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La vieillesse institutionnalisée

Ce livre est dédié à tous ceux qui rêvent encore de changer le monde pour en faire .... Malgré les croyances irrationnelles à son sujet, le « marché » capitaliste n'est ..... (On se souviendra qu'à travers le Plan de Partage de 1947, l'ONU avait ...... Ceci implique que toute analyse marxiste soit soumise à l'examen critique du  ...




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t : l’histoire des changements dans notre siècle p. 25
La construction sociale de la vieillesse : les XVIIIe, XIXe et XXe siècles p. 32
Quelle sécurité sociale pour les familles  p. 45
Solidarités familiales : réelles, mais aussi limitées. p. 53
Jeunes adultes et accès aux dispositifs sociaux p. 57
Elaboration de la notion de génération: d’Auguste Comte à Karl Mannheim p. 66
Les générations  Liens et ambivalences : une approche sociologique p. 71
Vieillesses d’hier et d’aujourd’hui : nouvelles relations entre générations p. 75
eléments de bibliographie – Livres p. 88





Liminaire

Les Études intergénérationnelles

Le discours publique et, depuis plus d’une décennie le débat politique, consacrent une attention singulière à la question des perspectives qui s’ouvrent aux relations entre les générations. Cet intérêt, qui fait couler beaucoup d’encre et de salive, exprime sans doute une inquiétude larvée qu’engendre la perspective de ce que l’on appelle le vieillissement de la population et qui est souvent mal interprété et devient crainte d’une société qui vieillirait. Dans le spectre de ce type de préoccupation nouvelle, on décèle également les enjeux liés à la réorganisation des rapports sociaux qu’exige l’heureux événement constitué par l’allongement significatif du parcours de vie.
Les sciences humaines ont tenté de cerner ces phénomènes, voire de rectifier nombre de mésinterprétations. Sur une question d’une telle importance, particulièrement chargée d’émotions, l’accord sur le diagnostic peine à s’établir.
Trop souvent, les résultats des travaux de recherche, et les meilleurs, sont à peine entendus quand ils ne sont pas traduits ou réinterprétés selon des modalités fragiles ou incontestablement erronées.
L’appétit de la quête des solutions immédiates brouille la réflexion, sème la confusion, il arrive qu’elle bloque les initiatives esquissées par les observateurs les plus lucides.
On ne saurait parler d’une impasse, mais un approfondissement de la réflexion s’impose. Il convient d’abord de clarifier les concepts et d’évacuer quelques illusions. Une détection précoce des propositions simplistes s’impose à l’évidence. La déferlante des recettes d’un autre âge appelle une mobilisation de la réflexion critique.
C’est habités par ces réflexions que nous avons construit ce dossier et que nous proposons les études conduites par des personnes qui ont engagé une énergie considérable pour détecter les problèmes et construire prudemment, mais avec assiduité, les bases sur lesquelles pourront se développer des actions pertinentes et fiables. Une telle démarche accorde une place notable à la perspective historique qui peut protéger contre les anachronismes et les recettes simplistes. Dans ces conditions, nous considérons ce dossier plus comme une invitation à la réflexion que comme un recueil de propositions susceptibles d’être opérationnelles dans l’urgence.

Jean-Pierre Fragnière






Jeunes et vieux
Vivre ensemble longtemps
Jean-Pierre Fragnière

Il y a cloche et cloche
À Pâques, certains voient de belles cloches s’envoler vers Rome, elles quittent les clochers de nos églises. Leur forme ? Étroites vers le haut, elles s’élargissent vers le bas. Dans nos prairies et nos alpages, les vaches portent aussi des cloches. Mais celles-ci sont larges vers le haut et resserrées à la base.
La population suisse ressemble plus aux cloches des vaches qu’à celles qui volent vers Rome : la part des personnes âgées va croissant, celle des jeunes se réduit.
On parle du vieillissement de la population. Ce phénomène bien réel est souvent présenté comme un problème quand ce n’est pas comme un nouveau malheur des temps modernes. La réalité est heureusement plus souriante.
En fait, nous sommes entrés dans une période où notre espérance de vie s’est considérablement accrue. Vivre nonante à cent ans n’est plus un phénomène rare et étonnant.
D’ailleurs, il faut cesser de définir la vieillesse comme la tranche de vie qui dépasse le seuil de 65 ans. Il est raisonnable, par exemple, de considérer qu’une personne est “ vieille ” lorsqu’elle n’a plus “ que ” dix ans à vivre. Dans cette hypothèse, la proportion de vieux n’augmente guère, dans notre société.
La redistribution des cartes1
Jusque dans les années 1980, la Suisse vivait avec la conviction de l’existence d’une équation : “ vieux = pauvre ”.
C’était hélas vrai. Le développement de la prévoyance-vieillesse a permis d’atténuer cette situation insoutenable. Et l’on découvre, au début des années nonante, que ce ne sont plus les “ vieux ” qui sont les plus exposés à la pauvreté, mais plutôt les “ jeunes ” et les jeunes familles. Cela ne veut pas dire qu’il ne subsiste pas un nombre trop important de situations de pauvreté chez les aînés. Le risque de pauvreté s’est accentué dans d’autres catégories de la population, ce qui place sous un nouveau jour la question des relations de solidarité entre les générations.
Le quatrième âge existe-il ?
Non, ce n’est pas une boutade ; expliquons-nous. Dans des sociétés telles que la Suisse, le premier âge (enfance, jeunesse) est le lot de tous ou presque. Le deuxième âge (on parle de vie active) est atteint par la très grande majorité de la population. Le troisième âge est promis au plus grand nombre, c’est le temps qui va de la retraite, au sens traditionnel du terme, aux bornes de l’espérance de vie (ici, il s’agit d’une moyenne, rappelons-le).
Les octogénaires et les nonagénaires sont censés constituer un groupe de la population étiqueté “ quatrième âge ”. Or, si leur nombre va croissant, et à vive allure, ils ne sont qu’une minorité à entrer dans ce cercle. À ce groupe de personnes est souvent associé le statut de malade et/ou d’impotent. Beaucoup les rangent dans les homes ou le EMS. On se met à parler de “ petites grands-mères ”.
Or, c’est encore une minorité de cette minorité qui sera affectée par ces formes de dépendance nécessitant des mesures relativement lourdes. Tous les autres “ vont bien ”. Bien sûr, ce n’est pas tous les jours la fête. Les petits et les moyens bobos sont là, la solitude souvent au rendez-vous. Leurs amis s’en vont, mais leur vie reste autonome : des citoyens et des citoyennes comme les autres. Quand on leur parle de quatrième âge, beaucoup d’entre eux doutent légitimement du sérieux de la question et de l’étiquette. Que l’on se comprenne bien, ce que l’on a appelé paresseusement le quatrième âge est constitué d’une population vivant des états de santé très disparates, impossible de les ranger dans une seule catégorie.
Pierre et Jacques
La diversité des parcours de vie est bien connue, c’est notre pain d’aujourd’hui et de demain. Des différences majeures s’installent qui interpellent notre système de sécurité sociale. Illustrons.
— Pierre est employé de banque. Sa femme tient une boutique de seconde main, ils ont 52 ans. Ils paient régulièrement leurs impôts. Leur fille, Chantal, 24 ans, est institutrice, célibataire, un emploi précaire (des remplacements). Nicolas, 21 ans, a terminé son apprentissage dans les arts graphiques. On lui a promis un poste pour l’automne.
La maman de Pierre a perdu son mari, il y a six ans. Après le deuil, elle est frappée par une grave maladie de caractère psychique. Maintenue à domicile pendant six mois, il a fallu la placer dans un établissement médico-social. C’est un cas “ lourd ”. La famille a fait ce qu’elle a pu. Décédée il y a deux mois, c’est l’heure des comptes. Toutes ses économies y ont passé, il a fallu vendre l’appartement qu’elle avait acquis avec son mari. Une vie de labeur, et puis plus rien ; si, quelques dettes. Dans la famille de Pierre : six années difficiles et, aujourd’hui, le silence de l’amertume.
— Jacques, 52 ans, est instituteur. Sa femme, Monique, travaille à mi-temps comme ergothérapeute. Leur fille unique, Sarah, un trésor, vient d’être engagée comme hôtesse de l’air. La maman de Jacques est décédée le mois dernier à 87 ans, une mauvaise chute dans les Préalpes. Hier, c’était l’ouverture du testament. Un joli petit carnet d’épargne et le chalet de Salvan que Jacques devra partager avec son frère. On téléphone à Sarah qui fait escale à Montréal. Elle confie à son papa qu’elle aimait beaucoup sa grand-mère. Elle rentrera vendredi en passant par Madrid.
Deux situations, deux destins. Deux fins de vie, deux familles, deux ambiances, deux transmissions du témoin entre les générations, deux cas d’exercice des solidarités collectives.
Une grande disparité.
Dans nos villes et nos villages, chacun sait que ces cas existent. Il y a des fins de vie qui ne coûtent rien ou presque et d’autres dont la facture peut s’élever à un demi-million pour les proches. À ce taux-là, en appeler à la solidarité familiale, c’est prononcer des paroles rudes, presque indécentes. Depuis plus d’un siècle, nos aïeux ont prévu des institutions pour se prémunir contre les gros risques. Aujourd’hui, les fins de vie pénibles et coûteuses (elles sont très minoritaires) ne doivent pas devenir un cauchemar pour les familles qui n’en peuvent rien, ni pour les trop nombreuses personnes âgées qui anticipent des malheurs qui ne les frapperont sans doute pas. Une telle situation risque de freiner toute la dynamique du partage et de l’échange entre les générations. Elle peut induire la multiplication des frilosités et du repli sur soi.
Que faire dans ces conditions ?
On peut continuer à jouer à la petite guerre qui se déroule sous nos yeux et dont les protagonistes sont en fait des corporatismes qui ne s’avouent pas comme tels. On peut aussi risquer quelques propositions.
Il n’y a pas de grands boulevards en Helvétie ; nous savons tous que les compromis ont encore de beaux jours devant eux : ils rendent possible l’exercice de la démocratie dans un environnement truffé de différences et affamé de pluralisme. Pourtant, esquissons une proposition. Comment dédramatiser (partiellement) l’angoisse de la fin de vie coûteuse sans établir une coupure, une nouvelle cassure au sein de la population des personnes âgées.
Rêvons ! Nos vies se déroulent cahin caha, entre nos projets, nos succès, nos échecs et notre patiente construction d’une identité dont les rapports familiaux sont une composante majeure. Tout cela a une fin, reste à savoir laquelle. Avouons que nous n’en savons rien, et que nous espérons tous, un peu, contre toute espérance.
Héritage
Ainsi se pose la question de l’héritage, de la transmission du témoin entre les générations. Alors, pourquoi ne pas confier à une démarche de solidarité les incertitudes (fortes et coûteuses) qui guettent quelques-un-e-s d’entre nous ? Parlons clair, pourquoi ne pas instituer une communauté de risques par rapport à la fin de vie, pourquoi ne pas partager, quelque peu, le patrimoine, l’héritage, pour éviter de tout perdre et de laisser derrière nous des situations que nous n’avons pas envisagées ni prévues, même dans les meilleurs moments ?
Nul ne connaît ni le jour ni l’heure. Notre fin de vie ne relève pas prioritairement de la longue maladie ; c’est une période variable dans notre trajectoire de vie. Elle doit bénéficier de cette solidarité générale que peut assumer la collectivité, c’est-à-dire les pouvoirs publics. Pour financer ce risque nouveau (qui est le prix à payer pour l’heureux allongement de la vie), une modeste participation de ceux qui le peuvent peut contribuer à répartir les “ risques ”, à dédramatiser les situations, à nous ouvrir encore plus à un partage détendu entre les générations. Techniquement, on peut aussi avoir recours à plusieurs types d’initiatives conçues dans le même état d’esprit. De telles démarches permettront sûrement de faciliter le développement du maintien à domicile, entendu comme la promotion de l’autonomie de chacun et l’aide à l’exercice de la citoyenneté… jusqu’au bout.
Quatre générations
Et il faudra dessiner de nouveaux rapports entre les générations puisque la carte des cycles de vie connaît des transformations majeures dont peu de personnes maîtrisent vraiment les enjeux.
La majorité des “ actifs ” voire des “ décideurs ” sont nés entre 1940 et 1960 (pardon aux plus jeunes, et mes respects aux aînés). Ils appartiennent à la génération des Trente glorieuses. Ils ont grandi dans une dynamique de progrès et de succès. Leurs efforts étaient célébrés, à chaque pas une promesse, bientôt la pauvreté serait éradiquée. Il ne subsisterait que quelques cas.
Conscients des difficultés, ils ont cru pouvoir penser que tout était possible ou presque, à condition de consentir les efforts nécessaires et de déployer la “ créativit頔 opportune. Ils marchaient péniblement, mais sûrement vers le succès. Et voilà que le cadre socio-économique s’est transformé lourdement depuis au moins vingt ans.
Vingt ans, c’est long, ce n’est plus une péripétie, c’est une accumulation d’inquiétudes qui doit conduire à des réflexions fondamentales, voire à des réorientations majeures. Que se passe-t-il en fait ? Un défi redoutable est lancé.
Ils avaient émergé, parfois rudement il est vrai, des douleurs d’une guerre dévastatrice, ils avaient construit leurs vies dans un bassin de certitudes : la formation était promesse de carrières, le travail personnel donnait accès à l’emploi, la sécurité sociale était garante d’une protection contre le deuil, la maladie et les vieux jours. Bardés de ces certitudes ils ont fait de leur mieux, peu ou prou, et voilà que cet édifice se lézarde.
La génération des personnes nées après 1955 est confrontée à un flot d’incertitudes et ne parlons pas de celles qui célèbrent aujourd’hui leur vingtième anniversaire. Leur horizon est bardé de lourdes interrogations : fragilisation des diplômes, difficultés d’accès à l’emploi, rigueur de la concurrence, omniprésence de la compétition, précarité de l’embauche, dictature de la mobilité professionnelle et géographique, fragilisation des acquis sociaux, rétrécissement de l’horizon des sécurités.
Et les places disponibles qui se font rares, occupées qu’elles sont par notre génération “ avec une fière légitimit頔. Nous l’avons mérité, d’accord, mais une société se juge par sa capacité de se prolonger, d’ouvrir des horizons aux enfants qu’elle choisit de mettre au monde.
Il est clair que pour la plupart des individus, l’avenir est la vieillesse et la mort. Pour la société, l’avenir est la venue de nouvelles générations et le surgissement de la vie.
Notre responsabilité est d’œuvrer pour ouvrir à celles-ci un avenir au moins aussi bénéfique que le présent dont nous disposons, et surtout de nous abstenir d’accroître notre bonheur présent s’il doit induire le malheur des générations à venir. Est-ce bien ce que nous faisons ?
Et il n’est pas seulement question de relations entre les générations. Ainsi, simplement parce que le progrès n’est pas linéaire, parce que le destin des générations successives d’une même classe, ne sera pas le même, il est impossible de créer une politique sociale pertinente sans articuler les notions de classes et de générations ensemble.
L’enfant de l’ouvrier est appelé, plus souvent que jamais dans l’histoire, à être chômeur. Les déclassements sociaux, hier marginaux, le seront moins pour ceux nés dans les années septante.
Beaucoup ne trouveront que des contrats précarisés et des niveaux de salaires indigents par rapport à leur titre scolaire, mais aussi par rapport au passé de leurs parents, les incitant ainsi à vivre en dépendance de l’État-protecteur ou de leur famille, puisque l’on peut craindre que le travail qui leur sera accessible soit souvent peu motivant, financièrement comme statutairement, et moins porteur d’une réalisation de soi satisfaisante.
Cela est d’autant plus fort que leurs parents, issus, eux, de la génération qui a connu le maximum de l’ascension sociale, leur ont généralement inculqué les valeurs de mobilité ascendante adaptées au destin personnel et collectif des cohortes des années quarante, et non à celui des générations récentes, qui risque bien d’être fort différent. Le destin des classes et celui des générations apparaissent ainsi comme singulièrement mal articulés, faute de concevoir les deux, simultanément et systématiquement dans leur dynamique respective.
Ce qui dépend de l’émergence d’un tel débat, c’est la capacité d’une société à concevoir son développement à long terme. Il met donc en jeu la responsabilité des générations présentes et tout particulièrement de celles et ceux qui aujourd’hui disposent d’une parcelle de pouvoir politique, devant les générations à venir qui ne manqueront pas, le moment venu, de juger leur action.
Cette question montre la nécessité d’un débat social sur la place des différentes générations, mais aussi des différences de classes, débat sans lequel nous risquerions vite de nous retrouver face à des déséquilibres sans possibilité d’expression politique.
Du silence des générations anciennes, aujourd’hui, devant cette situation qu’elles vont tôt ou tard léguer à leurs successeurs, pourrait résulter leur discrédit à venir.
Gérer l’angoisse et la panique
Nous en sommes là, à entendre les voix qui se sont exprimées. La maladie fait peur, la mort se présente dans son mystère redoutable, moment de grâce ? Porte du néant ? Toujours inquiétante : l’unanimité ne se fera jamais sur ce “ passage ”. Ce n’est pas une raison pour cultiver l’angoisse et distiller la peur auprès des personnes qui vivent leur vieillesse (même si c’est pour espérer quelques économies). Plusieurs retraités dénoncent vigoureusement un climat (récent) d’intimidation qui se réfère au slogan de “ vieillesse coûteuse ”, un “ poids ” pour la société. Les retraits et les résignations induites par ces attitudes constituent des formes dangereuses de destruction du lien social et des solidarités entre les générations comme de notre besoin essentiel de penser notre vie dans la durée. Il convient d’éviter de culpabiliser les « vieux » et les « jeunes ». C’est inutile, et même dévastateur.
Un pacte intergénérationnel
Les retraités qui disposent de la sécurité matérielle, d’une bonne santé et d’un patrimoine de compétences et de savoir-faire sont de plus en plus nombreux. Ils ont conscience d’avoir mérité le temps libéré qui s’ouvre devant eux. Beaucoup ne se sentent pas vieux, même s’ils éprouvent parfois le sentiment d’être mis à l’écart.
Ils ne rechignent pas à rendre des services, quand ils le peuvent, dans leur famille, leur entourage, les milieux où ils ont tissé des relations. Mais de là à s’engager dans des activités d’utilité sociale (coups de mains et initiatives dans les domaines de la santé, de l’action sociale ou culturelle), il y a un pas que beaucoup hésitent à franchir.
Pourtant, en Suisse, de plus en plus nombreux sont les groupements de retraités qui s’engagent dans ces initiatives d’utilité sociale.
Ils le feront d’autant plus qu’ils auront le sentiment d’être bien considérés par les milieux qui attendent d’eux des services. Du statut qui leur sera reconnu par les différents groupes sociaux dépendra sans doute pour une grande part l’intensité des prestations qu’ils seront prêts à offrir.
Il ne suffit pas de proclamer : “ Mesdames et Messieurs les retraités, nous avons besoin de vous ”. Encore faut-il développer quelques conditions cadre susceptibles de permettre, voire de stimuler l’exercice de cette disponibilité, de cette volonté de servir.
Tous ces “ retraités en action ” sont le terreau dans lequel se construit le nouveau pacte intergénérationnel recommandé par le récent rapport fédéral « Vieillir en Suisse ». Un pacte ? Oui, un grand chantier d’échange de services et de considération entre toutes les générations qui vont cohabiter de plus en plus longtemps grâce à l’allongement de l’espérance de vie.
Chez les retraités, il existe ce “ gisement de ressources d’innovation et de solidarit頔. Encore faut-il qu’il soit reconnu et que le précieux métal trouve place dans les charpentes de la société qui se met en place sous nos yeux. Chez les jeunes, l’ouverture est majeure. Encore faut-il que soient reconnues les conditions dans lesquelles se déploient leurs actions.
Un défi majeur du XXIe siècle consistera à inventer et apprendre de nouvelles formes d’expression et de consolidation des rapports entre les générations.




Les relations entre générations existent :
Présentation des concepts et de la problématique

François Höpflinger

Le débat sur les générations se profile toujours plus nettement en opposition à la thèse de l’individualisation. L’une des découvertes les plus étonnantes de la recherche sur les générations est que la solidarité intergénérationnelle s’est fortement maintenue dans les sociétés modernes. Les représentations pessimistes de la désagrégation de la famille reçoivent ainsi un net démenti. Dans les débats courants, le terme de génération est toutefois utilisé dans des sens différents. Beaucoup de débats sociopolitiques sur la question des générations souffrent d’un flou conceptuel et sont entachés d’idées erronées sur les rapports entre générations.

La notion de « génération » recouvre des représentations selon les traditions de pensée. Toute discussion objective est ainsi impossible sans une clarification préalable de ce qu’on entend par « génération ». Dans les débats scientifiques et sociopolitiques sur les générations, on utilise les différents concepts suivants :

A. La génération généalogique, en rapport avec la famille
La notion de génération généalogique est relativement claire, car elle se réfère à une succession facilement définissable de membres d’une même famille (parents/enfants ou petits-enfants/grands-parents). Il est ici question de la descendance (génétique) et de la parenté de sang et, de fait, les relations intergénérationnelles au sein de la famille sont demeurées importantes dans la société moderne. Il est caractéristique des sociétés modernes que, grâce à une espérance de vie élevée, différentes générations d’une même famille vivent fréquemment côte à côte et ensemble. Ainsi, ce n’est que depuis quelques dizaines d’années que les enfants peuvent couramment établir avec leurs grands-parents une relation active. Malgré une longue période de vie simultanée des enfants, des parents et des grands-parents, les différentes générations familiales vivent dans des ménages séparés, sans qu’il en ait résulté pour autant un affaiblissement de la solidarité entre les membres des différentes générations. Les sociologues de la famille utilisent souvent, pour décrire cette situation, des expressions telles qu’« intimité à distance » et « famille plurigénérationnelle multilocale ».
Par suite de la faible natalité, les représentants de la génération des grands-parents sont parfois plus nombreux, de nos jours, que ceux de la génération des petits-enfants. Une autre caractéristique importante des sociétés modernes tient à la dissociation du statut familial et du statut social. Contrairement à ce qui se passait dans les sociétés préindustrielles, marquées par la paysannerie, le statut social est moins déterminé par le patrimoine et la lignée sociale que par la formation, la situation professionnelle et le mode de vie. Également typique des sociétés modernes est le fait que la sécurité matérielle des personnes âgées ne dépend en principe pas de leurs propres enfants. Cela n’est toutefois pas valable pour leur sécurité sociale, car une grande partie de l’encadrement et des soutiens sociaux sont fournis par les proches.
Les études sociologiques sur la famille effectuées ces dernières années ont nettement confirmé l’importance et la stabilité de la solidarité familiale entre les générations. L’image d’une solidarité familiale en désintégration a ainsi été clairement réfutée.
B. La génération pédagogique
La transmission aux générations suivantes de normes, de connaissances et d’aptitudes est une condition fondamentale de toute société. C’est ainsi seulement que la continuité culturelle, sociale et économique peut être garantie au-delà de la durée de vie - limitée - des individus. La notion de génération pédagogique cible le rapport entre une génération qui transmet et une génération qui acquiert ; elle n’englobe jamais que deux générations. On distinguait autrefois la génération des enseignants de celle des enseignés. Aujourd’hui, on opère plutôt une distinction entre une génération qui transmet et une autre qui acquiert. Dans les faits, la génération qui acquiert peut tout à fait être plus âgée que la génération qui transmet, par exemple quand des grands-parents sont initiés à Internet par leurs petits-enfants.
A la différence d’autres concepts des générations, la génération pédagogique n’est pas un groupe social, mais une fonction : elle contribue à la solution d’un problème existentiel fondamental de l’espèce humaine, à savoir la garantie de la continuité sociale. Alors que, dans les sociétés traditionnelles, la génération des enseignants est généralement plus âgée que celle des enseignés, le rapport pédagogique entre les générations s’inverse fréquemment dans les sociétés modernes.
C. La génération historico-sociale
Dans le débat sociopolitique, on recourt le plus souvent à une notion de génération générale, sans rapport avec la famille. C’est un concept de génération qui se réfère à des groupes sociaux ayant des points communs culturels ou sociaux, par exemple quand on parle de la génération de la guerre, de la génération de 68 ou de la génération techno. Les générations sont donc définies comme des groupes sociaux présentant certaines affinités, par exemple une « Weltanschauung » commune, du fait qu’ils ont grandi à la même époque ou vécu les mêmes expériences. Cette notion de génération est celle qui revient le plus souvent dans les médias, y compris quand on parle de conflit des générations.
Le point de départ de ce concept est l’hypothèse que des expériences historiques et sociales communes laissent une empreinte indélébile. La notion de génération historico-sociale trouve essentiellement son origine dans un texte fondamental très souvent cité : « Das Problem der Generationen » (Le problème des générations, de Karl Mannheim, sociologue de la connaissance, 1928). Karl Mannheim y définit la notion de génération par des caractéristiques objectives (appartenance commune à un groupe d’âge), des caractéristiques concrètes créant un lien entre des individus (parce qu’ils ont été touchés concrètement par les mêmes événements historiques fatals) et enfin des caractéristiques subjectives (modèles d’orientation et d’action communs).
Dans la société actuelle, où tout change rapidement, beaucoup de chercheuses et chercheurs contestent qu’il soit encore possible d’identifier des générations dans le sens où l’entend Mannheim. La recherche sur la vie et la vieillesse montre clairement combien les femmes et hommes du même âge diffèrent, et la recherche moderne sur le style de vie montre que le lien entre situation objective et style de vie subjectif, autrefois étroit, s’est affaibli.
La dynamique des relations intergénérationnelles
La question des générations a toujours été à la fois une source de grandes solidarités et de graves conflits. Vers la fin du XXe siècle, la situation de la génération des aînés est devenue un sujet de débat nettement plus important que la rébellion de la génération montante. Les débats sur les relations intergénérationnelles sont marqués par des représentations de base différentes. En simplifiant, on peut distinguer trois modèles :
Modèle A — Interdépendance négative (conflit des générations) :
Selon ce modèle, le rapport entre les différentes générations est caractérisé par un conflit d’intérêts marqué. Chaque génération a ses intérêts propres, qui sont inconciliables avec les intérêts des autres générations. Dans ce modèle, les mesures sociopolitiques en faveur d’une des générations du Welfare (p. ex. les retraité-e-s) se font au détriment d’une autre génération du Welfare (p. ex. les jeunes ou les personnes exerçant une activité lucrative). Cette représentation est actuellement confortée par le fait que la politique sociale considère les personnes âgées en premier lieu sous l’angle des charges économiques qu’elles entraînent.
Dans cette représentation des relations et des rapports entre générations, on part du modèle classique du jeu qui se solde par un équilibre des gains et des pertes : tout gain enregistré par A constitue une perte pour B. Ce modèle de rapports intergénérationnels bénéficie d’un fort soutien dans le débat politique, car il correspond au modèle classique des conflits d’intérêts entre les partis politiques (quand le parti A gagne, le parti B perd obligatoirement). Le slogan du conflit des générations est aussi volontiers utilisé par les mass media, car la dramatique des événements s’en trouve augmentée. Quant à savoir si le modèle d’une interdépendance négative - qui a sa raison d’être en matière de politique électorale - est également valable pour les relations entre générations, voilà qui est discutable.
Modèle B — Interdépendance positive (solidarité intergénérationnelle) :
Ce contre-modèle consiste à penser qu’il existe une relation mutuelle positive entre les générations : ce qui profite à une génération a aussi des conséquences positives pour les autres générations. Les intérêts des générations aînées et plus jeunes ne sont pas inconciliables ; ils sont au contraire liés, et cela dans un sens positif. Par exemple, on peut arguer qu’une augmentation des rentes de vieillesse profite aussi aux jeunes, car chaque génération voit ainsi son autonomie économique et sociale renforcée. Effectivement, des analyses historiques donnent à penser que l’indépendance sociale de la génération montante a été renforcée par l’extension d’une prévoyance-vieillesse publique. Inversement, les investissements dans la formation de la génération montante améliorent la productivité économique, ce dont retraitées et retraités bénéficient aussi.
Ce modèle de solidarité mutuelle est moins répandu dans le débat public, car il contredit les schémas de concurrence prédominants. Il détermine pourtant les relations entre les générations au sein de la famille. Ici, les relations sont fortement marquées par l’aide et la solidarité mutuelles, et toutes les études récentes effectuées, dans le domaine de la sociologie de la famille montrent qu’il y a une grande continuité de l’aide familiale entre les générations.
Modèle C — Indépendance (coexistence des générations) :
Le troisième modèle part de l’idée que les différentes générations vivent indépendamment les unes des autres. Chaque génération a ses intérêts propres et il existe peu de liens réciproques. Ce modèle correspond à une société dans laquelle différents groupes d’âge mènent leur propre vie, poursuivent leurs propres intérêts et développent leur propre culture. Ce que font les jeunes concerne peu les personnes âgées et, inversement, les valeurs et expériences des générations précédentes sont sans importance pour les générations suivantes.
Une analyse plus poussée montre clairement que le modèle de l’indépendance des générations a un caractère ambivalent : d’un côté, les conflits sont atténués lorsque chaque génération a sa propre liberté d’action et que les personnes âgées, comme les jeunes, mènent leur vie de façon autonome. La politique actuelle de la vieillesse tend fortement à préserver l’autonomie des personnes âgées. D’un autre côté, un modèle d’indépendance implique toujours une certaine séparation des générations. Chaque génération vit pour elle-même. Ainsi, il se crée peu d’intérêts et de points communs. Ce sont des groupes sociaux qui mènent des vies séparées. Sans doute les conflits ouverts surgissent-ils rarement, mais la solidarité et la communication sont déficientes. En fait, les formes d’une telle séparation des générations se rencontrent principalement dans le domaine des loisirs, où des formes de vacances et de loisirs différentes sont offertes aux jeunes et aux aines. De même, il est rare que les membres de différentes générations entretiennent des relations d’amitié étroites.
Les modèles de relations intergénérationnelles reposant sur le principe du jeu où l’on ne peut que gagner ou perdre ne vont pas assez loin, parce qu’ils reposent sur une manière de voir statique. Dans de tels débats, la perspective longitudinale (tout être humain vieillit et change de place dans la structure des générations) demeure à l’arrière-plan. En même temps, la question se pose de savoir dans quelle mesure il n’existe pas aujourd’hui des modèles relationnels différents selon les domaines de la vie : alors que, dans le domaine familial c’est le modèle de la solidarité qui domine - couplé avec le modèle de vie d’« intimité à distance » - les relations intergénérationnelles dans le domaine des loisirs sont caractérisées par une certaine séparation. Au niveau de la formation et du travail, les relations hiérarchiques se superposent aux relations intergénérationnelles, car la jeune génération occupe généralement une position inférieure dans ces domaines, alors que les positions dirigeantes (maître, professeur, chef, etc.) sont souvent occupées par des membres de la génération plus âgée.
Cette structure complexe des relations intergénérationnelles a au moins deux conséquences : d’une part, les contacts quotidiens entre les différentes générations sont souvent ponctuels, du moins en dehors de la famille. D’autre part, dans la société moderne, beaucoup de conflits de générations demeurent sous-jacents. Le caractère complexe des relations entre les générations telles qu’elles sont vécues actuellement a aussi pour conséquence que, suivant le point de vue (et le domaine de vie) choisi, on a une impression de relations harmonieuses, d’oppositions masquées ou de séparation consommée.

Bibliographie
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Société et vieillissement :
l’histoire des changements dans notre siècle

Geneviève Heller2

Le titre de cette conférence « Société et vieillissement : l’histoire des changements dans notre siècle » relève davantage d’un vœu que d’une promesse. On aimerait donc faire la synthèse des changements au cours du XXe siècle dans notre société en lien avec le vieillissement de la population. Certaines recherches apportent des données et des analyses très fouillées, comme celle de l’évolution de la démographie ou celle des étapes qui ont abouti à l’Assurance-vieillesse et survivants entrée en vigueur en 1948. Mais le champ d’exploration historique reste encore très lacunaire et morcelé, notamment dans ce que l’on pourrait appeler l’histoire sociale de la vieillesse.
Bipolarisation de la vieillesse
En posant un regard de simple observateur sur la situation actuelle, on peut mettre en évidence une image et une réalité, qui ne sont d’ailleurs pas toujours superposables, entre deux pôles de la vieillesse. Précisons qu’il n’est pas question ici de donner une définition à la vieillesse ni un âge, tant les variantes et les facteurs sont nombreux. Ces deux pôles sont d’un côté une vieillesse heureuse et favorisée, de l’autre une vieillesse malheureuse et défavorisée.
On ne cesse de s’émerveiller au sujet de l’allongement de l’espérance de vie, de l’amélioration de l’état de santé de personnes relativement âgées. La vieillesse est considérée comme une période dégagée des contraintes professionnelles et familiales, des horaires, avec une certaine indépendance économique et des activités choisies selon les goûts. Les personnes âgées sont devenues des consommateurs appréciés. Elles sont aussi des individus qui ont une grande disponibilité ce qui peut être une richesse pour la société. On fait donc un constat optimiste, voire idéaliste.
À l’inverse, on fait le constat pessimiste, alarmiste que les personnes âgées sont trop nombreuses, et le deviendront encore ; que la troisième génération doit s’occuper de la quatrième au lieu de pouvoir savourer sa liberté. Les pathologies augmentent et durent, on redoute le trop grand âge avec la sénilité qui s’empare des individus qui ne peuvent plus mourir de maladie.
Et l’on s’interroge sur la place de chacun dans notre société, qu’il soit indépendant ou dépendant ; en utilisant des mots plus anciens, on dirait valide ou invalide.
Ces deux pôles théoriques correspondent parfois au vécu des individus, le premier précédant souvent le second. Mais c’est surtout une vision globale, mise en évidence par l’économie, la démographie, la sociologie, l’anthropologie et la médecine.
Cette bipolarisation a toujours existé avec des variantes selon l’époque et le type de société.
D’un côté, l’image majestueuse du vieillard sage, expérimenté, serein, méritant le respect, le soutien et la reconnaissance après une longue vie de labeur.
De l’autre, l’image humiliante du vieillard qui régresse, qui ne peut plus gérer ses affaires et sa vie, qui pèse sur ses proches et sur la société, qui est abandonné ou qui fait l’objet de reproches, qui souffre des douleurs intolérables et qui parfois se suicide. Dans les procédures judiciaires à une époque où le suicide était un délit, on en trouve des traces. Voici le témoignage de la domestique d’un patricien de 75 ans qui s’était jeté dans le lac à Genève en 1775 : « Il se cachait quand il urinait, on l’entendait crier, se plaindre amèrement et dire dans l’excès de sa douleur qu’il ne pouvait plus supporter la vie. »
Ces deux aspects contrastés de la vieillesse sont généralement, dans la période contemporaine, désignés par les expressions « le 3e et le 4e âge » ou par « l’âge de la retraite » et « l’âge de la dépendance ». Traditionnellement, dès l’Antiquité, on distinguait aussi dans les représentations des âges de la vie deux étapes différentes dans la vieillesse. Au XVIIIe et XIXe siècle, on les nommait « caducité » et « décrépitude ».
Le vieillissement, problème social
La vieillesse, réalité individuelle et familiale ou étape symbolique de la vie humaine, était autrefois intégrée à d’autres problèmes de la société comme la mendicité, la pauvreté, la maladie ou l’incurabilité, mais elle n’était pas considérée comme un problème social en soi. C’est surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle et dans le cours du XXe siècle que la vieillesse, ou pour employer un terme plus récent, le vieillissement – qui suggère un processus et non un état – est devenu un problème de société spécifique. Il a suscité la création d’une science ad hoc, la gérontologie, dont la fondation de l’Association internationale de Gérontologie en 1950 représente une date charnière. Cette mise en évidence de la vieillesse comme phénomène ou problème de société est due à la fois à l’accroissement numérique de la population âgée en proportion du reste de la population, à l’augmentation de ses pathologies et de leur coût, au nouveau rôle des personnes âgées dans une société de loisirs et de consommation, à leur place dans le secteur économique en crise et dans le registre fluctuant des valeurs et des priorités.
Le champ de la vieillesse est devenu un univers en soi qui comprend ses lois, ses institutions, ses associations, ses représentations, dont on peut explorer le développement ; il n’est cependant pas séparable des autres champs sociaux avec lesquels il est en interaction.
Je vais m’attarder sur un développement historique particulier, celui des institutions d’accueil pour personnes âgées au cours de notre siècle. Mais pour aborder ce sujet, il est nécessaire de mettre en évidence deux paramètres qui illustrent précisément l’interférence du champ de la vieillesse avec d’autres champs sociaux. L’émergence et le développement des institutions pour personnes âgées ne peuvent se comprendre sans l’évolution, entre autres, du statut de l’hôpital et de la notion de droit au repos.
L’hôpital se débarrasse des incurables
L’hôpital moderne est l’héritier lointain des hôtels-Dieu du Moyen-Âge et des hôpitaux généraux fondés surtout au XVIe et au XVIIe siècle. Mais la médicalisation de l’hôpital est une histoire plus récente qui dure cependant depuis deux siècles et qui explique en partie la création d’institutions spécifiques comme les asiles du XIXe siècle (asiles pour les aveugles, les aliénés, les débiles et les retardés, les incurables, les vieillards, les orphelins, les épileptiques, les alcooliques, etc.).
Vers 1800, l’hôpital accueillait encore uniquement des personnes pauvres, mais de toutes catégories (malades, orphelins, vieillards, prisonniers, etc.).
Vers 1900, grâce au développement de l’hygiène, de l’asepsie, de l’antisepsie et de l’anesthésie qui rendaient les soins plus efficaces, l’hôpital accueillait en priorité des malades pour lesquels on pouvait tenter un traitement ; en outre, il ne s’agissait plus exclusivement de personnes assistées ou pauvres. En 1841 déjà, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, le médecin de l’Hospice cantonal à Lausanne, s’inquiétait de ne pas encombrer l’hôpital avec « des malades qui ne présentent plus aucune chance de guérison ». À la fin du XIXe siècle, la plupart des hôpitaux ou des infirmeries mentionnaient dans leur règlement les malades qui étaient indésirables et qui n’étaient pas admis. L’Infirmerie de Morges dans le canton de Vaud, par exemple, précisait que « sont exclues les maladies chroniques, incurables, spéciales, celles de la peau et celles résultant de la vieillesse ou d’infirmités ». C’est là le signe d’une volonté politique, mais dans la réalité, on peut observer que les hôpitaux et les infirmeries n’ont cessé d’abriter des incurables, et parmi eux nombre de vieillards, faute de pouvoir les placer ailleurs. C’est dans ce contexte que certains asiles de vieillards ont été créés.
Le devoir de retraite et le droit au repos
La notion de retraite est l’autre paramètre que j’ai choisi de présenter en lien avec le développement historique des institutions d’accueil pour personnes âgées. Les personnes âgées ont acquis entre le XIXe et le XXe siècle – par la convergence de plusieurs éléments – un statut spécifique nouveau grâce à l’introduction progressive de la notion de retraite et de son corollaire, l’attribution d’une rente, qui n’allait pas de soi d’ailleurs. La retraite allait concerner une proportion croissante d’individus et non seulement des catégories professionnelles particulières comme les fonctionnaires de l’État. Par retraite, il faut entendre à la fois le droit au repos avant l’épuisement des forces et l’arrêt de travail codifié pour garantir une certaine qualité de rendement.
On doit relever que cette double notion de droit au repos et d’arrêt obligatoire du travail a été fluctuante selon les époques, avec cependant une nette évolution depuis la fin du XIXe siècle.
Longtemps le vieillissement, c’est-à-dire surtout le déclin des forces plutôt que le nombre d’années, n’a donné aucun droit au repos sauf pour ceux que les déficiences physiques et mentales contraignaient à quitter leur rôle actif dans la société.
Un historien qui a étudié la société traditionnelle explique : « On observe entre le XVe et le XIXe siècle dans les pays romands, dans une civilisation dont il faut énergiquement rappeler le caractère essentiellement rural, que les individus se sentent profondément le devoir de poursuivre leur activité jusqu’à leur dernier souffle. [...] Le chef de la famille a la responsabilité du patrimoine et de sa transmission. [...] L’idée de retraite et de pension n’est pas concevable dans le monde rural ancien. Il faudra pour qu’elle se répande largement, le mode de vie, ouvrier et urbain, dans lequel la famille et le patrimoine sont séparés du travail et du revenu. »
Voici deux repères relatifs à la prévoyance pour la vieillesse en Suisse :
Entre 1870 et 1920, se succèdent plusieurs lois et règlements cantonaux relatifs aux pensions de retraite ou caisses de retraite pour les instituteurs ou les pasteurs émérites, les gendarmes ou les employés de l’administration, leurs veuves et leurs orphelins. L’obligation, la limite d’âge et le montant de la somme relative au salaire vont se préciser sensiblement. D’autres rentes et mutualités se mettent en place avec des garanties de plus en plus grandes dans divers corps de métiers. Des systèmes de retraite privée avec participation de l’État s’organisent ; ainsi, dans la première moitié du XXe siècle, on voit apparaître les caisses cantonales de retraite populaire.
Mais les journaliers et la plupart des femmes resteront longtemps exclus du système des assurances-vieillesse. À défaut d’assurances, des œuvres d’assistance et de bienfaisance, publiques et privées, ont été fondées pour les nécessiteux, dont la plus importante en Suisse a été la fondation en 1917, par la Société suisse d’utilité publique, de Pro Senectute qui a assumé, grâce à un système de collectes nationales et de comités cantonaux le soutien de vieillards indigents.
L’autre point de repère relatif à la prévoyance est l’acceptation en 1947 par votation populaire de la loi fédérale sur l’Assurance vieillesse et survivants, l’AVS. C’est une date charnière pour la Suisse. Destinée à tous les individus, elle avait été discutée et demandée depuis plus de cinquante ans, soit depuis 1889 ; elle avait été refusée une première fois en votation populaire en 1931.
Les institutions pour personnes âgées
Sans remonter plus haut dans le temps pour observer l’accueil de personnes âgées dans des institutions spécifiques qui restaient exceptionnelles, c’est dans le courant du XIXe siècle que dans la plupart des pays industrialisés on discute de l’opportunité de créer des asiles de vieillards et que des asiles éphémères ou durables ont été fondés. Les uns étaient dus à l’initiative privée d’un ou de plusieurs bienfaiteurs, d’autres à des corporations ou des mutualités, aux pouvoirs publics communaux ou étatiques, ou encore à des milieux ecclésiastiques.
On peut dégager quelques grands traits dans l’évolution des institutions pour personnes âgées depuis la fin du XIXe siècle. Cette évolution comprend cependant des exceptions et des variantes sensibles.
Première génération :
les asiles des vieillards pauvres
Les asiles de vieillards ont été fondés durant le XIXe siècle et jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale ; ils étaient le plus souvent réservés à des vieillards pauvres et abandonnés, c’est-à-dire surtout assistés. Une pratique courante à cette époque était de les placer dans une famille aux frais de l’assistance. Les promoteurs des asiles ont cependant remarqué qu’ils vivaient souvent dans des conditions matérielles et affectives pitoyables alors que dans un asile on pouvait s’adapter à la condition du vieillard. On cherchait à offrir au vieillard la compagnie d’autres vieillards qui le comprennent, à lui procurer un régime alimentaire convenant à son âge, une maison bien chauffée, des secours religieux et des soins médicaux. Sans utiliser le terme aujourd’hui à la mode de « qualité de vie », c’est bien cela que l’on cherchait à offrir, dans les normes de l’époque pour une population défavorisée socialement.
À Genève, l’Asile d’Anières, dépendant de l’administration de l’Hospice, a été créé pour les vieillards en 1875. Dans le canton de Vaud, l’Asile des vieillards pauvres et malheureux de Lausanne a été fondé en 1887, à la suite de débats au sein de la Société vaudoise d’utilité publique, d’enquêtes et de conférences qui ont préparé l’opinion publique.
Le but de l’asile de Lausanne est « de procurer à ceux qui ne peuvent avoir ni foyer, ni famille, une famille et un foyer, où ils puissent trouver le calme, le repos, la tranquillité, les soins et même les prévenances que leur âge avancé réclame. » Et les bienfaiteurs sont invités à « soutenir une institution qui assure à vingt vétérans de l’existence, meurtris pour la plupart par les circonstances de leur vie, un refuge pour leurs vieux jours. » En principe on n’accueillait pas dans les asiles ceux qui avaient une famille. L’existence des asiles ne devait en effet pas « devenir pour la famille une occasion de négliger ses devoirs ».
Au moment de cette première génération d’asiles de vieillards en Suisse (quoiqu’il y ait eu, je le répète, des fondations plus anciennes), il faut garder à l’esprit que des vieillards infirmes ou incurables étaient encore souvent placés dans les hôpitaux et les infirmeries (malgré le mouvement de médicalisation de l’hôpital mentionné plus haut). En France, les hospices qui n’accueillaient d’ailleurs pas uniquement des vieillards étaient des institutions beaucoup plus vastes (rares chez nous à cause du système fédéraliste qui décentralisait l’assistance). Ainsi, dans la région parisienne, les hospices de Bicêtre (pour les hommes) et de la Salpêtrière (pour les femmes) fondés au XVIIe siècle, accueillaient chacun vers 1900 environ 4 000 pensionnaires, dont plus des deux tiers étaient des vieillards.
Deuxième génération :
les maisons de retraite
Les asiles de vieillards fondés durant l’entre-deux-guerres ou après la Deuxième Guerre mondiale et jusque dans les années soixante, accueillaient de plus en plus, à côté des vieillards assistés, des hôtes volontaires qui payaient leur pension. Certains avaient même une famille. Durant cette époque, des maisons de repos pour vieillards ont été installées dans presque toutes les régions.
On peut relever certains changements dans les mentalités qui viennent modifier l’image de l’asile de vieillards qui se transforme peu à peu en maison de retraite ou en maison de repos, ouverte à une population plus large pas nécessairement pauvre. Et si les premiers asiles étaient destinés à des personnes sans famille, ou exceptionnellement à des vieillards qu’il fallait protéger contre la malveillance de leurs enfants, on commence à admettre qu’il faut aussi parfois épargner aux enfants l’inconvénient de loger leurs vieux parents, la notion du devoir d’accueil par les enfants devient moins impérative. La solidarité familiale se modifie, l’individualisme est fortifié.
Troisième génération :
les institutions médicalisées
Les maisons de retraite subissent dans les années soixante des changements d’image et de réputation qui vont entraîner leur transformation et l’avènement d’une troisième génération d’institutions pour personnes âgées.
Depuis les années cinquante, si ce n’est déjà avant guerre, on assiste de place en place à une sorte de dégradation des conditions d’accueil. D’une part, l’augmentation de la demande entraîne la saturation des espaces qui sont surpeuplés et le personnel qualifié manque ; d’autre part, l’élévation du niveau de vie au sein de la population en général met en évidence le contraste entre le confort moyen dans notre société et les normes jugées archaïques en usage dans certaines institutions. Les asiles traditionnels ne sont plus acceptables, les installations sanitaires, les dortoirs de plusieurs lits et les longues tables du réfectoire sont critiqués au même moment ; ce sont les signes tangibles d’une remise en question profonde des conceptions de l’accueil institutionnel (qu’il s’agisse d’ailleurs des hôpitaux psychiatriques, des maisons d’éducation ou des maisons de retraite). C’est le personnel, tout autant que les familles, plus encore que les résidents, qui ressentent le caractère honteux ou inadmissible de ce décalage. Les idéaux et les moyens pédagogiques et médicaux font des pas de géant. Enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, on assiste à une dégradation de l’état physique et psychique d’un nombre croissant de personnes âgées. Les asiles ou les maisons de repos se plaignent. Ainsi, en 1953, la direction de l’asile de Lausanne fait le constat suivant : « Le vieillissement des pensionnaires a pour conséquence d’augmenter le nombre des cas de sénilité rendant le travail du personnel plus pénible et plus compliqué. » Dès les années soixante, la situation s’accélère. La gérontologie, la gériatrie et la psychogériatrie se développent à cause de l’augmentation de la population âgée et de l’augmentation de ses pathologies.
Dans leur troisième génération, les institutions pour personnes âgées sont modernisées, médicalisées, homologuées. Elles sont devenues, par leur coût, réservées à une population très dépendante. S’il fallait être pauvre et sans famille au XIXe siècle pour entrer dans un asile de vieillards, aujourd’hui il faut être impotent ou malade chronique pour entrer dans un établissement médicalisé.
Il convient de revenir un instant en arrière : à chaque période, on est fier de certains asiles, des maisons de retraite ou des établissements médicalisés qui offrent ce que l’on considère comme le mieux pour l’époque. Ils sont présentés comme de belles réalisations d’utilité publique. Ainsi l’Asile des vieillards pauvres et malheureux de Lausanne fondé en 1887 avait préparé un album de photographies pour l’Exposition nationale de 1914 à Berne.
La grande table de la salle à manger était un sujet de fierté. Mais ce qui avait été conçu à un moment donné selon les normes de la société ne correspondait plus après quelques décennies à l’évolution matérielle et à l’évolution des sensibilités. Ainsi, les asiles du XIXe siècle qui ont subsisté ont dû changer radicalement leurs conceptions d’accueil trois ou quatre fois au cours du siècle.
L’évolution des mots
Les institutions ont changé de noms aussi : par exemple, l’Asile de vieillards pauvres et malheureux de Lausanne est devenu en 1930 l’Asile de vieillards de Chailly-sur-Lausanne (on a supprimé les adjectifs pauvres et malheureux), puis en 1954, on l’a appelée la Maison des vieillards de Chailly sur Lausanne, en 1973, La Rozavère, maison de retraite, Chailly sur Lausanne, enfin, en 1979, La Rozavère, établissement médico-social.
Le mot asile a basculé et changé de sens. Fondamentalement, l’asile est un refuge, où par charité et par solidarité, le toit, la subsistance et la protection sont offerts aux démunis. Mais l’asile c’est aussi, ou c’est devenu, un lieu de promiscuité, d’austérité, de rigidité, d’assistance étouffante. Les mots se dévaluent, ils renvoient à des réalités qui se sont altérées avec le temps, qui deviennent périmées, que l’on veut oublier et corriger. D’autres mots les remplacent pour mieux correspondre à une nouvelle réalité, l’ancien mot étant attaché à une pratique jugée désuète.
Des termes qui peuvent paraître aujourd’hui inconvenants ou ridicules, n’étaient pas désobligeants ; ils le sont devenus : autrefois on parlait des « vieillards » que l’on disait « indigents », « isolés », « délaissés », « abandonnés », « invalides », « incurables », « gâteux », « séniles ». Depuis les années cinquante, on parle plutôt de « personnes âgées », on les dit « sans ressources », « sans famille », on les a dites « handicapées » ou « chroniques » mais ce n’est déjà plus convenable, elles sont devenues des « personnes en situation de dépendance » ; toutes les catégories soigneusement séparées autrefois sont aujourd’hui confondues dans un euphémisme poli.
L’occupation du temps
J’aborde ici un dernier point relatif à la vie quotidienne des personnes âgées dans les institutions et qui permet d’observer les liens entre vieillissement et société : il s’agit de l’occupation du temps. On aurait pu porter notre attention sur d’autres thèmes comme les règlements (dans un langage plus moderne les chartes), sur les soins, le personnel, les équipements, l’approche de la mort, etc.
Il faut préciser que les remarques qui suivent pourraient en partie concerner d’autres catégories de personnes vivant en institution, elles ne sont pas uniquement spécifiques à la vieillesse.
Au XIXe siècle, et dans une certaine mesure jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les vieillards valides accueillis dans un asile devaient travailler pour mériter l’accueil, et le fonctionnement de l’institution dépendait largement de leur collaboration. Sous la surveillance du personnel, les vieillards s’occupaient des cultures maraîchères, ils faisaient maints travaux dans la maison (entretien, réparation, chauffage), les femmes réparaient le linge et épluchaient les légumes, hommes et femmes confectionnaient des objets destinés à la vente (couture, tricot, paniers d’osier). C’était normal dans le contexte de l’époque, mais il y a eu des dérives de part et d’autre : certains vieillards étaient trop usés pour travailler, d’autres n’avaient pas le goût au travail ; ils y ont été contraints parfois. Rappelons que l’on attribuait une grande valeur morale au travail.
Cette manière de faire s’est modifiée peu à peu surtout à la fin de l’entre-deux-guerres. Les travaux domestiques ont été confiés à des professionnels, l’industrialisation et la mécanisation ont contribué à dévaloriser le travail des vieillards. Certaines tâches ont été abandonnées (les matelas n’étaient plus bourrés et retoilés périodiquement), d’autres ont été confiées aux machines (le motoculteur et la machine à peler les légumes ont fait leur entrée depuis 1950). L’achat des machines a permis de se dispenser de l’aide des vieillards devenus pour la plupart moins valides ; mais en même temps cet achat était rendu nécessaire parce que l’on ne pouvait plus assez compter sur la collaboration bénévole des vieillards. Quelqu’un qui payait sa pension, qui de plus recevait l’AVS, était aussi de la génération qui admettait comme normal de ne plus travailler.
Depuis longtemps pour les invalides, depuis peu pour les valides, les journées à l’asile devenaient interminables. Vers 1970, l’ergothérapie - développée comme méthode de réadaptation fonctionnelle notamment pour les traumatisés de guerre – a été introduite dans les maisons de retraite. Elle visait à stimuler les fonctions motrices et sensitives des vieillards, mais elle est devenue aussi une tâche occupationnelle parfois humiliante pour la personne et méprisée par son entourage. On confectionnait des paillassons, des pompons ou on tricotait des écharpes que l’on détricotait ensuite derrière le dos des personnes âgées.
Les divertissements et les sorties, qui ont été traditionnellement un privilège assez rare, sont devenus plus fréquents, parfois jusqu’à l’agitation. La société moderne entraîne les personnes âgées dans ses nouvelles valeurs de l’activisme à tout prix (peut-être un peu moins maintenant à cause des restrictions budgétaires). Des expériences plus récentes, issues de l’art-thérapie ou des pédagogies actives, débouchent sur une approche plus créative, individuelle ou en groupe, de l’occupation du temps.

Chaque étape cherche à corriger les défauts les plus flagrants de l’étape précédente, tout en provoquant d’autres déséquilibres qui à leur tour doivent être compensés. L’histoire peut nous aider à retrouver le sens des mots et des faits à une époque – lui-même imprégné de valeurs anciennes accumulées –, elle peut nous aider à repérer les glissements de sens qui nourrissent nos convictions et nos préjugés, et qui ne sont pas communs aux différentes générations qui vivent en même temps.




La construction sociale de la vieillesse :
les XVIIIe, XIXe et XXe siècles

Cornelia Hummel Stricker1

1. Introduction
En proposant une réflexion sur la construction sociale de la vieillesse par le biais d’une approche historique, nous tentons de mettre en lumière le façonnage social que la société opère sur un âge de la vie. Précisons d’emblée que nous ne traiterons pas de la condition des personnes âgées en tant que catégorie d'individus réels, mais bien de la vieillesse en tant qu'objet social.
L’approche historique nous incite à garder à l’esprit la distinction opérée par Ariès (1983) entre deux axes de l'histoire de la vieillesse : l'histoire des rôles réels de la vieillesse dans la société, et celle des représentations dans les images sociales. Ariès précise que la coïncidence entre les deux axes n'est pas certaine. Compte tenu des sources à disposition, il est difficile de distinguer ces deux axes dans la section consacrée aux XVIIIe et XIXe siècles. Par contre, cette distinction prend une importance croissante dans la section suivante, consacrée aux mutations du XXe siècle et en particulier au travail de définition opéré par les institutions politiques et scientifiques.
2. Le XVIIIe siècle : la naissance du vieillard
Si la vieillesse définie comme âge de la vie a toujours existé, le XVIIIe siècle marque la naissance d’une nouvelle catégorie sociale. Les historiens s’accordent à considérer ce siècle comme celui de l’invention de la vieillesse, ou celui de « la naissance du vieillard » (pour reprendre le titre de l’ouvrage de l’historien Jean-Pierre Gutton).
Le XVIIIe siècle est marqué par une expansion démographique lente, mais décisive. L'amélioration des conditions de vie préside à un recul de la mortalité touchant toutes les classes d'âge et la vieillesse devient une réalité socialement perceptible. La démographie se développe et les spéculations sur la longévité et la structure des populations sont remplacées par des relevés réels et des calculs exacts. Un grand nombre de pays européens s'intéressent maintenant à la question des dénombrements et des statistiques nationales. Il est désormais possible de chiffrer et de suivre l'augmentation numérique des vieillards ainsi que l'espérance moyenne de vie. Bois (1994) propose une généralisation des données connues : au début du siècle, l'Europe est composée de 5 à 7 % de personnes de plus de 60 ans, cette proportion étant de 7 à 10 % à la fin du siècle. L'âge de 60 ans comme seuil d'entrée dans la vieillesse s'impose, dans les études de populations comme dans les écrits politiques et littéraires. Bourdelais (1993) note que le XVIIIe a vu naître la catégorie statistique des vieillards, ce terme étant désormais utilisé dans les statistiques françaises pour désigner les personnes de 60 ans et plus.
Ce qu’on pourrait appeler la découverte sociale de la vieillesse est aussi traduit par le développement des premières institutions de la vieillesse, offrant une solution publique plutôt que privée au problème de la misère des déclassés. Des politiques d'assistance, relayées par des lois, voient le jour dans de nombreux pays. En Angleterre, une « taxe des pauvres » permet de financer des établissements accueillants enfants désœuvrés, infirmes et vieillards. En Allemagne, des « maisons des pauvres » sont financées par les municipalités. La Hollande va plus loin, en instaurant un système d'impôt sur le revenu visant à financer des maisons pour vieillards, ancêtres des maisons de retraite. Pratique initiée au siècle passé, les hôpitaux français offrent toujours un refuge aux pauvres, mais commencent à installer les vieillards dans des locaux séparés. Louis XV emboîte le pas à Louis XIV en créant les premières pensions d'invalidité qui deviennent les pensions de récompenses militaires sous Louis XVI. On assiste donc à l'institution des premières retraites dans l'administration militaire, qui sera bientôt suivie par d'autres administrations françaises et européennes.
Dans le domaine de l'État comme dans celui de la famille, les âgés exercent un pouvoir qui ne soulève pas de grandes contestations. Les personnalités politiques prennent de l'âge, probablement sous l'effet de l'augmentation de l'espérance de vie. Dans la famille, la figure du chef de maison autoritaire est graduellement remplacée par celle du père de famille débonnaire mais néanmoins dominant, « ventre à table et dos au feu, (qui) parle, lit, ordonne, s'occupe des animaux nobles, chiens, chevaux, taureaux, et laisse aux femmes, aux enfants et aux bergers, les vaches, porcs et abeilles ». La famille tri-générationnelle n'est plus une rareté, du moins dans les milieux aisés, et les grands-parents prennent une place importante dans la vie familiale. Est-il besoin de le dire, le XVIIIe siècle offre aussi le large éventail des vieillesses démunies et solitaires, sans biens ni famille et donc sans soutien, dont la capacité à survivre dépend des ressources physiques ou du recours à une assistance inégalement développée et répartie sur le territoire européen.
Le siècle des Lumières offre, dans la peinture et la littérature, une image positive, optimiste de la vieillesse, en nette rupture avec le pessimisme et le cynisme du XVIIe siècle. Bois note que « le XVIIIe siècle est en train d'inventer le bon vieillard, comme il avait créé le bon sauvage » (1989 :189). Belle vieillesse, sage vieillesse, vieillesse aimée, voire vénérée, les images et les écrits ne tarissent pas d'admiration et d'affection à l'égard de cet âge de la vie. Dans le domaine de la peinture, le ton est donné par Jean-Baptiste Greuze qui place le vieillard au centre d'une famille respectueuse et chaleureuse : le vieil homme est souvent un vieux père, entouré de ses enfants, et la vieille femme une grand-mère, entourée de ses petits-enfants. Ses tableaux aux titres évocateurs, La Grand-maman, La Mère bien aimée, Le Vieil homme et l'enfant, Père de famille expliquant la Bible à ses enfants, insistent sur la puissance paternelle respectée, le rôle éducatif des anciens, l'affection apportée par la grand-mère. La vieille sorcière des siècles précédents est bien loin – déplacement subtil, elle est maintenant un personnage de prédilection des histoires que les grands-mères racontent à leurs petits-enfants.
« Le noble vieillard à la belle figure » (Ariès, 1983) est également vanté dans les écrits : on y souligne son savoir, sa sagesse et sa vertu. Dans De l'esprit des Lois, Montesquieu plaide en faveur de l'autorité des vieillards, qui ont le mérite de faire passer l'intérêt général avant l'intérêt particulier. Dans Zadig et Candide, Voltaire décrit des vieillards sages et de bon conseil qui, débarrassés de la volupté, peuvent s'élever à la raison. Pour Diderot, le grand âge est une condition du savoir. Dans Le Neveu de Rameau, il écrit : « Les ouvrages classiques ne peuvent être bien faits que par ceux qui ont blanchi sous le harnais. C'est le milieu et la fin qui éclairent les ténèbres du commencement ». La tragédie et ses vieillards tourmentés ainsi que la comédie, encore attachée au vieux barbon hérité de Molière, subissent les critiques de Rousseau : « Puisque l'intérêt y est toujours pour les amants, il s'ensuit que les personnages avancés en âge n'y peuvent jamais faire que des rôles en sous-ordre (...). On est fait, dans les tragédies, des tyrans, des usurpateurs ; dans les comédies, des jaloux, des usuriers, des pédants, des pères insupportables que tout le monde conspire à tromper. Voilà sous quel honorable aspect on montre la vieillesse au théâtre, voilà quel respect on inspire pour elle aux jeunes gens ».
L'exaltation de la vieillesse atteint son apogée à la Révolution française. Honorer la vieillesse devient une nouvelle vertu civique : les discours louant le grand âge, faisant fréquemment référence aux personnages classiques tels que Nestor ou Caton, étayent les Assemblées révolutionnaires ; des projets visant à l'amélioration des conditions de vie des vieillards sont présentés (dans son Projet de déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, Rochefoucauld-Liancourt estime que la société se doit d'assurer une subsistance aux personnes nécessiteuses, entre autres les vieillards, et le Comité de Salut élabore les plans d'une maison rurale idéale, qui réserve une chambre aux vieillards, leur assurant un repos honorable après le travail) ; on encourage l'échange de cadeaux entre jeunes et vieux et les enfants entonnent des chansons à la gloire de leurs aînés. Le couronnement de cet engouement pour la vieillesse est l'instauration d'une Fête de la vieillesse. Terminant symboliquement, en août, le cycle des sept fêtes ponctuant l'année révolutionnaire, elle sera célébrée durant tout le Directoire.
Au milieu de l'enthousiasme général, un seul domaine se démarque : la médecine. Durant la première moitié du siècle, les disputes entre thèse galénique et thèse mécaniste occupent toujours les esprits. Les « arts de bien vieillir » font toujours recette, tout comme les élixirs de jeunesse (le plus fameux d'entre eux étant « l'élixir universel » de Cagliostro). Dans son Histoire naturelle, Buffon tente de mettre fin aux spéculations et expérimentations dans le domaine du prolongement de la vie en mettant à profit les nouveaux horizons ouverts par le développement de l'anatomie pathologique. Il s'applique à décrire avec précision les symptômes du vieillissement et de la mort, celle-ci étant décrite comme le produit d'une lente et progressive destruction qui commence entre 35 et 40 ans. Malgré les connaissances apportées par les nouvelles pratiques anatomiques, la médecine reste dans l'impasse de la description, ne proposant ni diagnostic ni thérapeutique.

2. Le XIXe siècle : émergence d’un problème social
Le mouvement démographique amorcé au XVIIIe siècle prend de l'ampleur au XIXe siècle. La mortalité baisse encore, épargnant enfants, jeunes et adultes, entraînant un allongement de l'espérance de vie et une croissance démographique importante. Ces changements sont attestés par les statistiques provenant des grands recensements amorcés en France et en Angleterre, et se généralisent dans toute l'Europe au cours du siècle. La vie s'allonge et la vieillesse se multiplie. Au début du siècle, l'espérance de vie en France est de 39 ans pour les hommes et de 40 ans pour les femmes ; à la fin du siècle, elle est passée à 48 ans et 52 ans. Retournement définitif, les femmes vivent maintenant plus longtemps que les hommes – « aux veufs remariés de l'Ancien Régime succèdent les grands-mères veuves du XVIIIe siècle » (Bois, 1994 : 84). La population âgée européenne, c'est-à-dire les plus de 60 ans, oscille entre 7 et 10 % de la population totale au début du siècle et entre 7 et 13 % à la fin (certains pays tels que l'Angleterre et l'Allemagne voient leur population âgée stagner).
La situation sociale et familiale est contrastée, déterminée comme par le passé par la place sur l'échelle sociale. Dans les classes aisées, les vieux sont honorés dans leurs familles, respectés dans les affaires et influents en politique. Ainsi, certains historiens ont qualifié le XIXe siècle de gérontocratique : en France, les membres de la Chambre des pairs sont nommés à vie et le Corps législatif est réservé aux hommes de plus de 40 ans. De façon générale, les plus hautes fonctions de l'État et de l'Église sont aux mains des âgés. Dans les familles bourgeoises et aristocratiques, la famille est élevée au rang d'idéal, où l'ancien domine une descendance nombreuse et prospère. Les grands-parents sont des figures tutélaires prenant soin de l'éducation morale de leurs petits-enfants. La grand-mère tient une place particulière, illustrée par les écrits de la comtesse de Ségur ou de Céline Fallet : tout entière dévouée à sa descendance, empreinte de bonté et de vertu chrétienne, elle est la garante des valeurs familiales bourgeoises. Victor Hugo, avec son ouvrage L'art d'être grand-père, définit la mission affective et familiale, spirituelle et politique dont est investi le patriarche. La sage et bonne vieillesse est aussi vantée sous la plume de Sophie Swetchine dans son « Traité de la vieillesse ». Dans cet ouvrage, pur produit de la haute société parisienne, la vieillesse est présentée comme « le 'dôme de la vie', sorte d'apothéose spirituelle caractérisée par la profondeur des pensées et la dignité de la personne » (Bois, 1994 : 97).
La vieillesse populaire prend un autre visage, subissant l'exode rural et l'éclatement des anciennes structures familiales engendrés par la révolution industrielle. Le Play fait part de la disparition de la famille élargie et de l'augmentation des vieillesses solitaires dans les campagnes. Quand ils ne sont pas délaissés par le départ en ville de leurs enfants, les vieillards sont souvent victimes de querelles d'héritage (qui peuvent avoir pour conséquences la privation totale de biens, l'abandon, la séquestration voire, dans les pires cas, le parricide). Ce phénomène est suffisamment répandu pour provoquer des réactions officielles : le Second Empire met en garde les vieux paysans contre leurs enfants. Les villes aussi sont néfastes aux vieillards, au même titre qu'elles le sont pour les autres classes d'âge. La misère guette ceux qui ne peuvent plus assurer leur subsistance, les familles ouvrières ne pouvant souvent pas nourrir une bouche improductive. La littérature décrit ces vieillesses difficiles dans de grands romans sociaux, dans lesquels les auteurs, Balzac, Zola, Gogol ou Tourguéniev, font preuve d'un réalisme exigeant, parfois accusateur.
Si la vieillesse a bien été reconnue comme un âge de la vie spécifique au siècle passé, elle passe du statut de problème individuel à celui de problème social au XIXe siècle. Les initiatives gouvernementales et patronales, les solidarités ouvrières et la charité privée posent le problème de la place des vieux dans la société et tentent de mettre en place des moyens pour soulager – ou prévenir – la précarisation d'une partie devenue non-négligeable de la population. Alors que la charité privée prend une place croissante à travers la fondation d'importantes institutions d'entraide, souvent religieuses (par exemple les Petites Sœurs des Pauvres), l'assistance publique se diversifie. Les lieux d'accueils pour vieillards miséreux se multiplient en Europe. En France, la distinction entre hôpital et hospice se précise au cours du siècle. Une loi de 1851 précise les dénominations et fonctions : l'hôpital désigne le lieu où sont donnés les soins, l'hospice étant l'établissement où l'on recueille les enfants abandonnés, les infirmes et les vieillards. Désormais, le soin et l'assistance sont séparés, tout comme le sont les diverses populations au sein des hospices : les incurables, les enfants et les vieillards, occupent des locaux différents. Enfin, les assurances préventives apparaissent dans le courant du siècle, sortes d'assurances-survie, à l'instar de la Caisse royale (1818) ou de la Caisse d'assurance sous la garantie de l'État (1868). En 1881, l'histoire de la prévoyance prend un virage décisif avec le premier système d'assurance obligatoire instauré en Allemagne par Bismarck. Huit ans plus tard, l'Allemagne met en place l'ancêtre du système d'assurance-vieillesse et invalidité moderne, dont les cotisations sont partagées entre l'employé, l'employeur et l'État.
Le poids démographique grandissant des âgés, leur concentration dans les hôpitaux et les progrès généraux de la médecine concourent à la naissance d'une nouvelle discipline : la médecine du vieillissement. Les premières recherches sur les maladies des vieillards sont initiées par Pinel en 1815, suivi par l'Allemand Prus qui présente ses Recherches sur les maladies de la vieillesse à l'Académie de médecine en 1840, puis du Français Durand-Fardel qui publie en 1854 un Traité clinique des maladies des vieillards. Étudiant les vieux malades de la Salpêtrière à Paris, Charcot inaugure en 1867 ses Leçons cliniques sur les maladies des vieillards. Il ne s'attache pas seulement à la description des maladies de l'âge et aux modifications anatomiques spécifiques au grand âge, mais s'attache aussi à rechercher les causes du vieillissement. Au tournant du siècle, les publications médicales relatives à la vieillesse prendront une importance croissante.
Les investigations médicales du XIXe siècle contribuent à mettre un terme au parallèle métaphorique que la culture traditionnelle avait établi entre vieillards et enfants. Aux XVIIIe et XIXe siècles, l'imagerie populaire représentait les âges de la vie sur un escalier à 9 marches (quatre marches ascendantes, un plateau, puis 4 marches descendantes), faisant côtoyer la naissance et le dernier âge de la vie (nommé, dans les images d'Epinal, âge d'imbécillité ou âge d'enfance) au bas de l'escalier. En plus de faire se rejoindre les deux extrémités de la vie humaine, cette représentation décimale que stylise la courbe de la vie induit une symétrie entre les phases d'ascension (évolution) et de déclin (involution) (Von Kondratowitz, 1993). Bien que la médecine restera encore longtemps attachée au modèle de la courbe de la vie humaine, l'association traditionnelle entre le grand âge et l'enfance est réfutée par les observations médicales. Les maladies des vieillards font désormais l'objet d'une approche spécifique qui se cristallisera, au tournant du siècle, dans l'institution d'une nouvelle branche de la médecine : la gériatrie.
Les XVIIIe et XIXe siècles voient donc s'opérer un travail de définition sociale, politique et scientifique de la vieillesse. Après l'engouement de la Révolution française (période de bouleversements et de redéfinition sociale à laquelle on peut appliquer les critères dégagés par Minois), le dernier âge de la vie prend lentement la forme d'un problème posé à la société et d'un défi lancé à la science. Les réponses données au problème de la vieillesse – sous forme de lois, de dispositifs sociaux ou d'études scientifiques – ont eu un impact tangible sur sa perception sociale. L'exemple de la médecine est particulièrement éclairant.
En effet, si l'intérêt porté au vieillard par la médecine a eu d'heureuses conséquences sur le plan scientifique et thérapeutique, on peut se poser la question de l'impact sur l'image de la personne âgée. Les publications font état de la dégradation générale due au vieillissement, de l'altération progressive de toutes les fonctions. L'adjectif « sénile » est utilisé pour qualifier toutes les pathologies spécifiques à l'âge, créant ainsi une sorte de catégorie sui generis associant vieillesse et détérioration physique profonde et irréversible. La description idéalisée des fringants vieillards du XVIIIe est désormais remplacée par celle d'un vieillard souffrant, réduit à un organisme dégradé et socialement inutile. Selon Bourdelais, le développement de la médecine du vieillissement a probablement contribué à la détérioration de l'image de la personne âgée par rapport à l'optimisme du siècle précédent. L'auteur constate en effet que « la multiplication des descriptions cliniques conduit à des tableaux précis, crus, répétitifs de la déchéance physique, d'autant plus qu'ils se développent dans le cadre de la recherche effrénée de l'anomalie, de ce qui ne fonctionne pas et prouve la détérioration de l'âge » (1993 : 289). L'image de la vieillesse proposée par la médecine du XIXe préfigure la teinte particulière qu'elle prendra au XXe siècle, lorsque le vieillissement individuel conçu comme dégradation sera extrapolé au phénomène du vieillissement de la population.
3. Le XXe siècle : la vieillesse en mutation
Au cours du XXe siècle, la vieillesse devient véritablement un objet social : elle est chiffrée, légiférée, théorisée par les milieux scientifiques et politiques, commentée par les médias et discutée à tous les échelons de la société.
J'esquisserai – à grands traits - trois aspects des mutations de ce siècle : l'inquiétude suscitée par le vieillissement de la population – section que j'ai intitulée « la vieillesse accusée », la généralisation de la retraite – « la vieillesse institutionnalisée », et les effets de l'allongement spectaculaire de l'espérance de vie – « la vieillesse découpée ». Le choix de ces trois aspects est dicté, encore une fois, par mon intérêt particulier pour l'histoire de la définition sociale de la vieillesse, plutôt que pour l'histoire de la vieillesse en général.
La vieillesse au banc des accusés
À la fin du XIXe siècle, la croissance démographique commence à inquiéter l'Europe. On ne se préoccupe pas tant de l'augmentation du nombre de vieillards que de la multiplication des classes laborieuses, ces dernières étant rendues responsables d'une trop forte natalité. En Angleterre, le pasteur Malthus publie en 1798 un Essai sur le principe de la population, dans lequel il démontre, calculs (erronés) à l'appui, que la croissance démographique est due à une natalité trop élevée, et que l'augmentation de la population menace de dépasser les ressources alimentaires de la terre. La réduction des naissances prônée par Malthus rencontre un intérêt croissant auprès des pouvoirs publics et des théoriciens de l'économie libérale. Des ligues malthusiennes sont créées en Angleterre, en France en Allemagne, puis, au début du XXe siècle, en Espagne, en Belgique, en Suède et en Italie. Le contrôle des naissances se diffuse jusqu'aux États-Unis, matérialisant à la fois une mécompréhension de l'évolution démographique et une peur sociale engendrée par la croissance numérique des classes défavorisées.
Les inquiétudes, puis les accusations changent de cible en 1928, lorsqu'Alfred Sauvy invente la notion de vieillissement démographique et démontre que l'accroissement de la proportion des vieillards est à mettre en relation avec la diminution de la natalité. Dès lors, c'est du vieillissement de la population et de son impact sur les pays dont on se préoccupe. Dans son exposé fondateur, le point de vue de Sauvy est déjà sans équivoque : « Toute l'économie du pays sera bouleversée du jour où un trop grand nombre de vieillards serait à la charge de la collectivité ». Dans la foulée, Paul Haury décrit, dans une brochure de l'Alliance nationale contre la dépopulation datant de 1938, les périls qui attendent une France dont la population vieillissante serait « constamment réduite, desséchée, ratatinée » entraînant une « politique sénile, de renoncement, d'abandon, d'amputations successives ». Son collègue Fernand Boverat écrit, 10 ans plus tard, que « dans toutes les branches de l'économie le vieillissement de la population active tend à réduire la production ». Les travailleurs vieillissants entravent la production, et deviennent, à leur sortie de la vie active, une charge sans égale pour la société.
La France ne détient pas l'exclusivité du discours alarmiste qui mélange sans hésitation les analyses sur le vieillissement démographique, les considérations sur les populations vieillissantes et les appréciations négatives sur les personnes âgées. L'Angleterre des années '30 spécule aussi sur son futur, craignant le retard industriel, le manque de dynamisme économique, la spirale des coûts sociaux, la taxation excessive, et, de façon générale, une sorte de morosité nationale entraînée par le manque de créativité et d'énergie caractéristique à la vieillesse. Blaikie (1999) cite à ce propos Richard et Kay Titmuss, ténors du parti conservateur de l'époque, dont les prédictions proposent la production de « fauteuils et de pantoufles au lieu de nourriture pour enfant » à une nation qui aurait « perdu l'attitude mentale essentielle pour le progrès social » et qui présenterait « l'aspect lugubre de régions désertées et en ruines, de maisons inhabitées et d'équipements abandonnés ». Les Titmuss estiment que « Le futur devra être préparé et cela nécessitera une grande intelligence, du courage, de l'esprit d'initiative et des qualités d'imagination créatrice… des qualités qu'on ne trouve habituellement pas chez les âgés ». L'association directe entre caractéristiques attribuées aux personnes âgées et conséquences sociales du vieillissement démographique est particulièrement parlante dans cet extrait d'un rapport de la Royal Commission on Population (1949) : « Les personnes âgées excellent dans l'expérience, la patience, la sagesse et la vision d'ensemble ; les jeunes se distinguent par l'énergie, l'entreprise, l'enthousiasme, la capacité à apprendre de nouvelles choses, à s'adapter, à innover. Il semble alors possible qu'une société dans laquelle la proportion de jeunes gens diminue devienne dangereusement non-progressive ».
La virulence des attaques contre la vieillesse dans cette première moitié du XXe siècle est aussi à replacer dans le contexte particulier de l'entre-deux-guerres : l'Europe pleure ses millions de morts, jeunes, tombés durant la Première Guerre mondiale, auxquels il faut rajouter les ravages de la grippe espagnole. Le redressement de la natalité est alors au centre des préoccupations, les gouvernements prenant au sérieux le danger de non-renouvellement de la population qui pourrait mener à une « éclipse » (le terme est de Sauvy) de la civilisation occidentale.
Bourdelais pose l'hypothèse que la formation de la notion de vieillissement démographique, son utilisation par les milieux scientifique et politique, ainsi que son succès dans le monde médiatique, ont eu des conséquences durables sur la perception de la vieillesse. L'auteur pose ainsi la question : « La notion de vieillissement, elle-même héritière de la perception négative de la vieillesse, dominante dans la seconde moitié du XIXe siècle, n'a-t-elle pas contribué à propager et à amplifier, par les liens explicites de causalité noués entre la progression du vieillissement démographique et la montée des difficultés, cette idée de vieillesse synonyme de décadence individuelle et collective ? » (1993 : 356). Blaikie (1999) abonde en ce sens, constatant que les sociétés occidentales sont, depuis le début du siècle, régulièrement en proie à des attaques de « panique démographique ». Autorités, experts et opinion publique s'accordent alors pour accuser la vieillesse de tous les maux, ses représentants – les personnes âgées – étant coupables de faire ployer, puis craquer, l'État social sous leur poids.
La vieillesse institutionnalisée
Engagé au XIXe siècle, le débat sur les retraites devient central au XXe siècle. Au fil des deux guerres, entrecoupées par la crise économique des années '20, l'Europe prend conscience du caractère incontournable de la question sociale. La marginalisation et la paupérisation comme conséquences du chômage, de la maladie ou de la vieillesse ne sont plus acceptées comme allant de soi, comme inéluctable marque du destin. La conception libérale de la responsabilité individuelle vacille sous l'effet de la contestation sociale : les travailleurs s'organisent et les syndicats, tout comme les partis politiques, gagnent en force et en légitimité. La question qui se pose de façon insistante est la suivante : l'individu peut-il – doit-il – être seul, et ne compter que sur ses propres forces pour faire face à tous les aléas de la vie ? (Lalive d'Epinay, 1996c). La question de la prise en charge des « vieillards sans ressources » (expression de l'époque, qui désigne plus une catégorie sociale qu'une classe d'âge) ne représente qu'une partie des revendications sociales. Mais le vieux, rejeté aux frontières de l'indigence après une longue vie de labeur, est une figure emblématique des luttes sociales. Ainsi, dans les débats politiques, on admet que « la constitution des retraites pour les travailleurs est loin d'être une solution complète du grand problème social, mais elle en est un élément préparatoire et essentiel ».
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays sont profondément ébranlés. L'éclatement des structures politique, administrative, sociale et morale exige une refondation des relations entre l'État et le citoyen. Pour retrouver une légitimité, l'État doit se donner une nouvelle mission, celle de garantir une juste répartition des richesses nationales. Il s'agit alors de créer un ordre social nouveau, dans lequel l'État joue le rôle d'arbitre, garantissant « une redistribution du revenu national, dans une vaste organisation nationale d'entraide obligatoire, présentant une très grande généralité quant aux personnes qu'elle englobe et quant aux risques qu'elle couvre ». Ainsi, l'Ordonnance de 1945 relative à la Sécurité sociale en France stipule que « [La Sécurité sociale] trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l'incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d'infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d'eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse à tout moment la menace de la misère » (Guillemard, 1986 : 62).
L'assurance-vieillesse est acquise dans la plupart des pays européens dès le milieu du XXe siècle. Un consensus se dégage autour de l'âge de la retraite, celui-ci se situant autour de 65 ans : l'âge est identique pour les hommes et les femmes en France, aux Pays Bas, au Danemark, en Irlande et en Espagne (65 ans, 67 ans au Danemark), il est différent en Belgique et en Angleterre (65 et 60 ans), au Portugal (65 et 62 ans) et en Italie (60 et 55 ans).
En Suisse, la loi sur l'Assurance-Vieillesse et Survivants (AVS) est adoptée en 1947, non sans avoir suscité de vives oppositions, notamment dans les milieux patronaux. Le système retenu est celui de la solidarité entre les générations : les actifs assurent par leurs cotisations les pensions des aînés. Ainsi, chaque homme, à 65 ans, et chaque femme, à 62 ans, touche automatiquement une rente, indépendamment du fait que le ou la bénéficiaire choisisse ou non de continuer à travailler. À l’instar de l'instauration de l'école obligatoire, qui avait défini l'enfance à l'aide de frontières d'âges, le droit à la perception d'une rente liée à l'âge équivaut à la reconnaissance officielle, légale, d'une troisième période de la vie : la vieillesse.
La vieillesse est maintenant clairement définie comme moment de droit de l'individu et de devoir de la société : « La vieillesse, comprise ici comme un état d'affaiblissement général de l'être humain, est donc reconnue comme une situation qui autorise l'arrêt du travail et qui doit permettre à ceux qu'elle affecte et qui ont bien mérité du travail, de bénéficier de la solidarité collective » (Lalive d'Epinay, 1990 : 28). Il est à noter que l'âge retenu par la plupart des pays comme seuil d'accès à la rente-vieillesse correspond, au milieu du siècle, à l'espérance de vie moyenne en Europe. Lalive d'Epinay écrit à ce propos : « la vieillesse commence donc quand l'individu a dépassé sa durée moyenne de vie » (1990 : 28).
Le parcours de vie des sociétés occidentales, en tant que modèle socio-culturel, s'est trouvé profondément modifié avec l'institutionnalisation de la retraite. La trajectoire de vie des individus, organisée de façon chronologique et structurée autour du travail-emploi (Kohli, 1985), ne comprend plus deux étapes mais trois. Cette transformation est formalisée par Lalive d'Epinay (1996c) de la façon suivante (figures 1 et 2) :

Figure 1 : Le parcours de vie en deux étapes (société industrielle)1re étape : la jeunessePréparation à la vie « adulte »
École obligatoireTransition : mariage et premier emploi2e étape : la vie adulteTravail (selon division sexuelle homme/femme)

Figure 2 : Le parcours de vie en trois étapes (1940-1960)1re étape : la jeunessePréparation à la vie « adulte »
École obligatoireTransition I : le premier emploi2e étape : la vie structurée par l'activité économiqueTransition II : la retraite3e étape : la vieillesse, le droit au repos
La vieillesse découpée
La deuxième moitié du XXe siècle est marquée par une croissance économique sans précédent, le développement de l'État social et l'allongement continu de l'espérance de vie. Le système de caisses de pensions se développe et la retraite s'impose, dans les mentalités comme dans l'organisation sociale. La situation est résumée par Cole :
« En associant l'allocation d'une rente à un âge spécifique, les systèmes de retraites publics ont fourni la base économique à la définition d'une phase de la vie succédant au travail rémunéré. Au milieu du XXe siècle, cette 'nouvelle' phase de la vie devint un phénomène de masse. L'augmentation de l'espérance de vie, la croissance spectaculaire de la population âgée, la diffusion de la retraite ainsi que l'expansion des prestations de la sécurité sociale transformèrent la vieillesse en ultime étape du cycle de vie institutionnalisé » (Cole T., cité par Phillipson, 1998 : 112).
Progressivement, sous l'effet de l'amélioration du niveau de vie des personnes âgées (grâce aux rentes de bases auxquelles viennent progressivement s'ajouter les rentes complémentaires ainsi que les produits de l'épargne) et de l'allongement de la vie, la retraite change de signification. Alors qu'au début du siècle, la retraite était conçue comme moyen d'assurer une sécurité matérielle minimale dans les dernières années de la vie, elle devient une période de liberté et d'aisance matérielle. La vieillesse n'est donc plus cette mince frange de vie marquée par la maladie et la solitude, mais une période de plus en plus longue dans laquelle on entre à 65 ans, par le biais de la cessation de l'activité professionnelle, alors que le déclin physiologique est encore loin. Le tableau 3 indique l'évolution de l'espérance de vie en Suisse (évolution comparable à la moyenne européenne) : depuis le début du siècle, l'être humain a gagné un tiers de vie en plus – ce gain prenant la forme d'années supplémentaires vécues en bonne santé.
Tableau 3 : Evolution de l'espérance de vie à la naissance (en années, Suisse)Espérance de vie en :HommesFemmes190046,248,8195066,671,1197571,578,0199575,381,7Source : Office fédéral de la statistique/Observatoire démographique européen (1998)
Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, la retraite se trouve dissociée de la sénescence. La sortie de la vie professionnelle fait entrer l'individu dans une nouvelle période de la vie, nommée « retraite en santé », « retraite active », « deuxième jeunesse » ou « âge des loisirs » (Lenoir, 1979), période à durée variable et dont la frontière est constituée par la manifestation des vicissitudes du grand âge. La vieillesse est ainsi découpée en deux étapes – ou en deux âges (bien que le terme d'âge ne renvoie pas ici à l'âge chronologique) : le troisième âge et le quatrième âge. Le troisième âge est caractérisé par la liberté, l'individu étant dégagé de responsabilités professionnelles et familiales et bénéficiant de ressources matérielles suffisantes, par la réalisation et l'épanouissement personnel. Le quatrième âge est celui de la dépendance, de la décrépitude et de la mort (Laslett, 1990).
Le parcours de vie compte maintenant quatre étapes, comme l'illustre la figure 4 (Lalive d'Epinay, 1996c).

Figure 4 : Le parcours de vie en quatre étapes (1960-)1re étape : la jeunessePréparation à la vie en société centrée sur les aptitudes à participer au marché de l'emploiTransition I : le premier emploi2e étape : la vie structurée par l'activité économiqueTransition II : la retraite3e étape : la vie auto-orientée
Auto-définition des priorités de vieTransition III : le handicap4e étape : la vie dépendante
Autonomie brisée, dépendance
La particularité du troisième âge tient au fait que cette étape s'intercale entre une transition institutionnelle – la retraite – et une transition personnelle, variable et non-nécessaire – la perte d'autonomie. Un nouveau discours émerge dans les années septante, pour se consolider dans les années huitante : « le stéréotype traditionnel de l'âge qui associait la vieillesse à la maladie, à la pauvreté et à l'isolement cède la place à une nouvelle représentation positive de l'âge (...) La vieillesse prend désormais les contours de la vitalité et de la participation, (...) de l'autonomie et de l'activité » (Guillemard, 1982 : 109-110). Hissée au rang de conception officielle, cette image positive est répercutée par les « nouveaux gestionnaires de la vieillesse » dont le nombre croît avec la multiplication d'équipements et de services réservés aux personnes âgées, l'apparition d'une presse spécialisée et la mise en place de politiques sociales visant l'intégration et la participation sociales des personnes âgées.
Si « l'interlude » (la formule est de Laslett) apporté par les années de vie en santé après la retraite est bien une réalité, certains auteurs signalent la diffusion d'une « idéologie du troisième âge » (Lenoir, 1979) qui a tendance à occulter, à falsifier ou à récupérer les questions liées à la vieillesse. Bois écrit à ce propos : « La falsification, c'est l'effacement d'une grande partie de la vieillesse, qui a été coupée en deux. La formule habile et dynamique du troisième âge doit être comprise comme l'introduction dans l'échelle historique et biologique des âges d'une seconde jeunesse, celle des sexagénaires, intercalée entre l'âge adulte, en gros dans les limites de la vie active, et une authentique vieillesse repoussée à un quatrième âge à peu près octogénaire » (1989 : 10). Selon l'auteur, la vieillesse serait d'abord « déguisée » en jeunesse : temps de loisir et de santé, d'activité et d'autonomie, elle est sportive chez les hommes et charmante chez les femmes. Lorsque le déguisement tombe, il ne reste que l'ancestrale vieillesse, associée à la maladie, la souffrance et la mort, cette vieillesse qui suscite l'angoisse depuis la nuit des temps et que la modernité tente à tout prix de conjurer.
On peut distinguer trois types d'agents sociaux, ou trois milieux, qui participent à l'élaboration et contribuent à la diffusion d'une nouvelle définition de la vieillesse découpée en deux âges : les milieux économiques, les milieux politiques et les milieux scientifiques.
La vieillesse en santé, le troisième âge, représente d'abord un important marché. Le secteur des loisirs, la presse spécialisée, les cycles de préparation à la retraite et clubs les plus divers profitent du pouvoir économique des retraités et tous ces services ont intérêt à promouvoir une image active de la vieillesse. Dotée de capitaux en temps libre et en ressources financières, la personne âgée est considérée comme un consommateur privilégié, à tel point qu'un créneau de consommation spécifique lui est destiné : le marché de la vieillesse (ou grey market).
La disparition de la figure du vieillard malade et nécessiteux au profit de la personne âgée dynamique et autonome trouve également un écho dans les milieux politiques. La sociologue Anne-Marie Guillemard souligne ainsi que la « nouvelle doctrine politique de la vieillesse » renvoie l'individu dans la sphère privée, le rendant responsable de ses propres compétences et ressources – ressources personnelles ou ressources compensées par le biais de la consommation de services. « La diffusion de ce nouvel art de vivre au troisième âge a pour effet de transformer en fautes personnelles de la victime ce qui résulte des pénalités sociales subies. L'auto-prévention à laquelle incite la nouvelle vision activiste de l'âge circonscrit la question de la vieillesse au seul mode de vie des vieillards » (1982 : 116).
Terminons par les milieux scientifiques, représentés ici par la gérontologie. Par le biais de théories telles que le vieillissement réussi (successful aging), la gérontologie moderne s'applique à démontrer que la vieillesse n'est plus un processus biologique inévitable et normal, mais un phénomène auquel on peut faire face. Le cadre de référence n'est plus le fatalisme, mais l'action. À l’instar d'autres activités et étapes de la vie dans les sociétés contemporaines (la carrière professionnelle, le mariage, les loisirs), la vieillesse est devenue quelque chose à réaliser, à réussir. Dans un article critique, le sociologue François Höpflinger relève ainsi que « le nouveau paradigme d'une vieillesse active et réussie est mieux adapté au consumérisme qu'aux solutions que doit apporter notre société aux questions sociales et environnementales » (1995 : 96).
Synthèse
Le développement de la gériatrie, puis de la gérontologie, ainsi que l'instauration, puis la généralisation de la retraite ont contribué à fixer les éléments socialement pertinents de la définition moderne de la vieillesse. Deux de ces éléments sont incontestablement la cessation de l'activité professionnelle (et son corollaire en termes d'âge chronologique, 62 et 65 ans en Suisse) et l'usure physique, la maladie, voire le handicap.
Mentionnons aussi qu’au-delà de la définition même du phénomène de la vieillesse, toutes les sociétés ont cherché à échapper à l'emprise du temps sur le corps et l'esprit humain. Cette quête se reflète aussi bien dans les travaux gérontologiques contemporains - qui s'attachent à distinguer le vieillissement réussi du vieillissement normal – que dans les travaux de gériatrie, cette dernière discipline ayant en effet distingué dès ses débuts le vieillissement normal du vieillissement pathologique. L'allongement constant de l'espérance de vie s'accompagne bien de la prise de conscience du caractère inéluctable de la vieillesse, mais ne rend pas pour autant caduc et vain l'idéal de maîtrise du temps : à défaut de s'y soustraire, la vieillesse est aujourd'hui à gérer.

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Quelle sécurité sociale pour les familles ?

Jean-Pierre Fragnière

Le fait familial
La famille constitue une unité centrale de toute vie sociale. On nous l’a dit et redit : la famille est la cellule de base de la société. Phénomène multidimensionnel et complexe, elle fait l’objet de multiples observations et analyses. La famille est en particulier l’un des champs déterminants dans lequel s’exerce l’action sociale. Elle fait l’objet des interventions les plus diverses. Pour les principales dimensions de son existence quotidienne, des services sont mis en place, voire des politiques sont conçues et quelquefois suivies d’effets. C’est là une première raison essentielle d’affiner nos savoirs sur cette réalité qu’est la famille. Mais il en est une autre tout aussi déterminante. Une connaissance plus approfondie de la famille sous ses divers aspects permet aux agents de l’action sociale, et plus généralement aux citoyens, de se défaire de positions normatives arrêtées, protégées par un consensus populaire, prises pour des acquis… C’est là un atout incontestable lorsqu’il s’agit d’être à l’écoute des vrais problèmes. « Avoir à sa disposition des possibilités d’explication et de compréhension multiples peut réduire la distance qui sépare les clients de ceux qu’ils sollicitent ou qui sont sollicités par une quelconque autorité. Un cadre d’analyse plus complexe permet d’entrevoir ou d’inventer un éventail d’actions plus riche et plus adéquat ».
Mais, qu’est-ce que la « famille » ?
Les avatars sémantiques de ce terme et la multiplicité des définitions qui en ont été données, témoignent eux-mêmes de la variabilité historique de l’institution qu’il peut désigner. Retenons ici une première définition proposée par Levi-Strauss qui a pris une part décisive à la clarification du phénomène. « La famille, fondée sur l’union plus ou moins durable, mais socialement approuvée de deux individus de sexes différents qui fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène pratiquement universel, présent dans tous les types de sociétés. ». Ainsi, le concept de famille, dont les éléments sont biologiques, psychologiques, culturels, définit un groupe social irréductible aux autres groupes : sa formation, sa structure, ses dimensions, ses conditions de vie et ses besoins, les rapports entre ses membres et ses relations avec l’ensemble du corps social, ses fonctions varient dans le temps et dans l’espace en liaison avec les systèmes de société et les formes de civilisation. Si les types de famille sont nombreux, c’est la famille conjugale ou famille restreinte, composée du père et de la mère et des enfants mineurs, qui s’est imposée, en particulier dans les pays industrialisés d’Europe occidentale. C’est essentiellement à ce type de famille que nous nous référons ici. Cependant, nous sommes entrés dans une période où cette notion de famille devient un corset trop étroit. Il peut induire l’exclusion de « constellations familiales » dites nouvelles telles que : mère naturelle avec son enfant, concubinage, homosexualité etc.
Évolution de la famille
On a cru longtemps que le fait déterminant de l’évolution de la famille était caractérisé par un processus de nucléarisation (passage de la famille élargie à la famille restreinte, dite nucléaire). Mais, « on sait aujourd’hui que la famille nucléaire (définie comme la cohabitation et la coopération socialement reconnue d’un couple avec ses enfants) n’est pas propre aux seules sociétés industrielles. De même a-t-on progressivement pris conscience […] du fait que l’Europe préindustrielle n’abritait pas une majorité de familles élargies et que la thèse d’un contact quantitativement plus dense entre les générations relevait pour beaucoup d’un mythe. ». Cette précision faite, deux caractéristiques liées entre elles permettent de synthétiser les principaux aspects des changements qui affectent la vie familiale : le rétrécissement de la famille au couple et à ses enfants, et la disparition de leur enracinement au sol que procurait la propriété foncière.
« Dans la société économique actuelle, de nombreux facteurs contribuent à transformer totalement la fonction de la famille, ce qui ne peut aller sans en modifier le sens. Le monde du travail n’est plus à l’échelle d’une famille, même élargie. Celle-ci n’est déjà plus unité de production ; bien plus, les équipements collectifs commencent à rendre aléatoire son analyse comme unité de consommation. Cet effritement du rôle économique de la famille entre en interaction avec les transformations sociales pour rendre vaines les justifications classiques de la propriété familiale et pour relativiser le rôle culturel du cercle familial. Jadis, la ville imitait la campagne et s’organisait en quartiers strictement délimités où étaient privilégiées les relations de voisinage. Aujourd’hui, la campagne imite la ville. Le réseau de relations s’élargit et se diversifie bien au-delà du voisinage. Alors que la grande famille était jadis l’ultime refuge, un certain nombre de sécurités sont assurées collectivement, sans qu’intervienne un lien affectif. Un réseau diversifié de communications permet à des organismes spécialisés (hôpitaux, asiles, crèches, écoles maternelles…) de prendre le relais de la famille. L’importance de la collectivité globale dans laquelle s’insère le foyer en transforme les fonctions. La famille devient mobile, de la mobilité qui caractérise la nouvelle société industrielle dans son ensemble, qu’il s’agisse de l’homme ou des usines, des institutions. Mobilité géographique : la famille, libérée de son enracinement local, cesse de découvrir des vertus humanisantes à l’appartenance stricte au cercle clos des traditions de la tribu. Mobilité professionnelle : de nombreux secteurs industriels et même agricoles imposent de multiples recyclages qui forcent le couple à se tourner vers l’avenir et non plus à valoriser l’expérience acquise. Mobilité sociale enfin : la qualité des relations, l’ampleur des responsabilités, dépendent de plus en plus de la valeur personnelle et de la formation reçue ; les classes sociales sont de plus en plus perméables, même si l’origine familiale peut encore constituer un handicap ».
Cela dit, il importe de souligner le fait que la privatisation réelle des motivations et comportements des acteurs familiaux ne saurait en rien être identifiée à un fossé entre le privé et le public, l’économique et le familial. « Elle apparaît plutôt comme la forme d’intégration de l’individu aux structures de l’industrialisation capitaliste ».
La place des enfants
L’enfant tend à devenir le personnage central de la famille. Longtemps, il a été une valeur productive : à la campagne, il constituait une main-d’œuvre gratuite ; dans les mines et les manufactures, au XIXe siècle, on le faisait travailler dès sept ans. Dans les familles aisées, il est confié à des domestiques. Mais, peu à peu, il devient une personne, un bien précieux, objet de tous les soins pour son épanouissement : il devient une valeur affective. Dans le même temps, il commence à être une réalité rare, la tendance séculaire de la fécondité est à la baisse. Avec environ 1,5 enfant par femme depuis plusieurs années, l’indice conjoncturel de fécondité signifie que les générations sont loin de se remplacer. Dans le même temps, la procréation devient de plus en plus volontaire et consciente avec la génération de la planification familiale. D’où l’importance du « désir d’enfant » dont la plupart des enquêtes montrent qu’il est nettement plus élevé que le nombre d’enfants effectivement procréés. Cette tension entre le désir et la réalité est particulièrement importante dans les milieux les plus défavorisés. Par ailleurs, le passage de la famille traditionnelle à la famille actuelle est largement associé à une sentimentalisation des relations entre générations et à une préoccupation croissante concernant l’établissement des enfants. L’enfant est nourri d’affection, on attend de lui de l’affection. Il peut également bénéficier de soins et de services de plus en plus spécialisés et, souvent, incontestablement utiles. En fait, on peut se demander dans quelle mesure cette sollicitude organisée n’est pas induite par une certaine forme de culpabilité des parents qui se traduit par un sentiment d’incompétence et une délégation des responsabilités à des professionnels de plus en plus nombreux et diversifiés. L’action sociale se doit d’envisager ce phénomène dans son activité orientée vers l’organisation, voire le développement de ses services.
La famille, sujet de droits
La famille en tant que groupement de personnes résultant de l’union des sexes et de la procréation constitue un fait social de première importance, pour l’individu et pour la société. Dans ces conditions, sa constitution, sa vie, sa dissolution, ne sont pas laissées à ce que l’on appelle parfois « l’anarchie des comportements individuels ». Tous les États s’attachent à réglementer précisément les rapports familiaux interindividuels et à déterminer le rôle et les effets des liens de famille dans l’ensemble des relations sociales. Ainsi s’est constitué le droit de la famille, un ensemble de normes et de procédures, d’autant plus riches et complexes que les modèles familiaux sont nombreux, les sources du droit diverses, et le droit lui-même évolutif et contingent. Les professionnels de l’action sociale et sanitaire sont fréquemment appelés à participer à la mise en œuvre de ce droit. En particulier si l’on se place du côté du juge, ce dernier ne peut trancher de nombreux litiges familiaux par la seule interprétation et application de la loi. De plus en plus souvent, qu’il s’agisse du divorce, des procès de filiation ou du contrôle de l’éducation de l’enfant, le juge fait appel aux spécialistes des sciences sociales (psychologues, éducateurs, assistants sociaux, etc.) pour prendre ses décisions et assurer leur exécution. Dans la période récente, l’encadrement juridique de la famille est allé croissant, en particulier sous l’impulsion des normes destinées à assurer la protection de l’enfant. L’équilibre s’établit difficilement entre la fixation des normes juridiques et la garantie de l’autonomie des individus. À cet égard, les praticiens de l’action sociale sont confrontés à une tâche délicate qui appelle une vigilance de tous les instants.
Le droit à la famille
Autre dimension importante de la question : le droit à la famille. Il est garanti par plusieurs normes constitutionnelles et est à comprendre dans le sens de « droits aux familles », c’est-à-dire aux différents types de familles, donc à une vie familiale au sens large du terme, incluant, à côté de la famille légitime, toutes formes de relations affectives stables. On pensera par exemple aux « mère naturelle avec son enfant, concubin, etc. ». Tous ces types familiaux doivent être protégés sans discrimination. D’ailleurs, en voulant comparer des cas extrêmes, par exemple : familles traditionnelles – concubinage – homosexualité – prostitution, on peut facilement repérer des éléments communs, permettant l’analogie entre eux et justifiant ainsi l’application, mutatis mutandis, des mêmes garanties juridiques. Reste que l’égalité entre époux et entre hommes et femmes, réglée par le nouveau Droit du mariage et par l’art. 4 al. 2 Cst. féd. n’est réalisé qu’imparfaitement, en particulier par la jurisprudence constitutionnelle et par la législation sociale. Il suffit de penser à la discrimination dont sont victimes la ménagère, la femme exerçant une activité professionnelle et les familles monoparentales, composées souvent par des femmes vivant dans une situation de grave précarité économique. Dans le domaine du travail, surtout, le problème lié au respect du droit à une vie familiale, ne se situe que très partiellement dans le contexte de l’égalité entre les sexes, mais bien plutôt dans l’insuffisante protection que la législation assure aux travailleurs (hommes ou femmes) ayant des responsabilités familiales.
Le principe d’unité de la famille est limité, voire même violé, par plusieurs dispositions de la législation concernant les étrangers (par exemple : les saisonniers). Sans prétendre être exhaustif, on peut également parler de limitations liées au statut des personnes dans le contexte de l’exécution des peines. On retiendra que dans la plupart des situations concernées, la limitation du droit à la famille pénalise généralement des personnes (surtout des enfants) qui ne sont pas concernées par les mesures retenues.
Cela pose la question du cadre de compétence que se donne le droit de la famille. Le législateur peut-il s’enfermer dans un cadre dit de normalité, et renoncer à intégrer ce que l’on appelle fréquemment des familles non-conventionnelles ? Il ne pourra, sans doute, pas se désintéresser des phénomènes sociaux qui se développent hors du cadre qu’il trace. Certaines des valeurs qu’il cherche à promouvoir et à défendre, et en particulier la protection des enfants, doivent en effet s’imposer en toutes circonstances.
La fragilisation de la famille
L’étude des rapports entre familles et sécurité sociale conduit à évoquer la question des pauvretés. Lorsque la pauvreté affecte une famille, il en résulte de graves dommages, le plus souvent pour les enfants et pour leur mère, presque toujours pour tous ses membres. En outre, le fait de fonder une famille induit de nouvelles charges importantes, surtout lorsque les enfants sont là.
Les familles d’aujourd’hui, tout simplement pour exister et durer, doivent faire face à un nombre de tâches de plus en plus important. En quelque sorte, la charge qui pèse sur une famille consiste essentiellement dans le couplage entre deux ensembles d’exigences qui s’imposent en permanence. Il s’agit d’objectifs fort différents. L’individu doit se créer une autonomie et une existence personnelles alors que le groupe famille doit continuellement se préoccuper d’intégrer un ensemble d’aspects de la vie sociale qui viennent, on peut le dire, frapper à sa porte. Rappelons quelques aspects du phénomène de la pauvreté.
Marginaux et errants, les pauvres ? L’imagerie sociale le pense encore. Pourtant, et ce fait est essentiel, plus du 40 % des pauvres classés dans les catégories les plus défavorisées vivent dans des familles de travailleurs salariés dont une toute petite partie compte sur l’assistance sociale. Ce fait confirme qu’il est impossible d’identifier la population défavorisée en se référant simplement, par exemple, aux personnes bénéficiant de l’assistance publique.
Non sans raison, on a pu considérer la pauvreté des familles comme un phénomène héréditaire. Il semble cependant que beaucoup de familles pauvres le deviennent à la suite d’un événement ou d’un ensemble d’événements qui rompent un équilibre déjà précaire. Les chemins qui mènent à la pauvreté sont divers ; néanmoins, il est possible de mettre en évidence un certain nombre de facteurs qui sont susceptibles, singuliers ou multiples, de faire basculer des situations précaires.
Le rempart de la sécurité sociale
À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les autorités politiques helvétiques manifestaient un vif enthousiasme pour la question familiale. L’article 34 quinquies de la Constitution fédérale, adoptée le 25 novembre 1945 par le peuple et les cantons suisses, donne une large compétence aux législateurs pour prendre des mesures de compensation des charges familiales, en particulier dans le domaine du logement et de la protection de la maternité. Les quelques mesures qui seront prises dans ce sens auront essentiellement pour conséquence d’élargir le modèle de la famille « bourgeoise » dans les couches de la population les plus modestes.
Au cours des années de prospérité que nous évoquions plus haut, certains ont cru pouvoir réduire la pauvreté à la persistance de quelques « poches ». Dès l’apparition des effets de la crise économique, beaucoup se sont ravisés et ont entamé un procès à la sécurité sociale accusée d’être inefficace dans la lutte contre la pauvreté, voire de la produire elle-même. Si de tels propos sont évidemment excessifs, il n’en reste pas moins que la sécurité sociale est directement concernée par l’évolution du phénomène de la pauvreté. Il est vrai qu’elle n’a pas été conçue expressément pour lutter contre la pauvreté, mais plutôt pour assurer la sécurité du revenu des travailleurs. Or, il est apparu pendant longtemps que les pauvres se recrutaient surtout dans les catégories non actives ou celles qui avaient perdu la capacité de travailler.
En fait, la sécurité sociale constitue « la première ligne de défense contre la pauvreté, dans la mesure où elle a pour effet, par le seul exercice des fonctions qui lui sont assignées, de neutraliser les nombreux risques associés aux éventualités constitutives de ses branches principales qui, sans son intervention, représenteraient autant de facteurs favorables à l’accroissement des situations de pauvreté ».
Cependant, il est légitime de mettre en évidence un certain nombre de lacunes ou d’inadaptations de la sécurité sociale qui sont de nature à autoriser une certaine expansion du phénomène de la pauvreté. Certaines s’expliquent par la structure même des régimes. La plupart de ceux-ci sont basés sur les salaires et reposent sur une vision patriarcale de la famille ne correspondant plus à la réalité des modes de vie actuels.
En outre, ils couvrent des risques spécifiques plutôt que d’assumer une protection globale. L’aide sociale est soumise à de nombreuses restrictions, l’incapacité de prendre en considération des réalités très fortes comme la multiplication des familles monoparentales, toutes ces rigidités et ces lacunes limitent notablement la capacité de la sécurité sociale à faire face aux nouveaux phénomènes sociaux.
Pourtant, la sécurité sociale est en mesure d’apporter une contribution déterminante à cette lutte contre la pauvreté, en particulier aux difficultés que connaissent les familles avec enfants.
D’une part, elle pourrait poursuivre les efforts consistant à généraliser son champ d’application personnel, en fixant le niveau de ses prestations de telle manière qu’il en résulte une protection efficace ainsi qu’en garantissant la durée de ses prestations tant que persiste le besoin.
Par ailleurs, elle pourrait mettre en place un véritable système de revenus de compensation pour les familles, grâce à l’intégration des régimes d’assistance ou à une meilleure coordination des diverses composantes de la protection sociale.
Dans tous les cas, il semble bien qu’une véritable réforme de notre système de sécurité sociale s’impose si l’on veut réduire significativement les risques de paupérisation des familles.
Le sens et la légitimité d’une politique familiale
Le moment est venu de nous interroger sur l’opportunité, voire la légitimité d’une politique familiale. Si la notion précise de « politique de la famille » ne s’est imposée qu’au vingtième siècle, les interventions de l’État en vue de contrôler et de régler les rapports familiaux ont une tradition bien plus ancienne. Pour faire face aux bouleversements domestiques induits par la Révolution industrielle, les États nations ont multiplié les initiatives en vue de conforter, voire de discipliner la cellule familiale. Soutenus par les libéraux, les « hygiénistes » et certains secteurs du christianisme, les pouvoirs publics ont entrepris une véritable « prise en charge » de la famille à coup de moralisation, de promotion de l’hygiène, de scolarisation et de chasse à la déviance.
D’ailleurs, c’est sur un fond de perception d’une « crise de la famille » que les principales dimensions des systèmes de sécurité sociale sont mises en œuvre. Ce n’est cependant qu’au vingtième siècle que la famille est explicitement prise en considération par les États. Ainsi se mettent en place, dans le désordre, un ensemble de mesures orientées vers la gestion des familles ; elles relèvent de quatre ordres de légitimations.
Les premières sont fondées sur les préoccupations de caractère démographique : il s’agit de garantir une reproduction convenable de la population et, bientôt, face à la chute massive des taux de natalité, de stimuler un mouvement nataliste.
Une deuxième catégorie de légitimations est liée à des préoccupations de politique sociale. L’organisation des mesures de sécurité sociale n’est possible que si la famille fonctionne. Directement ou indirectement tout le système en dépend, dans la mesure où il est plus ou moins fondé sur la subsidiarité.
C’est sur des considérations liées à l’organisation interne de la famille que se fonde un troisième groupe de légitimations. Le développement de la « vie de famille » comme valeur en soi appelait des mesures de réorganisation si ce n’est du droit, au moins des jurisprudences, ainsi que des garanties de toute nature permettant de structurer et de vivre cette nouvelle intimité.
Enfin, une dernière catégorie de légitimations relève du projet de garantir l’autonomie et l’identité des diverses composantes de la cellule familiale. Celle-ci, construite sur de solides rapports de pouvoir, était vigoureusement interpellée au niveau du statut de la femme et des enfants, et de leurs droits respectifs.
C’est sur la base de ces diverses légitimations qu’ont été adoptées les mesures de politique familiale. De quelque orientation idéologique qu’ils soient, la plupart des promoteurs de ces politiques estimaient que ces mesures étaient susceptibles de transformer la nature des rapports sociaux qu’ils jugeaient inacceptables, dysfonctionnels ou dépassés.
D’une manière générale, l’intervention de l’État se situe à plusieurs niveaux complémentaires :
dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler l’environnement du système familial (logement, transports, équipements scolaires, etc.) ;
dans le cadre des divers moments de la carrière familiale, en fonction de la très forte diversification des curriculums ;
enfin au niveau des « dysfonctions » des modèles familiaux ; il tente de prévenir ou de gérer les crises, les échecs ou les perturbations qui peuvent survenir dans le système.
Toutes les interventions de l’État dans ce secteur sont marquées d’ambivalence, d’autant plus qu’elles n’ont pas comme cible un modèle familial unique, mais une constellation de modèles souvent extrêmement différents. D’ailleurs, les connaissances disponibles sur les effets des diverses mesures sont fort limitées, voire inexistantes. Dans ces conditions, la légitimité même des politiques ne peut être que réduite et fragile.
La précarité de cette légitimité est déjà explicitement reconnue par les auteurs du rapport sur la politique familiale en Suisse publié en 1982. D’abord, ils adoptent une définition très « ouverte » de la famille qui serait : « Un groupe social d’un genre particulier, fondé sur les relations entre parents et enfants, et reconnu comme tel par la société, c’est-à-dire institutionnalisé ». On remarquera le degré de généralité de cette définition qui ne doit guère être opérationnelle dans la discussion sur des mesures politiques concrètes. Le groupe de travail est, d’ailleurs, tout à fait conscient de cet état de choses puisqu’il présente la sphère de la politique familiale comme un secteur caractérisé voire déchiré par de vives tensions. En effet, et nous le citons longuement, « la politique familiale se situe dans le champ de tension entre diverses conceptions de politique sociale et d’éthique. Les divergences ont comparativement peu de portée s’il s’agit simplement de reconnaître la famille comme une unité relativement autonome et, en tout cas, de la soutenir de façon générale. Elles ne deviennent aiguës que si, par des mesures et des dispositions de politique familiale, les conditions et les formes de vie concrètes se trouvent modifiées ou remodelées, si par une politique familiale, on entend renforcer tel ou tel postulat spécifique de la politique sociale.
La politique sociale se situe dans le champ de tension entre la défense des intérêts des membres individuels de la famille (en particulier la femme et l’enfant) ou la volonté de réduire les inégalités entre membres d’une famille, d’une part, et le soutien de la famille en tant que groupe ou institution, compte tenu de son autonomie, d’autre part.
La politique familiale se situe dans le champ de tension entre la reconnaissance, le soutien et l’encouragement des efforts tendant à légitimer et à réaliser de nouvelles formes de vie commune.
La politique familiale se situe dans le champ de tension entre la reconnaissance des activités assumées par la famille et la volonté de constater et de compenser des déficits réels ou supposés dans ces activités. À cet égard, la question se pose de savoir dans quelle mesure il convient de reconnaître l’autonomie de la famille par des mesures de politique familiale, et, dans quelle mesure il convient d’influencer la forme de la vie de famille et, par là, de la contrôler. »
L’existence de tous ces « champs de tension », reconnus officiellement, suggère la fragilité de la légitimité de la politique de la famille. Dans la conjoncture actuelle, peu favorable au développement des politiques sociales, on peut penser qu’elle ne fera pas l’objet d’actions prioritaires.
Faux débats sur les coûts
Peut-on raisonnablement se payer une politique familiale par les temps qui courent ? L’observation du développement des politiques familiales suggère qu’elle a manqué de chance. Célébrée comme déterminante voire comme essentielle, elle a fréquemment été sacrifiée sur l’autel des fragilités de la conjoncture. Dans le contexte actuel, on se souviendra du fait que la richesse nationale est de plus en plus copieuse et que la part du gâteau à se partager n’a cessé de croître, et cela dans l’un des pays les plus riches du monde. La part que la Suisse consacre à la protection sociale est proportionnellement nettement inférieure à celle des pays industrialisés comparables, si l’on tient compte de l’ampleur de nos ressources. Difficile de servir encore une fois l’argument du sauvetage de la compétitivité économique. La mise en place d’une politique familiale est surtout une question de volonté politique, de mobilisation des énergies et des compétences. C’est aussi, il faut bien le dire, un bon investissement, voire une prévention des coûts.
En fait, l’immobilisme en matière de politique familiale comporte des risques majeurs et représente très vraisemblablement de fausses économies. Rappelons-nous la diversité des situations, la richesse des rôles joués par la famille, mais aussi la fragilité qui caractérise ces prestations et ces échanges. Chaque fois qu’un morceau de famille se détache, vite un équipement collectif. Autrement dit, les lacunes du soutien à la famille peuvent conduire à de lourds échecs : maladies physiques ou psychiques, assistance, délinquance et parfois même la prison. Le prix de ces échecs peut être très lourd, il serait irresponsable de l’oublier. Il est vrai que ce type d’assertion ne peut guère être étayé par des preuves irréfutables. On pourra toujours avancer l’exemple de quelqu’un qui s’est sorti des situations les plus pénibles. Il n’en reste pas moins que l’effet des conditions d’éducation fragiles et lacunaires se fait fréquemment sentir et induit des dépendances de toute nature. Enfin, dans le domaine du développement des politiques familiales, on assiste également à la jungle des transferts. Très concrètement, les limites qui se font sentir en matière de développement des politiques familiales induisent des coûts qui se reportent sur d’autres bureaux des affaires sociales ou sanitaires, ce que l’on croyait être une économie se révélant en fait être un poids supérieur pour le contribuable.
Une politique sociale exemplaire ?
Nous concluons en rappelant quelques réflexions puisées dans la riche pensée de Guy Perrin : « La définition d’une politique familiale à vocation européenne implique un retour à l’analyse des besoins et des aspirations des familles qui doit inspirer les orientations générales de l’action prochaine. […] Il importe de redresser les priorités sociales selon la séquence nouvelle inspirée de la Convention des Nations Unies du 20 novembre 1989, qui conduit de l’enfant à la famille et à la société au lieu de la chaîne inverse de dépendance traditionnelle qui procédait de l’État à la famille et à l’enfant, et enfin, l’effort d’imagination et de générosité nécessaire pour permettre aux parents de concilier efficacement leurs devoirs familiaux et leurs obligations professionnelles. Selon ces orientations, qui resteraient à élaborer, sous tous leurs aspects, une rénovation de l’aide aux familles paraît bien digne de prendre place dans les programmes de réforme de la sécurité sociale, car la politique familiale, tenue de respecter la liberté et la responsabilité des familles tout en contribuant à leur accorder les meilleures chances d’accomplir leur fonction irremplaçable dans des conditions d’égale dignité, mérite de devenir une politique sociale exemplaire. » Dans une situation où le mot « impasse » semble s’imposer, il convient de garder à l’esprit cet objectif qui peut orienter l’espoir et l’action.



Solidarités familiales : réelles, mais aussi limitées
Quelques réflexions autour d’une enquête

Jean Kellerhals

Les difficultés réelles et supposées que l’Etat social éprouve à colmater toutes les brèches de l’“ insécurité sociale ” amènent chacun à se demander dans quelle mesure des réseaux de soutien privés peuvent prendre le relais ou remplacer des circuits institutionnels que l’on dit dépassés par les coûts de cette régulation sociale. Dans quelle mesure le mouvement associatif, les groupes d’amis, le voisinage, mais aussi et peut-être surtout les familles et leur parenté peuvent-ils se mobiliser — à moindre frais — pour pallier les carences publiques ? Et le font-ils effectivement ?

Une étude récente (Coenen-Huther, Kellerhals et von Allmen, 1994) nous permet d’examiner cette question du point de vue de la famille et de la parenté. Peut-on compter — et jusqu’à quel point — sur ces dernières en cas de maladie, de chômage, de handicaps dus à la vieillesse ou encore dans les innombrables situations de détresse morale ? Et si cette solidarité existe, qui en sont les acteurs ? Et n’est-elle pas érodée par les transformations des structures familiales d’aujourd’hui : divorce, recompositions familiales, doubles carrières professionnelles, etc. ? On entend souvent dire que les familles contemporaines, très individualistes, sont à la fois repliées sur elles-mêmes, isolées, et peu incitées à se soutenir mutuellement. Et l’on oppose nostalgiquement la “ chaude solidarit頔 censée caractériser les familles traditionnelles à l’égoïsme hédoniste des couples contemporains. Mais qu’en est-il vraiment ? L’enquête que nous avons menée en Suisse romande auprès d’un vaste échantillon représentatif de familles dans la cinquantaine peut servir de base à quelques réflexions sur ce thème.

Vivacité des liens familiaux
L’opinion courante croit volontiers que les relations de parenté ont disparu de l’univers familial contemporain. Or, ce sentiment d’un isolement total des familles modernes par rapport à leur parenté est largement erroné. À l’étranger, de nombreux travaux empiriques et divers essais de synthèse (Dandurand et Ouellette, 1992 ; Lee, 1980 ; Pitrou, 1992, etc.) ont en effet montré que des liens relativement vivaces unissent les ménages à divers membres de leur parentèle. De très fréquents contacts, une bonne proximité affective, des échanges de services nombreux et variés caractérisent les relations entre la famille nucléaire et sa parenté.

Ce constat est valable en Suisse également. S’agissant d’abord des contacts et rencontres, il apparaît dans notre étude que seule une famille sur dix n’entretient pas de fréquents contacts (à quinzaine au moins) avec l’un ou l’autre des membres de sa parenté. La coupure complète avec le réseau (aucun contact, ni occasionnel ni régulier) ne caractérise que 5 % environ des familles.

Du point de vue “ instrumental ”, c’est-à-dire celui des services et appuis divers que l’on se rend, l’échange entre famille et parenté est aussi bien réel. Six familles sur dix ont été aidées, à l’un ou l’autre moment de leur existence, par leur parentèle. Pour une famille sur quatre, ce soutien peut être qualifié d’important (don de 20 000 francs ou plus, aide domestique tous les jours pendant un an ou plus, hébergement pendant une année, soutien moral pendant un an ou plus, etc.). Il existe donc bien un important tissu relationnel autour de la famille nucléaire, et un appui de celle-ci à son entourage.
Un réseau restreint
Mais il ne faut pas idéaliser le tableau. Ces interactions généralisées ne mettent en effet pas du tout en contact l’ensemble des personnes composant le réseau de parenté restreint (pères et mères des conjoints, frères et sœurs et leurs conjoints, enfants sortis du nid) avec la famille nucléaire. Celle-ci se constitue plutôt une “ petite société à son usage ” composée de 3-5 personnes, alors que le réservoir potentiel est de 15 personnes environ. Les grands réseaux de parenté ne sont donc pas forcément plus vivaces que les petits. Autrement dit, la “ densit頔 du réseau effectif — c’est-à-dire le rapport entre les personnes avec qui l’on est en relation et l’ensemble des parents — est relativement faible. Deux personnes sur trois composant le réservoir “ objectif ” sont comme ignorées par la famille nucléaire. Ce taux serait évidemment encore beaucoup plus faible si l’on prenait en considération la parenté du deuxième rang (oncles et tantes, cousins, neveux, etc.) : la densité ne dépasserait alors pas 5-10 %.

Restreint, ce réseau est aussi très vertical, en ce sens que l’essentiel des expressions affectives et de soutien passe au long des générations (des parents aux enfants et petits-enfants et réciproquement) plutôt que latéralement (entre frères et sœurs, cousins, etc.). Par exemple, la proportion de personnes envers qui l’on se sent lié passe d’environ 75 % pour la ligne verticale à environ 30 % pour les collatéraux consanguins. Il en va approximativement de même pour les personnes envers qui l’on accepte de se montrer solidaire ou de qui on attend, au besoin, du soutien. Les trois quarts du volume des aides concrètes échangées entre la famille et la parenté circulent le long de cette ligne (la concentration est encore plus forte pour l’argent) ; seul le soutien moral circule autant entre frères et sœurs qu’entre générations.
Vertical, le réseau effectif est aussi consanguin
Subjectivement parlant, les parents de nos parents ne sont pas souvent nos parents. Seul un beau-frère ou une belle-sœur sur cinq est sélectionné(e) comme proche, et l’on n’est prêt à se dévouer que pour une fraction approximativement semblable de ceux-ci.
Enfin, si l’affection se distribue (assez) également du côté féminin et masculin, le soutien circule près de deux fois plus souvent en ligne féminine qu’en ligne masculine (argent excepté). À cet égard, il faut relever que la solidarité familiale est d’abord celle des femmes : ce sont elles qui rendent les services, font les gardes, accompagnent, etc. Les hommes ne jouent qu’un rôle d’appoint. Il y a donc quelque abus à parler sans autre de solidarité familiale, sans voir quelles bonnes âmes l’assument vraiment.
En cas de coup dur
Si l’on tente de mieux évaluer la portée de l’entraide familiale (cf. Coenen-Huther, Kellerhals et von Allmen, op. cit., 1994), on voit clairement que le rôle de la parenté, quand il se manifeste, est celui d’un appoint localisé plutôt que celui d’une prise en charge systématique. En effet, les apports de la parenté à la famille nucléaire (et vice versa) se font à l’occasion de difficultés et perturbations bien précises et non de manière continue et “ normale ”. Le soutien se déclenche en raison d’une maladie, d’un ennui financier, d’un divorce, etc. L’idée ou le principe d’une coopération systématique, d’une mise en commun régulière des efforts entre plusieurs ménages, est très généralement refusée. Autrement dit, le principe de l’indépendance de la famille nucléaire n’est pas remis en question, ni par les donateurs ni par les bénéficiaires, mais la parenté est là pour aider à faire face à des circonstances exceptionnelles.
Cela permet de dire que la majorité des “ familles-sandwichs ” (celles dont les conjoints sont dans la cinquantaine), bien que potentiellement mobilisées tant par leurs parents que par leurs enfants, ne croulent pas sous le poids de la solidarité.
Quittant les échanges réels pour évaluer les disponibilités (jusqu’où est-on, au besoin, d’accord d’aider) en fonction de situations précises et fréquentes, on peut faire le bref bilan suivant :
Aider des pères et mères handicapés à leur domicile : 40 % des personnes interrogées se disent prêtes (c’est-à-dire d’accord et en mesure de le faire) à consacrer au moins 4-5 heures par semaine pour les aider au ménage ou à leur toilette
Heberger une mère ou un père dépendant pour une durée indéterminée : 20 % des sondés se disent prêts à cet effort.
Aider financièrement, pendant plusieurs mois, un enfant au chômage : on accepte de mettre, en moyenne, environ 5 à 6% du revenu du ménage à disposition de cet enfant pour ces quelques mois.
Aider le couple d’un des enfants pendant plusieurs semaines en cas de maladie, d’accouchement : on se dit systématiquement prêt à intervenir intensément sur plusieurs semaines.
Garder les petits enfants pour permettre aux deux jeunes époux de travailler, d’étudier : l’idée d’une aide occasionnelle est généralisée à près de 90 %, mais celle d’un appui régulier (4-5 fois par semaine) ne se rencontre que dans 25 % des cas (cf. Coenen-Huther, Kellerhals, von Allmen, 1994, chap. 6, pour des précisions).
Il n’y a donc guère de doute sur la généralité et la force des dispositions à l’entraide dans la ligne verticale. L’examen des disponibilités envers les collatéraux amènerait à des conclusions beaucoup plus pessimistes.
Ne pas scier la branche
Les quelques données présentées ci-dessus permettent de tirer certaines conclusions générales sur la nature du lien de parenté aujourd’hui et sur l’aptitude de la famille à prendre en charge son entourage.
Le caractère très vertical, consanguin et fortement polarisé — dans sa mise en œuvre — autour des personnages féminins du réseau de solidarité constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force, dans la mesure où un système d’entraide ainsi structuré peut assez bien résister à des séparations, à des divorces, etc. Sa faiblesse, dans la mesure où le nombre des personnes impliquées dans les relations est assez faible, et où il suffit que l’une ou l’autre vienne à manquer pour que les autres soient surchargées.
Le caractère “ moyen ” du niveau d’entraide (celle-ci est généralisée, mais se borne à des situations exceptionnelles et va très rarement jusqu’à mordre sur le nécessaire) peut se comprendre comme une sorte de compromis entre une norme d’autonomie (une “ bonne ” famille doit pouvoir se débrouiller seule ; être adulte, c’est être autonome) et un principe de solidarité très ancré (dans une famille, on doit s’entraider). Il est frappant à cet égard de voir que les conflits et rancœurs associés à l’entraide, presque inexistants lorsque celle-ci est de niveau “ habituel ”, croissent très vite dès qu’un couple doit prendre, pour une durée assez longue, sur son confort. Surgissent alors les brouilles entre frères et sœurs, les tensions entre conjoints, les reproches vis-à-vis des aînés. Dès lors, à supposer que l’on veuille accroître fortement — sans changement culturel correspondant — le niveau des solidarités familiales, cela risque bien de se payer par des conflits plus fréquents et aigus, voire même par des ruptures.
Dans ce même ordre d’idées, des analyses en profondeur de situations de soutien très “ classiques ” (hébergement à domicile, soutien moral, aide domestique, cf. Coenen-Huther, Kellerhals et von Allmen, 1994, chap. 7-10) montrent que l’efficacité de cette solidarité est largement conditionnée par le climat affectif régnant dans la famille élargie. Si l’on se sent obligé, trop chargé, etc., le soutien moral rate, l’hébergement devient un enfer, les services domestiques sont bâclés, etc. Si donc les formes courantes de solidarité au sein de la parenté apparaissent comme particulièrement précieuses du fait de leur polyvalence, de leur souplesse et de leur rapidité, elles ne sont pas à ce point développées qu’elles légitiment un quelconque retrait des interventions publiques. Les politiques sociales doivent plutôt, à notre avis du moins, rechercher les modes possibles de synergie entre pouvoirs publics et solidarités privées. Ces deux types d’action se conditionnent l’un l’autre. En l’état actuel des mentalités et des pratiques, la polyvalence, la souplesse, la “ chaleur ” de l’entraide privée n’ont de vraie force que si elles peuvent s’appuyer sur des infrastructures et des services publics. C’est dire que l’on devrait beaucoup investiguer, aujourd’hui, les façons dont il est possible, pour les institutions publiques, de mieux aider les familles à s’aider elles-mêmes et de les soutenir dans leur effort.

Bibliographie
Coenen-Huther, J. ; Kellerhals, J. et von Allmen, M., Solidarités familiales, Réalités sociales. Lausanne, 1994.
Dandurand, R. B. et Ouellette, E R., Entre autonomie et solidarité. Parenté et soutien dans la vie de jeunes familles montréalaises. Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1992.
Lee, G. R., Kinship in the Seventies : A Decade Review of Research and Theory. Journal of Marriage and the Family 42, No 1, 1980, p. 923-934
Pitrou, A., Vivre sans famille ? Les solidarités familiales dans le monde d’aujourd’hui. Toulouse, 1978, 2e éd. 1992




Jeunes adultes et accès aux dispositifs sociaux
La situation vaudoise

Caroline Regamey


Fin 2001, un collectif vaudois constitué de professionnels et professionnelles de différentes institutions (publiques et privées) œuvrant dans le domaine social a présenté un rapport de recherche sur la situation des jeunes adultes dans le canton de Vaud. Ce rapport est l’aboutissement d’un projet original, conçu et piloté par des personnes engagées sur le terrain, articulant une permanence sociale destinée à de jeunes adultes de 18 à 25 ans et une recherche pour documenter la question. Ce projet a été réalisé grâce à des réallocations de la « table ronde vaudoise », avec le soutien du Service de prévoyance et d’aide sociales (SPAS).
Les problèmes amenés
Se fondant sur des données empiriques récoltées dans le cadre de la permanence sociale, le rapport dresse un tableau alarmant des problèmes amenés par les jeunes adultes. Il constate surtout l’existence de difficultés liées à la formation, et plus encore à son financement, à la famille, et aux relations entre ces deux sphères.
Les jeunes adultes venus à la permanence étaient en situation de précarité financière très accentuée. Un tiers d’entre eux ne disposaient que de leurs ressources propres, le plus souvent un salaire d’apprentissage. Leur revenu médian se situait à 800 fr. par mois. Quelques jeunes n’avaient aucun revenu et aucun soutien en vue. La moitié des personnes en formation avaient un grave problème de ressources : 26 % venaient de connaître une interruption du devoir parental d’entretien et 22 % n’avaient aucun soutien de leurs parents.
Ils et elles amenaient des problèmes importants d’accès à la formation (pas de place d’apprentissage) et de financement de celle-ci (pas de droit à une bourse, soutien parental insuffisant ou impossible). La moitié des jeunes reçus à la permanence présentaient un problème lié au logement, selon des degrés d’urgence et de gravité variables. Plus d’un sur cinq se trouvait dans une situation provisoire, « sans domicile fixe » au sens propre de l’expression. La moitié des jeunes restreignaient leurs consultations médicales, même de base, pour raisons financières : franchise et participations trop élevées, retard dans les cotisations d’assurance maladie, consultations non remboursées. Enfin, les problèmes familiaux concernaient un peu plus du tiers des jeunes adultes reçus à la permanence : conflits et ruptures familiales étaient le plus fréquemment évoqués.
Presque neuf jeunes sur dix connaissaient des problèmes cumulés (financiers, de logement et familiaux par exemple) et enchevêtrés. Au-delà des situations individuelles, ce sont des configurations de problèmes qui ont été mises en évidence : elles démontrent l’imbrication des problématiques, les dynamiques qui les produisent ou les renforcent, et les difficultés qui se présentent pour les résoudre dans le cadre des dispositifs sociaux.
Une aggravation de la situation
Si ces constats sont rudes et dénotent la réalité de l’aggravation des problèmes rencontrés par ces jeunes adultes, ils ne sont pourtant guère surprenants. Ce sont de tels constats, observés par des travailleuses et travailleurs sociaux confrontés à la complexité des problèmes rencontrés par de jeunes adultes usagers de leurs services, qui sont à l’origine du projet JAD (jeunes adultes en difficulté). Ce projet était également lié au manque de moyens à disposition dans le dispositif actuel.
L’aggravation de la situation des jeunes adultes est liée à trois causes principales :
• au manque de dispositions prises pour anticiper et résoudre les problèmes suscités par l’abaissement de l’âge de la majorité de 20 à 18 ans révolus, qui a pris effet le 1er janvier 1996, par exemple en ce qui concerne la discontinuité des prises en charge ;
• à l’inadéquation des dispositifs d’aide pour cette population particulière (en termes d’âge) ;
• à des éléments d’ordre contextuel et à leur influence sur l’obligation parentale d’entretien. L’abaissement de l’âge de la majorité s’est produit dans un contexte d’allongement considérable de la durée des études. L’entrée des jeunes adultes dans la vie active est retardée : à 18 ans révolus, les jeunes sont, pour une bonne part, encore en formation. La cohabitation de jeunes majeurs avec leurs parents se prolonge. Sur un autre plan, l’évolution socio-économique s’est concrétisée par un affaiblissement des capacités financières des familles, décrit dans les études sur la pauvreté ou sur la stratification sociale.
Pour les jeunes adultes en formation, la couverture du besoin d’entretien est d’abord assurée par la famille, puisque dans ce cas l’obligation parentale d’entretien est indépendante de l’âge. Cette obligation d’entretien. a été codifiée en 1976 dans le cadre de la réforme du droit de filiation. Elle était à l’époque conçue sur un principe restrictif : l’entretien des enfants au-delà de la majorité (20 ans à l’époque) était censé rester l’exception. Il fallait que l’enfant ait entamé une formation avant sa majorité et qu’elle se prolonge au-delà pour justifier un droit d’entretien. Sous l’effet de la jurisprudence, le champ d’application de la loi s’est peu à peu élargi : on a admis que les parents sont tenus de pourvoir à l’entretien si le plan de formation a été conçu dans ses grandes lignes avant la majorité. En 1994, une modification a été introduite dans le Code civil suisse, qui implique que les père et mère doivent désormais subvenir à l’entretien de leur enfant au-delà de sa majorité, jusqu’à la fin de sa formation professionnelle, pour autant qu’elle soit achevée dans les délais normaux.
Art. 277 CCS
B. Durée
L’obligation d’entretien des père et mère dure jusqu’à la majorité de l’enfant.
Si, à sa majorité, l’enfant n’a pas encore de formation appropriée, les père et mère doivent, dans la mesure où les circonstances permettent de l’exiger d’eux, subvenir à son entretien jusqu’à ce qu’il ait acquis une telle formation, pour autant qu’elle soit achevée dans les délais normaux.
Cette logique d’obligation d’entretien est à l'œuvre dans la politique du Service de protection de la jeunesse (SPJ), lorsque ce service se substitue à l’autorité des parents.
Selon certains experts, la couverture du besoin d’entretien est déterminée en référence au minimum vital du droit des poursuites.
Sur le terrain, on peut observer assez fréquemment un amalgame entre majorité civile et fin de l’obligation d’entretien. Dans ce cas, et lorsqu’une rupture familiale se produit et s’accompagne de l’arrêt de l’aide parentale, le jeune en formation n’a guère de possibilités. Faire valoir l’obligation parentale d’entretien dans une situation conflictuelle nécessite d’entamer une action en justice contre ses parents, ce qui est particulièrement difficile à assumer sur le plan humain.
Venons-en maintenant à l’appréciation de l’offre en dispositifs d’aide pour cette population âgée de 18 à 25 ans. Un des axes de la recherche a en effet consisté à analyser la portée des principaux dispositifs d’aide à destination des jeunes adultes. Notre étude met en évidence de sérieuses lacunes dans le dispositif social existant.
Adaptation de la politique du SPJ
L’abaissement de l’âge de la majorité n’a eu pratiquement aucun effet sur les dispositions de politique sociale. La seule stratégie particulière que l’on peut relever est l’adaptation de la politique pratiquée par le Service de protection de la jeunesse (SPJ). Afin de parer aux problèmes prévus suite à l’abaissement de l’âge de la majorité à 18 ans pour la population suivie par le SPJ, un article spécifique concernant la situation des jeunes adultes a été introduit dans la Loi vaudoise sur la protection de la jeunesse en novembre 1995 (art. 2 a). Cet article prévoit la possibilité de prolonger au-delà de la majorité la prise en charge financière et sociale de jeunes adultes en cas de nécessité sérieuse. Cette formule laisse un large pouvoir d’appréciation au SPJ.
Dans la pratique, les poursuites de prise en charge sont conditionnées à l’établissement d’une convention reposant sur un projet professionnel « solide ». Il est surprenant de trouver pareille condition, s’agissant de jeunes connus pour être dans une situation difficile, et qui pourraient se trouver bien en peine de proposer un projet de formation « solide » alors qu’ils ont justement besoin du soutien de services sociaux… Cette logique de responsabilisation est pour le moins déconcertante vu le profil de la population que le SPJ est appelé à soutenir. Conséquence peut-être : le nombre de jeunes adultes encore suivis par le SPJ est très faible (184 seulement étaient encore en suivi en 2000).
Notons encore, à propos d’encadrement, de suivi et d’accompagnement des jeunes, que l’abaissement de l’âge de la majorité ne s’est pas traduit par des mesures sur le plan des structures socio-éducatives. Aucun aménagement particulier n’a été mis en place, et les structures qui existaient avant l’abaissement de l’âge de la majorité n’ont pas été renforcées, malgré quelques velléités qui ne se sont pas concrétisées.
La nécessité de poursuivre l’accompagnement de jeunes adultes se trouvant en difficulté au-delà de 18 ans est pourtant manifeste.
Le dispositif d’aide aux études et à la formation
En cas de difficultés familiales à assumer le devoir d’entretien, les jeunes en formation ont droit à une bourse d’étude ou d’apprentissage (Loi sur l’aide aux études et à la formation (LAE), en fonction des ressources financières de leurs parents, ou de leur indépendance financière propre, qui doit être prouvée.
Dans le cadre de ce dispositif, la logique à l'œuvre est celle d’une contribution au financement des coûts de formation, et non celle de la couverture des besoins. Le critère de l’indépendance financière des jeunes en formation (par rapport à leurs parents) est un enjeu considérable dans le cadre des bourses. C’est en effet l’unique critère qui permet de ne pas prendre en compte la capacité contributive de la famille. Le statut d’indépendance financière de ses parents donne droit à une bourse qui doit couvrir le besoin d’entretien, et pas seulement les frais de formation. La question du niveau de l’entretien assuré est également une question sensible.
Problèmes constatés
Les problèmes constatés dans le dispositif d’aide à la formation touchent aussi bien des questions d’accès au dispositif que de prestations. En effet, les conditions de nationalité, de domicile et financières de la LAE sont un cadre, qui, appliqué de manière rigide, restreint dans les faits l’accès à l’aide prévue par le cadre législatif.
Nous avons relevé des problèmes de conditions d’accès se rapportant :
• au domicile juridique, qui est celui des parents ;
• à l’obligation de résidence de cinq ans, pour les personnes de nationalité étrangère qui ne sont ni réfugiées statutaires, ni détentrices de permis C ;
• aux conditions de reconnaissance de l’indépendance financière.
Nous avons également relevé des problèmes liés à l’exclusion de certains types de formation, comme les formations préprofessionnelles ou les formations dites « du soir » aux requérants dépendants. En outre, le cadre légal exclut la possibilité de soutenir l’achèvement de la scolarité obligatoire.
Sur le plan des prestations, les problèmes qui se présentent sont essentiellement liés au niveau inadéquat des barèmes d’intervention ainsi qu’à la faiblesse des prestations financières servies.
Les seuils d’intervention prévus par la LAE tablent en effet sur une importante contribution financière des familles. Comparaison à l’appui, ils sont moins favorables que d’autres prestations de type contributif, comme les subsides à l’assurance maladie par exemple.
Lorsque l’indépendance financière de la personne requérant une bourse est reconnue, le montant maximum d’entretien prévu (1400 fr. tout compris, frais de formation, entretien et logement inclus) est largement inférieur à celui de l’aide sociale ou à celui du droit des poursuites (environ 1750 fr.). Ce barème produit une nette discrimination financière pour les ayants droit à de telles prestations, ainsi qu’une précarité financière se répercutant sur d’autres domaines, comme l’accès au logement ou à la santé. Cette situation est due à la conception qui fonde l’aide à la formation et que nous avons vue plus haut.
L’aspect problématique du niveau financier des prestations d’aide à la formation est mis en évidence par la nature des recours déposés, la plupart reposant soit sur la contestation de la capacité contributive des familles, soit sur le niveau des bourses, jugé insuffisant.
Par ailleurs, les témoignages des professionnels et des jeunes s accordent pour relever des problèmes d’application de la loi par l’Office cantonal des bourses d’études et d’apprentissage. Interprétation extrêmement restrictive du cadre légal, manque de transparence, mauvaise volonté dans la transmission des informations, les pratiques de l’Office cantonal des bourses d’études et d’apprentissage sont autant d’obstacles pour les usagers. Elles contreviennent à l’objectif général de la loi, qui est d’encourager la formation, et non de la décourager.
Le dispositif d’aide à la formation surestime les capacités financières des familles et sous-estime les besoins financiers des bénéficiaires. Il nie l’effet des évolutions socio-économiques et des modes de vie, tout comme les effets des événements familiaux sur la situation des bénéficiaires. De ce fait, le cadre légal se trouve en décalage avec la réalité sociale. L’aide étant conçue pour être exhaustive, ce que confirme la jurisprudence, l’insuffisance de ce dispositif ne peut être compensée par d’autres dispositifs, avec différentes conséquences négatives pour les jeunes adultes et leurs familles.
Il faut se demander si la précarité financière ainsi imposée aux jeunes en formation n’a pas pour effet, dans la pratique, de décourager certains à poursuivre leurs études, ce qui est l’exact opposé du but poursuivi par la loi.
Les dispositifs assistanciels
Comme n’importe quel autre adulte sans ressources financières, les jeunes sans droit à l’assurance chômage ou en fin de droit ont accès à l’Aide sociale vaudoise (ASV) ou au Revenu minimum de réinsertion (RMR).
L’Aide sociale vaudoise (ASV)
Dans l’ASV, seul le besoin d’entretien est assuré. Les problèmes constatés concernent principalement l’accès au dispositif et le type de prestations offertes.
Concernant l’accès des jeunes adultes au dispositif financier de l’ASV, deux cas de figure se présentent, qui conduisent à une séparation nette de la population des jeunes adultes selon qu’ils sont en formation ou non. Seuls ces derniers font partie du cercle des bénéficiaires.
L’exclusion des jeunes adultes en formation est justifiée par le principe de subsidiarité : en premier lieu en raison du devoir d’entretien de la famille, en second lieu en raison de la Loi sur l’aide aux études (LAE). La jurisprudence confirme que l’aide sociale n’a pas à intervenir pour les jeunes en formation. La logique qui permet à l’ASV de compléter des salaires ou des prestations d’assurance insuffisants en regard du minimum vital (assurance-chômage, assurance-invalidité) n’a pas cours. Elle est même explicitement déniée en ce qui concerne les bourses. Pour cette raison, nombre de jeunes adultes bénéficiaires de bourses vivent avec un revenu inférieur au minimum vital de l’aide sociale. Si ce principe d’exclusion des jeunes adultes en formation du cercle des bénéficiaires financiers de l’ASV est clair, la pratique oblige cependant à y contrevenir par nécessité dans des situations de détresse, en faisant intervenir des aides exceptionnelles — mais cela concerne un nombre infime de situations (une trentaine en 2000 sur un total de plus de 10 000 bénéficiaires).
Pour les jeunes adultes en formation, l’accès aux prestations de conseil et d’encadrement subit une entrave analogue à celle concernant les prestations de nature financière. Cette restriction d’accès n’est cependant pas due au cadre légal, elle est la conséquence de problèmes d’information au niveau des réceptions de CSR et de disponibilité des assistants sociaux.
Principal problème relevé à propos de l’ASV, l’absence de mesures formatives ou qualifiantes. Le profil des jeunes adultes bénéficiaires de prestations financières de l’ASV étant particulièrement défavorisé et vulnérable (niveau de formation extrêmement bas, statuts très précaires), l’absence de dispositions favorisant la reprise d’une formation ou l’amélioration de leur niveau de formation est problématique. Ne disposant pas des moyens nécessaires pour aider les jeunes bénéficiaires de l’ASV à recouvrer une forme d’autonomie grâce à des mesures de formation ou requalifiantes, le dispositif fonctionne comme une trappe se refermant sur eux.
En résumé, si ce régime d’aide sociale est efficace pour répondre aux besoins d’entretien, il ne donne pas les moyens aux bénéficiaires de redresser leur situation. Il se révèle inadapté à leur situation, les contraignant en quelque sorte au statu quo.
Le Revenu minimum de réinsertion (RMR)
Le RMR, quant à lui, conditionne la garantie du besoin d’entretien à la volonté des bénéficiaires de participer activement à leur propre réinsertion sociale et/ou professionnelle. L’insuffisance de mesures formatives ou qualifiantes à destination — entre autres — des jeunes adultes présentant des déficits de formation rend malheureusement ce dispositif plutôt impuissant.
L’accès au RMR n’est pas un problème spécifique ou particulier pour les jeunes adultes ; mais ceux qui sont en formation ne font pas partie du cercle des bénéficiaires de ce dispositif qui vise la réinsertion.
Le RMR, comme l’ASV, n’a pas développé de mesures spécifiques pour ce groupe. d’âge particulier. L’insuffisance de mesures destinées à réduire les déficits de formation, voire de connaissances élémentaires, est une entrave aux possibilités de retrouver une autonomie. Si le problème ne se pose pas de manière spécifique aux jeunes adultes, il est particulièrement patent pour ce groupe d’âge. La demande de mesures de formation ou de requalification est importante parmi les usagers, et reconnue comme nécessaire par les professionnels. En l’absence de telles mesures, le RMR ne peut guère offrir de meilleures chances d’intégration que l’ASV, sauf peut-être à celles et ceux qui ont le meilleur niveau de formation. Tout au plus risque-t-il d’être une étape avant le passage à l’ASV (ou le retour à l’ASV pour certains).
Le RMR est donc insuffisamment pourvu de mesures favorisant la formation et la qualification, et partant, les potentiels d’insertion sur le marché de l’emploi. En ce sens, il faillit à sa tâche. Contrairement au dispositif d’aide sociale, il n’est pas lui-même inadapté aux besoins de cette jeune population, mais impuissant, faute de moyens adaptés.
C’est pour cela que le risque d’effet « carrousel » que présentent ces dispositifs par rapport aux jeunes en difficulté est important : passant de l’un à l’autre sans les moyens d’améliorer leur situation, les jeunes adultes en difficulté ont tous les risques de ne pas pouvoir sortir de ces dispositifs.
Les dispositifs en comparaison
Si l’on considère la situation des jeunes adultes dans les dispositifs de manière transversale, on peut constater que leurs problèmes sont pris en compte de façon partielle et morcelée :
• Les jeunes bénéficiaires de bourses reçoivent une aide pour leurs frais d’études, et non pour ceux d’entretien ou de logement. Le problème de l’entretien se pose de manière aiguë pour les jeunes adultes que la loi reconnaît comme financièrement indépendants de leurs parents : leur minimum vital est inférieur d’environ 20 % aux normes de minimum vital de l’aide sociale ou du droit des poursuites.
• L’ASV ne couvre que la garantie du budget d’entretien, logement compris, et ne permet pas l’accès à la formation.
• Le RMR couvre la garantie d’entretien et contractualise la volonté des bénéficiaires de participer activement à leur propre réinsertion, mais ne propose pas de moyens adéquats et/ou suffisants pour que cette volonté puisse se concrétiser.
La séparation nette entre les dispositifs sociaux et celui de l’aide à la formation illustre l’absence d’articulation qui prévaut le plus souvent entre les régimes d’aide. La séparation des dispositifs considérés est particulièrement flagrante, puisque leurs cadres légaux ne se font pas mutuellement référence. Seules quelques jurisprudences relient les cadres légaux respectifs de l’aide sociale et de l’aide à la formation. Mais ces liens sont conçus de façon exclusive, et non pas en termes d’articulation (« l’aide sociale n’a pas à corriger des règles insatisfaisantes en matière de prise en charge des frais de formation »).
Un indice du manque de coordination entre les dispositifs sociaux et l’aide à la formation est le niveau des barèmes d’intervention, qui sont, dans le cadre de l’aide à la formation, posés de manière totalement indépendante de ceux qui font référence en Suisse. L’indépendance de certains cadres légaux est même franchement stupéfiante : l’aide à la formation, censée compléter l’aide de la famille et au besoin y suppléer (LAE, art. 2) repose sur d’autres règles que celles qui prévalent concernant l’entretien que la famille doit dispenser ! En l’occurrence, le soutien de la famille est calculé en référence aux besoins tels qu’ils sont définis dans les normes des poursuites, alors que le montant des bourses ne l’est pas. Cette pratique discrimine fortement les jeunes adultes en formation et leur impose une précarité financière importante.
Ce manque de coordination entre régimes et les différences de niveau de vie qui en résultent provoquent des inégalités de traitement en matière de budget d’entretien entre les jeunes adultes en formation aidés par les bourses et ceux qui sont à l’aide sociale. De telles inégalités de traitement sont relevées par de jeunes usagers eux-mêmes lorsqu’ils font la comparaison de leur situation — étant actifs — avec celle qu’ils auraient en étant à l’aide sociale, en étant alors exclus du champ de la formation.
Qui sont les jeunes adultes rencontrés ?
Les jeunes adultes en formation rencontrés n’étaient que faiblement soutenus par le dispositif d’aide aux études : sur le plan quantitatif, seuls 15,2 % d’entre eux bénéficiaient d’une bourse d’étude (dont une personne d’une bourse privée). Parmi les autres, quatre sur dix mentionnaient avoir demandé — mais pas obtenu — une bourse. Sur le plan qualitatif, les montants des bourses des quelques jeunes adultes qui en bénéficiaient étaient extrêmement bas, et la précarité financière qui en résultait s’avérait pour le moins problématique. Cette situation illustre le faible accès des jeunes adultes à ce dispositif d’aide, et son inadéquation par rapport à des besoins pourtant très importants.
En majorité, ces jeunes adultes ne reçoivent aucune aide publique
Parmi les jeunes adultes qui n’étaient pas en formation lors de leur venue à la permanence, trois sur quatre ne bénéficiaient d’aucune aide publique, financière ou non financière.
La moitié d’entre eux connaissaient cependant des problèmes importants avec leur famille — conflits, rupture — impliquant de lourdes conséquences sur le plan financier et sur celui du logement. Rappelons que plus d’un jeune sur cinq était « sans domicile fixe ». Par ailleurs, trois jeunes adultes sur dix étaient dans une situation fixe, mais problématique. Globalement, la moitié des jeunes adultes reçus se trouvaient en difficulté par rapport à la situation de logement, selon des degrés d’urgence et de gravité variables. Considérant l’ensemble des jeunes adultes en formation, la moitié avaient un grave problème de ressources : 26 % venaient de connaître une interruption du devoir d’entretien parental, 22 % n’avaient aucun soutien parental, et 4 % ne mentionnaient « que » la perte du logement familial.
Ce n’est pas par méconnaissance ou par manque d’initiative personnelle que ces jeunes adultes échappent aux aides prévues par ces dispositifs, c’est parce que ces aides n’existent pas. Ce constat est confirmé par les parcours des jeunes adultes : parmi les jeunes qui ne reçoivent pas d’aide, les deux tiers ont consulté un ou des services (jusqu’à cinq services différents !) pour le même problème que celui exposé à la permanence sans trouver de réponse adaptée ou de solution à leur problème. La plupart du temps, l’échec de leur démarche tient au caractère hors cadre de leur demande, à l’incompréhension manifestée, ou à l’indisponibilité des services. Ce type de parcours, souvent qualifié de « ping-pong » entre les services, n’est pas exceptionnel. Il n’est pas dû principalement à un manque d’information, puisqu’au contraire cette population dispose d’un certain nombre de ressources et d’aptitudes. Le problème se situe ailleurs : certains des problèmes ne sont pas prévus par les dispositifs sociaux.
Circularité des problèmes
Il faut relever une certaine circularité des problèmes : la majorité des problèmes que rencontrent les jeunes adultes étant liés aux lacunes relevées, ils ont beau tenter de s’adresser à l’Office des bourses ou aux services sociaux, ils ne parviennent pas à trouver de solution à leurs difficultés. Aucune aide n’est prévue en cas d’interruption du devoir parental d’entretien, ni par l’aide à la formation, ni par l’aide sociale. Aucune intervention n’est prévue de l’aide sociale pour compléter des bourses insuffisantes pour vivre et inférieures au minimum vital. La poursuite du soutien du SPJ reste exceptionnelle après l’accession à la majorité, et il n’existe guère de possibilité pour des jeunes adultes de trouver un appui socio-éducatif dans d’autres structures. Même l’accès au conseil social et à l’orientation est aléatoire…
Plus grave encore est la situation des jeunes adultes reçus à la permanence JAD par rapport au logement. Comme nous l’avons vu, ce problème est particulièrement alarmant. Or, la question du logement n’est traitée en tant que telle dans aucun dispositif, et l’on ne peut que s’inquiéter de l’absence d’une réelle politique sociale du logement. La pénurie d’appartements à loyer modéré et la saturation du marché du logement ne font que rendre plus aigu encore le problème. La faiblesse des ressources financières des jeunes adultes restreint dramatiquement leurs chances de trouver, par leurs propres moyens, un logement dont le loyer soit accessible, et l’accès aux logements à loyer subventionné est complètement bouché (listes d’attente considérables et priorité donnée aux familles). Enfin, même les solutions d’urgence, qui ne sont en aucun cas une issue à ce problème de fond, sont saturées. À l’automne 2001 par exemple, les 150 logements de secours disponibles à Lausanne étaient tous occupés.
Les problèmes que rencontrent les jeunes adultes sont récurrents, mais néanmoins diversifiés. Si une bonne partie de ces problèmes s’explique par des insuffisances ou des lacunes des dispositifs sociaux, il est d’autres causes également : par exemple, les problèmes produits par la législation sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE), qui limitent considérablement les possibilités d’intervention sociale dans des situations de dénuement et contredisent l’article constitutionnel (art. 12), qui garantit à toute personne le droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse. Les problèmes découlant de l’emploi sont aussi constatés, qui s’expliquent par les rémunérations du travail extraordinairement faibles que subissent les personnes très peu ou non qualifiées, et dont certains jeunes adultes font partie au premier chef, puisqu’ils cumulent manque de qualification et manque d’expérience professionnelle.
Des constats aux recommandations
Devant de tels problèmes, les propositions de modification et d’aménagement des différents dispositifs sont évidemment fort nombreuses. Le collectif a élaboré une série de recommandations d’ordre général touchant aux différents dispositifs. Malheureusement ces propositions, qui se basent sur les constats de besoins non couverts et supposent l’engagement de moyens pour y répondre, se heurtent de plein fouet à la politique financière actuelle qui a pour conséquence la limitation des budgets (croissance zéro), voire leur diminution.
Des mesures adéquates pour les jeunes en difficulté
Sur le plan des dispositifs assistanciels, le contexte est celui d’une modification globale dans la perspective d’un régime unique, le futur Revenu d’insertion (RI). Le collectif recommande que le RI mette impérativement à disposition des bénéficiaires des mesures formatives et qualifiantes, comme des formations élémentaires pour adultes, ainsi que la possibilité d’entamer une vraie formation professionnelle. Le financement de ces mesures devrait découler des besoins des bénéficiaires, et non dépendre d’une enveloppe budgétaire prédéterminée. Les critères définissant les conditions d’accès et les ayants droit devraient être transparents. Concernant les jeunes adultes en formation, le dispositif assistanciel devrait pouvoir intervenir en tant que dernier filet de protection sociale lorsque les autres possibilités d’aide sont impossibles, ou non actionnables dans le court terme. Cela implique qu’il puisse intervenir comme complément de ressources également pour des personnes en formation dont les moyens financiers sont inférieurs au minimum vital de l’aide sociale.
L’accès aux prestations de conseil, d’orientation et d’encadrement (prestations non financières) devrait être développé, aussi bien pour les bénéficiaires de l’aide financière que pour les personnes ne remplissant pas les critères financiers et requérant une aide. La consigne interne limitant le nombre de dossiers « non financiers » dans les Centres sociaux régionaux (CSR) devrait être reconsidérée, et réévaluée sur la base des besoins. Les personnes qui s’adressent à un CSR pour du conseil social devraient pouvoir exposer leur problème à une assistante sociale ou à un assistant social quelle que soit leur situation du point de vue du droit à une aide financière.
La politique des bourses
Concernant l’aide aux études et à la formation, le collectif recommande un aménagement urgent, de manière à ce que le dispositif prenne en compte les situations réelles des jeunes majeurs et de leurs familles et donc s’adapte à l’évolution de la réalité socio-économique, et qu’il prévoie une intervention permettant d’assurer un minimum vital correspondant aux normes de référence.
En cas d’interruption du devoir d’entretien des parents, le cursus de formation des jeunes ne devrait en aucun cas être mis en péril : la question de l’obligation parentale d’entretien devrait donc être réévaluée à la lumière des contraintes financières réelles des familles et de l’état des relations familiales. Il paraît nécessaire de prévoir une intervention des pouvoirs publics garantissant que la poursuite des études prime sur la désignation des débiteurs légaux au sens de la loi (pendant la période de clarification administrative).
Le problème du financement de la formation se heurte à diverses résistances. Il faut relever le manque de réactions politiques à ce problème qui n’est pas nouveau, et plus généralement l’absence de prise de conscience de l’ampleur du problème.
Les partenaires concernés par les problèmes de financement des formations que rencontrent les jeunes et par leurs conséquences (logement, santé…) ne peuvent qu’éprouver le sentiment qu’une chape de plomb pèse sur cette question. Le département en charge du dossier, Formation et jeunesse (DFJ), se montre particulièrement absent de ce débat. Les problèmes de mauvaise réputation dont souffre l’Office cantonal des bourses d’études et d’apprentissage (OCBE) se doublent d’une problématique financière délicate. De récentes décisions du Tribunal administratif viennent contredire certains barèmes appliqués par cet office, vu les inégalités de traitement en matière de budget d’entretien qui prétéritent les boursiers et boursières dans le canton de Vaud. Si ces décisions devaient être généralisées, cela aboutirait à un… doublement de budget de l’OCBE (de 25 à 50 millions de francs).
Une augmentation conséquente du budget de l’OCBE est donc indispensable pour que l’aide aux études et à la formation professionnelle soit cohérente. Une réelle amélioration serait déjà de mener une meilleure politique d’information et de transparence, d’appliquer toutes les possibilités que la loi comporte, et certains barèmes du ressort du Conseil d'État pourraient être adaptés sans passer par une refonte complète du dispositif.
Enfin, une coordination, même minimale, entre services chargés de dispenser des aides (bourses, aide sociale, subsides à l’assurance-maladie) est indispensable.



Elaboration de la notion de génération:
d’Auguste Comte à Karl Mannheim

Claudine Attias-Donfut

Les significations actuelles de la notion de génération gardent la trace de la large utilisation qui en a été faite en histoire, principalement au XIXe siècle. L’histoire est alors en quête d’une démarche scientifique, exigence à laquelle semble répondre le recours à la notion de génération en offrant un outil méthodologique pour mesurer le temps historique, voire pour en comprendre et en expliquer les mouvements. Après la Révolution française, le rythme haché de l’histoire politique marque et détache des générations successives. À la fin du XIXe siècle, les mouvements nationalistes dominent en Europe et gagnent une jeunesse qui trouve là un mode d’expression et d’opposition. L’ampleur des mouvements de jeunes contribue, à son tour, à l’intérêt intellectuel pour le problème des générations dont on pressent qu’il peut être une clef pour comprendre les bouleversements politiques qui secouent l’Europe.
Ce climat intellectuel et politique du XIXe siècle va relancer ce thème et donner naissance à la vision moderne des générations qui domine encore aujourd’hui. Cette vision a été, à l’origine, fortement marquée par le positivisme et tout particulièrement par l’analyse qu’en a fait Auguste Comte. Il fait découler le rythme du progrès social du rythme du renouvellement des générations ; une vie trop longue ralentirait le progrès par un renouvellement trop lent des hommes, alors qu’une vie plus courte accélérerait le progrès, à condition toutefois qu’elle dure suffisamment pour permettre d’établir durablement les changements. Que penser de ces analyses à notre époque marquée par une espérance de vie considérablement augmentée par rapport à celle d’A. Comte et par un progrès considérablement accéléré ? Il est vrai qu’A. Comte n’avait pas envisagé que le système de retraite relayerait la mort pour assurer le renouvellement des générations dans le travail. Il a mis l’accent sur la force d’innovation que représentent les nouvelles générations ; il a également souligné la portée sociologique du phénomène que constitue la pression des générations les unes sur les autres. Le progrès lui-même résulte d’un processus d’accumulation rendu possible par le caractère continu et graduel du renouvellement des hommes, qui permet l’action de chaque génération sur celle qui la suit. Cette idée a été reprise par Georg Simmel comme fondement de l’immortalité du groupe en tant qu’unité, malgré la mobilité de ses membres.
Le renouvellement des générations évoque les régularités et les cycles ; Cournot a proposé une périodisation séculaire de l’histoire, correspondant à un cycle de trois générations qui s’influencent les unes les autres, et qui correspond à la réalité démographique du XIXe siècle. Les jeunes sont éduqués par des parents encore en contact avec la génération antérieure, qui marque ainsi par contact direct deux générations successives. La séquence du siècle refléterait le lien naturel entre trois générations qu’imprime à toute jeunesse la marque des conversations avec les vieillards. Les impressions d’enfance conserveront l’expérience transmise par deux générations antérieures et imprégneront les actions de la vie adulte. Ainsi se crée la permanence des idées au cours du siècle. Une telle analyse rejoint les interrogations actuelles sur l’extension des familles multigénérationnelles, et la prolongation de la durée de compagnonnage entre générations, sans précédent dans l’histoire, mais dont on mesure encore mal les conséquences.
G. Ferrari établit un cycle plus complexe des changements politiques déployés sur quatre générations : une génération de précurseurs, une génération révolutionnaire suivie d’une réactionnaire et enfin une génération résolutrice. J. Dromel se concentre surtout sur l’alternance résultant de l’opposition inhérente à deux générations successives, les périodes de l’histoire allant toujours par deux, l’une en réaction à l’autre, comme la Révolution et l’Empire.
C’est une même vision unidimensionnelle des changements qui guide O. Lorenz dans une recherche tout aussi naïve de lois qui découleraient de la succession des générations, mais, dans un autre registre, celui de l’hérédité. Il tente d’établir (sans résultat concluant) une correspondance entre les générations de l’histoire et les séries généalogiques des familles régnantes ou des grandes familles bourgeoises en Allemagne.
Dans une autre perspective, son compatriote G. Rümelin écrit son essai sur le concept et la durée d’une génération en distinguant deux sens au terme de génération: les hommes vivant actuellement et la distance entre ascendants et descendants. Il définit statistiquement la durée d’une génération à partir de la moyenne des différences d’âge entre pères et fils au cours d’une période donnée (les femmes n’avaient pas encore acquis de statut dans la statistique démographique). La recherche de G. Rümelin, par l’usage qu’il fait de la généalogie et par ses mesures portant sur la nuptialité et la fécondité, ouvre la voie de la démographie historique dont la première étude recensée se fonde sur la reconstitution des familles.
Une nouvelle orientation dans la conception des générations est inaugurée par W. Dilthey selon lequel, si la génération désigne d’abord un certain espace de temps, c’est une notion subordonnée à celle de la vie humaine et qui permet d’évaluer le temps de l'« intérieur ». Il lui accorde une autre signification et c’est là son principal apport : la génération désigne un rapport de contemporanéité des individus. Dilthey met l’accent sur les liens qualitatifs qui unissent les membres d’une même génération, idée depuis largement acquise : les individus qui ont en quelque sorte vécu ensemble, subi les mêmes influences, sont rattachés par des liens plus étroits, ils font partie de la même génération. Il restreint fortement la définition d’une génération en limitant sa composition à ceux qui subissent dans leurs années de plus forte réceptivité les mêmes influences directrices. Ainsi définie, «…la génération forme un cercle assez étroit d’individus qui, malgré la diversité des autres facteurs entrant en ligne de compte, sont reliés en un tout homogène par le fait qu’ils dépendent des mêmes grands événements et changements survenus durant leur période de réceptivité ». Dilthey ne traite guère des aspects quantitatifs de la succession des générations, il considère cependant, à l’instar des positivistes, que la continuité des générations donne accès à la structure des événements spirituels et culturels de l’histoire. L’influence décisive de Dilthey se manifeste par la prise en compte nouvelle de la dimension du temps intérieur et de l’expérience subjective pour identifier une génération.
Malgré des conceptions très différenciées de l’histoire, le progrès continu chez Comte, l’intervention de l’ordre et du hasard chez Cournot, la finalité de la liberté humaine chez Dilthey, ces auteurs s’accordent néanmoins à faire de l’évolution de l’esprit humain le moteur principal de l’histoire. Dans cette optique, les générations sont surtout considérées dans leur capacité à agir sur les systèmes de connaissance, les progrès scientifiques ou les progrès de la pensée politique ; pour cette raison, la phase de vie significative retenue pour la prise en compte de la durée d’une génération est celle qui va de 30 à 60 ans, au cours de laquelle peut s’exercer une influence sur la pensée d’une époque. L’expression utilisée par Ferrari le symbolise bien, il parle de « naissance et mort sociale » pour délimiter cette période et la distinguer de l’intégralité du cycle de vie.
Dans la perspective historique du XIXe siècle dominée par l’histoire de la pensée, de l’esprit, la succession des générations a été représentée prioritairement par leur contribution à l’actif intellectuel et culturel de la société. Cet héritage se retrouve chez les trois principaux auteurs du début du XXe siècle qui ont élaboré le plus complètement la notion de génération dans sa dimension primordiale qu’est la connaissance, J. Ortega y Gasset en est un représentant typique. Dans la continuité de Dilthey, il approfondit l’analyse du rapport de contemporanéité qui marque chaque génération d’une tonalité particulière. L’homme y est défini par son inscription dans l’histoire, il est son histoire et celle-ci est donnée par sa génération. Le rythme des changements historiques est profondément déterminé par le changement de « sensibilité vitale » d’une génération à l’autre, c’est-à-dire de l’ensemble des systèmes de pensée et des sciences, de ce qu’il appelle « système de vigences ». Ce « monde en vigence », c’est l’esprit du temps, et il trouve sa pleine expression chez Ortega. Ce dernier l’applique à l’analyse qu’il fait de la distinction entre les égaux d’âge, coetaneos, et les autres contemporains, dont les temps vitaux différents produisent l'« anachronisme essentiel de l’histoire ». Ortega passe sans transition de la signification temporelle d’une vie humaine à celle d’une génération. La communauté d’âge, dans un même contexte sociogéographique, entraîne une communauté de destin. Les médiations sociales par lesquelles se réaliserait ce passage sont occultées. La réflexion philosophique fait peu de place à l’analyse sociologique.
Celle-ci est plus présente dans la thèse que F. Mentré consacre aux générations sociales. Tout en adoptant une perspective différente de celle d’Ortega, il valorise néanmoins tout autant les mouvements intellectuels et spirituels qui marquent les générations successives et leur renouvellement. Considérant que les générations scandent les rythmes de l’histoire et que la durée de ces rythmes, tout en étant variable, reste proportionnée à la durée des êtres, Mentré distingue quatre principaux niveaux de succession, les générations sociales, les générations familiales, les générations spirituelles et les générations historiques. À partir de l’observation des changements sociaux, qui caractérisent les « générations sociales », il observe qu’une génération apparaît tous les dix ans et dure trente ans, ce qui entraîne une coexistence, à un moment donné, de plusieurs générations sociales, au moins trois si on ne considère que celles qui atteignent un âge mûr de 30 à 60 ans. Trente ans représentent aussi la phase familiale et l’intervalle qui sépare deux générations consécutives dans la famille. Mentré distingue les générations familiales, qui se succèdent tous les trente ans, des générations sociales au rythme accéléré, tous les dix ans. Il introduit une troisième catégorie, la plus originale : la génération spirituelle. Les progrès des connaissances humaines ne s’accomplissent pas avec régularité mais par soubresauts, leur discontinuité résultant de leur mécanisme même : les avancées sont effectuées par des « écoles » qui n’ont rien d’officiel. Elles correspondent à ce que l’auteur appelle les « séries », groupements volontaires essentiellement novateurs, par opposition aux institutions formelles, officielles. Il qualifie une « école » de « génération spirituelle ». La « génération historique » correspond quant à elle à une période de création et d’effervescence et s’oppose aux années stériles que sont les périodes de transition, les périodes confuses intermédiaires entre deux générations historiques, car les rythmes de l’histoire ne recoupent pas la succession des générations. Les distinctions qu’il opère ainsi ne le conduisent cependant pas à renoncer à l’idée comtienne d’une régularité des rythmes basée sur le rythme biologique de renouvellement de la vie. La variété des rythmes est en effet déduite du rythme naturel par subdivision ou multiplication. D’autre part, sa vision unifiée et unifiante d’une génération, symbole de l’esprit national et de son union, limite sa perspective sociologique et la subordonne à une orientation idéologique.
Tout en étant l’héritier de toute cette réflexion, K. Mannheim s’en démarque par une démarche plus sociologique en recherchant les processus sociaux et les interactions sociales qui structurent la succession des générations dans l’objectif de comprendre le changement social. Il reste néanmoins dans l’esprit de ses prédécesseurs, dans les liens qu’il établit entre les générations, la connaissance et l’histoire. Son approche de la notion de génération procède par paliers successifs. Il définit quatre ensembles s’incluant successivement : de la « génération potentielle » à la constitution d’un mouvement représentant son actualisation en « génération effective » qui produit des « unités de génération » dans lesquelles existent des « groupes concrets » le passage de l’un à l’autre est conditionné par des processus sociaux faisant intervenir le changement social et les interactions sociales.
La génération n’est pas un groupe concret dont les membres seraient unis par des liens réciproques comme la famille, la tribu, les associations… L’appartenance a une génération « potentielle » est fondée sur le rythme biologique de l’existence, avec sa durée limitée et son vieillissement. Elle n’en découle pas pour autant, car elle relève de phénomènes sociologiques qui sont certes en interférence avec les données biologiques, mais n’en sont pas déductibles. Être né à une certaine date ne procure en soi aucune appartenance collective, sinon d’ordre démographique, mais assigne à un « positionnement » dans le processus historique. Mannheim établit ainsi une analogie avec la classe sociale tout en précisant qu’il s’agit de réalités différentes mais avec une certaine ressemblance structurelle. Une telle référence lui permet d’illustrer les potentialités inaugurées par la « position » de génération. Comme toute position sociale, elle conditionne l’accès aux produits culturels de la société dans des limites restrictives et selon des modes d’appropriation spécifiques. Le prolétariat n’a accès qu’à une partie de l’héritage culturel de la société et d’une manière qui lui est propre. La position dans le processus historique prédispose à des modèles d’expériences, de pensée, produits par les « données naturelles » de la transition d’une génération à l’autre, ce qui n’est qu’un des déterminants des conduites, la structure sociale ne pouvant être ignorée dans toute analyse du problème des générations. Ces potentialités peuvent ou non être actualisées dans une participation au processus historique, de même que la position de classe peut ou non donner naissance à la « conscience de classe ». En conséquence, on ne peut parler de « génération effective » que dans la mesure où se crée un lien entre les membres d’une génération. Ce lien résulte, selon Mannheim, d’une exposition commune aux symptômes sociaux et intellectuels du processus dynamique de déstabilisation, ce qui veut dire que l’occurrence des changements est nécessaire à l’établissement de liens créateurs d’une génération effective.
Dans chaque génération effective existe un certain nombre d’unités différenciées, antagonistes, « les unités de génération ». Les membres de ces unités sont liés par des attitudes fondamentales intégratrices et des principes formateurs qui sont des forces de socialisation dans une société ; ils forment une sorte de communauté spirituelle tout en étant dispersés dans l’espace, ils présentent des affinités dans la manière dont ils sont formés par leurs expériences communes. Mannheim donne l’exemple de l’Allemagne des années 1800 où, dans la même génération, des jeunes « romantiques conservateurs » et « libéraux-nationalistes » représentaient deux formes opposées de réactions aux mêmes conditions historiques, formant des « unités de générations » distinctes. Enfin les groupes concrets, dans lesquels s’exercent des influences directes et réciproques, les « minorités actives », produisent des attitudes intégratives. des idéologies qui s’en détachent ensuite pour devenir la force constituante d’une plus large unité.
Le processus de changement, et c’est là l’idée centrale de Mannheim, résulte de l’émergence continuelle de nouveaux groupes d’âge, de leur « contact neuf » avec l’héritage culturel accumulé. Les idées, les valeurs, les comportements changent à travers l’enchaînement successif des générations, l’arrivée continuelle de nouveaux participants et le départ continu des anciens. Chaque génération ne participant qu’à une séquence limitée du processus historique présente une « stratification de l’expérience ». Les premières impressions tendent à se cristalliser dans une vision du monde qui orientera les significations des expériences ultérieures. Il semble que Mannheim accorde là une trop grande importance à la phase de la jeunesse pour la formation des idées des modes de pensée. Il minimise la force des influences ultérieures, reçues pendant toute l’existence, qui peuvent à leur tour agir sur les premières impressions. Il reste néanmoins que les différentes générations en présence ont des orientations différentes et ne sont pas polarisées sur les mêmes combats (internes ou externes). Les tensions entre générations se résolvent dans des compensations réciproques entre visions différentes dans une dialectique des générations. Le choc en retour des problèmes des plus jeunes sur les plus âgés est d’autant plus fort que s’accroît le dynamisme de la société. Cependant, une société dynamique tend à accroître la réceptivité des vieux vis-à-vis des jeunes. Mannheim souligne ici la capacité d’élasticité d’esprit susceptible d’être acquise par l’expérience : dans certains domaines, les plus âgés feraient preuve d’une plus grande adaptabilité que les générations intermédiaires qui ne sont pas encore parvenues à renoncer à leur vision originaire du monde formée au cours de leur jeunesse.
L’actualisation d’une génération potentielle en génération effective ne se fait pas systématiquement elle obéit aux conditions historiques. L’accélération du changement social est un facteur important pour la réalisation des potentialités inhérentes à la position de génération. Mannheim établit le lien entre la théorie du changement social et le concept de génération grâce à la notion de « nouvel accès » à la culture. L’importance de ce point a été soulignée par L. Rosenmayr dans ses travaux de sociologie de la jeunesse qui y a cependant apporté des nuances en montrant que ce phénomène ne peut être généralisé à l’ensemble des jeunes : le nouvel accès implique une qualité particulière de sensibilité chez les jeunes et correspond à une certaine forme de développement privilégié de l’adolescence et de la jeunesse inégalement réparti entre les strates sociales. Rosenmayr précise, en outre, que si les groupes de jeunes sont effectivement les plus réceptifs au changement social, ils n’en sont pas nécessairement à l’origine.
Le changement social ouvre aux jeunes les possibilités de « contact neuf », qui signifie également que certains changements sociaux gagnent une force politique dans ce processus de renouvellement des générations qui intensifie les brèches du système social. C’est ainsi qu’un contexte national et international de crise favorise l’adoption par les générations montantes de valeurs et d’idéaux qui apporteront le changement social. Mannheim réintroduit par ce biais le processus historique de longue durée dans le phénomène de succession des générations ; chaque « entéléchie » de génération s’intègre dans un courant plus vaste qui constitue l'« esprit de l’époque », résultante des interactions dynamiques entre les générations effectives qui se succèdent en séries continues. Dans cette perspective historique, Mannheim inscrit sa théorie des générations dans sa sociologie de la connaissance les générations découlent du changement social, elles sont caractérisées par des idées qui expriment des moments ou des classes historiques.
L’importance de cette contribution de Mannheim ne s’est affirmée que tardivement, après une éclipse de l’intérêt pour la notion de génération de près de trois décennies, tenant sans doute largement à la faiblesse de sa pertinence en histoire. La recherche de cycles de générations a cédé la place à celle des cycles économiques ; la pluralité des temporalités a relayé la temporalité à l’échelle de la vie humaine qu’implique la mesure du temps historique par générations. Cette temporalité reste cependant effective dans le domaine des idées, de la connaissance dont l’évolution est compatible avec la succession des hommes et des œuvres. Le recours à la notion de génération s’est perpétué en histoire des sciences, de l’art, de la littérature, avant d’être à nouveau à l’honneur dans les réflexions sur la jeunesse à partir des années 50, puis plus largement dans les sciences sociales.





Les générations  Liens et ambivalences :
une approche sociologique 

Kurt Lüscher

La notion de génération est sur toutes les lèvres. Mais il suffit de jeter un coup d’œil sur des titres de livres récents pour voir que ce mot est utilisé dans des sens divers. Ainsi, une évocation de la génération des soixante-huitards se référera à un événement historique, au mouvement social qui s’y rapporte et dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Avec un titre du genre « La génération sandwich », on est par contre loin de l’acception socioculturelle précédente : cette approche découle d’une perception des individus insérés dans des constellations de générations familiales. Ce terme désigne la génération pivot dont on admet qu’elle a des obligations (financières) tant envers ses enfants qu’envers ses parents. Le lien entre ces deux acceptions est double : il met l’accent sur les rôles joués au sein de la famille et indique que ces rôles sont le fruit d’évolutions démographiques. Plusieurs ouvrages récents, parus en allemand sous le titre « Generation Golf » et plus récemment « Generation Golf II », abordent le bien-être social et culturel de jeunes adultes entre 30 à 40 ans principalement dans une perspective masculine, le pendant féminin étant la « Generation Ally ». Mais lorsqu’on étudie la notion de « génération », on se penche aussi sur une « condition fondamentale de nature anthropologique et pédagogique ».
Historique de la notion – Proposition de définition
Ces acceptions différentes ont-elles des points communs ? Un coup d’œil sur l’évolution de cette notion du point de vue historique n’est pas inutile. On s’aperçoit que son développement s’articule en trois époques qui correspondent à des systèmes de références spécifiques : la première s’oriente d’après la généalogie, la deuxième mise sur la pédagogie, la troisième sur l’aspect culturel.
La première époque s’étend de l’Antiquité au Moyen-Age. On cherchait alors à comprendre le présent en se référant au passé ou à la tradition. On procédait par analogies pour créer des passerelles entre la structure temporelle d’une vie humaine et celle de l’évolution d’une société. La voie empruntée passait par la famille et la parenté, donc par la généalogie. A cette époque, on était déjà conscient de l’importance que revêt la transmission du savoir de génération en génération, et les bases d’une compréhension pédagogique des relations intergénérationnelles étaient posées.
Cette tendance s’accentue durant la deuxième époque, celle qui commence avec la Renaissance. Le terme de génération est essentiellement utilisé pour évoquer l’avènement d’un futur nouveau et ouvert. Le progrès avance au rythme des générations. L’attention est focalisée sur la créativité et les personnalités brillantes, artistes ou scientifiques surtout. Si la notion de génération se teinte de pédagogie, c’est parce qu’on imaginait, dans l’esprit d’Emmanuel Kant, que l’éducation ne cesserait de s’améliorer et que chaque génération ferait faire à l’humanité un pas de plus sur la voie de la perfection. Cette idée se concrétise dans la conception selon laquelle tout savoir se transmet dans le creuset des générations.
L’époque contemporaine peut être comprise comme le passage vers une troisième époque. Pour l’homme et la femme d’aujourd’hui, miser sur l’avenir est une démarche aussi incertaine et suspecte que de chercher ses marques dans le passé. Mais la perte de toute certitude a aussi contribué à élargir l’horizon de la notion de génération : la succession des générations au sein de la famille est mise en relation avec cette même succession au sein de la société.
On notera encore que de tous temps, la notion de génération a été marquée par la masculinité, bien que dans la réalité quotidienne, ce soient les femmes qui éduquent, elles qui tissent les liens entre les générations, du moins au sein d’une même famille comprenant aussi la parenté. Le changement contemporain dans la manière de concevoir la répartition des rôles entre les sexes compte pour beaucoup dans l’intérêt porté aujourd’hui à la question des générations. Il ne fait aucun doute que les deux questions sont étroitement liées.
Mais quel est le point commun entre les différentes notions de génération et le vécu des générations visées par ces termes ? Toutes se rapportent plus ou moins explicitement à des représentations d’identités collectives ou individuelles. Ce qui nous permet d’avancer la définition suivante : le concept de génération permet de caractériser les personnes ou les collectivités en fonction de leur position sociale et temporelle dans une société donnée, un État, une organisation sociale ou une famille et de leur attribuer une identité spécifique (« identité générationnelle »). Cette dernière s’exprime par le fait que toute personne a un système de références sociales, des perceptions, une volonté et une action propres aux individus caractérisés par une certaine année de naissance, une classe d’âge, ou par la durée d’affiliation à une société X ou encore par l’interprétation d’événements historiques.
La question des générations aujourd’hui
Lorsqu’on parle de générations, c’est la plupart du temps pour évoquer une mission dont la durée dépasse celle d’une génération, à savoir le temps qu’il faut pour relier l’évolution de l’identité à un contexte social en mutation. L’effort tend en plus à définir la capacité d’un individu à agir, seul ou collectivement, à identifier les facteurs incitatifs et ceux qui freinent l’action. De ce fait, la question des relations entre les générations passe au premier plan. Toutes les sociétés tendent à réguler l’agencement de ces relations, ce qui, en généralisant, se traduit par un code intergénérationnel. A l’échelon micro-social, ce sont les modalités de l’interaction qui procèdent à cette régulation et à l’échelon macro-social, les principes de la politique des générations.
Contexte sociétal et relations intergénérationnelles
L’histoire de cette notion montre clairement que l’acception généalogique – ce code intergénérationnel qui structure les générations au sein de la famille et de la parenté – est un point essentiel dans la compréhension de la dynamique des générations. Non seulement les bases biologiques y sont créées à l’interface du comportement de reproduction et des rapports entre les sexes, mais il s’avère aussi que la manière dont les générations s’organisent au sein de la famille se reporte sur la société, en même temps que le code intergénérationnel familial est influencé par le contexte sociétal. Ces interactions sont très visibles actuellement.
Aujourd’hui, la notion de génération est au cœur d’un débat sur le vieillissement qui brandit le spectre d’une guerre des générations. A première vue, la situation est effectivement impressionnante. Depuis 1870, l’espérance de vie moyenne a quasi doublé. La régression de la mortalité infantile durant les premières années de vie a contribué à modifier la perception que l’on a de l’enfant ; elle a aussi eu un impact sur le recul des naissances. Ces évolutions se reflètent sur la structure démographique qui n’a plus la forme d’une pyramide, mais se rapproche de celle d’une maison dont les trois premiers étages (âges de la vie) ont à peu près la même taille.
Liens familiaux intergénérationnels : potentiels et limites
Il faut d’ailleurs être bien conscient que cette évolution de la structure démographique se traduit par un potentiel plus important de relations entre trois, voire quatre générations. Il est bien plus probable, aujourd’hui, que la majorité d’entre nous se situe dans une chaîne générationnelle de trois ou même quatre maillons, que ce n’était le cas il y a cinquante ou cent ans. Autre constat, le nombre des personnes âgées qui nécessitent des soins est en augmentation. Pourtant, l’âge à partir duquel une personne ne peut plus prendre soin d’elle même en toute indépendance recule, lui aussi. On voit donc que l’évolution ne suit en aucun cas une progression linéaire, bien au contraire dans certains cas.
Dans ces conditions, le rôle de la famille en tant qu’instance d’intégration pour la société s’accroît. Son impact ne repose pas sur la force de rayonnement de l’institution en tant que telle, mais sur la grande diversité des relations et leur agencement qui, d’ailleurs, peut aussi se solder par un échec. L’évolution que connaît la grand-parentalité est un exemple très parlant. Jamais encore, le nombre des petits-enfants qui ont eu plusieurs de leurs grands-parents jusqu’à l’adolescence ou à l’âge adulte n’a été aussi élevé. Ce nombre croît encore si l’on inclut les familles recomposées, en forte hausse elles aussi. Notons toutefois que jamais non plus autant de grands-parents n’ont eu un aussi petit nombre de petits-enfants à se partager. Si la baisse de la natalité, voulue ou non, se poursuit, cela induira d’autres changements encore.
La situation actuelle présente un risque certain : celui d’idéaliser les relations familiales intergénérationnelles. En période de fragilité identitaire et de bouleversements sociétaux, il est tentant de chercher des modes de vie qui peuvent servir de champ de projection aux aspirations de chaleur humaine, d’harmonie et d’évolution prospère. Maintenant que la famille « traditionnelle » ne peut plus, vu la multiplicité des modes de vie, répondre à ces besoins, c’est le réseau relationnel intergénérationnel qui prend le relais. La « solidarité familiale » a passé au rang de notion phare.
La recherche doit cependant corriger cette vision idyllique en fonction des nombreuses expériences quotidiennes. La situation peut être résumée comme suit :
Il y a souvent des contacts entre les trois générations qui constituent une famille ; les transferts peuvent prendre la forme d’échanges de vues, de soutien financier et de services réciproques. Globalement, il semble que le flux de prestations soit plus important des plus âgés vers les plus jeunes qu’inversement. Mais toutes les familles n’entretiennent pas des contacts intenses, loin de là. On constate aussi des différences selon la période de vie.
Le fait d’entretenir des contacts étroits et fréquents ne signifie nullement que ces contacts soient dépourvus de tensions. L’estime, le soutien et la solidarité ont leur pendant : le mépris, la négligence, la maltraitance.
On voit donc que ni la solidarité ni les conflits, ni l’amour ni la haine, ni la proximité ni l’éloignement ne suffisent à eux seuls à qualifier la spécificité des relations intergénérationnelles au sein de la famille ou de la société. Les rapports entre les générations oscillent entre des pôles antagonistes.
Approches de l’ambivalence
Le concept de l’ambivalence décrit précisément ces tensions entre deux pôles. Il énonce que des relations qui peuvent être d’importance pour la constitution d’une identité personnelle (c’est le cas des relations intergénérationnelles) peuvent se caractériser à la fois par la dépendance et l’autonomie, par le sens des responsabilités et l’égoïsme. Sur le plan personnel, ces valeurs (vécues) sont la haine et l’amour, la proximité et la distance. Et transposées à l’échelon institutionnel, on a affaire à une exigence de loyauté tant face au passé que face à l’avenir, à une valse hésitation entre le besoin de stabilité et celui de changement.
Les relations intergénérationnelles familiales sont quasiment prédestinées au ressenti de l’ambivalence. D’abord parce qu’elles durent toute une vie et qu’on ne peut entièrement les dénouer, deuxièmement parce qu’elles sont en général marquées par l’expérience d’un côtoiement intime, et troisièmement parce que c’est dans ce contexte que l’on vit avec le plus de passion l’écart entre le rêve et la réalité et que l’on en débat. On notera cependant que l’expérience de l’ambivalence n’a certes pas que de mauvais côtés, qu’elle fait même presque partie du destin de l’homme. Reconnaître en soi les ambivalences et apprendre à composer avec elles peut favoriser un processus de mûrissement intérieur et renforcer la cohésion sociale. L’attitude face à l’ambivalence est multiple ; on peut en distinguer quatre :
La réponse de type « solidaire » se caractérise par un soutien fiable, voire par la disposition à fournir des prestations intergénérationnelles non nécessairement remboursables. Ce soutien recourt à l’autorité non pas par la prise unilatérale d’influence ou de pouvoir, mais en agissant à la place de la personne et par empathie. Dans ce contexte qui privilégie fortement la communauté d’intérêts, l’ambivalence est refoulée.
Dans la version « émancipation », les circonstances qui prédominent montrent des liens émotionnels ainsi qu’une ouverture aux changements institutionnels. Le développement personnel est considéré comme un but vers lequel tend chacun, sans pour autant que les individus perdent de vue les liens de réciprocité et d’interdépendance. Dans la mesure où elles sont reconnues comme telles, les ambivalences sont discutées.
L’« atomisation » désigne un modèle selon lequel la cohésion familiale ne semble pas ou plus assurée par les liens institutionnels ni par les expériences subjectives issues de l’histoire vécue ensemble. Cette notion rend évidente la fragmentation du noyau de la « famille » en ses (plus petits) éléments constitutifs, ses membres, qui ne partagent plus rien, si ce n’est la réalité intangible d’être parents ou enfants. Les ambivalences ne sont pratiquement pas perçues.
Dans le modèle dit de la « captivation », l’appartenance à une famille justifie qu’un camp présente des revendications à l’autre camp et exige si possible satisfaction. Il en résulte une fragilisation des rapports, avec passage constant de la subordination à la domination, et un sentiment de dépendance réciproque. En appeler au sens moral, ou contraindre les individus à en faire preuve : telles sont les caractéristiques de ce modèle dans sa gestion de la prise d’influence ou de pouvoir. Les ambivalences sont fortement ressenties, mais elles ne font l’objet ni d’une réflexion, ni de discussions.
Notre compréhension actuelle de la problématique des générations inclut la diversité des définitions et des acceptions, sans oublier le rapport entre la théorie et la pratique. Les relations entre les générations ne sont pas un phénomène naturel, c’est faire œuvre civilisatrice que d’y travailler dans le cadre restreint des interactions humaines. Le fait de reconnaître l’existence de champs de tension et d’ambivalences peut se traduire par un soulagement ; cela peut même être le premier pas vers des solutions créatives du point de vue social. Pourtant, la théorie des générations confirme aussi que le privé est aussi toujours le reflet de l’ordre public, du vivre ensemble. C’est dans cette perspective que se place le souhait d’une véritable politique des générations, qui engloberait la politique de l’enfance et celle de la vieillesse, la politique de l’éducation et celle de la famille, ainsi que la politique économique. Chacun de ces domaines de la politique a ceci de particulier qu’il est supposé créer des conditions sociétales telles que la justice et le sens des responsabilités puissent être mis concrètement en pratique dans une coexistence non exempte de tensions entre générations.



Vieillesses d’hier et d’aujourd’hui :
nouvelles relations entre générations
L’exemple de l’AVS en Suisse

Hermann-Michel Hagmann


Parmi les enjeux démographiques auxquels les sociétés européenne et suisse seront confrontées au tournant du troisième millénaire, celui des nouvelles relations entre générations, entraînées par le vieillissement démographique, est central.
La problématique sera d’abord évoquée par la présentation de quelques points de repère historiques. Puis elle sera illustrée par l’exemple d’un système de retraite, celui de l’AVS en Suisse, prolongé par diverses perspectives d’évolution.
Vieillesses d’hier et d’aujourd’hui
Le quantitatif et le qualitatif
Parmi les multiples variables qui ont contribué à l’émergence du phénomène « vieillesse» dans nos sociétés contemporaines, le facteur démographique en est certainement le plus visible, le plus irréfutable. Mais la question de base est de savoir quelle place et quel poids lui donner.
Selon certains, l’accroissement du nombre de personnes âgées est la cause principale de l’acuité du problème de la vieillesse dans les pays industriels avancés. Sans le vieillissement démographique et l’augmentation de l’espérance de vie, disent-ils, la question des personnes âgées ne se poserait guère.
Pour d’autres, c’est avant tout notre type de société qui est responsable de l’exclusion de tous ceux qu’elle marginalise. Et la condition faite aux personnes âgées n’est que la résultante du statut que nous leur accordons. Les changements qualitatifs intervenus dans les rôles et fonctions des vieux seraient donc à l’origine de la nouvelle problématique de la vieillesse. Le grand nombre de personnes âgées, affirment-ils, n’est pas un problème en soi. Tout au plus peut-on en parler comme d’une circonstance aggravante et non pas comme d’une cause.
Pour se faire une opinion, regardons d’un peu plus près quelques chiffres. En moins d’un siècle, le pourcentage des plus de 65 ans triple en passant d’environ 5 % à 15 % aujourd’hui.
Pour l’essentiel, et jusqu’à une époque récente, l’augmentation de la proportion des plus de 65 ans provient de la baisse de la natalité. La diminution de la mortalité a en effet profité autant, sinon plus, aux classes d’âges jeunes : elle a eu pour résultat de dilater la pyramide des âges à tous les échelons sans changer, ou très peu, la proportion des classes d’âge entre elles.
Mais depuis plusieurs années, ce raisonnement mérite d’être fortement nuancé. En effet, l’évolution récente de la mortalité fait apparaître de nouveaux gains de survie aux âges élevés. Au vieillissement par la base, provoqué par la baisse de la natalité, s’ajoute un vieillissement par le sommet. Ce mouvement était certes attendu, bien que les progrès récents de la lutte contre la mort soient encore plus rapides que prévu.
Les chiffres du tableau 1 confirment cette évolution qui va logiquement peser dans le débat entre partisans du « quantitatif» et ceux du « qualitatif». Jusqu’à une époque récente, les défenseurs de la thèse du qualitatif pouvaient légitimement prétendre que l’allongement de la durée de vie moyenne provenait avant tout de la baisse de la mortalité infantile et juvénile.
À partir de l’âge adulte, disent-ils, les chances de survie n’ont pas beaucoup changé, car il y avait déjà des septuagénaires et des octogénaires dans les sociétés du passé…
Tableau 1 : Espérance de vie en Suisse, selon l’âge et le sexe
AgeSexe masculinSexe féminin
0 651881-881988-89Différence1881-881988-89Différence43,3
9,774,0
15,4+ 30,7
+ 5,745,7
9,980,9
19,6+ 35,2
+ 9,7
En fait, ce type de discours ne reflète plus tout à fait la réalité. L’espérance de vie à 65 ans, par exemple, n’a pas augmenté « que» de quelques années, comme on le dit parfois encore un peu légèrement, mais bien de plus de 50 % pour les hommes et de 100 % pour les femmes en moins d’un siècle.
Cette augmentation est considérable. L’allongement se produit à tous les âges, et l’augmentation des 65 ans et plus induit naturellement celle des 80 ans et plus, avec une accumulation relative et progressive aux âges avancés. Les gains récents de mortalité vont encore accentuer le phénomène : c’est ainsi, par exemple, que les femmes suisses, dans la période 1968-1973, avaient une « chance » sur quarante d’atteindre 95 ans ; pour la période 1988-1989, c’est une chance sur douze !
La classe d’âge 65 ans et plus est, en fait, trop générale pour l’analyse. Cela nous amène à observer de plus près la question de la catégorisation par âge.
La catégorisation par âge
Dans toute société, l’individu traverse diverses étapes et exerce différents rôles au cours de son existence. Or ces rôles sont liés d’une façon générale à l’âge biologique de la personne. Les contraintes naturelles font qu’il y a un âge pour être enfant, un âge pour procréer, un âge pour travailler, un âge pour mourir… Mais pour chacun de ces rôles, l’âge peut différer selon les sociétés.
Cette différenciation culturelle joue également pour les personnes âgées, qui n’ont d’ailleurs pus toujours été regroupées en classes d’âge dans les sociétés traditionnelles, Par contre, dans les sociétés industrielles avancées, de par notamment l’avènement de la retraite, la vieillesse se définit en classes d’âge bien distinctes. On a pu dire que l’institution de la retraite avait créé la vieillesse. Même si toute comparaison quantitative avec les sociétés non industrielles doit être relativisée, la coupure entre l’âge biologique et l’âge culturel dans nos sociétés contemporaines est de plus en plus nette.
Elle ne doit pourtant pas nous faire oublier la grande diversité des situations des personnes âgées et de leurs sous-catégories d’âge. Ainsi, par exemple, dans le vieillissement démographique actuel, l’évolution de la classe d’âge 80 ans et plus est à suivre attentivement pour des raisons évidentes (état de santé plus déficient, risque d’isolement, etc.). Il est d’ailleurs significatif que dans la littérature démographique les « grands» vieillards se définissent de plus en plus par la catégorie 80 ans et plus, au lieu de 75 ans et plus.
Or, que constate-t-on ? De 15 000 en 1888, le nombre d’octogénaires passe de 111 000 en 1970, et à 244 000 à fin 1989 ! Là également, les tenants de la thèse du quantitatif marquent un point. Ainsi, dans nos sociétés contemporaines, la question du nombre des personnes âgées ne peut être sous-évaluée. Si l’aspect qualitatif demeure essentiel, il paraît un peu court de dire que le nombre n’est qu’un facteur aggravant du problème de la vieillesse.
La fin du XIXe siècle fera apparaître en Europe les premiers signes des aspects à la fois quantitatifs et qualitatifs du vieillissement démographique, Mais c’est surtout dans la seconde moitié du XXe siècle que le phénomène s’est précisé et amplifié. Certains ont pu dire que jusqu’au XVIIIe siècle la vieillesse était le plus souvent un accident heureux. Aujourd’hui et demain, la problématique est renversée et la vieillesse banalisée : plus de quatre nouveau-nés sur cinq dépasseront largement les 65 ans.
Certes, il faudrait encore relativiser la notion de « vieillesse »: était-on, par exemple, plus « vieux» à 50 ans au XIX siècle qu’aujourd’hui à 65 ans ? Comment définir la vieillesse ?
Le tableau 2 illustre bien le relatif arbitraire du découpage traditionnel des classes d’âge. En 1900, la proportion de 5 % de la population âgée de 65 ans et plus avait encore une espérance de vie de 10 ans. Aujourd’hui, avec ce dernier critère, le vieillissement masculin serait de 7 % au lieu de 12 % et le féminin de 7 % au lieu de 17 % !
Tableau 2 : Proportion de personnes « âgées », selon deux critères : âge et espérance de vie
PériodesHF65 +Esp. de vie
à l’âge x = 1065 +Esp. de vie
à l’âge x = 101900 1940 19905% 8% 12%5% 5% 7%6% 9% 17%6% 6% 7%
Le calendrier familial
L’analyse historique démontre donc que les vieux sont à la fois nettement moins nombreux (3 à 5 % de 65 ans et plus, selon les communautés, avec de fortes variations chronologiques) et nettement moins âgés dans les sociétés non industrielles. Le réseau familial des personnes âgées d’aujourd’hui a ainsi subi une profonde transformation. Pour l’illustrer, nous présentons ci-après la vie d’un père de famille moyen en Suisse au XVIII siècle et à notre époque.
Au XVIII siècle, le père de famille moyen naît dans une famille de cinq enfants, et lui-même sera père de cinq enfants, dont deux seulement seront toujours en vie à l’heure de se mort. Cet homme vivait jusqu’à un peu plus de 50 ans en moyenne, et voyait mourir un seul de ses grands-parents (les trois autres étant morts avant sa naissance) et trois de ses enfants. Ainsi, hier, dans plus d’un cas sur deux, la mort des enfants en bas âge les faisait disparaître avant leur père, et l’âge moyen des enfants à la mort de leurs deux parents était de 15-16 ans.
Pour des raisons démographiques évidentes, « l’art d’être grand-père» ne pouvait en fait être durablement cultivé que par une toute petite minorité.
Pour notre époque, l’existence du père de famille moyen peut se décrire de la façon suivante : à sa naissance, trois de ses grands-parents sont vivants, ainsi qu’un ou deux arrière-grands-parents, qui meurent dans sa petite enfance. Ses grands-parents meurent au cours de l’adolescence et au début de la vie active. Lorsqu’il fonde une famille, il a encore ses deux parents qu’il perd vers la cinquantaine, où il lui reste une espérance de vie de plus de 25 ans. Il hérite alors et établit ses deux enfants. Ses petits-enfants, eux, naissent quand il a environ 60 ans ; il prend ensuite sa retraite et, s’il s’agit d’une femme, elle assiste à la naissance d’arrière petits-enfants peu avant de mourir.
Autrefois, la génération des pères disparaissait pendant que celle des fils s’installait. Les parents laissaient littéralement la place à leurs enfants.
Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, deux générations d’adultes coexistent d’une façon durable. À elles s’ajoute une troisième génération, celle qui achève de s’effacer eu moment de l’apparition de ses arrière-petits-enfants.
Ainsi donc, alors que notre époque parle beaucoup de risque d’éclatement de la famille, l’évolution démographique en renforce au contraire les structures, en autorisant la coexistence dans le temps d’un peu plus de trois générations. Après avoir donné à la vieillesse la dimension quantitative que l’on connaît, l’évolution démographique semble, dans le même temps, avoir développé son propre antidote en offrent de nouvelles chances de solidarité par la coexistence dans le temps de plusieurs générations.
Mais alors, si le réseau familial, sur un plan individuel, retrouve certaines potentialités, le vrai test de solidarité ne se situe-t-il pas, sur un plan sociétal, dans les relations intergénérationnelles ?
Nouvelles relations entre générations et systèmes de retraite
Entre la démographie, science de la vie... et de la mort des populations, et la sécurité sociale, science de la couverture solidaire des risques de l’existence, les interdépendances sont à la fois nombreuses et complexes.
Pour les illustrer, l’examen de l’impact de l’évolution démographique sur les systèmes de retraite, au travers notamment de l’exemple de l’AVS en Suisse, nous servira de fil conducteur. Après l’étude de la situation actuelle, les perspectives à moyen terme d’une part, à long terme d’autre part, seront successivement analysées. Elles déboucheront sur la présentation de propositions d’action.
Examen de la situation actuelle
Depuis le milieu des années 70, l’optimisme qui régnait pendant la longue période de forte croissance économique, a fait place à l’inquiétude. Dans les arguments avancés, les facteurs démographiques sont souvent au premier rang : la triade du vieillissement, de la fécondité déclinante et de l’arrêt de l’immigration est présentée comme une menace sérieuse pour l’avenir du financement des systèmes de retraite.
La Suisse n’échappe pas à ces interrogations, parfois teintées de tentatives de remise en cause de certains acquis sociaux. S’agit-il d’une préoccupation justifiée, ou, au contraire, certains ne font-ils pas preuve d’un alarmisme exagéré?
Le tableau 3 synthétise l’évolution des dépenses de pension dans les sept pays principaux de l’OCDE selon la part attribuable au facteur démographique, à l’élargissement du taux de couverture et à l’amélioration des prestations réelles.
Tableau 3 : Évolution des dépenses de pensions, selon le type de déterminant (taux de croissance annuel réel moyen en %)
PériodesFacteur
démogr.Taux de couverturePrestations réellesTotal1960-75 1975-81 2,4 2,11,8 1,13,8 3,58,0 6,71981-90 (projections)1,40,00,72,1Source : OCDE, Dépenses sociales 1960-1990, Paris, 1985
De 1960 à 1981, c’est l’accroissement des prestations réelles qui a le plus contribué à l’augmentation des dépenses de pension. Le facteur démographique ne devient « prépondérant» que dans l’estimation pour la période 1981-1990, à un taux de croissance toutefois inférieur à ceux des périodes précédentes, au moment où le taux de couverture fait le plein et où les prestations réelles se tassent.
La Suisse, absente du tableau 3, se retrouve dans le tableau 4 qui décrit la situation financière de l’AVS.
Tableau 4 : Situation financière de l’AVS, en milliards de francs
AnnéesProduitsChargesRésultatFonds AVS74 80 86 908,1 10,9 15,8 20,37,3 10,7 15,4 18,30,8 0,2 0,4 2,011,2 9,7 12,7 18,2Source : OFAS, Berne
La situation financière de l’AVS est saine. Contrairement à l’affirmation de certains milieux (il n’y a pas, à l’heure actuelle, de « déficit» de l’AVS. Quant au taux de couverture du Fonds, son insuffisance momentanée, aujourd’hui comblée, provenait de la réduction de la contribution proportionnelle de la Confédération en 1975, à la suite de la récession et de ses conséquences négatives sur l’état des finances fédérales.
Mais le système de répartition choisi pour le financement de l’AVS est dépendant du rapport entre le nombre de rentiers de celui des cotisants, lui-même déterminé par l’évolution démographique. Pour les perspectives qui vont suivre, nous nous basons sur la variante 1 élaborée par notre Commission « Politiques de population»: maintien de la fécondité à la valeur de 1,5 enfant par femme, absence de migration, faible progression de l’espérance de vie. Une meilleure prise en compte de la baisse, récente et conséquente, de la mortalité aux âges avancés aggraverait naturellement nos résultats. À l’inverse, l’introduction d’une certaine proportion de migration nette les améliorerait.
Voyons d’abord comment se développe le rapport actifs/inactifs.
Tableau 5 : Structure par âge, en %
Âges19701985199520100-19
20-64
65 +31,0
57,5
11,524,9
60,9
14,222,0
62,4
15,619,6
61,0
19,4Sources : OFS, Berne, pour 1970 et 1985 — « Les Suisses vont-ils disparaître » pour les perspectives
À l’encontre de bien des idées reçues, il faut relever que la proportion des personnes d’âge actif s’accroît jusqu’en 1995. Toutefois, ce mouvement de bascule entre la baisse des jeunes et la hausse des vieux n’est pas neutre sur le plan économique et financier. Un retraité représente pour l’État, et dans une moindre mesure pour la société, une charge supérieure à celle d’un jeune.
Selon une étude française, par exemple, le rapport est de 1 pour un jeune à 1,5 (État) et 2,5 (économie globale) pour une personne âgée. Même si l’évaluation peut varier d’un pays à l’autre, en particulier pour le coût d’opportunité du travail de la femme mariée, il peut être admis que la diminution relative des charges de jeunesse ne compense pas l’accroissement des charges de vieillesse.
C’est donc l’analyse du rapport entre la population potentiellement active et les inactifs âgés qu’il convient de retenir ici. Le tableau 6 indique les taux de dépendance : 1 personne âgée pour 5 actifs potentiels en 1970 et pour moins de 4 actifs en l’an 2000.
Tableau 6 : Taux de dépendance 65 + / 20-64
19701985200020 %23 %27 %Source : cf. tableau 5
La détérioration du rapport potentiel entre rentiers et cotisants est réelle. Sur une période de trente ans, elle paraît cependant à première vue supportable et ne justifie guère un alarmisme exagéré.
Mais pour mieux cerner encore les enjeux, il faut examiner les perspectives démographiques à moyen terme, en relation avec l’évolution économique.
Perspectives démographiques à moyen terme et évolution économique
Jusqu’à présent, il a été supposé implicitement que le potentiel démographique se réalisait dans un contexte socio-économique « toutes autres conditions égales par ailleurs». Or, la démographie n’agit jamais seule. Le passage du rapport théorique 65 +/20-64 ans au rapport réel de rentiers/cotisants sera déterminé par de nombreuses variables intermédiaires : le taux de croissance économique, le taux de formation, le taux d’activité par âge, le degré d’activité féminine, le travail à temps partiel, l’égalité des droits hommes-femmes, l’âge de la retraite, l’activité rémunérée des personnes âgées, etc. Par souci didactique, et afin de mieux faire ressortir l’impact théorique de l’évolution démographique, nous rappelons que nous retenons ici l’hypothèse d’une migration nette nulle. L’éventualité d’une relance migratoire internationale sera reprise dans le chapitre « Perspectives et politiques».
Le revenu disponible net
Parmi ces variables intermédiaires, c’est naturellement la croissance économique qui va jouer un rôle majeur et nous permettre d’introduire dans le débat la notion, trop souvent négligée, de revenu disponible net.
Les experts de l’OFAS, par exemple, ont calculé trois hypothèses pour l’évolution prévisible du Fonds de compensation.
Tableau 7 : Évolution du Fonds de compensation
Croissance des salaires réels1 %2 %3 %Fonds en l’an 2000 (en milliards de frs)
Date d’épuisement du Fonds
6,8
2005
22,6
2015
40,6
2030Source : Rapport Bühlmann, Hauser, Schneider et Zweifel, OFAS, Berne, 1984
Si la croissance des salaires réels ne dépassait pas 1 % par an, les réserves du Fonds seraient épuisées vers 2005. Avec un taux de 3 %, la date d’épuisement s’éloigne de 25 ans ! C’est dire l’importance de l’évolution économique pour la maîtrise du surcoût induit par la dégradation prévisible de l’évolution démographique.
Quel taux de croissance convient-il de retenir ? Diverses perspectives, dont celle de l’OCDE, s’échelonnent de 1,8 à 2,7 % (4) ; celles de l’OFS vont de 1 à 2 %.
Notre propre estimation, plutôt prudente, prévoit une croissance annuelle de 1,5 %, reprise dans le tableau 8.

Tableau 8 : Revenu disponible après prélèvement
19852000Salaires réels + 1,5%100125Revenu disponible (après prélèvement AVS et correction démographique)92113Revenu disponible (après prélèvement de 20 % de charges sociales et correction démogr.)8096
Trop souvent, l’argument d’un refus de l’opinion publique face à toute augmentation des prélèvements est avancé sans vérification sérieuse. Ce qui importe en réalité à la population, c’est le revenu disponible net. Dans l’exemple ci-dessus, il passe de 92 à 113 après prélèvement de l’AVS et correction du vieillissement démographique, soit une augmentation de 21 du pouvoir d’achat au lieu de 25, Le gain net demeure appréciable !
Et même si l’on prend une estimation de 20 % de charges sociales totales, et non seulement l’AVS, affectées par la légère dégradation de l’évolution démographique d’ici l’an 2000, l’accroissement du revenu disponible serait encore de 16.
Seulement voilà : l’an 2000, c’est demain. Le démographe se doit de porter son regard au-delà. Si à court et moyen terme l’évolution démographique ne justifie pas une attitude par trop alarmiste, qu’en est-il à long terme ?
Perspectives à long terme
L’horloge du démographe est comparable à celle du forestier. Les facteurs démographiques agissent avec lenteur et en profondeur. Les effets des déséquilibres démographiques actuels se feront donc sentir à long terme.
Voilà pourquoi certaines perspectives seront prolongées jusqu’en 2040, soit l’équivalent d’environ deux générations en démographie. Non dans l’espoir de « prédire» l’avenir, mais dans celui de mieux comprendre les mécanismes socio-économiques actuels. Dans toute perspective, il y a un heureux effet de miroir qui nous renvoie aux problèmes contemporains, avec l’objectif (utopique ?) pour la prévision démographique, une fois lancée, de peut-être s’annuler par elle-même !
Reprenons d’abord, en les complétant, les tableaux 5 et 6 sur la structure par âge et le taux de dépendance.
Tableau 9 : Structure par âge, en %
Âges19852010202020400-1924,919,617,917,320-6460,961,058,954,565+14,219,423,228,2
Tableau 10 : Taux de dépendance 65+ / 20-64
198520002020204023%27%39%52%
Il fallait s’y attendre : le contraste entre les perspectives à moyen terme et celles à long terme est saisissant. Alors que la classe d’âge 20-64 ans chute de 61 % à 54,5 %, celle des personnes âgées grimpe à 28,2 % en 2040. Quant au taux de dépendance, il atteint 52 %, soit moins de deux adultes pour une personne âgée.
La notion de revenu disponible après prélèvement des charges sociales prend alors tout son sens. En prolongement du tableau 8, le tableau 11 illustre bien la croissance considérable des taux de prélèvement après l’an 2000.
Tableau 11 : Revenu disponible après prélèvement
1985200020202040Salaires réels + 1,5% 100125168227Revenu disponible (après prélèvement AVS et correction démographique)92113144184Revenu disponible (après prélèvement de 20 % de charges soc. et corr. démogr.)8096111124Revenu disponible (après prélèvement de 25 % de charges soc. et corr. démogr.)75889799
Pour la seule AVS, le taux de prélèvement s’élève à 19 % en 2040. Pour un niveau de charges sociales à 20 %, le revenu disponible n’est que de 124, malgré un salaire réel à 227. Et si l’on suppose un total de charges sociales à 25 % (en y incluant par exemple de nouveaux besoins sociaux), le revenu disponible stagne à partir de 2020 : la quasi totalité de l’augmentation réelle de revenu est absorbée par la détérioration de l’évolution démographique. On relèvera encore une confirmation de cette dégradation par la chute de l’indice de renouvellement de population d’âge actif.
Tableau 12 : Indice de renouvellement de la population d’âge actif
15-39 / 40-64
19852000202020401,280,940,780,78
Le renouvellement est théoriquement assuré avec un indice d’environ 1,1, valeur qui n’est déjà plus garantie en l’an 2000.
Si l’on ajoute enfin que cette évolution s’inscrit dans le contexte d’une population à la fois vieillissante et déclinante (4,9 millions d’habitants en 2040 !), on comprend sans peine que l’examen des perspectives à long terme amène à une vision totalement différente de celle renvoyée par les perspectives à moyen terme.
Perspectives et politiques
Deux scénarios possibles
Pour mieux dessiner le contexte des perspectives, on peut imaginer deux scénarios :
A : un scénario de population décroissante : maintien d’une fécondité basse (1,5 enfant par femme) avec un solde migratoire nul
B : un scénario de population stationnaire selon deux hypothèses :
B1 : reprise de la fécondité jusqu’à la valeur assurant le remplacement des générations
B2 : maintien d’un solde migratoire positif qui compenserait le déficit des naissances.
Pour en estimer les incidences, la Commission « Politiques de population» a procédé à diverses simulations. Le tableau 13 reprend les variantes A et B1.
Le résultat, bien connu du démographe, demande à être clairement explicité pour le politique. Trop souvent encore, certains ont confusément tendance à amalgamer population stationnaire et population décroissante, alors que l’on se trouve en présence de deux schémas fondamentalement différents.
Tableau 13 : Évolution démographique de la Suisse, selon deux variantes
19801996201020252040Variante APopulation résidante (en millions)
6,3
6,4

6,2
5,7
4,9Indice10010299907865 ans et plus (en %)13,815,619,424,728,2Variante B 1Population résidante6,36,66,8 6,8 6,7 Indice10010510810810665 ans et plus13,815,117,820,720,8
Dans une population stationnaire, la croissance devient nulle et le vieillissement, une fois la structure-limite atteinte, demeure stable (autour de la barre des 20 % pour les plus de 65 ans). Dans une population décroissante (ou potentiellement décroissante), après une brève période de répit due à une structure par âge encore favorable, l’effectif diminue chaque année et le vieillissement (là aussi, jusqu’à la structure-limite atteinte) s’accroît bien plus fortement (proche de la barre des 30 %).
À terme, une population décroissante n’est à l’évidence pas gérable. Dès lors, quel enseignement peut-on en tirer pour d’éventuelles politiques de population ?
Agir sur la fécondité ou/et sur la migration
Si l’objectif est d’atteindre une population stationnaire (ou proche de la stationnarité, avec le moins d’oscillations possible dans la structure par âge), le choix de l’action politique peut se synthétiser ainsi :
agir sur la migration ;
agir sur la fécondité ;
agir à la fois sur la fécondité et la migration.
Agir sur la migration
Pour assurer à terme le renouvellement de la population, le déficit actuel des naissances est d’environ 30 000. Or, un bref retour au tableau 12 nous montre que la migration nette positive couvre largement ce déficit. Le problème ne se règle-t-il pas de lui-même ?
En fait, la question ne peut à l’évidence être ainsi simplifiée :
Les naissances manquantes vont précisément « manquer» à l’économie helvétique, non pas aujourd’hui, mais demain à l’âge adulte ; l’apport migratoire actuel s’ajoute au contraire déjà aujourd’hui aux classes d’âge de la population résidente nées en nombre important, notamment durant les années 60, ce qui pourrait aggraver encore un futur déséquilibre : ne risque-t-on pas de subir une « maladie de la structure par âge» qui cumulerait les inconvénients d’une croissance non contrôlée et d’à-coups, dans la structure, délicate à absorber sur le plan de la gestion socioéconomique (système éducatif, stabilité du marché de l’emploi, utilisation optimale de l’infrastructure et des équipements collectifs, équilibre financier des régimes de sécurité sociale et des retraites) ?
Comment seraient trouvés (rappelons par exemple que l’indicateur conjoncturel de fécondité est aujourd’hui de 1,3 en Italie et en Espagne, de 1,5 au Portugal et en Grâce, et même de 1,9 en « Yougoslavie») et ensuite intégrés les migrants qui devraient arriver en Suisse dans les années 2000 ?
Est-il bien réaliste, dans le contexte sociopolitique helvétique (et européen, pourrait-on ajouter, puisqu’apparaissent clairement les limites d’une société pluri-ethnique) d’émettre une telle proposition ?
Par ailleurs, sur un plan éthique, on pourrait être en droit de s’interroger sur la légitimité d’une politique qui consisterait à tenter d’« exporter» nos problèmes démographiques.
Si l’on ajoute enfin aux éléments précités la nécessité, à la fois démographique et humanitaire, de favoriser une véritable intégration volontaire des étrangers déjà résidents, il apparaît raisonnable de maintenir l’objectif (devenu théorique ces dernières années…) du Conseil fédéral d’une stabilisation de l’effectif étranger.
Agir sur la fécondité
Le thème est immense et dépasse le cadre restreint de la présente communication. Il faut donc se contenter de souligner ici que la question de la population est délicate : elle touche, par exemple, à la légitimité même d’une éventuelle action de l’État, puis à son degré hypothétique d’efficacité.
Depuis quelques années, avec d’autres, nous avons lancé le débat, en particulier par la Commission « Politiques de population», débat qui échappe (doit échapper) au seul démographe et qui concerne l’ensemble des acteurs de la vie sociale.
Le scientifique peut toutefois rappeler qu’à la complexité des phénomènes observés doit correspondre un ensemble à la fois multiple et cohérent de réponses adaptées. Voilà pourquoi il paraît vain de proposer une politique étroitement nataliste qui ne pourrait prendre en compte, à elle seule, cette complexité de facteurs interactifs par l’une ou l’autre mesure d’aide financière par exemple. En revanche, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de la mise en place d’une politique globale de population, qui intègre notamment la politique familiale.
Or, si la Suisse, dans plusieurs secteurs de la politique sociale, n’a pas à redouter la comparaison internationale, elle ne dispose pas encore d’une véritable politique familiale, conçue comme un ensemble cohérent. Certes, quelques initiatives ont vu le jour récemment. Sur le plan fédéral, la percée est très modeste. Sur le plan des cantons, en revanche, les actions de soutien aux familles (et aux couples) et l’amélioration du cadre d’accueil de l’enfant se développent peu à peu.
Pour les sceptiques, ajoutons que l’inaction gouvernementale en la matière sera de toute évidence moins « efficace» qu’une politique bien pensée, qui aura en plus l’avantage de rendre pour le moins justice aux familles ! Enfin, la mise en place d’une politique, en particulier dans le domaine de la famille, aurait le mérite d’introduire une cohérence de pensée et d’action aux mesures éparses, parfois d’inspiration contradictoire, déjà prises ici ou là par la force des choses dans de multiples secteurs (emploi, logement, assurances sociales, fiscalité, éducation, etc.), car derrière la neutralité affichée existe bel et bien une « politique multiforme» implicite de population.
Agir à la fois sur la fécondité et la migration
Agir sur la fécondité ? On pourrait ainsi assister à l’émergence d’un début de consensus, à condition d’agir par petites touches… dans les communes, dans les régions, dans les entreprises, pour finir par coordonner le tout sur le plan fédéral : le résultat final pourrait bien ressembler à une sorte de politique globale de population, mais… sans le dire.
Et le pragmatisme helvétique pourrait y ajouter un complément d’action sur la migration… toujours sans trop de le dire ! La gestion du tout, on l’aura deviné, n’ira pas de soi.
Gérer au mieux le vieillissement à court et moyen terme
Même si les grands équilibres démographiques à long terme étaient rétablis, il faut se souvenir que d’ici là le vieillissement de la population suisse se poursuivra. La structure démographique actuelle est encore bien plus jeune que celle obtenue dans une future population stationnaire : près de 15 % de personnes âgées aujourd’hui, contre au moins 20 % d’ici deux à trois décennies.
Le système de retraite vit à l’heure actuelle une situation privilégiée. Le rendement démographique est aujourd’hui supérieur de près de 45 % à celui obtenu par une population proche de la stationnarité en 2040.
Mais cet « âge d’or» des retraites ne va pas durer. Il faut donc se préparer à gérer un vieillissement irréversible. Cette évolution, si elle est maîtrisée par une politique globale de population, qui évite à terme la décroissance, est même la bienvenue car elle permet de rejoindre « en douceur » le niveau d’une population stationnaire. À défaut, le seul scénario sans vieillissement serait celui d’une nouvelle forte croissance démographique encore plus délicate à gérer, et que plus personne ne semble heureusement souhaiter.
Relier les actions entre elles
Le système de retraite est étroitement imbriqué à la société dans son ensemble. Les interdépendances sont multiples. Il serait vain de tenter de résoudre la question complexe de la viabilité à long terme de l’AVS comme un problème « en soi», par des mesures ponctuelles.
Une des tâches politiques essentielles de ces prochaines années sera de mieux relier, de mieux coordonner les politiques entre elles dans les domaines de la sécurité sociale, de l’emploi, de la famille, de la santé, de la vieillesse. En voici trois illustrations.
Le bonus
Dans le jeu des solidarités intergénérationnelles, un des paradoxes veut que l’organisation sociale contemporaine socialise toujours plus le coût d’entretien des personnes âgées tout en maintenant l’individualisation du coût d’élevage des enfants. Un bonus devrait être accordé pour des activités socialement utiles, telles les tâches éducatives, les soins aux personnes âgées ou handicapées. Ce système aurait l’avantage de relier les politiques et de renforcer les solidarités entre deux, voire trois générations,
Le maintien à domicile
Le vieillissement démographique aura des répercussions considérables, non seulement sur le système de retraite, mais également sur le coût de la santé (cf. par exemple l’évolution des dépenses selon l’âge, dans le graphique ci-dessous).
Dépenses annuelles par assuré en fonction de l’âge et du sexe — Vaud 1985

Source : Rapport relatif à l’assurance-maladie, SCRIS, Lausanne, 1986
Pour maîtriser les coûts, il faudra diversifier les modes de prises en charge et encourager en particulier le maintien à domicile des personnes âgées, formule à la fois plus humaine et plus économique.
Dans ce contexte, l’aide aux familles, c’est-à-dire « l’aide à ceux qui aident», favorisera la coordination des politiques socio-économiques.
La flexibilité de l’âge de la retraite
La vieillesse n’existe pas. Il n’y a pas une vieillesse, mais des vieillesses. L’âge de la retraite doit s’assouplir afin de mieux coller aux réalités socioprofessionnelles.
Pourquoi devrait-il y avoir un âge uniforme pour prendre sa retraite, alors qu’il n’en existe pas pour commencer à travailler ? Une politique de flexibilité doit pouvoir être individualisée et mieux prendre en compte les nombreuses inégalités devant la maladie et la mort. Une des premières enquêtes suisses dans ce secteur a par exemple démontré que les taux comparatifs de mortalité dans le secteur industriel, sur une moyenne de 100, s’échelonnent de 76 (ouvriers) à 114 (cadres). L’adaptation de l’âge de la retraite aux souhaits et aux ressources personnelles irait dans le sens d’une meilleure efficience du mode de fonctionnement de l’AVS.
Refuser l’alarmisme et clarifier le débat
Jusqu’au début du siècle prochain, on l’a observé, l’évolution démographique est maîtrisable. Cela devrait nous laisser le temps de mettre en place une politique socio-économique d’ensemble pour faire face au long terme, à condition naturellement de s’y prendre assez tôt.
Dès lors, sous le prétexte de l’évolution démographique, proposer par exemple le relèvement uniforme de l’âge de la retraite, pour les hommes et les femmes, à 66 ans va à l’encontre des objectifs fondamentaux de la sécurité sociale :
c’est d’abord risquer de paniquer les personnes âgées d’aujourd’hui, pour lesquelles un sentiment d’insécurité grandissant est bien difficile à vivre ;
c’est ensuite peu efficace sur le plan financier, en regard des charges supplémentaires de l’invalidité et du chômage qui reprendraient une part essentielle du gain escompté (cf. par exemple tableau 14) ;
ce ne serait qu’un sursis qui ne réglerait aucunement les problèmes de fond à long terme : avec une telle conception, à quand la retraite à 67, puis 68 ans, etc. ?
c’est enfin tenter de toucher au contrat de solidarité entre les générations, fondement même de l’AVS.
Modifier les règles du jeu, tandis que certains ont déjà joué leurs meilleures cartes, n’est guère équitable. Si la sécurité sociale, en plus de la couverture solidaire des principaux risques de l’existence, répond à une aspiration à la sécurité dans son sens le plus large, il faut refuser tout alarmisme afin de maintenir la cohésion sociale et assurer la « sécurité des espérances » .
Tableau 14 : Proportion d’assurés invalides aux CFF, selon l’âge, en ‰
ActifsInvalidesDécédésà 62 ans549309142à 65 ans380436184Source : Caisse de pension des CFF (données sur 1000 personnes entrées en service à 22 ans)

Pour une indexation démographique du système de retraite
C’est pourquoi il nous apparaît nécessaire de clarifier le débat et de proposer un nouveau contrat de solidarité entre les générations : quelle que soit l’évolution démographique, la société devrait s’engager à respecter les clauses du contrat, à long terme, à garantir les prestations promises de longue date et déjà « payées» à d’autres selon le système de répartition.
Nous proposons donc d’indexer le système de retraite, selon l’évolution démographique, par une augmentation légère et progressive du taux de cotisation. Pour le court et moyen terme, cette adaptation est tout à fait réalisable à partir du concept de revenu disponible après prélèvement. Pour le long terme, il faudra naturellement éviter à tout prix de tomber dans le piège d’une population décroissante.
À la notion de neutralité des coûts financiers, nous substituons celle de la neutralité du coût démographique. Ce « lissage» de la charge démographique entre les générations renforcerait la crédibilité durable du système de l’AVS et permettrait de regagner la confiance du public.
Il faut enfin éviter de sacrifier les générations actives actuelles. Ce n’est finalement pas de leur faute (ou presque...) si elles sont mal placées dans l’histoire démographique. Mais, retour « piquant» des choses, c’est en fait à ces mêmes générations de prendre leurs responsabilités aujourd’hui pour échapper demain, et surtout après-demain, aux conséquences considérables du « laisser-faire» démographique.


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Vieillir en Suisse, Rapport de la commission fédérale, Berne, 1995.

Choix de publications des collaborateurs-trices de l’INAG

L'INAG s'est fixé comme mission la diffusion d'information entre les divers milieux intéressés par les notions d'Âges et de Générations. Dans ce but, l'INAG soutient la publication d'ouvrages liés à ces thématiques, propose des articles et a constitué un fonds documentaire spécialisé disponible auprès de la bibliothèque de l'Institut Universitaire Kurt Bösch.

Cavalli, Stefano (2002), Vieillards à domicile, vieillards en institutions, une comparaison, Réalités sociales, Lausanne.
Clemens, Wolfgang ; Höpflinger, François ; Winkler, Ruedi (éds.) (2005), Arbeit in späteren Lebensphasen Sackgassen, Perspektiven, Visionen, Haupt, Bern.
Fragnière, Jean-Pierre (2004), Les relations entre les générations. Petit glossaire, Réalités sociales, Lausanne.
Fragnière, Jean-Pierre ; Cavalli, Stefano (éds.) (2003), L'avenir, Hommages à Christian Lalive d'Epinay, Réalités sociales, Lausanne, accompagné d'un CD-Rom.
Fragnière, Jean-Pierre ; Höpflinger, François ; Hugentobler, Valérie (éds.) (2002), La question des générations. Dimensions, enjeux et débats. Generationenfrage : Dimensionen, Trends und Debatten, Dossier pédagogique, INAG, Sion.
Fragnière, Jean-Pierre ; Nanchen Maurice (Éds.) (2004), Entre science et action, La démographie au service de la cité, Réalités sociales, Lausanne.
Fragnière, Jean-Pierre ; Crettaz, Yves (2005), Le Furet. Répertoire internet de la politique et de l’action sociale en Suisse, Réalités sociales, Lausanne.
Höpflinger, François (1999), Generationenfrage : Konzepte, theorische Ansätze und Beobachtungen zu Generationenbeziehungen in späteren Lebensphasen, Réalités sociales, Lausanne.
Höpflinger, François (2004), Traditionnelles und neues Wohnen im Alter, Seismo, Zürich.
Höpflinger, François ; Hugentobler, Valérie (2003), Les besoins en soins des personnes âgées en Suisse, Prévisions et scénarios pour le 21e siècle, Huber Verlag, Berne.
Hugentobler, Valérie ( 2004), « L'évolution des besoins en soins des personnes âgées en Suisse », dans Aspects de la sécurité sociale, Lausanne.
Hugentobler, Valérie (2003), « Intergenerationelle Familienbeziehungen und Pflegebedürftigkeit im Alter », in : Sozialalmanach Caritas 2004, Die demographische Herausforderung, Luzern, Caritas Verlag.
Hugentobler, Valérie (2003), « Les effets de l'évolution démographique et du vieillissement de la population sur le marché du travail », dans Travail et démographie, No 4, 2003/2004 Persorama, revue de la société suisse de gestion des ressources humaines : 32-35.
Hugentobler, Valérie (2005), « Arbeitsmarktstrategien in europäischen Ländern – angesichts der demografischen Alterung », in Clemens, Wolfgang ; Höpflinger, François ; Winkler, Ruedi (éds.), Arbeit in späteren Lebensphasen Sackgassen, Perspektiven, Visionen, Haupt, Bern.
Perrig-Chiello, Pasqualina ; Stähelin, Hannes B. (Éds.) (2004), La Santé, Cycle de vie, société et environnement, Réalités sociales, Lausanne.
Informations

Jean-Pierre Fragnière
Les relations entre les générations
Petit glossaire
12,4 x 20 cm, broché, 152 pages, 2004
Éditions Réalités sociales, Lausanne, Fr. 23.-, ISBN 2-88146-127-1
Ce petit ouvrage se présente comme une mosaïque de mots qui veulent exprimer et communiquer une idée. La question des âges et des générations se pose depuis toujours, elle prend aujourd'hui une acuité encore plus grande dans nos sociétés qui vivent de profondes transformations démographiques et sociales. On peut dire qu'il y a urgence à apprendre à penser en termes d'âges et de générations dans les domaines majeurs de l'activité humaine.

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Sous la direction de Marie-Dominique Perrot, Jean-Noël DuPasquier, Dominique Joye,
Jean-Philippe Leresche, Gilbert Rist
Ordres et désordres de l’esprit gestionnaire
Où vont les métiers de la recherche, du social et de la santé?
256 pages, 16 x 24 cm, broché, CHF 34.–/Euro 23.- ISBN 2-88146-134-4
Publié avec le soutien de la Commission suisse pour l’UNESCO et de
l’Institut universitaire d’études du développement.
La nouvelle gestion publique a suscité de nombreuses controverses théoriques durant les dernières années. Pourquoi les institutions subventionnées par l’État devraient-elles réformer leur mode de gestion dans le sens de la logique néolibérale ? Quels sont les changements que cette situation entraîne sur la pratique des métiers de la recherche, du social et de la santé, c’est-à-dire sur le vécu professionnel et les prestations offertes dans ces trois champs ? S’agit-il de réduire les coûts, d’améliorer la gestion ou de proposer de meilleurs services aux usagers, devenus des «clients»?
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Jean-Pierre Fragnière et Roger Girod (Éds)
Dictionnaire suisse de politique sociale
avec la collaboration de Sophie Barras Duc, Béatrice Despland
et Michelle Sabatini - Nouvelle édition
155 x 230 mm, 380 pages, 2002, Fr. 48.- ISBN 2-88146-117-4
Grâce à la collaboration bénévole de nombreux spécialistes, cette nouvelle édition du Dictionnaire suisse de politique sociale peut être présentée. Elle est susceptible d'intéresser les milieux les plus larges mais, en particulier, les élus, les professionnels de l'action sociale et sanitaire, les journalistes, les étudiants du secteur social et les responsables d'institutions.

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Ces livres sont disponibles en librairie, ils peuvent aussi être commandés directement à l'adresse suivante:
 HYPERLINK "http://www.albert-le-grand.ch/test/form_cde_general.html" http://www.albert-le-grand.ch/test/form_cde_general.html




Publications récentes


Jean-David Ponci
LA BIOLOGIE DU VIEILLISSEMENT
Une fenêtre sur la science et sur la société
L'Harmattan, 2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
ISBN: 978-2-296-05557-5
 HYPERLINK "http://www.librairieharmattan.com" http://www.librairieharmattan.com


Michel Blum
LE PILOTAGE DES SERVICES MÉDICOSOCIAUX AUX PERSONNES ÂGÉES FRAGILISÉES
Une approche de politique économique
Faculté des Sciences économiques et sociales, Université de Fribourg - 2008


Hermann-Michel Hagmann
Vieillir chez soi, c’est possible
Collection Aire de famille, Editions Saint-Augustin, 2008, 104 pages,
isbn 978-2-88011-445-9


Christian Lalive d’Épinay, Dario Spini (et coll.)
Les années fragiles
La vie au-delà de quatre-vingts ans
LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL, 2008 378 pages,
 ISBN : 978-2-7637-8292-8





4em couverture
 Directeur scientifique de l’INAG
Ch. Lalive d’Épinay, Entre retraite et vieillesse. Travaux de sociologie compréhensive, Collection Âges et société, Réalités sociales, Lausanne, 1996.
H. -M. Hagmann et J.-P. Fragnière, Maintien à domicile, le temps de l’affirmation, Réalités sociales, Lausanne, 1997.
B. Santos-Eggimann, “ Dépendance chronique et prestations médico-sociales au sein de la population âgée : présentation d’un modèle d’analyse cantonale des besoins ”, Sécurité sociale, janvier 2000.
L. Roussel, La famille incertaine, Odile Jacob, Paris, 1989.
F. Höpflinger, Generationenfrage Konzepte, theoretische Ansätze und Beobachtungen zu Generationenbeziehungen in späteren Lebensphase, Réalités Sociales, Lausanne, 1999.
L. Chauvel, Le destin des générations, Structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, Presses Universitaires de France, Paris, 1998.

P. Gilliand, Politique sociale en Suisse. Introduction, Réalités sociales, Lausanne, 1988.
C. Lalive d’Epinay, J.-F. Bickel, C. Maystre, N. Vollenweider, Vieillesses au fil du temps. Une révolution tranquille, Réalités sociales, Lausanne, 2000.
P. Pitaud Philippe, R. Vercauteren, (Éds), L’intergénération en Europe. Recherche et dynamisation de la cohésion sociale, Erès, Ramonville, 1995.
Rapport de la Commission fédérale Vieillir en Suisse, Vieillir en Suisse. Bilan et perspectives, Office central fédéral des imprimés et du matériel, Berne, 1995.
J.-P. Fragnière, D. Puenzieux, P. Badan, S. Meyer, Retraités en action. L’engagement social des groupements de retraités, Réalités Sociales, Lausanne, 1996.

 Source : Höpflinger F., (2000), Les relations entre générations existent. Présentation des concepts et de la problématique, In : Généraction. Cycle de vie - relations interpersonnelles - lien social, Pro Juventute et Pro Senectute, Zurich, pp. 8-11
 Professeur de sociologie à l’Université de Zurich et directeur scientifique de l’Institut Universitaire Âges et Générations (INAG).
 Source : Heller G., (2002), Société et vieillissement : l’histoire des changements dans notre siècle, In : Fragnière J.-P., Höpflinger F., Hugentobler V. (éds), La question des générations. Dimensions, enjeux et débats, Dossier d’enseignement, Institut Universitaire Âges et Générations, Sion, pp. 39-44
 Historienne.
 Alexandre Berenstein, L’assurance-vieillesse suisse. Son élaboration et son évolution, Lausanne, Réalités sociales, 1986. En outre, l’étude préparatoire du Fonds national suisse de la recherche scientifique pour le Programme national de recherche No 32 intitulé « Vieillesses » donnait un bilan précieux des publications jusqu’en 1992 dans les diverses disciplines (François Höpflinger, Astrid Stuckelberger, Vieillesse et recherche sur la vieillesse en Suisse, Lausanne, Réalités sociales, 1992).
 J’ai utilisé pour cette conférence le fruit des recherches menées en Suisse romande. Voir notamment l’ouvrage collectif Geneviève Heller (éd.), Le poids des ans. Une histoire de la vieillesse en Suisse romande, Lausanne, Éditions d’en bas & Société d’histoire de la Suisse romande, 1994.
 Michel Porret, Je ne suis déjà plus de ce monde : « le suicide des vieillards aux XVIIe et XVIIIe siècles », in : Geneviève Heller (éd.), Le poids des ans, op. cit., p. 74.
 Jean de La Harpe, in : Journal de la Société vaudoise d’utilité publique, 1841, p. 164.
 Victor Second, La bienfaisance dans le canton de Vaud, Nyon, 1895, p. 68. Cet ouvrage est un inventaire des institutions publiques et privées du canton de Vaud à la fin du XIXe siècle.
 Des jalons sont posés antérieurement comme le montre par exemple Jean-Pierre Gutton qui situe la naissance du vieillard au sens moderne et la conquête de la retraite au XVIIIe siècle (Naissance du vieillard : essai sur les rapports entre les vieillards et la société en France, s.l., Aubier, 1988).
 Pierre Dubuis, « Quelques réflexions en guise de conclusion », in : Geneviève Heller (éd.), Le poids des ans, op. cit., p. 162.
 Stiftung für das Alter, Fondation pour la vieillesse ou per la Vecchiaia.
 Mais l’objectif principal de Pro Senectute était de réclamer une assurance-vieillesse de l’État. Avec l’introduction de l’AVS, Pro Senectute a quitté sa vocation d’aide financière aux individus pour s’investir davantage dans l’amélioration de l’image et du cadre de vie des personnes âgées. Voir Bruno Dumons, « Vieillesse et assistance à Genève : les budgets du Bureau central de bienfaisance et du comité cantonal de Pro Senectute », in Bulletin du Centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale, 2 - 3, 1995, pp. 109-116. Le numéro du Bulletin est intitulé Femmes soignantes (XVIIIe- XXe siècles). Du même auteur, Genèse d’une politique publique. Les politiques de vieillesse en Suisse (fin XIXe - 1947), Lausanne, Cahiers de l’IDHEAP, No 97, mars, 1993. Concernant la fondation de Pro Senectute, voir Chambot-Benvegnen, « Et nos vieillards ? », Revue suisse d’utilité publique, 1917, pp. 341-349.
 Alexandre Berenstein, op. cit.
 Voir notamment le mémoire du Dr Vullyamoz-Blanc publié dans le Journal de la Société vaudoise d’utilité publique, 1863, p. 74.
 Rapport annuel de l’Asile des vieillards pauvres et malheureux de Lausanne, 1888, p. 2.
 Idem, 1892, p. 4.
 Journal de la Société vaudoise d’utilité publique, 1886, p. 140.
 Rapport de l’Asile de vieillards de Chailly-sur-Lausanne, 1953, p. 3.
 Les italiques mettent en évidence les changements.
 Source : Hummel Stricker C., (2002), La construction sociale de la vieillesse : les XVIIIe, XIXe et XXe siècles, In : Fragnière J.-P., Höpflinger F., Hugentobler V. (éds), La question des générations. Dimensions, enjeux et débats, Dossier d’enseignement, Institut Universitaire Âges et Générations, Sion, pp. 45-55.
 Maître-assistante, Département de sociologie, Université de Genève.
 Les sources utilisées pour la rédaction de ce texte s'étoffent au fil des périodes historiques traitées. La rédaction s’appuie principalement sur les écrits d’Ariès (1983), de Beauvoir (1970), Bois (1989, 1994), Borscheid (1987), Bourdelais (1993), Gutton (1990), et de façon plus ponctuelle sur Minois (1987), Nussbaum (1994), Porret (1994), Trincaz (1998a), Von Kondratowitz (1993).
Compte tenu de l'usage exclusif de sources secondaires, il nous faut préciser que le découpage en périodes ainsi que les thèses présentées sont repris des auteurs cités. C'est donc à un parcours partiel et partial que le lecteur est invité.
 Cette dénomination a été en vigueur jusqu'en 1946.
 Bois (1987 : 71-72) à propos de la description que Restif de la Bretonne fait de son père dans La Vie de mon père.
 Diderot, Le Neveu de Rameau, cité par Bourdelais (1993 :29).
 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, cité par Bourdelais (1993 :24).
 Alfred Sauvy, La population française jusqu'en 1956, essai de prévision démographique, cité par Bourdelais (1993 : 282).
 Paul Haury, Justice pour la famille ou la France est perdue, cité par Bourdelais (1993 : 359).
 Fernand Boverat, Le Vieillissement de la population, cité par Bourdelais (1993 :361).
 Notre traduction. « [... produce] armchairs and bedroom slippers instead of children's foods [while an ageing society would] lose the mental attitude that is essential for social progress [and present] the mournful aspect of deserted and derilict areas [with] houses inhabited abd equipment unused [...] The future will habe to be planned and this will require greater inteligence, courage, power of initiative, and qualities of creative imagination… qualities not usually to be found in the aged ». Richard Titmuss and Kay Titmuss, Conservative Party Annual Conference Report, 1937, cité par Blaikie (1999 : 38).
 Notre traduction. « Older people excel in experience, patience, in wisdom and breadth of view ; the young are noted for energy, enterprise, enthusiasm, the capacity to learn new things, to adapt themselves, to innovate. It thus seems possible that a society in which the proportion of young people is diminishing will become dangerously unprogressive ». Final Report of the Royal Commission on Population, cité par Blaikie (1999 : 39).
 P. Guieysse, Les retraites ouvrières, Rapport fait au nom de la Commission d'assurance et de prévoyance sociales, cité par Lenoir (1979 : 59).
 Pierre Laroque, La Sécurité sociale de 1944 à 1951, cité par Guillemard (1986 : 62).
 Notre traduction. « In linking retirement benefits to a specific age, public pension systems provided the economic basis for a chronologically defined phase of life beyond gainful employment. By the mid-twentieth century, this 'new' phase of life was becoming a mass phenomenon. Increasing life expectancy, the dramtic growth of the elderly population, the spread of retirement and the expansion of Social Security benefits transformed old age into the final stage of the instutionnalized life cycle ».
 Notre traduction. « The new paradigm of an anctive, successful aging is better adapted to consumerism, than to the solution of social and ecological tasks awaiting our society ».
 Source : Fragnière J.-P., (1999), Quelle sécurité sociale pour les familles ?, In : Despland B., Fragnière J.-P. (éds), Politiques familiales. L’impasse ?, Editions EESP, Lausanne, pp. 15-29.
 Directeur scientifique de l’INAG
Jean-Pierre Fragnière, in : Thomas Fleiner-Gerster, Pierre Gilliand, Kurt Lüscher, (éds.), Familles en Suisse, édité par le Département Fédéral de l’Intérieur, Éd. Universitaires, Fribourg, 1991.
Voir : Jean-Pierre Fragnière (Éd.), Familles et sécurité sociale, Cahiers de l’EESP, Lausanne, 1994.
René Levy, Divorce : Statistiques et sociologie, in : Pierre Gilliand, Familles en rupture, pensions alimentaires et politiques sociales, Réalités sociales, Lausanne, 1984.
Voir : Jean-Pierre Fragnière et Roger Girod (éds), Dictionnaire suisse de politique sociale, Réalités sociales, Lausanne, 1998.
Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Plon, Paris, 1983.
Voir l’étude de Marco Borghi, Diritto alla famiglia, in : Thomas Fleiner-Gerster, Pierre Gilliand, Kurt Lüscher, (éds.), Familles en Suisse, Éditions universitaires, Fribourg (Suisse), 1991.
François De Singly (Dir.), La famille, l’état des savoirs, La Découverte, Paris, 1992.
Jean Kellerhals, e. a., Microsociologie de la famille, P.U.F., Paris, 1984, p. 7.
Abel Jeannière, Famille, Encyclopaedia universalis, 7, 774.
Jean Kellerhals, op. cit., p. 27.
Marco Borghi, Diritto alla famiglia, in : Thomas Fleiner-Gerster, Pierre Gilliand, Kurt Lüscher, (éds.), Familles en Suisse, Éditions universitaires, Fribourg (Suisse), 1991.
Voir : Marco Borghi, op. cit.
Robert E. Leu, e. a., Lebensqualität und Armut in der Schweiz, Haupt, Berne, 1997 ; et René Levy. e. a., Tous égaux ? De la stratification aux représentations, Seismo, Zurich, 1997.
Cf. K. Lüscher, Schultheis F., Wehrspann M., Die « postmoderne » Familie. Familiale Strategien und Familienpolitik in einer Uebergangszeit, Universitätsverlag, Konstanz, 1988.
Dans le dossier « Aide sociale », Bulletin No 5 du PNR 29, Lausanne, 1994, nous avons réuni des travaux qui montrent combien est large le fossé entre « pauvres » et « assistés ».
Voir les travaux de Béatrice Despland.
Voir à ce sujet : David Gugerli, in : Thomas Fleiner-Gerster e. a., op. cit. p. 74.
Cf. Guy Perrin, Sécurité sociale et pauvreté dans les pays développés, in : Pierre Gilliand (éd.), Pauvretés et sécurité sociale, Réalités sociales, Lausanne, 1990.
C’est l’un des éléments centraux des études conduites dans le cadre du PNR 29.
Pierre-Yves Greber et Jean-Pierre Fragnière, La sécurité sociale en Europe et en Suisse, Réalités sociales, Lausanne, 1996.
Sur ce sujet, la littérature foisonne. Notons en particulier : K. Lüscher et F. Böckle, Familie, in : Christlicher Glaube in der modernen Gesellschaft, Teilband 7, Freiburg in Br., 1981, pp. 87-145 ; ou M. Mitterauer et R. Sieder, Historische Familienforschung, Frankfurt a. M., 1982 ; ou encore les travaux publiés par la Revue Recherches.
Article 119 de la Constitution de Weimar, en Allemagne ; article 34 quinquies de la Constitution fédérale en Suisse, 1945.
Voir sur ce sujet : A. Herlth et F. X. Kaufmann, Familie Probleme und sozialpolitische Intervention, in F. X. Kaufmann (éd.), Staatliche Sozialpolitik und Familie, München, Wien, 1982, pp. 1-18.
Voir : Sozialpolitik und familiale Sozialisation, Schriftenreihe des Bundesministers für Jugend, Familie und Gesundheit, Bonn, 1980, p. 36.
La politique familiale en Suisse, Groupe de travail « Rapport sur la famille », Berne, 1982.
Rapport cité, p. 7.
Rapport cité, pp. 10 et 11.
Josette Coenen-Huther, Jean Kellerhals, Malik von Allmen, Les réseaux de solidarité dans la famille, Réalités Sociales, Lausanne, 1994.
Voir : Guy Perrin, Sécurité sociale, Réalités sociales, Lausanne, 1993, p. 189.
 Source : Kellerhals J., (2000), Solidarités familiales : réelles, mais aussi limitées. Quelques réflexions autour d’une enquête, In : Liechti A., Taramarcaz O. (dir.), Généraction. Cycle de vie - relations interpersonnelles - lien social, Pro Juventute, Zurich, Pro senectute, Vevey, pp. 18-21
 Professeur à l’Université de Genève.
 Source : Regamey C., (2002), Jeunes adultes et accès aux dispositifs sociaux. La situation vaudoise, In : Aspects de la sécurité sociale, No. 3, pp. 17-25.
 Sociologue.
 Ces services sont : l’ASEMO-Relais (Action socio-éducative en milieu ouvert), Jet Service (Service Jeunes et Travail) du Centre social protestant-Vaud, le Centre social cantonal (Canton de Vaud), le Centre Saint-Martin (Unité de toxicodépendances. Canton de Vaud), et la Direction de la sécurité sociale et de l’environnement de la Ville de Lausanne (Secrétariat général).
 Obligation d’entretien, art 276 du Code civil suisse.
 Henriod Vincent (1999), L’obligation d’entretien à l’égard des enfants majeurs. Ed. Université de Lausanne, Faculté de droit : Lausanne.
 Ce dernier pose comme montant de base destiné à couvrir le besoin d’entretien la somme de 1100 fr. pour une personne qui vit de manière indépendante. Le montant du loyer est plafonné à 650 fr. Le montant total se porte donc à 1760 fr. maximum pour l’entretien.
 Une autre idée reçue postule la fin de l’obligation d’entretien à 25 ans. Le Code civil suisse ne prévoit pourtant aucune limite d’âge.
 Quelques jurisprudences verrouillent en effet l’accès des personnes en formation à l’aide sociale (PS93/325 28.6.1994 ; PS94/136 12.9.1994 ; PS94/385 5.12.1994).
 Ce problème est dû au fait qu’en Suisse aucune conception d’ensemble de la sécurité sociale n’a été élaborée par le législateur, et que les différents régimes coexistent et fonctionnent dans des cadres législatifs séparés, sans articulation particulière.
 Source : Attias-Donfut C. (1991), Elaboration de la notion de génération: d’Auguste Comte à Karl Mannheim, In: Attias-Donfut C., Générations et âges de la vie, Chapitre II, PUF, Paris, pp. 19-30.
 A. Comte, Cours de philosophie positive, t. IV, leçon 51, Paris, Schleicher, éd. 1908 (1re éd. 1880).
 G. Simmel, Comment les formes sociales se maintiennent, L’Année sociologique, 1896-1897, p. 71-109.
 A. A. Cournot, Œuvres complètes, t. IV : Considérations sur la marche des idées, Ed. Vrin, 1973 (1re éd. 1892).
 G. Ferrari, Teoria dei periodi politici, Milan, Ed. Hoepli, 1874.
 J. Dromel, La loi des révolutions, les générations, les nationalités, les dynasties, les religions, Ed. Didier & Cie, 1862.
 O. Lorenz, Leopold Von Ranke, die Generationenlehre und der Geschichtsunterricht, Berlin, 1891.
 G. Rümelin, Reden und Aufsätzte, t. I. Tübingen, 1875 (F. Mentré signale la traduction française des p. 285 à 305 dans : Problèmes d’économie politique et statistique, Paris, 1896).
 Etude réalisée par O.K. Roller sur la petite ville de Durlach, en 1907, in : J. et M. Dupâquier, Histoire de la démographie, Perrin, coll. « Pour l’histoire », 1947, p. 42.
 W. Dilthey, Le monde de l’esprit, t. 1, Histoire des sciences humaines, Paris, Aubier-Montaigne, 1947, p. 42.
 W. Dilthey, Le monde de l’esprit, op. cit., p. 43.
 J. Ortega y Gasset, El tiema de nuestro tiempo, Madrid, Revista de Occidente, 1981 (ler éd., 1923) ; En torno a galileo. Esquema de las crisis, Madrid, Ed. Revista de Occidente, 1959 (2e éd.).
 F. Mentré, Les générations sociales, Paris, Ed. Bossard, 1920, p. 123.
 K. Mannheim, The problem of generations, in Essays on the Sociology of Knowledge, London, Routledge Kegan Paul, 1972 (1re éd., 1928), p. 276-322. Traduction française Le problème des générations, Paris, Ed. Nathan, 1990.
 L. Rosenmayr, K. Allerbeck, Youth and Society, Current Sociology, vol. 27, number 2/3, 1979, p. 63.
 Kurt Lüscher (2004), Les générations - Liens et ambivalences : une approche sociologique, In : Famille & Société, No 4, Hors-série du bulletin Questions familiales.
 Le texte ci-après se réfère à la publication de Lüscher K., Liegle L. (2003) : Generationenbeziehungen in Familie und Gesellschaft. Constance. On y trouve de nombreuses données bibliographiques.
 A consulter dans la perspective de ces remarques introductives : Borchers A. (1997): Die Sandwich-Generation. Ihre zeitlichen und finanziellen Leistungen und Belastungen. Frankfurt am Main; Busche J. (2003): Die 68er. Biographie einer Generation. Berlin; Dischner G. (éd.) (1982): Eine stumme Generation berichtet. Frauen der 30er und 40er Jahre. Frankfurt-am-Main; Illies F. (2000): Generation Golf. Eine Inspektion. Berlin; Illies F. (2003): Generation Golf zwei. München; Kullmann K. (2002): Generation Ally. Warum es heute so kompliziert ist, eine Frau zu sein. Frankfurt-am-Main; Liebau E, Wulf C. (éd.) (1997): Generation. Versuche über eine pädagogisch-anthropologische Grundbedingung. Weinheim.
 Source : Hagmann H.-M. (1991), Vieillesses d’hier et d’aujourd’hui : nouvelles relations entre générations. L’exemple de l’AVS en Suisse, In : Blanc O., Gilliand P., Suisse 2000. Enjeux démographiques, Réalités sociales, Lausanne.
 Professeur à l’Université de Genève.
 Dans le cadre limité de cet article, seul le champ démographique sera exploré. Pour une analyse plus approfondie, voir H.-M. Hagmann, « Vieillesses d’hier et d’aujourd’hui ou l’émergence d’une problématique sociodémographique », Institut de Démographie, Université de Louvain, Ed, Ciaco, 1990, in « Populations âgées et révolution grise », pp. 575-592.
 Voir encore par exemple :
J.-P. Poussou, « Pour une histoire dola vieillesse et des vieillards dans les sociétés européennes », in : « Les âges de la vie », PUF, Paris, 1983 ;
Annales de Démographie Historique, Paris, 1985 ;
Gérontologie et société, Paris, 1989, N° 49.
 Voir également :
J. Fourastié, « De la vie traditionnelle à la vie tertiaire », in : Population, Paris, 1959, N° 3, pp. 417-432 ;
H. Le Bras, « Parents, grands-parents, bisaïeux », in : Population, Paris, 1973, N° 1, pp. 9-38 ;
H.-M. Hagmann, « Le réseau familial des personnes âgées, hier et aujourd’hui », in : « Vieillir aujourd’hui et demain », Lausanne, 1982, Réalités sociales, pp. 53-65 ;
A. Blum, « Fécondité, solidarité intergénérationnelle, isolement », in : Actes du Colloque de l’Aidelf de Genève, INED, Paris, 1986.
 Pour les prises de position de divers milieux, voir notamment l’article, très fouillé, de P. Gilliand et P. Mahon, « L’AVS à 66 ans : pourquoi nous fait-on peur ? », in : Bulletin de la FEAS, Carouge, 1987, N° 2.
 Commission « Politiques de population », les Suisses vont-ils disparaître ?, Haupt, Berne et Stuttgart, 1985. Voir en particulier Hagmann H.-M., « Pour une politique de population en Suisse ? », pp. 190-242. Les perspectives ont été réalisées avec la collaboration de 1’OFS et celle de M. Diserens.
 A. Lefebvre et A. Sauvy, « Influence de l’évolution démographique sur les charges sociales », in : Population, Paris, 1981, N° 2.
 Voir par exemple le rapport du BIT, « Évolution démographique et sécurité sociale », Genève, 1987, p. 31.
 Voir entre autres N. Kohler, « La situation de la femme dans l’AVS », Réalités sociales, Lausanne, 1986.
 Voir par exemple H.-M. Hagmann, « Évolution démographique et maintien à domicile », ASI, Berne, 1989, ainsi que le N° 3-4/1990 des Cahiers médico-sociaux, Ed. Médecine et Hygiène, Genève.
 Gugrispa, « Vieillesses », Georgi, Saint-Saphorin, 1983.
 C.E. Minder, V. Beer, R. Rehmann, « Sterblichkeitsunterschiede nach sozioekonomischen Gruppen in der Schweiz 1980 : 15- bis 74 jährige Männer », in : Médecine sociale et préventive, Soleure, 1986, No. 4-5.
 F.-X. Kaufmann et L. Leisering, « Impacts des évolutions démographiques sur les systèmes de sécurité sociale », in : L’avenir de la sécurité sociale en Europe, Economica, Paris, 1987.










L’INAG

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Vivre ensemble longtemps

Les relations entre générations existent

Société et vieillissement 

La construction sociale de la vieillesse 

Quelle sécurité sociale pour les familles

Solidarités familiales 

Jeunes adultes et accès aux dispositifs sociaux

Elaboration de la notion de génération

Les générations  Liens et ambivalences 

Nouvelles relations entre générations


Nouvelles relations entre générations



Références bibliographiques





Choix de publications des collaborateurs-trices de l’INAG