi-même, au premier moment que nos affaires politiques et de finances m'en laisseront la facilité. Je lui ay envoyé en même tems ma figure peinte par mon petit-cousin Tournier. Peu de terns après il m'a aussi fait cadeau de son portrait.
600
Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1796, j'ay perdu le seul neveu que j'eusse et dont j'avois lieu d'etre très satisfait à cause de sa bonne conduite envers sa femme et envers ma soeur. Cet evenement m'a causé une crise qui m'a arraché beaucoup de larmes, et qui a pris sur mes nerfs pendant quelques tems. C'est le troisieme mort que j'ay pleuré aussi amérement; mais ma douleur etoit moins l'effet de la rupture de nos liens de parenté, que de mes regrets que les circonstances mondaines qui l'ont environné ne m'eussent pas permis de tirer de son moral tout le parti qu'on en pouvoit attendre; aussi ceux qui en sont la cause me feront-ils un jour souffrir davantage. Aussi me suis-je dit : Si je le pleure avec de l'eau, il faudra eux que je les pleure avec du sang. Ma soeur par cet evenement devient tout à fait à ma charge; les contributions forcées du moment, et toutes les non-valeurs de ma fortune actuelle concourront encor à diminuer mon aisance pécuniaire. Mais j'ay autre chose à faire que de penser à ces miseres-là.
601
S' Paul auroit consenti d'etre anathême pour le salut de ses frères; avec combien plus de justice devrions-nous consentir d'être anathêmes pour Dieu, c'est-à-dire, pour que sa gloire arrive! Aussi j'ay eu quelquefois par sa grace le bonheur de lui dire, que quand même sa gloire dêvroit me couvrir de honte et me perdre à cause de mes crimes, je le priois de ne pas ! s'arrêter, tant je sentois en moi le desir qu'il avançât dans ses voies, et qu'il etendît sa connoissance et sa lumière parmy la famille humaine, la seule qui puisse le sentir, le contempler et le louer!
602
Quand je vois les hommes passer leurs jours à calculer tous les objets de leur servile interêt, je m'afflige grandement, parce que je sens combien par le ils s'arrêtent et se desorganisent; mais je remarque aussi combien la legereté de leur esprit est aisement detournée de ces calculs qui les interessent le plus. Au reste quand ils les suivroient avec une veritable ténue, et qu'ils les ameneroient au point de perfection auquel ils semblent tendre, j'aurois encor à leur demander : Sçavez-vous seulement ce que vous aurez à faire quand tous ces moyens-là seront dans la mesure que vous cherchez? Ils seroient surement fort embarrassés de me le dire. Ainsi les hommes passent leur vie à chercher les moyens nécessaires selon eux pour sçavoir comment ils la passeront, et non seule-ment ils passent jusqu'au dernier moment de leur vie sans avoir obtenu ces moyens-là, mais même quand ils les auroient obtenus, ils n'auroient encor absolu-ment rien, puisqu'ils n'apprendroient jamais là ce que c'est que de vivre, et comment il faut s'y prendre.
603
Malgré les fautes et les imprudences que j'ay commises dans l'administration de mon talent, je me suis senti souvent un tel respect pour les hautes vérités (surtout dans le genre actif) que j'aurois quelquefois préféré de passer pour un homme souillé et vitieux que pour un homme qui fût parvenu à ce haut rang; j'aurois voulu pour ainsi dire envelopper ces hautes verités sous une ecorce repoussante pour les laisser ignorer au vulgaire et au tems, persuadé comme je le suis que ni l'un ni l'autre ne sont dignes qu'elles leur soient connues et qu'elles approchent d'eux. V. n° 606.
604
Quelle douleur pour moi, de voir journellement l'homme dégénéré faire tant d'efforts pour se faire croire régénéré! Il n'y a pas un mouvement sur la terre qui n'ait ce but-là pour mobile. Voyez à present combien il y a de verités dans le commerce de la famille humaine. Mais si vous sondez plus profondement cette marche de l'homme, vous y trouverez aussi une grande demonstration de l'objet pour lequel il traverse ce bas monde.
605
M° de B. en sortant de sa prison de Marseille l'an 3, fit un tableau de sa maison de campagne où elle ne pouvoit pas aller encor, et elle s'y etoit peinte un livre à la main. Elle destinoit cet ouvrage à son amie Felicité, elle voulut y joindre des vers; elle m'addressa les deux premiers en me chargeant de faire le reste qu'elle etendoit par l'intention à environ cinq ou six strophes. Voicy ce que je luy envoyai en conservant les deux premiers vers de sa façon.
1
Tu vois cette retraite,
O ma Félicité!
La nature l'a faite
Pour la tranquilité.
Dans des jours plus propices
J'y goutai cette paix
Que le monde et ses vices
Ne connurent jamais.2
J'y consultois ces sages
Qui par des traits divins
Dans les differents ages
Ont frappé les humains;
Par leur doctrine sainte
Me sentant attirer,
A leurs leçons sans crainte
Je venois me livrer.3
Ils allegeoient d'avance,
(Car on les inspiroit,)
Les maux qu'en sa balance
Le sort me preparoit.
Ils enflammoient mon zèle
Aux cris des indigents;
Vers la source eternelle
Ils dirigeoient mes chants.4
Combien de fois mes larmes
Remplirent ce sejour!
Tu les connois ces charme;
Qu'offre le pur amour.
Tu connois ce mystere
Toi qui vois en tout lieu,
Dans ton semblable un frere,
Un pere dans ton Dieu.5
Aussi dans mon azile
Ton coeur regloit mes pas
J'en fesois mon mobile,
Je ne le quittois pas.
Pour moi de la sagesse
Il etoit le miroir;
Sans lui, dans ma simplesse
Je ne sçavois rien voir.6
Heures si pretieuses
En ces tems fortunés,
Heures delicieuses,
Revenez, revenez!
Qu'au nom de votre aurore,
De plus doux avenirs
Viennent se joindre encore
A ces doux souvenirs.
Le cadeau fut très bien reçu ainsi que les vers. On m'y devina, et cela rappella d'anciennes epoques que je n'ay point jugé à propos de faire revivre, ayant mis le pape en travers. Au reste j'ay trouvé que W' de B. fesoit un excès d'amitié envers la personne, et moi un excès de cajolerie. Nous voulons toujours tous nous mettre en avant, et occuper les autres de nous.
606
La grande et respectable verité m'a toujours paru si loin de l'esprit des hommes que je craignois bien plus de paroitre sage que fol à leurs yeux. Aussi, combien de fois me suis-je jetté devant eux dans des gaytés et des paraboles forcées qu'ils ne pouvoient expliquer qu'à mon detriment. Je sens même que quelquefois j'aurois poussé la crainte d'etre connu d'eux jusqu'à me laisser voiler par le vernis des vices et de la souillure. Et c'est là une de mes grandes douleurs dans ce monde, car Dieu sçait si je les aime ces malheureux mortels, et combien je voudrois qu'ils connussent les veritables sentiers par où ils devroient marcher. V. n° 603 où la même idée est exprimée sous d'autres mots.
607
Si le monde offre quelquefois au sage un stimulant qui fait sortir de lui des verités utiles et dont quelques bonnes aures peuvent profiter, il lui offre aussi un spectacle bien affligeant, en ce qu'il lui montre là combien les hommes y sont abusés par de grossieres meprises. En effet quand les hommes du monde ont soigné leur etre animal, qu'ils ne l'ont laissé manquer de rien, et qu'ils ont satisfait et prevenu tous ses desirs et tous ses besoins, ils croyent avoir tout fait, pendant que non seulement ils n'ont pas encor commencé l'oeuvre de leur etre, mais qu'ils ne sçavent pas que leur etre ait une oeuvre à faire, ni même qu'ils ayent un autre etre que leur corps. Quoique le rapprochement que je vais faire soit un peu gay, je ne puis me refuser à l'ecrire; ils me parroissent donc ressembler au medecin malgré lui qui dit à sa femme que quand il a bien bu et bien mangé il pretend que tout le monde soit saoul dans sa maison.
608
J'ay eu lieu de croire que la bonté de mon maitre me rendroit au centuple ce que j'avois perdu par mes lenteurs et la barbarie des circonstances, mais encor ce qui sembloit s'etre suspendu pour moi par les circuits que j'avois cté obligé de faire pour combattre chez les autres les ennemis de la verité, au lieu de travailler à etablir vivement en moi l'action universelle de cette verité; et je puis dire que rien n'est comparable à l'immense munificence de notre Dieu.
609
Autrefois je mettois beaucoup de mysteres pour parler de la verité aux hommes; c'est à ma premiere ecole que je devois cette marche qui est bien loin d'avoir tous les avantages qu'elle annonce, et qui ne convient qu'A ceux qui sont au premier rang, non seulement pour les lumieres, mais même pour l'actif. Aujourd'hui je prends une route plus analogue à ma franchise. Je montre le but tout de suite à ceux toutefois qui ne sont point craillés par les doctrines philosophiques; je le leur montre, mais je leur avoue que je n'y suis pas, et que ce n'est pas moi qui peux les y conduire. Quoique le monde soit bien peu avancé, la verité l'est cependant trop pour qu'on la traite autrement aujourd'hui, et je me trouve bien de cette methode.
610
Je ne sçais si je me trompe, mais il me vient si souvent des retours d'idées, et des armes si nombreuses et si peremptoires au sujet de ma discussion publique avec Garat n° 528, qu'il me prend envie de croire que les choses n'en resteront pas là, que cette discussion n'a eté qu'une escarmouche qui aura un jour d'autres suites, et que j'aurai occasion de me servir soit contre cette personne, soit contre toute autre, des moyens qui me sont envoyés de combattre sa cause. Le terns et les circonstances m'apprendront si j'ay tort.
611
Dans le genre des communications j'ay eu plus sou-vent du mauvais que du bon. Dans le genre des intelligences j'ay eu bien plus de vrai que de faux; et même je puis dire que cela a eté avec une majorité incommensurable puisqu'il m'est arrivé quelquefois d'oser dire que si je pouvois bien me tromper en qualité d'homme, cela ne m'etoit cependant pas encor arrivé en fait des grands objets. Je puis ajouter que j'ay eu peu de succès en fait d'oeuvres vives dans tous les genres, mais beaucoup plus dans l'ordre des comprehensions, et des apperçus; ce que dit B. que la Vierge n'engendre point me peint au naturel la complexion de mon esprit.
612
Le Christ en travail de la regeneration m'est surement très cher et très pretieux; que sera-ce donc du Christ triomphateur et reintegré dans sa gloire? C'est ce dernier Christ-là vers lequel toutes les facultés de mon etre se sont trouvées continuellement dirigées; et jusqu'à present j'ay toujours senti qu'il n'y avoit que celui-là qui pût me remplir, comme il n'y a que le Christ laborieux qui doive nous occuper pendant notre passage. Si je me suis trop, et trop tôt porté vers l'autre; cela tient à ma maniere d'etre constitutive qui fait que comme je l'ay dit ailleurs, on m'a envoyé icy avec des dispenses.
613
Quand je reflechis aux nombreux et continuels obs-tacles qui se sont attachés à poursuivre ma vocation spirituelle, et surtout à l'espece et à la nature de ces obstacles qui tendent plutôt à la laisser perir d'elle-même qu'à la combattre et à la persecuter, j'ose croire qu'il y aura pour moi un jour une compensation analogue, et qui sera aussi excessivement abondante en joye, en delices, et en liberté que les obstacles ont eté abondants et perseverants en privations, et en dénuements. Ce n'est que dans l'ordre de l'esprit que j'attends cette compensation soit dans ce monde-cy, soit dans l'autre; car j'ay eté trop bien averti sur les choses terrestres pour y rien chercher et pour en rien attendre. D'ailleurs les compensations sont toujours dans le genre des obstacles.
614
Je n'ay rien avec ceux qui n'ont rien, j'ay quelque chose avec ceux qui ont quelque chose, j'ay tout avec ceux qui ont tout. Voilà pourquoi lorsqu'on veut sçavoir ce que j'ay, il faut auparavant demander avec qui je suis. Voilà pourquoi j'ay eté si diversement jugé dans le monde, et la pluspart du tems si desavantageusement, car dans le monde, où sont ceux qui ont tout? Où sont même ceux qui ont quelque chose? C'est une reponse que je ne fis point, mais que j'aurois pu faire à Md° de La Bastrie qui me demandoit si Pavois un peu percé dans la litterature.
615
Dans le second trimestre de l'an 4, je fus mis sur la liste du jury pour le tribunal criminel de mon departement. Je ne cachai point mon opinion; je dis tout haut que ne me croyant pas le droit de condamner un homme, je ne me croyois pas plus en droit de le trouver coupable, et que surement tout en obeissant à la loi qui me convoquoit je me proposois de ne trouver jamais les informations et les preuves assez claires pour oser disposer ainsi des jours de mon semblable; et je n'avois pas de peine à justifier mon principe, parce que quel est le temoins que je puisse affirmer n'etre pas un menteur? Et quand l'accusé s'avoueroit coupable, n'y a-t-il pas des exemples d'innocents qui se sont devoués pour d'autres? Sans compter que mes idées sur les justices et les executions humaines n'ont fait qu'acquerir plus de force avec les années, et que je suis bien loin de croire, non seule-ment que les hommes sçachent faire justice, mais même qu'ils en ayent le droit. Mes observations par-vinrent aux autorités, et voyant que je ne remplirois pas leur but, on ne me mit plus depuis sur la liste. Si je fus content alors, cependant je me reprochai d'avoir parlé, parce que si j'eusse laissé agir le cours des choses, j'aurois pu en apportant mes dispositions à ce tribunal, y apporter aussi secrettement quelques amendements aux abus que les hommes y commettent tous les jours sous le nom de la justice. Mais quoique je fusse sur la liste, le sort ne m'appella cependant point au juri de jugement.
616
On ne m'a laissé voir le faux du monde d'une maniere si perseverante, et même on ne m'a laissé approcher si près et si souvent des precipices où nous marchons tous sur cette terre que pour m'apprendre à connoitre retendue des ruses, des mechancetés et des puissances de l'ennemi.
617
Les ornements, les vêtements, et les parures servent quelquefois à reveiller les idées, et les imaginations sensuelles du spectateur, mais ils servent plus generalement à distraire l'esprit, et à lui derober la pensée des nudités; et c'est ainsi que la sagesse sçait tirer parti du luxe et de la frivolité. En outre les vetements de 1'espece humaine empêchent la trop grande reaction du syderique par lequel passe l'ennemi. L'usage d'ensevelir les cadavres dans des linges propres doit avoir aussi un avantage, celui de faire que la reintegration soit moins contrariée; je note ces petites reflexions dans ce receuil parce que les grandes se trouvent ailleurs, et qu'on peut toujours voir là la tournure de mon esprit qui est sans cesse en travail, n'importe sur quel objet.
618
Le passage de l'Evangile : Voicy à quels signes on les reconnoitra : les poisons ne leur feront point de mal, ils toucheront des serpents, etc., s'est verifié sur moi dans l'ordre philosophique. J'ay lu, vu, ecouté les philosophes de la matiere, et les docteurs qui ravagent le monde par leurs instructions, et il n'y a pas une goutte de leur venin qui ait percé en moi, ni un seul de ces serpents dont la morsure m'ait eté prejudiciable. Mais tout cela s'est fait naturellement en moi, et pour moi, car lorsque j'ay fait ces salutaires experiences, j'etois trop jeune et trop ignorant pour pouvoir compter mes forces pour quelque chose.
619
Combien l'atmosphere du monde et ses usages retiennent l'homme dans l'ignorance et l'empêchent de trouver la verité, lors même que cet homme paroit tant la chercher ! Ces malheureux hommes sentent bien en eux le besoin de cette verité, ils sçavent même faire des tableaux satyriques et mordants contre ceux qui s'eloignent d'elle et qui nous trompent. Mais tout en parroissant desirer qu'elle vienne s'etablir dans son temple, ils ont soin d'en murer à chaux et à sable les portes et les fenêtres, et après l'avoir ainsi empêchée d'entrer en eux, ils se moqueroient et riroient hautement de quelqu'un qui pretendroit avoir fait une plus ample connoissance avec elle.
620
Les passions charnelles souillent le corps, mais les nullités du monde laissent l'esprit exposé à toutes les influences les plus destructives et les plus propres à nous jetter dans le néant et à nous y faire sejourner; oui, je pense que les blessures que nous nous faisons par la voie de la chair sont moins difficiles à guerir que celles que nous nous fesons au milieu du néant du monde.
621
Si nous sommes sages, nous servons de risée aux gens du torrent; si nous sommes fous nous faisons rire le demon. A quelles tristes extremités nous trouvons-nous exposés icy-bas!
622
Ma parresse à etudier, et par consequent mon peu de progrès en fait de ce qu'on appelle sciences et érudition tiennent à la nature de mon esprit qui est plus propre à discerner, à juger, à decouvrir, et à engendrer des clartés, qu'à amasser peniblement et lentement les decouvertes et les clartés des autres. Je suis, je crois, plus propre à l'engendrement dans cet ordre de choses, qu'à l'action laborieuse de recolter, et de moissonner; or il doit en etre de moi, alors, comme des femmes en couche; quand elles ont engendré leur fruit, elles restent ensuite sur leur chaise longue à ne rien faire. Je crois en effet que si j'eusse vecu plus habituellement avec des gens plus en etat de me connoitre et de m'appliquer à mon veritable emploi, j'aurois pu passer ma vie à engendrer et à rester sur ma chaise longue. N'ay-je pas dit dans mon Homme de désir : Prie dans le vif, et dors. C'etoit mon histoire que je faisois là sans le sçavoir.
623
J'ay un peu péché matériellement, et par là j'ay fait de grands torts à mon esprit. Mais j'ay au fonds de moi une consolation immense, c'est de sentir que mon esprit n'a pu un seul instant pendant sa vie pecher, (ce qu'on appelle,) contre Dieu; car je l'ay toujours regardé comme si grand, comme si au-dessus de moi, que sa gloire m'a toujours eté chere, et que je l'ay quelquefois prié de nie sacrifier plustot que de la laisser exposée à ramper ignominieusement sous le regne de Pharaon.
Oui sa gloire a eté mon objet suprême en ce monde, voilà pourquoi j'irai à lui avec confiance et esperance; car si cette gloire m'a eté si chere dans ce lieu où je ne la connois pas, que sera-ce dans le lieu où elle se developpera dans sa splendeur, et où je n'aurai plus de voiles materiels qui me la derobent?
624
C'est faire grand mal aux hommes que de travailler leur intelligence sans s'assurer auparavant s'ils sont veritablement resolus à travailler leur action. Car il n'y a alors de profit que pour la gloire du docteur; il n'y en a point pour sa sagesse, ni pour ses recompenses à venir, il n'y en a point pour le disciple, mais au contraire; enfin il n'y en a point pour la gloire de la verité qui ne se montre et ne se maintient que dans des voies où les mesures sont reglées, preparées, et entretenues par elle.
625
Je suis si peu curieux d'avoir gagné avec les hommes que quand ils me combattent et que je ne trouve pas avec eux de quoi placer à profit mes grandes bases, je leur fournis exprès de nouveaux arguments et de nouvelles propositions contre moi, afin qu'ils soient bien surs que ce n'est pas d'etre approuvé d'eux qui fait mon objet. C'est ce qui m'est arrivé avec une honnête personne à qui j'avois eté obligé de dire, par précaution contre ses obligeantes mais desorganisatrices instances, que j'etois. Sur-le-champ elle me riposta par des passages evangeliques qui montroient le danger de cette persuasion; alors je lui envoyai à mon tour ceux de St Paul : Je ne suis pas même digne d'etre appelle apotre; celui qui croit sçavoir quelque chose ne sçait pas seulement de quelle maniere on doit sçavoir. Et je ne lui envoyai que cela.
626
La priere de l'Espagnol : Mon Dieu, garde-moi de moi tient à un mouvement bien salutaire quand nous pouvons le reveiller en nous, c'est celui de sentir que nous sommes le seul être dont nous devions avoir peur sur la terre, tandis que Dieu est le seul etre qui n'ait peur que de ce qui n'est pas lui. On pourroit aussi ajouter à la priere cy-dessus la prière suivante : Mon Dieu ayez la bonté de m'aider d m'empêcher de vous assassiner. Et cette priere-là pourroit même tenir lieu de toutes les autres.
627
Les hommes avec leurs attaches à leurs fausses jouissances, et avec leurs regrets quand le sort les en prive me parroissent tels que cet enfant qui crie et se desespere quand on lui arrache de la main un morceau de biscuit; comme si etant dans la maison de ses pere et mere, il peut jamais rien lui manquer.
627
Je me suis dit quelquefois avec sincerité et desir que je ne serois rien tant que Dieu ne seroit pas avec moi, tout entier, partout et perpetuellement; mais je me sentois repondre intérieurement par la justice : Tu veux que je sois ainsi avec toi, et toi tu n'es jamais avec moi de cette maniere en quoi que ce soit; j'aurois cependant bien le droit d'attendre de toi la reciproque, et même des avances.
628
Ma cherissime amie de Strasbourg est la seule qui m'ait parlé clairement sur nia Lettre d un ami, au sujet de la Révolution françoise. Ses avis m'ont paru très sensés sur plusieurs points; et quand même sur certains autres, son opinion ne seroit pas aussi bien fondée, ces certains autres points seroient eux-mêmes assez peu importants pour que je gagnasse beaucoup à avoir raison à leur egard. Cette amie est après mon cher B la plus pretieuse perle visible que j'aye dans
ce monde.
629
C'a eté souvent une affliction pour moi de voir combien l'homme etoit injuste dans ses murmures, et combien il se nuisoit à lui-même par ces murmures injustes. Nous le voyons tous les jours se plaindre des rigueurs du sort et de la fortune à son egard, sans qu'il examine d'abord si reellement il est aussi dénué et aussi malheureux qu'il l'annonce; secondement sans se sonder lui-même, et sans observer s'il a merité même le peu de bonheur et d'aisance qui lui restent. Ainsi malgré cette inconséquence, il ne tire aucun fruit de ses epreuves quoiqu'il les ait souvent meritées, et attirées lui-même sur lui. Or c'est icy où nous voyons combien il est à plaindre; car au lieu de se lamenter comme il fait sur des epreuves si souvent meritées, il devroit sentir qu'il n'y a que les epreuves non meritées qui nous avancent et qui nous soient comptées dans les registres de la justice. Ainsi donc, s'il a tant de peine à supporter les epreuves meritées, et que même il ne cesse d'en charger l'injustice du sort, comment fera-t-il pour supporter les epreuves non meritées? Car les premieres ne dispensent pas des secondes; au contraire elles n'en sont ordinaire-nient que l'initiative et la préparation; et ce qui m'afflige le plus dans cette observation, c'est de voir que ceux qui se livrent le plus à ces injustes mur-mures, sont ceux qui néanmoins s'annoncent pour des croyans, pour des etres religieux, pendant qu'à mes yeux ils sont pires que des payens, puisqu'ils prennent un titre et un nom respectables, sous lequel ils se conduisent comme ceux qui en ont un tout opposé.
630
Ce n'est pas la clef qui manque le plus aux hommes pour pénétrer dans les verités, ce n'est même pas la serrure, car la serrure est partout, et la clef nous la portons tous en nous-même, mais ce qui leur manque c'est le discernement et l'attention de faire de l'une et de l'autre l'usage convenable, de faire soigneuse-ment le rapprochement des choses analogues, et de ne pas chercher dans la matiere avec l'esprit, ni dans l'esprit avec la matiere; car dans l'ordre de la verité la serrure et la clef sont de la même substance, c'est-à-dire qu'elles sont esprit toutes les deux. Mais les hommes font toujours comme s'il n'y avoit qu'une des deux qui le fût; c'est-à-dire que s'ils se croyent esprit, ils ne cherchent cependant que dans les sciences de la matiere, et s'ils croyent au principe divin universel, ils ne le laissent pas assez approcher d'eux pour se démontrer à eux-même la dignité de leur propre nature.
631
J'en veux bien moins à un idolâtre qu'à un deïste, parce que celui-ci abjure et proscrit toute communication entre l'homme et Dieu, et que l'autre ne fait que se tromper sur le mode et l'organe de cette communication.
632
Quoique ma fortune souffre beaucoup de la Revolution, je n'en persiste pas moins dans mon opinion sur les proprietés; j'y peux comprendre particulierement les rentes. Rien n'est plus eloigné de la racine que cet usage abusif du signe representatif de la proprieté; aussi je le trouve bien plus faux que la proprieté même. Tous nos profits, touts nos revenus devroient etre le fruit de notre travail, et de nos talents; et ce renversement des fortunes opéré par notre Revolution nous rapproche de cet etat naturel et vrai en forçant tant de monde à mettre en activité leur sçavoir-faire et leur industrie.
633
Une des vives douleurs de mon ame est de voir combien est grand le peché qui dévore le monde. Car ce peché n'est autre chose que de s'abandonner universellement à l'inquietude, à la defiance, et à tous ces mouvements cupides, et impatients qui entrainent tous les humains tandis qu'ils ont si pres d'eux l'abondante source qui pourroit leur procurer tout! Ils sont dans Dieu, ils vivent par Dieu, ils vivent de Dieu; et cependant ils vivent comme si Dieu etoit absent, ou plustôt, comme si Dieu n'etoit point.
634
Je me suis dit quelquefois que l'homme etoit un etre qui traversoit sans parapluye la region orageuse de cette nature toujours remplie de tempêtes; et je disois aussi avec la gayté qui m'est assez ordinaire qu'il y parroissoit à sa frisure.
635
Il y a pour la priere un degré encor plus elevé que celui du n° 626. C'est de sentir que la seule priere que nous aurions à faire ce seroit de travailler continuellement à ne pas empêcher de prier en nous celui qui ne peut cesser de prier pour nous, soit en nous soit hors de nous. Car c'est en nous qu'il aime le mieux prier, puisque nous sommes son oratoire, mais quand nous ne lui laissons pas l'accès libre il va prier hors de nous et il emporte sa paix avec lui.
636
Quand nous nous rapprochons des choses de ce monde, nous ne faisons que nous couvrir de chaines, parce que les choses de ce monde ne sont pas libres, et qu'elles ont une marche qui les fait toujours aller en se courbant, ce qui tient dans un etat de violence et de contrainte tout ce qui se trouve pris dans cette courbe; lorsque nous cherchons le regne de la vie, quelques efforts qu'il nous en conte, nous parvenons à la region de la liberté où tout ce qui s'y trouve agit pour nous, tandis que dans l'autre region tout agit contre nous.
637
Quelquefois nos crimes même tournent à notre profit, grace à la grande miséricorde divine. Car les retours qu'ils nous font faire sur nous-même, excitent en nous une sensibilité qui dispose notre coeur à en eprouver une d'un genre bien supérieur, et Dieu profite de cette disposition pour nous envoyer cette incomparable sensibilité. Voilà comment l'infinie sagesse a l'industrie de tirer en nous le bien du mal.
638
Je n'ay guerre eu de jouissances pleines en fait de jeux et d'amusements, soit dans mon enfance, soit dans ma jeunesse, et encor moins dans mon age mur. J'etois né pour jouir sans doute d'une autre maniere. On avoit comprimé mon ame, pour ainsi dire, dès le moment où j'ay respiré; voilà pourquoi dans mon enfance, quoiqu'etant très vif, une sombre gêne sembloit arrêter et detruire en moi tous les epanouissements dont mon coeur eut eté si susceptible! Cette gêne m'a suivi dans ma jeunesse; et les places de mon coeur qui auroient tant aimé à se remplir de ces jouissances franches et complettes, se trouvant vuides se remplissoient souvent par 1'orgeuil. Entre mille traits que j'en ay eus soit au college, au sujet de la musique, des habits de theatre dans des corne-dies etc., soit dans mes etudes et dans tous mes mouvements pendant mon trop long sejour dans le monde, je me rappelle qu'en jouant aux barres à Nantes pendant que j'y etois en garnison, j'eus à me plaindre du tambour-major qui ayant trop tardé à faire faire le roulement pour une prise faite par mon parti, nous avoit fait perdre un point; en lui faisant ce reproche je fus bien moins occupé de ce que je lui disois que de la foule qui avoit les yeux attachés sur moi, et dont je me plaisois à attirer sur moi les regards. Ces reflets d'amour-propre, ne m'ont que trop suivis dans ma grande carriere, tant les fruits amers que l'on seine en nous dans notre bas age, etendent loin leurs ramifications ! Mais grace à Dieu cette carriere se developpe pour moi sous des auspices si salutaires et si immenses que je ne doute point qu'elle ne me remplisse assez pour etre entierement aux jouissances qu'elle me procurera, et pour ne plus avoir de places dans mon coeur pour autre chose.
639
Depuis que mes grands objets s'annoncent d'une maniere si vaste, si imposante, et en même tems si douce, je crois voir la raison pourquoi la Providence n'a pas voulu les laisser ouvrir ainsi avant le declin de la Revolution françoise, c'est que si cela fut arrivé pendant l'effroyable rigueur de son cours, j'aurois eu trop à souffrir, et j'ay mille preuves reiterées que la Providence ne s'occupe pour ainsi dire qu'à me manager.
640
Tous les etres et particulierement tous les hommes ont un fonds secret, provenu de la séparation des proprietés lors de leur origine particuliere, et qui fait que malgré les secousses et les altérations que ce fonds eprouve soit de la part des circonstances soit de la part de leurs propres foiblesses, il arrive cependant à son terme lorsque la volonté de Dieu s'est assez prononcée pour s'y faire reconnoitre, car alors c'est elle-même qui par ses ingenieuses longanimités, ou par de nouveaux eclairs qu'elle lance dans l'ame, la reveille de son assoupissement, et la ramene dans la vraie voie. Voilà pourquoi avec le moindre petit grain de bonne volonté de notre part, il n'y auroit rien que nous ne pussions esperer.
641
J'ay vu une jeune personne (Clementine) favorisée des dons du coeur et de l'esprit, et beaucoup plus mure que l'on ne l'est à son age, etre peu contente de ce vers de Voltaire. Si Dieu n'existoit pas il faudroit l'inventer. Elle trouvoit le doute dans le premier hemistiche, et l'impieté orgueilleuse dans le second. Peut-etre y avoit-il un peu de severité dans son juge-ment, mais à coup sur il y avoit de la profondeur et des sentiments de bon genre. Elle me donna aussi un très bon avis sur le discours academique du 5è chant de mon Crocodile, où les choses vraies et respectables auroient pu etre comprises dans la derision comme les choses ridicules qui s'y trouvent si je n'avois pas pris la précaution de mettre un petit mot d'avis au lecteur avant le discours.
642
Ce n'est point la tête qu'il faut se casser pour avancer dans la carriere de la verité, c'est le coeur. Crocodile. Chant 5ème.
643
Dans le mois de juin 1796, un jeune soldat logeant à Tours par billet sans se nommer chez ses parents qui ne le reconnurent point pour leur fils, quoiqu'il les reconnut bien pour ses pere et mere, confia le soir en depot à sa mere jusqu'au lendemain une somme d'argent assez considerable; cela la tenta. La nuit elle persuade à son mari d'aller tuer le jeune homme; le mari se laisse gagner, le tue et le vole. Le matin l'oncle qui avoit vu le jeune homme la veille et qui sçavoit qu'il logeoit là, vient pour le voir. Les parents nient qu'il y soit. L'oncle monte à la chambre, trouve le cadavre; il declare aux assassins que c'est leur fils; il les dénonce et les fait arrêter. Je frissonnai d'horreur à ce recit; et sur-le-champ il me vint dans l'idée que si j'eusse eté plus jeune, j'aurois fait de ce sujet un drame où après avoir mis en scêne tous les details de cet evenement qui auroient pu y etre presentés, j'aurois gardé pour la fin la declaration que l'assassiné etoit le fils de l'assassin, ce qui eut eté possible, en fesant denoncer le coupable par une autre voie que l'oncle, et fesant juger et condamner le coupable par les voies ordinaires de la justice. Puis quand le jugement auroit eté près d'etre executé j'aurois fait venir un sursis par autorité du gouvernement, au moyen de quoi on auroit declaré au coupable la nouvelle qui devant etre plus cruelle pour lui que son supplice seroit censée le punir davantage; enfin on lui auroit dit : C'est son fils qu'il a assassiné; il doit trouver dans son crime même la punition d'avoir abusé de la confiance, et d'avoir versé le sang d'un homme par cupidité; qu'il vive pour expier dans la douleur l'abominable horreur qu'il a commise.
Mais je ne suis plus d'age à faire de ces entreprises, ma ligne vive me serre de trop près.
644
L'accomplissement de nos desirs secondaires et temporels nous donne du plaisir, mais il n'y a que le triomphe et la victoire qui nous donnent la paix et le repos. Aussi lorsque nous eprouvons quelques-uns de ces desirs dont je viens de parler, je voudrois, quel-qu'honnêtes qu'ils fussent, que nous ne nous livrassions point à leur accomplissement que nous n'eussions commencé par les soumettre et nous elever au-dessus; c'est le seul moyen de ne rien redouter de leur declin, ni de toutes les embuches dont ils peuvent etre composés. Cette idée me vint en causant avec ma cousine la Perchais, avec qui je traitois des matieres assez importantes et qui n'etoient point etrangeres à sa belle aine.
645
Ce n'est pas d'etre eclairé qui nous est le plus necessaire, ce n'est pas même d'etre averti, c'est d'etre soutenu, et on ne peut l'etre reellement que par les grandes et continuelles occupations de la grande tâche; encor est-ce peu de chose quand elle n'est que personnelle et individuelle. Nous sommes faits pour l'universalité.
646
Il faut que mon attract divin ait eté bien decreté et bien prononcé, puisque ni toutes les joyes humaines, ni toutes les seductions, illusions, passions, etc. par où j'ay passé n'ont jamais pu non seulement le detruire mais même en laisser naitre en mon coeur un seul autre qui lui fût contraire. Dieu en moi a eté plus grand que mes fautes et que mes foiblesses quoiqu'elles ayent eté extremes. Aussi quelles consolations n'ay-je pas à esperer! Mais aussi quelles douleurs n'ay-je pas à souffrir! Oui elles sont telles que si j'eusse eu le malheur de commettre les plus grands crimes, fût-ce même d'avoir tué mon pere, quelque fussent les douleurs que j'eprouverois d'avoir commis ces crimes les autres douleurs l'emporteroient encor sur celles-là. Enfin elles sont telles que les plaisirs les plus vifs ne pourroient pas non plus les effacer, car je sens que je pleurerois jusque dans les bras de ma maitresse, si j'en avois une; et je ne soupire qu'après le moment où les circonstances me permettront de donner un libre cours à ma douleur sans que le monde s'en apperçoive. Cependant s'il faut qu'il s'en apperçoive, je dirai comme le Reparateur : Que votre volonté soit faite!
647
Il est bien aisé de reconnoitre que dans les joyes de notre matiere, ce n'est pas nous qui sommes heureux, c'est notre bestialité.
648
Avant de nous livrer à des actes importuns nous aurions trois conseils à consulter; 1° si nous pouvons; 2° si nous voulons. 3° si nous devons. Malheureuse-ment presque toujours ce sont les circonstances qui nous tiennent lieu de volonté ou de desir, et ce sont nos volontés et nos desirs qui nous tiennent lieu de devoirs. Voilà pourquoi il y a si peu de choses dans l'ordre, et pourquoi il y a tant de déceptions et d'infortunes parmy les humains.
649
En voyant le peu de fruits que la simple intelligence, quelque deliée qu'elle soit, receuille et fait croitre dans le monde, j'ay eté quelquefois comme affligé de n'avoir eté appellé, pour ainsi dire, à travailler que dans une carriere aussi ingrate; mais quand j'ay reflechi combien la carriere divine elle-même avoit peu à se louer du traitement que lui faisoient les mortels, et combien la verité retiroit peu du coeur des hommes en comparaison de ce qu'elle avoit semé, j'ay cessé de me plaindre, et j'ay pris le parti de me recommander à Dieu.
650
Il nous est dit qu'il n'y avoit pas d'autre moyen d'avancer que de prendre notre croix et de le suivre. La mienne m'est clairement connue, elle consiste à ce que je dois marcher sans m'attendre à aucun secours humain, à chercher et à trouver Dieu au milieu de tout ce qui n'est pas Dieu, enfin à recevoir tout de Dieu, et à ne vivre, penser et agir que dans lui, par lui, et avec lui sans songer seulement s'il y a des circonstances, ou s'il n'y en a pas. Mon epouventable foiblesse me fait gemir sur cela à tous les pas. Aussi lui dis-je souvent à ce Dieu de m'epargner en ce genre, en ne me laissant pas si souvent à ma propre sagesse, parce qu'il n'y auroit pas de gloire à lui à m'exposer à des combats dans lesquels il peut etre sur d'avance que je défaillerai. Mais c'est à moi à me souvenir de ce qu'est ma croix, et à ne pas la laisser là quelque rude qu'elle soit.
651
Homme, veux-tu faire quelques progrès dans la carriere de la sagesse et de la verité, n'y entre pas que tu n'aye en quelque façon ecrasé le monde entier sous ton ongle comme une punaise.
652
Il faut à la fois que je puisse etre heureux partout et que je ne le sois nulle part; et vice versa.
653
Ma douleur dans la Revolution françoise a été de voir que parce qu'on rejettoit les vignerons, la pluspart des hommes croyoient aussi qu'il falloit rejetter la vigne, et c'est cette terrible consequence qui est si affligeante qu'elle me rend comme inconsolable, en sentant ce qu'il en doit couter à ceux qui en sont les causes.
654
L'homme est par rapport à la verité, ce que l'enfant est par rapport à l'ordre politique; ils ne sont pas plus avancés l'un que l'autre dans ces classes respectives; et l'enfant de trois ans comprend autant le congrès de la chambre de Vetzlard, que les hommes ordinairement comprennent ce que c'est que la verité.
655
J'ay dit quelquefois : Si Dieu m'a pardonné, qui pourroit se desespérer, et qui n'auroit pas au contraire la plus ferme confiance? J'ay dit aussi : Puisqu'il m'a pardonné comme on ne pardonne point, je fairai avec lui l'alliance de l'aimer comme on ne l'aime point, et de ne penser qu'à lui. Malheureusement je n'ay pas toujours eu la constance et la force necessaires pour lui tenir parole, quoique Faye senti qu'ils s'etoient convoqués en moi. Mais ma teinture est si entravée et si frêle que je ne me croirai un peu avancé que quand elle sera devenue plus substantielle, car ce n'est qu'alors qu'on peut nous connoitre par notre nom. Sans le developpement de cette teinture, et cela
, d'une maniere permanente nous ne sommes rien, absolument rien. Lisez les 3 pp. de B. ch. 13, depuis le n ° 23, etc.
656
Parfois la dignité de l'homme s'est tellement fait sentir à moi que je regardois cet homme comme obligé de garder perpetuellement l'incognito dans l'univers, tant l'univers entier etoit peu digne de le contempler.
657
Bien des gens disent souvent qu'ils sont bien payés pour croire que notre royaume n'est pas de ce monde; mais ils ne disent cela que parce qu'on leur ote leurs possessions et leurs jouissances dans ce monde, tandis que pour parler juste, ils ne devroient dire cela qu'autant qu'ils auroient reçu en effet quelques portions des tresors de l'autre royaume; il n'y a que ce moyen-là d'en faire la comparaison.
658
Une personne pieuse me consulta un jour sur quelques operations relatives à ses biens pour sçavoir si sa conscience y seroit ou non interressée. Je lui repondis que les deux extremes de la loi etoient connus, en ce que la loi de Moyse avoit dit de ne point voler, et que la loi du Christ avoit dit de donner tout son bien aux pauvres, que tout l'intermediaire entre ces deux points etoit remis à la conduite de l'homme, qu'il y avoit sans doute au milieu de cette grande ligne un centre de demarcation, que c'etoit à chacun à connoitre s'il etoit en deça ou au delà de ce centre, et que chacun etoit libre de s'approcher plus ou moins de celui des deux extremes qui l'agréeroit le plus.
659
Combien de fois les raisonneurs m'ont ils affligé en disant avec leur ténébreuse et arrogante raison : L'homme nait sans plaisir, vit dans l'extravagance et meurt dans la douleur, à quoi donc servoit-il de la créer pour etre ainsi un tableau exclusif des ténébres et de la souffrance? Mais j'avois à leur dire : Pourquoi faites-vous cette question si vous croyez qu'on n'y peut repondre; et pourquoi avez-vous besoin de la faire si vous etes dans votre situation naturelle, et s'il n'y en a pas pour vous une autre que celle où vous etes? Or s'il y en a une autre, que n'essayez-vous de la connoitre avant de vous plaindre. Peut-etre qu'alors vous ne vous plaindriez plus comme vous le faites, ou si vous vous plaigniez, ce seroit de vous et non pas de votre sort.
660
J'ay eté etonné quelquefois de voir le metier que faisoient les soldats, sçavoir celui de se faire tuer pour vivre. Mais quand j'ay reflechi plus attentive-ment j'ay vu partout la même inconséquence. J'ay vu que tout dependoit de ce que nous n'avions jamais à la fois deux affections dominantes; que tous les jours nous etions dans l'usage de sacrifier sans y penser notre santé et notre vie, à notre intempérance,
à nos veilles, à nos occupations, à nos devoirs d'état etc. parce que le soin de nous conserver est en nous un acte naturel et comme sourd tant il opere dans le silence, au lieu que les affections de nos plaisirs et de nos jouissances sont des sentimens extralignés qui ne subsistent que dans le desordre et nous etourdissent bien aisement par leur vacarme, attendu que les portes extralignées sont bien plus ouvertes chez nous que les portes naturelles.
661
Bien souvent je me suis apperçu à ma honte et à celle de l'humanité que les afflictions que nous nous faisions nous-mêmes etoient beaucoup plus rudes que celles que Dieu nous envoyoit. Peu de gens sçavent dire : Lætati sumus pro diebus etc. Ps. 89 : 15.
662
Des trois mots si nous pouvons, voulons et devons n° 648, le dernier a suspendu comme de lui-même un mariage pour moi parce qu'on ne l'a pas entendu, et qu'on est retombé dans l'humain.
663
Un ballet, une colere mal entendue ont eté pour moi une sauve garde qui m'a preservé d'un précipice dont je n'aurois peut-être pas sçu me garrer moi-même, et encor moins m'arracher; voilà comment la bonne Providence veille sans cesse sur nous et tire le bien du mal au moment où nous attendons tout le contraire.
664
Les hommes qui reduisent leur priere à demander des guides et des eclaircissements sur ce qui les concerne dans leur conduite et leur regime particulier n'ont pas la veritable idée de l'aeuvre. Dieu est bien plus pressé de cette oeuvre qui est la sienne que de tous nos regimes particuliers moraux et spirituels que nous sommes censés etre en etat de discerner et de diriger nous-même puisque cela nous est recommandé. Aussi lorsque les hommes lui font ces demandes il ne leur fait point de reponse la pluspart du teins; et s'il leur en fesoit une ce seroit pour ne leur pas dire autre chose que : Commencez par faire mon oeuvre; vous ferez vos affaires après.
665
On m'a jugé inconstant dans les choses de ce monde; on auroit plustot du me juger indécis si je devois m'y livrer, car en effet j'ay eté souvent en combat entre l'attrait de ces choses et la persuasion que le monde et moi nous n'etions pas faits l'un pour l'autre.
66
J'ay vu les hommes abandonnés géneralement à un tel néant que j'en etois grandement etonné qu'ils ne fussent pas encor plus mechants et plus malheureux, tant ils laissoient en eux de portes ouvertes au mal; et c'etoit là pour moi aussi une des grandes preuves de la surveillance continuelle de la Providence qui en agit avec eux comme avec des enfants qu'il ne faut pas quitter un seul instant, et qu'il faut preserver sans cesse de ce dont ils ne se preservent pas eux-même. Sans ma grande affaire j'aurois pu peut-être devenir encor plus nul et plus mechant que les autres hommes, car j'etois né beaucoup plus foible.
667
Pour connoitre veritablement la source de 1'orgeuil, il faut auparavant avoir connu aussi veritablement la source de l'humilité, et ce secret ne se trouve que dans les expériences de la regeneration. J'ay eprouvé en travaillant à la correction de mes Stances sur l'origine et la destination de l'homme, comment les poètes et les autres ecrivains humains arrivoient aisement à l'orgeuil; mais j'ay eprouvé aussi pourquoi ils n'en connoissoient pas la source. Il y en a quelques indices dans mon petit poème sure la poesie.
668
Celui qui comme moi est de la complexion sanguine, et à qui on ouvre tant de portes doit marcher avec de grandes précautions; car s'il peut aller loin sans se nuire, il pourroit nuire beaucoup à ceux qui n'auroient pas les mêmes secours, s'il les approchoit de trop près des regions plus grandes et plus fortes que leurs mesures. Et je suis bien loin de dire que j'aye toujours eu cette prudence soit dans mes discours, soit dans mes ecrits, soit dans ma conduite. Ma facilité a eté bien souvent compensée par ma foiblesse. Je regarde quelquefois comme un prodige que je ne sois pas devenu fou, tant mon esprit a eu de regions diverses à parcourir! Et tant je puis dire avoir fait de sauts perilleux en fait de sciences !
669
C'est le mardi 7 aoust 1792 à une heure après midi que j'ay fini le Crocodile, dans le petit cabinet de mon appartement de Petit-Bourg, donnant sur la Seine; c'est dans cette même semaine que la Revolution françoise a fait un si grand pas, puisque c'est le 10 aoust qu'arriva la grande bagarre à Paris où je m'etois rendu le 8. Je revins à Petit-Bourg le 16. Le Crocodile a reçu depuis lors de nombreuses additions, mais le fonds est le même que lorsqu'il fut fini à l'epoque cy-dessus.
670
Dans la constante privation où je me suis trouvé souvent de circonstances favorables à mon developpement et à mon soutien, il y a eu une reflexion qui m'a eté envoyée et qui surement me sera comptée, c'etoit de dire à Dieu que quelque fût la tenacité de cette privation, et l'opiniatre permanence du regne de la vanité jamais je ne pourrois parvenir à prendre le néant pour un Dieu. V. n° 650.
671
C'est une grande erreur que d'appeller ce monde un royaume tandis que tous les trônes que nous nous y formons à la journée sont tellement vermoulus que nous ne nous occupons qu'à les etayer par tous les bouts de peur qu'ils ne s'ecroulent, et que malgré tous nos efforts, ils sont dans un ecroulement continuel qui finit par un ecroulement complet.
672
J'ay raccomodé l'Ode sur l'origine et la destination de l'homme, et je luy ay donné le nom plus modeste de Stances. Quelques personnes ont pretendu que les principes qui y etoient exposés etoient plus propres à fixer les yeux des gens distraits que si ces principes n'etoient ecrits qu'en prose. Pour moi, soit en vers soit en prose j'attends fort peu de profit de toutes ces choses à moins que le lecteur ne soit régénéré. Il y a peut-être même plus de danger pour lui que ces tableaux philosophiques et religieux soient si soignés quant à la forme; parce que quand il sent le vers ronfler. dans ses oreilles, il se trouve content, et s'arrête 1à, sans songer qu'il faut en outre que les principes ou le suc de cette poèsie entre jusque dans son coeur, et s'y fixe de maniere à n'en pouvoir jamais etre arrachés.
673
Tout consiste pour l'homme à enroller tous ses desirs sous le grand etendard. Combien de fois me suis-je dit cela! Et combien de fois y ay-je manqué!
674
Une de mes plus utiles voies a cté de viser constamment et opiniatrément au tout à l'heure, au tout entier, au partout, et au perpetuellement.
675
Je me suis cru quelquefois dans le cas de me comparer plustot à un grenadier de la verité qui est chargé d'empêcher les filoux d'entrer dans la chambre de son Conseil, qu'au ministre qui entre lui-même dans cette chambre du Conseil; d'autrefois j'ay cru pouvoir me comparer au portefaix de Dieu, et de cette même verité; et ce titre m'agrée encor plus que l'autre, non seulement parce qu'il est plus humble, mais parce qu'il me paroit encor plus utile. Le grenadier arrête le mal, le portefaix peut apporter le bien quand même il ne sauroit pas ce qu'il porte.
676
L'envie de changer de place et de se transporter dans d'autres lieux que ceux où nous sommes, ou même de changer seulement notre situation et notre maniere d'exister, ne domine jamais chez nous que dans l'oubli de 1'oeuvre, et dans l'absence d'une sagesse ferme, profonde, et constante; avec une sagesse de ce genre, nous n'avons d'autre envie que d'avancer notre oeuvre, et nous pouvons partout avancer notre oeuvre, parce qu'elle est hors de l'empire des lieux, et des situations. J'ay senti surtout pour mon propre compte que je ne prenois jamais de moi-même une resolution, que je ne fesois pas un pas dans les choses de ce monde, que ce ne fût une erreur, et une foiblesse; mais j'ay senti aussi que souvent la Providence en nous abandonnant à ces erreurs et à ces foiblesses pouvoit avoir des plans sécrets relativement à nous, et que ces démarches inconsiderées ou nulles en apparence pou-voient quelquefois avoir pour terme un resultat utile et différent de ce que nos apperçus humains nous presentoient,.
677
Un théologien, (car ce n'est que dans cette classe oU l'on peut s'attendre à de pareils jugements) un théologien, dis-je, en lisant mes Stances sur l'origine et la destination de l'homme, dit, croiant en connoitre l'auteur : Si celui qui a ecrit cela n'avoit que dix-huit ans, cela seroit assez bon.
678
Tous les gens du monde ont deux fois plus d'esprit que moi; voilà pourquoi je me trouve à la fin en avoir toujours plus qu'eux, parce que je ne me sers que de celui que j'ay, au lieu qu'ils cherchent à se servir d'un autre esprit que celui que la nature leur avoit donné, et que, selon les principes, un doit l'emporter sur tout autre nombre, ou que selon une proposition connué, l'esprit qu'on veut avoir nuit à celui qu'on a.
679
Au sujet des effroyables tribulations qui ont affligé la France pendant la Revolution, on m'a fait quelquefois des objections Sur le sort de tant de personnes qui ont eu l'air d'etre comme abandonnées de la Providence. Ce que j'ay eu de mieux à repoudre est que nous sommes tellement affaissés dans la region inférieure et matérielle, que quand cette region vient à etre troublée pour nous, ou à nous etre otée, nous croyons que tout nous est enlevé, et que nous sommes sans resource. Nous sommes comme recoller au college; lorsqu'on le condamne au fouet, il pleure comme si tout etoit perdu pour lui; il se croit mort, parce qu'il prend son derriere pour toute sa personne.
Il n'en est pas moins vrai que le sort d'un grand nombre d'emigrés est veritablement lamentable, en ce qu'ils sont sans azile, qu'on les force de sortir de ceux qu'ils pouvoient avoir, et que pour en sortir, il faut entrer dans d'autres aziles qui leur sont def-fendus, puisque nos armées et nos differents traités de paix produisent ce desolant inconvenient. Moi-même j'ay eté embarassé un moment de resoudre cette question. Mais comme j'ay cru à la main de la Providence dans notre Revolution, je puis bien croire egalement qu'il est peut-être necessaire qu'il y ait des victimes d'expiation pour consolider l'edifice; et sure-ment alors je ne suis pas inquiet sur leur sort, quelqu'horrible que soit dans ce bas monde celui que nous leur voyons eprouver.
680
L'aumône ne m'a pas paru tenir à l'oeuvre, quoiqu'elle tienne à notre purification, et qu'elle couvre beaucoup de pechés comme dit l'Ecriture; aussi cette aumône quand je l'ay faite ne m'a pas paru une chose si importante par rapport à l'oeuvre quoiqu'elle le soit infiniment par rapport à notre salut; il me semble que quand j'ay donné à un malheureux et que j'ay soulagé un pauvre je n'aye pas même fait là une chose qui puisse se compter, tant cela va de droit. Cette maniere de sentir de ma part vient de ce que je n'ay de veritable et entier attrait que pour l'oeuvre, que pour ce qui tient à l'oeuvre, et pour ce qui nous avance vers l'oeuvre. Aussi le monde qui ne sçait pas ce que c'est que 1'oeuvre s'extasie-t-il devant la bienfesance et devant l'aumône, et puis il reste là.
681
Dans mes gaytés je me suis avisé quelquefois de nommer l'homme le cicerone des regions divines, et des curiosités eternelles.
682
Je n'ay cessé de dire que tout le monde travailloit continuellement à chercher la pierre philosophale et la quadrature du cercle, mais que tout le monde cherchoit ces choses-là dans le faux comme les geomètres et les alchymistes; et que c'etoit pour cela qu'on ne trouvoit rien. Car ce ne seroit pas trouver ces choses-là que de les trouver dans la matiere et dans les calculs et figures geometriques.
683
Quelquefois je me persuade que j'ay passé le monde, comme dans ma jeunesse j'ay eu passé de bonne heure la frivolité. Mais si dans le vrai j'ay passé le monde dans mon intelligence je sens bien que mon homme de péché est bien loin d'etre au delà de ce monde, et qu'il en est presque toujours en deça.
684
Parmy les douleurs spirituelles que j'ay si frequemment eprouvées, et qui semblent etre ma destination dans ce monde, il y en a une qui est comme journaliere pour moi, c'est de voir les hommes si peu curieux de s'expliquer les choses. Cela me prouve ou qu'ils n'ont pas en eux le moindre desir au-dessus de ceux qui sont de la classe de la bête, ou que, s'ils ont dejà quelques apperçus des verités superieures, il faut qu'ils les jugent bien mal de croire qu'elles s'arrêtent au point où ils sont parvenus, et qu'elles ne procedent pas à tous les instants, et n'engendrent pas sans cesse d'elles-même des verités nouvelles.
J'ay eu une autre douleur, c'est de voir des curieux se reposer si confidemment sur des noms pour avancer, tandis que c'est peu connoitre la marche de l'esprit, non plus que celle de Dieu même que de leur répeter leur nom avec tant d'empressement comme si nous ne devions pas etre surs qu'ils sçavent ce nom beau-coup mieux que nous.
685
On me dit toute la journée dans le monde : Telle idée, telle opinion sont reçues. On ne sçait pas qu'en fait d'opinion et d'idées philosophiques j'aime beau-coup mieux les choses qui sont rejettées que celles qui sont reçues.
686
Pour peu que vous approchiez des hommes, vous ne tardez pas à vous appercevoir qu'ils ne sont presque tous que comme autant de morceaux de lard parlants, remuants, marchants etc.
687
Lettres sur les ouvrages et le caractere de J.J. Rous-seau par M la baronne de Stael.
Elle dit page 94, que c'etoit un homme qu'il falloit laisser penser sans en exiger rien de plus, qu'il falloit conduire comme un enfant, ecouter comme un oracle.
Elle fait tort à ce dernier trait de son tableau en disant page 91, que l'imagination etoit la premiere de ses facultés, et qu'elle absorboit même toutes les autres, qu'il revoit plustot qu'il n'existoit; et en disant page 93, que Rousseau n'etoit pas fou, mais qu'une faculté de lui-même, l'imagination etoit en démence. Car si sa principale faculté etoit en demence, quelle confiance les autres pouvoient-elles inspirer? Et que ne risquoit-on pas en le voulant ecouter comme un oracle?
Au reste il y a dans ce portrait quelques couleurs qui me ressemblent infiniment, et qui ajoutent à ce que j'ay dit dans plusieurs endroits de ce receuil sur les rapports de cet homme avec moi.
688
J'ay extremement négligé ma maison de Chandon pendant mon sejour à Amboise depuis la cloture des Ecoles normales; je n'y allois presque point. Je préférois de rester en ville; non pas que je ne sois un etre d'habitude et que je n'eusse passé, utilement pour moi, mon tems à la campagne, quoique cependant une solitude absolue me soit peu favorable, mais c'est que je trouvois toujours en ville quelques coups de pioche à donner dans de bonnes ames, et que ce genre de travail m'attraie encor plus que celui qui ne m'est que personnel. D'ailleurs j'ay trouvé tant de fausseté dans les gens de campagne qui m'environnoient que je les ay fuis tant que j'ay pu, surtout depuis un certain jour qu'on m'avoit volé des poires dans mon jardin, et qu'en voulant eclaircir la chose je vis que Pavois affaire à des gens qui ne pouvoient pas ouvrir la bouche qu'il n'en sortît un mensonge.
689
On a eté etonné que j'aye paru si froid sur mes petites productions poétiques; et en effet je sais que malgré le cas que quelques personnes ont bien voulu en faire, elles sont bien loin de meriter les regards des fameux en ce genre. D'ailleurs fussent-elles plus merveilleuses, je sais qu'il y a des occupations et des plaisirs si fort au-dessus de ceux-là que je n'ay aucun merite à classer mes poésies comme je le fais.
690
En causant un soir avec ma cousine Perchais, je luy dis que la raison pour laquelle je me jettois avec tant d'ardeur et si exclusivement dans ma voie superieure et providentielle c'est que par moi-même j'etois l'etre le plus chetif, et le plus dénué qui fût au monde, et que sans cette voie si dominante et si imperieuse pour moi je n'aurois absolument rien. Il y en a qui sont traités autrement que moi, et comme dans leur qualité d'homme on leur a donné plus qu'à moi, ils n'ont pas besoin de remonter si haut que moi pour trouver leur subsistance. Mais ce que je fais pour mon compte, j'engage aussi beaucoup les autres à le faire pour leur plaisir et leur bonheur. Voilà un de mes traits les plus réels.
691
C'est une verité certaine que les meilleures choses que nous apprenons sont celles que les hommes ne se disent point les uns aux autres; ainsi probablement nous saurions tout, si les hommes ne nous disoient rien; et en même tems la raison pour laquelle les hommes ne sçavent rien c'est parce qu'ils ne cessent de se dire tout.
692
Dans mon livre Des Erreurs et de la vérité j'ay dit que Dieu etoit notre terme de comparaison, et qu'alors quelqu'avancés que nous fussions, nous n'aurions jamais lieu de nous enorgeuillir puisque nous serions toujours si loin de notre modele. Pour ceux que cette idée peut-être un peu trop elevée ne pourroit atteindre, je substitue dans mes discours le mot devoir au mot Dieu, et je me suis apperçu qu'il n'operoit pas un mauvais effet; et je dis aux hommes : Si vous voulez etre humbles et en mesure, ne vous confrontez point avec des hommes, mais confrontez-vous avec vos devoirs.
693
Quand je paroitrai devant le tribunal de Dieu je lui dirai : Je sais que j'ay eté souillé, que j'ay mille fautes à me reprocher, et qu'il est imposible que vous ne me fassiez pas subir toutes les rigueurs de la purification; mais je sais aussi que vous m'avez envoyé mille faveurs et mille bontés qui ne sont que vous-même, et qui se sont tellement combinées avec moi, qu'elles et moi ne fesons plus qu'un; il est donc impossible aussi que vous me rejettiez à jamais de votre face, car si vous m'en rejettiez, il faudroit aussi que vous vous en rejettassiez en même tems vous-même.
564
Il y a un nombre infini de gens qui ne peuvent prier sans image, et sans crucifix. Ils ne savent pas que la seule image qu'il nous soit permis et utile de contempler c'est nous, comme etant les seuls qui soyons l'image de Dieu. Ils ne savent pas non plus que ce n'est pas devant les yeux mais dans le coeur que nous devrions chercher à avoir le crucifix, que même nous devrions chercher à y avoir le crucifié, afin de pouvoir en chasser le crucifiant.
695
II y a des etres en qui ce que B. appelle le salniter et l'astringent sont, l'un trop peu vif, et l'autre trop peu ferme pour que les explosions de l'esprit soient bien saillantes, et les oeuvres actives encor moins; par cette foiblesse, et ce relachement, les explosions sont douces, la communication insensible, et les faits plus enclins à la generalisation, qu'à la violente particularisation dont ces etres-là sont peu susceptibles. A la gloire temporelle près, le lot de ces etres est peut-être le meilleur qu'on puisse desirer; quoiqu'ils soient dans le tems ils y sont comme n'y etant point, et ils demeurent autant par nature que par naissance, et par circonstance dans l'eternité. Je connois quel-qu'un qui me touche de prés à qui ce portrait-là ressemble beaucoup.
696
M" Le Couvreur au lit de la mort, dit à ses amis qui la regrettoient qu'elle ne laissoit au monde que des mourants; je pourrois en dire un peu plus qu'elle, c'est que tous les hommes de la terre ne m'offrent pendant toute leur vie que l'image de leur enterrement; tant au moral qu'au physique. Leur corps ne sort du sein de leur mere que pour marcher chaque jour vers leur cimetiere. D'où m'est venu ce vers : Ce long enterrement qu'on appelle la vie !.. Et leur esprit ne se met en mouvement que pour s'acheminer sans cesse vers les ténébres qui sont leur sepulchre.
697
Je me dis quelquefois que nous n'avons pas autre chose à penser sur la terre qu'au soin continuel de nous faire papes; et ceux qui ont l'oreille ouverte au mot sanctitas m'entendront. J'en ay dit un mot dans le petit ecrit : De l'Esprit de l'homme page 7, au sujet des divers noms de l'homme.
698
Dans un de mes ecrits j'ay dit que ce n'etoit point de la mort que les hommes avoient peur, que c'etoit de la vie; j'ay ajouté depuis dans une conversation que les animaux n'avoient point la vie et qu'en consequence ils n'avoient point peur de la mort quoiqu'ils repugnassent à leur destruction.
699
Dieu nous livre quelquefois dans notre marche terrestre à nos simples mouvements vagues et indéterminés dans lesquels nous devons eprouver ou des contrarietés, ou des privations, et cela afin que nous ayons occasion d'exercer notre patience, et notre cou-rage qui pourroient s'affaisser sans cela. J'ay fait cette reflexion à Amboise au commencement de l'an 5 tandis qu'il s'agissoit pour moi d'aller à Montigny près Cloyes, et de là à Paris, puis en Suisse, et tandis qu'il s'agissoit aussi d'autres projets pour me retenir dans mon pays natal. Ma premiere epoque a eu lieu dans mon voyage à Bordeaux, voyage que j'entrepris sans avoir de motif bien saillant aux yeux de la raison comme je l'ay dit ailleurs. Ma seconde epoque a eu lieu dans mon voyage à Strasbourg, voyage qui etoit encor plus vague que le premier, quoique cependant j'eusse dejà quelque connoissance à Strasbourg. La troisieme epoque que j'attends ne peut elle pas aussi avoir lieu dans un voyage? C'est ce qui me rend moins eloigné de celui qui se projette. Ce n'est pas que cette 3 epoque telle qu'elle se montre à moi ne soit de nature à s'accomplir partout; mais aussi elle est de nature à demander peut-être quelque confrere dans le même genre, et je ne serois point etonné que le voyage en question ne me le procurât. (Ce voyage ne s'est point fait)
700
J'ay souvent essayé par mes efforts de toute espece à me viriliser dans l'humain, et j'ay toujours fini par sentir qu'on ne vouloit me viriliser que dans le divin. Souvent même j'ay senti que cette virilisation divine souffroit un peu de ma foiblesse dans ma virilisation humaine, parce que c'est celle-cy qui devroit etre la terre de l'autre, et comme son vase. Or comme ce vase etoit chétif et trop facile à traverser, le baume qui y descendoit s'echappoit trop aisement et n'y restoit pas.
701
Quelquefois la violence dans ma marche spirituelle m'a fait avancer quelques pas, mais ces pas forcés etoient de peu de consistance en ce que ma marche forcée n'etoit pas soutenue; je prefere infiniment la voie douce, simple et intérieure par laquelle la racine intime même peut se reveiller; car si cette racine intime et divinement centrale peut se reveiller elle doit apporter tout avec elle, et sa reproduction universelle ne doit plus pouvoir s'interrompre; voilà pourquoi il est si avantageux de marcher par cette voie, parce qu'alors nous n'avons pour ainsi dire plus rien à faire. Aussi dans mes moments de bien-aise me suis-je dit souvent que le commerce de la verité finiroit par etre un vrai commerce de parresseux attendu qu'elle fesoit tout pour nous.
702
C'est sans mechanceté et uniquement comme observateur que j'ay remarqué que le premier de la troisieme race de nos rois avoit le surnom de Capet, et que le dernier de cette même race ait fini par l'amputation de sa tête, caput. Ce rapprochement du commencement et de la fin de cette dynastie m'a paru singulier; et quant â ce jugement et à ce supplice que le dernier Capet a subis, j'ay assez montré que l'homme n'avoit ni le droit de juger ni le droit de tuer. Aussi je ne voudrois pas etre à la place de ceux qui s'en sont mêlés.
703
Les Ecritures Saintes semblent quelquefois chercher à piquer la jalousie de Dieu en lui representant que s'il n'arrête pas le mal on pourra dira à Jerusalem : Où est ton Dieu. Pour moi dans des circonstances ou la force menaçoit de lier sous son joug, des hommes qui ne cherchoient que Dieu j'ay osé dire à ce Dieu : On te prendra pour l'esclave de l'iniquité, et on te
croira contraint d'en faire le service. Cette idée hardie n'a jamais eu que de bons effets.
704
Jusqu'à present c'est-à-dire le 8 1796 je puis dire n'avoir jamais encor passé une soirée selon mon gré; et celle d'hier est la premiere. Elle s'est passée à causer des mathematiques avec le fils Perceval de Thoumaux qui y est fort, et qui s'accomoda de mon petit souper. Cette douce soirée me valut la nuit un sommeil doux de sept heures de suite, ce qui ne m'etoit peut-être pas arrivé depuis ma jeunesse excepté à mon retour d'Angleterre en 1787. J'avois eté quelques jours avant à Mosne chez son père, à qui mes ecrits ont eu le bonheur de faire quelque bien, et chez qui je vis une aimable ex-religieuse, Mao S`- Potentien fille de M" de St-André et soeur de Ma° Der-vaux.
705
Un jour qui etoit celui de la fête de ma cousine Perchais on m'engagea de faire pour elle seulement quatre petits vers. Vfi mon peu de gout pour ce genre de travail, je ne voulus m'engager à rien positivement, mais je promis d'y reflechir. Je n'avois que la matinée pour y songer. Je me renferme, je me consulte, et puis je me mets à ecrire ce qui suit.
De la cousine on sçait que c'est demain
Le fête patronale, aussi viens-je au lutrin
Entonner en plein coeur, au nom de la voisine,
Un hymne où je n'ai point epargné mon latin.
(L'ortographe de coeur à ce que j'imagine,
Paroitra d'un ignorantin,
Mais c'est ainsi qu'ecrit le pauvre chapelain
De la cousine.)
J'aime, (allons qu'on fasse refrain,)
Et son humeur egale ou la gayté domine
Et sa candeur, et son jugement sain.
J'aime surtout son amitié divine,
Qui, soit le soir, soit le matin,
Lui donne un zele plus qu'humain.
J'aime quand elle me badine
Avec son petit air lutin.
J'aime tout ce qui vient enfin
Quand sur tout cecy je rumine,
Je vois deux lots charmants dans mon heureux destin,
L'un d'offrir en ce jour et de ma propre main
Cette fleur à la Seraphine,
Et l'autre d'etre le cousin
De la cousine.
De la cousine.
706
Je pourrois trouver une raison secrette pourquoi le seul des deux cent regiments de France où je devois faire la decouverte de ma pretieuse mine se nommoit le regiment de Foi-X et pourquoi c'est dans ce regiment-là que le ministre Choiseul me plaça quoique je n'en connusse aucun dans toute l'armée. Mais cette raison-là ne conviendroit pas à tout le monde; ainsi je la garde pour moi.
707
Quoique j'aye reconnu la main de Dieu dans la sup-pression du culte en France par l'effet de la Revolution, je sens néanmoins le tort que cette suppression fait aux foibles, et je ne puis m'empêcher d'en mettre la coulpe sur les prêtres. Ce culte, tel qu'il est devenu par l'ignorance n'avance pas beaucoup l'homme, il est vrai, mais malgré son efficacité précaire, il a une pompe qui fixe les sens grossiers et inferieurs, et qui les empêche au moins pour un moment de s'extraligner et de s'extravaser comme ils le font sans cesse; en outre les ames pures, et même les ames fortes ont toujours dans ce culte des profits à faire. Ainsi gare à ceux même qui ne sont que les instruments de son abolition; mais gare encor plus à ceux qui en sont les causes. Cette partie religieuse que j'ay traitée dans ma Lettre a eté regardée comme un sermon de la part des gens du monde et comme une impieté de la part des prêtres et des devots. Je crois toujours néanmoins que ce sont les prêtres qui ont retardé ou perdu le christianisme, que la Providence qui veut faire avancer le christianisme a du prealablement ecarter les prêtres, et qu'ainsi on pourroit en quelque façon assurer que l'ere du christianisme en esprit et en verité ne commence que depuis l'abolition de l'empire sacerdotal; car lorsque le Christ est venu, son tems n'etoit encor qu'au millenaire de l'enfance, et il devoit croitre lente-ment au travers de toutes les humeurs corrosives dont son ennemi devoit chercher à l'infecter. Aujourd'hui il a acquis un age de plus, et cet age etant une génération naturelle doit donner au christianisme une vigueur, une pureté, une vie, dont il ne pouvoit pas jouir encor à sa naissance.
708
Voulez-vous que votre esprit soit dans la joye? Faites que votre ame soit dans la tristesse. Cette idée qui n'est qu'une nuance de la base fondamentale du travail universel de l'homme m'est venue après la lecture d'un passage que l'ami D a inseré dans une lettre de mon Suisse, et où il peignoit fortement au sujet de mes Stances ce qui avoit entendu le bruit de la renommée de la verité, de la lumière, et de la vie. Ce coup d'épaule m'a servi, mais il auroit pu me servir davantage, ou au moins me servir autrement si je n'avois pas eté si chetif.
709
Le 13 Brumaire de l'an 5, c'est-à-dire le 4 9"° 1796 je suis parti d'Amboise pour Paris, sans autre motif que celui de venir prendre langue sur les divers objets relatifs à mes occupations favorites; besoin qui se faisoit un peu sentir depuis les 18 mois que je venois de passer dans mon desert, besoin, cependant que je ne croyois pas absolument insurmontable si j'avois eu la force de suivre seul et constamment la vaste carriere qui m'est ouverte. Je suis venu loger chez les Corberon rue Barbette au Marais n° 473. J'y etois parfaitement bien quant aux soins du corps, quant au temoignage de l'amitié et quant aux douceurs d'une societé sure et bien pensante; malgré cela j'ay eprouvé une si grande opposition de la part de 1'atmosphere de Paris en comparaison de l'air pur que je venois de quitter que mes pensées se porterent involontairement vers mon pays, où d'ailleurs j'avois formé dejà des liens spirituels, et où je sentois que je pourrois me livrer à mon oeuvre avec plus de loisir et plus de fruit. La Desbordes logeoit dans la même maison; mais je la voyois peu parce que nous ne marchions pas du même pied.
710
Au sujet de mes ecrits, particulierement ceux sur le noyau de l'association humaine, je me suis dit quelquefois que si les hommes avoient eu des oreilles pour entendre ces verités je n'aurois pas eu besoin de les ecrire; cela peut paroitre baroque, mais cependant cette idée merite la reflexion du lecteur.
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Parmy les traits frappants de la Revolution j'en ay appris un à Paris qui m'a paru des plus marquants, c'est que ces mêmes marquis et autres grands qui doivent si peu se plaire à cette Revolution sont reduits pour la pluspart à servir de suppleants dans les corps de gardes pour la deffendre; et n'ont d'autre moyen de gagner leur vie que ce triste role qui precedemment etoit celui des derniers malheureux; souvent même il peut arriver que ce soient ces mêmes malheureux qui devenus riches donnent aujourd'hui, quand leur tour de garde arrive, un ecu à ces marquis pour les remplacer, et leur font même encor par là un grand plaisir puisque sans cela ils mourroient de faim.
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Le 14 9' ou dix jours après mon depart d'Amboise pour Paris, mon cousin germain, Hubert, est mort à Amboise d'une apoplexie qui lui a ()té sur-le-champ la connoissance, et l'a emporté comme un coup de foudre au bout du second jour. Ce parent avoit marché dans le temporel et avoit mis tout son esprit et toute sa volonté à eloigner de lui tout ce que ma ligne auroit pu lui procurer. Sa mort m'a vivement affecté, cependant moins que celle de mon neveu, sans que je sçache pourquoi. Je me suis jetté dans l'union de la plenitude divine avec ma plenitude pour pouvoir ensuite verser sur lui la surabondance des secours dont il pouvoit avoir besoin; j'ay representé au tribunal son ignorance pour lui obtenir misericorde. J'ay senti que nous pouvions devenir comme des canons divins dont Dieu se servoit pour detruire ses ennemis et les ennemis de nos freres et de nos amis.
713
Berthevin libraire à Orleans m'a fait des confidences qui demanderoient de moi plus de vertus que je n'en possede, mais je lui ay repondu de mon mieux.
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En bouquinant à Paris le 21 9"° 1796 sur le pont Notre-Dame je trouve un marchand criant des livres à un sol la piece. Je m'approche de son tas de livres qui etoient par terre sur un tapis, et en furetant il m'en tombe un sous la main intitulé : Lumiere née en tenebres par Anthoinette Bourignon. Je prends le livre, je donne un sol, et je m'en vas. Ce n'a pas cté une aventure indifferente pour moi de voir que l'on donnât à si vil prix un ouvrage qui sans etre correct ni très etendu renferme cependant des choses infiniment pretieuses.
715
J'ay fait un gros mensonge à la Bibliotheque nationale à Paris. J'y demandois à lire un ouvrage relatif à mes objets, et que je designay par le nom de son auteur. On me demanda de quoi il traitoit. Je repondis qu'il traitoit de mysticité, que la personne qui l'avoit ecrit etoit une folle, une visionnaire. Ce mensonge tenoit à ma crainte egoiste de passer pour donner dans de pareilles choses; mais il outrageoit la verité d'abord à mon egard, puis à regard de la personne dont je pensois bien differemment que je ne le disois, enfin à regard de Dieu et de la sagesse dont je croyois cette personne remplie, et à qui j'ay manqué en evitant de reconnoitre hautement cette sagesse sur la terre.
716
La premiere science que bien des gens devroient chercher à acquerir, ce seroit celle de sçavoir se faire enseigner; j'ay vu des personnes me rechercher, et ne pas sçavoir me tirer une parole moi qui ne demande pas mieux que de parler, quand j'en trouve de favorables occasions.
717
J'ay entendu souvent dans le monde objecter des histoires de chien pour combattre la spiritualité de l'homme; et c'est même là l'argument le plus en usage parmy les ignorants et les esprits legers qui ne sçavent rien approfondir. Mais j'ay repondu aussi quelquefois
à ces gens-là : Messieurs faites-nous donc egalement des histoires d'homme; puis nous les confronterons avec les histoires de chien, et nous en verrons la difference. Un juge entend toujours les deux parties.
718
Il m'a fallu un tems bien long pour decouvrir pour-quoi j'ay trouvé tant d'obstacles dans ma vie aux jouissances des talents soit dans les arts soit dans la litterature et ce que le monde appelle les plaisirs de l'esprit. La raison de cela est que toutes ces choses ne sont que pour notre joye particuliere et pour notre propre compte, tandis que nous ne devons etre icy-bas que pour le compte de Dieu; c'est une verité dont par rapport à moi il m'est aujourd'hui impossible de douter, ayant appris de la maniere la plus convaincante ce que c'est que d'etre au monde pour le compte de Dieu. V. n'' 828.
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Les hommes en general m'ont cru doux; mais peu d'entre eux ont connu jusqu'où alloit cette douceur de ma part à leur egard. Elle alloit souvent jusqu'à les ecouter en silence et les laisser jaser devant moi tout à leur aise sur toute sorte de sujets quoique je fusse bien convaincu de leur ignorance d'après le flux de leur parole, et quoique je fusse intérieurement dans la souffrance de ce qu'etant avertis comme ils devoient 1etre (je parle pour ceux qui m'environnoient) ils se livrassent cependant avec tant d'imprudence à tous les tourbillons qui entrainoient journellement leur esprit et leur langue, comme s'ils n'eussent pas du se conduire autrement que les payens. J'allois quelquefois jusqu'à laisser de coté mon objet même pour les laisser m'etourdir de leurs bavardages, et je n'osois pas leur donner le moindre signe de desapprobation de peur de leur deplaire. Ils ne se doutoient pas que je les regardois comme des enfans, et comme des enfans gatés, et que je ne trouvois pas même assez avancés pour pouvoir etre avertis. Oh s'ils savoient ce que c'est que d'avoir à derober aux yeux des autres la chose divine, ils verroient ce que c'est que la douceur, et combien la chose divine donne de moyens et de resources en ce genre.
720
Ce n'est pas de croire avoir de l'esprit devant les hommes qui est un grand mal, c'est de croire en avoir devant Dieu. Et malheureusement la premiere de ces croyances n'a que trop souvent conduit à l'autre; cette idée m'est venue à la suite d'un entretien avec Savalette de L'Ange à qui j'administrai une prise de mon spécifique sur la restauration, en comparant selon ma gayté ordinaire ce specifique à l'amour medecin.
721
En reflechissant sur les rigueurs de la justice divine qui ont tombé sur le peuple françois dans la Revolution, et qui le menacent encore j'ay eprouvé que c'etoit un decret de la part de la Providence; que tout ce que pouvoient faire dans cette circonstance les hommes de desir, c'etoit d'obtenir par leurs prières que ces fleaux les epargnassent mais qu'ils ne pou-voient atteindre jusqu'à obtenir de les empêcher de tomber sur les coupables et sur les victimes.
722
Quand les gens du monde voyent un homme de Dieu avancer dans ses voies, ils rient de lui; quand un homme de Dieu voit les gens du monde avancer dans leurs mesures fausses et nulles, il pleure et implore sur eux la misericorde.
723
Une des grandes ruses de notre ennemi est de nous souffler continuellement des motifs de délai pour nous mettre à l'oeuvre; il nous inspire toujours d'attendre que les circonstances temporelles d'affaires, et de lieu soient plus favorables et plus acomodantes, comme si c'etoit de toutes ces modifications temporelles que notre oeuvre dût etre le produit et le resultat, et comme si ce n'etoit pas notre oeuvre qui dût lui-même operer ses propres modifications, et ses circonstances, puisque le moindre arbuste de la nature ne tient que de lui l'ecorce dont il se couvre.
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J'ay éprouvé une douce joye en arrivant à ma 54° année. Il m'a semblé que j'entrois dans une region nouvelle et plus imposante encor que toutes celles par où j'avois passé. Aussi ay-je pu en juger favorablement peu de jours après par la direction des arbres s'inclinant de la gauche à la droite ainsi que par le portrait qu'une bonne amie à moi m'envoya après une longue absence et qui se deballa même avec un peu de peine. J'etois alors à Paris rue Barbette.
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L'angoisse du peché a fait naitre en moi plusieurs fois le feu devorant qui seul peut dissoudre nos crimes. L'angoisse de la penitence et du desir y a fait naitre encor plus souvent le feu de la joye, de la lumiere, et de la vie.
726
Le 21 janvier 1797, on a fait à Paris dans l'eglise de Notre-Dame une fête où les autorités constituées ont juré haine à la royauté. Cette fête correspondante à l'anniversaire de la mort de Louis XVI a paru féroce à plusieurs. Pour moi qui ne veux la considerer icy que sous le rapport religieux, j'ay,,ouvé que faire jurer la haine dans le lieu où doit sieger l'amour, c'etoit accomplir la prophetie de Daniel : Lorsque l'abomination de la desolation sera dans le temple etc.
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Si nous nous persuadions bien que tout ce qui ne concerne que notre monde temporel, et toutes ces variables situations passageres qui nous occupent tant ne sont pas seulement dignes d'entrer un instant dans le veritable miroir où Dieu se contemple, nous ne mur-murerions pas tant de nos pretendus malheurs et de nos imaginaires afflictions. Il n'y a qu'un mal que Dieu compte, c'est celui qui nous tient eloigné de notre centre et qui nous empêche d'y tomber, comme nous y tomberions par notre propre pente si nous ne cher-chions pas continuellement à accumuler les obstacles.
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J'ay vu, au sujet des verités si importantes pour l'homme, qu'il n'y avoit rien de si commun que les envies, et rien de si rare que le desir. Aussi qui est-ce qui fait son chemin?
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Les apôtres et le Christ n'etoient environnés que d'adversaires devant qui ils pouvoient se servir de leurs forces. Je n'ay presque jamais eté environné que de ceux devant qui je devois renfoncer les miennes, et à qui je devois laisser le libre usage de toutes les leurs, quelques pueriles, nulles et insignifiantes qu'elles pussent etre. Mais, au vrai, je me suis souvent créé moi-même ce sort-là.
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Je devrois ne plus jamais douter que ma destinée m'appelle au tout puisque ma ligne temporelle me tient dans le rien avec une perseverance si soutenue; la somme de ces elements repressifs indique la somme des elements qui doivent faire le contrepoids. Sans doute ce tout sera terrible, mais il ne fait que de naitre pour moi, et il n'est pas encor à son point.
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Quand on voit les celebrants dans les eglises consummer leur tems et toute leur virtualité à des ceremonies externes et impuissantes et retarder ainsi l'esprit de l'homme qui se desseche en attendant une nourriture substantielle, on est affligé jusqu'au fond du coeur, et on est tenté d'appliquer là le passage de l'Evangile où un aveugle conduit l'autre, et où ils tombent tous les deux dans le fossé. Que doit-ce donc etre quand on ne voit plus que les debris de cette même Eglise qui se debat aujourd'hui contre sa fin? Voilà une esquisse de ce que j'ay eprouvé à S`-Germain-l'Auxerrois en fevrier 97. Il y faut joindre une delicieuse et forte intelligence sur la terre vive qui est Dieu même où Dieu vient s'implanter; ainsi qu'un doux attendrissement à la vue d'un homme pieux et timoré qui se tenoit dans un coin à genoux, et qui de tems en teins baisoit humblement la terre.
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Nous ne sommes icy que pour choisir. C'est une idée qui m'est venue à Rome sur le pont S`-Ange en causant avec M' Neveu que j'ay retrouvé avec grand plaisir à Paris en 1797, et qui m'a procuré des connoissances agreables et utiles dans ce sejour de l'infection et des tenebres.
L'objet de l'association ne doit etre que de chercher; et non pas d'apporter dans cette association un plan et des vuës particulieres qui ne tendent qu'à la domination de l'individu. C'est une idée qui m'est venue aussi avec ce M' Neveu chez qui je conferois avec son ami M' Alma sur les sciences. Ces deux idées sont des masses de verités.
733
Je ne dois pas oublier la voie de la ruë Boucher par laquelle j'ay appris toute l'histoire passée presente et future de l'inconnu Bruneter. Cent soixante-six temoins sont trop nombreux pour etre suspects, et ces temoins sont la pluspart trop ignorants pour pouvoir inventer et professer d'eux-même ce qu'ils annoncent. Ce qui me surprend neanmoins c'est que de pareils faits ayent resté cachés. Mais ma surprise ne tient pas long tems contre les raisons que je peux me fournir moi-même pour la dissiper.
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En 1797 à Paris, j'ay imprimé l'Eclair sur l'association humaine. Je ne 1'ay pas fait pour les hommes que je sçavois qui n'en profiteroient pas je l'ay fait pour moi, et pour m'acquitter de ma profession de deffenseur officieux de la Providence.
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Pendant mon sejour à Paris en 1797, j'ay cru devoir me livrer à la societé de M°e de Clermont où j'avois l'esperance de trouver l'occasion de faire mon etat. J'y ay vu quelques hommes celebres et entr' autres Laharpe que je savois avoir eté converti en prison. Sa conversion est sincère mais n'est encore eclairée que par les lumieres et le sceptre des prêtres. Je ne sçais si je le verrai assez pour lui en faire presumer d'autres. Mais dans tout ce qui tient à ma conduite envers les hommes je me laisse entierement mener par les circonstances, m'etant promis de ne jamais faire un pas en avant pour chercher quelqu'un, mais aussi de n'en pas faire un en arriere pour le fuir. Cette societé ne m'a pas rendu tout ce que je m'en etois promis.
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Un jour en traversant le pont de Louis XVI, je vis un petit décrotteur voler une buche dans une charettée de bois qui passoit. Moitié occupé de mes idées qui me suivent partout, moitié tiedeur, je ne dis rien à ce petit voleur quoique je fûsse indigné de son action. Tout le reste de la journée je fus tourmenté de regret de ne m'etre pas montré plus zelé pour la justice, et je me peignis les suites que tout cecy pouvoit avoir pour cette jeune ame. Je retournai le lendemain sur les lieux pour reparer mes torts et faire une semonce à l'enfant; je ne le trouvai plus. Je fis alors de mon mieux une priere dans l'endroit, et je sup-pliai la Providence de préserver à l'avenir ce mal-heureux, et de purifier ce lieu des fausses influences que son crime y avoit attirées. En me retirant je me sentis en paix pour mon compte; malgré cela je ne le suis pas pour celui du coupable et son sort m'aflige.
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Il me restoit quelques scrupules sur les payements que j'avois faits à Mr le Clere rué S'-Martin pour l'impression de mon Association humaine. J'allai plusieurs fois chez lui pour les lever; je ne trouvai chaque fois que son commis qui lui en parla, et à qui il assura que je ne lui devoir plus rien. Il m'est resté néanmoins une persuasion qu'il se trompoit, et cette idée m'agite encor quelquefois, quoiqu'il ne s'agît que de quelques bagatelles relatives seulement au prix du brochage.
738
Il falloit pour reduire ma soeur un etre complet dans la force active parce qu'elle etoit foible; il me falloit à moi un être indulgent, reflechi, et calme pour me donner le teins de me developper, attendu que mon developpement doit etre lent et précautionné, vû la profondeur d'où il doit partir. Ma soeur avoit trop de ce qu'il ne me falloit point; je n'avois point assez de ce qu'il lui falloit; voilà pourquoi il m'a eté comme necessaire de vivre séparement, d'autant que ce qu'elle a acquis dans le monde n'a fait qu'augmenter les obstacles naturels qu'elle portoit avec elle-même, au lieu de les diminuer.
739
Il ne faut pas rester dans Paris si l'on ne veut pas etre au-dessous de Paris; il n'y a que ceux qui demeu rent à coté qui peuvent etre au-dessus. Mais partout on peut etre au-dessus de tout.
740
J'ay desiré de faire du bien; mais je n'ay pas desiré de faire du bruit, parce que j'ay senti que le bruit ne fesoit pas de bien, comme le bien ne fesoit pas de bruit.
741
Mon eternité me talonne aujourd'hui plus que jamais. En outre j'ay moins que jamais le fonds necessaire pour les nullités, et tout ce qui ne tient qu'au tems. Puisse ma cousine se persuader cela!
742
A Champlatreux près Corbeil j'ay eu le plaisir de jouir d'une societé très gratieuse, en commençant par la maitresse de la maison (M°a de Clermont). A mon retour à Paris, un soir à soupé j'ay eu une aventure qui etoit tout à fait plaisante, et qui m'a beaucoup diverti. Les deux pommes cuites, la pluie, l'à parte, M' Bouchard partant pour Naples avec M' de Canclaux, M" de Montbas, les bruits de paix avec l'Empereur au moment où j'ay eu mis à la poste ma lettre pour annoncer mon départ, la seconde idée d'ecrire de nouveau pour demander l'avis final avant de partir, les preventions dissipées tant à Champlatreux qu'à Paris sur les objets fondamentaux et sacrés, voilà un precis qui peut etre utile à mon esprit, à mon intelligence, à mon coeur, à ma sagesse, et à ma memoire.
743
On m'a regardé assez generalement comme un illuminé, sans que le monde sçache toutefois ce qu'il devroit entendre par ce mot; quand on me taxe ainsi je reponds que cela est vrai, mais que je suis un illuminé d'une rare espece, car je peux quand il me plait me rendre tellement comme une lanterne sourde que je serois trente ans de suite auprès de quelqu'un qu'il ne s'appercevroit seulement pas de mon illumination s'il ne me parroissoit pas fait pour qu'on lui en parlât.
744
Le 16 Germinal de l'an 5, Garat * dans le journal nommé La Clef du Cabinet des Souverains a parlé de mon Eclair sur l'association humaine plus avantageusement que je ne m'y attendois. * Ce n'est point Garat, c'est Amalric.
745
Quelque soin que l'homme prenne de se procurer icy-bas une place de repos, un gîte où il trouve la mesure et l'ordre dont sa pensée a besoin, il faut qu'il soit deplacé partout; car sur la terre, à cause des brisures universelles où sont les choses, il n'y a plus pour lui d'analogue.
746
Il faut bien prendre garde de commettre des fautes volontaires car comment compter sur le remords qui n'est que l'opposition du sentiment de notre egarement, avec le sentiment de ce qui nous reste de justice, tandis que par notre ecart volontaire nous avons tué en nous ce sentiment même de la justice? Aussi dans ces cas-là ne pouvons-nous etre rehabilités qu'autant que Dieu fait reellement en nous une creation toute neuve et toute entiere; or il ne s'est point obligé à celà dès qu'il nous a créés une fois, c'est bien assez qu'il nous ait donné l'etre, et qu'en outre il ait eu la charitable generosité de restaurer et de guerir en nous les blessures qui nous ont eté faites par le crime primitif.
747
Quelques personnes m'ont trouvé vacillant, et elles ont senti que ce n'etoit point là le caractere des gens qui ont figuré en grand sur la scène du monde. La raison en est simple c'est que les gens dont on parle là avoient à choisir entre la gloire humaine et la verité; et la premiere a plus d'attrait que l'autre, surtout pour ceux qui ont des passions et des talents. Moi qui ne voulois point de cette gloire humaine, et qui avoir peu de moyens pour l'acquerir, je me suis trouvé presque toujours placé entre diverses circonstances qui toutes m'offroient du bon et du vrai, malgré les epouvantables obstacles dont j'ay eté aussi presque toujours environné; or je balançois souvent entre ces circonstances pour choisir celle qui devoit me pro-curer le plus d'avantages spirituels soit pour moi, soit pour Dieu, soit pour mon prochain.
748
L'acharnement des circonstances à m'environner de tout ce qui pouvoit arrêter mon esprit, et à eloigner de moi tout ce qui pouvoit contribuer à le nourir et à le developper, en outre le sentiment de ce qui sortiroit de moi si j'etois dans des situations qui me secondassent m'ont fait penser quelquefois que j'etois une espece de lyon enchainé et dont les chaines ne se romproient jamais que d'usure.
749
J'ay fait quelquefois de grandes fautes; mais par la bonté de la Providence ces grandes fautes m'ont preservé de faux pas qui auroient peut-être eté plus grands encor.
750
Mon ami Kirchberguer m'a ecrit le 13 avril 1797 une lettre bien gratieuse sur mon Association humaine. I1 paroit que cet ouvrage est plus à la portée des etrangers que des Français. Il m'y parle de M' Joung auteur allemand du Heimweh, qui est de la dernière surprise de ce qu'en France malgré les orages qui nous pour-suivent depuis tant d'années il puisse y avoir quel-qu'un qui etudie la langue allemande exprès pour lire Bêhme en original. Malgré les horreurs de notre Revolution, il ne sçait pas qu'il y a eu des personnes en France qui pendant sa durée n'ont manqué de rien, et n'ont eté tourmentés en rien personnellement, et que je suis du nombre de ces personnes; j'ay souffert beaucoup par la perte de mes amis, et surtout par les sentiments de justice qui dans moi se revoltoient contre nos brigandages; mais je n'ay souffert pour mon compte que dans ma fortune; encor est-ce plus-tot en etant privé de mes esperances, qu'en perdant ce que je possedois.
751
Une des choses qui m'a le plus frappé dans les recits que m'a fait M' Monlord de la conduite de Louis XVI lors de son procès a eté de ce qu'il auroit eté tenté comme roi de ne pas repondre à ses juges qu'il ne reconnoissoit pas pour tels, mais de ce qu'il oublia sa propre gloire, disant que l'on ne pouvoit pas sçavoir ce que ses reponses pourroient produire, et qu'il ne falloit pas refuser à son peuple la moindre des occasions qui pourroient l'empêcher de commettre un grand crime. J'ay trouvé beaucoup de vertu dans cette reponse. Au reste M' Monlord m'a conté nombre de traits des plus surprenants et en même teras des plus horribles qui se sont passés dans notre Revolution et que j'ignorais. Mon ame s'est dechirée au recit de toutes ces injustices, et j'ay senti que dans de pareilles situations le courage etoit facile, parce que le sentiment de l'injustice etoit plus fort que celui de la vie; aussi presque toutes les victimes sont mortes en heros. Quelle peine peut se comparer à celle de sentir que tous ces meurtriers ont envoyé par là d'avance au tribunal suprême, de nombreux temoins qui les accusent et les condamnent avant même l'heure de la sentence?
752
Il n'y a dans le monde pour l'homme qu'un seul etat qui soit sans inconvenient, c'est celui où il souffre dans l'esprit, et pour l'esprit. Toutes les autres souffrances pourroient lui etre utiles s'il sçavoit en tirer parti, parce qu'elles mâteroient l'homme de matiere qui n'est toujours que trop prêt à se faire roi; mais presque toujours elles ne font autre chose que de donner jour à des murmures et à des blasphémes, quand on n'a pas eu le bonheur de connoitre les souffrances de l'esprit les premieres.
753
L'autre monde me paroit etre le veritable hopital de celui-cy; c'est ce qui m'a fait penser quelquefois combien il est inutil de chercher à guerir icy-bas ceux qui ne veulent pas se guerir eux-même. Il y a sur eux une croute qu'ils epaississent journellement par leur volonté ténébreuse et opiniatre; il faut donc les ren-voyer à la grande lumiere pour qu'ils s'apperçoivent de leur erreur, et pour que cette croute epaisse se dissolve à l'ardeur du feu devorant.
754
Pour que les hommes en general, et surtout les epoux se connussent il faudroit qu'ils commençassent par laisser deposer tous les sediments, et toutes les substances seductrices dont ils composent journellement leur atmosphere. Ce travail leur paroit si rude et le vuide qu'ils craignent de trouver à la suite de ce travail leur paroit si effrayant, qu'ils se gardent bien d'en approcher; aussi l'homme passe-t-il sa vie dans le delire, quand ce n'est pas dans le crime. Il y a un instrument de physique contenant une liqueur melées de diverses substances; ce n'est que dans le repos que cette liqueur reprend sa limpidité après avoir cté remuée et agitée.
755
Heureux ceux qui parviennent jusqu'à laisser Dieu se marier avec lui-même en eux. Ce mariage-là est indissoluble! En outre il engendre continuellement des enfans avec une dote, et des apanages convenables.
Heureux aussi ceux qui obtiennent une promesse de la part de cette source superieure; car comme elle est honnête elle ne retire jamais sa parole!
756
Dans quelques-unes des circonstances où il etoit question de mariage pour moi il m'est arrivé de dire à des femmes en plaisantant : Vous etes une bête si vous ne m'epousez pas, et moi je serois un fol si je vous epousois. Mais pour ne pas trop les irriter j'ajoutois que dans le monde on passoit plus aisement les folies que les bêtises. Ceux qui verront dans ces singulieres phrases plus d'orgeuil qu'il ne me convient d'en avoir ne sçauront pas le mot de cette enigme, car en verité ce n'est pas 1'orgeuil qui m'a fait parler ainsi.
757
J'avois mis dans mon Crocodile que la theologie etoit devenue une veritable papologie, et la thiarre conciliatrice une couronne de devastation qui ne s'occupoit que des ravages de tout le monde connu. On m'a conseillé d'oter cela; et j'ay cedé avec plaisir.
758
Quand je me borne à speculer sur les occupations et projets legitimes qui regardent les choses de ce monde, tels que le mariage, les emplois civils etc. je trouve tout aisé et attrayant parce que je les juge d'après la pureté de leur institution, et d'après la beauté des fruits sacrés qui pourroient en resulter, mais bientot les difficultés et l'activité que ces differents etats entrainent et exigent me laissent loin du terme de mes speculations parce que je n'appuye pas assez sur la force et le courage qui peuvent seuls realiser ces speculations. D'un autre coté quand je porte mes vues sur cette force et sur ce courage, j'oublie trop mes speculations, et l'appui qu'ils pourroient trouver en elles pour se soutenir et se consolider. C'est là la source de plusieurs varietés qui se sont montrées dans ma conduite, et qu'il eut eté plus juste d'attribuer à ma foiblesse d'un coté, et à ma sublimation de l'autre, qu'à mon inconstance, car j'ay eté assez fixe dans mes gouts quoique j'aye eté peu perseverant dans les moyens de les remplir, si ce n'est celui, où il m'a bien fallu marcher, puisque moyennant Dieu, on m'y fesoit aller malgré moi. C'est aussi ce qui m'a exposé à etre si mal connu des hommes, et notamment de la cousine qui comme son amie ne me jugeoit que par en bas, tandis qu'il falloit me juger par en haut.
759
J'ay revu Petit-Bourg en juin 1797. J'y ay passé cinq jours avec la dame du lieu, son amie Julie, et l'ami Maubach. J'y ay gouté de doux souvenirs en me promenant dans ce charmant parc où j'ay reçu autrefois de delicieuses intelligences, et des impressions internes que je n'oublierai jamais. En y allant, par les voitures d'Essone, nous fûmes pris par un orage terrible; les chevaux effrayés furent prêts de nous jetter dans un fossé. On crut que nous avions courru le plus grand danger. Pour moi, je n'y en vis aucun, et j'ay assez l'habitude de ne pas croire au danger partout où je me trouve, tant j'ay reçu de marques de la bonté d'en haut. Au bout de cinq jours j'en allai passer cinq autres à Champlatreux où je retrouvai tout le monde aimable comme à l'ordinaire. Au retour par le coche de Corbeil nous eumes encor une aventure, car nous restâmes engravés pendant trois quarts d'heures; mais il n'y avoit pas là seule-ment l'apparence d'un danger.
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Une personne dont je fais grand cas me disoit quelquefois que mes yeux etoient doublés d'urne. Je lui disois, moi, que son aine etoit doublée de bon Dieu, et que c'est là ce qui fesoit mon charme et mon entrainetnent auprès d'elle.
761
Je veux bien convenir icy que ma joye si vive, si douce et si profonde est d'etre appellé à la parole. Je sçais qu'on ne me comprendra pas; aussi mon intention n'est pas que l'on me comprenne. Comment me comprendroit-on? On ne connoit que des miracles passagers. Le redressement des substances est sans doute au-dessus de ceux-cy. Mais ce redressement est invisible. Je n'en peux pas dire davantage. Jusqu'à present le flat lui-même ne nous a appris qu'à moitié la destination de la parole.
762
Oh non, le monde et son esprit se garderoient bien de me preter du secours et de me seconder dans ma voie, ils auroient trop à y perdre; et je puis dire aussi qu'ils auroient trop à y gagner.
763
C'est parce que je suis venu dans ce monde avec dispense, comme je l'ay dit et ecrit plusieurs fois, que le genre qui m'est donné ainsi que tous les delices qui l'accompagnent sont invisibles et inconnus au monde. Lui et moi nous ne sommes pas du même age. C'est aussi pour cela que les tribulations temporelles m'atteignent peu.
764
La science mathematique ne nous occupe que de la surface des choses, et elle nous expose à prendre cette surface pour la realité. Voilà pourquoi on m'a oté les occasions de m'avancer dans cette science, parce qu'on vouloit que je ne pûsse etre fixé que par la realité.
765
Nous nous etonnons de ce que l'experience des autres hommes ne nous sert à rien. Mais la notre même nous est inutile, puisque nos propres fautes ne nous corrigent pas; comment pouvons-nous donc nous flatter que l'experience des autres nous soit plus profitable?
766
Il y a une bonne raison pourquoi nous avons tant de peine à arranger notre existence temporelle dans ce monde, et même pourquoi nous n'y trouvons qu'embarras pour peu que nous songions seulement à nous en occuper, c'est que nous ne devrions toucher à rien de ce monde, pas même du bout du doigt; la renaissance embrassant tout, suppléant à tout.
767
C'est une chose douloureuse de voir les hommes ne s'apporter reciproquement que le poids et le vuide de leurs jours pendant qu'ils ne devroient tous s'en apporter que les fruits, et les fleurs.
768
J'ay vu beaucoup de gens qui avoient de l'esprit, j'en ay vu bien peu qui eussent de la spiritualité. Ce sont en effet deux choses bien différentes.
769
Nous ne devrions donner aux engagements de ce monde que le superflu de notre sagesse; et qui est celui qui en ce genre ait seulement le nécessaire?
770
On ne se doute pas combien la négligence dans notre regime alimentaire peut avoir d'influence sur notre etat moral.
771
Je voudrois dans mon commerce spirituel avec les hommes ne jamais communiquer une intelligence qu'au préalable on ne m'eut communiqué une vertu.
772
Mon premier maitre me dit un jour que j'avois beau-coup de matiere à purger avant de parvenir; je sens qu'il avoit raison.
773
Oh combien nous laisson perir de germes de vertu par paresse!
774
M°° de La Croix me disoit d'un air prophetique que je ne serois jamais heureux. Elle me connoissoit bien peu. Car je n'ay jamais eté autre chose.
775
Les hommes devroient s'aider mutuellement à corriger leur mauvaise destinée, et ils ne font au contraire que s'en punir les uns et les autres.
776
J'abhorre l'esprit du monde, et cependant j'aime le monde et la societé; voilà où les trois quarts et demi de mes juges se sont trompés.
777
Ma facilité qui a si souvent approché de la foiblesse m'eut ouvert encor plus aisement au bien qu'au mal, si les occasions de ce bien eussent eté plus frequentes et plus actives, car Dieu sçait combien j'etois mobile.
778
Le 15 messidor an 5, mardi 3 juillet 1797, j'ay assisté à la séance publique de l'Institut national au Louvre. Montvel a lu une fable un peu longue et d'une morale un peu vague; cette fable est celle de l'autruche et de l'oiseau du paradis; Talleyrand-Perigord a lu un beau memoire sur les colonies; son stile est haut et très distingué tel qu'il convient quand on veut jouer le role d'un homme d'Etat. Legouvé a lu une traduction du premier chant de la Pharsale de Lucain; il y a de très beaux vers. J'ay toujours souffert un peu de sentir combien les hommes se retardoient en se jettant sans reserve dans ces sciences apparentes; mais j'ay senti aussi qu'il valoit encor mieux pour eux d'exercer un peu leur esprit que de le laisser encrouter de repaisse ignorance sous laquelle il ne se preserve souvent pas plus des erreurs et des dan gereu ses déceptions que quand il s'affuble du manteau de ces sciences.
779
Il est bien sur que la chose ne me peut venir que par la voie douce.
780
Les foiblesses retardent, les passions egarent, les vices exterminent.
781
Quel est le veritable mobile des cupidités, et des ambitions de ce monde? C'est de paroitre reintegré dans notre splendeur primitive; la satisfaction même de nos sensualités n'est icy d'abord qu'un accessoire, quoique bientot elle devienne fondamentale.
782
J'aurois pu ajouter au n° précédent que toutes ces cupidités sont recherchées par notre parresse, parce qu'elles servent à nous dispenser des vertus, et font qu'on nous les suppose.
783
Dès le berceau les meres aiment leurs enfants pour elles et non pour eux; voilà pourquoi elles font avec eux tant de pueriles observations, et tant de bavardages, dont ils ne peuvent surement pas s'amuser, et qui ne peuvent leur etre utiles puisqu'ils ne les entendent pas; et si toutes ces choses les frappent, c'est plustot pour les devoyer et les falsifier; et voilà les services que les meres leur rendent par leurs tendres egoïsmes.
784
S' Paul se plaint de faire quelquefois le mal qu'il ne veut pas. Je dois me louer, ou plustot louer Dieu du contraire; car c'est une verité que sa bonté a eté quelquefois assez grande envers moi pour me faire faire le bien lorsque je voulois le mal.
785
C'est souvent moi qui ay eté obligé de commencer à aller chercher Dieu; mais c'est une chose certaine que jamais ce n'est lui qui m'ait abandonné le premier.
786
L'homme egaré, et qui a interêt à prendre la deffense de ses egarements, cherche à y parvenir en objectant sans cesse les ignorances et les faux pas des autres hommes. Ce que j'ay à repoudre à un pareil etre c'est que s'il veut entierement deprimer ces ignorances et ces faux pas, le moyen le plus utile qu'il puisse employer est de les combattre par des sagesses et des regularités.
787
Ceux que j'appelle reellement mes amis, je voudrois les voir à toutes les heures et à tous les instants, car ce n'est que par un usage continu de l'amitié qu'elle peut montrer tout ce qu'elle est, et rendre tout ce qu'elle vaut. Ceux qui me nomment quelquefois leur ami, et qui n'ont pas ces mêmes idées et ces mêmes desirs sont simplement des amis de surface.
788
Il est singulier que la chaloupe Relud n° 458, et dont j'ay reconnu depuis l'inutilité se soit trouvée naturellement logée sous le même toit que moi rue Bar-bette, en 1797. Je persiste dans ce que j'en ay dit pour et contre n° 463.
789
En relisant quelques extraits de Swedenborg, j'ay senti qu'il avoit plus de ce qu'on peut appeller la science des aures que la science des esprits; et sous ce rapport quoiqu'il ne soit pas digne d'etre comparé à B... pour les vraies connoissances, il est possible qu'il convienne à un plus grand nombre de gens; car B... ne convient presque qu'à des hommes entierement régénérés, ou au moins, ayant grande envie de le devenir.
790
Je n'ay point eu assez d'action spirituelle pour satisfaire le gout de ceux qui courent après les manifestations sensibles; c'est-à-dire que je n'ay pas eu le don de faire voir des esprits. Mais j'ay eu celui de pouvoir empêcher que l'homme fût surpris s'il en voyoit; et ce don-là vaut son prix tout comme l'autre.
791
Je n'avois des varietés qu'à cause de mes multiplicités auxquelles il me falloit suffire. Les gens qui avoient une portion plus simple ou plus courte, ne voyoient en moi que vacillation. Il faut en effet avoir de grands yeux pour bien instruire mon procès.
792
On m'a accusé d'indécisions dans ce monde. On n'a pas apperçu qu'en effet j'en avois beaucoup parce que je jettois dans celui-cy toutes celles que j'avois, afin de n'en point conserver pour l'autre.
793
En revenant du Bureau central pour faire viser mon passeport le 11 thermidor de l'an 5, 29 juillet 1797, je me trouvai sur la Greve au moment où on alloit executer quatre assassins. Malgré mon horreur du sang je restai à l'exécution dans la vue d'aider de mon mieux ces malheureux par mes prieres dans ces moments si importants. J'eus la consolation de sentir que la justice divine marche quelquefois sous la justice humaine; et c'est là ce qui occasionne sur les assistants, cet esprit de receuillement dont la pluspart d'entre eux ne peuvent pas se deffendre. J'eprouvai néanmoins une forte suffocation à la vue de cet epouventable spectacle. 'C'est vraiment l'image de l'enfer.
794
Le soir de ce même jour, j'eus un spectacle bien différent; ce fut la fête donnée à l'ambassadeur turc dans le jardin de l'Elisée-Bourbon, où se trouvoit reuni tout ce que les circonstances peuvent fournir d'agrément. Je ne pus m'empêcher de faire le rapprochement de ces objets si contrastants qui s'offroient à moi iti ces deux diverses epoques de ma journée. Je vis aussi non sans y faire attention le contraste du luxe des dames du jour qui garnissoient la scène en bas, avec les Iris simples vêtements des dianes de l'Ancien regime avec qui j'ctois alors au premier ciao. Enfin je sentis que les republicains, et surtout des republicains aussi nouveaux que nous pouvolont retendre aux vertus guerrieres et terribles, mais qu'ils ne devaient pas se mêler de donner des fêtes dont lame doit etre la délicatesse, le gout, et l'urbanité, car ils n'entendent rien à ces choses-là. Aussi la fete fut-elle manquée completement, et me parut ressembler à une cohue insignifiante.
795
Pour prouver qu'on est régénéré, il faut regenerer tout ce qui est autour de nous.
796
Les hommes qui se livrent aux simples arts de l'apparence, commencent par etre dupes et finissent par etre fripons, en ce qu'ils veulent nous persuader que ce qu'ils nous donnent a la veritable substantialité, croyance qui les abuse dès leur debut dans la carriere, et qu'ils ont bien de la peine ensuite à anéantir. Cette idée m'est venue à la repetition de Medée par Cherubini, où je fus revolté du serieux avec lequel de grands enfants se livrent à ces mensongeres et ridicules puerilités.
797
Je suis trop doux pour que ceux qui ont envie de regner ne l'emportent pas sur moi; je suis trop creux pour que ceux qui ont l'esprit court m'apperçoivent et me goutent. Voilà pourquoi je fais si peu fortune auprès des hommes.
798
II faudroit que l'ennemi n'approchât jamais un seul instant notre naturel, et que la verité ne fût jamais un seul instant sans actionner notre spirituel.
799
Oui, Dieu, j'espere que malgré mes fautes tu trouveras encor en moi de quoi te consoler.
800 Dans mes nottes sur le tems, ecrites à Amboise en 1792, j'ay ecrit que le tems etoit passé pour moi, que je demeurois dans l'eternité; j'ay dit depuis que mon eternité me talonnoit; ces deux idées qui vont ensemble n'ayant que moi pour objet, m'ont paru devoir etre transferées dans ce receuil.
801
Je repete avec plaisir que le tort de l'homme est de croire qu'il soit icy-bas pour son propre compte, au lieu d'y etre pour le compte de Dieu.
802
C'est moins pour agir que je suis venu dans le monde que pour expliquer les explicateurs.
803
Un troisieme voyage fait à Champlatreux m'a fait sentir de nouveau ma suffocation en rentrant dans Paris. Mais j'ay senti aussi la force du n° 801, ce qui me fait dire que si je ne consultois que moi je fuirois Paris; mais qu'en consultant mon maitre j'en dois faire mon chef-lieu.
804
On m'a retranché mon syderique dès le berceau, parce qu'on ne vouloit pas que je travaillasse dans ce genre; et on s'est borné à me le faire connoitre, mais on me vouloit tout entier dans l'acte divin, où l'on n'a plus besoin d'autre force.
805
Les amants du monde ne font que parler, et cela sur le faux, les sages ne parlent point, et à l'image de la sagesse ils operent sans cesse le vif et le vrai.
806
La tragedie de la Mort d'Abel par Legouvé est attachante par le fond du sujet plus que par la maniere dont l'auteur l'a traité, et que par le stile qui est sou-vent rude, obscur et raboteux. Il est peu de spectateurs qui ne doivent etre remués en voyant exposer devant eux des tableaux si imposants dont les couleurs et les elements sont dans l'essence constitutive de tous les hommes. En lisant cette piece; (car je ne l'ay point vue representer,) la doctrine de l'ami B.... sur l'amour et la colere s'est offerte à mon esprit, et j'ay eté touché jusques dans mes profondeurs.
807
Je n'aurois eu, je crois, ni la force de supporter les delices du mariage ni celle d'en supporter les degouts. Voilà pourquoi on m'en a si constamment preservé. Je n'ay qu'un seul emploi à remplir, celui de pleurer; et cet emploi-là doit me fournir toutes les richesses et tous les plaisirs. J'ay fait quelquefois cette confidence à celle que j'appelle l'Amour, et avec qui on vouloit me marier. Cette personne vertueuse et pleine de jugement, oublioit cependant aisement cet article, tant elle desiroit rentrer dans l'independance domes-tique par notre mariage. A un petit voyage que j'ay fait à Amboise au mois d'aoust 1797 j'ay eu recours pour la fortifier à deux consultations de Paris dont l'une ne me jugeoit pas propre à cet etat-là, et dont l'autre ne rendoit pour reponse qu'un silence absolu. Cela lui parut beaucoup plus clair et plus decisif. Aussi il paroit que tout est resté là.
808
Si je ne suis pas fait pour une solitude absolue, je le suis encor moins pour la societé de gens qui ne se servent pas de moi.
809
C'est une marque bien signalée de la misericorde divine qu'après avoir eté si coupables, les hommes ayent reçu encor de sa munificence l'incomparable proprieté de se perpetuer. Cette proprieté plus sublime encor dans son objet qu'elle n'est douce dans son action n'a point eté donnée à l'ennemi. Que seroit-ce donc si nous avions conservé cette proprieté dans sa pureté !
810
J'ay assez dans ma vie donné mon esprit pour mon corps, il est bien terns que je donne mon corps pour mon esprit.
811
Peu de tems après mon arrivée à Amboise vers septembre 1797, je me suis trouvé dans mes mêmes rap-ports serpentiques où j'avois eté trois ans auparavant, avec cette difference que le serpent etoit couleur de chair par le corps, et que la tête seule etoit garnie et brunâtre. J'en eus l'intelligence, et j'ay trouvé gran-dement là de quoi reflechir.
Dans ce même teins je me suis trouvé aussi dans les mêmes rapports où j'avois été précedemment au sujet de l'arrestation d'une illustre amie dont j'etois absent. J'ay eté suffoqué de ce coup foudroyant; et Paris est devenu de nouveau pour moi un objet d'horreur; cependant je ne peux oublier les n°' 801 et 803.
812
Pendant le sejour cy-dessus à Amboise, la bonne amie du n° 807, se trouvant maltraitée par le rapport des decrets, dans la fameuse journée du 18 fructidor, et tourmentée par les inquietudes de sa famille qui est foible me dit que si elle avoit desiré notre union, elle ne pourroit pas se permettre aujourd'hui de lier à ses infortunes le sort de quelqu'un qu'elle estime et qu'elle aime. Ces mouvements-là me la rendirent plus
chere, et j'aurois trouvé beau de la payer par un sacrifice qui auroit eté plus complet; mais il y a toujours le pouvoir caché de ma destinée qui ne veut pas lâcher prise, et qui fait que je ne me presse pas.
813
Mde de Mion me disoit à Paris que la foiblesse de nos yeux quand ils commencent à decliner augmentoit si nous ne les exerçions pas. Je me suis convaincu qu'elle disoit vrai. Car mes yeux s'en vont depuis plusieurs années, et je m'apperçois que moins je les exerce, plus ils s'en vont vite.
814
Mon action est comme nulle dans l'ordre superieur. C'est dans l'inférieur qu'elle se manifeste le plus. Aussi il est singulier combien mon acte exc est lié au mouvement inférieur des gens qui m'environnent, car j'ay remarqué nombre de fois qu'ils n'alloient presque jamais l'un sans l'autre. J'ay remarqué aussi que mes communications m'offroient bien plus souvent le tableau des maux que celui des biens, par la raison qu'ils sont plus inférieurs. Dans l'ordre superieur tout mon acte est en intelligence, aussi je n'en approche jamais que je n'y fasse une decouverte.
815
J'ay connu quelqu'un qui avoit beaucoup d'esprit, et qui ne s'en servoit jamais que pour s'en faire un rem-part contre sa raison. J'en connois un autre qui passe pour avoir beaucoup de raison et qui ne s'en sert le plus souvent que pour s'en faire un rempart contre son esprit.
816
Dans un ecrit assez ancien j'avois parlé du peché des indiscrets sous l'expression hardie de l'onanisme de l'esprit. Tieman eut peur de cette expression et me la fit retrancher. Il m'en est venu une plus hardie encor, c'est celle de nous faire violer par l'esprit si nous voulons etre utiles à l'oeuvre et devenir feconds.
817
Il m'a paru quelquefois que l'excommunication etoit l'inverse de ce que devoit etre la chose instituée, car c'est en s'approchant, et non en s'eloignant qu'elle peut operer pour la punition ou pour la gloire. Or si la justice s'eloigne, où sera le jugement?
818
Il faut que les organes deviennent etre en nous pour que l'esprit analogue y circule, et cela dans le faux comme dans le vrai. Il n'y a que cela qui nous rende ce qu'on peut appeller forts.
819
Heureux quand les bons amis, comme les gouttes d'eau qui imbibent la terre se rencontreront en moi qu'ils s'y assembleront, qu'ils se lamenteront sur les maux que nous faisons à Dieu, qu'ils s'embrasseront en fondant en larmes, qu'ils se fortifieront tous les sept en s'immolant les uns et les autres et qu'ils recevront le signe de l'acceptation de leurs sacrifices! Plus heureux encor lorsque le divin lui-même s'y remontrera, et qu'il s'y lamentera sur ce qu'on le neglige, et qu'on l'outrage !
820
J'ay une persuasion secrette que mon bonheur est bati sur pilotis.
821
Un bonheur inexprimable pour moi a cté de sentir que quoique je n'aye ni ennemis ni infortunes sur la terre j'ay pu dire à Dieu : Otez-moi de ce monde si vous voulez, et cela non pas demain, mais tout à l'heure; j'espere que cette semence-là poussera des rameaux et des fruits.
822
On peut dire des choses de ce monde ce qui se dit avec raison des sciences mathematiques manipulées par la main des hommes, savoir que tout ne s'y fait que par approximation.
823
En revenant à Paris en 8be 1797, j'ay passé par Lombreull, pnr Montargis, Chalenu-Neuf, Loris etc. Les cousin et cousine de Lombreuil m'ont comblé de bontés; leur terre est agreablement située pour le pays; j'ay vu dans leurs environs une jeune personne qui a des rapports tendres avec le frere de Md' de Fitzherbert femme du prince de Galles. J'ay vu chez eux la bonne Mérance qui est pleine de pinté; mes gratifications ont elé calquées IA non sur I'orgeuil mais sur l'amitié. A Montargis j'ay olé fort bien traité chez M~ de La Tour. Kt en revenant j'ay fait connoissance dans la voilure publique avec M' de Gassicourt, homme d'esprit, devoué aux systèmes du baron d'Holbach at autres materialistes, mais s'en tenant là plus par orgeull et par defiance que par persuasion. Il a «rit contre moi dans quelques ouvrages; mais j'espere que dans notre conversation, il ne se sera pas seule-ment douté que j'y eusse fait la moindre attention.
824
Dans le mois de 7' 1797, j'ay perdu ma nourice qui etoit bien vieille et à qui je fournissois annuellement quelques secours. Cette perte m'a eté sensible. Il y a quelque chose de douloureux dans la separation des gens qui nous ont tenu de si prés, quand des oppositions spirituelles n'ont pas comme coupé nos noeuds naturels.
825
Le gout des hommes en general pour la verité et les choses divines ne m'a gueres paru etre autre chose qu'un remplissage, ou tout au plus une amourette; tandis que cela n'est rien si ce n'est pas une passion, une rage, et une fureur.
826
C'est moins sur les morts que sur les vivants qu'il faudroit nous affliger; et en effet comment le sage s'affligeroit-il sur les morts, tandis que sa journaliere et continuelle affliction est d'etre en vie, ou dans ce bas monde?
827
La societé du monde en general m'a paru comme un theatre où il faut continuellement passer son tems à jouer son role, et où il n'y a jamais un seul moment pour l'apprendre. La societé de la sagesse au contraire, est une ecole où l'on passe continuellement son tems à apprendre son rôle, et où l'on attend pour le jouer que la toile soit levee, c'est-à-dire, que le voile de cet univers ait disparu.
828
Une nouvelle raison à moi connue pourquoi les occasions et les secours scientifiques secondaires et humains tant dans les choses naturelles que dans les choses spirituelles m'ont eté si opiniatrement refusés, c'est parce que la chose vouloit etre vive en moi un jour, et qu'elle eut pu n'y etre que figurative, historique, ou simplement intellectuelle si toutes ces voies secondes m'eussent eté plus favorables, tant nous aimons à profiter de la moindre circonstance pour nous tranquiliser, et nous dispenser d'aller plus loin. Voir n° 718.
829
Dans un diner que j'ay fait à Paris en 9°'° 1797 j'ay eu lieu de remarquer l'effet de la Revolution. Elle rapproche des etres qui precedemment etoient très disparates. Elle donne au ton inconsideré et incomplet en fait de politesse et d'usage, la facilité de se repandre où il n'auroit jamais du paroitre et de s'y repandre en ravageant d'autant plus les domaines du gout et de la delicate urbanité. Il force d'un autre coté l'amabilité delicieuse qui fesoit le charme de l'an-
cienne societé du grand monde à frayer avec ce ton mal ebauché qui n'est pas le sien; aussi la voit-on s'evanouir insensiblement, et se perdre devant ce nouveau ton qui est trop court pour ne pas voir qu'il n'est qu'un usurpateur. On la voit dis-je s'eclipser comme si elle-même etoit au nombre des choses que la Revolution doit detruire, et qui soit reprouvée par la verité, elle ne seroit surement pas reprouvée par la verité si elle reposoit en effet sur cette base. Mais comme elle n'a trop souvent eté élevée que sur l'orgeuil, et sur les avantages precaires et faux des distinctions et des biens de ce monde, elle doit fuir et tomber lorsque tous ces appuis lui sont retranchés. Elle se pourroit conserver au contraire au milieu de tous ces desastres si son fondement eut eté la veritable vertu; car elle sauroit rester seule, et vivre avec elle-même, et ne pas s'exposer ainsi à ces amalgames demolissants et destructeurs.
830
Je ne sçais si j'ay noté un tableau qui me fut envoyé au Luxembourg vers l'an 1778 ou 80. Je vais en tout cas le retracer icy et pour cause. Il representoit une grande crise que quelques-uns auroient pu prendre pour la fin du monde. L'obscurité regnoit sur le globe. L'herbe sechoit sur la terre, les animaux heurloient, Moyse, sa soeur, et une autre personne que je connois se portoient successivement tous trois vers les quatre points de l'horizon; la troisieme personne prioit beau-coup, et obtint par là d'etre preservée des maux dont l'univers etoit menacé, et elle s'eleva assez pour se trouver portée jusque dans la region de la paix.
831
Chacun ne remarque dans les autres que ce qui est analogue avec lui-même. Il y a quelqu'un de ma connoissance qui etoit peu frappé des jets de mon ame parce que ce quelqu'un etoit moins doué de l'ame que de l'esprit. Une autre personne ne voyoit rien dans les jets de mon intelligence et de mes apperçus, et au contraire goutoit mon ame parce que cette personne doit plus faite aux affections de l'ame qu'aux magnificences de l'esprit. Je dois ajouter que la premiere de ces deux personnes etoit un homme, et que la seconde etoit une femme. N. et C.
832
C'etoit l'Eglise qui devoit etre le prêtre, et c'est le prêtre qui a voulu etre l'Eglise. Voilà la source de tous les maux.
833
Le 18 vendemiaire l'an 6, ou le 8 8°r° 1797, j'ay eu occasion de diner à Paris avec le fameux astronome La Lande chez M" de Montreuil rue Barbette. Il se montra peu sous ses couleurs connues. Je ne le cher-chai point non plus sur cet article. J'eus le bonheur de lui etre utile dans l'explication de quelques mots allemands qu'il desiroit entendre relativement à l'astronomie. Il fut content de ma leçon et parut souhaiter que je lui servisse de maitre pour cette langue. Je lui demandai en retour de vouloir bien être le mien pour quelques points d'astronomie sur lesquels j'avois à le consulter. Il l'accepta; nous nous verrons sous ces deux rapports. Si je trouve jour à le battre sur son systême connu, je le ferai, d'autant que s'il ne croit pas en Dieu, moi je ne crois pas à 1'atheïsme. Mais en tout cecy je veux faire seulement ce que les occasions fourniront, car je ne crains rien tant que de marcher par moi.
834
L'Eglise humaine penche chaque jour vers sa ruine selon l'accomplissement de tous les pressentiments des gens du metier, et pour preparer l'arrivée de l'Eglise d'Henoch dont parle l'ami B. chap. 30 du Myst. mage. Les théophilantropes sont une des limes
sourdes qui la rongent. On n'a qu'à voir ce qui se passe dans les temples des chretiens où ces philantropes s'introduisent; j'en ay vu assez en ne fesant seulement que traverser S`-Eustache à Paris pour voir que Dieu veut nous amener à l'execution du précepte de l'Evangile sur la priere qui nous dit, quand nous voudrons prier, de nous renfermer dans nos chambres. Car il est bien clair qu'on ne pourra plus gueres prier dans les eglises des hommes. C'est là une des explications des plus significatives de ce que j'avois eu à L'Orient en Bretagne en l'année 1768. V. le n° 172.
835
Les gens du monde ne cherchent autre chose dans la societé qu'à faire regner leurs affections dominantes, ou qu'à faire approuver leur parresse. Ils commencent par s'y montrer avec modestie, et comme quelqu'un qui demande humblement l'aumône; si on ne leur laisse pas obtenir l'empire auquel ils tendent, ils tâchent d'y suppleer par l'astuce et la ruse comme des filoux. Si tout cela ne reussit pas, ils vous mettent le pistolet sur la gorge, et vous demandent la bourse ou la vie comme des voleurs de grand chemin.
836
Je n'ay trouvé la paix que lorsque je me suis elevé assez vers le monde des realités pour pouvoir le mettre en parallele avec le notre, et me convaincre par là que ce monde terrestre, temporel, politique, social, n'etoit qu'une figure.
837
Il n'y a que mon regne divin qui soit reellement caracterisé, voilà pourquoi j'ay beau attendre quelque chose de mes autres regnes, il n'y a que celui-là qui veut finir par se charger de tout, même dans ce qui concerne mes regnes terrestres et temporels; aussi dans toutes les circonstances genantes où m'expose la Revolution, ma loi est-elle d'avoir moins de prudence humaine que de confiance.
838
Au mois de 9°' 1797, en traversant les Thuileries j'ay eu un grand reproche à me faire près d'un des bas-sins à droite, envers quelqu'un qui demandoit à me parler. I1 y a des moments où je ne sçais reellement plus avoir affaire à ce monde.
839
J'ay reçu le decret sur les nobles avec resignation. J'en envisage les consequences qui peuvent aller jusqu'à nous mettre à tout moment sans pain et sans patrie. Ce sont les indiscretions et les jactances des nobles et des emigres qui nous ont amenés là. Dans ce monde les innocents doivent pâtir pour les coupables. D'ail-leurs qui n'a pas à expier quelque chose? Et puis-je etre traité plus doucement et plus favorablement que d'etre molesté pour une tache qui ne depend pas de moi? J'ay eté tant ménagé, tant pardonné pour des fautes qui en dependoient, que je dois me regarder comme trop heureux d'avoir quelque chose à offrir pour faire la compensation!
840
J'approche de la classe où on ne parle plus; voilà pour-quoi je souffre tant quand je me repands dans les classes où on parle encor.
841
Qu'est-ce que je vois journellement dans le monde? Des gens qui veulent qu'on les traite comme de grandes personnes, et qu'il faut cependant conduire comme des enfans?
842
J'aurois un penchant secret pour que mon oeuvre pût se faire à l'insçu des hommes et qu'ils ne s'apperçussent jamais de ce que je suis. Ils se trompent bien fort quand ils attribuent ma reserve à la mauvaise volonté, pendant qu'elle tient reellement à ma timidité, et souvent aussi à la prudence, vû que les hommes sont si rarement en mesure pour recevoir les grandes
verités! Mais malgré mon penchant, à cette obscurité qui me plairoit tant, il est possible que la chose prenne en moi une tournure et un caractere qui ne s'accordent point avec mes premieres inclinations. J'aurois pu n'etre qu'un explicateur, et tout eut pu arriver par là sans que cela eut etonné, puisque tout ne fût venu qu'avec preparation. Faute de cette resource que les circonstances m'ont otée, tout pourra venir au contraire brusquement, car il faut bien que cela vienne. Mais j'aurois desiré d'eviter cette brusquerie.
843
Les gens difficiles nie conviennent beaucoup; mais il n'en est pas de même des gens difficultueux. Les premiers m'exercent et me font sortir de mon mutisme; les autres m'y enfoncent de plus belle, et me font reployer toutes mes facultés. Les gens susceptibles sont pour moi comme des gens malades.
844
Ma liaison avec Lalande n° 833 n'a pas eté loin. 1° Après m'avoir exposé les bases de son systême qui sont les plus grandes puerilités qu'on puisse imaginer, il n'a pas seulement voulu considerer un instant la premiere observation que j'avois à lui faire. 2° Il a trouvé un jeune Allemand qui est bien plus en etat que moi de remplir son objet pour les explications et traductions qu'il attendoit de ma part, en fait d'ouvrages allemands sur l'astronomie; ainsi nous en sommes restés là; et si d'autres circonstances ne nous rapprochent pas, il est probable que nous ne nous reverrons gueres. Au reste quoique je ne croye point à son atheïsme, il se trouve cependant placé de maniere à ce qu'il ne fasse que s'enfoncer de plus en plus dans son système. L'ennemi a soin de lui former un royaume dans ce monde, et il ne lui laisse ni le tems, ni le moyen de voir au delà de ce royaume fantastique et mensonger.
845
On n'a le droit de ne rien passer aux autres, qu'autant qu'on ne se passe rien à soi-même. Aussi quelle idée puis-je avoir de certaines personnes qui se sont dites mes amis, et qui non seulement ne me fesoient pas de grace, mais même ne me fesoient pas justice? Je ne leur en veux point; mais je crains que la raison pour laquelle ils ne me passent rien, ne soit parce qu'ils s'en passent trop.
846
J'ay dit dans ma Lettre sur la Revolution françoise que cette Revolution etoit faite de la part de Dieu, quoiqu'elle ne fût pas encor faite de la notre. Le sens de ces paroles ne m'est venu que trois ans après les avoir ecrites; il signifie que l'objet de la Revolution etant d'amener les hommes à se persuader qu'ils ne devroient avoir d'autre gouvernement que le gouvernement de Dieu, tant que ce genre d'esprit n'est pas entré dans leur pensée, la Revolution n'est pas faite de leur part, quoiqu'elle soit faite de la part de Dieu en ce qu'il a laissé abolir le regne humain, et rejetter le faux sacerdoce. Il est des bonnes ames qui se sont tournées vers Dieu dans tous ces fleaux; mais elles ne s'y sont tournées que pour elles, et non pas pour l'objet cy-dessus qu'elles ne connoissent pas. Aussi quoique cette Revolution leur ait fait du bien, elle n'a cependant pas avancé beaucoup pour cela.
847
Mde de Gain, une ancienne connoissance à moi, m'a fait entendre le très habile claveciniste Adam. J'aime les talents et les arts. Mais malgré la perfection où M' Adam est parvenu, je gemis toujours quand je vois les hommes s'immoler tout entiers à ces choses inférieures; eux qui pourroient aller si loin dans un autre genre! Le jour où je l'ay entendu est celui où le Corps legislatif a donné un grand diner dans le Museum à Bona-Parte.
848
Il est bien clair que Dieu nous a créés pour sa satisfaction encor plus que pour la notre; et on auroit tort d'en murmurer, puisque comme il est tout, il doit bien lui etre permis de disposer de ce qui lui appartient; aussi j'ay senti que nous n'etions dignes de rien de ce qu'il fesoit pour nous, et mon intelligence me disoit que si nous etions dignes de quelque chose, il ne seroit pas Dieu.
849
A tout ce que j'ay reçu au sujet du mariage, j'ay à ajouter que si en effet tout l'univers est en somnambulisme, (comme je l'ay dit quelque part) il s'ensuit qu'en nous livrant à nos gouts temporels nous nous jettons dans ce somnambulisme, et qu'ainsi tout ce que nous fesons pour notre propre satisfaction est un vol réel que nous fesons à la chose divine à laquelle nous devrions travailler exclusivement; et lorsque nous nous decidons à cette espece de vol, nous contractons par 1à l'obligation de travailler doublement à cette oeuvre divine pour reparer le tort que nous lui fesons. Reste à sçavoir si nous pouvons nous pro-mettre de remplir cette obligation. Cette reflexion me vint un soir en allant chez Ma° de Clermont. Je lui en fis part, ainsi que de ma reponse de Mariendal. Malgré cela elle persista dans ses idées de mon union avec l'Amour.
850
Un de mes torts, (et sans doute c'est aussi celui de beaucoup de mes semblables) a eté de croire que la chose vive dût cesser un instant d'aller en croissant, et en developpant à chaque moment de nouvelles forces.
851
Dans mes lettres à l'amie de l'Amour je me rappelle avoir ecrit une fois que dans le marché qu'une femme et un homme negotioient en se proposant les liens du mariage, on s'attrapoit toujours un peu de part et d'autre; niais que la prudence reciproque exigeoit qu'on y regardât assez pour ne se pas laisser trop attraper.
852
J'arrive tard à l'etude des mathematiques, mais j'y arrive avec un guide tel qu'il me le falloit, le jeune Dumouchet de 1'Ecole polytechnique, surtout cette science ayant fait des progrès prodigieux depuis dix ans. Au reste mon objet n'est pas de percer dans cette science, je n'en aurois ni le tems ni la permission, je veux seulement me faire rendre compte de la maniere dont les hommes ont eu l'adresse et l'audace d'y entrer.
853
Je n'oserois pas dire que mon oeuvre avance, mais je sens au moins avancer l'heure de mon oeuvre; et après avoir reçu tant de documents de l'intelligence, il commence à devenir convenable que je les justifie par des realités correspondantes.
854
Dans les lettres de M°' de Guyon tome 1°` p. 392 j'ay lu un passage de S' Philippe de Neri qui est ma veritable histoire : Seigneur, si vous ne me gardez je vous trahirai. Au reste cette femme celebre confondoit 1'oeuvre de lame avec l'oeuvre de Dieu, comme cela arrive aux spiritualistes mystiques. J'ay lu fort peu de ses ouvrages. Son election n'etoit pas du genre masculin comme celle de mon ami B.
855
Non seulement il m'a fallu deviner tout, mais encor il m'a fallu echapper à tout, car je n'ay presque jamais eu que des positions dont il falloit me deffendre.
856
Comme on m'a mis dans ce monde avec dispense, on m'a donné aussi une infinité de choses sans travail, et si l'on me les a souvent laissé deviner, c'etoit sans peine, et comme naturellement. Aussi mes instructions, quand j'en fesois, depassoient bientot la mesure de l'auditoire, si ce n'etoit pas toujours par leur pro-fondeur, c'etoit au moins par leur facilité. Voilà pour-quoi j'ay fini par aimer si peu à parler, et pourquoi mes auditeurs en avoient bientot plus que leur charge, attendu que les uns n'etoient encor qu'au regne de matiere, et les autres au regne spirituel laborieux.
857
J'ay eté reduit à loger mon coeur sur du papier, tant j'ay eu peu d'occasions de le loger dans les ames des autres.
858
Je n'ay point eu assez de vertu pour n'etre pas par moi-même un mauvais sujet, si j'eusse eté reduit à moi seul. Mon meilleur preservatif etoit de rencontrer autour de moi de l'esprit et de la profondeur. Quand je ne trouvois pas cela, je tombois; moins par corruption que par vuide, et comme remplissage.
859
Il m'a semblé quelquefois que j'etois gros de mon ame, et que je ne poùvois en accoucher qu'en sortant de ce monde. Voilà ce qui me donnoit tant d'envie de passer de celui-cy dans l'autre.
860
Mes fautes m'ont eté utiles, en ce qu'elles me forçoient par les remords qu'elles me causoient à creuser plus avant dans la mine afin d'y trouver le remede; et cette recherche forcée me fesoit decouvrir de plus grands tresors que ma pensée ne l'eut pu concevoir. Telle est l'immense bonté de Dieu. Plus nous nous sommes laissé tomber dads l'abime, plus il nous revele de grands contrepoids pour nous en relever, et pour retablir le niveau.
861
Le 18 jr °1798, jour où j'ay atteint ma 55° année j'ay appris que mon livre Des erreurs et de la verité avoit eté condamné en Espagne par l'Inquisition comme etant attentatoire à la Divinité et au repos des gouvernements.
J'ay gouté à cette periode 55° de ma vie une profonde et vaste impression sur ce nouveau pas que je faisois dans la carriere. Il m'a semblé que j'entrois dans une nouvelle et sublime region qui me separoit comme tout à fait de ce qui occupe, amuse, et abuse sur la terre un si grand nombre de mes semblables.
862
Ce n'est point assez pour les hommes incroyants, incertains ou défiants, que vous consentiez à etre l'allumeur de leur maison; ils veulent encor que vous vous chargiez de l'huile, ne pouvant pas resoudre leur parresse, ou leur mauvaise volonté à vous en fournir la moindre portion. Cette idée m'est venue au sujet d'un avocat que j'ay vu et avec qui j'ay causé chez Md° de Gain.
863
Chacun a quelque type à faire dans cette vie. J'y suis venu pour y faire celui de l'immense bonté divine pour moi, et celui de la plus grande foiblesse humaine et de la plus grande negligence à suivre les preceptes d'en haut.
864
Il m'est impossible de nier les rapports de l'esprit de mon pere avec celui de ma destinée temporelle. L'un et l'autre ont eu une similitude trop parfaite; l'un etoit par sa volonté l'ennemi de tout ce qui pouvoit tendre au developpement de mon moi integral; l'autre l'a eté par le fait, et l'est encor, et tela d'une maniere trop marquée pour que je ne croye pas à l'influence immense de nos parents sur notre existence. Il semble que cet esprit opiniâtre qui gouverne ma destinée tern-
porelle approche de la fin de son regne. Oh si avant que je meure il laissoit un plus libre cours à mon etoile divine, quelle compensation et quels arérages il auroit à me payer !
865
Je ne connois rien de plus expansif, de plus communicatif, et même si j'osois, je dirois, de plus jaseur que Dieu. Il voudroit à tout moment nous montrer son coeur, et nous developper tous ses secrets.
866
La Providence a ses preuves à elle, et ses propres armées; elle n'a pas besoin de troupes auxiliaires. Voilà pourquoi j'ay tant dit de fois qu'on la pouvoit prouver sans la nature et sans les livres.
867
J'ay senti et je dois avouer qu'il n'y a d'indispensable pour l'homme que ce qu'il peut et doit faire sans aucun secours des hommes et des circonstances. Voilà pourquoi la verité est la plus simple et la plus facile des sciences.
868
Les fautes qui nous sont personnelles, celles que nous partageons avec d'autres, celles que nous leur occasionnons par nos seductions forment trois degrés dont le dernier est le plus facheux, le plus redoutable, et celui qui nous retarde le plus; c'est celui-là pour lequel il faut nous reconcilier avec notre ennemi avant d'aller offrir notre sacrifice.
869
Il m'a fallu trouver la science divine au milieu de la bouë militaire; les instructions moins relevées au milieu de l'ignorance et de la frivolité; la pureté au milieu de l'infection; l'activité au milieu du neant, et cela avec une persévérance marquée. Tel est le sens du n° 855.
870
Si j'eusse eté plus libre de me livrer au travail de ma pensée et de ma plume dans un autre age, cela seroit venu à froid, et sans le feu et la vie du central, voilà pourquoi la bonté divine m'a tant contrarié en ce genre. Je me suis cependant demandé quelquefois pourquoi elle n'avoit pas permis que ce central lui-même vint plustot. Et j'ay cru voir que c'etoit par menagement pour les personnes environnantes qui n'etoient pas prêtes. Car j'en ay bien peu trouvé qui le fussent pour mon objet tel qu'il m'est journellement presenté. Aussi je n'en parle à qui que ce soit.
871
Le sort a tellement disposé et dirigé les choses à mon egard que dans mes rapports envers les hommes j'ay presque toujours perdu la partie quoique j'eusse presque partout le plus beau jeu du monde; au lieu qu'envers Dieu avec le plus mauvais jeu, je l'ay presque toujours gagnée.
872
Il a fallu que la vie de mon esprit naquit et se soutînt au milieu de tant de desemboitures et de circonstances baroques, qu'elle fût, en verité, comme un perpetuel miracle.
873
Je dois dire en continuation du n° precedent que j'ay eté obligé de trouver la force au milieu de la foiblesse, la science au milieu de l'ignorance, l'esprit au milieu de la bêtise, la douceur au milieu de la rudesse, l'amabilité au milieu de la grossiereté, le courage au milieu de la pusillanimité, l'activité au milieu de l'inaction, la generosité au milieu de l'avarice, la sainteté au milieu dù materialisme, la plenitude au milieu du neant, la sagesse au milieu de la folie, le genie au milieu de l'imbecillité, la lumiere au milieu des tenebres, la vie au milieu de la mort, la raison sacrée au milieu de 1'incredulité et du fanatisme. N° 855, 869.
874
Ce n'est gueres que vers le commencement de ma S6°me année que j'ay senti que j'obtiendrois enfin dans ce bas monde la permission de penser. Encor ma partie adverse se deffend-elle toujours avec un grand acharnement, et paroit ne vouloir se rendre qu'à la derniere extremité.
875
Je me suis persuadé quelquefois que j'avois parmy les hommes une des charges de gripe-sol du bon Dieu, et c'est là ce qui fait la joye de ma vie. D'autrefois je me suis annoncé comme un défenseur officieux de la Providence.
876
Jusqu'à present j'ay eté à peu pres sur la terre comme un chien au milieu d'un jeu de quilles. Mais j'espere que le terns s'approche où j'y serai comme un jeu de quilles au milieu des chiens, et c'est alors qu'ils ne se rejouiront plus, car Dieu sçait comment je les repousserai.
877
Comme la voie par où j'etois appellé à marcher etoit à part de tout le monde, il n'est pas etonnant que tout le monde en fût l'adversaire soit par corruption, soit par ignorance.
878
Je n'ay, pour ainsi dire, aucun malheur terrestre, et cependant je suis l'homme du monde le plus malheureux; je n'ay, pour ainsi dire, aucune joye terrestre, et cependant je suis l'homme du monde le plus heureux. A bon entendeur salut.
879
La vieillesse contemple avec plaisir la jeunesse où elle voit les doux tableaux de l'innocence. La jeunesse a besoin d'etre auprès de la vieillesse pour y trouver des guides et des appuis. Les sentiments vrais rapprochent tous les ages, il n'y a que la corruption qui brise et efface toutes les utiles relations. C'est en dinant ruë de Matignon avec M' de Sonavert que j'eus cette idée.
880
C'est parce que je n'ay pas de science que je ne crains pas de me mesurer avec ceux qui en ont. Je me suis même quelquefois rappellé à ce sujet la scêne du bourgeois gentilhomme faisant des armes avec sa servante et recevant la botte, precisement parce qu'il avoit de la science, et qu'elle n'en avoit pas.
881
Le monde de la société a toujours l'esprit occuppé, quoi-qu'à des choses inférieures; on a soin d'ailleurs de lui epargner le moindre travail puisqu'il faut avoir l'attention de ne lui dire que ce à quoi son esprit est preparé par la marche de la conversation du moment. C'est un enfant toujours à la liziere, et qui tombe et s'ennuie dès que vous le laissez à lui-même. Voilà pourquoi les grandes profondeurs, et les verités un peu elevées sont si loin de lui, surtout lorsqu'elles s'annoncent avec le stile qui leur est propre. Cette observation fit de l'effet sur Mda Le Groing avec qui je causois un soir rué du Grand-Chantier chez Md de Poriny. Au reste je m'amusai beaucoup à desorienter cette darne qui a de l'esprit, et qui me prenant pour fou, d'après ma reputation, etoit pourtant etonnée de me trouver simple, naturel, sans chaleur de tête, et lui fesant des réponses auxquelles elle n'etoit apparemment pas accoutumée ni pour la justesse ni pour la nouveauté du sens. C'est une amie de Mde de Gain.
882
Je suis obligé de marcher, et je n'ay pas autour de moi ce qu'il faudroit pour graisser ma voiture. C'est le contraire pour les gens du monde; tout concourt sans cesse à graisser leur voiture, et cependant ils ne marchent point.
883
C'est en se separant des sciences des docteurs qu'on peut esperer d'obtenir la science universelle, parce qu'ils n'ont tous que du partiel, et qu'ils ne pourroient que prendre sur notre universalité.
884
Comme j'ay eté grandement et attentivement soigné par la Providence dans ma carriere temporelle, je ne fais aucun doute qu'elle me soignera encor plus dans ma carriere spirituelle, et qu'elle me reserve même dès ce monde un ineffable bonheur. Aussi je vois avec plaisir se detacher de moi nombre d'appuis terrestres soit en hommes, soit en moyens de fortune, etant bien persuadé que la Providence veut à elle seule etre mon intendant, mon homme d'affaire, mon gouverneur, mon mentor, enfin qu'elle veut sans restriction et dans tous les genres me gratifier sans cesse de et par son universalité.
885
Framicourt m'a fait un devoir de traduire Bêhme pour le bien de l'humanité; il m'a rendu par là un grand service. Ce travail remet en ordre en moi bien des choses qui n'y etoient pas. J'ay commencé par traduire l'Aurore, et j'espere que cet ouvrage sera comme un coup de tonnerre pour les humains. J'avois dejà traduit quelques autres ouvrages du même auteur; mais c'etoit pour moi, et je n'y avois mis pour ainsi dire aucune attention, aussi faudra-t-il que je les revoye avec soin. Neanmoins la tâche est rude.
886
Souvent, de n'etre pas un monstre, cela suffisoit pour que je me crusse sage. Qu'est-ce que c'est que l'homme!
887
M" de Ligondais amie de Mde Le Groing quitta un jour la salle où nous etions à causer avec son amie, parce qu'elle crut voir dans ma maniere de parler que je ne croyois pas en Dieu. Elle seroit bien etonnée si elle sçavoit que moi j'aurois pu la laisser aussi parce qu'elle croit que le monde existe.
888
C'est parce que j'ay eté fidel à la deffense de l'homme que l'on veut me confier un plus grand emploi.
889
Je me suis regardé quelquefois dans ce monde comme n'y etant venu que pour y etre le bailey des philosophes et des capucins.
890
Dieu a eté si bon pour moi, qu'il m'a preservé lui-même tant que je n'ay pas eu rage ni la force de me deffendre, et il n'a voulu m'exposer aux catastrophes que lorsque j'aurois reçu de lui les veritables armes de l'homme, et le pouvoir d'en faire usage.
891
Je me suis plaint souvent des circonstances repugnantes et si contraires à l'esprit qui m'ont environné. J'ay eprouvé que c'etoit à tort que je me plaignois; car c'est par ces moyens-là que la Providence rassembloit mon esprit et mes forces qui n'ont que trop de pen-chant à s'evaporer.
892
Les gens du monde qui me croyent fol sont tout etonnés de me trouver tout different de ce qu'ils m'avoient jugé par mes livres qu'ils n'ont pas lus. Je leur reponds quelquefois par une imitation de ces vers où l'on dit à un héros :
Vous etes invaincu
Mais non pas invincible.
Et moi je suis inentendu
Mais non pas inintelligible
893
Je ne me suis jamais senti la force de tuer personne; et les devoirs d'honneur ou de guerre où l'etat militaire m'auroit exposé, je ne les aurois jamais remplis que par contraction contre mon amour pour mes semblables; mais j'ay senti souvent que cela ne me couteroit pas grand-chose de me laisser tuer; seulement j'aurois eu un grand desir de suplier auparavant mon assassin de me tuer sans se mettre en colere. Il n'en auroit pas moins eu ma vie pour cela, et il auroit eu pour son compte une tache de moins.
894
A la suite de quelques travaux exterieurs comme les Re flexions d'un observateur sur la question des meilleures institutions etc, et comme les corrections du Crocodile, en germinal an VI, j'ay eu de fortes suspensions de mon grand objet. Mais j'ay reconnu que la Providence les avoit laissé venir, quoique par ma faute, pour me donner l'occasion de surveiller dans moi des postes très importants que j'avois negligés jusqu'à ce jour, tant par ma foiblesse que par ma mauvaise education. Ces postes-là sont si essentiels qu'il est impossible de faire un pas dans la carriere s'ils ne sont pas garnis à triple batterie; car c'est dans eux, avec eux, et par eux que le grand objet en question peut se mettre en mouvement, se corroborer, se manifester, terrasser ses ennemis, et installer la lumiere.
895
II y a quelqu'un par le monde qui veut absolument que je sois fol. V. le n° 892. Cette personne ne veut point du tout de mes principes, et cependant elle veut bien les attaquer, mais il arrive qu'elle est toujours battue; alors je lui dis : Expliquez-moi donc ce que c'est qu'une folie qui a toujours raison, et ce que c'est qu'une sagesse qui ne l'a jamais, car je n'ay encore aucune notion de ces deux choses-là.
896
En floréal l'an VI, je suis allé à S`-Germain où j'ay fait la connoissance de toute la famille Vernetti Vaucrose, Boubers, d'Arcis, Folard qui ne fait qu'un. C'est un spectacle patriarchal que cette famille-là. C'est la pieté, la bonté personifiées. J'ay eprouvé là une impression inverse de celle que j'eprouvois autrefois par rapport à Paris. Jadis je me disois que Paris etoit par toute la France; à present je me dis que la France n'est plus qu'à Paris; et cette impression ne m'aidera pas peu à m'y faire rester, sauf les circonstances.
897
Après les Re flexions d'un observateur n° 894, on m'a engagé d'ecrire sur le sujet du prix de l'Institut : Determiner l'influence des signes sur la formation des idées. Si j'ecris là-dessus, ce seront de simples observations comme sur le sujet précédent. Quand même j'aurois le talent necessaire pour concourir, je croirois manquer à la dignité de mon emploi que de me rendre justiciable des sçavants humains, et d'attendre leur avis pour sçavoir si ce que j'ay à leur dire est vrai ou non; surtout sçachant d'avance quel est leur avis.
898
Je ne dois pas oublier l'aventure de la très angelique personne qui se destine à une institution, et qui voulut faire connoissance avec moi pour que je l'aidasse dans son projet selon mes moyens. Je regarde cette per-sonne comme le Moyse des sçavants, ainsi que je me suis regardé comme le Moyse des sciences; car nous avons eu tous deux, grandement à combattre, et tous deux nous avons vaincu. J'aurai souvent occasion de revenir sur cette personne. Mais je crois bien que la region philosophique où elle vit lui nuit sans qu'elle s'en apperçoive.
899
De ce que hors de ma grande affaire, je n'etois rien ni dans les sciences, ni dans les talents, ni dans les occupations de ce monde, j'ay conclu qu'en effet j'etois appellé à cette grande affaire, en raison de la grande loi des compensations; car j'ay vu quantité de gens qui hors de cette grande affaire etoient encore quelque chose, et qui par consequent n'avoient pas besoin d'elle pour avoir un poste; aussi ne sçavoient-ils pas seulement qu'elle fût au monde.
900
Ce qui fait que rien de ce qui est partiel et dans le teras ne peut me guerir, c'est que ma maladie tient de l'universalité.
901
J'ay dit quelquefois que Dieu etoit ma passion. J'aurois pu dire avec plus de justice que c'est moi qui etois la sienne, par les soins continuels qu'il m'a prodigués, et par ses opiniâtres bontés pour moi, malgré toutes mes ingratitudes; car s'il m'avoit traité comme je le meritois, il ne m'auroit seulement pas regardé.
902
J'aurois eté trop longtems souffrant et malheureux si Dieu m'avoit fait connoitre plustot les choses qu'il me fait connoitre aujourd'hui, grace aux fruits qui me naissent des fécondes bases de mon ami B. Voilà pour-quoi ces magnifiques cadeaux ont été différés si longtems.
903
C'est ordinairement par imitation que les hommes se déterminent aux differents talents, vocations, gouts, et professions où ils se devouent pendant leur vie. Quant à moi, le genre qui m'a fixé et qui seul pouvoit me fixer, ce n'est point par imitation que je m'y suis livré, car je ne trouvois gueres parmy les hommes de quoi m'en donner l'idée, attendu qu'ils ne le connoissent pas eux-même; cependant il faut convenir que sans les secours et les modeles que j'ay rencontrés dans ma 22' année à Bordeaux je ne l'aurois pas connu moi-même.
904
J'ay un tel eloignement des affaires d'interêt, et des discutions avec les gens de finance et de commerce, que quand j'ay seulement une lettre de change à faire payer, et qu'il faut la presenter, donner mon acquit, et toucher ma somme, j'appelle cela un procès.
905
Les hommes impetueux, et courts d'esprit, quand ils apperçoivent quelques defauts dans leur semblable ne les expliquent que par la mechanceté, et non point par la foiblesse, parce que cette foiblesse n'est point leur analogue. Les hommes doux expliquent au contraire les mechancetés de leur semblable par de l'erreur et de la foiblesse, parce qu'ils n'ont point leur analogue dans les mechancetés. C'est ainsi que notre jugement tient à la teinte de notre caractere; mais la seule et vraie teinte qui lui convienne c'est la douceur et la charité; il n'y a que cela qui en eloigne tous les nuages; et quand cette charité se relâche de ses droits, son jugement n'en souffre point parce qu'elle agit avec connoissance de cause.
906
Quelqu'un disoit un jour à Rousseau qui vouloit parler : Ils ne t'entendront pas. On pourroit me dire souvent la même chose, et on pourroit ajouter : Ils ne te voudront pas; sans compter qu'il faudroit dire auparavant : Ils ne te croiront pas.
907
La veille de mon départ de Paris pour Amboise le 19 prairial de l'an 6, j'ay eu une preuve signalée de la surveillante, et de l'attentive protection divine lorsque l'ami entra inopinément dans ma chambre; en verité cette attention fut si marquée que j'en tombai d'admiration. J'en eus d'autres tout aussi caracterisées à mon arrivée à Amboise. Il faut que Dieu connoisse et prise bien singulierement le fond qu'il a mis en moi pour qu'il sache ainsi le suivre et
le proteger soit relativement au tems qu'il arrange jusqu'à une minute près, soit relativement aux ténébres desquelles il a la bonté de me delivrer, et qu'il a l'art de rendre comme impuissantes, malgré leur terrible puissance. Oh, oui, je puis dire que rien n'est comparable à l'industrieuse vigilance de Dieu.
908
L'interessante Clémentine m'avoit dit à son age de 17 ans que si elle etoit au lit de la mort, elle desireroit que je me trouvâsse auprès d'elle. Ces paroles me revenoient vivement au coeur et à la mémoire, mais la pauvre Clementine mourut sans que j'aye pu etre pre-sent. Elle n'etoit âgée que de 20 ans. Ses parents porterent la douleur jusqu'à l'idolatrie, et voulurent conserver son coeur. Je leur ay parlé sur cela comme je le devois, d'après les principes qui veulent que l'on n'intervertisse pas les loix de la reintegration.
909
Le travail de la plume ne devoit et ne pouvoit etre pour moi qu'un travail postiche, et de suppléant; aussi n'a-t-il eté que cela. Le vrai travail auquel j'etois appellé, le seul qui dans mon compte peut avoir quelque poids et quelque valeur pour l'oeuvre de Dieu, est celui dont mon ame a dejà eu des apperçus si marqués quoique si tardifs. Tout autre travail que celui-là est le fruit de ma paresse et de ma negligence pour mon veritable metier.
910
Il y a des hommes que Dieu fait eunuques au milieu de leurs faux desirs, et au milieu de leurs ecarts, et c'est là un des plus beaux triomphes de sa vivante surveillance, et de sa grande puissance sur l'ennemi de l'ordre et de la verité.
911
J'entends souvent parler dans le monde de servir Dieu; mais je n'y entends gueres parler de servir à Dieu; car il en est bien peu qui sachent ce que c'est que cet emploi-là.
912
Le 11 messidor, 30 juin 1798, je suis allé avec quelques amis voir mon acquisition de préz nationaux à Bléré qui m'etoit tout à fait inconnu. J'y ai vu à tous les pas des preuves de la mauvaise foi et de la cupidité. J'y ay vu en même tems des preuves du pouvoir soutenu de cette paire de ciseaux qui eté placée à coté de moi depuis ma naissance, et qui n'a cessé de tondre tous les avantages temporels qui se sont presentés à moi dans ce monde. Nous dinames chez le c. Chaillou qui est un très honnête et très aimable homme.
913
Les affaires nationales me retranchent six mille livres de rentes sur ma fortune. Loin d'en etre fâché pour mon compte, j'en remercie la Providence, parce que je n'aurois su que faire de tant de bien, ou que cela eut pu me tenir detaché des hommes sans me tenir detaché de la terre.
914
Les elections patriarchales se fesoient dans des familles qui par leur croyance, et leurs habitudes etoient dans de favorables mesures morales, sociales, et naturelles. Voilà pourquoi les elus qui etoient choisis dans ces familles pouvoient sans nuire à leur oeuvre s'adonner aussi à toutes les oeuvres correspondantes à ces mesures. Les elus du nouveau regne appartenant à un ordre au-dessus de ce monde, ne trouvent que bien rarement à pouvoir se livrer à toutes ces mesures secondaires sans nuire à leur oeuvre. Il semble qu'on veuille leur faire payer le prix de leur election par les sacrifices de toutes les autres joyes. Je connois une famille qui a eté une preuve bien frappante de la justesse de ce principe. Elle a eu un de ses membres qui peut surement passer pour avoir eté choisi à certains egards; et bien elle n'a desiré pour lui de le voir se livrer à quelqu'unes de ces mesures que dans l'espoir que cela l'eloigneroit à jamais de son objet, qu'elle n'envisageoit qu'avec douleur, parce qu'elle n'en pouvoit avoir aucune idée, ne l'envisageant qu'avec le microscope du monde, et certainement avec le plus faux de tous ces microscopes.
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Je n'ay pas toujours regretté de n'etre pas marié. Et même je me suis dit quelquefois que j'etois plus avancé que ceux qui l'etoient, parce qu'ils n'etoient encore que mariés, et que moi j'etois dejà un peu démarié. Je l'etois même tout à fait par ma naissance.
916
Les docteurs et les sciences humaines ont tellement fait descendre l'homme, qu'il falloit que d'autres hommes se reduisissent à lui apprendre qu'il etoit homme, c'est-à-dire à lui prouver l'existence des grands privileges dont il est revêtu. Je crois avoir eté du nombre de ces ouvriers-là. Quoique ce poste soit gratieux et glorieux, il en est qui le sont encore plus; ce sont ceux où l'on peut apprendre à cet homme à se servir de l'homme, et de ces grands privileges qui lui appartiennent; car sans cela on a beau lui demontrer son existence et ses titres, on ne fait encore par là que la moitié du chemin. Mais telles sont les suites de la maladie philosophique qui a gangrené toute l'espece.
917
On veut sans doute que je n'aye qu'une famille spi-rituelle, car on m'a toujours empeché d'avoir une famille temporelle adoptive, par le mariage, et on m'a retranché ma famille temporelle naturelle en m'en donnant une qui etoit pour moi comme n'etant point.
918
919
J'ay trouvé peu d'hommes aussi fort à ma convenance que le maitre de la maison de Candé où j'ay eté passer quinze ou 20 jours, à la fin de l'an 6, ou au milieu de 1798. Sa femme reunit aussi d'excellentes qualités à beaucoup d'esprit. C'est un couple des mieux assortis que je connoisse.
920
J'ay fini à Candé la traduction de l'Aurore de Boehme dont j'ay parlé n° 885. Malgré mes vifs desirs pour l'avancement de mes semblables, je les trouve si loin des hautes verités, et surtout si difficiles sur les formes et la maniere dont elles leur sont presentées, que je ne me flatte plus autant de ce grand effet que je m'etois promis.
921
Bien souvent dans ma vie, j'etois d'une surprise qui devenoit quelquefois de l'indignation de voir que les hommes etoient si froids sur les merveilles simple-ment humaines qui les environnoient, comme je l'ay reconnu de la part des Romains au sujet des superbes antiquités au milieu desquelles ils vivoient avec autant d'insousiance et aussi peu d'attention que feroient de simples sauvages ou de simples brutes. Je m'en suis rendu compte ensuite, parce que j'ay reconnu que partout l'homme se tenoit sous le poids de son temporel, quelque petit qu'il fut; qu'ainsi le voyant partout affaissé sous le joug de ses besoins, de ses occupations domestiques et autres, et sous celui des puissances politiques qui le gouvernent et qui le rapetissent, il n'a, pour ainsi dire, aucun moyen, de monter au-dessus de son asservissante atmosphere. Or s'il n'a pas la force de monter même jusqu'à l'admiration de ces merveilles humaines, comment monteroit-il donc jusqu'aux merveilles naturelles et divines qui demanderoient tant de liberté dans l'ame et dans l'esprit?
922
C'etoit manquer essentiellement aux grandissimes de ce monde que de s'excuser sous quelque pretexte que ce fût lorsqu'ils vous fesoient l'honneur de vous inviter à leur table; et bien un jour M la duchesse de Bourbon m'invita à diner avec elle, et je lui repondis, comme j'aurois fait à une autre, que je ne le pouvois pas parce que j'etois engagé; ce qui etoit vrai.
923
Ce n'est point assez que la verité soit en nous une intelligence; ce n'est pas même assez qu'elle y devienne un sentiment; il faut qu'elle y devienne une force et une resistance universelles. C'est une loi que je n'ay jamais si bien sentie que depuis quelques jours. Autrefois quand j'avois saisi quelque point par la pensée, j'etois content comme le sont tous les novices en pareil cas; ou bien quand j'avois gouté quelque doux mouvement intérieur, je croyois avoir tout atteint comme le croyent les femmes; il s'agit au contraire de devenir une puissance, puisque tout est puissance; et il faut même devenir une puissance eprouvée, puisque celle à laquelle nous avons à faire est armée d'une mesure de force originelle, ignée qui est incalculable. A Paris le 9 vendemiaire de l'an 7, ou le 30 7b'° 1798. J'y suis revenu d'Amboise le 22 fructidor; ayant laissé dans mon pays la cousine toujours au même point de voile, et de mesures inférieures. J'y ay terminé l'affaire du logement de Marne.
924
Comme ma constitution chetive ne me laisseroit pas l'esprit d'etre malade, mon etude doit etre d'avoir l'esprit de ne l'etre pas.
925
Je ne dois pas etre etonné qu'il se trouve si peu de gens en rapport avec moi, pendant que j'aurois de quoi etre en rapport avec tout le monde. Au physique je n'ay point de peau, ce qui fait que ce que j'ay ne se substantialise point assez pour le monde qui a tant de peau. Au spirituel ma diaphanéité me met à tant de distance des yeux ordinaires qu'eux et moi nous ne nous appercevons plus; au sensible interne mon coeur incorporel est un royaume sans limite où se trouveroit à la fois clarté et unité; et aux meilleurs du monde, je ne leur vois qu'un coeur corporel où se trouve fort souvent obscurité et morosité. V. n° 905.
926
A mon retour à Paris j'ay fait connoissance de M°° de Rivarole, de toutes les femmes du Petit-Thouars qui sont aimables, et j'ay renouvellé celle de Bergasse, de l'infortunée M" de Virieu, et du cy-devant abbé de St-Simon.
927
Communement les hommes ont plus à souffrir de leurs passions que de leur destin; pour moi j'ay eu plus à souffrir de mon destin que de mes passions.
928
Il n'est pas pour moi ce proverbe commun : Dis-moi qui tu vois, et je te dirai qui tu es. Car j'ay presque toujours eté obligé d'etre le contraire de ceux que je voyois.
929
Seroit-il donc vrai que l'on eut mis le principe de ma vie contre moi!... Oh! douleur!
930
Ceux qui s'extasient sur la bonté humaine de quelques individus, ne me remplissent qu'à moitié : quelquefois même ils me font souffrir, car en fixant ainsi nos yeux et notre admiration sur l'homme, ils nous empêchent de les fixer sur Dieu, ou plustot sur ses merveilles. Louons Dieu, etudions ses oeuvres; il n'y a que lui d'ailleurs qui soit bon. Les vertus de l'homme et sa bonté sont si peu de choses que je ne voudrois presque pas qu'on en parlât, d'autant qu'on doit les supposer necessairement si l'on marche dans la ligne, et qu'elles sont une condition sine quel non.
931
J'ay vu la marche des docteurs philosophiques sur la terre, j'ay vu que par leurs incommensurables divagations, lorsqu'ils discutoient, ils eloignoient telle-ment la verité qu'ils ne se doutoient seulement plus de sa présence; et après l'avoir ainsi chassée, ils la condamnoient par deffaut.
932
J'ay eu le bonheur de sentir et de dire que je me croirois bien malheureux si quelque chose me prosperoit dans le monde.
933
Les hommes exigent que vous soyez avec eux, comme si vous etiez régénéré, mais ils se gardent bien de vous permettre ni de vous laisser le tems d'y travailler.
934 Vous serez persecutés à cause de mon nom. C'est par où ont fini les apôtres; et c'est par où j'ai commencé; car j'ay eté persecuté pour son nom, dès Page de quatre ans, c'est-à-dire avant même que je pusse savoir qu'il avoit un nom; aussi c'est parce que les persecutions ont commencé les premieres pour moi, que j'ay tant à esperer de consolations, et que même j'en ay dejà eu, et que j'en ay tant tous les jours.
935
Les femmes, même les plus honnêtes n'ont pas pu deviner ce que c'etoit que mon coeur, voilà pourquoi elles n'ont pas sçu se l'approprier. Je crois donc pouvoir dire icy qu'il etoit né sujet du royaume evangelique. Or on nous a avertis que ce royaume-là se prenoit par violence. C'est ce qui est cause que j'ay fait si peu de frais auprès des femmes; car ma dignité originelle m'en empêchoit. Ce n'etoit point avec les sens que les femmes auroient gagné mon coeur; elles n'auroient pris par là que mon corps, et cela n'etoit pas bien difficile; ce n'etoit pas non plus avec la tête, elles n'auroient eu par là que ma tête, en supposant toutefois que celle qu'elles m'auroient opposée eut eté saine, vive, et lumineuse; c'etoit donc à armes egales qu'il falloit se battre avec mon coeur, c'est-à-dire avec les armes du royaume evangelique et divin. C'etoit dans un pareil combat où les femmes ne devoient pas craindre de se compromettre en usant de violence envers mon coeur, et je me plais à penser qu'elles n'auroient point eu à se repentir de leurs efforts.
936
Mon sort m'avoit donné une soif devorante de connoissances, mais en même tems une foiblesse qui ne me permettoit pas d'en acquerir beaucoup par moi-même; voilà pourquoi les athmospheres instructives et spirituelles m'auroient eté si necessaires; car ne pouvant me soutenir que par là, lorsqu'elles me manquoient, je ne me soutenois plus, et l'ennemi etoit toujours prêt à remplir le vuide. Or on a voulu me faire faire des epreuves de tout genre, et bien longues, de cette espece de dangereux néant, n'ayant presque jamais eté environné que de circonstances nulles, où la matiere et l'ignorance tenoient le haut bout; j'etois, j'ose le dire, propre à tout, avec ces atmospheres instructives, et actives; sans elles je ne devenois propre à rien, si ce n'est, au mal. Ce qui m'a fait dire souvent que je n'avois que deux postes; ou le paradis, ou la boue; Dieu me vouloit à l'universalité, voilà pourquoi son adversaire ne me vouloit qu'au néant.
937
Depuis mon retour à Paris, mon néant atmospherique m'a fait penser de nouveau à mon chez moi, et à la, et elle est allée jusqu'au : Je vous l'ordonne. Mais l'etoile qui ne veut pas a suggéré de nouvelles allarmes sur les nobles, et de nouveaux eclairs de mes operas qui, je le presume, arrêteront tout, et laisseront les choses in statu quo.
938
La plupart des maux et des contrarietés que mon esprit a eprouvés, m'ont preservé des illusions et des prejugés que j'aurois infailliblement puisés dans des situations moins désagréables. Mon oeuvre n'eut eté que dans les apparences, il falloit qu'elle fût réelle et centrale.
939
J'ay renouvellé connoissance avec un ancien educateur nommé Roger qui possede plusieurs langues, et plusieurs sciences, et notamment les mathematiques. Il a une clarté d'idées, et une justesse d'expression qui me conviennent beaucoup. Je le retrouve dans un moment où mes grands objets avancent au galop; mais je prendrai toujours ce que je pourrai de cet homme interessant qui d'ailleurs est etranger à mes objets, et prevenu contre eux pour ne les avoir apperçus que dans une atmosphere qui n'etoit pas à leur avantage.
940
J'ay vu des hommes de bien dont les larmes couloient avec abondance à la moindre occasion; et cependant ces hommes-là prenoient fort peu sur mon coeur; c'est qu'ils ne versoient, selon mon sens intime, que des larmes d'eau, tandis que pour me toucher et iize remplir, je voudrois voir les hommes verser cues larmes de sel, des larmes d'huile, et surtout des larmes de sang.
941
Les oppositions concentrent et rassemblent nos moyens; l'explosion habituelle les dissipe; la sagesse combine et administre ces deux ressorts selon nos besoins; j'en ay souvent fait l'epreuve; mais il faut repondre à ses vues pour qu'elles nous soient profitables. Les hommes trop comprimés ont une surabondance qui les tourmente, mais qui leur est inutile; les gens du monde qui sont toujours en explosion, consomment tout, et finissent par n'avoir plus rien.
942
On m'a preservé presque universellement des tribulations et des grandes et terribles scênes de cette vie, parce que toutes ces choses ne se passent que dans et par le regime des figures, et qu'on m'en avoit donné d'avance le sens et la réalité. Elles ont pour but d'instruire par des images les hommes qui sans cela ne croiroient pas qu'il y eut autre chose que la monotonie uniforme de leur bestiale et apathique existence; et comme on m'avoit donné de bonne heure le mot de toutes ces enigmes-là, on a cru qu'il n'etoit plus necessaire de me donner à decomposer et à envisager les enigmes elles-mêmes.
943
A la maniere dont les gens du monde passent leur tems, on diroit qu'ils ont peur de n'etre pas assez bêtes.
944
Je connois des gens dans qui la matiere même est esprit; mais malheureusement j'en connois dont l'esprit même a la couleur de la matiere.
945
Comme mon objet venoit tout de la region divine, il ne pouvoit se plaire, s'entretenir et commercer qu'avec cette même region divine; si les hommes avoient voulu du divin, j'aurois pu, grace à Dieu, leur en departir quelques petites parcelles; mais ils ne veulent que du temporel, (même les plus fins d'entr'eux) et comme j'ay peu de cet esprit temporel à leur transmettre, je suis presque partout très etranger pour eux; et eux sont pour moi comme n'etant pas encore avenus.
946
C'est en vain que mes desirs de sciences et mes ouvrages de plume ont tendu à nie faire prendre pied té dans ce monde. Mes gouts de science ont toujours contrariés par le defaut de secours et de circonstances, et mes ecrits n'etant que des oeuvres secondaires et de suplément, je ne les ai faits pour ainsi dire que de racroc et à mon corps defendant; on vouloit trop que je prisse pied dans le vrai monde, pour nie laisser prendre pied dans celui-cy.
947
Il y a deux vices au théâtre; le premier est que l'acteur qui reussit à bien faire son role est applaudi jusqu'à le satisfaire autant que s'il etoit le personnage réel, et l'inventeur de ce qu'il exprime (abus qui s'etend jusqu'à l'auteur relativement à ses heros) le second est que le spectateur se croit fort sage et plein de merite quand il voit là des peintures hideuses et forcées, et qu'il est bien convaincu qu'il ne leur ressemble pas. Aussi là tout est vanité.
948
Comme c'etoit dans la region de l'esprit que j'etois appellé à marcher, il a fallu que je busse jusqu'à la lie la coupe de la bêtise.
949
Dans ma jeunesse spirituelle on m'a preservé comme avec la main dans mille circonstances. Dans mon adolescence spirituelle on s'est contenté de m'avertir par l'intelligence. Dans ma virilité spirituelle il faudra bien que je sois au prises avec l'ennemi. Voyez n° 956.
950
C'est dans le metier des armes, mais non point en etat de guerre que m'a pris ma premiere epoque; c'est au debut de la guerre de la Revolution, (guerre dont j'ai neanmoins eté preservé) que m'a pris ma seconde epoque. Je ne puis etre sur d'avance de l'etat dans lequel ma troisieme epoque me trouvera; elle auroit grand besoin, pour mon gout, de me trouver en etat de paix; mais vu le genre dont elle est, elle pourroit bien me trouver en etat de guerre, soit de la part des hommes, soit de la part de la nature.
951
En lisant Dom Quichotte, on voit que l'auteur en vouloit à quelqu'un, et cette pointe de mechanceté fait de la peine, surtout à ceux qui comme moi ne voudroient voir que des malices innocentes. Je lui fais en outre le reproche d'avoir etouffé d'excellentes choses et de grandes vertus attachées à cet etat de chevalerie qu'il a anéanti par son livre. Il falloit sagement attendre la moisson pour arracher 1'ivraye, de peur qu'en s'y prenant trop tôt il n'arrachât aussi le bon grain.
952
J'abhorre la guerre, j'adore la mort.
953
J'ai dit quelquefois à Dieu : Combats contre moi comme Jacob contre l'ange jusqu'à ce que je t'aye beni.
954
Tout ce que j'ai reçu de clartés de la part de mes instituteurs, même de mon cherissime Bême ne pou-voit jamais me servir que de temoignage; il falloit toujours que d'abord j'allasse prendre tout dans ma propre fontaine, et puis les temoins venoient confirmer. Quand j'ai voulu commencer par les temoins ou par les maitres, cela n'alloit jamais si bien.
955
II sera possible que je passe ma vie à recevoir les coups de pied de l'âne.
956
Dans mon premier age spirituel, la surveillance divine a eté gratuite à mon egard, et elle m'a accompagné et preservé sensiblement plusieurs fois sans que je m'y attendisse. Dans mon second age on veut me la laisser demander et rechercher avec tout le soin qu'elle merite. Peut-être que dans mon troisieme age on me laissera me defendre tout seul, parce qu'on presumera que je dois en avoir acquis la force, si j'ai su profiter de tout ce qui aura eté fait pour moi dans les epoques précédentes. Voyez les n 949 et 950.
957
Le genre de mon etoile spirituelle a eté de me montrer beaucoup et de me peu donner. Celui de mon etoile temporelle a eté de me retirer en même tems qu'elle me donnoit. Celui de mon etoile divine sera de me donner beaucoup et de me peu montrer parce qu'elle est toute action, et qu'elle est superieure aux formes.
958
Je suis revenu pour passer l'eté à Amboise le 20 floréal de l'an VII, ou dans le commencement de may 1799. J'y ai trouvé mon amie plus raisonnable et plus avancée dans les principes spirituels que je ne m'y etois attendu. Quant à l'horizon politique il se rembrunit tous les jours par les progrès des Autrichiens en Suisse, sous les ordres du prince Charles, et par ceux des Russes en Italie sous les ordres de Souvarow. Les trains de Paris qui occupent tant de gens, sont ceux qui m'occupent le moins, parce que le feu national n'est plus le même, et que les agitateurs ne peuvent plus s'en servir comme par le passé pour occasionner des incendies. Cependant l'etat des choses est reellement toujours volcanique.
959
Pendant mon dernier sejour à Paris, Md° de Brissac m'a fait dire plusieurs fois des choses honnêtes. Il y avoit bien des années que je ne l'avois vue. J'avois passé une nuit dans le port de Nice en 1788 pendant qu'elle etoit dans la ville avec Md° de Nadaillac, et je ne les avois point eté voir, malgré toutes les honnêtetés que j'en avois reçues. J'ai eu la même negligence à cette seconde epoque, et je n'ai pas cherché à renouveller connoissance; je crois que c'est un tort que j'ai eu sous plus d'un rapport; mais mes objets m'entrainent et me separent journellement de ce monde. J'ai reparé cela à une troisieme epoque, et j'en suis infiniment plus satisfait.
960
Le Crocodile, en paroissant, n'a pas fait une grande sensation, parce que les bases sur lesquelles il repose sont si loin des notions reçues qu'on ne l'a pas entendu. Dans le vrai, il est plein de negligences, et il se sent de l'envie demesurée qu'avoit l'auteur d'en etre debarassé. Il n'en est pas moins sur qu'avec une lessive de plus, il auroit pu devenir un bijou, tant le fonds pretoit, et etoit susceptible de fournir de l'extra-ordinaire, du doux, du piquant, enfin de tout ce qu'on auroit voulu. Cela sera reservé pour une seconde edition si toutefois elle se fait jamais, ce dont je doute.
961
Dieu n'a voulu me laisser aborder un peu les regions des sciences humaines qu'après m'avoir tracé ma besogne qui consiste à travailler à son service dans un genre qui me petrifie de surprise, de joye, et d'admiration. Il a pris cette precaution de peur que
ces sciences humaines ne m'eussent donné des dis-tractions ou de l'orgeuil. Or l'oeuvre en question est de nature à y mettre bon ordre.
962
La Revolution françoise dans son but moral, a pour objet comme toutes les catastrophes de ce bas monde, de nous oter ce repos apathique dans lequel nous dormons, au milieu de tous les precipices qui servent de base à nos joyes terrestres icy-bas. Mais ce n'est là que son but secondaire. Dieu voudroit par là nous apprendre que nous devrions avoir la même surveil-lance, et une vigilance encore plus inquiete dans l'ordre spirituel qui est celui de notre vraie nature. Car c'est une verité certaine, qu'à moins d'etre rentrés tout à fait dans notre patrie divine, notre esprit est toujours exposé à perdre ce qu'il a, et à devenir la proye de son ennemi.
963
Les terribles decrets tant relativement à l'emprunt de 100 millions, qu'à la responsabilité civile et solidaire des nobles, ascendants d'emigrés, et autres, qui . ont eté rendus en messidor de l'an 7 soit-disant pour la repression des brigandages et assassinats, mais bien pour anéantir la race des nobles, ces decrets, dis-je, qui exposent les nobles à etre ruinés, à etre mis en otage, à etre deportés et tout ce qui s'en suit, m'annoncent que les afflictions dont j'ai parlé n° 367, s'avancent grandement sur notre horison, et m'avertissent de me tenir prêt à tout, et à tout moment. Dans l'examen que cela me fait faire, je retrouve clairement les nuances du n° 368, et du n° 369. Mais j'y reçois aussi des developpements bien magnifiques sur les droits de notre etre, sur l'extreme proximité où Dieu est de nous, et en même tems sur l'extrême eloignement où l'amour qu'il a pour sa propre beauté le tient de ceux qui s'endorment, et ne se determinent pas resolument à le faire sortir de son interne, oui je ne puis douter d'etre voisin d'une très grande epoquc, où des maux extremes vont se repandre, mais où il se repandra aussi de bien grandes consolations pour les ames de desir qui sauront faire revivifier leurs privileges par le grand, et incomprehensible restaurateur des humains.
964
Dans les moments où la gayté me tient, je dis quelquefois que si les hommes s'abusent journellement en s'efforçant de regarder ce monde-cy par rapport à eux comme des confitures, la puissance juste et severe qui le gouverne ne neglige rien pour leur bien faire sentir qu'il est autre chose. Elle fait avec eux, (et c'est icy ma pointe de gayté) comme on fait avec les petits chats qui ont fait caca dans l'appartement; on leur trempe et frotte si bien le nez dedans, qu'ils ne puissent pas méconnoitre la chose, et qu'ils apprennent par là à n'y pas retourner.
965
C'est parce que l'esprit du monde n'est pas droit, qu'il a besoin d'etre adroit. Mais l'esprit de verité ne se soucie pas d'etre adroit, et est au-dessus de cette resource, toute sa force et toute sa confiance sont dans sa droiture.
966
L'etoile superieure qui me mene a veillé clairement sur moi, et m'a voulu preserver des grandes catastrophes de ce monde; l'etoile inférieure qui me combat s'est opposée constamment à ce qu'il se fît chez moi un developpement saillant, substantialisé et consolidé, soit dans les fruits de l'intelligence, spirituelle, soit dans les oeuvres actives de l'esprit, soit dans les sciences ordinaires et communes qui se seroient si bien liées à mon grand objet! De façon que je ne puis nier faire deux types marqués. L'un de la grande bonté et de la grande douceur de la main favorable qui me protege; l'autre de la grande jalousie et de l'opiniâtre opposition de celui qui me poursuit; de façon enfin que pour les yeux vulgaires je dois etre comme inconnu, et comme ne marquant ni pour les succès, ni pour les desastres. Toutes mes voies et tous mes actes sont invisibles.
967
Je suis une citadelle qui a eté continuellement assiegée et que l'on n'a cessé de vouloir prendre par la disette.
968
Dans ma premiere education on m'avoit stilé à croire que mon corps devoit etre mon idole; dans mon education posterieure j'ai appris au contraire que je ne devois seulement pas le compter.
969
L'objet du fléau que la Revolution fait tomber sur les nobles est de purger ceux, qui peuvent l'etre, des influences d'orgeuil que ce titre leur avoit communiquées, et de les rendre plus nets et plus presentables lorsqu'ils paroitront dans les regions de la verité.
970
C'est par l'ame que l'on aime. Le monde n'a que de l'esprit, de lorgeuil, et des poulmons; aussi quand les gens du monde vous disent qu'ils vous aiment, n'en croyez rien.
971
Les gens du monde semblent n'etre cousus que de tems; c'est pourquoi ils sont si travaillés et si retenus par les choses nulles, frivoles, ou fausses. A tout moment il faut qu'ils accouchent de ce dont ils se sont laissés impregner, et reciproquement leur progeniture s'accroche à eux à tous les pas. Ils sont sous l'astral passif comme les enfans. Heureux s'ils s'en tenoient à cette mesure-là!
972
Verneti Vaucrose d'Avignon, est venu au mois de fructidor an 7, passer quelques jours avec moi à Amboise. Quoiqu'il ne soit pas encore bien avancé dans la carrière, faute de secours, je suis cependant bien aise de l'avoir vu. C'est une bonne ame; et puis nous avons toujours pu nous entretenir de nos affaires selon sa mesure; et sur cela sa mesure est un peu plus etendué que celle des gens qui m'entourent icy, parce qu'il a vu un plus grand theatre et au moins entendu parler de plusieurs choses, dont icy on ne sçait seule-ment pas les noms.
973
On a voulu que je visse tout sur la terre. J'y avois vu longtems l'abus de la puissance des grands; il falloit bien que j'y visse ensuite l'abus de la puissance des petits.
974
Sans que j'aye fait aucune demarche pour cela, je me suis lié à Amboise avec M" d'Augustin, et M' de Martigny son frere. Je crois que ces deux connoissances me procureront à l'avenir des occupations agréables dans mon pays. (J'ai eu lieu de croire depuis cette epoque que M' de Martigny m'avoit joué.)
975
Au mois de vendemiaire l'an 8, je suis revenu à Paris, comme j'y reviens tous les ans. J'ai descendu à Conflans-Charenton, où j'ai passé un mois chez mes anciens hôtes de la rué de Lille. Je suis venu de là m'etablir Vieille rué du Temple où ils m'avoient retenu un pied-à-terre. Mais le local n'etant pas logeable, et me trouvant loin de tout, je me suis laissé loger par d'autres amis, dans la maison Matan rué Neuve des Capucines n° 20, où loge la soeur de Villemanzy. J'ai dans mon voisinage Laran, Perceval, et Tonnellier à la maison des Mines. Je tacherai de profiter de ces circonstances pour faire quelques excursions dans les sciences humaines, afin d'avoir occasion de les venger des torts qu'on leur fait. C'est dans cette intention que je me suis laissé mettre du au cours de mineralogie que fait Haui, à la maison des Mines. Je n'ai le tems, ni l'envie de devenir, mathematicien, chimiste, ni mineralogiste, mais il est à propos que j'aye sur toutes ces sciences quelques données, et je ne dois pas me refuser à les acquerir.
976
J'ai passé delicieuseinent la soirée du dernier jour de l'an 99 du dix-huitieme siècle chez ma bonne amie Md° Lenoir-Laroche, une des femmes des plus ver-tueuses que j'aye connues, et qui a des vues très louables sur l'education des jeunes personnes de son sexe. Elle m'a donné une idée frappante (que je n'avois pas) sur la raison qui a fait que je ne me suis point marié, c'est que j'etois né une femme qui ensuite s'etoit mariée avec un homme; et qu'ainsi je n'avois pas besoin d'autre chose. Cecy pourroit cependant avoir des rapports avec le n° 915.
J'ai commencé aussi très suavement le lendemain comme par suite de la bonne soirée de la veille. Enfin j'ai de douces esperances pour mon compte pour
1 l'année 1800 où nous entrons et qui repond à l'an 8 republicain. Le nombre de cette année republicaine, le nombre prochain du 19° siecle, le nombre de mon age qui au 18 du mois de janvier actuel commencera ma 58° année, m'offrent tous trois des correspondances marquantes, et qui joint mille autres secrets temoignages ne peuvent pas etre indifferentes pour mon intelligence.
977
Les gens du monde me traitent de fou. Je veux bien ne pas contester avec eux sur cela. Seulement je voudrois qu'ils convinssent que s'il y a des fous à lier, il y a peut-être aussi des fous à délier; et ils devroient au moins examiner dans laquelle de ces deux especes il faudroit nie ranger, afin que l'on ne s'y trompât point.
978
Au sujet du n° precedent je fis un jour l'application inverse de S' Mathieu 10 : 12, etc. sur l'apostolisme de la paix; et je mis en pendant l'apostolisme de la dérision. Cela ne fit point un mauvais effet. Au contraire.
979
Le bon Jeremie n'etoit que le Jeremie de Jerusalem. Aujourd'hui il faut etre le Jeremie de l'universalité.
980
Les gens du monde croient qu'on ne peut pas etre un saint, sans etre un sot. Ils ne savent pas au contraire que la seule et vraie maniere de n'etre pas un sot, c'est d'etre un saint.
981 Ce n'est point assez d'avoir de l'esprit, il faut aussi avoir de la spiritualité.
982
Comment s'entendre avec les gens du torrent, au sujet du n° precedent? Pour les sciences humaines il ne faut que de l'esprit, et elles ne demandent point d'urne. Pour les sciences reelles et divines il ne faut point d'esprit, parce que lame les engendre toutes. Ainsi il est impossible qu'il y ait rien de plus inverse que le monde et la verité.
983
Dieu est jaloux de l'homme. Je me suis apperçu qu'il l'etoit de moi comme de tous mes semblables, et qu'il attendoit pour faire une entiere alliance avec moi, que j'eusse rompu avec touts les rivaux qui occupoient encor trop souvent, mon ame, mon coeur, et mon esprit.
984
Presque tous les amans, et tous les maris sont des especes de Dom Quichotte à regard de lears mai-tresses et de leurs epouses, car ils leur Pretent toujours un peu plus qu'il ne leur est du. La seule difference est que Dom Quichotte dans son illusion avoit eté obligé de composer et d'imaginer sa Dulcinée toute entiere, au lieu que les amants et les maris se contentent d'en imaginer chacun une fraction.
985
Dieu ne cesse d'employer tous les moyens possibles pour apprendre aux hommes que leur royatnne n'est pas de ce monde. La plupart ont la tête sl dure, et ont une conduite si mal ordonnée, qu'il ne peut leur enseigner cette verité que par des tribulotinns, r malheurs, et des infirmités; quant à moi il a daigné me l'enseigner de deux manieres qui sont infiniment plus douces; car par l'une il m'inonde des magnificences de l'autre monde; et par l'autre il $e contente de m'éprouver par les bêtises de celui-ci- Voyez le n° 942.
986
Dans le mois de floréal de l'an 8, j'ai publié un des ouvrage en deux volumes intitulé : De l'Esprit choses. Ce n'est qu'un rassemblement de quelques-unes des notes nombreuses dont mes portefeuilles sont pleins, parce que j'ai eu soin d'ecrire à Peu près tout ce qui m'est venu. Les amis de la verité ont gouté beaucoup cet ouvrage. Les gens du monde y ont trouvé de la negligence dans l'ordonnance et dans le stile. Je ne disconviens pas qu'il n'ait un peu de ces defauts-là; je ne veux pas même les excuser sur les difficultés de circonstance, sur mon isolenJent qui m'a privé de toute espece de collaborateur, parce que personne n'admettroit ces raisons-là; mais je dis que les avantages de la forme et du stile ne produisent gueres d'autre effet pour le monde que 'attirer tout en dehors, et ensuite de l'y laisser, tandis que ce seroit au contraire le dehors qu'il faudroit attirer en dedans. Aussi ceux qui ont le gout des grandes verités passent par-dessus ces imperfections extérieures; et d'ailleurs tout le monde convient que de tous les ecrivains spiritualistes je suis le seul qui se soit tant occupé du luxe du stile, et de l'ordonnance methodique du fonds. Je crois bien que ces imperfections-là auroient eté beaucoup moindres si j'eusse eu seulement les secours exterieurs les plus ordinaires; mais quelquefois aussi je me persuade que la Providence n'a pas permis que je les evitasse toutes, afin de laisser quelques nuages autour du soleil qui seroit trop grand pour ne pas eblouir, ou qui peut-être seroit prophané par des yeux encore trop etrangers à sa lumiere.
987
Peu de tems après la publication de l'Esprit des choses je songeai à aller faire un petit voyage à Amboise pour y refaire un peu ma santé que mon mauvais gite et mon mauvais regime avoient mise en mauvais etat. J'accélerai mon depart, ayant appris la mort de la mere de ma cousine.
988
Dans le Journal de Paris n° 242, le 2 prairial an 8, Mercier a inseré une lettre où il dit : (Dieu se promene perpetuellement dans ses ouvrages pour en revivifier l'existence.... en laissant partout des marques de sa bienfaisance et de son amour.) Ce passage est pris de mon Homme de desir, paragraphe 188 au 3° verset. Mercier en a retranché la troisieme ligne à cause du systême republicain.
989
En allant retenir ma place à la diligence pour Amboise, j'eus un mouvement qui m'annonça que j'aurois quelque regret au sujet de ce depart de Paris.
En effet Div... La Forêst y arriva le même jour que j'arrivai à Amboise. Or Dieu sçait combien j'ai de desir de le revoir.
990
La principale ambition que j'ay eue sur la terre a eté de n'y plus etre, tant j'ai senti combien l'homme etoit deplacé et etranger dans ce bas monde.
991
En voyant les brigandages et les rapines qui s'exercent universellement de la part des hommes, et qui m'ont frappé si sensiblement dans notre Revolution, j'ai dit, dans mon stile gai que nous avions eu beau effacer tous les saints du calendrier, il y en avoit un inamovible, et qui etoit le plus catholique de tous les saints; c'est aussi celui dont le culte est le plus général et le plus assuré. Or ce saint est, Sancte Rapiamus; car à son nom, il n'y a personne qui ne dise : Ora pro nobis.
992
La Providence m'a fait quitter le service au moment où à force d'en approcher et de n'entendre parler que de cela, j'etois prêt à croire qu'il etoit quelque chose. La Providence ne m'a laissé approcher des sciences humaines que lorsque j'ai eté bien convaincu qu'elles n'etoient rien. La Providence m'a tenu eloigné de tout secours humain quant à l'action et à la reaction spirituelles, afin de me prouver par le fait qu'elle veut etre elle-même mon exclusive action et mon exclusive reaction. Aussi j'espere bien ne pas quitter ce monde sans savoir positivement ce que c'est que le royaume, et sans etre naturalisé, et inscrit comme citoyen actif sur le registre national.
993
Voyez le n° 615.
994
Le monde m'a repoussé à cause de l'obscurité et de l'imperfection de mes livres. S'il s'etoit donné la peine de me scruter un peu plus profondement, peut-être auroit-il gouté mes livres à cause de moi, ou plutot à cause de ce que la Providence a mis en moi et qu'il etoit bien loin de voir, puisqu'il ne voyoit pas même ce qu'il y avoit dans mes livres.
995
Comme mon affaire est et doit etre toute divine, et que Dieu est un Dieu jaloux, tout la gêne de ce qui n'est pas lui, elle s'ombrage de la moindre chose, et alors elle ne se montre plus qu'à demi, ou point du tout. Voilà pourquoi j'ai tant de desavantage avec le monde qui est toujours en exercice et en jouissance complette de sa fausse domination, et de son empire de mensonge. Je peux bien attribuer à ma foiblesse une grande partie de cet effet repressif; mais certes je n'en dois pas attribuer une moindre partie à ma destinée divine qui veille à la conservation de sa propre base, et qui ne veut pas la laisser frayer et se confondre avec l'esprit des nations.
996
Le monde est un esprit qui est un gouffre dans tous les genres; il exige que l'on lui donne tout, et cela continuellement; mais pour lui il se garde bien de rien donner du sien. Il a si peu de chose, et ce qu'il a est si faux et si précaire, que pour peu qu'il fît le plus leger sacrifice, il n'auroit plus rien, car il décaleroit bientôt par là le néant de tous ses avantages.
997
Les gens des grandes villes, et surtout des villes de plaisir et de frivolité comme Paris sont des êtres qu'il faudroit en quelque sorte tirer à la volée si l'on vouloit les atteindre. Or ils volent mille fois plus vite que les hirondelles; et en outre ils ont grand soin de ne vous laisser qu'une lucarne si petite qu'à peine avez-vous le tems de les voir passer, et c'est cependant tout ce que vous avez de place pour tirer. Puis si vous les manquez, ils triomphent. Ma destinée temporelle s'est distinguée dans ce genre à mon egard; elle n'a cessé de me faire une lucarne qui n'avoit pas une ligne de largeur; souvent même elle ne m'en a point laissé du tout. Et les jugements n'en ont pas moins suivi leur cours. Mais le gain de ma cause n'est que différé.
998
Ces mêmes gens des grandes villes font d'un autre coté, un grand honneur à l'espece humaine, car ils s'occupent tellement de leurs plaisirs, de leur gloire, et des jouissances de leur esprit, que vous ne pouvez avoir accès auprès d'eux que sous ces sortes de rapports; ils ne vous supposent ni le manque de for-tune, ni le manque de forces, ni le manque de circonstances favorables, pour votre developpement, ils regardent l'homme comme etant dans la region superieure, et au-dessus de toutes les entraves de ce monde, tandis qu'eux-mêmes sont liés triplement de toutes ces entraves qui le composent.
999
Je suis payé pour avoir confiance en mes principes, parce que je suis persuadé que foncierement tous les hommes de la terre pensent comme moi, sans en excepter ceux qui me sont les plus opposés en apparence. Nous sommes tous comme un même sel dissous dans des eaux differentes tant pour la qualité, que pour la quantité, or il ne faudroit autre chose que laisser evaporer dans les hommes ces eaux diverses qui sont leurs prejugés, leur ignorance, leurs passions etc., et on retrouveroit partout en eux le même sel, comme cela arrive dans les evaporations naturelles des sels que nous dissolvons tous les jours dans differents liquides.
1000
Le 21 messidor an 8, je suis retourné à Paris pour y voir l'ami Div... esperant qu'il me consolera de la perte de mon ami Kirchberguer qui est mort au commencement de cette année; je laisse à Amboise ma bonne cousine, et Mae d'Augustin dans d'excellentes dispositions. Pendant mon sejour, dans mon pays est arrivée la fameuse bataille de Maringo le 25 prairial, où l'etonnant Bona-Parte a tellement avancé sa gloire, et la paix de l'Europe que je le regarde comme un instrument temporel des plans de la Providence par rapport à notre nation. Cet evenement me confirme de plus en plus dans les opinions que j'ai imprimées depuis six ans sur notre Revolution.
1001
Les paroles nous sont données en compte, comme les brebis sont données en compte à un berger; et si nous les laissons egarer, amaigrir, ou manger des loups on nous traitera avec encore plus de rigueur que lui.
1002
Comme j'ai une universalité pour moi, il faut bien que j'aye une universalité contre moi; aussi l'ennemi ne manque-t-il pas de semer autour de moi, et surtout autour de mon objet, des embûches de tous les genres.
1003
J'ai eté touché des tendres honnêtetés de Dégérando à mon egard, lorsqu'un jour entrant dans une societé où il se trouvoit, sans que je le niasse, il vint au devant de moi, et m'embrassa affectueusement; c'est un homme dont on m'a vanté les bonnes qualités, et qui peut comme mon ami et membre de l'Institut, peut m'etre d'un grand secours dans la carriere de l'instruction; et des sciences humaines.
1004
J'ai trouvé les Le Noir à cent lieues en deça du point où je les avois laissés, surtout la femme. J'ai trouvé la mere Briquet à peu près dans les même cas à mon egard. Les Fleuri, Bachelier, de Liérres ont gouté l'Esprit des choses. Neveu a eté absent par commission du gouvernement en Allemagne.
1005
Div... a du bon, et du très bon. Il n'a pas eu à s'occuper d'autre chose que de lui, et il a mis son teins à profit. Il faut seulement qu'il se preserve du montant auquel il a du penchant, et pour lequel aussi il prend aise-ment de l'admiration. Mure et lui ont de l'analogie; cependant il est cent fois au-dessus de Mure; et s'il peut atteindre au veritable à plomb, ce sera un homme prétieux.
1006
J'ai eté occupé jusqu'à présent à travailler pour les autres; je voudrois aujourd'hui travailler pour moi. J'ai eté obligé, pour m'occuper des autres, de fermer ma fontaine d'amour; il est tems que je la l'ouvre pour reparer le teins perdu, car les hommes ne m'en tiendront pas compte, quoique je raye perdu pour eux; et j'espère moyennant Dieu que cette fontaine d'amour sera abondante et assez vive pour inonder perpétuellement et universellement toutes mes prairies.
1007
S`-Pierre, de l'Institut me paroit un excellent homme. Nous avons diné ensemble chez nos bonnes amies Maison-Neuve. Il est toujours persuadé de la perfection de la nature, et il travaille à en peindre les harmonies. Je voudrois bien savoir comment il s'y prendra pour nous peindre les harmonies de la colique, du buhon-upas, du serpent-sonnette, et de tous les insectes malfaisants.
1008
Un des prodiges les plus inexpliquables pour moi, c'est que la Divinité me comble de tant de douceurs et de consolations, et que cependant il y ait en moi si peu de chose qui puisse fixer ses regards.
1009 .
J'ai dit quelquefois que les écrivains ne nous don-noient presque toujours que de la crotte dorée; et que moi je leur donnois de l'or crotté.
1010
La science des gens du monde, n'est autre chose que la science des personnes. On ne s'occupe dans la societé que des noms des individus et de leur historique. Aucune autre connoissance n'y trouve sa place.
1011
Quand je lis ou que j'assiste à une piece de theatre, il me semble voir et entendre des gens jouer au propos discordant.
1012
C'est une chose douloureuse pour moi lorsque je considere les hommes d'etre obligé de les regarder ou comme des fous, ou comme des enfans, ou comme des mechantes bêtes.
1013
Dans le mois de brumaire an 9 (novembre 1800) j'ai publié ma traduction de l'Aurore naissante, de Jacob Bêhme. J'ai senti en la relisant de suite, et tout à mon aise, que cet ouvrage seroit beni de Dieu et des hommes, excepté du tourbillon des papillons de ce monde qui n'y verront rien, ou qui n'en feront que l'objet de leur critique et de leurs sarcasmes.
1014
Depuis longtems je desirois etre près de Paris, mais non pas dans Paris qui au moral comme au physique est toujours pour moi comme un cloaque. J'ai rempli mon objet en venant me loger rue des Postes n° 2, près l'Estrapade. Je jouis là d'un air plus pur, j'y eprouve des influences plus salutaires, et je ne m'y regarde pas comme etant à Paris, quoique je sois dans son enceinte. J'ai autour de moi nombre de chaires doctorales dans tous les genres; je vais de tems en tems ecouter quelques-uns des professeurs. Mais c'est pour etre au courant relativement à la science humaine, et pour prendre ce que j'appelle leur mesure. Car c'est une verité qui se confirme de plus en plus pour moi qu'il n'y a qu'une seule science, et que tous ces docteurs-là ne la connoissent pas. Aussi je ne loge dans ce quartier que par interim.
1015
Lors de l'arrestation de Clement de Ris senateur, dans sa terre de Beauvais je fus vivement touché de son etat et de celui de sa malheureuse femme. Je fus fortement pressé de prier dans cette circonstance. Ma priere se tourna naturellement vers deux seuls objets, savoir la delivrance de l'innocent infortuné, et le non-succès des projets des mechants. J'ai ressenti je l'avoue une grande joye lorsque j'ai appris que Clement de Ris etoit libre et que ses detenteurs n'avoient ni leur victime ni sa rançon.
1016
La peste d'Espagne, et les soupçons qu'elle gagne Jersey et Guernesey ont reveillé ma priere. Ce n'est pas seulement pour la France que je prie, (esperant bien d'ailleurs qu'elle sera preservée) c'est surtout pour les ames de tant de miserables victimes que ce fleau enleve avant qu'elles se soient délivrées des entraves affaissantes de leur prison; car je ne sais guères prier pour les corps, attendu que quand l'urne a sçu monter en grade, la mort de son corps n'est plus un malheur pour elle.
1017
Quand je vais ecouter les docteurs publics qui m'environnent à ma montagne j'eprouve une impression facheuse à leur egard, savoir qu'il y a un inconvenient majeur attaché à la qualité de professeur, et cet inconvenient est d'avoir toujours raison puisqu'il n'y a jamais personne qui leur reponde, ni qui les redresse.
1018
Pour expliquer l'homme, me passer de la matiere; pour expliquer les choses religieuses, me passer des capucins, telle a eté ma tâche; tel est l'equilibre qu'il m'a fallu garder entre ces deux eceuils dont l'un vous jette dans le gouffre de l'atheïsme, et dont l'autre vous fait cribler de ridicules.
1019
Le 3 nivose an 9, à huit heures du soir, éclatta rué S`-Nicaise la machine infernale dirigée contre Bona-Parte qui alloit à l'Opera à la 1e'a representation du fameux oratorio de Hayden. Son cocher etoit ivre; il alla plus vite qu'à l'ordinaire et passa où il n'auroit pas passé de sang-froid. Cela fit que le carosse depassa la machine de quelques secondes, ce qui suffit pour que l'explosion ne le pût atteindre. Je ne puis m'empecher de reverer Bona-Parte tant pour les talents qu'il a montrés, que par la protection marquée de la Providence à son egard. On ne peut nier qu'il n'y ait de grandes destinées attachées sur cet homme remarquable.
1020
J'ai revu avec bien du plaisir Md de Montbarrey qui tombée du haut d'une grande fortune dans l'indigence, supporte sa situation avec une resignation edifiante; elle m'a fait grand plaisir aussi en m'apprenant la pieté avec laquelle son mari avoit terminé sa vie.
1021
Les Perrier, les Rollin, y compris Camille Jourdan me paroissent une voie preparée pour faire tomber les opinions defavorables que le monde prend de moi et de mon objet, sans connoitre ni l'un ni l'autre. (Le pere est mort le 19 pluviose. J'ai receuilli des fruits à son convoi, et à son service fait à S`-Roch.
1022
Le 24 pluviose an 9 (13 fevrier 1801) la paix continentale signée 4 jours auparavant à L'Uneville entre Joseph Bonaparte et M' Cobentzel; l'Empereur ayant trente jours pour ratifier. C'est ce même jour 24 que j'ai livré à l'imprimeur Laran mon Cimetière d'Amboise. Je me confirme de plus en plus que j'arrive à une epoque qui sera marquante pour moi. J'ai à peu près terminé ce que j'avois à faire d'ostensible pour le service des autres. Je veux maintenant, moyennant Dieu, travailler pour mon propre service qui n'est autre chose que le sien. Mais c'est sur cela que je ne m'expliquerai jamais qu'avec ceux qui me devineront.
1023
Il y a des hommes qui sont condamnés au teins. Il y en a qui sont condamnés (ou appelés) à l'eternité. Je connois quelqu'un de ce dernier genre; aussi quand ceux qui sont condamnés au tems vouloient juger son eternité et la gouverner par le sceptre du tems, on peut presumer comment il les traitoit.
1024
C'est le 30 ventôse, veille du 1" germinal an 9, repondant à l'equinoxe du printems 21 Mars 1801, que la paix continentale a eté publiée à Paris. La pompe a eté modeste, reservant les fêtes pour le 14 Juillet; la joye a eté mediocre; le teins assez mauvais. En general ce qu'il y a eu d'ostensible dans cette epoque semble d'accord avec ce qui en est caché, savoir que cette pacification externe, et cet ordre apparent produit par l'effet de la Revolution ne sont pas le terme où la Providence ait eu exclusivement l'intention de nous conduire; et qu'ainsi les agents et les instruments qui ont concouru à cette oeuvre se tromperont s'ils se croyent arrivés. Je les regarde au contraire comme des postillons qui ont fait leur poste; mais ils ne sont que les postillons de province, il en faudra d'autres pour nous faire arriver au but du voyage, qui est de nous faire entrer dans la capitale de la verité.
1025
Au commencement de l'année 1801, j'ai revu à Paris Madame de Luzignan que je n'avois pas vue depuis dix à douze ans. Elle avoit perdu de la petite verole, en revenant de Lubeck son mari, M''° de Ricé la mere, Ma° de Ricé fille de la precedente, et s'etoit chargée de la petite de Ricé agée de 7 à 8 ans. Elle avoit eu le bras cassé à Constance. Je ne l'ai revuë que comme officiellement. Le tableau de ses peines m'a dechiré l'ame.
1026
Les sciences humaines, les arts, la litterature, enfin tous ces fruits de l'industrie de l'homme ont un inconvenient remarquable, c'est qu'ils ne tendent qu'à nous persuader que nous sommes arrivés au but pour lequel nous avons reçu l'existence, pendant qu'au contraire ils ne font que voiler absolument ce but à nos yeux. Chacune des jouissances qu'ils nous pro-curent est usurpée sur les veritables jouissances dont nous sommes susceptibles, et qui ne sont autres choses que le progrès, l'extension, et la vivifiante propagation de la base radicale de la verité. Base dont ces mêmes sciences, et ces mêmes arts non seulement ne recherchent point la connoissance, mais qu'ils proscrivent de toute leur force; et c'est dans cet etat d'aveuglement qu'ils triomphent et qu'ils font triompher ceux qui les cultivent.
1027
Il y a une idée qui m'est venue souvent dans l'esprit, au sujet de ce que le monde doctoral, et le monde ignorant pretendent que mes productions litteraires, et philosophiques sont selon eux si peu conformes au sens commun; ils ne savent pas que ce n'est point à ce qu'on appele le sens commun que j'ai visé; il n'eût pas eté suffisant pour moi; il me falloit le sens distingué; c'est celui-1à seul qui pouvoit convenir à la mesure et à l'inclination que l'on m'avoit donnée. Or ce sens distingué est encor plus etranger à ces doctes et à ces gens du monde, que ce qu'ils appellent le sens commun ne l'est pour moi.
1028
Quand je reflechis sur ma carriere, et sur les douceurs dont elle est remplie, je me confirme de plus en plus dans une opinion que j'ai eue depuis longtems et qui ne fait que se realiser de plus en plus pour moi tous les jours, savoir que je suis venu dans ce monde avec dispense. Cette verité a eu lieu de deux manieres. La premiere en ce que j'ai reçu dès mon jeune age des notions et des developpements qui par leur nature sembloient ne devoir appartenir qu'à un age plus avancé. La seconde en ce que les fruits actifs les plus doux et les plus etendus me sont parvenus sans que je les aye acquis au prix de mes sueurs, comme cela arrive presque indispensablement pour la plupart de mes confreres.
1029
Les phisiologistes et les connoisseurs dans les pro-portions du corps humain ont remarqué, en me regardant que ma tête etoit trop grosse pour ma stature et ma corporance. C'est une disproportion qui caracterise l'enfant. Aussi suis-je demeuré comme enfant par rapport à mon corps. Je suis demeuré tel egalement quant à mon caractere; et le nom d'enfant est le sobriquet que l'on me donnoit communément au college, sans prejudice de sobriquets accidentels que j'y avois merité; enfin je suis demeuré tel quant à mon esprit, puisque toutes mes forces ont passé dans mon intelligence ou dans ma tête; et c'est à cela que je dois en grande partie les graces spirituelles que j'ai reçues.
1030
Dans l'hiver de l'an 9, ou de 1801, j'ai publié Le Cimetiere d'Amboise, petit poéme en 420 vers. Les bonnes gens ont cté contens du fond des choses et y ont trouvé des vers heureux. Les gens de l'art ne l'ont jugé que par la forme et n'ont pas seulement regardé le fond. Du Rosay en donna de ma part un exemplaire à Bona-Parte. Mais je n'ai seulement jamais sçu s'il l'avoit lu ou non.
1031
Dans ma vie j'ai presque toujours trouvé les hommes meilleurs ou pires que leur reputation.
1032
Comme balayeur du temple de la verité, je ne dois pas etre etonné d'avoir eu tant de monde contre moi. Les ordures se defendent du balay tant qu'elles peuvent.
1033
Ce qui me donne tant de joyes dans ma carriere, c'est de sentir que, grace à Dieu, j'etois comme arrivé, avant même de partir, tandis qu'il y en a tant qui ne sont pas partis même après être arrivés.
1034
L'on m'avoit fait eunuque, et quoique j'aye eu la sottise de me laisser aller à contrecarrer cette destination, on a voulu forcement me faire eunuque de nouveau, tant la loi superieure est invariable dans ses plans. Et même ma seconde maniere d'etre eunuque sera bien plus belle que la premiere.
1035
J'ai cru souvent que je gagnerois les hommes en montrant seulement quelques amorces; et dans le vrai il faut qu'ils ayent bien peu de nez pour mordre si peu à celles que je leur ai montrées; mais celui qui voit mieux que moi, n'a pas voulu que ces amorces fussent plus abondantes, dans la crainte sans doute, que je ne m'en tinsse là; en outre il m'a tellement sévré des circonstances que celles qui paroissoient devoir etre les plus favorables, au premier apperçu, ont presque toujours fini par m'etre contraires. Son intention en cela m'est connue aujourd'hui; il veut que je ne me montre que d'une maniere péremptoire; et pour cela il n'y a pas d'autre voie que les grands moyens. J'en suis bien fâché, tant j'aurois aimé que les hommes sçûssent s'en passer. Mais sa vol. soit faite !
1036
Il y a de bonnes raisons pour que les livres des savants et des litterateurs l'emportent sur les miens. 1° Ils sont mieux faits, et dans le vrai leurs auteurs ont grand besoin de suppléer par la forme à ce qui manque au fond dans leurs productions; au lieu que les miennes reposent sur un fond si solide et si inexpugnable qu'elles peuvent se passer de la forme, quoique si ces auteurs etoient justes ils conviendroient que de tous les ecrivains spiritualistes je suis celui qui ai donné à ce fond vrai et fecond la forme la moins repoussante. 2° Leurs ouvrages doivent faire fortune plus que les miens parce qu'ils songent plus que moi à travailler pour ce monde-ci, attendu que je ne travaille que pour l'autre. Leurs oeuvres sont des courbes à double courbure, et qui reposent sur deux plans. Les miennes ne reposent que sur un seul plan. Enfin ils veulent bien parler de l'autre monde au lecteur, mais en ayant grand soin de le laisser dans celui-ci sans quoi ils se feroient peu de partisants, au lieu que je tends clairement à l'en arracher. Il n'est donc pas etonnant que je sois pour le monde et ceux qui travaillent pour lui, comme un veritable reprouvé.
1037
On auroit du me bourrer de lumieres et de forces, et on ne m'a bourré que d'ignorances et de foiblesses.
1038
Vers la fin de 1802, j'assistai au mariage du jeune d'Arquelai. Son pere octogenaire et mourant se fit apporter au pied de l'autel, et vint joindre ses bene-dictions à celle du prêtre. Quinze jours après le pere mourut, et j'assistai à la ceremonie funebre dans le même lieu où j'avois assistai à celle du mariage. Lorsque je vis le fils jetter de l'eau benite sur le cercueil, je fus frappé jusqu'au vif du tableau de cette chaine de benedictions tantot douces, tantot dechirantes qui lie toute la famille humaine et qui la liera jusqu'à la fin des choses. Ceci seroit un sujet inepuisable de magnificences divines.
1039
Peu de tems après mon retour d'un petit voyage fait à Amboise pendant l'eté de l'an 9, je lus l'ouvrage de Mounier contre Baruel, lequel Baruel m'avoit dechiré à belles dents et plusieurs autres, sans me connoitre. Mounier, plus moderé que lui et plus honnête, manque cependant de la connoissance qu'il lui faudroit pour juger de la chose dont il s'agit. Ma° Perrier et Ma° de Rollin desiroient que je me liasse avec lui. Mais quoique je Paye rencontré une fois ou deux dans la maison de M" de Rollin, nous n'en sommes pas plus liés pour cela, et nous ne le serons probablement pas davantage. Il a trop d'objets de ce monde à pour-suivre.
1040
M' de Fondbrune m'a paru avoir de profondes et de saines connoissances en musique. Son système de l'accord parfait comme generateur de tous les autres accords parfaits est imposant par sa majesté et sa simplicité.
1041
Le baron de Bonde et le baron de Silveryelhm m'ont amplement dedommagé de l'oubli où le public a laissé le Crocodile. Ils y ont vu beaucoup mieux que ma nation tout ce qu'en effet cet ouvrage renferme soit clairement et à decouvert, soit sous des hyerogliphes et des allégories. J'ai vu aussi avec plaisir Ma° Sanlo et M' Isnard; mais ces deux derniers ne sont encore que des connoissances commencées. Ma" Forget, et Md° de Chastenet ont pris aussi du gout pour le Crocodile.
1042
En parlant avec moi des choses religieuses, une per-sonne me disoit cette phrase si connue, qu'il falloit s'en tenir à la foi du charbonnier. Je repondis, en riant, à cette personne, qu'il n'etoit bon d'avoir la foi du charbonnier que parce que nous avions par là le moyen d'avoir plus vite la foi de charbon (sous-entendant allumé)
1043
Je n'ai cté disposé à l'orgueil qu'avec ceux qui me laissoient le terns de me contempler moi-même, et qui ne me montroient pas assez de vertus, ou assez de lumieres pour que je fixasse sur eux mes regards. Quand j'ai approché des gens d'une autre trempe, je n'ai eprouvé que de l'attachement et de l'admiration. Aussi n'y a-t-il que les gens mediocres, legers et imprudents qui m'aient trouvé de l'orgueil; les hommes sublimes, et profonds, quand j'en ai ren-contré m'ont trouvé simple.
1044
Au mois de floreal an 10, j'ai vu ma soeur à Tours que j'ai trouvée fort bien portante. Vers ce même tems, il y a eu des registres ouverts pour faire Bonaparte 1' Consul à vie. Vers ce même tems c'est-à-dire le 16 mai 1802, il y a eu une gelée terrible et universelle qui a perdu toutes les vignes dans toute la France, et qui a un peu nui aux votes parmi les gens de mon canton, parce que le pain y etoit à un prix exhorbitant.
1045
Dans le même mois de floreal an 10, on m'envoya de Paris le livre de M' de Chateaubriant sur le Genie du christianisme. Tout en admirant son talent, j'ai cru qu'il se trompoit sur le titre; car c'est du catholicisme qu'il parle, et non pas du christianisme.
1046
J'ai remarqué que toutes les fois que Dieu m'a retiré quelque jouissance de ce monde, ou quelques avantages temporels, c'est au moment où j'etois près de croire qu'ils etoient quelque chose.
1047
Dès ma plus tendre jeunesse j'ai senti, et j'ai dit que j'etois heureusement né, mais que je n'etois pas né heureux; et cela s'est verifié dans mille circonstances de ma vie, soit pour le physique soit pour le temporel, soit pour le spirituel. J'ai dit encore que pour ce dernier article, mes plus grands exploits seroient en ecritures; et cela a eté egalement confirmé tant par ma volonté que sans ma volonté; quelquefois même en projet et en simple annonce; comme à Lyon. (Remember the beasts)
1048
J'ai fait mille fautes sur la terre parce que je ne trouvois pas mon analogue parmi les hommes, et que je n'avois pas la force complette de l'aller chercher avec constance dans le lieu elevé où il reside. Heureux, celui qui peut obtenir un appui dans ce monde !
1049
Je sens que les plus grandes fautes que j'ai commises n'ont jamais eté que l'effet de ma paresse et pour remplir les vuides que me laissoient ma foiblesse et ma negligence. J'ai senti aussi que quand j'avois pris un peu soin de moi, l'ami fidele qui nous suit partout, m'accompagnoit jusqu'au milieu de mes ecarts, et en arrêtoit souvent les facheuses suites.
1050
Depuis que j'existe et que je pense, je n'ai eu qu'une seule idée, et tout mon voeu est de la conserver jusqu'au tombeau; ce qui fait que ma derniere heure est le plus ardent de mes desirs, et la plus douce de mes esperances.
1051
Je n'ai jamais gouté bien longtems les beautés que la terre offre à nos yeux, le spectacle des champs, les paysages etc.; mon esprit s'elevoit bientot au modele dont ces objets nous peignent les richesses et les perfections; et il abandonnoit l'image pour jouir du doux sentiment de son auteur. Qui oseroit nier . même que tous les charmes que goutent les admirateurs de la nature fussent pris dans la même source sans qu'ils le croient?
1052
C'est une verité et j'en dois rendre graces au ciel que dans mille occasions où le cours de la vie assujettit l'homme à des epreuves pour son instruction, il m'a dispensé de l'experience.
1053
J'ai resté très peu de tems au service de la patrie, mais je lui ai fait de plus grands sacrifices que ceux qui l'ont servie toute leur vie. Je lui ai sacrifié mon tems, ma jeunesse, ma santé même qui demandoit un plein repos, enfin mon gout le plus vif, sans en tirer d'autre fruit que de ne pas accabler de douleur un pere qui m'eût condamné sans pouvoir jamais me connoitre; mais quels dedommagements m'attendoient au milieu de toutes ces entraves!
1.054
Il y a des personnes d'un caractère froid et reservé avec lesquelles on ne sçait comment se conduire. Tel fut pour moi M' d'And.... lieut... col.. au reg` de Foix. Si je lui avois laissé voir mon dégout pour le metier, c'etoit me couper le col. Si je parroissois m'y attacher, il me prenoit pour un jeune homme sans experience. Que falloit-il donc faire? Obeir aussi froidement que j'etois commandé.
1055
Champoléon capitaine au reg` de Foix me dit un jour cette sentence : Ce n'est que l'interêt ou l'exemple qui a rendu les hommes mechants; ils ne le sont pas naturellement; car alors les hommes bons seroient des monstres, comme etant contraires à leur nature.
Cette proposition est plus specieuse que vraie. L'homme nait avec un mixte dans son moral comme dans son physique. Il devient bon ou mauvais dans la societé, selon que c'est l'un ou l'autre de ces germes qui vegete. La proposition que j'attaque supposoit l'homme à l'epoque primitive où tout etoit pur; cette epoque n'est plus.
1056
Je me suis dit quelquefois :
Mais mon esprit, pourquoi te lasses-tu?
Je me suis entendu repondre :
C'est que je suis reduit à ma seule vertu;
Et si je m'abreuvois à la source eternelle,
J'agirois sans fatigue, et sans repos comme elle.
(numérotation manquante)
1059
Le ciel a voulu pour ainsi dire que je fusse sage, malgré moi. Il m'a donné, il est vrai un caractere facile qui m'a fait ceder dans plusieurs circonstances, mais il m'a donné en même tems une certaine timidité qui m'a evité bien des occasions. Il a corrigé l'un de mes defauts par l'autre. Ainsi je peux regarder le dernier, sinon comme une vertu, au moins comme un heureux preservatif, qu'il est même de mon interêt de conserver.
1060
Le succès de toutes les choses de la vie depend de la maniere dont elles sont presentées. On ne pouvoit imaginer les raisons qui me rendoient si indifferent aux divers etats auxquels on m'a appliqué dans ma jeunesse. On ne comptoit pour rien mon gout pour les connoissances. Moi-même je n'avois pour elles qu'un gout vague, indeterminé, mais susceptible de prendre un caractere auprès de quelqu'un qui m'en eût fourni l'occasion. Elle s'est trouvée à ma 22° année; et de là a dependu le reste de ma vie. Malheur à ceux que l'on retient dans la carriere qui ne leur est pas naturelle! Les objets faux dont on les approche grossissent pour eux, et les objets vrais diminuent. Quels dons, quels talents peuvent se developper dans de pareils etres! Aussi de quels hommes le monde est-il composé!
1061
Un de mes amis me disoit un jour : Nous creusons tous notre tombeau avec les dents. En effet je crois que la table a tué, tue, et tuera plus de monde que la peste, la guerre et tous les autres grands fleaux du genre humain. Car il n'est presque aucune de nos maladies mortelles qui ne provienne en premier lieu de notre intemperance en fait de nourriture; et des aliments contraires que nous prenons en consultant plus notre gout que notre santé.
1062
J'ai eu pendant longtems la curiosité de connoitre le rapport de l'intelligence solaire qui (dessin) existe depuis l'an 1768, et qui a commencé dans la ville de L'Orient. Elle tient à mon elementaire et à mon heureuse complexion physique quoique debile. Il y a une autre intelligence qui tient à ma complexion divine; et elle est bien autrement importante. Mais je ne 1'ecris point, tant je la respecte.
1063
I1 faut que l'homme souffre par où il peche. J'etois bon pour suivre l'exemple, et je n'etois pas assez fort pour en donner. Aussi l'on m'a puni en me laissant presque toujours sans exemple, et sans reaction. Mais me plaindrai-je? Non. L'on m'en a encore accordé plus que je n'en devois attendre.
1064
L'etude et la pensée sont une affaire de besoin pour moi, et nullement une affaire de vanité. Je n'ai point assez de connoissances pour flatter mon orgueil scientifique, mais je suis mal à mon aise quand je laisse jeuner mon esprit; voilà le mobile de mon gout pour les etudes et les speculations.
1065
La plupart des hommes ont à combattre leurs passions, et les attraits qui se presentent à eux. Pour moi j'ai eu à combattre l'oisiveté et beaucoup de gaucheries qu'ont faites sur mon compte les personnes qui m'ont environné. Je me suis trouvé surtout dans une singuliere position lorsque j'ai passé quelques moments dans le metier des armes. Je ne pouvois y esperer de l'avancement, si je ne me laissois pas gagner par la stupide habitude que les occupations de cet etat font contracter. Si j'y succombois, je per-dois de vue mon grand objet. Mon Dieu, mon Dieu, j'ai beaucoup souffert. Tu sçais pourquoi. Cette idée me console et me laisse l'espoir que quelques-unes de mes fautes seront oubliées.
1066
J'ai quelquefois murmuré contre les circonstances qui m'ont porté si peu à l'action, et tant livré à la speculation. J'ai eté jusqu'à faire un crime à une vertueuse amie de n'avoir pas pris soin d'activer mon coeur davantage. Mais toutes ces plaintes sont les refuges de l'amour-propre. N'imputons nos fautes qu'à nous-même. Il n'y a pas une position où nous soyons excusables de negliger une seule vertu.
1067
En 1778 je me disois : A voir les cruautés que nous exerçons contre les animaux, on est bien tenté de croire qu'il y a quelques reproches à faire au principe qui les a formés. En 1785 ceci a eté eclairci par les Raab. Et bien plus encore en 1790 par Jacob Bêhme.
1068
Je me rappellerai toujours la mort édifiante du ch" de Savaron à Lyon le 13 juillet 1786.
1069
Nom de mon pays ecrit sur le sable. Un aigle l'effaçant avec ses ailes à mesure que le malheureux le vouloit lire. Ne devant recouvrer ce qu'il a perdu par maladie qu'après qu'il aura pu lire ce nom. Recherches de celui qui le lui avoit tracé. Nouveau Tobie. Poëme projetté.
1070
J'ai trouvé sur mon chemin quantité de gens dont le coeur etoit si loin de leur esprit, que pour les y ramener, il m'a fallu à mon tour tenir mon esprit loin de mon coeur. Cela a eté un vrai supplice pour moi; cela m'a exposé au dessechement, et cela a engagé ceux-même pour qui je m'etois sacrifié à me couvrir ensuite de leurs dedains et de leur mepris.
1071
Je connois quelqu'un dont toute l'ambition sur la terre a eté d'avoir de quoi se faire enterrer. Il disoit même avoir vu dans une comedie qu'on pouvoit fort bien se faire enterrer pour un ecu.
1072
Je suis persuadé que la Providence qui m'a comblé de tant de misericordes et de soins ne m'a pas voulu accorder les secours et avantages temporels que j'aurois pu desirer, et dont j'ai manqué constamment, par la seule raison qu'elle me connoissoit foible et facile, et que si j'eusse eu plus de moyens, j'aurois fait encore plus de fautes, puisque j'en ai tant fait, n'en ayant pas eu. Je suis persuadé aussi que si jamais elle me traite autrement, ce ne sera que lors-qu'elle m'aura assez purifié, et solidifié pour que je sois à couvert du danger de mal employer mes moyens temporels et spirituels.
1073
Depuis que je suis au monde, je puis dire qu'autour de moi tout a joué avec moi au propos discordant, tant les choses et les evenements sont venus hors de saison, et presque toujours trop tard. J'ai sans doute cela de commun avec toute mon espece, puis-qu'il est bien constant qu'ici-bas tout est renversé ! Je serois cependant bien ingrat si j'etendois generalement cette remarque à tout ce qui concerne mon existence. Au contraire il est des choses qui me sont venues si à propos que toute la sagesse humaine n'en eût pu mieux choisir les epoques. Mais aussi ce sont des choses qui sortent de la classe commune.
1074
On m'a raconté à Toulouse un fait frappant où M' de Puget membre du parlement de cette ville fut si clairement l'instrument de la justice divine pour la punition d'un aubergiste assassin.
1075
Souvent la Divinité nous laisse livrés à des distractions, et même nous envoye des petites contrarietés pour nous preserver d'un plus grand malheur. C'est par une suite de cette ingenieuse attention de sa part que j'ai evité d'etre ecrasé par la cheminée de mon cabinet qui tomba à Paris lors du grand ouragan du 13 decembre 1786. J'ai reçu d'ailleurs tant d'autres marques de sa vigilante charité pour moi, que je serois bien ingrat de la meconnoitre. Cependant je raisonnerois comme un homme prophane si je disois que la mort eût cté un malheur pour moi. Elle n'eût eté telle qu'autant que je n'aurois pas eté prêt. Et sans doute je ne suis pas encor mur puisque l'on n'a pas jugé à propos de me prendre. Car lorsqu'on a le bonheur d'etre prêt cet evenement doit remplir le juste de plus de plaisirs que n'en eprouveroit le dernier et le plus malheureux des hommes, si on venoit lui annoncer qu'il est nommé roi de sa nation, et qu'il va monter sur le trône.
1076
Il y a une personne dans le monde, que j'honore et estime infiniment par les vertus et les bonnes qua-lités dont elle est remplie. Mais il y a une telle desemboiture dans ses idées et dans sa logique qu'elle me fait souffrir tout ce que l'on peut imaginer. C'est au point que je ne souhaiterois pas au plus cruel de mes ennemis deux minutes des supplices qu'elle m'a fait eprouver. Mon coeur souffre sans doute de ne pas la voir. Mais je me voue à ces souffrances de mon coeur, pour conserver les jours de mon esprit. Car surement il ne pourroit pas vivre long teins en sa présence.
1077
Il vaut mieux faire le gentilhomme bourgeois que le bourgeois gentilhomme.
1078
Dans toutes les circonstances de ma vie temporelle j'ai eu l'apparence de la prosperité, et la realité de l'infortune. Dans ma carriere spirituelle, j'ai eprouvé souvent le contraire. J'y ai eu des tribulations epouvantables en apparence, et des consolations inexprimables en realité. La raison de cela est conforme à l'ordre.
1079
J'ai dit quelque part que la joye des sages est inconnue au vulgaire, et ne peut etre vraiment sentie que de Dieu à l'homme. En effet un tiers quelqu'intime qu'il soit la fait descendre d'un degré, quoiqu'il fortifie ce même degré par la reunion. Ainsi les hommes peuvent se seconder les uns les autres pour aller à Dieu; mais quand ils y sont, chacun n'a plus besoin que de Dieu et de soi.
1080
Il vient quelquefois dans l'esprit des pensées dont les hommes pourroient faire un grand abus s'ils les connoissoient. De ce genre sont celles qui sont venues à quelqu'un de ma connoissance sur les supplices. S... R...
1081
Combien l'attrait des choses spirituelles rend tiede sur celles d'ici-bas! Autrefois j'aurois couru au bout du monde pour voir les choses de ce monde. Aujourd'hui il me faut les plus vives impulsions pour me faire remuer. Aussi il paroit que la sagesse supreme ne me destinoit pas aux jouissances de ce monde. Lorsque je desirois de voyager et de voir, les moyens m'en etoient refusés. Aujourd'hui Tieman et Zinovief me les prodiguent et je ne m'en soucie plus. La sagesse attendoit ce moment-là pour me les offrir, de peur que si elle me les eût offert trop tôt, mon gout ne m'eût entrainé hors de la mesure, et ne m'eût porté prejudice dans la seule chose qu'elle veut de moi. Elle me connoit si foible et si facile qu'elle en a toujours agi avec moi comme avec un enfant.
1082
Le 18 j" 1787 est le jour où j'ai eu 44 ans faits. Ce fut ce jour-là qu'on celebra à Londres (où j'etois alors) l'anniversaire de la Reine. Je regardai ce jour comme le commencement d'une grande epoque pour moi. Je fus pris ce jour-là de vives douleurs, et particulierement à l'heure qui correspondoit à celle de ma naissance corporelle; et je me dis : Dieu veuille que ces douleurs ayent un heureux resultat! et qu'elles me conduisent à l'enfantement!
1083
Il faut toujours que les epreuves que nous subissons soient d'un genre neuf, sans quoi elles ne seroient pas des epreuves. Je puis dire que dans cette partie j'ai fait de violentes expériences, et probablement je ne suis pas au bout. Mais ce qu'elles m'ont appris m'a tellement disposé à la resignation et à la patience que je fais en sorte de me tenir prêt à tout, et de m'attendre à tout sans trouble et sans surprise.
1084
C'est ordinairement auprès des hommes purs et vertueux que je reçois de salutaires idées sur la grandeur de Dieu, sur notre misere, et sur les avantages de la priere pour nous guerir. Auprès des hommes impurs et mechants je reçois des idées affligeantes. Auprès des hommes elevés dans l'esprit, mon esprit s'eleve avec eux. Auprès des impies et des philosophes, mon esprit s'irrite, et reçoit presque toujours des solutions plus fortes et plus vraies que leurs arguments. C'est même auprès d'eux que j'ai reçu presque toutes les armes que j'ai publiées contre eux, et toutes celles qui sont deposées dans mes magasins, en attendant que j'en fasse l'usage convenable. Il faut que nous passions ici-bas par toutes ces diverses impressions. Ce n'est que par là que nous pouvons devenir ou des hommes d'Etat consommés, ou des militaires experimentés dans l'intelligence. Ceux qui sont destinés à l'etre dans l'action ont aussi leurs epreuves à subir, parce qu'il faut que l'ancien arrêt In sudore etc. s'accomplisse.
1085
Dans mon enfance je ne pouvois pas me persuader que les hommes qui connoissoient les douceurs de la raison et de l'esprit pussent s'occuper un instant des choses de la matiere. Ma pensée est encore la même quoique je sois bien loin de pretendre que ma conduite et mes actions ayent eté toujours conformes à des sentiments si elevés; et c'est là une des sources de mes peines. Mais aussi j'ai une grande source de consolation quand je songe à la source des misericordes qui coule toujours sur nous quand nous la cherchons avec zele, avec ardeur et avec confiance.
1086
Ordinairement les auteurs font leurs livres comme ne fesant que cela. Et moi j'ai eté obligé de faire les miens comme ne les faisant pas. Je pourrois dire même que je ne fais mes livres que comme on rend un lavement. Voilà pourquoi ils sont si negligés, et si peu attrayants pour le monde.
1087
Il y a des gens qui me tiennent de prés temporelle-ment, et qui seront aussi attrapés un jour de se trouver dans l'autre monde, que je le suis de me trouver dans celui-ci; car ce monde-ci est un monde dont ils n'auroient jamais du sortir; tandis que moi je n'aurois jamais du y entrer.
1088
Quelquefois j'ai osé penser que le sort temporel n'avoit eté si desemboité et si baroque pour moi, que parce que Dieu me trouvoit assez aimable pour ne vouloir pas me ceder aux autres.
1089
On ne m'a laissé prendre dans les sciences humaines que ce qu'il m'en falloit pour en montrer le vuide;
et encore m'a-t-on tenu sur cela dans une mesure très reduite. On n'a pas voulu que j'eusse une assez grande dose de ces sciences pour etre leur dupe et leur victime, comme le sont les savants en titre.
1090
Sur la fin de 1802, la paix m'a ramené quelques amis à Paris entr'autres les Kachaloff, les Puysegur, M" de Montbarey, de Lusignam, d'Asfeld, l'evêque de Meaux (Barall) etc.
Vers ce même teins j'ai publié le Ministère de l'homme-esprit. J'en ai donné un exemplaire au prince Obolinski ami des Kachaloff, à M" de Talaru ci-devant Clermont-Tonnerre, et à toutes les autres per-sonnes habituées à recevoir mes precedents ouvrages. Celui-ci quoique plus clair que les autres est trop loin des idées humaines pour que j'aye compté sur son succès; j'ai senti souvent en 1'ecrivant que je fesois là comme si j'allois jouer sur mon violon des valses et des contredanses dans le cimetiere de Mont-martre, où j'aurois beau faire aller mon archet, les cadavres qui sont là n'entendroient aucun de mes sons, et ne danseroient point.
1091
C'est aussi vers la fin de 1802 qu'a paru la nouvelle edition des Ecoles normales où se trouve ma bataille Gara t, au 13° volume. Ce n'est pas sans difficulté qu'on a laissé paroitre cette bataille qui est la pierre jettée dans le front de Goliath et qui me fut annoncée en 1795 à Amboise lorsque le district me choisit pour m'envoyer comme eleve à ces Ecoles normales. Au reste je dois rendre justice à Garat qui s'est fort bien conduit lors des difficultés que l'on fesoit à la publication de mon ecrit contre lui.
1092
Le 18 janvier 1803 qui complette ma soixantaine m'a ouvert un nouveau monde. Mes esperances spirituelles ne vont qu'en s'accroissant. J'avance, graces à Dieu, vers les grandes jouissances qui me sont annoncées depuis longtems, et qui doivent mettre le comble aux joyes dont mon existence a eté comme constamment accompagnée dans ce monde.
1093
Ceux qui ont de l'ame pretent à mes ouvrages ce qui leur manque. Ceux qui ne les lisent point avec leur ame, leur refusent même ce qu'ils ont.
1094
Les circonstances m'ont procuré la connoissance de la famille Sanlot, sans que je m'en sois mêlé. Cette liaison peut me produire des fruits agreables pour moi, et utiles pour la chose. Le concert Clery du 29 Janvier a achevé d'aplanir toutes les difficultés en me procurant, d'une maniere inattendue la connoissance de M°° Esmengard.
1095
Le 27 janvier 1803 j'ai eu une premiere entrevue avec W de Chateaubriant, dans un diner arrangé pour cela chez W Neveu à l'Ecole polytechnique. J'aurois beau-coup gagné à le connoitre plutôt. C'est le seul homme de lettres, honnête avec qui je me sois trouvé en presence depuis que j'existe; et encore n'ai-je joui de sa conversation que pendant le repas; car aussitôt après parut une visite qui le rendit muet pour le reste de la seance; et je ne sçais quand l'occasion renaitra; parce que le roi de ce monde a grand soin de mettre des batons dans les roues de ma carriole. Au reste, de qui ai-je besoin, excepté de Dieu?
1096
Quoique le roi de ce monde ait grand soin de mettre des batons dans les roues de ma carriole, je ne dois pas m'en plaindre puisqu'il ne tient qu'à moi de me faire promener dans une carriole, où il ne puisse pas atteindre, et dans laquelle par conséquent il lui soit impossible de mettres des batons dans les roues.
1097
Dans les douces affections que mon objet me fait eprouver, je crois quelquefois que si mes lecteurs,
rr sentoient le moins du monde, le fonds de mes principes, et le but auquel je voudrois voir tendre tout l'espece humaine, (et cela leur seroit bien facile, puisque depuis longtems j'en etourdis leurs oreilles, et j'en eblouis leurs yeux) je crois dis-je qu'ils passeroient aisement sur les defectuosités de la forme par où pechent souvent mes ecrits. Mais cette idée n'est qu'une illusion. Loin que le fonds emporte la forme, comme cela devroit etre si mes lecteurs etoient autre-ment disposés, c'est au contraire la forme qui pour eux emporte journellement le fonds. J'excepte de ce jugement W de Talaru.
1098
La mort de La Harpe, arrivée dans le commencement de l'année 1803, est une perte pour la litterature. Sa fin a eté très edifiante. Je n'ai jamais eu de liaison avec lui. Mais je n'ai jamais douté de la sincerité de sa conversion, quoique je ne la croye pas dirigée par les vraies voies lumineuses. La mort de cet homme celebre est egalement une perte pour la chose religieuse, parce qu'il etoit un epouvantail pour ceux qui la déprisent. Je crois que nous aurions fini par nous entendre lui et moi si nous avions eu le tems de nous voir. Voyez le Journal des débats du 16 ventose an XI. M°e de Talaru nous a peints l'un et l'autre d'une manière assez significative en disant, qu'il mordoit jusqu'au vif les adversaires de la verité, et moi que le leur prouvois evidemment qu'ils avoient tort.
1099
Ce n'est point à l'audience que les defenseurs officieux reçoivent le salaire des causes qu'ils plaident; c'est hors de l'audience, et après qu'elle est finie. Telle est mon histoire, et telle est aussi ma resignation de n'etre pas payé dans ce bas monde.
1100
Dieu a quelquefois forcé de loix à mon sujet, en me fesant marcher par des voies temporelles qui m'etoient entierement opposées selon mon homme terrestre, mais dans lequelles je devois trouver tout ce qui etoit necessaire à mon homme celeste. Quand il cessoit d'ouvrir ces voies-là pour moi je retombois dans les voies naturelles de ma destinée temporelle; or ces voies naturelles de ma destinée temporelle sont remplies de brisures et d'incohérences qui me font voir clairement d'où je suis sorti, et qui ne me per-mettent pas de douter qu'il faut combattre sans cesse, et que nous ne devons manger notrè pain qu'à la sueur de notre front.
1101
Le genre dont on veut que je sois occupé est tel qu'aucun ingredient de ce monde ne peut entrer dans sa composition.
1102
Pendant le voyage agreable que j'ai fait à Chamarandes et à Lormoi, M°o La Roche-Le Noir est venue me chercher à Paris, pour renouer notre liaison qui s'etoit un peu ralentie. J'ai trouvé cette digne per-sonne, aussi excellente qu'à son ordinaire. Mais son mari que j'ai revu aussi dans le même tems m'a paru etre actuellement en avant de la femme; tandis qu'antérieurement c'etoit la femme qui m'avoit paru en avant du mari.
1103
J'ai revu à peu près à l'epoque ci-dessus la très honnête et aimable Perrier mere de dix enfans dont elle fait le bonheur, et qui tous sont heureusement nés.
1104
Il est des etres à qui le sort a permis dans ce monde de developper toutes leurs essences, et toutes leurs formes. Le mien ne veut pas absolument que j'y developpe d'autres essences que mes essences divines, mais
aussi il veut que je les y developpe toutes sans exception.
1105
J'arrive à un age et à une epoque où je ne puis plus frayer qu'avec ceux qui ont ma maladie. Or cette maladie est le spleen de l'homme. Ce spleen est un peu different de celui des Anglois. Car celui des Anglois les rend noirs et tristes; et le mien me rend intérieurement et exterieurement tout couleur de rose.
1106
La vue d'Aunay près Sceaux et Chatenay m'a paru agreable autant que peuvent me le paroitre à present les choses de ce monde. Quand je vois les admira-tions du grand nombre pour les beautés de la nature, et des sites heureux qu'elle nous presente, je rentre bientôt dans la classe des vieillards d'Israel qui en voyant le nouveau temple, pleuroient sur la beauté de l'ancien. 1" d'Esdras 3 : 12 et 13.
1107
Il me faut avoir grande attention de ne pas oublier le scandalum mondi que j'ai eu à la suite de ce qui m'est revenu d'une indiscretion commise à Barcelonne au sujet de la 3° partie du Ministere de l'homme-esprit. Voilà une des nuances de ma ligne.
1108
La famille Sanlot avec qui j'ai fait une connoissance plus ample vers la fin du carême 1803, me paroit aimable et interressante sous tous les rapports. Je n'en ai point' connu qui reunît à la fois plus d'avantages, tant ceux de l'esprit que ceux du coeur et d'une excel-lente philosophie, c'est-à-dire de celle qui repose sur une base religieuse.
1109
J'ai dit quelque part que dans mes assauts philosophiques je commençois toujours par avoir le dessous. La raison en est que la tête des hommes en general est comme une fourmilliere de papillons, ou même comme une ruche de frétons; or quand on met le feu dans ces repaires il faut s'attendre à etre assailli par les nuages d'insectes qui les habitoient, et à être etouffé par la fumée; et c'est le cas de commencer par fuir et s'eloigner. Mais aussi ces premiers moments etant passés, on se trouve ensuite avoir tout l'avantage.
1110
La maladie dont je suis pris et dont j'ai parlé n° 1105, m'oblige au regime et à garder la chambre, comme dans les maladies ordinaires. Car comment pouvoir faire ses remedes, et ses pansements devant le monde? Il faut à un malade l'usage le plus libre de ses mouvements; il faut qu'il puisse à son gré marcher, s'arrêter, parler, se taire, prendre toutes les attitudes analogues à sa situation, à ses besoins etc. et cela aussi souvent et partout où cela lui convient; voilà pourquoi je dois tant derober ma presence au monde.
1111
Le premier maitre que j'ai eu, connut très bien les essences de mon origine lorsqu'il me dit qu'il y avait beaucoup de matiere dans moi. Si la Providence n'avoit pas fait contre, en attenuant cette matiere dès mon berceau où j'ai changé de peau sept fois, jamais le jour de l'esprit n'auroit pu me traverser; et je serois resté comme tant d'autres sous le pouvoir absorbant de l'elementaire. D'un autre coté ce maitre connut aussi la diaphaneïté de mon esprit, lorsqu'il me dit que je n'avois pas besoin de visions puisque j'avois l'intelligence.
1112
Tout homme qui veut marcher dans la ligne vraie, ou plutot qui y est appellé doit s'attendre à etre traité dans sa mesure particulière, comme le Christ l'a eté relativement à l'atmosphere universelle des choses spirituelles; c'est-à-dire que tous les hommes de l'esprit ont tous auprès d'eux un pretoire dans lequel on les entraine, et où on les traite comme le Christ le fut dans le pretoire des Romains à Jerusalem. Ceci peut se rapporter au n° 540.
1113
Au commencement d'avril 1803, j'ai eté rendre à M'° de Boisguerin à St-Germain la visite qu'ils m'avoient faite quelques teins auparavant. La bonne reception qu'ils me firent, l'air salubre dont je jouis sur leur terrasse, et dans la route, la beauté du spec-tacle de la nature que j'eus lieu de contempler toute la journée me renouvellerent au point qu'en rentrant dans Paris j'eprouvai de vives suffocations au moral et au physique, et que je me dis très sincerement qu'il falloit avoir des raisons majeures, ou etre ennemi de soi-même pour demeurer dans ce cloaque babilonien.
1114
Un jour, à S`-Roch, j'assistai au renouvellement des voeux du baptême que l'on fit faire aux enfans des deux sexes qui avoient fait leur premiere communion dans la quinzaine de Pâques. Cette ceremonie me causa beaucoup d'attendrissement, et me parut propre à operer même sur les gens agés de très salutaires impressions. En general lorsque l'on considere l'Eglise dans ses fonctions elle est belle et utile. Elle ne devroit jamais sortir de ces limites-là. Par ce moyen elle deviendroit naturellement une des voies de l'esprit.
1115
Dans un diner que j'ai fait à la place Vendôme, le lendemain de ma course à S`-Germain (1113) je me trouvai avec plusieurs personnes interressantes, et de ma connoissance, excepté une. Je m'apperçus que les oppositions de mes adversaires diminuoient sensiblement, ce qui me fait croire que Paris doit toujours etre un centre pour moi quoique je persiste dans l'idée de me gîter à sa portée, et non pas dans son sein, à moins de circonstances qui m'y entrainent. Celui des convives que je ne connoissois pas, (M. l'abbé de La Jarre) tint le dé pendant toute la séance. Il le tint avec esprit, avec une grande facilité d'elocution et je l'ecoutai avec interêt. Mais je me gardai bien de prononcer devant lui un seul mot, tant les objets qui nous occupent sont à part les uns des autres. La societé est un lycée, où il y a des professeurs de tous genres. Or comme je n'y serois qu'un professeur de chinois, mon tour ne vient jamais d'y faire ma leçon, et ma chair y reste vide et ma langue dans le silence.
1116
Il y a dans quelques-uns de mes ouvrages plusieurs points qui sont presentés avec negligence, et qui auroient du l'etre avec beaucoup de precaution pour ne pas reveiller les adversaires. Tels sont les articles où je parle des prêtres et de la religion, dans ma Lettre sur la Revolution françoise et dans mon Ministere de l'homme-esprit. Je conçois que ces points-là ont pu nuire à mes ouvrages parce que le monde ne s'eleve pas jusqu'aux degrés où s'il etoit juste il trouveroit abondamment de quoi se calmer, et me faire grace, au lieu qu'il n'est pas même assez mesuré pour me faire justice. Je crois que les negligences, et les imprudences où ma paresse m'a entrainé en ce genre, ont eu lieu par une permission divine qui a voulu par là ecarter les yeux vulgaires des verités trop sublimes que je presentois peut-être par ma simple volonté humaine, et que les yeux vulgaires ne devoient pas contempler.
1117
A la maniere dont vivent les hommes, et aux nuées de papillons qui les entourent et les ombragent, il faudroit que le St-Esprit fût sorcier, (comme je l'ai
dit un jour aux Kacheloff chez les Caraman,) pour pouvoir les attrapper et s'emparer d'eux. Aussi combien se tiennent-ils loin de lui! Et combien le forcent-ils par là à se tenir loin d'eux!
1118
Le 1 mai 1803 j'ai perdu à Paris M` de Langeron thon ancien colonel au regiment de Foix. C'etoit un homme de bien, et qui a cté regretté de tous ceux qui le connoissoient. Je ne peux jamais penser à ce regiment ni m'occuper de ceux qui le composoient, sans m'attendrir de reconnoissance pour la Providence, puisque c'etoit par cette voie, en apparence si etrangere pour moi, qu'elle avoit eu le dessein d'accomplir ses projets sur moi.
1119
Communément les grands et les riches ne sont que les Gengis Kan du inonde, tandis qu'ils ne devroient en etre que les modeles, les soutiens et les bienfaiteurs.
1120
Quand les hommes sages, après s'etre remplis des influences de la verité vont se repandre dans le monde, ils y perdent le plus souvent ce qu'ils avoient acquis. Ils sont comme les gens de metier et les ouvriers qui vont manger et boire au cabaret, le dimanche, tout ce qu'ils ont gagné dans la semaine.
1121
Le monde ne connoit point de milieu entre le cagotisme ,t 1'impieté. Or c'est ce milieu-là qu'il m'a fallu toujours tenir soit dans mes discours soit dans mes ecrits; de façon que d'un coté les auditeurs ou les lecteurs ne trouvant rien dans ce qui sortoit de moi qui sentit l'enseignement d'un capucin, et de l'autre rien qui sentît 1'atheisme ni le deisme, ils n'y etoient plus; voilà pourquoi si peu de gens, et l'on pourroit dire presque personne ne m'a compris. V. ne 1135.
1122
Entre le 14 et le 15 mai 1803, dans le moment du repos j'ai eu des consolations sensibles au sujet du bon M' de Langeron. Elles etoient un peu inférieures en raison dès foibles dispositions où je m'etois trouvé dans la journée, et cela dans un degré assez penible et assez desagreable pour moi; malgré cela ces consolations n'etoient point à rejetter. J'ai pu y etendre les idées que j'avois dejà de la vie, de la resurrection, et même de la manducation.
1123
J. C. disoit à ses apôtres qu'ils pouvoient faire les mêmes oeuvres que lui, et même de plus grandes. Ce n'etoit pas leur dire que tous les dons pouvoient appartenir à chacun d'eux puisque nous voyons selon S` Paul que le même esprit partage ses dons entre les differents hommes. Mais chaque homme depuis la venue du Christ, peut dans le don qui lui est propre aller plus loin que le Christ. J'ose dire que dans le genre qui m'est propre, celui des developpements de l'intelligence, j'ai cté plus loin que le Christ, puisque le Christ n'etoit pas tant venu pour instruire que pour sauver, et que quoiqu'il fût la seule source radicale de toutes les intelligences que nous pouvons recevoir et manifester, cependant il n'ouvroit pas dans ce tems-là cette source, dans les hommes, comme il l'a fait depuis. J'ai verifié sa parole, par l'intelligence. Un autre le peut par des miracles etc.
1124
J'ai comparé quelquefois les dames tenant cercle et recevant les flagorneries des hommes à un Grand Turc, et ces hommes frivoles et oisifs aux sultanes de son serrait lui fesant la cour, et encensant tous ses caprices. Ce rôle de Grand Turc est en effet celui que jouent les dames de maison en France et particulierement à Paris; et les hommes n'y jouent que le rôle de sultanes, tant le pouvoir rongeur de la societé nulle et vuide a changé les rapports et la nature des choses.
1125
Les douleurs que j'ai eprouvées quelquefois relativement à la lenteur de l'oeuvre, et à l'oubli où le monde la laisse sont beaucoup plus fortes que celles que je ressents sur mes propres infidelités, et même elles les absorbent tellement que je n'ai pas le loisir de laisser entrer celles-là dans mon coeur.
1126
Un simple coup d'oeil donne la clef de la politique. Presque tous ceux qui en parlent sont maitrisés par 1° une affection particuliere, telle que le gout de la cupidité, le gout de la gloire, le gout de la puissance, le gout des dignités qu'ils attendent de tel souverain plustot que de tel autre. Ce sont tous ces gouts-là que chacun veut donner pour la science politique; tandis que s'ils ne cherchoient reellement que la science politique, tous ces differents gouts qui se disputent, disparaitroient, et la paix regneroit. Or comme je tâche de n'avoir aucun de ces gouts qui font toute la science politique des hommes, il en resulte que je n'ai point de science politique, selon les hommes, et que quand j'en veux parler, ils me prennent tous pour un apoquo.
1127
Les souverains qui veulent se faire la guerre ne manquent jamais de publier de beaux manifestes pour prouver la justice de leur cause. Ces manifestes me paroissent etre la confession generale des deux parties, avec cette exception que chaque partie se charge de l'examen de conscience de l'autre, et même de lui appliquer toute la coulpe, et à soi l'absolution; et le confesseur qui est le public n'est là qu'un auditeur obligé et non benevole qui fait dans le vrai la pénitence des deux pécheurs, ou même c'est un juge qui subit la sentence et ne la prononce point.
1128
J'ai vu que les passions s'alimentoient plus par la resistance que par leur propre force. La froideur et l'indifference sont surtout le meilleur calmant qu'on puisse leur opposer. Je me rappelle qu'une femme vertueuse eloigna d'elle pour jamais un homme passionné, seulement en lui presentant une de ses mains à baiser, après qu'il avoit dejà baisé l'autre avec ardeur, mais sans que la dame eût semblé s'en appercevoir, et eût fait le moindre effort pour se defendre.
1129
Si dans ma jeunesse j'eusse eté assez libre pour suivre la carriere de l'amour, les femmes auroient vu qu'avec de la franchise elles se seroient rendues souveraines de mon etre. Une femme avec de l'amitié pour moi, et qui eût compris le cas que j'aurois fait de sa sincerité, se seroit acquis sur moi, sur mon respect, et sur tous mes sentiments un droit imprescriptible. Celles que je n'aurois obtenues que par droit de conquête, m'eussent eté bien moins prétieuses. C'est cette derniere methode que l'on enseigne aux femmes dans le monde. Au deffaut de la vertu naturelle, on ne leur donne que la vertu de prejugé. Aussi combien tient-elle de tems? Aussi combien de femmes attrappées? Le seul amour des sens a bien plus encore d'inconvenients, surtout dans le mariage. Avant cet engagement les charmes de la femme n'offrent que la seduction de toute leur extérieure enluminure. L'engagement contracté, ils n'offrent plus que les secrettes et progressives degradations et amertumes de la nature. Car cette nature est si bien un voile qu'elle a besoin d'etre voilée elle-même pour etre supportable.
1130
C'est un grand tort aux yeux des hommes que d'etre un tableau sans cadre, tant ils sont habitués à voir des cadres sans tableau.
1131
J'ai souvent remercié Dieu de deux choses. La le-de ce qu'il y avoit des souverains et des gouvernants, la seconde de ce que je ne l'etois pas. En effet c'est pour eux que sont toutes les charges de la societé. Ses bénéfices ne sont que pour les particuliers.
1132
Dans l'eté de 1803 j'ai fait un petit voyage à Amboise où j'ai retrouvé avec plaisir quelques bons amis. J'en ai trouvé aussi à Orleans, tels que du L.., de V.... et Bert mais je n'en connois encor aucun dans le degré où je les désire, et dont j'aurois si grand besoin. Avant mon depart j'eus quelques petits avertissements de la presence d'un ennemi physique qui, selon toute apparence, est celui qui m'emportera, comme il a emporté mon pere. Mais je ne m'en afflige, ni ne m'en plains. Ma vie corporelle et spirituelle a eté trop bien soignée par la Providence pour que j'aie autre chose que des actions de grace à lui rendre; et je ne lui demande que de m'aider à me tenir prêt.
1133
Dernierement en lisant Milton je me disois que les habitants des regions invisibles soit bons soit mauvais doivent rire et hausser les epaules quand ils voyent comment les poètes les representent, et les caracterisent; comment ils les font parler, comment ils les font agir. Je crois en effet qu'il n'y a rien de pareil aux parodies et aux caricatures que les poètes nous donnent de ces grands objets.
1134
Autrefois je ne pouvois approcher les societés nulles du monde sans me prejudicier etrangement, parce que je me laissois aller trop aisement à ce qu'exige l'usage, et qui est de faire harmonie avec les autres concertants. Aujourd'hui je me trouve parfois plus de force pour resister à cette impulsion. Aussi j'ai passé quelques soirées à Chatillon-sous-Juvisy où quoique j'y donnasse quelques heures à l'aimable societé, je me contenois si bien que je n'y descepdois pas d'un cran. Mais neanmoins, cette contrainte-là est penible, et fait regretter la jouissance que l'on goute quand on peut se livrer à l'objet essentiel et nourrissant par excellence.
1135
Ma tâche dans ce monde a eté de conduire l'esprit de l'homme par une voie naturelle aux choses surnaturelles qui lui appartiennent de droit, mais dont il a perdu totalement l'idée, soit par sa degradation, soit par l'instruction fausse de ses instituteurs. Cette tâche est neuve, mais elle est remplie de nombreux obstacles; et elle est si lente que ce ne sera qu'après ma mort qu'elle produira ses plus beaux fruits. Mais elle est si vaste et si sure que je dois grandement remercier la Providence de m'avoir comme chargé de cet emploi que je n'ai vu jusqu'ici exercer à personne, puisque ceux qui ont enseigné et qui enseignent tous les jours ne le font qu'en exigeant la soumission, ou qu'en racontant des faits merveilleux. V. n° 1121.
1136
Dans le nombre de mes nouvelles connoissances de l'année 1803, je ne dois pas oublier Md.° d'Abany, de Kruedner, et de La House qui sont toutes très interessantes, quoique chacune dans un genre différent. Je dois compter aussi parmi les connoissances de cette année, M'° Gense, Bonafox, Nauche, et quelques autres qui probablement m'occuperont fructueuse-ment dans l'exercice de mon emploi.
1137
En 7°'° 1803, on m'a envoyé une note imprimée sur les separatistes du duché de Wurtemberg. Ce sont des gens simples et qui ont de bonnes vues. Mais je crains que quelqu'ambitieux soit selon le monde soit selon l'esprit ne se mette à la tête de ces sectaires et n'abuse de leur simplicité pour operer de grands ravages soit politiques, soit religieux. L'unité ne se trouve gueres dans les associations elle ne se trouve que dans notre jonction individuelle avec Dieu. Ce n'est qu'après qu'elle est faite que nous nous trouvons naturellement les freres les uns des autres.
1138.
Sommaire
TOC \o "1-3" \h \z HYPERLINK \l "_Toc107378984" 1 PAGEREF _Toc107378984 \h 2
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HYPERLINK \l "_Toc107379007" 24 PAGEREF _Toc107379007 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc107379008" 25 - 31 janvier 1792 PAGEREF _Toc107379008 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc107379009" 26 - 31 janvier 1792 PAGEREF _Toc107379009 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc107379010" 27 Projet de mariage PAGEREF _Toc107379010 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc107379011" 28 A lâge de 18 ans PAGEREF _Toc107379011 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc107379012" 29 - Mon royaume n'est pas de ce monde PAGEREF _Toc107379012 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc107379013" 30 PAGEREF _Toc107379013 \h 4
HYPERLINK \l "_Toc107379014" 31 PAGEREF _Toc107379014 \h 5
HYPERLINK \l "_Toc107379015" 32 PAGEREF _Toc107379015 \h 5
HYPERLINK \l "_Toc107379016" 33 Sa croix PAGEREF _Toc107379016 \h 5
HYPERLINK \l "_Toc107379017" 34 Sa timidité PAGEREF _Toc107379017 \h 5
HYPERLINK \l "_Toc107379018" 35 PAGEREF _Toc107379018 \h 5
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HYPERLINK \l "_Toc107379030" 47 - Mon deffaut de sydérique PAGEREF _Toc107379030 \h 6
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HYPERLINK \l "_Toc107379042" 59 Angleterre Best PAGEREF _Toc107379042 \h 8
HYPERLINK \l "_Toc107379043" 60 Rousseau : comparaison entre Rousseau et Saint-Martin PAGEREF _Toc107379043 \h 8
HYPERLINK \l "_Toc107379044" 61 Son père PAGEREF _Toc107379044 \h 8
HYPERLINK \l "_Toc107379045" 62 PAGEREF _Toc107379045 \h 8
HYPERLINK \l "_Toc107379046" 63 PAGEREF _Toc107379046 \h 8
HYPERLINK \l "_Toc107379047" 64 Mon défaut dastral PAGEREF _Toc107379047 \h 8
HYPERLINK \l "_Toc107379048" 65 Voyages en Angleterre, en Italie, Tieman PAGEREF _Toc107379048 \h 8
HYPERLINK \l "_Toc107379049" 66 PAGEREF _Toc107379049 \h 9
HYPERLINK \l "_Toc107379050" 67 Respect filial PAGEREF _Toc107379050 \h 9
HYPERLINK \l "_Toc107379051" 68 La main de Dieu PAGEREF _Toc107379051 \h 9
HYPERLINK \l "_Toc107379052" 69 Violon PAGEREF _Toc107379052 \h 9
HYPERLINK \l "_Toc107379053" 70 PAGEREF _Toc107379053 \h 9
HYPERLINK \l "_Toc107379054" 71 La prière PAGEREF _Toc107379054 \h 9
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HYPERLINK \l "_Toc107380003" 1042 PAGEREF _Toc107380003 \h 137
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HYPERLINK \l "_Toc107380019" 1059 PAGEREF _Toc107380019 \h 139
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HYPERLINK \l "_Toc107380085" 1126 PAGEREF _Toc107380085 \h 146
HYPERLINK \l "_Toc107380086" 1127 PAGEREF _Toc107380086 \h 146
HYPERLINK \l "_Toc107380087" 1128 PAGEREF _Toc107380087 \h 146
HYPERLINK \l "_Toc107380088" 1129 PAGEREF _Toc107380088 \h 146
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HYPERLINK \l "_Toc107380091" 1132 PAGEREF _Toc107380091 \h 147
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HYPERLINK \l "_Toc107380094" 1135 PAGEREF _Toc107380094 \h 147
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HYPERLINK \l "_Toc107380096" 1137 PAGEREF _Toc107380096 \h 147
HYPERLINK \l "_Toc107380097" 1138. PAGEREF _Toc107380097 \h 148
Jean-Louis BOUTIN : Baruch 2 : 18 « mais lâme comblée daffliction, ce qui chemine courbé et sans force, les yeux défaillants et lâme affamée, voilà ce qui te rend gloire et justice, Seigneur ! ».
Pastorini (Appel et note de S.-M.).
* Sic dans l'original manuscrit (R. A.)
* Cet article a été biffé entièrement par l'auteur. Quelques mots en restent lisibles, que nous avons transcrits dans les notes critiques. (R. A.)
" Sic dans l'original manuscrit. (R. A.)
* Ce tiret et le précédent, indispensables pour l'intelligence aisée du texte ont été ajoutés par nous. (R. A.)
Ici vient, dans le manuscrit, un passage dont certains mots ont été barrés et d'autres défigurés; les mots intacts forment une suite inintelligible. Nous omettons ce passage puisque, de toute évidence, l'auteur en avait à dessein détruit le sens; mais nous procurons, dans les notes critiques, un fac-similé du passage en question et notre reconstitution du texte primitif. (R. A.)
* Sic dans l'original manuscrit. (R. A.).
Cet article a été annulé par l'auteur, Le texte en reste lisible; nous l'avons reproduit dans les notes critiques. (R. A.)
J'ajoute ce point qui manque évidemment dans l'original manuscrit (R. A.).
J'ajoute ici un point. (R. A.)
Ici une biffure. V. notes critiques. (R. A.)
Dieu prepare tous les evenemens pour le bien de l'humanité. (Nuit 1's. (Appel et note de S.-M.)
Sic dans l'original manuscrit. (R. A.)
Cet article a été entièrement rayé par l'auteur. Aucune lettre n'en est plus lisible. Voir notes critiques. (R. A.)
Ici, un mot biffé dans le manuscrit. V. notes critiques. (R. A.) Après « à la », le mot « cousine » a été défiguré et biffé
Cet article a été annulé par l'auteur qui l'a remplacé par la mentton que nous transcrivons. Mais le texte primitif demeure lisible; nous le reproduisons dans les notes critiques. (R. A.)
L'article entier a été annulé par quatre lignes diagonales, et remplacé par la mention de renvoi que nous avons seule transcrite. Mais le texte primitif demeure parfaitement lisible; le voici : « On m'a mis une fois sur la liste des jurés de ma commune pour assister aux jugements criminels, conformement aux lois de 1'Etat. Mais les autorités apprirent que sans desobéïr à la loi qui me convoquoit, je ne trouverois cependant jamais de procès assez instruit pour que je me permisse de condamner personne, elles ne sont pas revenues à la charge, et on ne m'a plus remis sur cette liste de jurés. »
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