HUGO - ''Les misérables' - Comptoir Littéraire
Si, d'une part, il affirma : «Là où le sujet n'est point perdu de vue, il n'y a point de
...... «bigaille» (II, 2, 3) : «nom générique des insectes ailés dans nos colonies»
...... La nature «se répand aussi bien dans la fourmi que dans l'aigle», «dans un ...
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présente
Les misérables
(1862)
roman de Victor HUGO
(1490 pages)
pour lequel on trouve un résumé
puis une analyse de :
- la genèse (page 16)
- lintérêt de laction (page 19)
- lintérêt littéraire (page 29)
- la langue (page 29)
- le style (page)
- lintérêt documentaire (page 71)
- lintérêt psychologique (page 87)
- lintérêt philosophique (page 109)
- la destinée de luvre (page 118)
- des commentaires de passages (pages 125-)
Bonne lecture !
RÉSUMÉ
Première partie : Fantine
Livre premier : Un juste
Évêque de Digne depuis 1806, M. Myriel, qui avait eu une jeunesse agitée avant de devenir Monseigneur Bienvenu, et qui, jusque dans son âge viril, montra un caractère passionné, violent, reflète un grand esprit de simplicité (il «faisait durer trop longtemps ses soutanes», et «faisait garder sa maison» par deux femmes, sa sur, Mlle Baptistine, et une servante, Mme Magloire) et un esprit de charité vraiment évangélique, quil déploie dans son «dur évêché». Son incarnation des vertus évangéliques lamène à reconnaître, à travers un vieux conventionnel mourant, la lumière de la Révolution, et même à lui demander sa bénédiction, sans quil soit «un évêque philosophe» ou «un curé patriote». En effet, cest un fervent royaliste qui ne cessa de témoigner au régime impérial une réserve hostile, qui ne désarma pas même en 1815. Cependant, il na rien dun prélat politique, et nest point courtisé, connaît la solitude car il ne sert les ambitions de personne.
Livre deuxième : La chute
«Dans les premiers jours du mois doctobre 1815», arrive à pied à Digne un voyageur inquiétant parce que, farouche et hagard, il présente un aspect si «misérable» quil ne trouve asile nulle part. Alors que la nuit tombe, il sort de la ville, réduit à l'état de bête errante, et prêt à devenir un vrai criminel. Mais la campagne lui paraît hostile, et il revient sur ses pas. Une «bonne femme» linvite à frapper à une porte, qui est celle de lévêque. Il se présente : «Je mappelle Jean Valjean. Je suis un galérien», et se raconte. Pour avoir, en 1795, volé du pain pour des neveux qui n'avaient rien à manger depuis plusieurs jours, il avait été, en 1796, condamné à cinq ans de bagne, recevant à Toulon le numéro 24.601. Ses tentatives d'évasion retardèrent à plusieurs reprises sa libération, sa peine étant alors triplée. Il ne sortit du bagne de Toulon qu'au bout de dix-neuf ans, et il en a quarante-six. Du fait de son «passeport jaune» d'ancien forçat qui le rend partout suspect, il na pu obtenir du travail à Grasse, et il a été, à Digne, repoussé de partout. M. Myriel laccueille, lappelant «monsieur», le traitant comme un égal, sans même s'informer d'où il vient et qui il est. Cette confiance lémeut, mais plus encore le trouble et le gêne. Comme il doit se rendre à Pontarlier, «itinéraire obligé», lévêque lui donne force «détails sur les fromageries» de la région, afin de lui suggérer dy chercher un emploi.
On apprend quel fut son passé. Né en 1769 dans une famille de pauvres paysans de Faverolles, dans la Brie, il navait pas, dans son enfance, appris à lire. Devenu orphelin, il avait soutenu de son travail sa sur, qui était restée veuve avec ses sept enfants. Suivant la saison, il se louait comme moissonneur, manuvre, bouvier, homme de peine, émondeur. Vint, en 1795, un hiver plus rude que les autres où il neut plus de travail, ne put plus donner de pain à ses neveux.
Au cours de la nuit, repris par ses hantises, il vole «six couverts dargent». Le lendemain, il est ramené par les gendarmes qui ont trouvé les objets volés. M. Myriel affirme avec tranquillité lui en avoir fait présent, y ajoute même «deux gros flambeaux dargent massif». Jean Valjean, stupéfait par tant de charité, croit à un véritable prodige. En quittant Digne, il marche tout le jour au hasard, en proie à un trouble profond. Ayant rencontré un petit Savoyard, Petit-Gervais, comme inconsciemment, il lui vole une pièce de monnaie, puis, se réveillant, il en vain lappelle pour la lui rendre. Mais il éprouve de cruels remords, et, ladmirable geste miséricordieux de l'évêque faisant son chemin dans son âme obscure, il décide de se réhabiliter. Une singulière métamorphose commence chez ce paria qui n'avait connu jusqu'ici que les rigueurs de la loi et la méchanceté des hommes.
Livre troisième : En I'année 1817
1817, cest lannée que Louis XVIII qualifia de «la vingt-deuxième de son règne». La réaction antibonapartiste triomphait. On insultait les proscrits de 1815. On senivrait de traditionalisme. Cependant, lavenir sélaborait mystérieusement.
Cest aussi en 1817 que létudiant parisien Tholomyès rompit sa relation avec Fantine, une jeune fille quil avait séduite, et labandonna : la trentaine venue, il lui fallait bien mettre fin à ce libertinage. Elle était née à Montreuil-sur-mer (dans le Pas-de-Calais) de père et de mère inconnus ; elle navait donc point de nom ; quelquun lappela «la petite Fantine». Fillette, jeune fille, elle travailla pour vivre. «Elle était belle et resta pure le plus longtemps quelle put. Cétait une jolie blonde avec de belles dents.» Un jour, elle rencontra Tholomyès : «Amourette pour lui ; passion pour elle.» Tholomyès lui laissa sur les bras une enfant de deux ans, Cosette.
Livre quatrième : Confier, cest quelquefois livrer
À Montfermeil, «une façon de gargote» appelée Au sergent de Waterloo «était tenue par des gens appelés Thénardier, mari et femme», deux «figures louches». Un jour du printemps de 1818, alors que la Thénardier, sorte de colosse dun aspect peu avenant, surveillait avec amour ses deux fillettes, et berçait son dernier-né en fredonnant une romance à la mode, une jeune femme se présenta, qui portait, elle aussi, un enfant de trois ans dans ses bras. «Elle avait la mise dune ouvrière qui tend à redevenir paysanne.» «Cétait Fantine». Désespérée, à bout de force, elle demanda à la Thénardier de prendre en pension la petite Cosette. Le marché fut conclu, mais à des conditions très dures pour Fantine : six mois davance à 7 francs, plus 15 francs de provision pour les premiers frais, même si elle avait fourni sa fille dun magnifique trousseau préparé avec amour. Il fut mis au Mont-de-piété, et, bien vite, Cosette fut traitée comme une servante. Et les Thénardier ne cessèrent dexiger des sommes considérables de Fantine.
Livre cinquième : La descente
On apprend quà la fin de 1815 était arrivé à Montreuil-sur-mer un homme mystérieux, à qui, puisque, le jour même, il avait sauvé dun incendie les deux enfants du capitaine de gendarmerie, on navait pas demandé son passeport. Il se fit appeler M. Madeleine. Grâce à une innovation dans I'industrie des «verroteries noires», ayant bâti une grande fabrique où il emploie beaucoup de monde, il était devenu honnêtement riche, ayant, en 1820, six cent trente mille francs placés chez le banquier Laffitte. Répandant autour de lui la prospérité, et multipliant les actes charitables, il avait été nommé maire de la ville, et avait reçu la Légion d'honneur.
Mais, dautre part, lui qui avait été «en deuil» en 1821 à lannonce de la mort de M. Myriel, répand autour de lui la prospérité, multiplie les actes charitables, ayant dépensé plus dun million pour la ville et pour les pauvres (lits à lhôpital, école, asile, caisse de secours). Observé dabord avec une curiosité malveillante, puis résolument ignoré par le «microscopique faubourg Saint-Germain» de Montreuil, M. Madeleine, à son corps défendant, est devenu maire, car sa simplicité, sa générosité toute chrétienne, ses manières douces et tristes lui ont ouvert le cur des pauvres gens, lui ont fait conquérir I'estime générale. Il habite une chambre dont lunique ornement consiste en deux flambeaux dargent posés sur la cheminée. Il a recueilli Fantine, qui a été quelque temps ouvrière chez lui, puis a été renvoyée à la suite d'une dénonciation, et il essaie de réparer le mal qu'on lui a fait en son nom.
Arrivé dans la petite ville vers 1819, linspecteur Javert y est à peu près le seul à demeurer, à légard du maire, dans une réserve méfiante, car il croit parfois reconnaître en lui un ancien forçat. Or, un jour de cette année-là, un vieil homme, le père Fauchelevent, étant tombé sous sa charrette dont le cheval s'était abattu, allait périr écrasé. Il aurait fallu un cric pour le tirer de là, ou encore qu'un homme assez vigoureux se glissât sous la charrette et la soulevât. Javert, qui a débuté comme adjudant garde-chiourme à Toulon, en regardant M. Madeleine, dit y avoir vu un tel homme, le forçat Jean Valjean, qui était surnommé Jean le Cric pour avoir un jour, soutenu à lui tout seul une des cariatides de Puget qui s'était descellée et allait tomber sur les passants. M. Madeleine soulève la voiture, et trouve une place de jardinier à Paris pour Fauchelevent, qui est estropié.
Fantine est employée comme ouvrière dans la fabrique lorsque une commère, Madame Victurnien, apprend quelle a une fille naturelle. Congédiée à la fin de lhiver 1819, elle impute son malheur à M. Madeleine, lequel, pourtant, ignorait tout de cette affaire. Elle tombe dans lindigence. Pour payer les factures Thénardier, elle vend ses cheveux à un coiffeur, et ses magnifiques dents de devant à un «professeur-dentiste» ambulant ; elle coud dix-sept heures par jour. À la fin, nen pouvant plus, elle se fait fille publique. Et, comme, un soir de janvier 1823, à la porte dun café, elle se prend de colère contre un goujat, M. Bamatabois, qui lui inflige ses sarcasmes, et lui plonge dans le dos une poignée de neige, Javert larrête, et laurait condamnée à six mois de prison si M. Madeleine nétait intervenu. Les deux hommes se mesurent. Javert doit céder. Fantine est soignée à linfirmerie de la fabrique, et M. Madeleine lui promet de faire venir Cosette.
Livre sixième : Javert
Partagé entre ses soupçons et ses scrupules, Javert avoue à M. Madeleine quà la suite dune enquête quil a poursuivie en secret, il a cru reconnaître dans le maire de Montreuil-sur-mer le forçat Jean Valjean, et la dénoncé comme tel à la préfecture de police de Paris. Mais voilà quon vient de retrouver le véritable Jean Valjean : cest un vagabond et malfaiteur de petite envergure qui va passer en jugement aux assises dArras, sous le nom de Champmathieu, pour un vol de pommes ! Javert sest donc trompé : il demande sa destitution.
Livre septième : Laffaire Champmathieu
En mars 1823, «dans laprès-midi qui suit la visite de Javert, M. Madeleine va voir la Fantine comme dhabitude», à linfirmerie où elle est sous la protection de «la sur Simplice». Puis, chez maître Scaufflaire, il retient un cabriolet pour le lendemain matin. Arrivera-t-il à temps à Arras? Au chapitre 3 intitulé : Une tempête sous un crâne, on le voit, au cours de la nuit, tourmenté par «sa conscience, cest-à-dire Dieu», passer par de longues hésitations, constater que «cacher son nom ; sanctifier son âme» étaient les deux pensées qui, depuis quil était établi à Montreuil-sur-mer, avaient constamment inspiré sa conduite, se dire, après tout, cest la Providence qui a tout fait, se demander, sil se confessait, que lui dirait le prêtre (sans doute de «laisser faire le bon Dieu»), se reprendre en pensant que commettre une action infâme, ce nest pas fermer la porte au passé mais la rouvrir, quil vaut mieux se dénoncer. Il envoie une lettre à M. Laffitte, banquier à Paris, pour retirer six cent mille francs. Il glisse dans sa poche un portefeuille contenant quelques billets de banque et un passeport. Mais il passe encore par plusieurs alternances, se disant, dune part, que Champmathieu ne risque, pour un vol de pommes, quun mois de prison, mais est accablé par le nom de Jean Valjean qui, lui, est coupable du vol des quarante sous de Petit-Gervais, tandis que, dautre part, on pourrait reconnaître quil avait été «honnête depuis sept ans», quil avait fait des «choses saintes». Il envisage aussi quà «son sacrifice au bagne [
] se mêlerait une idée céleste», quil fallait sabandonner à «sa destinée». Mais, soudain, «il pensa à la Fantine», quil ne peut, un bienfaiteur ne sappartenant pas, sacrifier à un vieux vagabond. Décidé à laisser faire, il se sent soulagé. Pour mieux rompre les derniers fils qui lattachent à Jean Valjean, il brûle ses vêtements de forçat, et se met en devoir de laisser fondre au feu les flambeaux dargent. Mais une voix sélève alors «du plus obscur de sa conscience», et il replace les flambeaux sur la cheminée, reprend sa marche, se rend compte de tout ce quil perdrait en se dénonçant. «Il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie
- rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans lenfer, et y devenir ange !» Au terme de ce terrible débat de conscience, il se laisse tomber sur sa chaise, sendort, et fait un rêve. Ce cauchemar («forme que prend la souffrance pendant le sommeil») lui fait impression par quelque chose «de funeste et de poignant», au point que plus tard il lécrit.
Alors quil est sur la route dArras, en butte à des «bâtons dans les roues», à linfirmerie, Fantine, qui a passé une mauvaise nuit, constatant quil ne vient pas la voir, imagine quil est parti chercher Cosette. Après bien des péripéties, le voyageur arrive au tribunal, et «prend des précautions pour repartir». Il est nuit, mais laffaire Champmathieu nest pas encore jugée. Attendant dentrer dans la salle d'audience, il connaît dabord une «tranquillité stupide», puis sent la tempête se réveiller alors quil nen peut plus. Ayant obtenu une «entrée de faveur» dans la salle, «un lieu où des convictions sont en train de se former», il est effrayé par laspect de Champmathieu où il reconnaît le forçat quil fut. Laccusé, guère capable de trouver les mots pour se défendre, se livre au «système des dénégations». Mais les trois bagnards qui ont cru reconnaître en lui Jean Valjean persistent dans leur témoignage. Cependant, Champmathieu est «de plus en plus étonné» car, au moment où il va être condamné, M. Madeleine, créant une stupeur générale, se présente, ses cheveux étant en une heure devenus soudain blancs. Il révèle quil est Jean Valjean, et, comme le juge voudrait croire quil est fou, il prouve quil connaît les trois bagnards. La stupéfaction est générale. Champmathieu est mis en liberté. Jean Valjean déclare quil a «plusieurs choses à faire», mais quil restera à la disposition de la justice. On le laisse sortir.
Livre huitième : Contre-coup
De retour à Montreuil, Jean Valjean se rend au chevet de Fantine. Comme elle sattendait à ce quil lui ramène Cosette, il sefforce de la calmer, dadoucir son agonie, en lui mentant, prétendant avoir vu lenfant. Survient linspecteur de police Javert qui, implacable, triomphant, «lautorité reprenant ses droits», vient appliquer lordre darrestation émis par lavocat général. Comme il se met en colère, il provoque la mort de Fantine. Jean Valjean se tourne alors vers lui : «Maintenant, dit-il, je suis à vous.» Il est mis en prison. Cependant, la nuit venue, il sen échappe, rentre chez lui, fait appeler soeur Simplice pour régler avec elle la sépulture de Fantine. Survient Javert. Un mensonge héroïque de la soeur sauve Jean Valjean, qui n'a eu que le temps de se cacher derrière la porte.
Deuxième partie : Cosette
Livre premier : Waterloo
Hugo imagine un passant découvrant, en 1861, le champ de bataille de Waterloo, en particulier la ferme de Hougomont et le plateau de Mont-Saint-Jean. Puis, avec une précision extrême, il fait le récit de la bataille du 18 juin 1815 qui nopposa dabord à larmée de Napoléon larmée anglaise de Wellington. Il sétend sur «le quid obscurum des batailles», celle-ci, à cause du sol détrempé par les pluies de la veille, ne sétant engagée quà partir de midi. Lheure cruciale fut «quatre heures de laprès-midi», où Napoléon, «de belle humeur», «donna lordre aux cuirassiers de Milhaud denlever le plateau de Mont-Saint-Jean». Ce fut «un spectacle formidable», mais, cest «linattendu», les cavaliers sécrasèrent dans «le chemin creux dOhain», ce qui «commença la perte de la bataille». Des combats acharnés furent livrés pour la possession du plateau. Mais le cours de la bataille fut changé quand, le retard pris le matin ayant permis dabord aux Prussiens, battus trois jours plus tôt à Ligny, de se reformer ; ainsi survinrent pour prêter main forte aux Anglais dabord, à deux heures de laprès-midi, ceux de Bülow faisant irruption sur la droite, puis, à sept heures, ceux de Blücher, au point même où les Français attendaient Grouchy. Aussi Napoléon fit-il entrer en ligne le corps délite quétait sa garde. Mais Wellington lui opposa «une nuée de mitraille» «et le suprême carnage commença». La garde, si elle sentit «le vaste ébranlement de la déroute», «continua davancer, de plus en plus foudroyée et mourant davantage à chaque pas quelle faisait.» Et sillustra alors le maréchal Ney, sans quil trouve la mort quil aurait voulue. Mais cela nempêcha pas «la catastrophe», «la déroute», «cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné lhistoire», auxquelles, à neuf heures du soir, résista encore, sous le feu de lartillerie ennemie, «le dernier carré» que commandait Cambronne ; à la sommation du général anglais, il répondit : «Merde !», mais la garde fut anéantie.
Au cours de la nuit, dans le chemin creux dOhain, un détrousseur de cadavres dégage de dessous un monceau de morts le colonel Pontmercy, qui a combattu héroïquement, Napoléon lui ayant crié : «Tu es colonel, tu es baron, tu es officier de la Légion d'honneur». Sa bravoure lui a valu de recevoir un coup de sabre en pleine figure avant de s'effondrer sur le champ de bataille dans la débâcle générale. Croyant que cet homme qui le fouillait avait tenté de le secourir, il nallait jamais oublier son nom : Thénardier.
Livre deuxième : Le vaisseau lOrion
Vers le 20 juillet 1823, Jean Valjean est, aux assises du Var, condamné à mort pour «vol de grand chemin commis à main armée» sur la personne de Petit-Gervais (et, suivant la thèse de laccusation, comme complice dune bande opérant dans le Midi). Il voit cependant sa peine commuée en celle des travaux forcés à perpétuité. Au bagne de Toulon, «le numéro 24601 devient le numéro 9340». Trois mois plus tard, en octobre 1823, alors quil est de corvée à bord du vaisseau lOrion qui était dans la rade, un gabier étant tombé dans le gréement, et étant resté suspendu à une corde au bout dune vergue, il demande la permission de risquer sa vie pour le sauver. «La chaîne de la manille ayant subi un certain travail préparatoire pour être brisée dun coup de marteau», il grimpe «avec lagilité dun chat-tigre» dans le gréement, sauve le gabier, et, simulant la fatigue, se laisse tomber à leau entre deux navires. Les autorités le considèrent dorénavant comme mort noyé, et, bientôt, renoncèrent à retrouver son corps.
Livre troisième : Accomplissement de la promesse faite à la morte
À Montfermeil, Cosette sert de souffre-douleur et de bonne à tout faire aux Thénardier. Sa grande terreur est, quand il fait nuit, daller «toute seule» puiser de leau car la source est perdue dans les bois, à un quart de lieue du village. Ce soir de Noël 1823 précisément, cette affreuse corvée lui a été infligée. Alors que, épuisée de fatigue et deffroi, elle est sur le chemin de retour, elle se trouve «côte à côte dans lombre avec linconnu», et un homme survient qui «empoigna lanse du seau quelle portait». Mais elle na pas peur. Ce passant mystérieux, le lecteur sen doute, cest Jean Valjean. Les six cent mille francs quavant son arrestation il avait retirés de la banque Laffitte, il les avait enfouis, en y joignant les chandeliers de lévêque de Digne, dans un bois voisin de Montfermeil. Quand il retrouva sa liberté, un de ses premiers soins fut donc de sassurer que son trésor était toujours là. Mais il na pu tenter lexpédition quà la nuit tombée. Cest ainsi quil a rencontré cette petite fille qui lui apprend quelle a huit ans, quelle ne sait pas qui est sa mère, quelle sappelle Cosette. Alors «lhomme eut comme une secousse électrique». Il décide daller loger chez les Thénardier qui ont le «désagrément de recevoir chez soi un pauvre qui est peut-être riche». Là, il peut voir à quel point la fillettte est enlaidie, maigre, mal vêtue, en proie à la crainte. Il lui offre la magnifique poupée dont elle rêvait depuis le matin, pour lavoir vue exposée à létalage dun marchand forain.
Le lendemain, à son réveil, Cosette trouve un louis dor dans son sabot. Létranger veut lemmener, exhibant cette lettre de Fantine : «Monsieur Thénardier, Vous remettrez Cosette à la personne. On vous paiera toutes les petites choses.» Thénardier, «à la manuvre», exige quinze cents francs, quil reçoit. Dabord ébloui, il réfléchit, flaire un mystère
Létranger fait revêtir à Cosette une petite robe de deuil, et rentre avec elle à Paris, dans la nuit.
Livre quatrième : La masure Gorbeau
Jean Valjean, qui avait loué le 24 décembre une chambre meublée de la maison Gorbeau, obscure bâtisse sise rue des Vignes-Saint-Marcel, non loin de la Salpétrière, dans ce qui est alors un des quartiers les plus mal famés et les plus solitaires de Paris, sy installe avec Cosette qui est devenue sa raison de vivre. Mais son allure mystérieuse commence à intriguer les autres gens qui y habitent.
Livre cinquième : À chasse noire, meute muette
Malgré ses extrêmes précautions, «les zigzags de la stratégie» quil applique, Jean Valjean se rend compte que Javert, alerté par un «mendiant qui fait laumône», est de nouveau sur sa trace. Un soir, vers le 15 mars 1824, il décampe, emmenant Cosette. Mais ils sont suivis par quatre hommes «tous de haute taille, vêtus de longues redingotes brunes, avec des chapeaux ronds et de gros bâtons à la main», les «acolytes» de Javert qui paraît lui aussi. Les fugitifs passent par le pont dAusterlitz, et, dans «les tâtonnements de lévasion [
] qui serait impossible avec léclairage au gaz», se retrouvent dans le quartier dit du Petit-Picpus, compris entre le faubourg Saint-Antoine et le quai de la Râpée. Mais Javert a requis une patrouille, aposté des sentinelles, tendu un barrage. Valjean et Cosette sont ainsi coincés dans un cul-de-sac entouré de hauts murs. Grâce à son habileté et son agilité, lancien forçat réussit, halant Cosette à demi-engourdie de froid, de peur et de fatigue, à escalader et franchir un mur. Ils tombent dans un jardin, entendent un «hymne» «céleste, divin, ineffable», venant dun «sombre édifice». Dans ce jardin travaille un «homme au grelot» qui reconnaît «le père Madeleine» : cest Fauchelevent. Il indique quil porte ce «grelot» parce quil est employé par les nonnes dun couvent, et quil peut cacher Jean Valjean et Cosette dans «une baraque isolée». Quant à Javert, il doit reconnaître quil a fait «buisson creux».
Livre sixième : Le Petit-Picpus
Le couvent est décrit. Les religieuses sont des bernardines qui, sous «lobédience de Martin Verga», connaissent des «sévérités» mais aussi des «gaîtés», ont des «distractions».
Livre septième : Parenthèse
Hugo se consacre longuement à létude du «Couvent» en tant qu«idée abstraite» et en tant que «fait historique», se demande «À quelle condition on peut respecter le passé», revient sur «le couvent au point de vue des principes», sinterroge sur «la prière» et sur Dieu, affirme la «bonté absolue de la prière», etc..
Livre huitième : Les cimetières prennent ce quon leur donne
Fauchelevent, «en présence de la difficulté», cherche, pour Jean Valjean et Cosette, une «manière dentrer au couvent». Comme Jean Valjean et Cosette sy sont introduits par escalade, il leur faut en sortir sans être vus, et y rentrer au vu de tous. Il est facile pour Fauchelevent de faire sortir Cosette. Mais, pour Jean Valjean, on trouve ce macabre et singulier stratagème : il prendra la place d'une religieuse morte, se fera enfermer «entre quatre planches» et enterrer dans son cercueil ; puis il se présentera à la mère supérieure. Peu sen faut que léquipée ne finisse tragiquement : Fauchelevent avait tout prévu, sauf que le fossoyeur, quil se faisait fort de soudoyer, serait remplacé au dernier moment. À la porte du couvent, Fauchelevent prétend que Jean Valjean est son frère, Ultime Fauchelevent. Les religieuses ladmettent à leur service pour quil aide leur jardinier. Jean Valjean et Cosette sont intégrés dans la communauté, et n'ont plus rien à craindre de la police. Comme au couvent est joint un pensionnat, Cosette en suivra les classes, y recevra une excellente éducation.
Troisième partie : Marius
Livre premier : Paris étudié dans son atome
Hugo sintéresse au gamin de Paris, définit «quelques-uns de ses signes particuliers», déclare qu«il est agréable», qu«il peut être utile», détermine «ses frontières», fait «un peu dHistoire», considérant quon retrouve en lui «la vieille âme de la Gaule», quil «exprime Paris», quil représente «lavenir latent dans le peuple». Enfin, il fait le portrait du «petit Gavroche», fils de Jondrette, un miséreux qui occupe avec sa femme et ses deux grandes filles une chambre de la masure Gorbeau. Leur voisin, un étudiant très pauvre, qui a vingt ans, se nomme Marius Pontmercy.
Livre deuxième : Le grand bourgeois
En 1831, M. Luc-Esprit Gillenormand, qui a «quatre-vingt-dix ans et trente-deux dents», est «le vrai bourgeois complet et un peu hautain du dix-huitième siècle», qui «disait avec autorité : La Révolution française est un tas de chenapans». Il «demeurait au Marais». Il avait eu deux femmes dont la seconde «avait épousé par amour ou hasard ou autrement un soldat de fortune qui avait servi dans les armées de la République et de lEmpire, avait eu la croix à Austerlitz et avait été fait colonel et baron à Waterloo», une heure avant de tomber dans le chemin creux, et dont il disait : «Cest la honte de ma famille.» Cest Georges Pontmercy.
Livre troisième : Le grand-père et le petit-fils
M. Gillenormand, bien que bourgeois, fréquenta des salons «très nobles», dont celui de Mme de T., si ultra-royaliste quon y reprochait à Louis XVIII son «jacobinisme». Il y venait avec «un beau petit garçon de sept ans», Marius. Son père est Georges Pontmercy qui s'était marié, sous l'Empire, avec la fille cadette de M. Gillenormand, malgré la réticence de celui-ci. Le couple n'eut qu'un fils. En 1815, lors du décès de la mère de Marius, le grand-père menaça de déshériter celui-ci si son gendre ne lui laissait pas la garde de lenfant. Dans l'intérêt de son fils, Georges Pontmercy, mis en résidence surveillée à Vernon et appauvri par la Restauration, qui lavait «mis à la demi-solde» et lui contestait son grade de colonel et son titre de baron, céda à son beau-père, qui coupa toutes relations avec lui, et lui interdit de revoir son fils, qui nentendit que M. Gillenormand qualifier son père de «honte de la famille» et se moquer de sa baronnie accordée par «Buonaparté».
Cependant, en 1827, Georges Pontmercy, étant tombé gravement malade, écrit à M. Gillenormand pour solliciter la visite de son fils. Le vieillard y consent, mais Marius arrive trop tard, son père lui ayant toutefois laissé une lettre où il lui léguait son titre, et le chargeait de retrouver la trace dun certain Thénardier qui lui avait sauvé la vie. Devant le cadavre, il lui jure fidéllté à son idéal.
Et, un jour, par hasard, à Saint-Sulpice, il apprit que son père venait, tandis quil assistait à la messe, ly voir en cachette. Doù l«utilité daller à la messe pour devenir révolutionnaire», car, bouleversé par ces révélations, Marius se met à dévorer toute la littérature consacrée à l'Empire, à la république et à ses héros. Il en vient à senflammer dadmiration pour Napoléon et la Grande Armée, à vénérer son père, à porter désormais son deuil, et à adopter le nom de «baron Marius Pontmercy».
Un jour de 1828 éclate une discussion violente entre le jeune homme et son grand-père qui insulte à la mémoire du colonel. Marius répond en criant : «À bas les Bourbons». M. Gillenormand le chasse, tout en demandant à sa fille de veiller à lui faire parvenir «soixante pistoles» par mois, et il part «avec trente francs, sa montre, et quelques hardes dans un sac de nuit.»
Livre quatrième : Les amis de lA B C
«La société des Amis de lA B C», cest-à-dire de «lAbaissé», «le peuple», «groupe qui a failli devenir historique», réunit, dans «larrière-salle du café Musain», des jeunes gens qui sont des républicains épris de la démocratie antique, et n'attendant qu'une occasion pour se révéler des révolutionnaires actifs. Ce sont : les étudiants en droit Enjolras (le chef charismatique, parfait représentant du révolutionnaire républicain du XIXe siècle), Combeferre (le logicien, plus humain qu'Enjolras), Prouvaire (l'érudit), Courfeyrac et Bahorel (joyeux compagnons, serviables, quelque peu bohèmes et aimant le tapage), Lesgle (maladroit et perpétuellement malchanceux), létudiant en médecine Joly («le malade imaginaire jeune»), louvrier éventailliste Feuilly (qui na quune pensée : libérer le monde en faisant triompher «lidée des nationalités»). Si tous ceux-ci «avaient une même religion : le Progrès», s«ils ébauchaient souterrainement lidéal», soppose à eux livrogne et sceptique Grantaire qui, comme son nom lindique, se complaît aux grandes attitudes ridicules et aux grands discours vains, et na de titre à figurer dans le groupe que son admiration éperdue pour Enjolras. Devenu lami de Courfeyrac, qui le présente au groupe, Marius est cordialement accueilli. Il y connaît bien des «étonnements», mais reste fidèle, dans ce cercle républicain, à son culte de Napoélon.
Livre cinquième : Excellence du malheur
Marius, qui a renvoyé les «soixante pistoles» de M. Gillenormand en déclarant «avoir des moyens dexistence et pouvoir suffire désormais à tous ses besoins», vit, en fait, dans la plus grande pauvreté, mangeant «de cette chose inexprimable quon appelle de la vache enragée». Après avoir été hébergé par son ami Coufeyrac puis avoir habité l'hôtel avec ses derniers sous, il est contraint de louer, dans la masure Gorbeau, «un taudis sans cheminée». Mais, se sentant «encouragé et quelquefois même porté par une force secrète quil avait en lui», il sefforce de se montrer digne de son père en tenant tête à lindigence, et en continuant sa recherche de Thénardier. Il achève ses études, et devient avocat, mais préfère survivre en tenant un «modeste rôle dutilité dans une librairie» de traducteur et de compilateur, en donnant des leçons particulières. En plus de Coufeyrac, il a pour ami le vieux Mabeuf, qui connaît des revers de fortune, et sombre peu à peu dans la misère, vivant dans une petite chaumière du côté de la Salpêtrière, dans ce qui était encore le village d'Austerlitz. Marius fréquente aussi la librairie du vieux Royol.
Livre sixième : La conjonction de deux étoiles
Marius était «un beau jeune homme». Mais, «au temps de sa pire misère, il remarquait que les jeunes filles se retournaient quand il passait, et il se sauvait ou se cachait, la mort dans l'âme. Il pensait qu'elles le regardaient pour ses vieux habits et qu'elles en riaient ; le fait est qu'elles le regardaient pour sa grâce et qu'elles en rêvaient.» Il remarque plutôt, vers la fin de l'année 1830, lors de ses promenades quotidiennes au Jardin du Luxembourg, assis sur un banc de l'une des allées les plus isolées, un homme «aux cheveux blancs», d«une soixantaine dannées», «triste et sérieux», qui est toujours accompagné dune fille aux cheveux bruns, «de treize ou quatorze ans, maigre, au point den être presque laide». Son ami, Coufeyrac, les a surnommés «mademoiselle Lanoire et monsieur Leblanc». Un jour du printemps, «leurs deux regards se rencontrèrent» : «ce fut un étrange éclair», et, pour Marius, le «commencement dune maladie», il est «éperdument amoureux», «prisonnier». Il sexalte en tenant un mouchoir laissé sur le banc, mouchoir quil imagine à elle alors quil porte les «lettres U.F.» ; aussi lui donne-t-il le prénom dUrsule. Comme il les suit jusquà leur domicile, le lendemain, on lui apprend quils lont quitté.
Livre septième : Patron-Minette
Hugo dépeint la société comme travaillée de «mines» diverses, comme un «immense fourmillement inconnu». Dans «le bas-fond» apparaissent des monstres, dont «un quatuor de bandits» : Gueulemer, qui est «un Hercule déclassé», «une grosse force paresseuse», un «assassin par nonchalance» ; Babet, un ancien pitre «maigre et savant» ; le ténébreux Claquesous ; Montparnasse, «un enfant» mais «un être lugubre» qui «avait tous les vices et aspirait à tous les crimes». Ils formaient une association quon appelait «Patron-Minette».
Livre huitième : Le mauvais pauvre
Marius saperçoit que son voisin, Jondrette a «pour industrie, dans sa détresse, dexploiter la charité de personnes bienfaisantes», dont il se procure les adresses ; quil leur écrit sous des noms supposés (ainsi : «Au monsieur bienfaisant de l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas») ; quil envoie ses deux filles porter les lettres, et mendier un peu partout. Un jour matin de février 1832, Marius reçoit la visite de laînée, Éponine, qui lui en apporte une où, très obséquieusement, le père sollicite son aide ; s'il ne l'a pas remarquée jusqu'alors, elle semble bien le connaître, l'appelle «Monsieur Marius», et est déjà amoureuse de lui sans qu'il s'en doute, lui disant le trouver «très joli garçon». Il lui donne cinq francs. Ayant vu «la misère de l'enfant» dans Éponine, il se met, par un trou du mur, à observer ses voisins, découvrant ainsi petit à petit que les Jondrette sont de dangereux individus que rien ne peut racheter. Il assiste surtout à une scène étrange : le vieillard (le «monsieur bienfaisant») et la jeune fille du Luxembourg sont venus visiter les Jondrette, leur apportant quelque secours, et se retirant, en promettant de revenir le soir même, car le père a prétendu être sur le point d'être expulsé pour inciter son bienfaiteur à lui remettre l'argent des prétendus loyers impayés. Le «mauvais pauvre» a flairé que cet homme a tout intérêt à préserver le mystère dont il s'entoure. Marius, comprenant que se prépare, avec le concours de «Patron-Minette», un guet-apens, avertit la police, en l'occurrence I'inspecteur Javert. Le soir du 3 février 1832, le «philanthrope» sans méfiance revient, mais seul. Il se voit peu à peu entouré par la bande de malandrins, puis ligoté sur une chaise. Au moment où Marius, par le trou du mur, va tirer sur les bandits (Javert lui a prêté un pistolet), Jondrette, le regard étincelant de haine, crie à sa victime : «Me reconnaissez-vous? Je suis Thénardier.» Aussi Marius est-il bouleversé puisque, par fidélité à la volonté de son père, il cherche justement un certain Thénardier. Le misérable exige deux cent mille francs, faute de quoi la jeune fille (il I'a reconnue, dit-il, c'est «I'Alouette») sera enlevée, et c'en sera fait d'elle. Cependant, l'inconnu a réussi à se dégager de ses liens ; il a saisi un ciseau rougi à blanc, et se I'est appliqué sur le bras pour montrer son courage. Alors Marius a I'idée de jeter dans le «bouge» un caillou enveloppé du papier où Éponine avait écrit : «Les cognes sont là.» Et, de fait, Javert survient. Mais, nouveau coup de théâtre, I'inconnu a disparu. Les bandits, hommes et femmes, sont arrêtés.
Quatrième partie : Lidylle rue Plumet et lépopée rue Saint-Denis
Livre premier : Quelques pages dHistoire
Hugo étudie les débuts de la monarchie de Juillet, considérant que «1830 est une révolution arrêtée à mi-côte» par la bourgeoisie, «portion satisfaite» du peuple, et qui, comme telle, éprouva le besoin dune «halte». Dans une longue suite de traits antithétiques, il brosse un portrait de Louis-Philippe. Puis il constate lapparition de «lézardes sous les fondations», chacun de leur côté, légitimistes et républicains criant : «Révolution, pourquoi ce roi?» Lagitation politique se doublait du mécontentement populaire : «fermentation démocratique et philosophique à la fois». Les sociétés secrètes pululaient. Dans les faubourgs, lagitation républicaine se propageait, et «Enjolras et ses lieutenants» se préparaient à «lévénement possible».
Livre deuxième : Éponine
Marius, qui a quitté la masure Gorbeau, se perd en conjectures, et sabandonne à la rêverie, venant se promener souvent dans un coin désert à la limite de la ville, «le champ de lAlouette» car son nom lui rappelle la jeune fille quil aime. À propos de la détention de Thénardier et de ses complices, I'auteur nous fait entrer dans le monde des prisons dont il trace un tableau assez saisissant. Grâce au renseignement donné par le père Mabeuf, Marius est, dans «le champ de lAlouette», retrouvé par Éponine qui laime mais vient lui révéler ladresse de «la demoiselle».
Livre troisième : La maison de la rue Plumet
Le vieux Fauchelevent étant mort, Jean Valjean et Cosette quittent le Petit-Picpus. Il loue, rue Plumet, une maison dun étage qui est étrange et secrète car dissimulée aux passants par les broussailles du jardin où sest épanouie une végétation sauvage. Nayant «pu échapper aux mailles étroites du rencensement de 1831», il lui fallait bien être «garde national», mais il sortait, vers le soir, en habits douvrier. Et il avait conservé un logis de secours, rue de lHomme-Armé. Cosette, qui est heureuse dans cette «continuation de la solitude» du couvent «avec le commencement de la liberté», et qui «adorait le bonhomme», ne sétonnait point de ces bizarreries. Alors que, «dans son miroir», «il lui semblait presque quelle était jolie», lorsque, en juin 1831, Marius reprend ses promenades dans «son allée» du Jardin du Luxembourg, il reconnaît «M. Leblanc», mais pas «Mlle Lanoire». La fillette maussade de l'année précédente est devenue une très jolie jeune fille. Séveillant au besoin daimer, le 16 juin, elle regarde Marius, et, comme il reste sur son banc, en proie aux «hésitations», aux «palpitations», aux «terreurs», le 2 juillet, elle va passer devant lui, et leurs yeux s'illuminent soudainement. Ils ont alors un dialogue amoureux muet qui néchappe pas à M. Leblanc. Marius s'enhardit jusqu'à les suivre à leur domicile de la rue de l'Ouest, ce qui inquiète M. Leblanc. À partir de là, leurs apparitions au Luxembourg s'espacent jusqu'à ce qu'ils quittent soudainement leur domicile. Marius perd leur trace, et l'hiver arrive sans qu'il l'ait retrouvée. Un soir du mois doctobre, se promenant dans la banlieue, Cosette et son «père» voient passer «la Chaîne», sinistre convoi des forçats en route pour Toulon, spectacle qui pétrifie le vieil homme et fait horreur à la jeune fille.
Livre quatrième : Secours den bas peut être secours den haut
Un matin, Jean Valjean revient «avec une large blessure au bras gauche», mais refuse tout médecin. Sa longue guérison est loccasion pour Cosette de lui faire la lecture et de lui chanter des chansons, de lui faire faire des promenades dans le jardin. Ils sont ainsi remarqués par Gavroche, le fils des Thénardier qui, suivant un soir le vieil homme, le voit attaqué par Montparnasse ; pourtant, ce «fier invalide» domine son jeune adversaire et, le tenant, lui fait la morale, avant de le libérer en lui laissant sa bourse.
Livre cinquième : Dont la fin ne ressemble pas au commencement
Cosette remarque un bel officier à la fière allure, qui est nul autre que Théodule, le cousin de Marius, son régiment étant caserné près de la rue Plumet. Un jour, il la voit se promener dans le jardin, et sapplique alors à passer devant chaque jour. Or elle «traversait ce moment dangereux, phase fatale de la rêverie féminine abandonnée à elle-même». Alors que Jean Valjean était parti en voyage, elle seffraya en croyant, deux soirs de suite, avoir entendu dans le jardin le pas dun homme, et avoir vu une ombre. De retour, Jean Valjean lui montra quelle navait été victime que dune illusion. Pourtant, alors quil est de nouveau absent, dautres indices dune présence lépouvantent. Elle trouve un papier où est écrit un éloge enflammé de lamour. Elle comprend que cest un message de Marius, qui enfin se montre et lui parle, lui raconte sa quête, lui déclare son amour : «Vous êtes mon ange». À ces mots, elle sévanouit ; il la prend dans ses bras ; «leurs lèvres se rencontrèrent». Et ils se disent leurs noms.
Livre sixième : Le petit Gavroche
Lors d'une sordide transaction, «la Thénardier sétait débarrassée de ses deux derniers enfants encore en bas âge», des garçons car elle n'aime que ses filles. Son fils aîné, Gavroche, qui était déjà livré à lui-même dans la rue, au printemps 1832, les recueille sans savoir quils sont ses frères. Après avoir rencontré son ami, Montparnasse, car il connaît bien la bande «Patron-Minette», il loge les petits avec lui dans léléphant de la Bastille. Alors que la bande sefforce de faire sévader Thénardier de la prison de la Force, elle lappelle à la rescousse. Il reconnaît son père, qui, lui, reste indifférent.
Livre septième : Largot
Pour Hugo, largot est la «langue des ténèbres sociales», la langue de la misère, un «verbe devenu forçat». Il étudie son «origine», ses «racines», distingue l«argot qui pleure» et l«argot qui rit». Puis, sinterrogeant sur le danger que court la société du fait de la pègre, il indique «les deux devoirs : veiller et espérer».
Livre huitième : Les enchantements et les désolations
En avril 1832, Marius pénétrant dans le jardin de la rue Plumet, lui et Cosette goûtent la «pleine lumière» de leur amour, connaissent «létourdissement du bonheur complet». Mais un «commencement dombre» se dessine, car Éponine, qui poursuit Marius de son amour sans espoir, découvre son intérêt pour cette maison dont, le 3 juin, elle empêche le cambriolage par la bande de «Patron-Minette» accompagnée de Thénardier, son indigne père qui ose faire appel à son «amitié». Surtout, Cosette est triste parce que Jean Valjean envisage daller vivre en Angleterre. Marius, qui songe à lépouser, vient, le lendemain, voir son grand-père, M. Gillenormand, mais il nen tire que des sarcasmes, ne peut obtenir son consentement. Le vieillard lui conseille, au contraire, de faire de ce «cotillon» sa maîtresse, lui faisant cadeau pour cela de «deux cents pistoles», ce qui, pour le jeune homme, est un outrage. Il s'enfuit, alors que lautre, désespéré, tente en vain de le rappeler.
Livre neuvième : Où vont-ils?
Jean Valjean, déjà inquiet des allées et venues dans le quartier dun rôdeur qui est nul autre que Thénardier, et qui est décidé à partir en Angleterre, reçoit un papier où on lui conseille : «Déménagez». Alors que, le 5 juin 1832, ses amis vont à lenterrement du général Lamarque, bonapartiste et républicain, Marius ne pense quà retrouver Cosette. Mais la maison de la rue Plumet est fermée. Cependant, Éponine lui indique : «Vos amis vous attendent à la barricade de la rue de la Chanvrerie».
Livre dixième : Le 5 juin 1832
Hugo sinterroge sur le phénomène de lémeute, la distingue de linsurrection. Il évoque lenterrement du général Lamarque qui, ayant «bien servi lEmpereur» et tenu «haut la liberté», était «aimé du peuple». Le cortège mène à travers Paris une «multitude innombrable» où domine «un enthousiasme mêlé daccablement», tandis que le gouvernement a mobilisé «vingt-quatre mille soldats dans la ville et trente mille dans la banlieue». Il y eut une «minute fatale» où «les dragons et la foule se touchaient» et où «la tempête se déchaîne». «En moins dune heure, vingt-sept barricades sortirent de terre» dans le centre de Paris, ville qui présente cette «originalité» de continuer à vivre pendant les émeutes, mais qui, cette fois, a «peur» : «Les courageux sarmèrent ; les poltrons se cachèrent». On colportait des informations alarmantes.
Livre onzième : Latome fraternise avec louragan
Après avoir laissé ses frères dans léléphant de la Bastille, Gavroche, semparant dun pistolet, part en guerre, en chantant une chanson. Il provoque la colère dune chiffonnière et dune portière, la «juste indignation dun perruquier» car il a jeté une pierre dans la vitre de sa devanture. Il rejoint une bande conduite par Enjolras et ses amis de lA B C, que suivent le vieux M. Mabeuf et «une espèce de jeune ouvrier» qui cherche Marius. Ils arrivent rue Saint-Denis.
Livre douzième : Corinthe
Comme, dans le cabaret Corinthe, rue de la Chanvrerie, Bossuet, Joly et Grantaire font bombance, ils proposent aux autres membres de lA B C détablir là une barricade, en commençant par démolir le cabaret, en sattaquant à dautres maisons, en ajoutant «le haquet dun fabricant de chaux» et même «un omnibus». Ils reçoivent des renforts, et, bientôt, une seconde barricade est construite, lensemble formant «une véritable redoute». Ils font «un emprunt en bloc à une boutique darmurier», distribuent cartouches, fusils et carabines. Les «préparatifs» achevés, les émeutiers «attendirent», causèrent entre amis, Jean Prouvaire dit «des vers damour». La nuit venue, on alluma une torche qui éclaire le drapeau rouge planté sur la barricade. En un homme qui avait été recruté rue des Billettes, le flair de Gavroche décèle un «mouchard» qui se présente en «agent de lautorité», et dit son nom : Javert. Il a été envoyé par ses chefs en «mission politique». Enjolras lui annonce : «Vous serez fusillé deux minutes avant que la barricade soit prise.» Un certain Le Cabuc ayant décidé dentrer dans une maison et ayant abattu le propriétaire récalcitrant, Enjolras lexécute, mais déclare avoir «obéi à la nécessité» dont lavenir sera libéré.
Livre treizième : Marius entre dans lombre
Sans avoir revu Cosette, Marius semploie à rejoindre à son tour la barricade. Mais, sur le point dy arriver, un débat sélève dans sa conscience. Dune part, son père approuverait-il de faire ainsi, dans une guerre civile, «saigner le flanc de la patrie»? Dautre part, Cosette partie, pouvait-il continuer à vivre? Surtout, pouvait-il manquer à lamitié et à la parole donnée? «Tout à coup», il est illuminé par une réflexion où il repousse la distinction entre «guerre civile» et «guerre étrangère» pour ne condamner que «la guerre injuste» car «la guerre juste» est celle qui est menée contre «le droit, le progrès, la raison, la civilisation, la vérité».
Livre quatorzième : Les grandeurs du désespoir
À dix heures du soir, Gavroche, qui est allé en reconnaissance, donne lalarme sur lair dAu clair de la lune, et exige le fusil de Javert. On entend la troupe sapprocher dans lobscurité. Elle fait feu. La détonation abat le drapeau rouge, et blesse plusieurs hommes. Relever ce drapeau, cest la mort certaine. Qui va y aller? «Personne ne se présente?» demande Enjolras. À cet appel, le père Mabeuf paraît sur le seuil du cabaret. Il tente de replacer le drapeau, mais est abattu par une décharge. Sa mort héroïque est saluée par Enjolras. Mais la barricade manque alors dêtre submergée par les assaillants, Courfeyrac et Gavroche en danger dêtre tués étant sauvés par Marius qui vient dy entrer, «ses deux pistolets à la main». À son tour, il est couché en joue à bout portant. Mais un jeune ouvrier met sa main devant le canon du fusil. Alors que les adversaires sont très près les uns des autres, que deux détonations partent en même temps, laissant des mourants et des blessés, une voix menace de faire sauter la barricade ; cest celle de Marius qui est allé chercher un baril de poudre, et menace dy mettre le feu. Les assaillants refluent pêle-mêle vers la rue Saint-Denis. On constate que Jean Prouvaire a été tué, et que le jeune ouvrier qui a protégé Marius est blessé à mort. Il se fait reconnaître : cest Éponine. Elle lui remet une lettre quelle avait voulu garder, et meurt après avoir avoué être amoureuse de lui. Dans la lettre, Cosette lui révèle ladresse où elle et son père seront avant leur départ pour lAngleterre. Il lui écrit quelques lignes où il lui lui fait part du refus de son grand-père et de sa décision de mourir, et envoie Gavroche porter le papier à ladresse donnée.
Livre quinzième : La rue de lHomme-Armé
Par un hasard cruel, un buvard reflété dans une glace révèle à Jean Valjean les amours de Cosette. Le cur du vieil homme se déchire. Tandis qu'il songe, assis devant sa maison, Gavroche apporte une lettre pour Cosette. Jean Valjean apprend ainsi que Marius est à la barricade et va mourir.
Cinquième partie : Jean Valjean
Livre premier : La guerre entre quatre murs
Hugo, à partir de lexemple de «la fatale insurrection de juin 1848», médite sur «les exaspérations de la foule qui souffre et qui saigne». Puis il examine deux barricades de 1848, appelant lune, «monstrueuse», «la Charybde du faubourg Saint-Antoine», lautre, uvre dun «géomètre», «la Scylla du faubourg du Temple». Revenant à la barricade de la rue de la Chanvrerie, en 1832, il indique quelle est «non seulement réparée, mais augmentée», mais quon y souffre de la faim, et quEnjolras «interdit le vin et rationne leau-de-vie». Parti en reconnaissance, il annonce aux défenseurs quils sont «abandonnés». Ils sont une quarantaine, soit dix de trop. Combeferre, prodiguant son éloquence simple et humaine, obtient que cinq pères de famille, se sacrifiant, rentrent dans leurs foyers. Un nouveau venu se présente. Cest Jean Valjean. Marius dit : «Je le connais», et se porte garant de sa loyauté.
«En ce moment-là, Cosette se réveillait», et tout un chapitre est consacré à cet événement.
Enjolras fait un grand discours où il expose sa vision utopique de lavenir pour laquelle les insurgés doivent se sacrifier. Or «la situation saggrave», puisque les assaillants font apparaître un canon. Les assiégés renforcent la barricade. Larrivée du boulet coïncide avec celle de Gavroche, qui fait plus deffet. Selon son rapport, la barricade est bloquée à gauche, à droite et en face. Une nouvelle décharge dartillerie, cette fois mieux réglée, fait deux morts et trois blessés. Enjolras, ému mais inflexible, abat le jeune sergent des canonniers. Jean Valjean rend divers services, vise très habilement des casques de soldats, mais sabstient de verser le sang. La garde nationale (surtout les compagnies de banlieue, composées en majeure partie de commerçants) apportent à la défense de lordre un zèle et une intrépidité où entre, en même temps que lexaspération, un grand appétit de gloire. Tel, rue de la Chanvrerie, le capitaine Fannicot qui, impatient dattaquer, fait décimer sa compagnie, puis est tué lui aussi, par la mitraille du canon.
«Dans la matinée du six juin, linsurrection eut, pendant une heure ou deux, une certaine recrudescence.» Mais «lespoir dura peu». Une deuxième bouche à feu est mise en batterie. La situation devient critique. «Feu sur les artilleurs», commande Enjolras. Les deux tiers des servants sont tués. Comme les assiégés nont presque plus de cartouches, Gavroche sort de la barricade, et, profitant de la fumée qui stagne dans la rue, va vider «les gibernes pleines de cartouches des gardes nationaux tués». Longtemps, il poursuit sa quête en échappant aux balles et en chantant, mais est finalement abattu.
«Il y avait en ce moment-là même dans le jardin du Luxembourg [
] deux enfants» qui sont les frères de Gavroche. Laîné parvient à semparer, avant les cygnes, dun morceau de brioche que le fils dun «bourgeois» leur avait jeté.
À midi, devant la barricade, apparaissent des sapeurs pompiers en ordre de bataille, la hache sur lépaule. Enjolras fait garnir de pavés les fenêtres des maisons environnantes. Le moment est venu de brûler la cervelle au mouchard quest Javert. Jean Valjean, qui «se venge», se fait confier sa garde, et obtient la faveur de lexécuter ; mais, lemmenant à lécart, il coupe ses liens, et lui laisse son adresse. Javert séloigne, calme en apparence. Un coup de pistolet a fait croire à son exécution sommaire.
«Lagonie de la barricade allait commencer». «Tout à coup le tambour battit la charge», et «une puissante colonne dinfanterie» «arriva droit sur la barricade». La lutte des «héros» est épique. La barricade prise, ses derniers défenseurs réussissent à se réfugier dans le cabaret. «Marius était resté dehors», mais, effroyablement atteint par plusieurs blessures, «il eut la commotion dune main vigoureuse qui le saisissait». Les soldats pénètrent dans le cabaret. Au premier étage, Enjolras, seul, debout, lutte encore. Le sceptique Grantaire, ivre-mort depuis la veille, est tiré de son sommeil, juste à temps pour périr fusillé à côté dEnjolras, en criant avec lui : «Vive la République !»
Cest Jean Valjean qui a saisi Marius qui est en quelque sorte son «prisonnier». Mais où fuir? Il avise une grille descellée, et mettant à profit «sa vieille science des évasions», sengage avec son fardeau dans une «espèce de puits heureusement peu profond» puis dans «une sorte de long corridor souterrain».
Livre deuxième : Lintestin de Léviathan
Hugo y fait un fort long exposé sur les égouts de Paris, plein dérudition et de considérations historico-politico-socialo-économiques.
Livre troisième : La boue, mais lâme
Jean Valjean, qui porte Marius sur ses épaules («Lui aussi porte sa croix»), montrant une vigueur physique et une force d'âme peu communes, est entré dans un égout, «cloaque» qui présente bien des «surprises». Il parvient à éviter une patrouille. On apprend quun «homme en blouse» est «filé» au bord de la Seine par un «homme à la redingote» ; que, le premier disparaissant, le second comprend quil sest échappé par une grille dégout dont il a la clé ; aussi se poste-t-il aux aguets devant elle. Jean Valjean manque s'enliser avec son fardeau dans une fondrière. Il aperçoit une lueur lointaine, et arrive à une grille, qui est fermée. Il pense à Cosette. Soudain, il entend quelquun lui dire : «Part à deux». Cest Thénardier qui, croyant se trouver en présence dun détrousseur de cadavres, réclame la moitié du butin. Jean Valjean dissimule son visage, donne les quelques pièces quil a sur lui, et obtient de pouvoir sortir de légout. Il goûte le jour retrouvé, mais Javert, qui «filait» Thénardier, larrête sans le reconnaître car il «ne se ressemblait plus à lui-même». Mais Jean Valjean se nomme. Croyant Marius mort, Javert lui permet de déposer le corps chez M. Gillenormand. Cest la «rentrée de lenfant prodigue de sa vie» : le vieillard pense mourir de chagrin en voyant son petit-fils dans un tel état. Javert ramène Jean Valjean chez lui.
Livre quatrième : Javert déraillé
Une tempête se déchaîne sous le crâne du policier qui, au lieu darrêter Jean Valjean, rendu fou par son incompréhensible générosité, désespéré d'avoir trahi son devoir, le 7 juin, se jette dans la Seine, après avoir rédigé, en guise de testament, quelques «observations pour le bien du service.»
Livre cinquième : Le petit-fils et le grand-père
Marius se rétablit lentement, et, en septembre, «en sortant de la guerre civile, sapprête à la guerre domestique», car il ne revient à la vie que pour retrouver Cosette. Devant une telle continuité de vues, M. Gillenormand et Valjean s'inclinent, et font tout pour rendre heureux les deux jeunes gens. Quand Marius ose affronter son grand-père, celui-ci, qui délire de joie, qui crie même : «Vive la République !», consent aussitôt au mariage, demande même pour lui la main de Cosette. «M. Fauchelevent» met Cosette en possession dune somme de cinq cent quatre-vingt mille francs. Il règle la situation de la jeune fille au regard de létat civil en la présentant comme sa nièce. M. Gillenormand, plus fringant et discoureur que jamais, est enchanté de Cosette, et la comble de cadeaux. Marius est à la recherche de «deux hommes impossibles à retrouver» : Thénardier et linconnu qui la sauvé ; comme il se demande sil na pas vu M. Fauchelevent dans la barricade, celui-ci ne fait rien pour laider à préciser ses souvenirs, prétend même ne pas connaître la rue de Chanvrerie.
Livre sixième : La nuit blanche
Marius est saisi de quelque soupçon devant la singulière personnalité de son beau-père, et celui-ci s'isole de plus en plus dans une solitude inexplicable. Le mariage a lieu le 16 février 1833, pendant les fêtes du carnaval. Thénardier a vu passer le cortège de la noce. M. Gillenormand donne un grand dîner. Mais M. Fauchelevent ny assiste pas : réfugié dans sa chambre de la rue de LHomme-Armé, il ouvre la malle qui contient les vêtements quil fit mettre à Cosette à Montfermeil, se débat avec la possibilité de perdre la seule chose quil ait jamais aimée, et recommence en lui «la vieille lutte formidable» entre le bien et le mal, dans une «rêverie vertigineuse» qui dure «toute la nuit».
Livre septième : La dernière gorgée du calice
Une dernière épreuve est réservée à Jean Valjean car il révèle à Marius : «Je suis un ancien forçat», sans lui dire quil lui a sauvé la vie. Le jeune homme est atterré. Il semploie à détacher Cosette de son père adoptif. D'un commun accord, Marius et Jean Valjean décident quil ne viendra voir Cosette seule que de temps en temps, et qu'il espacera ses visites jusqu'à disparaître définitivement.
Livre huitième : La décroissance crépusculaire
Le calvaire commence pour Jean Valjean. Il est successivement chassé de tous les bonheurs. Le tutoiement disparaît ; il se fait appeler «Monsieur Jean», et appelle Cosette «Madame». Bientôt, il se sent doucement éconduit. Enfin, après une dernière visite à Cosette à la fin avril 1833, il renonce à en faire dautres, et se cloître dans sa maison. Il comprend en outre que Marius soupçonne la fortune de Cosette dêtre le produit dun vol.
Livre neuvième : Suprême ombre, suprême aurore
Au milieu de lété 1833, se présente à Marius un visiteur qui porte «le vêtement dhomme dÉtat». Cest Thénardier venu faire des révélations. Elles éclaircissent tout : Jean Valjean na pas volé la fortune de M. Madeleine ; il na pas assassiné Javert comme Marius en était persuadé ; il lui a sauvé la vie, à lui, Marius, en lemportant loin de la barricade. De ces révélations, Thénardier escompte quelles lui vaudront une récompense. Il est même prêt à lexiger sous menace du scandale sil le faut. Sur le premier point, il se trompe du tout au tout ; mais, pour le reste, il atteint largement son but : Marius saisit loccasion de «libérer dun créancier indigne la mémoire de son père» ; il expédie Thénardier en Amérique, «muni dune traite de vingt mille francs sur New York». Il allait là-bas, sa misère morale étant incurable, sous un autre faux nom, se faire négrier.
Marius apprend la vérité à Cosette, et tous deux se rendent en grande hâte chez Jean Valjean. Ils le trouvent agonisant. Mais il se réjouit dêtre «pardonné», et la vue de ceux qu'il considère comme ses enfants lui donne le plus grand bonheur de sa vie. Cosette voudrait que celui quelle appelle de nouveau «Père» vienne vivre auprès deux. Mais, sil dit quil est près de la mort, quil appelle, il ajoute : «Quand vous me reprendriez, monsieur Pontmercy, cela ferait-il que je ne sois pas ce que je suis?» Un médecin confirme quil est «trop tard». Le vieillard, qui est allé prendre un crucifix en affirmant : «Voilà le grand martyr», a une syncope. Revenant à lui, il entreprend de sexpliquer sur la dot de Cosette. Puis, de nouveau, il faiblit. Il lègue à Cosette «les deux chandeliers», et se demande : «si celui qui me les a donnés est content de moi là-haut». Il rappelle le bonheur quils ont connu alors quelle était enfant, et lui révèle le nom de sa mère : «Fantine». Il conseille aux deux jeunes gens de saimer. Il meurt dans leurs bras, rasséréné et justifié, et, «sans doute, dans lombre, quelque ange immense était debout, les ailes déployés, attendant lâme.»
ANALYSE
(les passages du livre sont identifiés ainsi :
un chiffre romain désigne la partie, un chiffre arabe, le «livre», un second chiffre arabe, le chapitre)
GENÈSE
Si on ne peut dater la conception du roman, on sait que, dès 1828 ou 1829, Hugo recueillait des informations sur la personne de lévêque de Digne, Mgr de Miollis, qui vivait encore ; il avait même eu plusieurs entretiens avec un frère du prélat. Dès cette époque, il possédait la donnée initiale du roman : un forçat libéré, accueilli et racheté par un saint évêque. Et cest sans doute peu après quil imagina la métamorphose du forçat en industriel.
Le 31 mars 1832, le dessein était assez précisé pour que Hugo vendît aux éditeurs Gosselin et Renduel un roman à paraître, qui devait comporter deux volumes in-8. Le titre n'était pas encore choisi.
Comme on sait que la rédaction des Misères ne commença que treize ans plus tard, on pourrait croire que, dans ce long intervalle, il avait abandonné son projet. Il n'en fut rien. Au mois de décembre de cette même année 1832, un correspondant demeuré inconnu lui adressa un Sommaire de I'exposition de la doctrine renfermée dans les Saintes Écritures. Cela non plus nallait pas être perdu : on en retrouve des éléments dans le chapitre de la première partie intitulé La prudence conseillée à la sagesse.
Cependant, dans les années qui suivirent, l'amour, le théâtre et la poésie absorbèrent toute l'activité de Hugo. Mais aux créateurs inlassables tout sert : la nuit du 16 au 17 février 1833 qui vit son union avec Juliette Drouet allait devenir «la nuit blanche» de Marius et de Cosette. Et il noubliait certes pas son forçat racheté quand il publiait Claude Gueux (1834) ou visitait les bagnes flottants (établis sur des pontons) de Brest (1834) et de Toulon (1839). En 1836 parut Jocelyn de Lamartine, poème de huit mille vers qui est une épopée du sacrifice, un hymne à lespérance et à la bonté où lécrivain manifesta ses préoccupations sociales, sa foi en la progression de la «caravane humaine».
Le 9 janvier 1841, Hugo assista, au coin du boulevard et de la rue Taitbout, à une scène qu'on retrouve dans Choses vues sous le titre Origine de Fantine : alors quil était écrivain reconnu, il se serait interposé pour faire libérer une prostituée agressée par un client, qui, du fait de son honorabilité, avait raison aux yeux de la police. L'anecdote fut confirmée plus tard par Adèle Hugo. Cest ainsi quaux débuts de la rédaction du roman entre 1845 et 1848 lui vint l'idée de la mère-prostituée incarnant l'innocence accablée. Sans avoir écrit une ligne de son roman, il avait désormais en tête trois des protagonistes et, dans ses dossiers, assez de notes déjà pour nourrir une intrigue.
Le 17 novembre 1845, lannée même où Louis-Philippe le fit pair de France, à la fois parce quil avait toujours été sensible à la misère, et parce que le succès des Mystères de Paris d'Eugène Sue (1842-1843) avait révélé l'engouement du public bourgeois pour l'exploration des bas-fonds sociaux, mais peut-être aussi à la suite du double choc de la douleur paternelle causée par la mort de Léopoldine, et de Ia réprobation sociale à la suite de laventure avec Léonie Biard, il entreprit une oeuvre profondément non conformiste, commença à rédiger le livre auquel il songeait, et pour lequel il se documentait depuis une vingtaine dannées, un vaste roman fondé sur le chagrin, alors intitulé Les misères, et qui allait devenir Les misérables. Cette fois, il travailla assidument, tout en continuant à recueillir «choses vues» et informations. Il concevait alors une action complexe, se déroulant sur quatre pistes : «Histoire dun saint - Histoire dun homme - Histoire dune femme - Histoire dune poupée» (note des années 1845-1848), autrement dit : Mgr Bienvenu, Jean Tréjean, Fantine et Cosette. Quand il eût décidé de donner plus dimportance au rôle de Marius, il se trouva donc en présence de cinq histoires quil lui fallait suivre sans oublier Javert, Thénardier-Jondrette, M. Gillenormand, Enjolras, Gavroche, Éponine, qui sont bien autre chose que des comparses. Dautre part, il devait, en toile de fond, brosser un tableau de la société, dont les structures, les préjugés, les institutions et les changements de 1815 à 1833 expliquaient la déchéance, la stérilité ou lascension de ses personnages.
En 1846, il composa un texte qui jette un éclairage intéressant sur ses préoccupations sociales et politiques, mais va bien au-delà, gardant aujourdhui une résonance prophétique : «Hier, 22 février, jallais à la Chambre des pairs. Il faisait beau et très froid, malgré le soleil et midi. Je vis venir rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond, pâle, maigre, hagard ; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour des chevilles pour tenir lieu de bas ; une blouse courte et souillée de boue derrière le dos, ce qui indiquait quil couchait habituellement sur le pavé, la tête nue et hérissée. Il avait sous le bras un pain. Le peuple disait autour de lui quil avait volé ce pain et que cétait à cause de cela quon lemmenait. En passant devant la caserne de gendarmerie, un des soldats y entra et lhomme resta à la porte gardé par lautre soldat. Une voiture était arrêtée devant la porte de la caserne. Cétait une berline armoriée portant aux lanternes une couronne ducale, attelée de deux chevaux gris, deux laquais en guêtres derrière. Les glaces étaient levées, mais on distinguait lintérieur tapissé de damas bouton dor. Le regard de lhomme fixé sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir, fraîche, blanche, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures. Cette femme ne voyait pas lhomme terrible qui la regardait. Je demeurai pensif. Cet homme nétait plus pour moi un homme, cétait le spectre de la misère, cétait lapparition brusque, difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, dune révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui vient. Autrefois, le pauvre coudoyait le riche, ce spectre rencontrait cette gloire ; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme saperçoit que cette femme existe tandis que cette femme ne saperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable.» (Choses vues).
Il travailla à son roman toute lannée 1847. En juin, il reçut une note, communiquée par un officier de marine, La Roncière Le Noury, relatant la belle action d'un bagnard de Toulon, petit fait vrai qui allait être intégré à l'histoire si romanesque de Jean Tréjean, qui était alors le nom du héros. On en trouve la transposition fidèle au chapitre III de la partie intitulée Le vaisseau L'Orion.
Le travail était assez avancé quand le 30 décembre 1847, il conclut, avec Gosselin et Renduel, une nouvelle convention. Elle visait la première partie des Misères. L'auteur et les éditeurs s'accordaient pour en exclure «un chapitre considérable», Le manuscrit de lévêque. Mais on allait en retrouver les thèmes principaux dans le Livre premier des Misérables et dans la Préface philosophique, qui allait être finalement abandonnée, elle aussi.
Les événements allaient rendre ce traité caduc comme le précédent. Le 21 février 1848, Hugo s'arrêta, à cause des événements politiques auxquels il prit une part active. Mais, s'il n'avait pas le temps de poursuivre son oeuvre, sil la délaissa malgré les instances de ses éditeurs, il demeurait fidèle à ce sentiment d'indignation et de pitié qui lui avait fait I'entreprendre. Cette fidélité se manifesta dans son Discours sur la misère, prononcé devant I'Assemblée, et qui fit scandale.
On pense généralement qu'il écrivit encore quelques pages des Misères, d'août à décembre 1851. Mais il ne pouvait s'agir que de retouches ou de compléments aux chapitres rédigés avant la révolution. Peu après, il rompit avec le «Parti de lOrdre», puis, après avoir longtemps hésité, se leva en adversaire de Louis-Napoléon Bonaparte, fut exilé après le coup dÉtat. Alors, malgré les instances de son éditeur, il délaissa de nouveau et pour plusieurs années son grand roman qui resta en panne. Le seul signe d'intérêt quil lui porta pendant le séjour à Jersey fut l'annonce en février 1854 de la prochaine publication des Misérables : cet acte de baptême figure sur la couverture de la Lettre à Lord Palmerston. Mais, si le titre définitif était ainsi choisi, la rédaction était toujours arrêtée. Ce n'est pas dire que loeuvre ait cessé de s'enrichir, plus ou moins consciemment. Ainsi, l'entrée au Carmel de sa cousine, Marie, dut dès cette époque inciter le romancier à développer ses réflexions sur la vie contemplative.
Ce ne fut quen 1860, à Guernesey, lors d'une interruption dans la rédaction de La fin de Satan, quil reprit sa narration au point même où il l'avait interrompue en février 1848, écrivant cette longue «préface philosophique» que, toutefois, il n'acheva jamais. On comprend quaprès douze années d'interruption presque totale il ait éprouvé le besoin, quand il reprit le manuscrit, une espèce de cahier énorme comme un dictionnaire, de le relire intégralement. Cette lecture, qui l'occupa du 26 avril au 12 mai 1860, suscita un certain nombre de remarques marginales et une note en dix-neuf points. Il fallut ensuite sept mois et demi (du 12 mai au 30 décembre 1860) pour «pénétrer de méditation et de lumière l'uvre entière». De cette époque datent sans doute la plupart des retouches apportées aux parties déjà écrites, et un certain nombre d'additions qui sont trop souvent des digressions :
- la «courte parenthèse» (I, 2, 6) est un paragraphe ajouté en 1861.
- la mention du «procès dun nommé Dumolard» (I, 4, 3) est un paragraphe écrit en 1861.
- lallusion aux «vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada lOlympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.» (II, 1, 9).
En V, 9, 4, Hugo affirme : «Ici une courte digression est nécessaire» pour consacrer deux pages à un «loueur de costumes» qui a fourni à Thénardier celui avec lequel il se présente à Marius.
Hugo, lui, les estimait nécessaires pour replacer le texte conçu avant 1848 dans des perspectives plus conformes à ses idées actuelles. Il y tenait d'autant plus que ce récit, même retouché, portait trop nettement la marque dun temps où il pensait fort mal, n'ayant découvert encore ni les vertus de la République ni les dogmes d'une nouvelle religion.
Le 30 décembre , il rejoignit enfin le début du Livre XV de la quatrième partie, où le pair de France s'était arrêté le 21 février 1848. Toute la fin du roman, comprenant ce livre XV et lintégralité de la cinquième partie, fut rédigée en six mois, du 30 décembre 1860 au 30 juin 1861, à Guernesey d'abord, puis en Belgique. Le travail de cette demi-année ne se borna pas là : en particulier tout le premier livre de la seconde partie, Waterloo, fut préparé sur les lieux mêmes quil dépeignit, à Mont-Saint-Jean.
Après quelques semaines de repos, commença, le 16 septembre 1861 la révision définitive qui, avec la correction des épreuves, mena Hugo jusquau 14 juin 1862. Entre-temps, il avait conclu, le 4 octobre 1861, avec un jeune éditeur belge, Lacroix, un des plus gros contrats du siècle, mais moins extraordinaire pour l'époque quon ne l'a dit ; s'il vendait son roman 300 000 francs (soit au moins quarante millions d'euros, une véritable fortune pour lépoque), Lamartine avait naguère reçu 250 000 francs pour ses Girondins.
Ainsi, on constate l'ancienneté et la continuité du dessein réalisé en 1862. En dehors des quelques pages de 1851, Hugo écrivit son roman en deux périodes, que sépara un intervalle de douze années : 1845-1848, 1860-1862. En bonne logique, il convient de réserver le titre Misères au texte antérieur à 1854, date où lauteur adopta le titre définitif, soit essentiellement au texte tel quil existait à la date du 21 février 1848. Ce jour-là, il avait commencé à écrire un chapitre qui est, dans Les misérables, le premier du livre XV de la quatrième partie, Buvard, bavard. Les misères sont donc un roman inachevé.
Si Hugo resta fidèle à son dessein, en douze ans, son écriture, sa pensée et son goût connurent des transformations significatives. Entre Les misères et Les misérables, il y eut ladhésion à la république, l'exil et la crise mystique de Jersey. L'auteur des Misères était aussi celui des Burgraves ; lauteur des Misérables était le pamphlétaire des Châtiments, l'interprète de la «Bouche d'Ombre».
Le 30 juin 1861, à Mont-Saint-Jean, près de Waterloo, il écrivit la dernière ligne. Victor Hugo avait donc mis seize ans à écrire le roman (17 novembre 1845-30 juin 1 861).
1. Le titre
Si lon se réfère au Petit Robert, le mot «misérable» a dabord une dimension morale ou psychologique. Le misérable est celui qui «inspire ou mérite dinspirer la pitié». Il a pour synonyme «lamentable», «malheureux», «pitoyable». Le misérable est aussi celui qui «est dans une extrême pauvreté, au bas de léchelle sociale». Puis on trouve le sens d«insignifiant», «méprisable», «piètre». Enfin, le mot prend une nuance péjorative et renvoie à «malhonnête», «méprisable», et on trouve «méchant» parmi ses synonymes. Chaque sens renvoie à un ou des personnages du roman, à lexception peut-être de Javert qui échappe à ces catégories. On peut relever que, spontanément, le mot nous rappelle la pauvreté matérielle, la situation dans laquelle se trouvent Fantine, Cosette chez les Thénardier, ou encore Valjean avant les épreuves du bagne. Le dernier sens du mot évoque Thénardier, qui est sans doute lincarnation du mal dans le roman.
Est un «misérable» la personne qui senlise dans le sable (V, 3, 5).
Il se dit un «misérable homme» quand Cosette et Marius viennent le voir rue de lHomme-Armé (V, 9, 5)
Le choix final de ce titre, en 1862, montre une évolution de Victor Hugo vers la figure collective. Dans une perspective plus romantique, lécrivain a dabord privilégié lécrivain a dabord privilégié un héros, Jean Tréjean, faisant écho à Claude Gueux (évoqué à la fin de II, 1, 6) et au condamné jamais nommé ; en 1847, son nouveau titre, les Misères, faisait porter laccent sur les souffrances des personnages. Les Misères suggéraient des causes, les Misérables met laccent sur les victimes.
Il y a deux textes dans Les misérables. Commencé en 1845 et achevé aux quatre cinquièmes en 1848, c'est le roman d'un académicien, plutôt bien-pensant, pair de France provisoirement écarté des charges publiques, et qui travaille à reconquérir son auditoire perdu en même temps qu'à prouver ses capacités en matière sociale et politique. Repris en 1860 et publié en 1862, c'est Ie livre du grand prophète républicain, de I'exilé irréconciliable, tête-à-tête avec Dieu et I'Océan.
Hugo modifia par plaques entières, déplaça des paragraphes comme des pierres plates, souvent à plusieurs mois de distance. Les ratures témoignent d'une recherche de concision, de vitesse, surtout dans les dialogues qu'il aimait hachés, en rafale (celui de Jean Valjean et de Petit-Gervais [I, 2, 13]).
Lettre à Fr. Morin (21 juin 1862) : «Ce livre a été composé du dedans au dehors. Lidée engendrant les personnages, les personnages produisant le drame, cest là en effet la loi de lart.»
INTÉRÊT DE L'ACTION
Dans Les misérables, Hugo combina, en un alliage nouveau, les différentes tendances quil avait suivies dans ses romans précédents. Il intégra toutes les sortes de roman, réalisa une synthèse.
Cest, pour I'essentiel, un roman réaliste, une peinture de la société du début du XIXe siècle. Les descriptions de M. Myriel, de M. Gillenormand, de M. Madeleine et de son habile conduite commerciale, le récit du vol commis par Jean Valjean chez M. Myriel (I, 2, 10 et 11), sont menées avec une telle précision, un tel souci de n'omettre aucun détail vivant, un si bel enthousiasme, quelles pourraient presque prendre place dans La comédie humaine. Pour accréditer cette histoire éminemment romantique, Hugo fut réaliste à la manière de Balzac. On peut encore déceler linfluence des romans socialistes et sentimentaux de George Sand, par exemple ; celle des socialistes français et particulièrement des utopistes comme Cabet, Proudhon et Fourier.
Cest aussi un roman des bas-fonds, dans le goût de certains romans de Balzac ou des romans-feuilletons qui venaient de faire connaître à leurs auteurs une popularité sans précédent : Les mystères de Paris (1842) d'Eugène Sue, Les mémoires du diable (1851) de Frédéric Soulié. Bien que Les misérables n'aient jamais été publiés en feuilleton, Hugo employa souvent la technique du genre, qui laisse le lecteur haletant, et le force à poursuivre sa lecture. Mais il lui donna une puissance poétique.
Cest encore le roman typiquement romantique d'un destin exceptionnel, des aventures touchantes certes mais quelque peu invraisemblables et mélodramatiques que connaît un grand réprouvé victime de la société et en lutte contre elle, un homme exclu de tout par sa violence. Mais son âme, étant éveillée par létincelle de la bonté quon lui montre, se rattache à l'humanité par l'amour d'une enfant, et, en adoptant cette petite orpheline abandonnée de tous, trouve le chemin de sa réhabilitation et de sa rédemption, accepte un sacrifice véritablement christique, le déroulement suivant son ascension vers la sainteté. Hugo maintint une progression dramatique, faisant rebondir lintérêt jusquau surprenant dénouement («Si cette fin némeut pas, je renonce à écrire.» déclara-t-il) qui clôt un roman, qui sétait ouvert sur linjonction à suivre le bien quavait faite M. Myriel, par une soumision totale à la volonté de Dieu.
Cest un roman damour, romantique et mélodramatique, où Hugo recourut à tous les procédés pour émouvoir : lamour de Jean Valjean et de Cosette, puis celui de Marius et de Cosette, idylle aussi conventionnelle que fade sur laquelle Hugo s'étendit avec complaisance, tandis que Jean Valjean se débat avec la possibilité de perdre la seule personne qu'il ait jamais aimée.
Cest aussi, les aventures des personnages passant au second plan, un roman historique, et mieux une épopée répondant bien à la définition du dictionnaire : «suite dévénements historiques de caractère héroïque et sublime». Il évoqua en particulier la bataille de Waterloo et l'émeute de juin 1832, épisode dont il indiqua bien limportance quil lui donnait (le 8 mai 1862, il écrivit à son éditeur : «Le dénouement sort de la barricade ; ce tableau d'histoire agrandit l'horizon et fait partie essentielle du drame ; il est comme le coeur du sujet ; il fera le succès du livre en grande partie.») Le roman est aussi et surtout lépopée du véritable héros du roman quest le peuple de Paris, dont le romancier fit un acteur important, voire nécessaire, de lintrigue romanesque, dont il retraça avec une chaleur communicative, une force émouvante et un incontestable talent, les misères (il qualifia son oeuvre d«épopée sociale de la misère») et les heures glorieuses quand il est insurgé sur les barricades.
Cest enfin un roman à thèse, un roman didactique, où alternent l'intrigue et de plus ou moins vastes, envahissantes et érudites digressions de tous ordres : linguistiques, techniques, historiques, sociologiques, philosophiques, hors-duvre trop abondants qui sont de véritables morceaux de bravoure, des bavardages souvent insipides, des pédanteries de cuistre, des exposés aux idées fumeuses ou aux naïvetés désarmantes, qui, même si Hugo nétait pas, comme Balzac, soumis aux exigences du roman-feuilleton, interrompent constamment et intempestivement le récit au milieu de laction, ou simposent de façon déclarée :
- Le récit de la bataille de Waterloo, tableau d'une catastrophe, d'une chute, d'une ascension qui bascule, qui se retourne.
- Les Détails sur les fromageries de Pontarlier (I, 2, 4), qui ne sont imposés au lecteur que pour évoquer une possibilité de travail ultérieur proposé par M. Myriel à Jean Valjean, mais qui ne sera jamais adopté.
- Le chapitre Londe et lombre (I, 2, 8), qui décrit avec un grand lyrisme la situation d«un homme à la mer» que le navire ne voit pas et abandonne, pour faire la comparaison avec «la marche implacable des sociétés humaines» quand elles imposent «la pénalité».
- Le livre En lannée 1817 (I, 3), addition par lequel Hugo voulut montrer ce que Pascal nommait «les raisons des effets», rejetant sur la société la responsabilité de la chute de Fantine.
- Le chapitre Histoire dun progrès dans les verroteries noires (I, 5, 1).
- Le livre Waterloo (II, 1) quHugo ajouta en mai-juin 1861 pour établir une relation entre Thénardier et, à travers le colonel Pontmercy, Marius. Un chapitre, quelques lignes mêmes auraient suffi, mais il ne résista pas à la tentation de composer, après Stendhal, et selon une technique toute différente, le tableau de la grande bataille du 18 juin 1815 où sétait joué le destin du XIXe siècle : il jugeait quelle devait avoir sa place dans son épopée historique et sociale. Cependant, une note de travail doctobre 1860 nous révèle quil hésita dabord à incorporer à son roman cet énorme hors-duvre : «Peut-être Waterloo, grand récit épique mêlé au roman. Commencer par lui.» Puis il sentit sans doute le danger quil y aurait à rompre lunité dramatique de la première partie, et reporta lépisode au début de la deuxième, à partir de laquelle la tragédie morale se trouve mêlée plus étroitement aux circonstances historiques.
- Les livres II, 6 (Le Petit-Picpus) et II, 7 (Parenthèse), qui sont un tableau du couvent auquel Hugo tenait (il était nourri des souvenirs de Juliette Drouet), alors quil est tout à fait inutile.
- Le livre III, 1, Paris étudié dans son atome, cest-à-dire le gamin de Paris, dont Hugo trace un immense portrait en remontant même dans lHistoire (III, 1, 6), en lui attribuant «la vieille âme de la Gaule» (III, 1, 9), en y voyant une caste comparable à celles de lInde (III, 1, 7), en faisant encore un détour pour raconter une anecdote illustrant la bonhomie de Louis-Philippe (III, 1, 8), etc..
- Le chapitre Les mines et les mineurs (III, 7, 1) où Hugo se lance dans une description de lorganisation de «la construction sociale» qui est «minée» d«excavations de toutes sortes» : «Il y a la mine religieuse, la mine philosophique, la mine politique, la mine économique, la mine révolutionnaire.» Puis il nous introduit dans «le bas-fond». Tout cela est le prétexte à une apostrophe quelque peu déclamatoire.
- Le livre IV, 2, intitulé Éponine, comprend pourtant, à propos de la détention de Thénardier et de ses complices, dans le chapitre intitulé : Formation embryonnaire des crimes dans lincubation des prisons (IV, 2, 2), un tableau assez saisissant du monde des prisons.
- Le chapitre Folliis ac frondibus (IV, 3, 3) qui est une réflexion sur la nature sauvage à partir de celle du jardin de la maison de la rue Plumet.
- Le livre IV, 1, Quelques pages dHistoire, considérations quelque peu emphatiques, mais généreuses, sur le peuple et sur I'esprit révolutionnaire de Paris, avec un portrait en pied de Louis-Philippe, et des réflexions sur son régime qui plantent le décor politique, justifient la conspiration dEnjolras et de ses amis, donnent tout son sens au drame de la barricade.
- Le chapitre IV, 3, 8, La cadène, qui présente un spectacle qui pétrifie Jean Valjean et fait horreur à Cosette, mais qui intervient à cette place sans aucune raison.
- Le livre Largot (IV, 7), qui na aucune nécessité profonde.
- Le livre IV, 10, Le 5 juin 1832, où Hugo voulut, par contraste avec les chapitres sur la monarchie de Juillet, exposer les justifications du désordre, en distinguant lémeute de linsurrection.
- Le chapitre Histoire de Corinthe depuis sa fondation (IV, 12, 1) qui est tout à fait inutile.
- La réflexion sur la guerre (IV, 13, 3) qui amène Marius à sengager dans linsurrection.
- Le chapitre V, 1, 1, La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple, qui est la description de deux barricades de 1848.
- Le long développement de V, 1, 20 sur le progrès, lutopie, la grandeur de la France, etc..
- Le développement placé au milieu du récit du combat sur la barricade, et qui le compare aux épopées antiques, aux «vieux poëmes de Gestes», aux «anciennes fresques murales» (V, 1, 21).
- Le livre Lintestin de Léviathan (V, 2), fort long discours, plein d'érudition et de considérations historico-politico-socialo-économiques sur les égouts de Paris, quHugo ne put s'empêcher de placer, qui est un prétexte surtout à description et éloquence, même si le cloaque y apparaît comme la «conscience de la ville», le dessous révélateur des turpitudes plus ou moins masquées au grand jour.
- Le chapitre V, 3, 5, intitulé Pour le sable comme pour la femme il y a une finesse qui est perfide, célèbre description de lenlisé qui est un hors-duvre magnifique, mais un hors-duvre ; pour le rattacher au récit, Hugo recourut à une vraie transition décolier : «Cette funèbre aventure, toujours possible sur telle ou telle plage de la mer, était possible aussi, il y a trente ans, dans légout de Paris.»
À un texte primitif, lui-même né après des années de réflexion et de documentation, Hugo a donc intégré ou superposé des additions de natures bien différentes. Les variantes nous permettent de constater quil corrigea presque toujours en se livrant à des développements qui trahissent donc une double intention : «philosophique» et réaliste. Il voulut, comme Balzac, replacer les êtres et les faits dans une situation qui les explique ou quils illustrent. Mais il voulut aussi placer quelques «morceaux», souvent admirables, tout prêts pour les anthologies, mais mal ou point du tout intégrés dans le contexte ; il voulut exécuter des variations sur des thèmes quil affectionnait, si lâches que fussent leur liens avec laction. Si, dune part, il affirma : «Là où le sujet nest point perdu de vue, il ny a point de digression» (V, 1,1), il se rendait bien compte de son défaut ; aussi osa-t-il écrire dans le long développement de V, 1, 20 : «Un mot encore avant de rentrer dans la mêlée».
Cest ainsi que, si Les misérables, absorbant en eux toute la littérature, se présentent comme ce «livre unique» dont rêvait le romantisme, ils sont une uvre énorme et boursouflée. Hugo, qui a quelque chose deffrayant dans son outrance, le reconnut : «Ici, les proportions sont démesurées, le colosse Homme étant tout entier dans I'oeuvre. De là ces grands horizons ouverts de tous les côtés.» (lettre à Lacroix du 20 mars 1862). Il sabandonna à son exubérance, à sa tendance à la déclamation, au fatras, à lincohérence, à l'enflure, à lintempérance, à la logorrhée. Le texte pourrait être aisément amputé dune moitié sans que le roman lui-même nen souffre. Il frise l'incohérence, car lécrivain eut du mal à ordonner des éléments très divers (récit, dialogues, descriptions, poèmes, allusions culturelles, citations littéraires, réflexions sociales, propos philosophiques), à respecter un fil chronologique (on va sans cesse dune époque à lautre). Il passa sans transition dun personnage à un autre, fit attendre lapparition dun héros pendant des centaines de pages, le fit reparaître après une longue absence. En IV, 7, 1, il commence par un propos sur la paresse pour demander soudain : «Où sommes-nous en ce moment?» et révéler : «Dans largot», qui va être le sujet du «livre». Le chapitre III, 6, 1 a pour titre Le sobriquet : mode de formation des noms de famille, mais cet élément nest quun détail qui nintervient quà la fin !
La structure de cette vaste fresque historique, sociale et humaine, mêlant tous les sujets, entrecroisant les destins personnels avec les forces de la société et les mouvements de l'Histoire, est complexe et mal organisée. La première impression du lecteur est celle dun chaos, dune absence dunité et de composition.
Pourtant, Hugo divisa ce roman de 1490 pages en cinq parties numérotées, de longueurs à peu près égales (I : 350 pages - II : 300 pages - III : 300 pages - IV : 400 pages - V : 340 pages), les subdivisa plus irrégulièrement en «livres» (successivement 8, 8, 8, 15, 9), eux aussi numérotés, et en 365 chapitres numérotés et titrés, répartis très inégalement dans les «livres», léventail allant de 1 à 22.
Du fait de lorientation primitive de son uvre, il donna aux trois premières parties et à la cinquième le nom dun des personnages principaux du roman. Mais, dans le cas des trois premières, Fantine, Cosette, Marius, cela se justifie mal, car cest bien Jean Valjean qui est déjà le grand protagoniste. Il faut attendre la dernière pour que son nom simpose : il est vrai quil domine la fin du roman parce quil est celui qui détient seul le secret des intrigues précédemment nouées ; tout se résout grâce à lui ou contre lui dans un dénouement surprenant.
Quant au titre de la quatrième partie, Lidylle rue Plumet et lépopée rue Saint-Denis, il détonne tout à fait, en apportant une autre dimension. Lintimité de lidylle sentimentale se confond très mal avec lépopée, cest-à-dire la dimension historique et héroïque de luvre, tandis quHugo souligne le cadre parisien du roman et oppose les beaux quartiers (rue Plumet) et le faubourg populaire (rue Saint-Denis).
Chaque partie compte huit ou neuf «livres», sauf la quatrième, qui en compte quinze, ce qui procure à loeuvre un relatif équilibre. Sans doute cela correspondit-il aussi aux exigences du premier éditeur, qui publiait Les misérables livre après livre.
La première partie débute par Un juste, ouverture démesurée qui introduit et prépare laction par le long portrait dun saint homme, M. Myriel, ce qui nous fait admettre son attitude en présence de Jean Valjean qui n'apparaît qu'après une centaine de pages (et il en faut encore une vingtaine pour que son nom s'inscrive).
La deuxième partie débute par une autre ouverture démesurée qui introduit et prépare laction : Waterloo (II, 1) qui nous fait connaître Thénardier et le colonel Pontmercy, annonce les enthousiasmes napoléoniens de Marius, projette sur la suite du roman ce rouge dont le souvenir écarta toute une jeunesse du blanc de la Restauration ou du tricolore de Louis-Philippe.
La troisième partie, qui est intitulée Marius, débute par le «livre» Paris étudié dans son atome (III, 1) qui présente en fait «le gamin de Paris», Gavroche ; le sujet annoncé nest abordé que dans le deuxième «livre», Le grand bourgeois (III, 2).
On peut considérer les trois premières parties comme trois préparations qui racontent les cheminements des principaux personnages, pendant de longues années et sur des voies convergentes, vers cette barricade de la rue de la Chanvrerie où ils se trouveront tous, les 5 et 6 juin 1832, visiblement ou invisiblement ensemble.
La quatrième partie souvre plus logiquement sur un livre intitulé Quelques pages dHistoire (IV, 1), qui se veut une sorte de panorama politique de la France en 1831-1832 où Hugo fait preuve d'une certaine pénétration historique, quil présente d'ailleurs comme une perspicacité prophétique. Puis la partie est consacrée à lémeute du 5 juin 1832. Elle a une étendue plus considérable, car laction progresse heure par heure, montre le croisement de tous les destins, dont les premières parties nous avaient fait suivre la courbe, sur ce lieu de leur affrontement quest la barricade, où ils se révéleront à eux-mêmes et aux autres ; mais est vraiment malencontreuse la coupure quest au milieu du récit de lassaut de la barricade celui du réveil de Cosette (V, 1, 10), qui est une bluette dune mièvrerie appuyée.
Au début de la cinquième partie, se poursuit dabord lépopée de la barricade avant que la focalisation se fasse tardivement sur Jean Valjean (Jean Valjean se venge, V, 1, 19), sur sa réhabilitation et sa la mort, le récit prenant alors lallure plus lente des fins de vie et du bonheur sans histoire.
Les titres des «livres» ne présentent aucune cohérence. Ce sont des références :
- aux personnages : Un juste (I, 1) - Les amis de lA B C (III, 4) - Patron-Minette (III, 7) - Éponine (IV, 2) - Le petit Gavroche (IV, 6) - Javert (I, 6) ;
- aux classes sociales : Le grand bourgeois (III, 2) ou Le mauvais pauvre (III, 8) ;
- aux générations : Le grand-père et le petit fils (III, 3) - Le petit-fils et le grand-père (V, 5) ;
- aux lieux : La masure Gorbeau (II, 4) - Le Petit-Picpus (II, 6) - La maison de la rue Plumet (IV, 3) - Corinthe (IV, 12) - La rue de lHomme-Armé (IV, 15) ;
- à lépoque : En lannée 1817 (I, 3) - Waterloo (II, 1) - Quelques pages dHistoire (IV, 1) - Le 5 juin 1832 (IV, 10) ;
- à lintrigue : Laffaire Champmathieu (I, 7) - Contre-coup (I, 8) - Le vaisseau lOrion (II, 2) - Accomplissement de la promesse faite à la morte (II, 3) - Dont la fin ne ressemble pas au commencement (IV, 5) - Où vont-ils? (IV, 9) - Marius entre dans lombre (IV, 13) - Javert déraillé (V, 4) - La nuit blanche (V, 6) ;
- à un problème, La question de leau à Montfermeil (II, 3, 1), qui, en fait, nest exposé quen un seul paragraphe ;
- à la dimension morale ou spirituelle du roman : La chute (II, 1) ou La descente (I, 5) ;
- à la désinvolture de lauteur : Parenthèse (II, 7) - Paris étudié dans son atome (III, 1) - Largot (IV, 7).
Certains de ces titres prennent la forme de proverbes : Confier, cest quelquefois livrer (I, 4) - À chasse noire, meute muette (II, 5) - Les cimetières prennent ce quon leur donne (II, 8) - Secours den bas peut être secours den haut (IV, 4). Dautres présentent des effets poétiques : La conjonction de deux étoiles (III, 6) est une métaphore comme Lintestin de Léviathan (V, 2) ou La décroissance crépusculaire (V, 8) ; Les enchantements et les désolations (IV, 8) est une antithèse ; Latome fraternise avec louragan (IV, 11) unit métaphore et antithèse ; Les grandeurs du désespoir (IV, 14) est une antithèse ; Suprême ombre, suprême aurore (V, 9) repose sur la répétition et lantithèse, figure quon retrouve dans La boue mais lâme (V, 3). Excellence du malheur (III, 5) est un oxymoron. La guerre entre quatre murs (V, 1) est aussi une figure dopposition.
La même incohérence se vérifie encore plus dans les titres de la multitude des chapitres !
Quand est racontée laction proprement dite, son cours est arrêté à intervalles assez réguliers. En dehors de ses intempestives digressions, Hugo put ainsi marquer les étapes dune autre action, la plus importante : celle qui se joue dans les âmes. Des «livres» viennent éclairer tel destin individuel : En lannée 1817 (I, 3) éclaire celui de Fantine ; Patron-Minette (III, 7) situe Thénardier, tombé aux confins louches de la misère et du crime. Sont ainsi décrits en contrepoint le roman de la conscience de Jean Valjean, lévolution politique de Marius, léveil sentimental de Cosette, les perplexités du rigide Javert : Une tempête sous un crâne (I, 7, 3) - Ce que cest que davoir rencontré un marguillier (III, 3, 5) - Cosette après la lettre (IV, 5, 5) - Javert déraillé (V, 4, ce «livre» étant réduit à un chapitre !). Les chapitres daction racontent ce quautrui peut voir du drame, tandis que ces plongées dans les consciences nous font entrevoir les répercussions du drame visible dans lintimité de chaque être.
On peut attribuer à Hugo, qui semploya à justifier lapparition ou le retour dun personnage, parfois secondaire, à préparer, souvent de très loin, telle scène décisive, un puissant talent de constructeur. Il faut, pour cela, admettre que, si Les misérables sont un chaos dans le détail, ils sont, dans leur ensemble, une cathédrale, qui toutefois na pas la grâce et léquilibre de
Notre-Dame de Paris !
Pour certains commentateurs, la construction tortueuse du roman, qui suivrait des zigzags analogues à ceux queffectue Jean Valjean pour échapper à Javert (Les zigzags de la stratégie est le titre de II, 5, 1), révélerait sa modernité, celle dune stratégie subversive. Hugo aurait voulu une dissémination de l'intrigue, aurait voulu que la narration ne progresse pas linéairement afin de dérouter le lecteur. L'ensemble du roman serait construit comme une barricade qui est un échafaudage de pièces disparates, dans un ordre qui est désordre, destiné à détruire I'ordre établi, celui du genre romanesque et, au-delà, de l'idéologie !
Pourtant, le manuscrit et les notes de travail dHugo trahissent son souci constant de maintenir la cohérence de la chronologie. Elle demeure cependant très embrouillée car la tâche était difficile dans une pareille entreprise. Au début de chacune des trois premières parties, laction reprend à une date antérieure à la fin de la précédente : Fantine nous mène du début doctobre 1815 à la fin de lhiver 1823, Cosette du 18 juin 1815 à la mi-mars 1824, Marius de lEmpire au 4 février 1832. Cest quil sagissait pour Hugo, qui éprouva le besoin de sexcuser de ces allers et retours et de ces ellipses («Quil nous soit donc permis de parler du passé au présent.» [II, 5, 1]), de faire suivre au lecteur les voies différentes par où les personnages principaux sacheminent vers la barricade. À partir de la quatrième partie, sauf un dernier retour en arrière au «livre troisième» (La maison de la rue Plumet) pour retracer la vie de Jean Valjean et de Cosette à partir de leur sortie du couvent à 1832, le récit se déroule dans lordre chronologique : tous les héros ont été réunis ; lauteur pouvait désormais suivre leurs destinées simultanément.
On peut estimer que le roman dépasse, en les mêlant, les éléments qui le forment.
Hugo manifesta encore sa maîtrise de romancier par :
- Lhabileté de la narration, qui est dailleurs peut-être trop grande. Le déroulement du roman est un mécanisme trop bien agencé, qui ne manque pas dartifices. Les préparations sont telles quon pressent que les dernières paroles que prononce M. Myriel, commandant à Jean Valjean la conduite quil doit tenir, annoncent tout le développement du roman. On pressent également que, le roman devenant le drame personnel du chasseur et de sa proie, lancien forçat retrouvera périodiquement Javert qui le poursuit en effet constamment, ne relâchant jamais ses efforts pour appliquer la loi et l'arrêter. Dans son récit touffu de lémeute du 5 juin 1832, Hugo trouva des accents dune grande noblesse, se montra plus apte à manier des masses que des individus, à évoquer des actions plutôt que des sentiments.
Mais, tout au long du roman, se succèdent des situations si incroyables, des rencontres si improbables, quelles suscitent un malaise : la vie nest pas si bien organisée. Sont en particulier invraisemblables et mélodramatiques ces différents faits :
- Jean Valjean se tient «dans lattitude de la prière, à genoux sur le pavé, dans lombre, devant la porte de monseigneur Bienvenu.» (I, 2, 13).
- Son arrivée à Montreuil-sur-mer est marquée par une série de coïncidences, qui lui sont toutes favorables.
- Il ressemble à Champmathieu (I, 6, 2 - I, 6, 3).
- Aux «assises dArras» se manifeste «la persistance de lavocat général» (I, 8, 3). Mais il est vrai que, lannée même des Misérables, un procureur général, dans des conditions assez comparables à celles de laffaire Champmathieu, sacharna sur une prévenue reconnue innocente à laudience.
- Alors que Jean Valjean est au chevet de Fantine, survient Javert qui, implacable, triomphant, «lautorité reprenant ses droits», vient appliquer lordre darrestation émis par lavocat général, se met en colère, et provoque la mort de Fantine, la scène étant empreinte dun pathétique puissant, et étant décrite avec un réalisme et une rapidité saisissants : «Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour delle comme quelquun qui se noie, puis elle saffaissa subitement sur loreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.» (I, 8, 4).
- Jean Valjean, qui avait déposé une partie de sa fortune dans les bois de Montfermeil, à deux pas de l'auberge des Thénardier, rencontre Cosette (III, 3, 7), le ton de la scène manquant dailleurs de naturel.
- Lui et Cosette se retrouvent par les hasards dune poursuite, encore menée par Javert, dans le couvent même où, par un coup de chance inouïe, le jardinier est un ancien habitant de Montreuil-sur-mer à qui, autrefois, M. Madeleine a sauvé la vie (III, 5, 9).
- Le subterfuge par lequel Jean Valjean prend la place dune religieuse morte pour pouvoir ensuite se présenter à la Mère supérieure est digne dAlexandre Dumas.
- Par un singulier concours de circonstances, Marius apprend que son père, le baron de Pontmercy, nest pas mort, quil vit en Normandie, et quil na renoncé à le voir que pour lui éviter dêtre déshérité par son grand-père.
- Marius est le voisin des Thénardier auxquels rendent visite justement Jean Valjean et Cosette (III, 8, 8).
- Marius, sadressant à la police, a affaire avec Javert (III, 8, 14).
- Au moment du guet-apens chez les Thénardier, par un nouveau coup de théâtre, I'inconnu, qui est en fait Jean Valjean, a disparu.
- Éponine, qui a découvert lintérêt de Marius pour la maison de la rue Plumet, peut à propos empêcher son cambriolage par la bande de «Patron-Minette» qui est accompagnée de Thénardier, son père. (IV, 8, 5).
- Sont présents sur la même barricade Gavroche, Marius, Jean Valjean et Javert ; quand celui-ci est reconnu, Hugo, qui est souvent trop prolixe, fait preuve dune grande rapidité et dune grande sobriété : «En un clin dil, avant que Javert eût eu le temps de se retourner, il fut colleté, terrassé, garrotté, fouillé» (IV, 12, 7), par Enjolras et ses amis.
- La pérégrination de Jean Valjean dans ce cloaque que sont les égouts de Paris.
- Sa rencontre, au bout de légout, avec Thénardier (les deux hommes ne se reconnaissent pas), lui-même filé par Javert (V, 3, 7).
- Marius se demande sil a bien vu «M. Fauchelevent» dans la barricade, et celui-ci ne fait rien pour laider à préciser ses souvenirs, prétend même ne pas connaître la rue de Chanvrerie. (V, 5, 8) : pourquoi tant de mystères? ny a-t-il pas là quelque puérilité?
- Le dernier coup de théâtre est la visite de Thénardier qui vient faire des révélations qui éclaircissent tout : Jean Valjean na pas volé la fortune de M. Madeleine ; il na pas assassiné Javert comme Marius en était persuadé ; il lui a sauvé la vie, à lui, Marius, en lemportant loin de la barricade.
Du fait surtout de la constance terrible avec laquelle les routes de Jean Valjean, de Javert et de Thénardier se croisent et se recroisent, de la façon dont lépisode le plus anodin, le geste le plus furtif trouvent un sens, un jour ou lautre et parfois fort longtemps après (la pièce de quarante sous que Jean Valjean dérobe à Petit-Gervais joue son rôle des années après ; le comportement de Thénardier sur le champ de bataille de Waterloo influence, vingt ans plus tard, tout le comportement de Marius ; le morceau de tissu que Thénardier déchire à la redingote de Marius mourant permet un jour à ce dernier de reconnaître en Jean Valjean son sauveur), on peut considérer quHugo passe la mesure, quEugène Sue fut plus attentif à mettre du jeu dans les rouages, à ménager une certaine crédibilité. Les rencontres, les coïncidences ont une infaillibilité qui fait sourire.
De plus, le récit est marqué de péripéties qui sont souvent rocambolesques.
- Dans lépisode du sauvetage de Fauchelevent (I, 5, 6), lintérêt dramatique est grand, la progression saisissante.
- Après lénigmatique titre du chapitre I, 6, 2, Comment Jean peut devenir Champ, se découvre le fait que Jean Valjean pourrait être le vagabond Champmathieu qui est son sosie, que M. Madeleine pourrait ainsi être délivré de la poursuite incessante de Javert qui voit en lui un ancien forçat.
- La scène au tribunal après la révélation quil y a faite (I, 7, 11) a une grande qualité démotion.
- Lépisode du vaisseau lOrion (II, 2) fut reproché à Hugo ; on allégua quune aussi brillante prouesse que le sauvetage du matelot, jointe à la considération de son passé récent, aurait dû lui valoir à Jean Valjean sa grâce.
- La partie consacrée à la poursuite de Jean Valjean et de Cosette par Javert et ses acolytes a un caractère policier, bien marqué par les titres significatifs donnés au «livre» II, 5 (À chasse noire, meute muette) et aux chapitres : Les zigzags de la stratégie (II, 5, 1) - Il est heureux que le pont dAusterlitz porte voitures (II, 5, 2) - Les tâtonnements de lévasion (II, 5, 4) - Qui serait impossible avec léclairage au gaz (II, 5, 5) - Commencement dune énigme (II, 5, 6) - Suite de lénigme (II, 5, 7) - Lénigme redouble (II, 5, 8) - Lhomme au grelot (II, 5, 9) - Où il est expliqué comment Javert a fait buisson creux (II, 5, 10).
- Le subterfuge inventé pour faire entrer Jean Valjean au couvent, qui consiste à lenfermer dans un cercueil, et le faire enterrer, fut attribué par Hugo à un certain «Austin Castillejo» qui semble être une de ses créations (II, 8, 4) car il est plus vraisemblable quil se soit inspiré du Comte de Monte-Cristo (1844) dAlexandre Dumas, où Dantès sévade du château dIf dans un suaire.
Le romancier sut ménager des fins de chapitres qui laissent sur une incertitude. On les remarque en particulier dans la troisième partie :
- à la fin de III, 3, 6, alors que Marius inquiète M. Gillenormand par ses «absences» de la maison : «On avait cru remarquer quil portait sur sa poitrine et sous sa chemise quelque chose qui était attaché à son cou par un ruban noir», ce qui se révèlera être une boîte où se trouve la lettre que son père lui a laissée (III, 3, 8) ;
- à la fin de III, 3, 7 : «La fillette était une tombe» entraîne que Théodule échoue dans son espionnage de Marius ;
- à la fin de III, 3,8, est maintenu un suspens par la question : «Quallait devenir Marius?».
- Le soin mis à ménager des effets de réalité : «À ceux qui demanderaient si cette histoire est arrivée, nous répondrons que peu importe. Lessentiel nest pas quune histoire soit véritable mais quelle soit vraie.» écrivit Hugo dans son projet de préface rédigé en 1830. Quand il eut achevé le roman, il déclara : «Dante a fait un enfer avec de la poésie, moi jai essayé den faire un avec de la réalité.» On peut remarquer les effets suivants :
- Dans son récit de laudience dArras, Hugo prétend retranscrire les paroles prononcées, affirme : «Les voici littéralement, telles quelles furent écrites immédiatement après laudience par un des témoins de cette scène, telles quelles sont encore dans loreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourdhui.» (I, 7, 11).
- Hugo recourt au témoignage de «deux ou trois rouliers» pour évoquer de façon objective la fuite de Jean Valjean (I, 8, 4).
- Tout le tableau de lémeute est parsemé dindications de la véracité des faits. Inversement, reconnaître qu«on na jamais su le nom de lhomme» qui manifesta la volonté de résister jusquà la mort ajoute à lauthenticité. Et joindre à cette voix anonyme les paroles prononcées dans la barricade de Saint-Merry et qui furent consignées à son procès montre comment Hugo inventa en imitant. (V, 1, 3).
- «Lil de lhomme devant être plus religieux encore devant le lever dune jeune fille que devant le lever dune étoile», Hugo se résigne : «Nous ne montrerons donc rien de tout ce suave petit remue-ménage du réveil de Cosette.» (V, 1, 10).
- Le réalisme émouvant des portraits, même de ceux de personnages secondaires, que Les misères ne laissaient quentrevoir, qui parfois même demeuraient anonymes, que, conformément au programme quil se fixa lui-même dans telles notes du manuscrit, Hugo développa pour leur donner plus de relief : ainsi Champmathieu (I, 7, 9) en lequel M. Madeleine revoit le bagnard quil fut, Gillenormand, Mabeuf. Sil sétait agi pour lui de refaire La princesse de Clèves ou Adolphe, ces précisions nouvelles auraient été des erreurs artistiques, mais, dans un roman qui présente une très large durée et qui veut peindre la société à ses différents niveaux, elles créent autour des différents protagonistes ce grouillement qui est la vraie vie.
- Le pittoresque des tableaux, la vie quHugo donna à certaines scènes :
- la salle daudience (I, 7, 9) des assises dArras ;
- la barricade avec, par exemple, cette vision de Hugo qui nest pas moins hallucinante que telle page dun roman noir de sa jeunesse : Marius, contemplant la barricade, distingue «une espèce de spectateur ou de témoin qui lui semblait singulièrement attentif. C'était le portier tué par Le Cabuc. D'en bas, à la réverbération de la torche enfouie dans les pavés, on apercevait cette tête vaguement. Rien n'était plus étrange, à cette clarté sombre et incertaine, que cette face livide, immobile, étonnée, avec ses cheveux hérissés, ses yeux ouverts et fixes et sa bouche béante, penchée sur la rue dans une attitude de curiosité. On eû dit que celui qui était mort considérait ceux qui allaient mourir. Une longue traînée de sang qui avait coulé de cette tête descendait en filets rougeâtres de la lucarne jusquà la hauteur du premier étage où elle s'arrêtait.» (IV, 13, 3).
- la vision dantesque des égouts de Paris, un de ces lieux obscurs qui excitent la fantaisie des artistes et des romanciers, et qui sont comme un retour à l'utérus maternel.
- Le sens du pathétique : Cest avec une sobriété poignante, une grande économie de moyens quHugo évoqua la «funèbre aventure» et la fin solitaire et atrocement absurde de lenlisé : «La bouche crie, le sable lemplit ; silence. Les yeux regardent encore, le sable les ferme ; nuit.» (V, 3, 5).
- Les touches de comique : Elles sont apportées surtout par M. Gillenormand, personnage constamment amusant, sinon ridicule, un des plus vivants, les plus réussis de toute l'uvre. Ce «grand bourgeois» est un savoureux vieil homme, voltairien issu tout droit du XVIIIe siècle. Alors quil est très attaché à l'Ancien Régime, quil rejette la Révolution comme lEmpire, il dut, malgré sa répugnance pour «le Bonaparte», laisser sa seconde fille épouser un militaire républicain. Ami du plaisir, il simagine que la boîte qui pend au ruban noir que porte à son cou Marius va révéler le portrait dune femme aimée, alors quelle contient la lettre que lui a laissée son père, le colonel Pontmarcy, et dans laquelle il lincitait à porter son titre de baron. Il est trop amoureux de la bagatelle pour comprendre lamour. Laffrontement entre le grand-père et son petit-fils est tragi-comique (III, 3, 8). Son neveu, Théodule, est, à son image, un militaire pompeux et vaniteux, qui est lantithèse de Marius.
Mais sont comiques aussi plusieurs membres de «lA B C» : Courfeyrac et Bahorel (de joyeux compagnons, serviables, quelque peu bohèmes et aimant le tapage), Joly (étudiant en médecine qui est «le malade imaginaire jeune»), Grantaire (qui, comme son nom lindique, se complaît aux grandes attitudes ridicules et aux grands discours vains), surtout le fantaisiste, maladroit et perpétuellement malchanceux Lesgle qui est surnommé «laigle de Meaux» (allusion au surnom de Bossuet, qui était évêque de cette ville), qui «avait un logis comme loiseau a une branche», qui dresse une liste moqueuse des ordres religieux qui fourmillaient dans le quartier des halles (IV, 12, 2).
On peut encore signaler quelques événements comiques :
- au tribunal dArras, devant M. Madeleine, le forçat Cochepaille fait «le salut militaire» (I, 7, 11).
- les lettres quécrit Thénardier sont remplies de fautes dorthographe ! (III, 8, 3).
- Marius ayant trouvé un mouchoir marqué de la lettre U et quil croit appartenir à Cosette, on suit les «Aventures de la lettre U livrée aux conjectures» , titre de III, 6, 7.
- La variation des points de vue du narrateur, qui s'impose dans son récit. Sil reprit souvent ces minces définitions : «Celui qui écrit ces lignes» (II, 1, 7 - III, 1, 5), «lauteur de ce livre» (I, 2, 6 - II, 5, 1), Hugo se permit aussi de véritables et nombreuses intrusions :
- «Cette pensée, nous allons la dire tout de suite» (I, 2, 10).
- «les idées que nous venons dindiquer» (I, 2, 10).
- «Combien dheures pleura-t-il ainsi? Que fit-il après avoir pleuré? Où alla-t-il? on ne la jamais su.» (I, 2, 13).
- La deuxième partie, Cosette, débute par une visite de I'auteur au champ de bataille de Waterloo. Il parle de lui dabord à la troisième personne : «Lan dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire
.» (II, 1, 1). Mais plus loin, on lit : «Nous ne prétendons pas faire ici lhistoire de Waterloo» (II, 1, 3).
- Après avoir indiqué lexistence de cette règle : «Défense de déposer du sublime dans lhistoire.», il sy oppose : «À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.» (II, 1, 14).
- Après avoir célébré lhéroïsme à Waterloo du maréchal Ney qui aurait voulu y mourir, il sadresse à lui : «Tu étais réservé à des balles françaises, infortuné !» (II, 1, 12) ; en effet, Ney, sétant ralié aux Bourbons lors de la première Restauration, rejoignit Napoléon à son retour de lîle dElbe ; la seconde Restauration ne lui pardonna pas cette «trahison» : il fut condamné à mort et fusillé le 7 décembre 1815.
- Il est dit de Thénardier : «Nous croyons quil avait simplement étudié en Hollande pour être aubergiste.» (II, 3, 2).
- «Ceci nest pas une opinion personnelle ; mais pour dire notre pensée tout entière, au point où en était Jean Valjean quand il se mit à aimer Cosette, il ne nous est pas prouvé quil nait pas eu besoin de ce ravitaillement pour persévérer dans le bien.» (II, 4, 3).
- «Disons-le en passant
» (II, 8, 5).
- «nous entendons» (III, 1, 4).
- «quon nous passe le mot [
] Nous faisons ici de lhistoire.» (III, 4, 1).
- «Dans le cours de ce récit, lauteur de ce livre a trouvé sur son chemin ce moment curieux de lhistoire contemporaine ; il a dû y jeter en passant un coup dil et retracer quelques-uns des linéaments singuliers de cette société aujourdhui inconnue. Mais il le fait rapidement et sans aucune idée amère ou dérisoire. Des souvenirs affectueux et respectueux, car ils touchent à sa mère, lattachent à ce passé.» (III, 3, 4).
- «Nous avons parlé dun lancier.» (III, 3, 7).
- Au moment où Jean Valjean offre la poupée à Cosette, le narrateur mentionne : «Nous sommes forcé dajouter
» (III, 3, 8).
- «Nous avons prononcé le mot pudeur» (III, 6, 8).
- Évoquant limportance de la «remarquable époque» de 1831 et 1832, et voulant «en saisir dès à présent les lignes principales», il déclare, avec une fausse modestie : «Nous allons lessayer» (IV, 1, 1).
- «Nous avons indiqué une fois pour toutes le bégaiement de Toussaint. Quon nous permette de ne plus laccentuer. Nous répugnons à la notation musicale dune infirmité.» (IV, 5, 3).
- Après son développement sur léléphant de la Bastille, Hugo se sent obligé dindiquer : «Ce fait constaté, nous continuons.» (IV, 6, 2).
- «le narrateur de cette grave et sombre histoire [
] Nous navons jamais compris
» (IV, 7, 1).
- «nous lavons constaté.» (IV, 8, 3).
- «Nous montrons Marius tel quil était.» (IV, 8, 3).
- «Quant à nous, nous rejetons ce mot trop large et par conséquent trop commode : les émeutes. [
] nous distinguons. Nous ne nous demandons pas
[
] nous préférerions [
.] nous repoussons [
] nous lexaminons [
] nous cherchons [
] nous précisons.» (IV, 10, 1).
- «Nous allons donc mettre en lumière [
] ce que nous raconterons, nous pourrions dire : nous lavons vu. Nous changerons quelques noms [
] mais nous peindrons des choses vraies. Dans les conditions du livre que nous écrivons, nous ne montrerons quun côté et quun épisode [
] mais nous ferons en sorte que le lecteur entrevoie, sous le sombre voile que nous allons soulever, la figure réelle de cette effrayante aventure publique.» (IV, 10, 2).
- Dans le récit de lémeute, on lit : «Tout ce que nous racontons ici lentement et successivement se faisait à la fois sur tous les points de la ville au milieu d'un vaste tumulte, comme une foule d'éclairs dans un seul roulement de tonnerre. [
] Un observateur, un rêveur, lauteur de ce livre, qui était allé voir le volcan de près, se trouva dans le passage pris entre deux feux. Il navait pour se garantir des balles que le renflement des demi-colonnes qui séparent les boutiques. Il fut près dune demi-heure dans cette situation délicate.» (IV, 10, 4).
- «La peinture tragique que nous avons entreprise [...] si nous omettions
» (IV, 12, 8).
- «Disons tout de suite que plus tard, après laction, quand les cadavres furent portés à la morgue et fouillés, on trouva sur Le Cabuc une carte dagent de police. Lauteur de ce livre a eu entre les mains, en 1848, le rapport spécial fait à ce sujet au préfet de police de 1832./ Ajoutons que
» (IV, 12, 8).
- Hugo peut aussi se désigner par la formule «lobservateur des maladies sociales» (V, 1,1).
- «Quant à nous, ces mots-là (les injures proférées contre le peuple révolté), nous ne les prononçons jamais sans douleur et sans respect.» (V, 1,1).
- «Quil nous soit donc permis darrêter un moment lattention du lecteur sur
» (V, 1, 1).
- «Disons ce qui se passait dans la pensée de Marius» (V, 1, 6).
- «Nous sommes de ceux qui se sentent interdits devant les jeunes filles et les fleurs, les trouvant vénérables.» (V, 1, 10).
- «Dieu est peut-être mort, disait un jour à celui qui écrit ces lignes Gérard de Nerval.» (V, 1, 20).
- «Avouons-le sans amertume» (V, 1, 20).
- «Les scènes successives et simultanées de cette tuerie grandiose, nous renonçons à les peindre. Lépopée seule a le droit de remplir douze mille vers avec cette bataille.» (V, 1, 21).
Les misérables sont un énorme roman, inégal et surchargé, mais riche et puissant, le roman le plus romanesque de toute la littérature ; et cela sans limites, sans frein. Force est de constater, cent cinquante ans après sa sortie, la vigueur de cette uvre.
INTÉRÊT LITTÉRAIRE
Limmense texte des Misérables permit à Hugo de déployer toute la richesse et la variété de sa langue, toute la puissance et la variété de son style. Les nombreuses corrections quil fit nous assurent que, sil croyait à linspiration, il ne négligea jamais le travail, sous sa forme la plus modeste. Il savait le pouvoir dun mot mis en sa place, et se montra attentif aux nuances les plus délicates entre deux épithètes.
LA LANGUE
Hugo étonne parfois par des incorrections :
- deux hommes «manoeuvrent chacun de leur côté» (V, 3, 3) ou «deux vieillards font tout, chacun à leur façon, pour que Cosette soit heureuse.» (V, 5, 6),
- Jean Valjean «ne se ressemblait plus à lui-même» (V, 3, 9).
On pourrait dire de lui ce quil dit du «gamin de Paris» : il «psalmodie tous les rythmes depuis le De Profundis jusquà la Chienlit» (III, 1, 3), car il alla des usages les plus populaires à la grandiloquence la plus excessive.
Il se plut à faire place à largot, consacrant même à cette langue toute une partie du roman (IV, 7), le définissant ainsi : «Largot nest autre chose quun vestiaire où la langue, ayant quelque mauvaise action à faire, se déguise. Elle sy revêt de mots masques et de métaphores haillons. [
] L'argot est tout ensemble un phénomène littéraire et un résultat social [...]. La misère a inventé une langue de combat qui est I'argot.» (IV, 7, 1).
On en trouve des exemples épars dans le texte, dont certains reçurent une traduction de Hugo lui-même (indiquée ici par les italiques).
Ce sont des mots ou expressions :
- «abbaye de Monte-à-Regret» (IV, 6, 2) : «échafaud».
- «balles» (IV, 8, 4) : «francs».
- «bastringue» (IV, 8, 4) : «scie».
- «bloc» (II, 1, 9) : «prison».
- «broques» (IV, 8, 4) : «liards», mot utilisé ailleurs par Hugo (III, 1, 5) qui est le nom dune «ancienne monnaie française de cuivre qui valait trois deniers ou le quart dun sou».
- «cab» (IV, 8, 4) : «chien».
- «calotin» (III, 1, 7) : «prêtre».
- «capon» (III, 1, 7) : «lâche».
- «chenâtre» (III, 8, 4) : «beau», «bon».
- «chenûment» (III, 8, 4) : «très bien», «parfaitement bien».
- «chiper» (IV, 6, 12) : «voler», «dérober».
- «chique» (IV, 7, 2) : «église».
- «cogne» (III, 1, 8 - III, 8, 4 - IV, 6, 2) : «agent de police».
- «colabre» (IV, 7, 2) : «cou».
- «coqueurs» (IV, 6, 2) : «mouchards, gens de police».
- «cribler» (IV, 8, 4) : «crier».
- «dague» (IV, 6, 2) : «couteau» ; Hugo indiqua que cest une «locution de largot du Temple».
- «dardant» (IV, 7, 2) : «archer. Cupidon.»
- «daron» (V, 6, 1) : «père».
- «décarrer» (IV, 6, 3) : «décamper», «fuir».
- «digue» (IV, 6, 2) : «femme» ; Hugo indiqua que cest «de largot du Temple».
- «dogue» (IV, 6, 2) : «chien» ; Hugo indiqua que cest «de largot du Temple».
- «escarpe» (III, 7, 3) : «voleur qui ne recule pas, au besoin, devant lassassinat».
- «fagot» (I, 6, 1) : «ancien forçat».
- «fagoté» (II, 3, 8) : «habillé».
- «fanandel» (III, 8, 4) : «camarade», «compagnon», «ami», «associé», «complice».
- «faucher» (IV, 8, 4) : «couper».
- «fée» (V, 6, 1) : «fille».
- «fertanche» (IV, 7, 2) : «paille».
- «filer» (V, 6, 1) : «suivre».
- «foncer son palpitant» (III, 8, 4) : «donner son cur».
- «frangir la vanterne» (IV, 8, 4) : «casser un carreau au moyen dun emplâtre de mastic, qui, appuyé sur la vitre, retient les morceaux de verre et empêche le bruit.»
- «fricotmar» (II, 8, 4) : «fricot».
- «gail» (IV, 7, 2) : «cheval».
- «gargoine» (V. 6, 2) : «gosier».
- «goupiner» (IV, 8, 4) : «travailler».
- «grippe» (III, 1, 8) : «querelle», «bagarre».
- «guinal» (IV, 8, 4) : «juif».
- «icigo» (IV, 8, 4) : «ici».
- «larton» (IV, 7, 2) : «pain» - «larton brutal» (IV, 6, 2) : «pain noir».
- «levé» (IV, 8, 4) : «apporté. De lespagnol llevar».
- «ligoter la tortouse» (IV, 6, 3) : «attacher la corde.»
- «lingre» (IV, 8, 4) : «couteau».
- «luisant» (III, 8, 4) : «pièce de monnaie».
- «mioche» (I, 4, 3 - III, 1, 7 - IV, 6, 2) : «enfant».
- «mion» (III, 8, 4 - IV, 6, 3) : «enfant».
- «môme» (IV, 6, 3) - «momichard» (IV, 6, 2) : «enfant».
- «monarque» (III, 8, 4) : «pièce de monnaie à leffigie du roi».
- «monté du montant.» (IV, 6, 3) : «haut du mur.»
- «morfiler» (IV, 6, 2 - IV, 8, 4) : «manger».
- «mouchard» (I, 5, 5 - IV, 12, 7 - V, 5, 6) : «espion de police.
- «mouise» (III, 8, 4) : «soupe».
- «moutard» (IV, 6, 2) : «très jeune garçon, quelquefois malpropre et bruyant».
- «orgue !» (IV, 6, 3) : «homme».
- «pantinois» (V, 3, 8 - V, 6, 1) : «parisien».
- «pantre» (V, 3, 8) : «bourgeois qui se laisse duper».
- «Pharos» (V. 6, 1) : «le gouvernement».
- «pieu de la vanterne.» (IV, 6, 3) : «traverse de la fenêtre.»
- «piolle» (III, 8, 4) : «chambre».
- «pitancer» (III,8, 4) : «manger», «faire pitance».
- «pivois» (III, 8, 4) : «vin», «eau-de-vie».
- «profondes» (V, 3, 8) : «poches».
- «ronds» (IV, 8, 4) : «sous».
- «roulotte» (V, 6, 1) : «voiture».
- «sinvre» (I, 6, 1) : «homme naïf, niais, simple».
- «siques» (IV, 7, 2) : «hardes».
- «surin» (IV, 8, 4) : «couteau».
- «suriner» (V, 3, 8) : «tuer à coup de couteau».
- «tiquante» (V. 6, 1) : «épingle».
- «titi» (III, 1, 3) : «garçon dégourdi, à lesprit déluré, volontiers railleur».
- «tomber» (V. 6, 1) : «être arrêté».
- «tortouse» (IV, 6, 3) : «corde».
- «veuve» (IV, 6, 3) : «corde ».
- «viandemuche» (III, 8, 4) : «viande».
- «vieux» (III, 8, 4) : «père».
- «zardes» (III, 1, 8) : «vêtements».
Largot se déploie aussi dans des phrases entières :
- Un gamin de Paris se moque dun condamné à mort écoutant son confesseur : «Il parle à son calotin. Oh ! le capon !» (III, 1, 7).
- «Quelle bonne sorgue pour une crampe !» (IV, 6, 3) : «Quelle bonne nuit pour une évasion.»
- «Décarrons. Quest-ce que nous maquillons icigo?» (IV, 6, 3) : «Allons-nous-en. Quest-ce que nous faisons ici?»
- «Il lansquine à éteindre le riffe du rabouin. Et puis les coqueurs vont passer. Il y a là un grivier qui porte gaffe, nous allons nous faire emballer icicaille.» (IV, 6, 3) : «Il pleut à éteindre le feu du diable. Et puis les gens de police vont passer. Il y a là un soldat qui fait sentinelle. Nous allons nous faire arrêter ici.»
- «Quest-ce que tu nous bonis là? Le tapissier naura pas pu tirer sa crampe. Il ne sait pas le truc, quoi ! Bouliner sa limace et faucher ses empaffes pour maquiller une tortouse, caler des boulins aux lourdes, braser des faffes, maquiller des caroubles, faucher les durs, balancer sa tortouse dehors, se planquer, se camoufler, il faut être mariol ! Le vieux naura pas pu, il ne sait pas goupiner !» (IV, 6, 3) : «Quest-ce que tu nous dis là? Laubergiste na pas pu sévader. Il ne sait pas le métier, quoi ! Déchirer sa chemise et couper ses draps pour faire une corde, faire des trous aux portes, fabriquer des faux papiers, faire des fausses clefs, couper ses fers, suspendre sa corde dehors, se cacher, se déguiser, il faut être malin ! Le vieux naura pas pu, il ne sait pas travailler !»
- «Tonorgue tapissier aura été fait marron dans lescalier. Il faut être arcasien. Cest un galifard. Il se sera laissé jouer lharnache par un roussin, peut-être même par un roussi, qui lui aura battu comtois. Prête loche, Montparnasse, entends-tu ces criblements dans le collège? Tu as vu toutes ces camoufles. Il est tombé, va ! Il en sera quitte pour tirer ses vingt longes. Je nai pas taf, je ne suis pas un taffeur, cest colombé, mais il ny a plus quà faire les lézards, ou autrement on nous la fera gambiller. Ne renaude pas, viens avec nousiergue, allons picter une rouillarde encible.» (IV, 6, 3) : «Ton aubergiste aura été pris sur le fait. Il faut être malin. Cest un apprenti. Il se sera laissé duper par un mouchard, peut-être même par un mouton, qui aura fait le compère. Écoute, Montparnasse, entends-tu ces cris dans la prison? Tu as vu toutes ces chandelles. Il est repris, va ! Il en sera quitte pour faire ses vingt ans. Je nai pas peur, je ne suis pas un poltron, cest connu, mais il ny a plus rien à faire, ou autrement, on nous la fera danser. Ne te fâche pas, viens avec nous, allons boire une bouteille de vieux vin ensemble.»
- «Je te bonis quil est malade ! [
] À lheure qui toque, le tapissier ne vaut pas une broque ! Nous ny pouvons rien. Décarrons. Je crois à tout moment quun cogne me ceintre en pogne !» (IV, 6, 3) : «Je te dis quil est repris ! À lheure quil est, laubergiste ne vaut pas un liard. Nous ny pouvons rien. Allons-nous-en. Je crois à tout moment quun sergent de ville me tient dans sa main.»
- «Un môme comme mézig est un orgue, et des orgues comme vousailles sont des mômes.» (IV, 6, 3) : «Un enfant comme moi est un homme, et des hommes comme vous sont des enfants.»
- «Comme le mion joue du crachoir.» (IV, 6, 3) : «Comme lenfant a la langue bien pendue.»
- «Le môme pantinois nest pas maquillé de fertille lansquinée.» (IV, 6, 3) : «Lenfant de Paris nest pas fait de paille mouillée.»
- «Rien à maquiller.» (IV, 6, 3) : «Rien à faire.»
- «La fée nest pas loffe.» (IV, 6, 3) : «La fille nest pas folle.»
- «Je nentrave que le dail comment meck, le daron des orgues, peut atiger ses mômes et ses momignards et les locher criblant sans être atigé lui-même.» (IV, 7, 3) : «Je ne comprends pas comment Dieu, le père des hommes, peut torturer ses enfants et ses petits-enfants et les entendre crier sans être torturé lui-même.»
- «Je veux quon me coupe le colabre et navoir de ma vioc dit vousaille, tonorgue ni mézig, si je ne colombe pas ce pantinois-là.» (V, 6, 1) : «Je veux quon me coupe le cou, et navoir de ma vie dit vous, toi ni moi, si je ne connais pas ce Parisien-là.»
- Thénardier dit à Jean Valjean : «Aider un bon garçon dans la peine, ça me botte.» (V, 3, 8) : «Cela me plaît», «me convient».
On peut remarquer que le souci de Hugo de faire parler argot à certains de ses personnages fut en fait intermittent.
Joignons à ce répertoire le mot «Tsomaraude» (I, 2, 1) qui appartient au patois des Alpes françaises, et dont il indiqua en note quil signifie «chat de maraude» ; il désigne un voyageur à l'air hagard dont personne ne veut, car il est censé apporter le malheur.
Hugo transcrivit aussi des usages populaires plus répandus et connus :
- Il samusa à nous montrer «Thénardier à la manuvre» (titre de II, 3, 9), cest-à-dire «au travail».
- Il se moqua de Javert, qui a fait «buisson creux» (II, 5, 10), qui a échoué dans sa recherche, qui na pas trouvé ce quil cherchait, limage, provenant de la chasse, signifiant «trouver le buisson vide».
- Il fit dire à un paysan parlant de sa propre mort : «Jnous mourons nous-mêmes» (III, 1, 7).
- Il fit affirmer à un gamin de Paris : «Je suis joliment fort, va !» (III, 1, 8).
- Il mit la forme «je vas» dans les bouches de Fauchelevent (II, 8, 7), Éponine (III, 8, 4), Gavroche (IV, 12, 7), Thénardier (V, 3, 8).
- Il montra «Marius indigent» (titre de III, 5, 1) mangeant «de cette chose inexprimable quon appelle de la vache enragée» (III, 5, 1), lexpression «manger de la vache enragée» signifiant «être dans un tel état de dénuement et de faim quon en est réduit à manger de la viande de bêtes malades».
- Il fit utiliser la construction du complément dattribution avec «à» par Fauchelevent : «Cest la faute au père Mestienne.» (II, 8, 7) ; par Éponine : «Je ne suis pas la fille au chien, puisque je suis la fille au loup.» (IV, 8, 4) ; par Gavroche qui chante : «Cest la faute à Voltaire
Cest la faute à Rousseau» (V, 1, 15), alors quen 1817 le poète suisse Jean-François Chaponnière avait composé une chanson sur le refrain : «Cest la faute de Voltaire
Cest la faute de Rousseau».
- Il fit dire à un gamin de Paris : «Dieu de Dieu ! ai-je du malheur ! dire que je nai pas encore vu quelquun tomber dun cinquième !», indiquant que «Ai-je» se prononce «jai-t-y» et «cinquième», «cintième» (III, 1, 7).
On se demande pourquoi il na pas tout simplement transcrit la prononciation? Il sy employa :
- En faisant dire à Javert non pas : «Allons vite !» mais «Allonouaite !», et en commentant : «Aucune orthographe ne pourrait rendre laccent dont cela fut prononcé ; ce nétait plus une parole humaine, cétait un rugissement.» (I, 8, 4).
- En signalant lhésitation du jardinier Fauchelevent en prononçant «di
- antre» (II. 8, 4) car cest un juron, employé par euphémisme pour ne pas dire «diable», dont il représente une altération.
- En mettant dans la bouche dÉponine : «Cinque francs!» (III, 8, 4), «Prochez pas» (IV, 8, 4).
- En signalant le nom de «mamselle Miss» (IV, 6, 1).
- En faisant dire à Gavroche : «cinque centimes» (IV, 6, 2) puis «Keksekça?» (IV, 6, 2 - IV, 11, 4), ce quil commenta ainsi : «Ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de voir dans cette interpellation de Gavroche au boulanger un mot russe ou polonais, ou lun de ces cris sauvages que les Yoways et les Botocudos se lancent du bord dun fleuve à lautre à travers les solitudes, sont prévenus que cest un mot quils disent tous les jours (eux nos lecteurs) et qui tient lieu de cette phrase : quest-ce que cest que cela?» (IV, 6, 2).
- En lui faisant dire plus loin : «Kekçaa», pour répéter : «Ceci est encore un mot de la langue que personne nécrit et que tout le monde parle. Kekçaa signifie : quest-ce que cela a?» (IV, 6, 2).
- Transcrivant un dialogue de commères parisiennes, il mit dans la bouche de lune delles le mot «monde» au sens de «les gens» (emploi encore généralisé au Québec) : «Les puces de chat ne vont pas après le monde.» (IV, 11, 2).
- Il rendit lenchifrènement de Joly, lui faisant dire : «Cest un spectacle berveilleux.» - «Je de veux pas denrhuber» - «lébeute» (IV, 12, 2).
- Sil commença à rendre le bégaiement de la servante de la rue Plumet, il y renonça : «Nous avons indiqué une fois pour toutes le bégaiement de Toussaint. Quon nous permette de ne plus laccentuer. Nous répugnons à la notation musicale dune infirmité.» (IV, 5, 3).
- Son «Pas de ça, Lisette» (IV, 8, 4) est une exclamation populaire, due au succès dune chanson, employée pour mettre le holà à quelque chose, par exemple à un geste aux conséquences graves, irréparables.
- Il cita «Matanturlurette» (III, 1, 3), refrain de chanson (probablement «Ma tante»), auquel fut ajouté une désinence fantaisiste.
- Il fit parler des domestiques de leur «bourgeoise» (III, 3, 7), leur maîtresse, leur patronne.
- Il fit se plaindre des servantes : «Il va y avoir du train !» (IV, 10, 4), cest-à-dire du mouvement, de lagitation, emploi qui est encore fréquent au Québec aujourdhui.
- On lit : «faire une farce» (IV, 14, 6) au sens de «jouer un tour», autre emploi encore fréquent au Québec aujourdhui.
- Thénardier croit deviner que Jean Valjean veut «serrer quelque part» le corps quil porte (V, 3, 8) : «mettre à labri ou en lieu sûr», autre emploi encore fréquent au Québec aujourdhui.
Le vocabulaire de Hugo, si on le compare à celui de la production romanesque contemporaine, se caractérise par la plus grande fréquence de «on», des formes «homme», «deux», «cela», «rue», «sous», «autre», «rien», «monsieur», «peu», «père», «chose», «temps», «porte», «enfant».
Il sut évoquer les réalités les plus simples, comme on le constate en relevant les mots suivants qui ont besoin dêtre expliqués parce quils en désignent qui sont anciennes, ou quils le font dune façon ancienne.
Pour les évocations de la nature :
- «bigaille» (II, 2, 3) : «nom générique des insectes ailés dans nos colonies» (Littré) ; on peut ajouter : «et plus particulièrement de ceux qui piquent et qui harcèlent».
- «filandre» (II, 4, 2) : proprement : «fibrilles longues et menues quon trouve dans certaines viandes», ou «fibres de certains végétaux».
- «vespertilio» (II, 1, 19) : «chauve-souris».
Pour le corps humain et la santé :
- «ccum» (V, 6, 4) : «intestin aveugle», dans le gros intestin, la première partie du côlon.
- «fièvre miliaire» (I, 5, 10) : «maladie qui voit lapparition de petites pustules ou vésicules, principalement sur les parties supérieures du corps» ; on lappelait «miliaire» parce que les pustules ressemblent en quelque sorte à des grains de millet ; elle était fréquente dans la campagne française au XIXe siècle.
- «trousse-galant» (V, 6, 2) : «choléra sporadique».
Pour la peinture des murs :
- «baquet» (III, 3, 1), «cuve de chêne», utilisée dans les expériences sur le magnétisme qui devaient permettre daccéder à une «vision magnétique».
- «cache-sottise» (V, 3, 8) : «ce qui est censé cacher la sottise, dissimuler une bêtise».
- «chienlit» (III, 1, 3) : «cri dont on poursuivait les masques de carnaval».
- «gargote» (I, 4, 1) : «restaurant bon-marché», «boui-boui» ; doù «gargotier» (III, 5, 1) : «tenancier dune gargote».
- «grand-livre» (III, 2, 5) : Le grand livre de la dette publique.
- «maison commune» (I, 5, 1) : «mairie».
- «nankin» (II, 6, 1) : «jaune clair».
- «pays latin» (III, 3, 8 - IV, 10, 3) : «le quartier latin», à Paris, qui tirait son nom de l'usage exclusif du latin dans les cours donnés par les écoles et luniversité de la Sorbonne ; il sy trouvait des «carabins» (V, 1, 21 ; «étudiants en médecine»), qui pouvaient loger dans un «galetas» (II, 4, 2 - III, 6, 3 ; «logement misérable, sous les combles»), placer en gages leurs biens au «Mont-de-Piété» (I, 4, 3 ; dune mauvaise traduction en français de l'italien «monte di pietà», «crédit de pitié», de «monte», «valeur», «montant», et «pietà», «pitié», «charité», «établissement de prêt sur gages»), fréquenter l«estaminet» (I, 7, 9 ; proprement : «salle de café réservée aux fumeurs») et la «gargote» (I, 4, 1 - V, 9, 4 ; «mauvais restaurant»), courtiser la «grisette» (III, 4, 1 - III, 7, 3 - V, 5, 3), «jeune ouvrière coquette et galante») et le «cotillon» (III, 3, 7 ; du premier sens, «jupon de femme», le mot en vint à désigner une jeune femme à séduire), jouer à la «fayousse» (III, 1, 13 ; «jeu consistant à introduire le maximum de pièces ou de cailloux dans un trou») ou à la «pigoche» (III, 1, 5 ; soit «un jeu qui consiste à faire sortir dun cercle tracé à terre une pièce de monnaie en lançant sur elle une seconde pièce», soit «un jeu de quilles»).
- «protêt» (I, 4, 3) : «acte constatant quune somme due est restée impayée, et déclarant le débiteur responsable de tous frais et préjudices».
- «roue de derrière» (II. 3, 8) : nom donné par les rouliers ou les cochers à la pièce de cinq francs.
- «savoyards» (I, 2, 13) : «enfants de Savoie qui semployaient dans les villes comme ramoneurs de cheminées» ; ils parcouraient les pays en proposant leurs services, et en transportant une «boîte à marmotte» (I, 2, 13), car ils exhibaient, au son de la «vielle» (I, 1, 13 : «instrument de musique à cordes et à touches quon actionne au moyen dune roue mue par une manivelle»), une marmotte apprivoisée, qui était à la fois source de revenus et compagne de voyage.
- «toise» (II, 1, 9 - IV, 12, 3) : «ancienne mesure de longueur valant 1m, 95».
Pour des qualités et des défauts :
- «bisbille» (V, 5, 3) : «petite querelle pour des motifs insignifiants».
- «ganache» (IV, 14, 1) : «personne dépourvue de talent».
- «loustic» (III, 3, 1) : de lallemand «lustig» («joyeux»), «bouffon dans les casernes des régiments suisses» ; par extension : «plaisantin».
Pour les vêtements (les «nippes» [II, 3, 8 - III, 3, 8 - III, 8, 9 - V, 6, 3]) et les coiffures :
- «bavolet» (I, 4, 1) : «coiffe couvrant les côtés et le derrière de la tête».
- «brassière» (I, 4, 1 - V, 6, 3) : «petite camisole de laine ou de tricot» ; on la mettait aux tout-petits.
- «cadenettes» (IV, 10, 2) : «tresses de cheveux que portaient grenadiers et hussards» ; elles furent à la mode, après Thermidor, parmi les muscadins.
- «cadi» (I, 1, 4) : «tissu de laine».
- «carrick» (II, 5, 9 - III, 8, 14) : «redingote ample à plusieurs collets étagés».
- «coutil» (V, 6, 3) : «toile à matelas».
- «futaine» (V, 6, 3) : «étoffe croisée, fil et coton, commune mais résistante».
- «gasquet» (I, 1, 4) : «tissu de laine».
- «caloyer» (II, 7, 3) : «moine dans lÉglise orthodoxe grecque».
- «guimpe» (II, 6, 9) : «pièce de tissu avec laquelle les religieuses encadrent leur visage et se couvrent la gorge».
- «habit-veste» (IV, 12, 4) : «habit à basques courtes».
- «schapska» (IV, 5, 1) ou «chapka» : «coiffure de fourrure à rabats pour les oreilles».
- «serge» (I, 1, 4 - I, 7, 9) : «tissu de laine ou de soie, plus robuste que fin».
- «shako» (V, 1, 3) : «képi haut et rigide».
- «pelure» (IV, 6, 2) : «manteau».
- «valenciennes» (I, 4, 1) : «dentelle au point de Valenciennes».
Pour les transports :
- «cacolet» (I, 1, 3) : «panier à dossier pour aller à dos de mulet, dâne ou de cheval».
- «écossaise» (IV, 10, 4) : «voiture à cheval».
- «haquet» (IV, 12, 3) : «charrette à deux roues, assez longue pour que la partie postérieure puisse former un plan incliné jusquau sol».
- «malle» (I, 6, 7), «malle-poste» (II, 1, 15) : «voiture qui faisait le service de la poste, et transportait des voyageurs».
- «roulier» (I, 8, 4 - II, 3, 8) : «voiturier qui transportait des marchandises sur un chariot».
- «steamer» (V, 1, 5) : «bateau à vapeur».
Pour les techniques :
- «chandelier de mineur» (I, 2, 10) : «ustensile servant à léclairage des galeries de mine».
- «chagrin» (III, 3, 8) : «cuir grenu fait de peau dâne, de cheval, de mulet, de requin, etc. servant à couvrir des boîtes, des livres ou à polir le bois.»
- «cippe» (II, 1, 18) : «petite colonne sans chapiteau» ou «colonne tronquée qui servait de borne, de monument funéraire, et qui portait une inscription».
- «clavette» (I, 2, 10) : «petite cheville plate qui passe au travers dune plus grosse pour larrêter».
- «coulant» (I, 5, 1) : «anneau glissant le long dune chaîne, dun collier, dune bourse».
- «écussonner» (II, 8, 9) : «greffer en écusson» («morceau décorce portant un il» ou «bouton» ; on le détache au moment de la montée de la sève pour linsérer entre le bois et lécorce dun autre pied).
- «enverguer» (II, 2, 3) : «replier les voiles sur les vergues du navire».
- «galvanique» (I, 2, 13) : «électrique».
- «girandole» (V, 6, 2) : «sorte de branche recourbée supportant des bougies».
- «gomme laque» (I, 5, 1) : «produit de sécrétion fourni par une petite cochenille acclimatée en Inde».
- «havresac» (I, 2, 10) : ici, «sac douvrier, servant à mettre des outils, des effets».
- «jais» (I, 5, 1) : «lignite dun noir luisant».
- «jour de souffrance» (II, 6, 5) : «ouverture pratiquée dans un mur mitoyen en vertu dun droit ou en sassurant la tolérance du voisin».
- «judas» (III, 8, 5) : «petite ouverture pratiquée à un plancher pour voir ce qui se passe au-dessous et plus souvent à une porte pour voir ce qui se passe derrière».
- «laine bourrue» (I, 4, 1) : «laine mal dégrossie» ; il y reste de la «bourre», cette partie de la laine quon ne file pas et quon emploie dordinaire à remplir les matelas.
- «lisière» (III, 1, 1) : «tissu assez rude, tissé par bandes minces et qui servait de bordure à une pièce détoffe» ; dans les prisons, les détenus, en tressant ces bandes, fabriquaient les chaussons dits «de lisière».
- «mante» (I, 4, 1) : «manteau de femme, à capuchon et sans manche».
- «marne» (III, 1, 5) : «terre calcaire mêlée dargile».
- «quinquet» (I, 7, 9 - IV, 6, 12) : «lampe à mèche creuse livrant passage à lair, et où lhuile arrive goutte à goutte», ainsi appelée du nom de son premier fabricant.
- «radier» (V, 3, 5) : «base ou plate-forme stable sur laquelle reposent d'autres éléments».
- «razzia» (IV, 6, 1) : Le terme, qui provient du mot arabe !azwa (:2H : raid ; invasion ; conquête) désigne «une attaque, une incursion rapide en territoire étranger, dans le but de faire du butin» ; puis «le fait de tout rafler, de tout emporter».
- «valet» (IV, 10, 3) : «instrument de fer qui sert à fixer le bois sur létabli».
Pour la religion :
- «banc duvre» (III, 3, 5) : à léglise, «banc placé en face de la chaire, et réservé aux dignitaires de la paroisse».
- «béguine» (I, 4, 1) : «religieuse des Pays-Bas qui, sans avoir prononcé de vux, vivait dans de sortes de couvents appelés béguinages».
- «bénédicité» (I, 2, 3) : «premier mot dune prière que les catholiques romains font avant le repas».
- «bernardins» (I, 5, 8) : «religieux qui suivaient la règle de saint Bernard» ; on les plaisantait pour le relâchement de leur murs.
- «frères ignorantins» (II, 1, 7) : surnom des frères des écoles chrétiennes.
- «jacobins» (I, 5, 8) : «religieux de lordre dominicain» ; ils reçurent ce nom à cause de limplantation rue Saint-Jacques du couvent parisien fondé en 1217.
- «lazaristes» (II, 6, 10) : «religieux de la congrégation de la Mission» ; ils prirent ce nom lorsque leur maison-mère fut transférée en 1632 au prieuré Saint-Lazare (ancienne léproserie) à Paris.
- «urbanistes» (I, 1, 10) : «religieuses clarisses qui ont adopté la règle mitigée du pape Urbain».
- «mère vocale» (II, 6, 4) : «religieuse qui a voix au chapitre, qui élit la prieure».
- «grand vicaire» (I, 1, 5) : on dit plus communément aujourdhui «vicaire général». Il assiste lévêque dans ladministration de son diocèse.
- «conclaviste» (I, 1, 12) : «secrétaire dun membre du conclave», assemblée des cardinaux qui élisent le pape. - «fumée dun scrutin» (I, 1, 12) : allusion à la fumée qui sélève de la cheminée où lon brûle les bulletins de vote des cardinaux lors de lélection dun pape.
- «marguillier» (III, 3, 5) : «membre du conseil dune paroisse chargé den administrer les biens et les revenus».
- «oratoire» (I, 2, 5) : «chambre aménagée afin quon puisse y dire la messe».
- «pallium» (I, 1, 12) : «bande de laine blanche, garnie de croix, insigne des archevêques».
- «réparation» (II, 8, 9) : «rite dans lequel une religieuse demeure toute la nuit prosternée, la face contre terre, les bras en croix».
- «rote» (I, 1, 12) : «tribunal du Saint-Siège, composé de douze auditeurs».
- «tourière» (II, vi, 4) : «religieuse chargée de recevoir les objets que, du dehors, on dépose dans le tour», sorte de petite armoire tournant sur un pivot, qui permet de faire entrer ces objets sans quil soit besoin douvrir la grille.
Pour les armes et larmée :
- «bisaiguë» (V, 1, 21) : «sorte de hache darmes dont la partie opposée au tranchant était un morceau de fer pointu».
- «biscayen» (II, 1, 1 - II, 1, 7 - IV, 11, 3 - V, 1, 21) : «projectile lancé par des fusils de gros calibre, qui portent le même nom» ; se dit aussi des projectiles contenus dans les «boîtes à mitraille».
- «buffleterie» (IV, 12, 4) : «bretelles en peau de buffle servant à soutenir les armes».
- «capsule» (IV, 12, 4) : «amorce de cuivre au fulminate».
- «carabiniers» (IV, 10, 3) : «soldats armés d'une carabine, pouvant servir au sein de la cavalerie lourde ou de l'infanterie».
- «chevrotine» (IV, 12, 4 - V, 1, 21) : «gros plomb» ou «petites balles».
- «chien» (IV, 11, 1) : «pièce qui se rabat sur la capsule pour en provoquer lexplosion».
- «corps de garde» (I, 5, 11) : «construction servant à protéger l'entrée d'une fortification». À lépoque où l'armée était garante de l'ordre public, le corps de garde servait également de poste de police. De là, la locution désigna le groupe de soldats qui y étaient réunis, et qui, pour meubler leur attente, échangeaient les fameuses «plaisanteries de corps de garde» ; doù «les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau.» (I, 5, 11).
- «cuirassiers» (II, 1, 9 et 10 - III, 3, 2) : «cavaliers militaires lourdement équipés, otégés par une cuirasse, ce qui leur a donné leur nom»
- «dragons» (IV, 10, 3) : «militaires se déplaçant à cheval mais combattant à pied».
- «fontes» (IV, 10, 3) : «étuis à pistolets quon attache de chaque côté dune selle».
- «porte-crosse» (IV, 10, 3) : «petit fourreau de cuir attaché au côté droit de la selle».
- «giberne» (IV, 10, 3 - IV, 12, 4 - V, 1, 12 - V, 1, 15) : «boîte à cartouches».
- «guidon» (V, 1, 3) : «fanion qui sert pour lalignement des militaires».
- «hausse-col» (IV, 14, 4) : «pièce métallique décorée (généralement en laiton) que portaient les officiers au cou à la fin du XVIIIe siècle et jusqu'au milieu du XIXe siècle environ».
- «invalides» (I, 4, 1) : «vieux soldats recueillis à lHôtel des Invalides, à Paris».
- «obus de soixante [
] dont la fusée sétait brisée au ras de la bombe» (II, 1, 7) : l«obus» est dun calibre de soixante millimètres ; la «bombe» est la partie de lobus qui contient lexplosif dont la «fusée» ou détonateur détermine léclatement.
- «pioupiou» (V, 1, 21) : néologisme qui apparut dans une comédie publiée en 1838 et qui désigne un «jeune fantassin».
- «vedette» (IV, 10, 4 - IV, 13, 3) : «sentinelle à cheval ou guetteur posté pour signaler la venue de l'ennemi».
- «redoute» (II, 1, 15 - IV, 12, 5 - IV, 12, 6 - V, 1, 2 - V, 1, 21) : «ouvrage de fortification séparé».
- «uhlan» (II, 1, 13) : «lancier dans les armées allemandes».
Pour le crime et sa répression :
- «débine» (II, 3, 8) : «misère».
- «grivèlerie» (III, 2, 6) : «petit profit illicite».
- «rôdeur de barrières» (III, 1, 5) : «individu qui fréquentait la zone des fortifications de Paris», Hugo affirmant en avoir été un.
- «faux saulniers» (IV, 10, 2) : «contrebandiers du sel» ; ils voulaient échapper à limpôt de la gabelle.
- «basoche» (II, 4, 1) : «gens de justice».
- «robin» (II, 4, 1) : «homme de robe», «homme de loi», «magistrat».
- «en rupture de ban» (I, 5, 5) : le ban est un jugement qui assigne ou interdit certaines résidences à un condamné après sa libération. Rompre son ban, cest donc revenir en un lieu où il vous est interdit de résider.
- «prétoire» (I, 7, 9) : le tribunal étant lenceinte où siègent les juges, le prétoire comprend les bancs de laccusé, de la défense, de laccusation, des jurés, et la barre des témoins.
- «galères» (I, 2, 6) : «navires à voiles et rames, mue par des galériens généralement esclaves ou repris de justice dont la force musculaire était employée à actionner les rames, lorsque le vent ne soufflait pas dans la bonne direction et lors de manuvres d'attaques ou de parades. On appela «galérien» (I, 2, 3), lhomme condamné à ramer sur les galères du roi, ce qui dura jusquà la fin du règne de Louis XIV ; puis le terme resta en usage jusquau milieu du XIXe siècle pour désigner un forçat, un bagnard.
- «chiourme» (I, 2, 3 - I, 7, 3) : «troupe de forçats ramant sur une galère puis travaillant au bagne».
- «argousin» (I, 7, 3) : «surveillant du bagne», «garde-chiourme».
- «rondier» (I, 7, 3) : «garde qui fait des rondes».
- «bonnet vert» (I, 7, 3) : il était porté par les condamnés à perpétuité.
- «veste rouge» (I, 7, 3) : elle était portée par les forçats.
- «carcan» (I, 7, 3) : «collier de fer» ; il servait à attacher un criminel au poteau dexposition, pratique qui ne fut supprimée quen 1852.
- «casaque» (I, 2, 3) : «sorte de blouse» ; les forçats en portaient une qui était rouge, avec un pantalon jaune foncé.
- «double chaîne» (I, 2, 6) : «chaîne du coupable dévasion» ; elle était dun poids double de celui des chaînes des autres forçats.
- «manille» (I, 7, 3) : «anneau auquel sattachait la chaîne qui reliait le forçat à son compagnon».
- «poucettes» (III, 8, 21) : «corde ou chaînette dont on se sert pour attacher les pouces de prisonniers».
- «masse» (I, 2, 3) : «somme formée par les retenues faites sur la paie de chaque soldat ou forçat pour constituer un pécule qui lui est remis à la fin de son engagement ou de sa peine».
Pour lHistoire récente et lactualité politique :
- «jacobinisme» (III, 3, 1) : doctrine politique qui défend la souveraineté populaire et la République.
- «incroyable» (IV, 8, 7) : «jeune homme extravagant à lépoque du Directoire».
- «muscadin» (III, 1, 10 - III, 8, 14) : «jeune Parisien qui était hostile à la Révolution».
- «doctrinaires» (III, 3, 3) : nom donné sous la Restauration à quelques penseurs (Royer-Collard, Guizot, Cousin) qui essayaient de fonder en doctrine un tiers parti entre les royalistes intransigeants et les libéraux de gauche.
- «miquelets» (IV, 10, 2) : «bandits, puis soldats espagnols» ; en 1808, Napoléon organisa des miquelets français pour lutter contre les guérilleros espagnols.
- «verdets» (IV, 10, 2) : «bandes royalistes, à cocarde verte» ; elles sévirent dans le Midi après le 9 Thermidor et au début de la seconde Restauration, pendant ce quon a appelé la Terreur blanche.
- «morillo» (I, 5, 12) : «chapeau à petits bords» ; au XIXe siècle, il était porté par les royalistes, tandis que les libéraux portaient des chapeaux à larges bords, les bolivars.
- «bousingot» (III, 8, 19 - V, 3, 2) : nom donné après 1830 aux jeunes gens partisans de la démocratie. En V, 3, 2 , Hugo indique : «En 1832, le mot bousingot faisait lintérim entre le mot jacobin qui était éculé, et le mot démagogue alors presque inusité et qui a fait depuis un si excellent service».
- «brigands de la Loire» (III, 3, 1) : nom donné par les royalistes aux soldats de larmée impériale qui, restés fidèles à Napoléon après la défaite de Waterloo et larmistice de Paris en juillet 1815, sétaient, sous les ordres de Davout, réfugiés au-delà de ce fleuve.
- «buonapartiste» (I, 8, 5 - III, 3, 1) : nom méprisant donné par les royalistes aux partisans de Napoléon Bonaparte, quils se plaisaient à désigner, à la corse, Buonaparte.
- «carbonarisme» (III, 4, 1) : société secrète créée en Italie au début du XIXe siècle afin de lutter contre Napoléon, puis contre les souverains italiens. Ses membres, les carbonaro (III, 5, 6), se dissimulaient sous lapparence de charbonniers, doù le nom français du mouvement : la charbonnerie.
- «Cougourde» (III, 4, 1) : à partir du nom provençal de la courge, cétait celui dune petite société secrète républicaine quon signala dans les Bouches-du-Rhône sous la Monarchie de Juillet.
- «légion» (IV, 12, 4) : «division de la garde nationale».
- «ligne» (V, 1, 15) : «l'infanterie de ligne», qui combattait en formant une ligne.
On trouve évidemment dans le texte de Hugo des usages classiques :
- «abrutissement» (I, 2, 13) : au sens propre : «réduction progressive à létat de brute».
- «aise» : «Je suis aise de vous revoir» (I, 2, 12) dit M. Myriel à Jean Valjean ramené par les gendarmes : «Je suis heureux».
- «à la brune» (III, 3, 4 - IV, 5, 5) : «au crépuscule du soir» (au Québec, on dit encore : «à la brunante»).
- «antiquaire» (II, 1, 2) : «archéologue».
- «appareil» (I, 7, 9) : «déroulement dun cérémonial aux yeux des spectateurs».
- «approfondir des poches» (III, 8, 4) : à la fois, «explorer à fond et creuser pour rendre, si possible, plus profond».
- «bacchanale» (V, 1, 1) : «orgie».
- «borborygme» (V, 3, 2) : «bruit intestinal produit par des gaz».
- «bouge» (III, 8, 8) : «logement obscur et malpropre.»
- «camard» (V, 1, 15) : «qui a le nez plat et écrasé», «qui na plus de nez», ce qui fait que, le crâne dun squelette nayant plus de nez, le mot «camarde» en est venu à désigner la mort, dont «la face» est «camarde».
- «la canaille» (V, 1, 1) : «ensemble de gens méprisables».
- «capitoul» (IV, 12, 3) : «citoyen élu par un quartier de Toulouse pour faire partie du conseil municipal de la ville».
- «capricant» (I, 5, 8) : «qui fait des bonds analogues à ceux de la chèvre», «qui procède par bonds irréguliers, par saccades. Ici, fantasque, capricieux».
- «chausse-trape» (V, 3, 1) : «trou recouvert cachant un piège».
- «chérubin» (III, 4, 1) : ange qui, dans la Bible, monte la garde avec un glaive tournoyant (doù «le formidable chérubin dÉzéchiel»), mais qui fut ensuite représenté avec une tête denfant (doù «le chérubin galant de Beaumarchais», cet auteur dramatique français du XVIIIe siècle ayant donné le nom de Chérubin à un jeune page dans ses pièces, Le mariage de Figaro et La mère coupable.
- «chicane» (IV, 1, 3) : «procédure judiciaire».
- «cloaque» (III, 1, 3 - III, 4, 1 - V, 3, 1) : nom latin pour désigner un égout.
- «coecum» (V, 6, 4) : «dans le gros intestin, la première partie du côlon, séparé de l'iléon par la valvule iléo-cæcale».
- «crypte» (V, 3, 2) : «caveau sous une église».
- «Dorante» (V, 5, 3) : «au théâtre, nom donné à des jeunes hommes de qualité, à de jeunes galants».
- «encorbellement» (II, 7, 6) : «construction en saillie du plan vertical dun mur, soutenue en porte-à-faux par un assemblage de corbeaux ou de consoles».
- «enseigner» («la brave femme qui ma enseigné ici» [I, 2, 3]) : «qui ma indiqué cet endroit».
- «espingole» (V, 1, 1) : «fusil court du XVIe siècle, dont l'extrémité du canon est évasée et qu'on charge de plusieurs balles».
- «feu follet» (V, 1, 15) : «manifestation lumineuse ayant l'apparence d'une petite flamme» ; si on y a vu longtemps la manifestation d'esprits malins et d'âmes en peine, et si cela fit l'objet d'un folklore important, mais Hugo ne retient que le caractère rapide et sporadique du phénomène.
Gavroche continuant sa quête malgré les balles, «cétait le moineau becquetant les chasseurs. [
]
- «formidable» : Sens latin : qui inspire la crainte, redoutable, terrible. Sont formidables : Javert (I, 5, 5), le «spectacle» de la bataille de Waterloo (II, 1, 15), le «dernier carré» (III, 3, 6), le firmament la nuit (III, 4, 1), «le chérubin dÉzéchiel» (IV, 3, 8), une voiture qui sapproche «dans le crépuscule» (IV, 10, 5), le «char fulgurant de lApocalypse» (V, 1, 7), le «flamboiement de lémeute» (V, 1, 21), la «gueule» du canon devant la barricade (V, 1, 7), «la vieille lutte» qui tourmente Jean Valjean (V, 6, 4), un des deux «fronts» de la «destinée humaine», lautre étant «naïf» (V, 7, 1).
- «Géronte» (III, 3, 6 - V, 5, 3) : du grec ancien ³Áɽ / gérôn («vieillard»), c est le nom d un personnage de comédie qui a représenté la vieillesse avant de devenir un type de plus de ces barbons imbéciles, toujours trompés et bernés, dont le théâtre, ancien et moderne, offre de nombreuses variétés.
- «gésine» (IV, 12, 8) : «état d une femme sur le point d accoucher».
- «génésiaque» (V, 7, 2) : «relatif à la Genèse ».
- «glaive» (V, 1, 12) : épée.
- «goton» (III, 3, 8) : «femme de petite vertu», «fille de joie», «prostituée», «catin».
- «hâve» (V, 1, 21) : «pâle», «défait».
- «hottée» (V, 1, 1) : «contenu dune hotte, grand panier quon porte sur le dos au moyen de bretelles».
- «huitième ciel» (V, 7, 1) : allusion à celui des cieux où, pour les astronomes de lAntiquité, étaient accrochées les étoiles.
- «hydre» (V, 1, 20 - V, 6, 4) : «créature de la mythologie grecque décrite comme un monstre possédant plusieurs têtes, dont une immortelle. Ses têtes se régénéraient doublement lorsqu'elles étaient tranchées, et l'haleine soufflée par les multiples gueules exhalait un poison radical, même durant le sommeil de l'animal.»
- «inamissible» (V, 4) : «qui ne peut se perdre» (terme de théologie).
- «informer» (V, 3, 8) : «ouvrir une instruction, une enquête, en matière judiciaire».
- «lancette» (IV, 1, 3) : «petit instrument de chirurgie, à lame plate et acérée, utilisé pour la saignée, les petites incisions» ; sil est fait mention de la lancette de Louis-Philippe, cest que, voyageant dans sa jeunesse en Amérique du Nord avec une lancette, il avait pu, grâce à elle, soigner un vieillard indien ; puis, ayant gardé lhabitude den porter une, avait encore soigné un courrier qui était tombé sous la roue dune voiture.
- «maître ès jeux floraux» (IV, 12, 3) : lauréat de l'Académie des Jeux floraux de Toulouse, société littéraire fondée au Moyen Âge, sans doute la plus ancienne du monde occidental. Lors de concours qui ont lieu chaque année, les membres récompensent les auteurs des meilleurs poèmes. Ces récompenses revêtent la forme de cinq fleurs d'or ou d'argent : la violette, l'églantine, le souci, l'amarante et le lys. Hugo concourut en 1817, 1819 (obtenant alors un lys dor, ce premier trophée allant rester longtemps accroché au-dessus de la cheminée dans les différentes demeures quil occupa), et 1820 (obtenant alors un illet). Celle ou celui qui reçoit trois de ces fleurs porte le titre de «maître ès jeux».
- «médium» (V, 3, 8) : «registre de la voix entre le grave et laigu».
- «mirliflore» (III, 7, 3) : «jeune homme qui fait l'agréable, le beau, l'intéressant».
- «pontifical» (III, 4, 1) : «qui fait autorité».
- «salamandre» (V, 1, 21) : «amphibien légendaire qui était réputé vivre dans le feu et s'y baigner, et ne mourir que lorsque celui-ci s'éteignait».
- «stupide» (V, 3, 8) : «frappé de stupeur». Hugo indiqua : «Le mot est du vieux Corneille» ; en effet, Cinna dit : «Je demeure stupide
» (V, 1).
- «satellite» (III, 4, 1) : «qui dépend dun individu ou dun pays plus puissant».
- «séraphique» (IV, 5, 5) : de «séraphin», nom dune classe danges, qui, selon Isaïe, dans la Bible, auraient trois paires d'ailes ; l'adjectif signifie «angélique» ou «éthéré».
- «titanique» (II, 1, 3 - V, 1, 1 - V, 3, 2) ; «titanesque».
- «tonne de Heidelberg» (III, 4, 4) : dans Le Rhin, Hugo indiqua que, dans une cave du château de Heidelberg, se trouvait «une futaille monstre» contenant «cent soixante-six mille quatre cents bouteilles ordinaires».
- «votre serviteur» (III, 3, 8) : abréviation de «Je suis votre serviteur», formule de politesse dont on se servaitt en saluant quelqu'un.
En ce qui concerne la syntaxe, on remarque le vieil usage quest lantéposition du pronom personnel réfléchi : «saller sécher» (II, 3, 8), on sétonne de lexpression «saisir à poigne-main» (I, 8, 4).
À la suite de cet immense répertoire, on ne peut que partager ladmiration que Baudelaire manifesta dans Lart romantique : «Je vois dans la Bible un prophète à qui Dieu ordonne de manger un livre. Jignore dans quel monde Victor Hugo a mangé préalablement le dictionnaire de la langue quil était appelé à parler ; mais je vois que le lexique français, en sortant de sa bouche, est devenu un monde, un univers coloré, mélodieux et mouvant. Par suite de quelles circonstances historiques, fatalités philosophiques, conjonctions sidérales, cet homme est-il né parmi nous, je nen sais rien, et je ne crois pas quil soit de mon devoir de lexaminer ici. Peut-être est-ce simplement parce que lAllemagne avait eu Goethe, et lAngleterre Shakespeare et Byron, que Victor Hugo était légitimement dû à la France.»
LE STYLE
Comme il savait varier les cadences, Hugo, loin dadopter un ton uniforme, usa de différents styles pour répondre aux intentions les plus diverses.
Il put sen tenir à un style sobre, purement informatif, lobservateur notant minutieusement des détails précis, le style étant alors de nen pas avoir, de fuir leffet, de seffacer derrière lobjet : «Jean Valjean avait repris sa marche et ne sétait plus arrêté. Cette marche était de plus en plus laborieuse. Le niveau de ces voûtes varie ; la hauteur moyenne est denviron cinq pieds six pouces, et a été calculée pour la taille dun homme.» (V, 3, 4).
Dautre part, certaines des maximes dont Hugo parsema son texte sont brèves :
- «Le mariage est une greffe ; cela prend bien ou mal.» (I, 3, 7).
- Confier, cest quelquefois livrer (titre de I, 4).
- «Il ne suffit pas dêtre méchant pour prospérer.» (I, 4, 3).
- «Certaines natures ne peuvent aimer dun côté sans haïr de lautre.» (I, 4, 3).
- «La souffrance sociale commence à tout âge.» (I, 4, 3).
- «La mort, c'est l'entrée dans la grande lueur.» (I, 8, 4).
- «Il y a des instincts pour toutes les rencontres de la vie.» (II, 3, 5).
- «Qui cherche le mieux peut trouver le pire» (II, 3, 10).
- «Deux malheurs mêlés font du bonheur.» (II, 4, 3).
- «Les meilleurs ne sont pas exempts dune pensée égoïste.» (II, 4, 3).
- «Une pièce de cinq francs qui tombe à terre fait du bruit,» (II, 4, 5)
- À chasse noire, meute muette (titre de II, 5).
- «Le propre de la vérité, cest de nêtre jamais excessive.» (II, 7, 3).
- Les cimetières prennent ce quon leur donne (titre de II, 8).
- «Il ne suffit pas dêtre ivrogne pour être immortel.» (II, 8, 5).
- «Les invalides eux-mêmes peuvent être heureux.» (III, 6, 8).
- «Détruisez la cave Ignorance, vous détruisez la taupe Crime.» (III, 7, 2).
- Secours den bas peut être secours den haut. (titre de IV, 4).
- «Blessure au dehors, guérison au dedans.» (IV, 4,1).
- «Qui sait si l'homme n'est pas un repris de justice divine?» (IV, 7, 1).
- «Le dix-neuvième siècle est grand, mais le vingtième sera heureux.» (V, 1, 4).
- «Le sépulcre peut avoir son éblouissement.» (V, 9, 5).
Hugo put aussi adopter un style elliptique qui permet une grande vivacité :
- «Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut lattaque.» (II, 1, 10).
- «Cris, désespoir, sacs et fusils jetés dans les seigles, passages frayés à coups dépée, plus de camarades, plus dofficiers, plus de généraux.» (II, 1, 13).
- Cosette remarque «un fort bel officier de lanciers, taille de guêpe, ravissant uniforme, joues de jeune fille, sabre sous le bras, moustaches cirées, schapska verni. Du reste cheveux blonds, yeux bleus à fleur de tête, figure ronde, vaine, insolente et jolie ; tout le contraire de Marius. Un cigare à la bouche.» (IV, 5, 1).
- La rue de la Chanvrerie marque son hostilité à la barricade : «Portes fermées, fenêtres fermées, volets fermés.» (V, 1, 20).
Par contre, Hugo sut aussi se plier à un style doux pour parler des personnages eux-mêmes doux, prêtant sa plume à Mlle Baptistine qui qualifie son frère d«homme qui a du grand dans lesprit» (I, 1, 9). Si M. Gillenormand parle trop souvent comme un personnage de Hugo, il se livre aussi au badinage désinvolte dun vieux beau qui fut jeune sous Louis XV.
Lécrivain alla jusquà citer ou inventer de «ces mots denfants qui ont toujours tant de grâce et qui font rire dun rire plein de rêveries» (II, 6, 4).
Hugo se permit des traits dhumour, desprit, de comique :
- Jean Valjean indique à M. Myriel : «Je men suis allé dans les champs pour coucher à la belle étoile. Il ny avait pas détoile.» (I, 2, 3).
- Les Thénardier sont «des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu'elles y avancent» (I, 4, 2).
- M. Madeleine est ignoré par le «microscopique faubourg Saint-Germain» de Montreuil-sur-mer (I, 5, 4).
- Lécrivain public de Montreuil-sur-mer est «un vieux bonhomme qui ne pouvait pas emplir son estomac de vin rouge sans vider sa poche aux secrets.» (I, 5, 8).
- La Thénardier «avait de la barbe. Cétait lidéal dun fort de la halle habillé en fille.» (II, 3, 2).
- Il est dit de Thénardier : «Nous croyons quil avait simplement étudié en Hollande pour être aubergiste.» (II, 3, 2), allusion possible à la rapacité longtemps proverbiale des Hollandais.
- «Le numéro 9430 reparaît et Cosette le gagne à la loterie.» (II, 3, 11).
- Est donné à un personnage le nom de «maître Gorbeau», qui aurait inspiré la parodie de la fable de La Fontaine dans le monde de «la basoche» auquel il appartenait :
«Maître Gorbeau, sur son dossier perché,
Tenait dans son bec une saisie exécutoire ;
Maître Renard, par lodeur alléché,
Lui fit à peu près cette histoire :
Hé bonjour !» etc. (II, 4, 1).
- De Championnet, il est dit quil avait «inondé les portiques» (III, 1, 9), souvenir plaisant dAthalie de Racine : «Du temple, orné partout de festons magnifiques, / Le peuple saint en foule inondait les portiques.» (I, 1).
- Javert, qui a fait «buisson creux», est «honteux comme un mouchard quun voleur aurait pris.» (II, 5, 10), pastiche du vers le La Fontaine : «Honteux comme un renard quune poule aurait pris.» (Le renard et la cigogne).
- Fauchelevent affirme : «Le fossoyeur met les morts dans la fosse, et moi je mets les fossoyeurs dans ma poche.» (II, 8, 4).
- «Où lon trouvera lorigine du mot : ne pas perdre la carte» (II, 8, 7) est le titre du chapitre où, en fait, on découvre que le fossoyeur a perdu sa carte.
- «Ah Jésus-mon-dieu-bancroche-à-bas-la-lune ! sécria» (II, 8, 7) Fauchelevent.
- «Je connais les trucs, les trocs, les trics et les tracs.» (II, 8, 7) déclare-t-il.
- Les royalistes du salon de Mme de T. reprochent à Louis XVIII son «jacobinisme» (III, 3, 1).
- M. Gillenormand pense que : «Tous les rois qui ne sont pas le roi de France sont des rois de province.» (III, 3, 1).
- «Utilité daller à la messe pour devenir révolutionnaire» affirme le titre du chapitre III, 3, 5 parce que la rencontre que fit Marius à Saint-Sulpice entraîna son évolution politique.
- Au ridicule lieutenant Théodule, qui est impressionné par son passage dans un cimetière, «la mort apparut avec de grosses épaulettes, et il lui fit presque le salut militaire» (III, 3, 8).
- Une vieille barbue balayant la chambre de Marius, Courfeyrac commente : «Voyant que sa servante porte sa barbe, Marius ne porte point la sienne.» (III, 6, 1).
- Marius, étant amoureux, cest le «commencement dune maladie». (III, 6, 4).
- Courfeyrac indique à ses amis : «Je viens de rencontrer le chapeau neuf et lhabit neuf de Marius et Marius dedans.» (III, 6, 4).
- Marius sexalte en tenant un mouchoir laissé sur le banc où sassoient celui quil appelle «M. Leblanc» et celle quil appelle «Mlle Lanoire», mouchoir quil imagine à elle alors quil porte les «lettres U.F.» (III, 6, 7).
- «Marius, cherchant une fille en chapeau, rencontre un homme en casquette.» (III, 8, 1).
- Javert apppelle les membres de la bande Patron-Minette des «artistes» qui, inquiétés, risquent de «décommander le vaudeville», cest-à-dire «renoncer à leur méfait». Il veut «les entendre chanter et les faire danser.» (III, 8, 14).
- Cosette, «voyant que Marius ne venait point à elle», «alla à lui. En pareil cas, toute femme ressemble à Mahomet.» (IV, 3, 5). En effet, Mahomet, ne pouvant faire venir à lui une montagne, se dirigea vers elle.
- Au couvent, le mot «amour était remplacé par tambour ou pandour» (IV, 3, 6).
- «Les vieux sont faits pour sortir à propos» est le titre de IV, 5, 6.
- Sil est dit que «cette antique rue du Petit-Musc a fait ce quelle a pu pour changer en bonne odeur sa mauvaise réputation» (IV, 6, 1), cest quelle se serait appelée autrefois «Pute y musse» (cest-à-dire «Pute sy cache»), nom qui évoquait les occupations de ses habitantes.
- «mamselle Miss» (IV, 6, 1) est le nom donné à «une savante voleuse anglaise francisée [
] naturalisée parisienne».
- Gavroche appelle une prostituée «mamselle Omnibus» (IV, 6, 2), le mot signifiant «pour tous».
- Comme il pleut, il menace : «Bon Dieu, si cela continue, je me désabonne.» (IV, 6, 2).
- Pour Hugo, la colonne de Juillet est un «tuyau de poêle baptisé dun nom sonore» (IV, 6, 2).
- Il constate que, dun «voleur évadé», on dit : «Comment a-t-il fait pour escalader ce toit? De même quon dit de Corneille : Où a-t-il trouvé Quil mourût?» (IV, 6, 3).
- M. Gillenormand sécrie : «Glissez, mortels, népousez pas !» (IV, 8, 7), variation sur le «Glissez, mortels, nappuyez pas !» de Pierre-Charles Roy (1683-1764).
- Gavroche, devant des rentiers «bien portants», sécrie : «Autant en emporte le ventre.» (IV, 11, 1), déformation du proverbe «Autant en emporte le vent».
- Bahorel se moque des paroissiens de larchevêque de Paris : «Ouailles, manière polie de dire oies» (IV, 11, 4).
- Le patron du cabaret Corinthe propose des «Carpes ho gras», jeu de mot sur «Carpes horas» : «Cueille les heures» (variation sur le «Carpem diem» dHorace [Odes, I, 2, 8]) (IV, 12, 1).
- Grantaire se moque : «À voir tant de misère partout, je soupçonne que Dieu n'est pas riche. Il a des apparences, c'est vrai, mais je sens la gêne.» (IV, 12, 2).
- Gavroche traité de «tubercule» répond : «Hercules vous-mêmes !» (IV, 12, 4).
- Ayant dénoncé Javert et demandant un fusil, il déclare : «Je vous laisse le musicien, mais je veux la clarinette.» (IV, 12, 7).
- Comme il peint la ville la nuit, Hugo intitule IV, 13, 2 «Paris à vol de hibou», mais ensuite parle plutôt de «chauve-souris» et de «chouette» !
- Le titre de V, 1, 2, «Que faire dans labîme à moins que lon ne cause?», est inspiré de La Fontaine : «Car que faire en un gîte, à moins que lon ne songe?»
- Bossuet statue : «Quand on est amoureux comme un tigre, cest bien le moins quon se batte comme un lion.» (V, 1, 14).
- Gavroche trouvant «une poire à poudre» dit «pour la soif» (V, 1, 15), jouant donc sur lexpression «garder une poire pour la soif» qui signifie «avoir des moyens, des ressources, en réserve, pour un emploi futur», alors quici lavenir est très limité !
- Puis, une balle qui lui est destinée touchant un cadavre quil est en train de dépouiller, il proteste : «Voilà quon tue mes morts.» (V, 1, 15).
- Il donne une «pichenette» sur «la face camarde du spectre», quest la mort (V, 1, 15) ; or, alors quune «pichenette» se donne souvent sur le nez dune personne, comment en donner une à qui nen a pas?
- Bossuet, devant limminence de la fin de la barricade, dit : «Nous allons bientôt prendre la diligence pour une autre planète» tandis qu«un ouvrier sassujettissait sur la tête avec une ficelle un large chapeau de paille de la mère Hucheloup, de peur des coups de soleil, disait-il.» (V, 1, 17).
- Dun homme en filant un autre, il est dit quil voulait «arriver à vêtir le premier plus chaudement». Parce que «quand un homme habillé par lÉtat poursuit un homme en guenilles, cest afin den faire aussi un homme habillé par lÉtat. Seulement la couleur est toute la question. Être habillé de bleu, cest glorieux ; être habillé de rouge, cest désagréable.» (V, 3, 3).
- M. Gillenormand «fit une pirouette sur ses talons de quatre-vingt-dix ans, et se remit à parler, comme un ressort qui repart : «Ainsi, bornant le cours de tes rêvasseries, / Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries.» (V, 5, 4), ce qui est une imitation du début de la satire de Boileau sur les femmes (X, 1-2) : «Enfin, bornant le cours de tes galanteries, / Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries.»
- M. Gillenormand, croyant Cosette pauvre, lui déclare : «Vos belles mains blanches, madame la baronne, feront au diable lhonneur de le tirer par la queue.» (V, 5, 4).
- Hugo donne ce conseil : «Déposez plutôt votre argent dans telle forêt que chez tel notaire.» (titre de V, 5, 5).
Si Hugo déclara : «Le calembour est la fiente de I'esprit qui vole.» (I, 3, 6), il ne sen priva pas :
- Thénardier est «un filousophe.» (II, 3, 2).
- «La société des Amis de lA B C» est en fait celle de «LAbaissé, cétait le peuple. On voulait le relever. Calembour dont on aurait tort de rire. Les calembours sont quelquefois graves en politique.» (III, 4, 1).
- «Blondeau, qui doit être le nez malin dont parle Boileau» (III, 4, 2) : Boileau avait écrit : «Le Français né malin
».
- Hugo a fait prendre à Thénardier le nom de «Fabantou, artiste dramatique» (III, 8, 3) qui est l'abrégé de «fabulateur en tout.»
- Il édicte : «Parfois, insurrection, cest résurrection.» (IV, 10,2).
- Il donne pour titre de IV, 15, 1 : «Buvard, bavard».
- Il se moque, faisant dire à «un bourgeois, heureux davoir de lesprit» : «Les cygnes comprennent les signes.» (V, 1, 16).
Mais, le plus souvent, selon sa tendance naturelle, Hugo, qui magnifia tout ce quil observa, tout ce quil imagina, sabandonna à une verbosité excessive, se complut dans la grandiloquence, le grossissement (il pratiqua ce quil accorda au gamin de Paris qui «introduit la caricature dans les grossissements épiques.» [III, 1, 3]), le ton épique (en particulier pour les tableaux de la bataille de Waterloo et de lémeute), lindignation exaltée, les accents d'une grande noblesse, la ferveur amoureuse, politique ou religieuse, usant de :
- cadences oratoires : «Combien de fois avons-nous vu Jean Valjean saisi corps à corps dans les ténèbres par sa conscience et luttant éperdument avec elle ! [
] Combien de fois cette conscience, forcenée au bien, lavait-elle étreint et accablé ! Combien de fois la vérité, inexorable, lui avait-elle mis le genou sur la poitrine ! Combien de fois, terrassé par la lumière, Iui avait-il crié grâce ! Combien de fois cette lumière implacable, allumée en lui et sur lui par lévêque, lavait-elle ébloui de force alors quil souhaitait être aveuglé ! Combien de fois sétait-il redressé dans le combat, retenu au rocher, adossé au sophisme, traîné dans la poussière, tantôt renversant sa conscience sous lui, tantôt renversé par elle. Combien de fois, après une équivoque, après un raisonnement traître et spécieux de légoïsme, avait-il entendu sa conscience irritée lui crier à loreille : Croc-en-jambe, ! misérable ! Combien de fois sa pensée réfractaire avait-elle râlé convulsivement sous l'évidence du devoir ! Résistance à Dieu. Sueurs funèbres. Que de blessures secrètes, que lui seul sentait saigner ! Que d'écorchures à sa lamentable existence ! Combien de fois s'était-il relevé sanglant, meurtri, brisé, éclairé, le désespoir au coeur, la sérénité dans l'âme ! Et, vaincu, il se sentait vainqueur. Et, après l'avoir disloqué, tenaillé et rompu, sa conscience, debout au-dessus de lui, redoutable, lumineuse, tranquille, lui disait : Maintenant, va en paix !» (V, 6, 4).
De tels élans ne sont pas toujours maîtrisés, comme on le constate dans cet exemple : «Dieu, toujours intérieur à lhomme, et réfractaire, lui la vraie conscience, à la fausse, défense à létincelle de séteindre, ordre au rayon de se souvenir du soleil, injonction à lâme de reconnaître le véritable absolu quand il se confronte avec labsolu fictif, lhumanité imperdable, le cur humain inamissible, ce phénomène splendide, le plus beau peut-être de nos prodiges intérieurs, Javert le comprenait-il?» [V, 4]).
- procédés rhétoriques comme :
- les exclamations : «Ô mystère insondable et divin des équilibres de la destinée !» (II, 4, 3) - «Ô première marche à descendre, que tu es sombre ! Ô seconde marche, que tu es noire !» (V, 6, 4).
- les interpellations : évoquant «la barricade Saint-Antoine», Hugo semble imaginer un insurgé qui sécrie : «Tiens ! cette porte ! cette grille ! cet auvent ! ce chambranle ! ce réchaud brisé ! cette marmite fêlée ! Donnez tout ! jetez tout ! poussez, roulez, piochez, démantelez, bouleversez, écroulez tout !» (V, 1, 1).
- les fausses questions :
- après la mort de Fantine, Jean Valjean lui parle : «Que lui dit-il? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé à cette femme qui était morte? Quétait-ce que ces paroles? Personne sur la terre ne les a entendues la morte les entendit-elle?» (I, 8, 4).
- évoquant les amours de Marius et de Cosette, Hugo se demande : «Comment se fit-il que leurs lèvres se rencontrèrent? Comment se fait-il que loiseau chante, que la neige fonde, que la rose souvre, que mai sépanouisse, que laube blanchisse derrière les arbres noirs au sommet frissonnant des collines?» (IV, 5, 6).
- parlant du «flot» qui vient battre contre «la barricade Saint-Antoine», Hugo demande : «Quel flot?» et répond : «la foule» (V, 1, 1) - disant plus loin que la barricade «attaquait au nom de la Révolution», il prétend demander : «quoi? la Révolution.» (V, 1, 1).
- parlant du «fontis», quil a déjà défini, il nen pose pas moins la question : «Quest-ce quun fontis?» (V, 3, 5).
- le redoublement des «et» : «On naura plus à craindre la famine, lexploitation, la prostitution par détresse, la misère par chômage, et léchafaud, et le glaive, et les batailles, et tous les brigandages du hasard dans la forêt des événements.» (V, 1, 5) - «Il y eut un silence [
], et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes [
], et ce fut comme lentrée dun tremblement de terre.» [II, 1, 9] - «et la société, et Ie genre humain, et I'univers, se résumaient désormais à ses yeux dans un linéament simple et hideux.» [V, 4]).
- les effets syntaxiques : Les «âmes écrevisses» que sont les Thénardier (I, 4, 2) - la «redoute bête fauve», le «hérissement sanglier», lénormité montagne» (V, 1, 1) quest la barricade - Gueulemer a «une barbe sanglière.» (III, 7, 3).
- alors quil décrit bel et bien la bataille finale pour la prise de la barricade, Hugo affecte, par une prétérition, en être incapable : «Les scènes successives et simultanées de cette tuerie grandiose, nous renonçons à les peindre. Lépopée seule a le droit de remplir douze mille vers avec cette bataille.» (V, 1, 21).
Citons quelques exemples de la grandiloquence de Hugo :
- «Lêtre mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de lhumanité, avait lui aussi, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de linfini, longtemps écarté de sa main leffrayant calice qui lui apparaissait ruisselant dombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines détoiles.» (I, 7, 3).
- «Cétait une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout lappareil dun procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.[
] on y sentait cette grande chose humaine quon appelle la loi et cette grande chose divine quon appelle la justice.» (I, 7, 9).
- «Le cloître catholique proprement dit est tout rempli du rayonnement noir de la mort.» (II, 7, 2), ce qui rappelle lévocation par Hugo, dans Ce que dit la bouche dombre, d«un affreux soleil noir doù rayonne la nuit.»
- Les premières lignes de la lettre de déclaration d'amour de Marius à Cosette :
«La réduction de l'univers à un seul être, la dilatation d'un seul être jusqu'à Dieu, voilà l'amour.
L'amour c'est la salutation des anges aux astres.
Comme l'âme est triste quand elle est triste par l'amour !
Quel vide que l'absence de l'être qui à lui seul remplit le monde ! Oh ! comme il est vrai que l'être aimé devient Dieu. On comprendrait que Dieu en fût jaloux si le Père de tout n'avait pas évidemment fait la création pour l'âme, et l'âme pour l'amour.
Il suffit d'un sourire entrevu là-bas sous un chapeau de crêpe blanc à bavolet lilas, pour que l'âme entre dans le palais des rêves.
Dieu est derrière tout, mais tout cache Dieu. Les choses sont noires, les créatures sont opaques. Aimer un être, c'est le rendre transparent.
De certaines pensées sont des prières. Il y a des moments où, quelle que soit l'attitude du corps, l'âme est à genoux.» (IV, 5, 4).
- À Jean Valjean, entendant le chant qui sélève du couvent du Petit-Picpus, «il lui semblait sentir souvrir ces ailes que nous avons tous au-dedans de nous.» (V, 5, 6).
La plupart de ses maximes se déploient avec ampleur.
Hugo montra son talent de peintre des ombres et des lumières, en particulier dans le tableau de M. Myriel endormi (I, 2, 11), où il indiqua les harmonies de la nature et de lâme, le sublime y ayant toutefois quelque chose dun peu trop concerté.
Hugo brossa de grandes fresques épiques étonnantes par la richesse des mouvements et des couleurs :
- Il décrit le «spectacle formidable» que donnèrent à Waterloo les cuirassiers de Milhaud montant à lassaut du plateau du Mont-Saint-Jean, leur «piétinement colossal», «le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche», les cavaliers étant «des hommes géants sur des chevaux colosses». Pour lui, «Linstant fut épouvantable.» (II, 1, 9).
- Il admire la garde de lempereur qui «entre en ligne sous cet épouvantable écroulement. / Comme elle sentait quelle allait mourir, elle cria : vive lempereur ! Lhistoire na rien de plus émouvant que cette agonie éclatant en acclamations.» Elle subit la «nuée de mitraille» des soldats de Wellington, «et le suprême carnage commença.» (II, 1, 12).
- Il détache la figure dun héros : «Ney, éperdu, grand de toute la hauteur de la mort acceptée, soffrait à tous les coups dans cette tourmente. Il eut là son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, lécume aux lèvres, luniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi coupée par le coup de sabre dun horse-guard, sa plaque de grand-aigle bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la main, il disait : Venez voir comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille !» (II, 1, 12).
- Il montre la débandade : du fait dune «inexprimable épouvante», ce fut «le vaste ébranlement de la déroute [
] ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais étonné lhistoire».
- Il considère que «Waterloo nest point une bataille ; cest le changement de front de lunivers [
] cest le gond du XIXe siècle. La disparition du grand homme était nécessaire à lavènement du grand siècle [
] ce jour-là, la perspective du genre humain a changé [
] Dans la bataille de Waterloo, il y a plus que du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.»
- Il voit finalement Napoléon comme l«immense somnambule de ce rêve écroulé» (II, 1, 13).
- Il raconte encore la résistance du «dernier carré» commandé par Cambronne, et sa destruction sous le feu de lartillerie anglaise : «Les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches dairain sortit un dernier vomissement de mitraille, épouvantable, une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et quand la fumée se dissipa, il ny avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti.» Pour lui, «parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.» Il pense que «Foudroyer dun tel mot [le fameux «Merde !»] le tonnerre qui vous tue, cest vaincre.» (II, 1, 15).
- Pour lui, «les légions françaises» furent «plus grandes que les légions romaines» (II, 1, 15).
Si Hugo nota que «le peuple aime les figures» (I, 4, 3), cest-à-dire les figures de style, il en usa lui-même abondamment car il ne fit pas taire dans sa prose le poète quil était fondamentalement :
On peut relever des effets sonores :
- assonances :
- Fauchelevent déclare : «Je connais les trucs, les trocs, les trics et les tracs.» (II, 8, 7).
- Le gamin de Paris «braille, raille, gouaille, bataille» (III, 1, 3).
- Enjolras «ne voulait ni halte, ni hâte.» (III, 4, 1).
- Hugo voit, «Après le chaos, le cloaque.» (V, 3, 1).
- M. Gillenormand déclare avoir eu «ses amourettes et ses grisettes et ses Cosettes» (V, 5, 3).
- allitérations :
- Enjolras était «puriste, précis, polytechnique, piocheur, et en même temps pensif.» (III, 4, 1).
- Montparnasse aligne les mots «mon dogue, ma dague et ma digue» (IV, 6, 2).
Dans le cas des nombreuses répétitions, on hésite sur leur valeur.
Certaines sont vraiment des maladresses :
- «Jean Valjean» est constamment répété dans des phrases qui se succèdent.
- En I, 8, 4, on lit : «considéra Javert. Javert recula».
- Au début de II, 5, 1, on lit : «Voilà bien des années déjà que lauteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui, est absent de Paris. Depuis quil la quitté, Paris sest transformé», et le mot «Paris» revient encore ensuite huit fois en vingt lignes !
- En IV, 1, 3, Hugo aligna les mots «leffet que fait» (IV, 1, 3).
Mais dautres répétitions répondent à une volonté dexpressivité :
- Après avoir volé Petit-Gervais et navoir pu le retrouver, Jean Valjean «pleura longtemps. Il pleura à chaudes larmes, il pleura à sanglots, avec plus de faiblesse quune femme, avec plus deffroi quun enfant.» (I, 2, 13).
- Jean Valjean, au milieu de la «tempête sous un crâne», «accomplissait une agonie, lagonie de son bonheur ou lagonie de sa vertu.» (I, 7, 3).
- Gavroche trouvait dans sa famille «le froid dans l'âtre et le froid dans les curs.» (III, 1, 13).
- Hugo statue : «La matière existe, la minute existe, les intérêts existent, le ventre existe ; mais il ne faut pas que le ventre soit la seule sagesse.» (V, 1, 20).
- Jean Valjean subit une «torture» où «on sassied sur le trône de fer rouge, on met sur son front la couronne de fer rouge, on accepte le globe de fer rouge, on prend le sceptre de fer rouge» (V, 6, 4).
- Le titre de V, 9 oppose Suprême ombre, suprême aurore.
On trouve de nombreuses et significatives accumulations qui traduisent une vie foisonnante :
- Jean Valjean évadé fut contraint d«avoir peur de tout, du toit qui fume, de lhomme qui passe, du chien qui aboie, du cheval qui galope, de lheure qui sonne, du jour parce quon voit, de la nuit parce quon ne voit pas, de la route, du sentier, du buisson, du sommeil.» (I, 2, 6).
- «Au milieu de cette méditation hideuse» qui le tourmente dans la nuit passée chez M. Myriel, «Les idées [
] entraient, sortaient, rentraient, faisaient sur lui une sorte de pesée.» (I, 2, 10).
- Il est amené à faire ce bilan : «Sa vie passée, sa première faute, sa longue expiation, son abrutissement extérieur, son endurcissement intérieur, sa mise en liberté, réjouie par tant de plans de vengeance, ce qui lui était arrivé chez lévêque, la dernière chose quil avait faite, ce vol de quarante sous à un enfant, crime dautant plus lâche et dautant plus monstrueux quil venait après le pardon de lévêque, tout cela lui revint
» (I, 2, 13).
- «Cosette montait, descendait, lavait, brossait, frottait, balayait, courait, trimait, haletait, remuait des choses lourdes, et, toute chétive, faisait les grosses besognes» (II 3, 2)
- Hugo signale quau sommet des théâtres se trouve une «cale étroite, fétide, obscure, sordide, malsaine, hideuse, abominable, [qui] se nomme le Paradis.» (III, 1, 3).
- Il montre le gamin de Paris qui «court, guette, quête, perd le temps, culotte des pipes, jure comme un damné, hante le cabaret, connaît des voleurs, tutoie des filles, parle argot, chante des chansons obscènes, et na rien de mauvais dans le cur.» (III, 1, 1) - «Cet être braille, raille, gouaille, bataille, a des chiffons comme un bambin et des guenilles comme un philosophe, pêche dans légout, chasse dans le cloaque, extrait la gaîté de limmondice, fouaille de sa verve les carrefours, ricane et mord, siffle et chante, acclame et engueule, tempère Alleluia par Matanturlurette, psalmodie tous les rythmes depuis le De Profundis jusquà la Chienlit, trouve sans chercher, sait ce quil ignore, est spartiate jusquà la filouterie, est fou jusquà la sagesse, est lyrique jusquà lordure, saccroupirait sur lOlympe, se vautre dans le fumier et en sort couvert détoiles. [
] Il sétonne peu, seffraye encore moins, chansonne les superstitions, dégonfle les exagérations, blague les mystères, tire la langue aux revenants, dépoétise les échasses, introduit la caricature dans les grossissements épiques.» (III, 1, 3).
- Sont débités pour être rejetés par Marius nouvellement converti les qualificatifs injurieux de Napoléon : «Logre de Corse, - lusurpateur, - le tyran, - le monstre qui était lamant de ses surs, - lhistrion qui prenait des leçons de Talma, - lempoisonneur de Jaffa, - le tigre, - Buonaparté» (III, 3, 6).
- Hugo décrit Gavroche : «Cétait un garçon bruyant, blême, leste, éveillé, goguenard, à lair vivace et maladif. Il allait, venait, chantait, jouait à la fayousse, grattait les ruisseaux, volait un peu, mais comme les chats et les passereaux, gaîment, riait quand on lappelait galopin, se fâchait quand on lappelait voyou. Il navait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas damour ; mais il était joyeux parce quil était libre.» (III, 1, 13) - «II rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d'un mort à l'autre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix.» (V, 1, 15).
- Lors de la déroute de larmée française à Waterloo, «Tout fléchit, se fêle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hâte, se précipite. [
] La cavalerie prussienne, fraîche venue, sélance, vole, sabre, taille, hache, tue, extermine. [
] On sécrase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. [
] Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, les vallées, les bois.» (II, 1, 13).
- M. Gillenormand «avait dépassé quatre-vingt-dix ans, marchait droit, parlait haut, voyait clair, buvait sec, mangeait, dormait et ronflait.» (III, 2, 1).
- Pour Hugo, lexpression «manger de la vache enragée» «contient les jours sans pain, les nuits sans sommeil, les soirs sans chandelle, I'âtre sans feu, les semaines sans travaiI, l'avenir sans espérance, I'habit percé au coude, le vieux chapeau qui fait rire les jeunes filles, la porte qu'on trouve fermée le soir parce qu'on ne paye pas son loyer, linsolence du portier et du gargotier, les ricanements des voisins, les humiliations, la dignité refoulée, les besognes quelconques acceptées, les dégoûts, I'amertume, I'accablement.» (III, 5, 1).
- Le tableau des bagnards de «la Chaîne» présente cette profusion dimpressions violentes : «La troupe d'escorte maugréait ; les enchaînés ne soufflaient pas ; de temps en temps on entendait Ie bruit dun coup de bâton sur les omoplates ou sur les têtes ; quelques-uns de ces hommes bâillaient ; les haillons étaient terribles ; les pieds pendaient, les épaules oscillaient ; les têtes s'entre-heurtaient, les fers tintaient, les prunelles flambaient férocement, les poings se crispaient ou s'ouvraient inertes comme des mains de mort ; derrière le convoi, une troupe d'enfants éclatait de rire.» (IV, 3, 8).
- Après avoir reçu la déclaration de Marius, Cosette trouve Théodule «fade, niais, sot, inutile, fat, déplaisant, impertinent et très laid.» (IV, 5, 5).
- «Lémeute [
] monte, court, tonne, arrache, rase, écrase, démolit, déracine, entraînant avec elle les grandes natures et les chétives, lhomme fort et lesprit faible, le tronc darbre et le brin de paille.» (IV, 10, 1).
- Lors des funérailles du général Lamarque, il y eut une «minute fatale» où «la tempête se déchaîne, les pierres pleuvent, la fusillade éclate, beaucoup se précipitent au bas de la berge et passent le petit bras de la Seine aujourd'hui comblé ; les chantiers de l'île Louviers, cette vaste citadelle toute faite, se hérissent de combattants ; on arrache des pieux, on tire des coups de pistolets, une barricade s'ébauche, les jeunes gens refoulés passent le pont d'Austerlitz avec le corbillard au pas de course et chargent la garde municipale, les carabiniers accourent, les dragons sabrent, la foule se disperse dans tous les sens, une rumeur de guerre vole aux quatre coins de Paris, on crie : aux armes ! on court, on culbute, on fuit, on résiste.» (IV, 10, 3) - «Ce sont dabord des clameurs, les magasins se ferment, les étalages des marchands disparaissent ; puis des coups de feu isolés ; des gens senfuient ; des coups de crosse heurtent les portes cochères ; on entend les servantes rire dans les cours des maisons et dire : Il va y avoir du train !» (IV, 10, 4). - «Les insurgés avaient envahi et occupé, sur la rive droite, l'Arsenal, la mairie de la place Royale, tout le Marais, la fabrique d'armes Popincourt, la Galiote, le Château-d'Eau, toutes les rues près les halles ; sur la rive gauche, la caserne des Vétérans, Sainte-Pélagie, la place Maubert, la poudrière des Deux-Moulins, toutes les barrières. À cinq heures du soir ils étaient maîtres de la Bastille, de la Lingerie, des Blancs-Manteaux ; leurs éclaireurs touchaient la place des Victoires, et menaçaient la banque, la caserne des Petits-Pères, lhôtel des Postes.» (IV, 10, 4).
- Laigle, le fantaisiste «ami de lA B C», dresse une liste moqueuse des ordres religieux qui fourmillaient dans le quartier des halles : «des chaussés, des déchaussés, des tondus, des barbus, des gris, des noirs, des blancs, des franciscains, des minimes, des capucins, des carmes, des petits augustins, des grands augustins, des vieux augustins.» (IV, 12, 2).
- Sur la barricade, Gavroche «allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. [
] On le voyait sans cesse, on lentendait toujours. Il remplissait lair, étant partout à la fois. [
] Il gênait les flâneurs, il excitait les paresseux, il ranimait les fatigués, il impatientait les pensifs, mettait les uns en gaîté, les autres en haleine, les autres en colère, tous en mouvement, piquait un étudiant, mordait un ouvrier, se posait, sarrêtait, repartait, volait au-dessus du tumulte et de leffort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout lattelage.» (IV, 12, 4).
- Marius «songea à cet héroïque colonel Pontmercy qui avait été un si fier soldat, qui avait gardé sous la République la frontière de France et touché sous I'empereur la frontière dAsie, qui avait vu Gênes, Alexandrie, Milan, Turin, Madrid, Vienne, Dresde, Berlin, Moscou, qui avait laissé sur tous les champs de victoire de l'Europe des gouttes de ce même sang que lui Marius avait dans les veines, qui avait blanchi avant l'âge dans la discipline et le commandement, qui avait vécu le ceinturon bouclé, les épaulettes tombant sur la poitrine, la cocarde noircie par la poudre, le front plissé par le casque, sous la baraque, au camp, au bivouac, aux ambulances, et qui au bout de vingt ans était revenu des grandes guerres la joue balafrée, le visage souriant, simple, tranquille, admirable, pur comme un enfant, ayant tout fait pour la France et rien contre elle. / Il se dit que son jour à lui était venu aussi, que son heure avait enfin sonné, qu'après son père il allait être brave, intrépide, hardi, courir au-devant des balles, offrir sa poitrine aux bayonnettes, verser son sang, chercher I'ennemi, chercher la mort, qu'il allait faire la guerre à son tour et descendre sur le champ de bataille, et que ce champ de bataille où il allait descendre, cétait la rue, et que cette guerre quil allait faire, cétait la guerre civile !» (IV, 13, 3).
- Quand le père Mabeuf va replacer le drapeau rouge de la barricade, «à chaque marche quil montait, cétait effrayant ; ses cheveux blancs, sa face décrépite, son grand front, chauve et ridé, ses yeux caves, sa bouche étonnée et ouverte, son vieux bras levant la bannière rouge, surgissaient de lombre et grandissaient dans la clarté sanglante de la torche.» (IV, 14, 1).
- Hugo envisage le peuple avec pessimisme : «Il arrive quelquefois que, même contre les principes, même contre la liberté, légalité et la fraternité, même contre le vote universel, même contre le gouvernement de tous par tous, du fond de ses angoisses, de ses découragements, de ses dénûments, de ses fièvres, de ses détresses, de ses miasmes, de ses ignorances, de ses ténèbres, cette grande désespérée, la canaille, proteste, et que la populace livre bataille au peuple.» (V, 1, 1).
- «La barricade Saint-Antoine était [
] ravinée, déchiquetée, dentelée, hachée, crénelée dune immense déchirure, contre-butée de monceaux [
] puissamment adossée [
] Cétait la collaboration du pavé, du moellon, de la poutre, de la barre de fer, du chiffon, du carreau défoncé, de la chaise dépaillée, du trognon de chou, de la loque, de la guenille, et de la malédiction. [
] On y voyait [
] des chevrons de toits, des morceaux de mansardes avec leur papier peint, des châssis de fenêtres avec toutes leurs vitres plantés dans les décombres, attendant le canon, des cheminées descellées, des armoires, des tables, des bancs, un sens dessus dessous hurlant, et ces mille choses indigentes, rebuts même du mendiant, qui contiennent à la fois de la fureur et du néant. On eût dit que c'était le haillon d'un peuple, haillon de bois, de fer, de bronze, de pierre [
] Des blocs pareils à des billots, des chaînes disloquées, des charpentes à tasseaux ayant forme de potences, des roues horizontales sortant des décombres [
] des miettes de faïence, des osselets, des boutons dhabit, jusquà des roulettes de tables de nuit, projectiles dangereux à cause du cuivre [
] elle avait une crête épineuse de fusils, de sabres, de bâtons, de haches, de piques et de bayonnettes ; un vaste drapeau rouge y claquait dans le vent ; on y entendait les cris du commandement, les chansons dattaque, des roulements de tambours, des sanglots de femmes, et léclat de rire ténébreux des meurt-de-faim. [
] Elle, cette barricade, le hasard, le désordre, leffarement, le malentendu, linconnu, elle avait en face delle, lassemblée constituante, la souveraineté du peuple, le suffrage universel, la nation, la République.» (V, 1, 1)
- Enjolras fait le tableau dun avenir idyllique : «On naura plus à craindre, comme aujourdhui, une conquête, une invasion, une usurpation, une rivalité de nations à main armée, une interruption de civilisation dépendant dun mariage de rois, une naissance dans les tyrannies héréditaires, un partage de peuples par congrès, un démembrement par écroulement de dynastie, un combat de deux religions se rencontrant de front, comme deux boucs de lombre, sur le pont de linfini ; on naura plus à craindre la famine, lexploitation, la prostitution par détresse, la misère par chômage, et léchafaud et le glaive, et les batailles, et tous les brigandages du hasard dans la forêt des événements.» (V, 1, 6).
- Larrivée mystérieuse du canon qui est destiné à détruire la barricade est ainsi décrite : «Un clapotement de chaînes, le cahotement inquiétant dune masse, un cliquetis dairain sautant sur le pavé, une sorte de fracas solennel, annoncèrent quune ferraille sinistre sapprochait.» (V, 1, 7).
- Gavroche, à la recherche de cartouches, «rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait dun mort à lautre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix. [
] Il se couchait, puis se redressait, seffaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait , revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier.» (V, 1, 15).
- Alors que «lagonie de la barricade allait commencer», «Tout concourait à la majesté tragique de cette minute suprême ; mille fracas mystérieux dans I'air, le souffle des masses armées mises en mouvement dans des rues qu'on ne voyait pas, le galop intermittent de la cavalerie, le lourd ébranlement des artilleries en marche, les feux de peloton et les canonnades se croisant dans le dédale de Paris, les fumées de la bataille montant toutes dorées au-dessus des toits, on ne sait quels cris lointains vaguement terribles, des éclairs de menace partout, le tocsin de Saint-Merry qui maintenant avait I'accent du sanglot, la douceur de la saison, la splendeur du ciel de soleil et de nuages, la beauté du jour et lépouvantable silence des maisons. / Car, depuis la veille, les deux rangées de maisons de la rue de la Chanvrerie étaient devenues deux murailles ; murailles farouches. Portes fermées, fenêtres fermées, volets fermés.» (V, 1, 20).
- Le romancier affirme : «Le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, cest, dun bout à lautre, dans son ensemble et dans ses détails, quelles que soient les intermittences, les exceptions ou les défaillances, la marche du mal au bien, de linjuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour, de lappétit à la conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité au devoir, de lenfer au ciel, du néant à Dieu.» (V, 1, 20).
- Dans les derniers moments de la barricade, «Ces hommes hâves, déguenillés, épuisés, qui navaient pas mangé depuis vingt-quatre heures, qui navaient pas dormi, qui navaient plus que quelques coups à tirer, qui tâtaient leurs poches vides de cartouches, presque tous blessés, la tête ou le bras bandé dun linge mouillé et noirâtre, ayant dans leurs habits des trous doù le sang coulait, à peine armés de mauvais fusils et de vieux sabres ébréchés, devinrent des Titans.» (V, 1, 21).
- Quand Jean Valjean séchappe de la barricade prise, «écarter les pavés, soulever la grille, charger sur ses épaules Marius inerte comme un corps mort, descendre, avec ce fardeau sur les reins, en s'aidant des coudes et des genoux, dans cette espèce de puits heureusement peu profond, laisser retomber au-dessus de sa tête la lourde trappe de fer sur laquelle les pavés ébranlés croulèrent de nouveau, prendre pied sur une surface dallée à trois mètres au-dessous du sol, cela fut exécuté comme ce qu'on fait dans le délire, avec une force de géant et une rapidité d'aigle ; cela dura quelques minutes à peine.» (V, 1, 24).
- Les raisons du désarroi de Javert sont détaillées : «Devoir la vie à un malfaiteur, accepter cette dette et la rembourser, être, en dépit de soi-même, de plain-pied avec un repris de justice, et lui payer un service avec un autre service ; se laisser dire : Va-t-en, et lui dire à son tour : Sois libre ; sacrifier à des motifs personnels le devoir, cette obligation générale, et sentir dans ces motifs personnels quelque chose de général aussi, et de supérieur peut-être ; trahir la société pour rester fidèle à sa conscience ; que toutes ces absurdités se réalisent et quelles vinssent saccumuler sur lui-même , cest ce dont il était atterré.» (V, 4).
- Le policier se heurte à «Dieu, toujours intérieur à lhomme, et réfractaire, lui la vraie conscience, à la fausse, défense à létincelle de séteindre, ordre au rayon de se souvenir du soleil, injonction à lâme de reconnaître le véritable absolu quand il se confronte avec labsolu fictif, lhumanité imperdable, le cur humain inamissible, ce phénomène splendide, le plus beau peut-être de nos prodiges intérieurs» (V, 4).
- Pour Javert, «et dans le grossissement de I'angoisse, et dans I'illusion d'optique de la consternation, tout ce qui eût pu restreindre et corriger son impression s'effaçait, et la société, et Ie genre humain, et I'univers, se résumaient désormais à ses yeux dans un linéament simple et hideux, - ainsi la pénalité, la chose jugée, la force due à la législation, les arrêts des cours souveraines, la magistrature, le gouvernement, la prévention et la répression, la sagesse officielle, l'infaillibilité légale, le principe d'autorité, tous les dogmes sur lesquels repose la sécurité politique et civile, la souveraineté, la justice, la logique découlant du code, labsolu social, Ia vérité publique, tout cela, décombre, monceau, chaos ; lui-même Javert, le guetteur de I'ordre, lincorruptibilité au service de la police, la providence-dogue de la société, vaincu et terrassé ; et sur toute cette ruine un homme debout, le bonnet vert sur la tête et lauréole au front ; voilà à quel bouleversement il en était venu ; voilà la vision effroyable qu'il avait dans l'âme.» (V, 4).
Hugo sut ménager dhabiles gradations :
- Le forçat éprouvait «la haine de la loi humaine» qui peut devenir «la haine de la société, puis la haine du genre humain, puis la haine de la création.» (I, 2, 7).
- La colère de M. Gillenormand contre Marius a pour effet que son visage, «de sombre, était devenu rouge, de rouge pourpre. Et de pourpre flamboyant.» (III, 3, 8).
- Hugo affirme : «Vaincre à Austerlitz, cest grand, prendre la Bastille, cest immense.» (IV, 13, 3).
- De Gavroche, il dit : «Ce nétait pas un enfant, ce nétait pas un homme ; cétait un gamin fée.» (V, 1, 15).
- Javert est bouleversé par «une nouveauté, une révolution, une catastrophe» (V, 4).
Hugo prosateur navait rien abdiqué de son goût pour les contrastes dombre et de lumière, de sublime et de grotesque, les antithèses :
- Chez M. Myriel, «la pensée est si grande quelle ne peut plus être que douce.» (I, 1, 13) ; il a «cette tête de vieillard et ce sommeil denfant» (I, 2, 11).
- «Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant ; il en sortit impassible. Il y était entré désespéré ; il en sortit sombre.» (I, 2, 6).
- Hugo affirme : «Il faut rêver ce quil y a de plus violent en présence de ce quil y a de plus doux.» (I, 2, 11).
- Alors que Jean Valjean, prêt à le voler, se trouve face à M. Myriel endormi, «on eût dit quil hésitait entre les deux abîmes, celui où lon se perd et celui où lon se sauve. Il semblait prêt à briser ce crâne ou à baiser cette main. [
] Lévêque continuait de dormir dans une paix profonde sous ce regard effrayant.» (I, 2, 11).
- Quand Jean Valjean prend conscience du mal quil a fait à Petit-Gervais, se fait en lui «un jour ravissant et terrible à la fois. [
] Il regarda sa vie, et elle lui parut horrible ; son âme, et elle lui parut affreuse. Cependant un jour doux était sur cette vie et sur cette âme. Il lui semblait quil voyait Satan à la lumière du paradis.» (I, 2, 13).
- M. Madeleine, en proie à lincertitude, se dit que «dans tous les cas il fallait choisir ; ou la vertu au dehors et labomination au-dedans, ou la sainteté au-dedans et linfamie au dehors. [
] Il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie
- rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans lenfer, et y devenir ange ! [
] il accomplissait une agonie, lagonie de son bonheur ou lagonie de sa vertu.» (I, 7, 3).
- Il indique : «Lintelligence et la bonté mont sauvé, comme la sévérité mavait perdu.» (I, 7, 11).
- «Près de sur Perpétue, [sur Simplice] était le cierge à côté de la chandelle.» (I, 8, 1).
- Quand Jean Valjean est au chevet de Fantine, Hugo se demande : «Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé à cette femme qui était morte?» (I, 8, 4).
- À Waterloo, larmée de Napoléon vit «la grande rougeur sinistre du soleil qui se couchait. On lavait vu se lever à Austerlitz.» (II, 1, 12).
- Hugo prétendit que «le duc dEnghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné.» (II, 1, 18) ; mais il avait condensé le temps puisque le premier événement eut lieu le 21 mars 1804, le second, le 2 décembre de la même année.
- La Thénardier «avait pour domestique Cosette ; une souris au service dun éléphant.» (II, 3, 2).
- Alors que «limmense nuit faisait face à ce petit être» quest Cosette : «Dun côté, toute lombre ; de lautre, un atome.» (II, 3, 5).
- Une interdépendance sétablit entre Jean Valjean et Cosette : «Grâce à lui, elle put marcher dans la vie ; grâce à elle, il put continuer dans la vertu. Il fut le soutien de cet enfant et cet enfant fut son point dappui.» (II, 4, 3).
- Quand Jean Valjean et Cosette, échappant à Javert et ses «acolytes», aboutissent dans le jardin du Petit-Picpus, ils entendent des «voix qui ressemblent à celles que les nouveau-nés entendent encore et que les moribonds entendent déjà». Et «au moment où le vacarme des démons séloignait, on eût dit un chur danges», et alors «lhomme et lenfant, le pénitent et linnocent» tombent à genoux. (II, 5, 5).
- Hugo déclare : «Les heures de lextase ne sont jamais quune minute.» (II, 5, 6).
- Javert reçoit une information sur lenlèvement de Cosette : «Il sattendait à trouver là un grand éclaircissement ; il y trouva une grande obscurité.» (II, 5, 10).
- Dans sa chasse de Jean Valjean, un «mendiant qui fait laumône», il eut «un moment ravissant et infernal» (II, 5, 10).
- Les deux lieux de captivité par lesquels passe Jean Valjean sont opposés : le bagne est «une immense malédiction, le grincement de dents, la haine, la méchanceté désespérée, un cri de rage contre lassociation humaine, un sarcasme au ciel» ; le couvent est «la bénédiction et lamour». Mais, «dans ces deux endroits si semblables et si divers, ces deux espèces dêtres si différents accomplissaient la même uvre, lexpiation.» (II, 8, 9).
- Gavroche a «lair vivace et maladif» (III, 1, 13).
- M. Gillenormand «était un de ces hommes [
] qui sont étranges parce quils ont jadis ressemblé à tout le monde et que maintenant ils ne ressemblent plus à personne.» (III, 2, 1).
- Lécrivain constate : «Le temps des périphrases en vers a été le temps des crudités en prose» (III, 2, 3).
- Les gens comme M. Gillenormand, «là où ils ne peuvent être oracles, ils se font loustics» (III, 3, 1).
- Entre Marius et son grand-père, se montrent «toutes les dissonances de jeune homme grave à vieillard frivole», et «la gaîté de Géronte choque et exaspère la mélancolie de Werther.» (III, 3, 6).
- «Marbre contre granit», titre de III, 3, 8, dépeint laffrontement entre M. Gillenormand et son petit-fils. Marius est partagé entre le souvenir de son père et le respect pour son grand-père : «Dun côté une tombe sacrée, de lautre des cheveux blancs.» (III, 3, 8).
- «Rien nest plus funèbre que larlequin des guenilles» (IV, 3, 8).
- Dans Lidylle rue Plumet et lépopée rue Saint-Denis, titre de la quatrième partie, lantithèse est censée être figure de fusion, lamour et lHistoire devant aller de pair, alors que la place du premier est si limitée que sa présence semble plutôt incongrue.
- Pour Hugo, «Lémeute [
] écrase [
] lhomme fort et lesprit faible, le tronc darbre et le brin de paille.» (IV, 10, 1).
- Enjolras a une «nature pontificale et guerrière [
] il était officiant et militant ; au point de vue immédiat, soldat de la démocratie ; au-dessus du mouvement contemporain, prêtre de lidéal.» Chez lui se trouvent à la fois «le chérubin galant de Beaumarchais» et «le formidable chérubin dÉzéchiel» (III, 4, 1). Il a «un beau visage austère», tient «du spartiate et du puritain» (IV, 12, 3).
- Hugo prétend : «La logique de la révolution [
] peut conclure à la guerre, tandis que sa philosophie ne peut aboutir quà la paix.» (III, 4, 1).
- De la révolution, «Enjolras exprimait le droit divin, et Combeferre le droit naturel. Le premier se rattachait à Robespierre ; le second confinait à Condorcet. [
] lun eût été le juste, lautre eût été le sage. Enjolras était plus viril, Combeferre était plus humain. Homo et Vir, cétait bien là en effet leur nuance. Combeferre était doux comme Enjolras était sévère. [
] Enjolras était un chef, Combeferre était un guide. On eût voulu combattre avec lun et marcher avec lautre. [
] Combeferre préférait peut-être la blancheur du beau au flamboiement du sublime. Une clarté troublée par de la fumée, un progrès acheté par de la violence, ne satisfaisaient quà demi ce tendre et sérieux esprit. Une précipitation à pic d'un peuple dans la vérité, un 93, I'effarait ; cependant la stagnation lui répugnait plus encore, il y sentait la putréfaction et la mort ; à tout prendre, il aimait mieux lécume que le miasme, et il préférait au cloaque le torrent, et la chute du Niagara au lac de Montfaucon. [
] Tandis que ses tumultueux amis, chevaleresquement épris de l'absolu, adoraient et appelaient les splendides aventures révolutionnaires, Combeferre inclinait à laisser faire le progrès, le bon progrès.» (III, 4, 1).
- Pour Hugo, «il y a entre Washington qui représente l'un [le progrès] et Danton qui incarne I'autre [la révolution], la différence qui sépare I'ange aux ailes de cygne de lange aux ailes d'aigle.» (III, 4, 1).
- Lesprit de Jean Prouvaire «avait deux attitudes, lune du côté de lhomme, lautre du côté de Dieu ; il étudiait ou il contemplait.» (III, 4, 1).
- La Corse est définie : «Une petite île qui a fait la France bien grande.» (III, 4, 5).
- Thénardier, ayant pris Jean Valjean dans un «guet-apens», montre la «joie d'un nain qui mettrait le talon sur la tête de Goliath.» (III, 8, 20).
- Tout le portrait de Louis-Philippe est construit sur des antithèses. Il avait été «très premier prince du sang tant quil navait été qualtesse sérénissime, mais franc bourgeois le jour où il fut majesté ; diffus en public, concis dans lintimité ; [
] lettré, et peu sensible aux lettres ; gentilhomme, mais non chevalier ; [
] dune merveilleuse adresse dans son imprudence ; [
] aimant incontestablement son pays, mais préférant sa famille ; [
] toujours prêt à risquer sa vie, jamais son uvre ; [
] peu attentifs aux esprits mais se connaissant en hommes ; [
] accepté par la surface, mais peu en accord avec la France de dessous ; [
] gouvernant trop et ne régnant pas assez ; [
] excellant à faire de la petitesse des réalités un obstacle à limmensité des idées ; mêlant à une vraie faculté créatrice de civilisation, dordre et dorganisation, on ne sait trop quel esprit de procédure et de chicane ; [
] ayant quelque chose de Charlemagne et quelque chose dun avoué ; [
] pas toujours agréé de la nation, il létait toujours de la foule ; [
] il ne portait ni la couronne, quoique roi, ni les cheveux blancs, quoique vieillard. Ses manières étaient du vieux régime et ses habitudes du nouveau, mélange du noble et du bourgeois ; [
] il avait conservé lancienne prononciation et lancienne orthographe quil mettait au service des opinions modernes ; [
] Il portait lhabit de la garde nationale comme Charles X, et le cordon de la légion dhonneur comme Napoléon. [
] Louis-Philippe nallait pas plus sans sa lancette que Henri III sans son poignard.» (IV, 1, 3).
- Pour Hugo, la rêverie est un «enfantement paresseux», un «gouffre tumultueux et stagnant.» (IV, 2, 1).
- La nature «se répand aussi bien dans la fourmi que dans laigle», «dans un méchant petit jardin parisien avec autant de rudesse et de majesté que dans une forêt vierge du Nouveau Monde.» (IV, 3, 3).
- Le jardin de la maison de la rue Plumet «créé autrefois pour cacher les mystères libertins» était «devenu propre à abriter les mystères chastes.» (IV, 3, 4).
- «La rose saperçoit quelle est une machine de guerre.» (IV, 3, 5).
- Cosette «aimait avec dautant plus de passion quelle aimait avec ignorance.» (IV, 3, 6).
- La «Chaîne» est un «fourmillement à la fois sépulcral et vivant» (IV, 3, 8).
- Hugo demande : «Connaît-on bien la montagne quand on ne connaît pas la caverne?» (IV, 7, 1).
- Il donna pour titre à IV, 8 Les enchantements et les désolations.
- Il considéra que, parmi les «immenses bonheurs» que goûtent ensemble les amoureux, il y a celui de «se quereller et se dire vous, uniquement pour mieux se dire tu ensuite ; [
] Pour Marius, écouter Cosette parler chiffons ; Pour Cosette, écouter Marius parler politique.» (IV, 8, 3).
- Il donna pour titre à IV, 10, 3 : Un enterrement : occasion de renaître.
- Au sujet de lémeute, il demande : «Doù cela sort-il? des pavés. Doù cela tombe-t-il? des nues. Ici linsurrection a le caractère dun complot ; là dune improvisation.» (IV, 10, 4).
- Lévocation de Paris lui fait écrire : «Ces villes colossales peuvent seules [
] contenir en même temps la guerre civile et on ne sait quelle bizarre tranquillité.» (IV, 10, 5).
- Il donna pour titre à IV, 11 : Latome fraternise avec louragan
- Enjolras, qui est «bourreau et prêtre, de lumière comme le cristal, et de roche aussi», dans son tableau de lavenir, déclare : «Comme il ny aura plus de Satan, il ny aura plus de Michel.» (IV, 12, 8), saint Michel étant le chef des anges fidèles.
- Hugo donna pour titre à IV, 14 Les grandeurs du désespoir.
- Le bruit de la troupe qui savance vers la barricade «sapprochait [
] avec une continuité tranquille et terrible. [
] Cétait tout ensemble le silence et le bruit de la statue du commandeur [allusion au célèbre épisode final du Dom Juan de Molière], mais ce pas de pierre avait on ne sait quoi dénorme et de multiple qui éveillait lidée dune foule en même temps que lidée dun spectre.» (IV, 14, 1).
- Quand le père Mabeuf va replacer le drapeau rouge de la barricade, il semble un «fantôme tremblant et terrible» (IV, 14, 1).
- Pour Enjolras, Mabeuf a une «tête de ganache» et un «cur de Brutus» (IV, 14, 1).
- Hugo donna pour titre de V, 1, 1 : La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple. Pour la barricade «monstrueuse» du faubourg Saint-Antoine, il proclama : «C'était grand et c'était petit. C'était I'abîme parodié sur place par le tohu-bohu. La masse près de l'atome ; le pan de mur arraché et l'écuelle cassée» - «Cétait lacropole des va-nu-pieds» - Cétait «comme si les architectes de cette sauvagerie eussent voulu ajouter la gaminerie à lépouvante» - «Il y avait du cloaque dans cette redoute et quelque chose dolympien dans ce fouillis» - On y entendait «léclat de rire ténébreux des meurt-de-faim» - «une majesté étrange se dégageait de cette titanique hottée de gravats. Cétait un tas dordures et cétait le Sinaï.» - «Cétait la Carmagnole défiant la Marseillaise.» Au contraire, la barricade du faubourg du Temple est qualifiée duvre de «géomètre» ou de «spectre», de «masque» ; on y sentait «le sphinx» (V, 1, 1).
- Pour Enjolras, sur la barricade, «le jour embrasse la nuit et lui dit : Je vais mourir avec toi et tu vas renaître avec moi. De létreinte de toutes les désolations jaillit la foi. Les souffrances apportent ici leur agonie, et les idées leur immortalité. Cette agonie et cette immortalité vont se mêler et composer notre mort. Frères, qui meurt ici meurt dans le rayonnement de lavenir, et nous entrons dans une tombe toute pénétrée daurore.» (V, 1, 5).
- «La répression a autant de régiments que la barricade a dhommes, et autant darsenaux que la barricade a de cartouchières. » (V, 1, 12)
- Enjolras est «froid comme la glace et hardi comme le feu.» (V, 1, 14).
- Gavroche continuant sa quête malgré les balles, «le spectacle était épouvantable et charmant.» «Il y avait de lAntée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, cest comme pour le géant toucher la terre.» Finalement, «cette petite grande âme venait de senvoler.» (V, 1, 15).
- Les frères de Gavroche «sont de radieux ténébreux. [
] Il faut les admirer et les plaindre, comme on plaindrait et comme on admirerait un être à la fois nuit et jour qui naurait pas dyeux sous les sourcils et qui aurait un astre au milieu du front.» (V, 1, 16).
- «Le vautour devenu proie» (titre de V, 1, 18) désigne Javert qui est aux mains des insurgés.
- Les misérables se résumeraient ainsi : «Point de départ : la matière, point darrivée : lâme. Lhydre au commencement, lange à la fin.» (V, 1, 20).
- «Il ny a pas de plus violent prodigue quun avare qui prend le mors aux dents ; il ny a pas dhomme plus effrayant dans laction quun songeur.» (V, 1, 21).
- «Marius était formidable et pensif.» (V, 1, 21).
- Sur la barricade sopposent le «petit soldat naïf», qui combat «pour son drapeau», et le «jeune étudiant pâle», qui combat «pour son idéal» (V, 1, 21).
- «Oreste à jeun et Pylade ivre» (titre de V, 1, 23) oppose Enjolras et Grantaire.
- Le titre de V, 3 est La boue mais lâme.
- Légout est «la chausse-trape du salut» (V, 3, 1).
- En entrant dans légout, Jean Valjean est «passé du plein jour à lobscurité complète, de midi à minuit, du fracas au silence, du tourbillon des tonnerres à la stagnation de la tombe, [
] du plus extrême péril à la sécurité la plus absolue.» Il a «quitté cette rue où la mort était partout pour cette espèce de sépulcre où il y avait la vie.» Il trouve «après le tourbillon fulgurant du combat, la caverne des mismes et des pièges ; après le chaos, le cloaque.» (V, 3, 1).
- Pour Jean Valjean, qui est dans légout, la lanterne de la patrouille «était la lumière et il était lombre.» (V, 3, 2).
- Thénardier est pour lui «la providence apparaissant horrible». (V, 3, 8).
- À sa sortie de légout, devant la beauté du jour, Jean Valjean est «irrésistiblement vaincu par toute cette sérénité auguste et caressante.» (V, 3, 9).
- Jean Valjean a «le bonnet vert sur la tête et lauréole au front.» (V, 4).
- «Marius, en sortant de la guerre civile, sapprête à la guerre domestique» (titre de V, 5, 2).
- Pour M. Gillenormand, Cosette «est très petite fille et très grande dame.» (V, 5, 4).
- Au cours de la «rêverie vertigineuse» de Jean Valjean, «sa pensée se roulait à terre et senvolait, tantôt comme lhydre, tantôt comme laigle.» (V, 6, 4).
- Marius, bouleversé par le couple que forment Cosette et Jean Valjean, se demande : «Dieu se plaît-il à accoupler lange avec le démon? Un crime et une innocence peuvent être camarades de chambrée dans le mystérieux bagne des misères. [
] Qui avait pu lier lagneau au loup, et, chose plus incompréhensible encore, attacher le loup à lagneau? Car le loup aimait lagneau, car lêtre farouche adorait lêtre faible, car, pendant neuf années, lange avait eu pour point dappui le monstre.» (V, 7, 2).
- Suprême ombre, suprême aurore (titre de V, 9).
- À larrivée de Cosette et de Marius, chez lui, rue de lHomme-Armé, Jean Valjean est «hagard, livide, sinistre, une joie immense dans les yeux.» (V, 9, 5).
- De Fantine, Jean Valjean dit à Cosette : «Elle a eu en malheur tout ce que tu as eu en bonheur.» (V, 9, 5).
- Au moment de sa mort, «en même temps que la misère des membres et laccablement du corps croissait, toute la majesté de lâme montait et se déployait sur son front. [
] Sa figure blémissait et en même temps souriait. [
] Son haleine tombait, son regard grandissait. Cétait un cadavre auquel on sentait des ailes.» (V, 9, 5).
Oxymorons :
- Excellence du malheur (III, 5).
- Gavroche est une «petite grande âme» (V, 1, 15).
Hyperboles :
- Le propre du bagne est «de transformer peu à peu, par une sorte de transfiguration stupide, un homme en une bête fauve.» (I, 2, 7).
- «Il y avait presque de la divinité dans cet homme ainsi auguste à son insu.» (I, 2, 11) est-il dit de ce «vieillard lumineux» quest M. Myriel.
- Alors que Jean Valjean, prêt à le voler, se trouve face à M. Myriel endormi, il a «ses cheveux hérissés sur sa tête farouche.» (I, 2, 11).
- En entendant M. Myriel non seulement ne pas lui reprocher le vol des couverts mais lui faire cadeau de ses chandeliers, Jean Valjean le regarda «avec une expression quaucune langue humaine ne pourrait rendre» (I, 2, 12).
- Après avoir volé Petit-Gervais et navoir pu le retrouver, il «pleura à sanglots, avec plus de faiblesse quune femme, avec plus deffroi quun enfant.» (I, 2, 13).
- Cosette enfant «était un des plus divins êtres quon pût voir.» (I, 4, 1).
- Les Thénardier sont «des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu'elles y avancent, employant l'expérience à augmenter sans cesse leur difformité, empirant sans cesse et s'empreignant de plus en plus d'une hideur croissante.» (I, 4, 2).
- Lorsque M. Madeleine arrive au tribunal : «Le moment suprême était arrivé» (I, 7, 8).
- Sous leffet de sa déclaration : «Pas une bouche ne respirait. À la première commotion de létonnement avait succédé un silence de sépulcre. On sentait dans la salle cette espèce de terreur religieuse qui saisit la foule lorsque quelque chose de grand saccomplit.» (I, 7, 11).
- Napoléon «jadis savait toutes les routes du triomphe et, du haut de son char déclairs, les indiquait dun doigt souverain» ; il avait «maintenant cet ahurissement sinistre de mener aux précipices son tumultueux attelage de légions [
] ce cocher titanique du destin nétait-il plus quun immense casse-cou?» (II, 1, 3).
- De Cosette malheureuse chez les Thénardier, il est dit : «Ses grands yeux enfoncés dans une sorte dombre profonde étaient presque éteints à force davoir pleuré. Les coins de sa bouche avaient cette courbe de langoisse habituelle, quon observe chez les condamnés et chez les malades désespérés. [
] Tout son vêtement nétait quun haillon qui eût fait pitié lété et qui faisait horreur lhiver. [
] Lexpression du regard de cette enfant de huit ans était habituellement si morne et parfois si tragique quil semblait, à de certains moments, quelle fût en train de devenir une idiote ou un démon.» (II, 3, 8) .
- Dans le jardin du Petit-Picpus, Jean Valjean et Cosette entendent «un bruit céleste, divin, ineffable», «un éblouissement de prière et dharmonie dans lobscur et effrayant silence de la nuit», venant de «voix qui ne sont pas de la terre» (II, 5, 6).
- Quand Cosette «entrait dans la masure [du jardin du couvent du Petit-Picpus], elle lemplissait de paradis.» (II, 8, 9).
- Le rire de Paris «est une bouche de volcan qui éclabousse toute la terre.» (III, 1, 11).
- «Les bulletins de la grande armée» sont des «strophes homériques écrites sur le champ de bataille» (III,3, 6).
- Marius, lisant «les bulletins de la grande armée», regardait «luire dans les profondeurs sans fond les constellations colossales», puis ses yeux «retombaient sur le livre et ils y voyaient dautres choses colossales remuer confusément. [
] Napoléon devenait pour lui «un vague et éclatant rayonnement où resplendissait à une hauteur inaccessible le pâle fantôme de marbre de César. [
] le constructeur prédestiné du groupe français succédant au groupe romain dans la domination du monde [
] le prodigieux architecte dun écroulement [
] auguste dans ses fautes, brillant dans ses taches, puissant dans son crime. Il fut lhomme prédestiné qui avait forcé toutes les nations à dire : - la grande nation [
] lincarnation même de la France, conquérant lEurope par lépée quil tenait et le monde par la clarté quil jetait [
] le spectre éblouissant qui se dressera toujours sur la frontière et gardera lavenir [
] lhomme-peuple comme Jésus est lhomme-Dieu.» (III, 3, 6).
- M. Gillenormand, dans son affrontement avec Marius, est «blême, tremblant, terrible, le front agrandi par leffrayant rayonnement de la colère», le traite de «buveur de sang». (III, 3, 8).
- Enjolras «était angéliquement beau [
] Il était sévère dans les joies.» (III, 4, 1).
- «Le regard des femmes» est un «rouage» qui, «tout à coup», «vous tient, le regard vous a pris. [
] Un enchaînement de forces mystérieuses sempare de vous. Vous vous débattez en vain. Plus de secours humain possible. Vous allez tomber dengrenage en engrenage, dangoisse en angoisse, de torture en torture, vous, votre esprit, votre fortune, votre avenir, votre âme ; et, selon que vous serez au pouvoir dune créature méchante ou dun noble cur, vous ne sortirez de cette effrayante machine que défiguré par la honte ou transfiguré par la passion.» (III, 6, 6).
- «Un souffle de vent» enveloppa Cosette «dans un ravissant frisson digne des nymphes de Virgile et des faunes de Théocrite, et souleva sa robe plus sacrée que celle dIsis, presque jusquà la jarretière. Une jambe dune forme exquise apparut. [
] La jeune fille avait rapidement baissé sa robe dun mouvement divinement effarouché.» (III, 6, 8).
- Un vieil invalide est qualifié de «débris de Mars» [le dieu de la guerre] (III, 6, 8).
- Les sbires de la «Chaîne» «semblaient composés de labjection du mendiant et de lautorité du bourreau.» (IV, 3, 8).
- La «Chaîne» elle-même est «marche des damnations vers les supplices, faite sinistrement, non sur le formidable char fulgurant de lApocalypse mais, chose plus sombre, sur la charrette des gémonies», «pandémonium» (IV, 3, 8).
- Les bagnards sont des «tas dordures humains» (IV, 3, 8).
- Marius, qui «descendait gravement vers lagonie [
] sil eût vu en ce moment-là Cosette regardant un lancier, il neût pas pu prononcer une parole et eût expiré de douleur.» (IV, 5, 1).
- Tout le texte consacré à lamour que trouve Cosette dans le jardin (IV, 5, 4) est marqué dune exaltation et dune effusion romantiques. Elle fait à Marius «leffet dun sanctuaire entrouvert» ; elle retombe «dans le profond amour séraphique. Labîme Éden venait de se rouvrir.» (IV, 5, 5)
- Marius lui apparaît, ayant «sous un voile dincomparable douceur, quelque chose de la mort et de la nuit. Son visage était éclairé par la clarté du jour qui se meurt et par la pensée dune âme qui sen va. / Il semblait que ce nétait pas encore le fantôme et que ce nétait déjà plus lhomme.» (IV, 5, 6).
- Méditant sur lévasion, Hugo déclare : «Lhomme qui séchappe est un inspiré ; il y a de létoile et de léclair dans la mystérieuse lueur de la fuite ; leffort vers la délivrance nest pas moins surprenante que le coup daile vers le sublime.» (IV, 6, 3).
- Au cours de son évasion, «sept ou huit minutes sécoulèrent, huit mille siècles pour Thénardier.» (IV, 6, 3).
- «Il semblait à Cosette que Marius avait une couronne et à Marius que Cosette avait un nimbe.» (IV, 8, 1).
- Marius et Cosette sont «deux cygnes se rencontrant sur la Jungfrau» (IV, 8, 1), événement tout à fait improbable mais dans un lieu symbolique, Hugo considérant (déjà en II, 1, 2) cette montagne de Suisse comme symbole de toute pureté.
- Le sourire qua Cosette conversant avec Marius «faisait de ce dialogue une idylle digne dun bois qui serait dans le ciel.» (IV, 8, 1).
- «Marius, en plein azur, croyait entendre une strophe chantée par une étoile.» (IV, 8, 1).
- «Cosette était une condensation de lumière aurorale en forme de femme.» (IV, 8, 1).
- Comme Marius refuse de «parler», «on lui eût arraché les ongles plutôt quune des trois syllabes sacrées dont se constituait ce nom ineffable, Cosette.» (IV, 8, 3).
- «Il est certain quen ce moment, dans lesprit de Marius, aucun abus de pouvoir, aucune violence, aucune abomination des tyrans les plus prodigieux, aucune action de Busiris, de Tibère ou de Henri VIII négalait en férocité celle-ci : M. Fauchelevent emmenant sa fille en Angleterre parce quil a des affaires.» (IV, 8, 6).
- Son désarroi est tel qu«on resterait léternité dans ces abîmes-là.» (IV, 8, 6).
- Lors de lémeute, «sur tous les points la lutte était gigantesquement engagée.» (IV, 10, 4).
- «Dinstant en instant, à mesure que la nuit tombait, Paris semblait se colorer plus lugubrement du flamboiement formidable de lémeute.» (IV, 10, 5).
- Sur la barricade, «Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on lentendait toujours. Il remplissait lair, étant partout à la fois. Cétait une espèce dubiquité presque irritante ; pas darrêt possible pour lui. [
] Le mouvement perpétuel était dans ses petits bras et la clameur perpétuelle dans ses petits poumons.» (IV, 12, 4).
- Linsurrection voit se passer «ces grandes minutes de gésine sociale et denfantement révolutionnaire» (IV, 12, 8).
- «Il semblait» que Le Cabuc, quEnjolras a «plié comme un roseau», «eût été saisi par un poing surhumain.» (IV, 12, 8).
- La justice rendue, «Enjolras était demeuré pensif. On ne sait quelles ténèbres grandioses se répandaient lentement sur sa redoutable sérénité.» (IV, 12, 8).
- Quand le père Mabeuf, allant replacer le drapeau rouge de la barricade, «fut au haut de la dernière marche, ce fantôme tremblant et terrible, debout sur ce monceau de décombres en présence de douze cents fusils invisibles, se dressa, en face de la mort et comme sil était plus fort quelle, toute la barricade eut dans les ténèbres une figure surnaturelle et colossale. / Il y eut un de ces silences qui ne se font quautour des prodiges.» (IV, 14, 1).
- À sa mort, «une de ces émotions supérieures à lhomme, qui font quon oublie même de se défendre, saisit les insurgés, et ils sapprochèrent du cadavre avec une épouvante respectueuse.» (IV, 14, 1).
- Hugo, sattendrissant sur le réveil de Cosette, va jusquà déclarer : «Lil de lhomme doit être plus religieux encore devant le lever dune jeune fille que devant le lever dune étoile» (V, 1, 10).
- Quand «la révolution, surgissant brusquement, vient jeter dans la balance [entre linsurrection et la répression] son flamboyant glaive darchange [
] les pavés entrent en bouillonnement, les redoutes populaires pullulent, Paris tressaille souverainement, [
] une prodigieuse lumière apparaît, la gueule béante de la force recule, et larmée, ce lion, voit devant elle, debout et tranquille, ce prophète, la France.» (V, 1, 12).
- Gavroche continue sa quête : «Les balles couraient après lui, il était plus leste quelles.» (V, 1, 15).
- Comme «lagonie de la barricade allait commencer, tout concourait à la majesté tragique de cette minute suprême.» (V, 1, 20).
- Lors de lattaque de la barricade, «chacun dans cette mêlée avait le grandissement de lheure suprême. [
] Lhorreur alla grandissant. / Alors éclata [
] une lutte digne dune muraille de Troie.» Les assiégés «devinrent des Titans. / Pour se faire une idée de cette lutte, il faudrait se figurer le feu mis à un tas de courages terribles, et quon regarde lincendie. Ce nétait pas un combat, cétait le dedans dune fournaise ; les bouches y respiraient de la flamme ; les visages y étaient extraordinaires, la forme humaine y semblait impossible, les combattants y flamboyaient, et cétait formidable de voir aller et venir dans cette fumée rouge ces salamandres de la mêlée. Les scènes successives et simultanées de cette tuerie grandiose, nous renonçons à les peindre. Lépopée seule a le droit de remplir douze mille vers avec cette bataille.» (V, 1, 21).
- «Marius, toujours combattant, était si criblé de blessures, particulièrement à la tête, que son visage disparaissait dans le sang et quon eût dit quil avait la face couverte dun mouchoir rouge.» (V, 1, 21).
- Jean Valjean, portant «Marius inerte comme un corps mort», montre «une force de géant et une rapidité daigle» (V, 1, 24).
- Légout est un «boyau titanique» (V, 3, 2).
- «Une âme damnée qui, du milieu de la fournaise, apercevrait tout à coup la sortie de la géhenne, éprouverait ce quéprouva Jean Valjean [en apercevant une lueur lointaine]. Elle volerait éperdument avec le moignon de ses ailes brûlées vers la porte radieuse.» (V, 3, 7).
- Alors que, dans un fiacre, se trouvent Marius, Jean Valjean et Javert, «dans cette voiture pleine de nuit dont lintérieur, chaque fois quelle passait devant un reverbère, apparaissait lividement blémi comme par un éclair intermittent, le hasard réunissait et semblait confronter lugubrement les trois immobilités tragiques, le cadavre, le spectre, la statue.» (V, 3, 9).
- Pour Marius, lhomme qui la sauvé «est intervenu comme larchange.» (V, 5, 8).
- La lutte de Jean Valjean «avec lange» est une «lutte inouïe ! À de certains moments, c'est le pied qui glisse ; à d'autres instants, c'est le sol qui croule.» (V, 6, 4).
- Il subit un «martyre», une «torture» où «on sassied sur le trône de fer rouge, on met sur son front la couronne de fer rouge, on accepte le globe de fer rouge, on prend le sceptre de fer rouge, mais il reste encore à vêtir le manteau de flamme, et ny a-t-il pas un moment où la chair misérable se révolte, et où lon abdique le supplice !» (V, 6, 4).
- À la mort de Jean Valjean, «sans doute, dans lombre, quelque ange immense était debout, les ailes déployés, attendant lâme.»
Hypallages :
- «étonnement hagard» (I, 2, 11) : Hugo applique au sentiment même ladjectif qualifiant la personne qui en est le siège.
- «embûche souriante» (V, 6, 4) car la voie dapparence facile est en fait dangereuse.
Comparaisons et métaphores :
- M. Myriel «navait aucun des escarpements du rigorisme» (I, 1, 4).
- Il disait : «Le péché est une gravitation» (I, 1, 4), figure qui exprime la force dattraction du péché sur la nature humaine, Hugo assimilant les lois qui régissent la vie morale à celles de lunivers physique.
- Les accusations portées contre le «conventionnel G.» sont : «commérages des oies sur le vautour.» (I, 1, 10)
- M. Myriel «prenait le sentier qui abrège, lÉvangile» (I, 1, 13).
- Il déclare : «Il y aura plus de joie au ciel pour le visage en larmes dun pécheur repentant que pour la robe blanche de cent justes.» (I, 2, 3), Hugo lui prêtant une variation sur lévangile de saint Luc où on lit : «Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui nont pas besoin de repentance» (XV, 7).
- Le voir produisait «quelque chose de lémotion quon aurait si lon voyait un ange souriant ouvrir lentement ses ailes sans cesser de sourire.» (I, 1, 13).
- M. Myriel appelant Jean Valjean «Monsieur», Hugo commente : «Monsieur à un forçat, cest un verre deau à un naufragé de la Méduse» (I, 2, 3), frégate qui s'était échouée sur un banc de sable au large des côtes de l'actuelle Mauritanie, le 2 juillet 1816, à la suite de quoi au moins 147 personnes durent se maintenir à la surface de l'eau sur un radeau de fortune, endurant la faim, la déshydratation, la folie et même le cannibalisme.
- Pour Hugo, «il y a dans notre civilisation des heures redoutables, ce sont les moments où la pénalité prononce un naufrage» (I, 2, 6), où la justice cause une tragédie.
- Le chapitre intitulé Londe et lombre (I, 2, 8) décrit avec un grand lyrisme la situation d«un homme à la mer» que le navire ne voit pas et abandonne, pour faire la comparaison avec «la marche implacable des sociétés humaines» quand elles imposent «la pénalité».
- Les souvenirs de Jean Valjean, quand il se réveille à Digne, «flottaient [
] comme dans une eau fangeuse et agitée» (I, 2, 10).
- «Ce crépuscule [dans la chambre de Digne, où se produisent «des alternatives dombre et de clarté, des éclipses puis des éclaircies»] ressemblait à lespèce de lividité qui tombe dun soupirail de cave devant lequel vont et viennent des passants.» (I, 2, 10).
- Au moment de commettre le vol des couverts, Jean Valjean était «pétrifié comme la statue de sel» (I, 2, 11), allusion à lépisode de la Genèse où la femme de Loth, se retournant dans sa fuite, est changée en statue de sel.
- «Lévêque endormi apparut comme dans une gloire» (I, 2, 11), cest-à-dire à cette représentation, dans la peinture religieuse, du ciel ouvert où apparaissent les personnes divines, les anges et les bienheureux.
- Devant la charité de M. Myriel, «Jean Valjean était comme un homme qui va sévanouir» (I, 2, 12).
- La pièce volée à Petit-Gervais est comme «un il ouvert fixé sur lui» (I, 2, 13), ce qui incite au rapprochement avec lil auquel Caïn ne peut échapper dans le poème La conscience (La légende des siècles).
- Jean Valjean est alors «frissonnant comme une bête fauve effarée qui cherche un asile» (I, 2, 13).
- Lorsquaprès avoir volé Petit-Gervais, il sépuise à essayer de le retrouver, «ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible laccablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience.» (I, 2, 13).
- La toilette de Fantine «sétait évanouie comme ces beaux givres éclatants quon prend pour des diamants au soleil ; ils fondent et laissent la branche toute noire.» (I, 4, 1).
- Fantine qualifie Cosette de «bijou» (I, 4, 1).
- Cosette est surnommée «lAlouette», parce quelle aime babiller, et que le babillage des enfants est souvent comparé à celui des oiseaux. En I, 4, 3, Hugo constate : «Seulement la pauvre Alouette ne chantait jamais.» Mais, quand elle est adolescente, elle est qualifiée d«oiseau elle-même» (IV, 3, 8), elle «avait la voix d'une fauvette qui aurait une âme, et quelquefois le soir, dans l'humble logis du blessé, elle chantait des chansons tristes qui réjouissaient Jean Valjean.» (IV, 4, 1). «La fille jasait sans cesse, et gaîment.» (III, 6, 1)
- Javert est décrit par toute une série de références à des animaux : «Javert sérieux était un dogue ; lorsquil riait, cétait un tigre.» - «Il se faisait autour de son nez un plissement épaté et sauvage comme sur un mufle de bête fauve.» - Il a un «il de faucon» (I, 5, 5).
- «La commère [
] était une gorgone.» (I, 5, 8).
- «Une fille» accomplissait «sa promenade qui la ramenait de cinq minutes en cinq minutes sous le sarcasme, comme le soldat condamné qui revient sous les verges.» Puis elle «poussa un rugissement, se tourna, bondit comme une panthère, et se rua sur lhomme [
] avec les plus effroyables paroles qui puissent tomber du corps de garde dans le ruisseau.» (I, 5, 11).
- «La sur Simplice [
] près de sur Perpétue, cétait le cierge à côté de la chandelle.» (I, 6, 1), le cierge étant une chandelle dont l'usage est exclusivement réservé à un culte.
- Fantine appelle Cosette «pauvre chat» puis «le chiffon» (I, 6, 6).
- Alors que M. Madeleine est en proie à lincertitude, ses idées «passaient comme des ondes». (I, 7, 3).
- Dans un rêve, «il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême dun abîme. Il entrevoyait distinctement dans lombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelquun y tombât, lui ou lautre.» (I, 7, 3).
- Il envisage de laisser «sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de linfamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais». (I, 7, 3).
- Il ressent «une sorte de convulsion de la conscience [
] quon pourrait appeler un éclat de rire intérieur.» (I, 7, 3).
- «Il marchait comme un petit enfant quon laisse aller seul.» (I, 7, 3).
- «Il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; il accomplissait une agonie, lagonie de son bonheur ou lagonie de sa vertu.» (I, 7, 3).
- Au tribunal dArras, Jean Valjean reconnaît : «Le bagne ma changé. Jétais stupide, je suis devenu méchant. Jétais bûche, je suis devenu tison.» (I, 7, 11).
- Après la mort de sa protégée, «Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et larrangea sur loreiller comme une mère eût fait pour son enfant.» (I, 8, 4).
- La cavalerie, à lassaut du plateau du Mont-Saint-Jean, «descendit, dun même mouvement et comme un seul homme, avec la précision dun bélier de bronze qui ouvre une brèche». Elle est formée de deux colonnes qui semblent «deux immenses couleuvres dacier. Cela traversa la bataille comme un prodige [
] Il semblait que cette masse était devenue monstre et neût quune âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype.» Les cuirasses sont «comme les écailles sur lhydre.» Linfanterie anglaise «écoutait monter cette marée dhommes. [
] Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme lentrée dun tremblement de terre.» (II, 1, 9).
- La déroute inspire à Hugo ce commentaire : «Une armée qui se débande, cest un dégel.» Pour lui, les soldats dispersés sont l«énorme écume de la bataille. [
] sont «roulés dans le flot. [
] Les lions devenus chevreuils.» (II, 1, 13).
- La garde est vue comme une «redoute vivante» (II, 1, 15).
- Méditant sur le sens de la bataille, Hugo sinterroge : «Quest-ce que Waterloo? Une victoire? Non. Un quine. Quine gagné par lEurope, payé par la France.» (II, 1, 16) : «un quine» étant «un coup de dés qui amène un double cinq» ou encore «une série de cinq numéros consécutifs dans une loterie», Hugo voulut dire que ce fut un coup particulièrement hasardeux.
- Louis XVIII est dépeint comme «le bon vieux malade chancelant du père Élysée» (II, 1, 17) car venait le panser chaque jour son chirurgien qui était surnommé «le père Élisée», Hugo commettant donc là une faute dorthographe !
- Jean Valjean grimpe dans le gréement de lOrion «avec lagilité dun chat-tigre» ; et, quand il se penche vers le gabier, «on eût dit une araignée venant saisir une mouche» (II, 2, 3).
- Thénardier «avait le regard dune fouine» (II, 3, 2).
- La Thénardier a une «bouche dhyène» (II, 3, 5).
- «Jupiter se couchait dans les profondeurs.» (II, 3, 5). Il serait donc ici le soleil, mais il semble bien être la lune plus loin : «La nuit [
] on voit rutiler comme une braise Jupiter.» (III, 3, 6).
- Jean Valjean découvrant Cosette «eut comme une secousse électrique» (II, 3, 7).
- Devant la poupée, les yeux de Cosette «commençaient à semplir, comme le ciel au crépuscule du matin, des rayonnements étranges de la joie. Ce quelle éprouvait en ce moment-là était un peu pareil à ce quelle eût ressenti si on lui eût dit brusquement : Petite, vous êtes la reine de France. / Il lui semblait que si elle touchait à cette poupée, le tonnerre en sortirait.» (II, 3, 8).
- Hugo fait cette constatation : «Les collectionneurs de petits faits se font des herbiers danecdotes et piquent dans leur mémoire les dates fugaces avec une épingle.» (II, 4, 1).
- La «masure Gorbeau» est un «nid pour hibou et fauvette» (II, 4, 2), cest-à-dire Jean Valjean et Cosette.
- «Une charrette de carrier [
] ébranla la baraque comme un roulement dorage.» (II, 4, 2).
- Jean Valjean «se voyait tout un avenir éclairé par Cosette comme par une charmante lumière.» (II, 4, 3).
- Elle serait pour lui un «ravitaillement pour persévérer dans le bien.» (II, 4, 3).
- Poursuivi par la «meute muette» des argousins de Javert, il «eut le frémissement de la bête reprise» (II, 5, 2).
- Ne sachant que faire, il envisage des «conjectures» qui «tourbillonnèrent tout de suite, comme une poignée de poussière qui senvole à un vent subit.» Il «se sentait pris comme dans un filet qui se resserrait lentement.» (II, 5, 3).
- Hugo porte ce jugement général sur son personnage : «Jean Valjean avait cela de particulier quon pouvait dire quil portait deux besaces ; dans lune il avait les pensées dun saint, dans lautre les redoutables talents dun forçat.» (II, 5, 5).
- Les murs de la mystérieuse propriété du Petit-Picpus semblent «bâtis avec ces pierres sourdes dont parle lÉcriture.» (II, 5, 6), allusion obscure, Hugo ayant peut-être pensé à un verset du prophète Habacuc (2, 19) où il est question dune «pierre muette».
- Fauchelevent met à ses melons «leurs carricks» (II, 5, 9), cest-à-dire les recouvre pour les protéger du froid.
- «Paris est un maelstrom où tout se perd, et tout disparaît dans ce nombril du monde comme dans le nombril de la mer. Aucune forêt ne cache un homme comme cette foule.» (II, 5, 10).
- Du policier Javert, il est dit : «À ces chiens toujours en chasse, le loup daujourdhui fait oublier le loup dhier.» (II, 5, 10).
- Javert a pour «principe que, pour venir à bout dun sanglier, il faut faire science de veneur et force de chiens.» (II, 5, 10)
- Lui, qui a fait «buisson creux», est «honteux comme un mouchard quun voleur aurait pris.» (II, 5, 10), pastiche du vers le La Fontaine : «Honteux comme un renard quune poule aurait pris.» (Le renard et la cigogne).
- Pour Hugo, «La philosophie ne doit pas être un encorbellement bâti sur le mystère pour le regarder à son aise, sans autre résultat que dêtre commode à la curiosité.» (II, 7, 6).
- En révélant le subterfuge par lequel il entend pouvoir sortir puis rentrer au couvent, «Jean Valjean eut un de ces rares sourires qui lui venaient comme une lueur dans un ciel dhiver.» (II, 8, 4).
- Il «avait traversé de pires détroits» (II, 8, 4) que la difficulté de rentrer au couvent.
- Hugo considère que «le prisonnier est sujet à la fuite comme le malade à la crise qui le sauve ou qui le perd. Une évasion, cest une guérison.» (II, 8, 4).
- Il donne cette définition : «Le rire, cest le soleil, il chasse lhiver du visage humain.» (II, 8, 9).
- Pour lui, la vertu aboutissant à lorgueil, «il y a là un pont bâti par le diable.» (II, 8, 9).
- Le livre Paris étudié dans son atome commence par ce rapprochement étonnant : «Paris a un enfant et la forêt a un oiseau ; loiseau sappelle le moineau ; lenfant sappelle le gamin. Accouplez ces deux idées qui contiennent, lune toute la fournaise, lautre toute laurore, choquez ces étincelles, Paris, lenfance ; il en jaillit un petit être.» (III, 1, 1).
- Le gamin de Paris «est comme les mouches du ciel qui nont rien de tout cela» (paraphrase amère de la parabole évangélique : «Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment pas [
] et notre Père du ciel les nourrit») ; il «a dans lâme une perle, linnocence, et les perles ne se dissolvent pas dans la boue.» (III, 1, 1).
- Pour Hugo, «les théâtres sont des espèces de vaisseaux retournés qui ont la cale en haut. [
] cette cale étroite, fétide, obscure, sordide, malsaine, hideuse, abominable, se nomme le Paradis.» (III, 1, 3).
- «Le titi est au gamin ce que la phalène est à la larve. [
] son battement de mains ressemble à un battement dailes.» (III, 1, 3).
- Le gamin de Paris est un «pygmée» (III, 1, 4).
- «Lesprit de Paris, ce démon qui crée les enfants du hasard et les hommes du destin, au rebours du potier latin, fait de la cruche une amphore.» (III, 1, 4), allusion à lÉpître aux Pisons dHorace où le poète latin met en garde lartiste contre léchec de ses intentions : «Tu as commencé à tourner une amphore : la roue tourne ; pourquoi ne vient-il quune cruche?»
- Dans la zone des barrières de Paris, «les tambours de la garnison tiennent bruyamment école et font une sorte de bégaiement de la bataille.» (III, 1, 5).
- Les barrières pourraient être nommées «les limbes de Paris» (III, 1, 5).
- Les petites filles du peuple sont «gantées de hâle» (III, 1, 5), le hâle, pour Hugo, sappliquant sur le visage comme un gant sur la main, et semblant en modeler les formes.
- Le rire de Paris «est une bouche de volcan qui éclabousse toute la terre.» (III, 1, 11).
- Gavroche «vivait dans cette absence d'affection comme ces herbes pâles qui viennent dans les caves.» (III, 1, 13)
- Pour Hugo, «le passé» est «ce vaste fourmillement dombres» (III, 2, 1).
- M. Gillenormand navait pas «une longévité de pot félé» (III, 2, 1), négation rhétorique qui revient à dire quil avait une longévité de pot de fer !
- À la lecture des «bulletins de la grande armée», Marius «sentait comme une marée qui se gonflait en lui et qui montait ; il lui semblait par moments que son père passait près de lui comme un souffle.» (III, 3, 6).
- Le milieu ultra-royaliste «semble étrange comme un monde antédiluvien» (III, 3, 8).
- M. Gillenormand, croyant, grâce à une boîte dérobée à Marius, détenir la preuve de ses «libertinages», «la considéra quelque temps sans louvrir, avec cet air de volupté, de ravissement et de colère dun pauvre diable affamé regardant passer sous son nez un admirable dîner qui ne serait pas pour lui» (III, 3, 8).
- En y trouvant le message laissé à son fils par le colonel de Pontmercy, M. Gillenormand et sa fille «se sentirent glacés comme par le souffle dune tête de mort.» (III, 3, 8).
- «Chacune des paroles» prononcées alors par Marius «avait fait sur le visage du vieux royaliste leffet des bouffées dun soufflet de forge sur un tison ardent.» Puis cest «Marius qui était le tison, et M. Gillenormand qui était le soufflet.» (III, 3, 8).
- Marius, attaqué par M. Gillenormand dans son admiration pour Napoléon, «était le prêtre qui regarde jeter au vent toutes ses hosties, le fakir qui voit un passant cracher sur son idole.» (III, 3, 8).
- M. Gillenormand, en colère, déambule en «faisant craquer le parquet comme une figure de pierre qui marche.» (III, 3, 8).
- Sa fille «assistait à ce choc avec la stupeur dune vieille brebis.» (III, 3, 8).
- Pour Hugo, «laiguille qui marche sur le cadran marche aussi dans les âmes.» (III, 4, 1).
- Il voit lévolution politique qui avait lieu au début de la Monarchie de Juillet «était comme une marée montante compliquée de mille reflux.» (III, 4, 1).
- Il considère que «beaucoup de front dans un visage, cest comme beaucoup de ciel dans un horizon.» (III, 4, 1).
- Le visage dEnjolras est une «aurore» (III, 4, 1).
- Combeferre, présentant la révolution, «autour de la montagne à pic ouvrait le vaste horizon bleu». Avec lui, elle était «plus respirable». (III, 4, 1).
- Dans lincubation de la révolution, les collèges pourraient devenir «des huîtrières artificielles» (III,4, 1).
- Enjolras «était Antinoüs farouche.» (III, 4, 1).
- Combeferre était «peu effrayé des citadelles bâties de toutes parts contre le genre humain par les superstitions, les despotismes et les préjugés. Il était de ceux qui pensent que la science finira par tourner la position. [
] il ne refusait pas de prendre corps à corps lobstacle et de lattaquer de vive force et par explosion. [
] sa pente était plutôt pour lillumination que pour lembrasement. Un incendie peut faire une aurore sans doute, mais pourquoi ne pas attendre le lever du jour? Un volcan éclaire, mais laube éclaire encore mieux.» (III, 4, 1).
- Pour Hugo, le progrès est «I'ange aux ailes de cygne», la révolution, «lange aux ailes d'aigle.» (III, 4, 1).
- «Grantaire était un Pylade point accepté.» (III, 4, 1).
- Pour Hugo, «lâme [
] est le seul oiseau qui soutienne sa cage.» (III, 5, 2).
- Marius et de Cosette forment «la constellation de deux étoiles» (titre de III, 6).
- Dans le chapitre Effet de printemps, «le ciel était pur comme si les anges leussent lavé le matin.» (III, 6, 3).
- Cosette regardant Marius pour la première fois, Hugo commente : «Ce premier regard dune âme qui ne connaît pas encore est comme laube dans le ciel. Cest léveil de quelque chose de rayonnant et dinconnu. Rien ne saurait rendre le charme dangereux de cette lueur inattendue qui éclaire vaguement tout à coup dadorables ténèbres. [
] Cest un piège que linnocence tend à son insu et où elle prend les curs sans le vouloir et sans le savoir. Cest une vierge qui regarde comme une femme.» (III, 6, 3).
- M. Leblanc et sa fille sapprochant, pour Marius, «lauréole venait droit à lui» (III, 6,6)
- «Éperdument amoureux», il «se sentait un brasier dans le cerveau.» (III, 6, 6).
- Pour Hugo, en matière damour, «quand la mine est chargée, quand lincendie est prêt, rien nest plus simple. Un regard est une étincelle.» (III, 6, 6).
- Il affirme : «Le regard des femmes ressemble à de certains rouages tranquilles en apparence et formidables.» (III, 6, 6)
- Il voit les catacombes comme «ces sombres couveuses du christianisme primitif.» Elles «nétaient pas seulement la cave de Rome, elles étaient le souterrain du monde.» (III, 7, 1).
- Il statue : «Détruisez la cave Ignorance, vous détruisez la taupe Crime.» (III, 7, 2).
- Gueulemer est «un Hercule déclassé», «une grosse force paresseuse», un «assassin par nonchalance» Il a «une barbe sanglière.» (III, 7, 3).
- Montparnasse est un Abel devenu Caïn, «le mirliflore du sépulcre». (III, 7, 3).
- Il a «un buste dofficier prussien» (III, 7, 3) car les officiers prussiens portaient un corset sous leur dolman.
- Les quatre bandits de Patron-Minette «formaient une sorte de Protée» (III, 7, 4), Protée étant une divinité marine dotée du pouvoir de se métamorphoser.
- Éponine est «une rose dans la misère», un «être presque pareil aux formes de lombre qui traversent les rêves» ; elle montre «une audace de spectre» ; elle «volète dans la chambre avec des mouvements doiseau que le jour effare, ou qui a laile cassée» (III, 8, 4) ; «une partie de ses mots se perdait dans le trajet du larynx aux lèvres comme sur un clavier où il manque des notes» ; dans son cerveau fondent «des avalanches dargot» ; elle est une «larve» (III, 8, 5).
- Pour elle, «les étoiles sont comme des lampions dilluminations, on dirait quelles fument et que le vent les éteint» (III, 8, 4).
- «Marius, comme tous les curs vraiment honnêtes, était à lui-même son propre pédagogue.» (III, 8, 5).
- Le trou du mur entre sa chambre et celle des «Jondrette» est «le judas de la providence» (III, 8, 5), car, sil permet une intrusion indue, il assurera aussi le sauvetage de M. Leblanc victime dun traquenard.
- Jondrette-Thénardier est «lhomme fauve au gîte» (III, 8, 6).
- Cosette chez les Jondrette est «le rayon dans le bouge» (III, 8, 8).
- Javert est comparé à Thénardier : «Le dogue quelquefois nest pas moins inquiétant que le loup.» (III, 8, 14).
- Javert appelle les membres de la bande Patron-Minette des «artistes» qui, inquiétés, risquent de «décommander le vaudeville», cest-à-dire «renoncer à leur méfait». Il veut «les entendre chanter et les faire danser.» (III, 8, 14).
- Il jette «sur Marius le coup dil de Voltaire à un académicien de province qui lui eût proposé une rime.» (III, 8, 14).
- Chez les Jondrette, «une vieille lanterne sourde en cuivre [était] digne de Diogène devenu Cartouche.» (III, 8, 17).
- Thénardier, ayant pris Jean Valjean dans un «guet-apens», montre la «joie d'un nain qui mettrait le talon sur la tête de Goliath, joie d'un chacal qui commence à déchirer un taureau malade, assez mort pour ne plus se défendre, assez vivant pour souffrir encore.» (III, 8, 20).
- Pour Hugo, la rêverie est un «enfantement paresseux», un «gouffre tumultueux et stagnant.» (IV, 2, 1).
- «Lesprit détendu ne peut pas tenir la vis serrée.» (IV, 2, 1).
- «Le couvent du Petit-Picpus» est une «sorte de nuée impénétrable et sainte doù Jean Valjean était sorti vénérable» (IV, 3, 2).
- Marius et Cosette, «comme les astres dans le ciel que des millions de lieues séparent, vivaient de se regarder.» (IV, 3, 6).
- Dune voiture qui sapproche «dans le crépuscule», «on voyait des étincelles comme sil y avait des sabres nus, on entendait un cliquetis qui ressemblait à des chaînes remuées [
] cétait une chose formidable comme il en sort de la caverne des songes.» (IV, 3, 8).
- Les bagnards de la «cadène» «devaient serpenter sur le sol avec la chaîne pour vertèbre à peu près comme le mille-pieds.» Parmi les assistants, «un incendie de ricanements, de jurements et de chansons fit explosion. [
] Les pensées apparurent sur les visages ; ce moment fut épouvantable ; des démons visibles à masques tombés, des âmes féroces toutes nues.» (IV, 3, 8).
- Pour Hugo, «le cur dune jeune fille isolée ressemble à ces vrilles de la vigne qui saccrochent, selon le hasard, au chapiteau dune colonne de marbre ou au poteau dun cabaret.» (IV, 5, 1).
- Marius, qui tient Cosette évanouie dans ses bras, «était comme sil avait la tête pleine de fumée. [
] il lui semblait quil accomplissait un acte religieux et quil commençait une profanation.» (IV, 5, 6).
- Hugo se demande : «Comment se fit-il que leurs lèvres se rencontrèrent? Comment se fait-il que loiseau chante, que la neige fonde, que la rose souvre, que mai sépanouisse, que laube blanchisse derrière les arbres noirs au sommet frissonnant des collines?» (IV, 5, 6).
- Lâme de Cosette «tremblait à ses lèvres comme une goutte de rosée à une fleur.» (IV, 5, 6).
- «Ces deux êtres [sont] purs comme des esprits.» (IV, 5, 6).
- Léléphant de la Bastille était «un monument bizarre [
] cadavre grandiose dune idée de Napoléon», devenu «une sorte de symbole de la force populaire», «on ne sait quel fantôme puissant, visible et debout à côté du spectre invisible de la Bastille.» (IV, 6, 2).
- Hugo se demande : «Connaît-on bien la montagne quand on ne connaît pas la caverne?» (IV, 7, 1).
- Marius est «entraîné par cette force qui pousse le fer vers laimant et lamoureux vers les pierres dont est faite la maison de celle quil aime.» (IV, 8, 1).
- Hugo voit «ce genre damour-là» comme «une collection de feuilles de lys et de plumes de colombe.» (IV, 8, 3).
- Il considère que, «dans ce ravissant opéra quon appelle lamour, le libretto nest presque rien.» (IV, 8, 3).
- Lhistorien et poète constate que «des événements graves étaient à cette époque suspendus sur lhorizon de Paris à létat de nuages chargés.» (IV, 8, 4).
- Éponine «promène sur les bandits ses sanglantes prunelles de spectre» (IV, 8, 4).
- Elle est une «espèce de chienne à figure humaine qui monte la garde contre la grille» de la maison de la rue Plumet. (IV, 8, 6).
- Pour Marius, Cosette est «un lys» (IV, 8, 7), Hugo confondant le lis, qui est le symbole de la pureté, et la fleur de Lys, qui est le symbole de la royauté. Pourtant, ailleurs, il vit la chambre dune vierge comme «la cellule intime dun lis fermé.» (V, 1, 10)
- Pour lui, «lémeute est une sorte de trombe de latmosphère sociale qui se forme brusquement dans de certaines conditions de température, et qui, dans son tournoiement, monte, court, tonne, arrache, rase, écrase, démolit, déracine, entraînant avec elle les grandes natures et les chétives, lhomme fort et lesprit faible, le tronc darbre et le brin de paille. [
] Cest une gymnastique ; cest presque de lhygiène. Le pouvoir se porte mieux après une émeute comme lhomme après une friction.» (IV, 10, 1).
- Il statue : «Toute une école politique, appelée juste milieu» est «entre leau froide et leau chaude, le parti de leau tiède.» (IV, 10, 1).
- «Linsurrection est souvent volcan, lémeute est souvent feu de paille.» (IV, 10, 2).
- «Jean [lapôtre exilé sur lîle de Patmos où il aurait écrit l'Apocalypse] sur son rocher, cest le sphinx sur son piédestal» (IV, 10, 2).
- Hugo considère que, pour parler des Nérons, «le travail au burin tout seul serait pâle ; il faut verser dans lentaille une prose concentrée qui morde.» (IV, 10, 2), le trait du graveur devant être accentué par un acide, appelé eau-forte.
- Le philosophe de lHistoire se double dun poète dans ce tableau : «Avant que le droit se dégage, il y a tumulte et écume. Au commencement, linsurrection est émeute, de même que le fleuve est torrent. Ordinairement elle aboutit à cet océan : révolution. Quelquefois pourtant, venues de ces hautes montagnes qui dominent lhorizon moral, la justice, la sagesse, la raison, le droit, faite de la plus pure neige de lidéal, après une longue chute de roche en roche, après avoir reflété le ciel dans sa transparence et sêtre grossie de cent affluents dans la majestueuse allure du triomphe, linsurrection se perd tout à coup dans quelque fondrière bourgeoise, comme le Rhin dans un marais.» (IV, 10, 2).
- Sapprêtant à peindre lémeute, il annonce : «Nous ferons en sorte que le lecteur entrevoie, sous le sombre voile que nous allons soulever, la figure réelle de cette effrayante aventure publique.» (IV, 10, 2).
- Pour lui, «la grande ville ressemble à une pièce de canon ; quand elle est chargée, il suffit diune étincelle qui tombe, le coup part. En juin 1832, létincelle fut la mort du général Lamarque.» (IV, 10, 3).
- Au sujet des malfaiteurs que lémeute attire, il commente : «Il y a de certaines agitations qui remuent le fond des marais et qui font monter dans leau des nuages de boue.» (IV, 10, 3).
- Il sengagea dans son tableau ainsi : «Un certain bouillonnement terrible commença à soulever la foule [qui] vue à vol doiseau eût offert laspect dune comète.» (IV, 10, 3).
- Il nota que se fit entendre «une de ces clameurs qui ressemblent à des houles.» (IV, 10, 3).
- Pour lui, la «minute fatale» où «les dragons et la foule se touchaient» fut «le moment ténébreux où deux nuées se mêlent.» Puis «la tempête se déchaîne.» (IV, 10, 3).
- «Comme une traînée de poudre qui sallume, les insurgés avaient tout envahi et occupé.» (IV, 10, 4).
- «Tout ce que nous racontons ici lentement et successivement se faisait à la fois sur tous les points de la ville au milieu d'un vaste tumulte, comme une foule d'éclairs dans un seul roulement de tonnerre.» (IV, 10, 4).
- «Lauteur de ce livre était allé voir le volcan de près.» (IV, 10, 4).
- Il définit «la tactique» comme la «boussole des batailles» (IV, 10, 4).
- Il voit «la colère publique» comme une «immense écume» (IV, 10, 4).
- Il considère que «le vent des révolutions nest pas maniable.» (IV, 10, 4).
- Sil put écrire que «la police est cette Anne Radcliffe mêlée au gouvernement.» (IV, 10, 5), cest quAnn Radcliffe (1764-1823), romancière britannique, fut la pionnière du roman gothique.
- Pour lui, face à lémeute, le maréchal Soult est un «vieux lion» qui «semblait flairer dans cette ombre un monstre inconnu.» (IV, 10, 5).
- «Laigle de Meaux» «avait un logis comme loiseau a une branche» (IV, 12, 2).
- Gavroche, sur la barricade, est la «mouche de limmense Coche révolutionnaire.» (IV, 12, 4), Hugo reprenant la fable de La Fontaine, Le coche et la mouche, mais nen adoptant pas la morale.
- Ayant décelé la fonction de Javert, il se moque de lui en disant : «Cest la souris qui a pris le chat.» (IV, 12, 7).
- Pour Hugo, lémeute connaît «ces grandes minutes de gésine sociale et denfantement révolutionnaire» (IV, 12, 8).
- «Les attroupements, comme on sait, font boule de neige et agglomèrent en roulant un tas dhommes tumultueux.» (IV, 12, 8).
- Marius rejoignant ses amis, il commente : «Tout cet itinéraire ressemblait à une descente de marches noires.» (IV, 13, 1).
- La barricade est un «trou sombre creusé au milieu de Paris», une «monstrueuse caverne» (IV, 13, 2).
- «On distinguait [
] une multitude de fils métalliques, fins comme des aiguilles et presque imperceptibles, qui sagitaient, pareils à ces indescriptibles réseaux phosphoriques quau moment de sendormir on aperçoit sous ses paupières fermées, dans les premiers brouillards du sommeil. Cétaient les bayonnettes et les canons de fusils confusément éclairés par la réverbération lointaine de la torche.» (IV, 14, 1).
- «Un éclair empourpra toutes les façades de la rue comme si la porte dune fournaise souvrait et se fermait brusquement.» (IV, 14, 1).
- Quand le père Mabeuf va replacer le drapeau rouge de la barricade, «on croyait voir le spectre de 93 sortir de terre, le drapeau de la terreur à la main.» (IV, 14, 2).
- Quand la barricade est atteinte par les assaillants, «cétait cette première redoutable minute de linondation, quand le fleuve se soulève au niveau de la levée et que leau commence à sinfiltrer par les fissures de la digue.» (IV, 14, 3).
- Quand Jean Valjean découvre lamour de Cosette pour Marius : «Toute la lumière de sa vie sen était allée, lui croyant toujours voir le soleil.» (IV, 15, 1).
- La barricade «monstrueuse» du faubourg Saint-Antoine est qualifiée de «Charybde», de «redoute bête fauve», de «hérissement sanglier», d«énormité montagne», de «tumulte des tonnerres» ; elle «semblait une gueule» ; on y sentait «le dragon» (IV, 1, 1).
- La barricade du faubourg du Temple est qualifiée de «Scylla», duvre de «géomètre» ou de «spectre», de «masque» ; on y sentait «le sphinx» (IV, 1, 1).
- «À un instant donné, toute barricade qui tient devient inévitablement le radeau de la Méduse.» Celle de la rue de la Chanvrerie ressemblait «au pont dun navire désemparé», est un «effrayant nid dombre». (IV, 1, 2).
- Les occupants de la barricade se parlent «dans une sorte de chuchotement gai et redoutable qui ressemblait au bourdonnement de guerre dune ruche dabeilles.» (IV, 1, 3).
- Enjolras, parti en reconnaissance, fait «une sombre promenade daigle» (IV, 1, 3).
- À son retour, ses «paroles tombèrent sur le bourdonnement des groupes, et y firent leffet que fait sur un essaim la première goutte de lorage.» (IV, 1, 3).
- Gavroche «vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix.» (IV, 1, 15).
- Pour accréditer son récit de lémeute, Hugo dit être «allé voir le volcan de près.» (IV, 10, 4).
- Il constate : «Linsurrection sétait faite du centre de Paris une sorte de citadelle inextricable, tortueuse, colossale.» (IV, 10, 4).
- Le titre de IV, 11 est Latome fraternise avec louragan.
- Hugo compare lémeute de juin 1832 avec les Thermopyles (IV, 12, 3).
- Les barricades sont entourées de «maisons muettes et comme mortes où ne palpitait aucun mouvement humain.» (IV, 12, 5).
- Un des émeutiers, Le Cabuc, ayant abattu un habitant de la rue, «dun mouvement souverain le frêle jeune homme de vingt ans» quest Enjolras «plia comme un roseau le crocheteur trapu et robuste et lagenouilla dans la boue.» (IV, 12, 8).
- Au cri du père Mabeuf : «Vive la Révolution ! vive la République ! fraternité ! égalité ! et la mort ! / On entendit de la barricade un chuchotement bas et rapide pareil au murmure dun prêtre pressé qui dépêche une prière.» (IV, 14, 1).
- Sur «la barricade Saint-Antoine» «on croyait voir du vacarme pétrifié» «on croyait entendre bourdonner [
] les énormes abeilles ténébreuses du progrès violent». (V, 1, 1).
- Pour Hugo, «la parole étant souffle, les frémissements dintelligence ressemblent à des frémissements de feuilles.» (V, 1, 5).
- Enjolras sexalte : «Nous avons dompté lhydre, et elle sappelle le steamer ; nous avons dompté le dragon, et il sappelle la locomotive ; nous sommes sur le point de dompter le griffon, nous le tenons déjà, et il sappelle le ballon. Le jour où cette uvre prométhéenne sera terminée et où lhomme aura définitivement attelé à sa volonté la triple Chimère antique, lhydre, le dragon et le griffon, il sera maître de leau, du feu et de lair, et il sera pour le reste de la création animée ce que les anciens dieux étaient jadis pour lui.» (V, 1, 5).
- «Le genre humain accomplira sa loi comme le globe terrestre accomplit la sienne. [
.] Lâme gravitera autour de la vérité comme lastre autour de la lumière. » (V, 1, 6).
- «Une révolution est un péage.» (V, 1, 6).
- «Cette barricade nest faite ni de pavés, ni de poutres, ni de ferrailles : elle est faite de deux monceaux, un monceau didées et un monceau de douleurs.» (V, 1, 6).
- «Deux religions se rencontrent de front, comme deux boucs de lombre» (V, 1, 5).
- Lartilleur «se mit à pointer le canon avec la gravité dun astronome qui braque une lunette.» (V, 1, 7).
- Le canon est «une gueule formidable ouverte sur la barricade.» (V, 1, 7).
- Pour Courfeyrac, «après la chiquenaude», ce canon, cest «le coup de poing. Larmée étend vers nous sa grosse patte. La barricade va être sérieusement secouée. La fusillade tâte, le canon prend.» (V, 1, 7).
- Une chambre de vierge, «cest lintérieur dune fleur encore close, cest une blancheur dans lombre, cest la cellule intime dun lis fermé qui ne doit pas être regardé par lhomme tant quil na pas été regardé par le soleil.» (V, 1, 10).
- Les espoirs de succès de linsurrection sont des «lueurs qui passent» (titre de V, 1, 13). Mais «lespoir dura peu» et «la lueur séclipsa vite. En moins dune demi-heure, ce qui était dans lair sévanouit, ce fut comme un éclair sans foudre, et les insurgés sentirent retomber sur eux cette espèce de chape de plomb que lindifférence du peuple jette sur les obstinés abandonnés.» (V, 1, 13).
- «La fumée resserrée et comme épaissie» qui stagne dans la rue est comparée au «nuage tombé dans une gorge de montagnes entre deux escarpements à pic» (V, 1, 15).
- Gavroche continuant sa quête malgré les balles, «cétait le moineau becquetant les chasseurs. [
] Ce nétait pas un enfant, ce nétait pas un homme ; cétait un gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. [
] Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre sapprochait, le gamin lui donnait une pichenette.» «Lenfant feu follet» est tout de même atteint, «mais il y avait de lAntée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, cest comme pour le géant toucher la terre.». (V, 1, 15).
- «L'attaque fut l'ouragan» (V, 1, 21).
- «La barricade avait été approchée silencieusement comme par un boa.» (V, 1, 21).
- «Une puissante colonne dinfanterie [
] arriva droit sur la barricade avec le poids dune poutre dairain sur un mur.» (V, 1, 21).
- «La mousqueterie effrayante» par laquelle la colonne riposte à «la redoute» est comme «le bouquet» dun feu dartifices (V, 1, 21).
- «Les combattants» sont des «salamandres de la mêlée» (V, 1, 21).
- «On eût dit cet enfer du brahmanisme, le plus redoutable des dix-sept abîmes, que le Véda appelle la Forêt des Épées.» (V, 1, 21).
- Marius «était dans la bataille comme dans un rêve. On eût dit un fantôme qui fait le coup de fusil.» (V, 1, 21).
- Les assiégés sont dans «ce tourbillon du sépulcre» (V, 1, 21).
- «Larmée serrait la barricade comme la vis le pressoir.» (V, 1, 21).
- La «lutte» est «digne dune muraille de Troie» (V, 1, 21).
- La lutte sur la barricade est comparée à celles que racontent les épopées antiques, les «vieux poëmes de Gestes», que montrent les «anciennes fresques murales» (V, 1, 21).
- Dans ses derniers moments, la barricade est «une digue» ; «inondée d'assaillants», elle résiste d'abord ; pendant de longues minutes, «elle ne se couvr[e] d'assaillants que comme la falaise d'écume, pour reparaître l'instant d'après, escarpée, noire et formidable.» (V, 1, 21).
- La bouche dégout quavise Jean Valjean paraît le «conduit dune cheminée», le «cylindre dune citerne», «une espèce de puits heureusement peu profond», «une sorte de long corridor souterrain» (V, 1, 24).
- Légout permet détablir une «ressemblance de plus de Paris avec la mer. Comme dans lOcéan, le plongeur peut y disparaître.» (V, 3, 1).
- Légout est «la chausse-trape du salut» (V, 3, 1).
- Hugo considère que «La providence» offre d«adorables embuscades» (V, 3, 1).
- Jean Valjean dans légout de Paris, «comme le prophète, il était dans le ventre du monstre» (V, 3, 1).
- Une patrouille survenant, «Cétait la sombre étoile de la police qui se levait dans légout.» (V, 3, 1).
- Le sergent de la patrouille dans légout déchargeant sa carabine, «la détonation roula décho en écho dans la crypte comme le borborygme de ce boyau titanique» (V, 3, 2).
- «Deux homme séparés par une certaine distance semblant sobserver», «cétait comme une partie déchecs qui se jouait de loin et silencieusement.» (V, 3, 3).
- De Jean Valjean qui porte Marius, il est dit : «Lui aussi porte sa croix» (titre de V, 3, 4).
- «Quest-ce quun fontis? Cest le sable mouvant de la mer tout à coup rencontré sous terre.» (V, 3, 5).
- Pour Thénardier, la rivière est «le grand cache-sottise» (V, 3, 8).
- «Il semblait marcher avec les pattes de velours du tigre.» (V, 3, 8).
- Ayant rencontré Thénardier et tombant sur Javert, «Jean Valjean était passé dun écueil à lautre.» (V, 3, 9).
- Marius déposé chez M. Gillenormand, cest, pour lui, la «rentrée de lenfant prodigue de sa vie» (V, 3, 10).
- Hugo définit «le suicide, cette mystérieuse voie de fait sur l'inconnu.» (V, 3, 10).
- «Le rapide de la Seine» est «une redoutable spirale de tourbillons qui se dénoue et se renoue comme une vis sans fin.» (V, 4).
- «Ce qui se passait dans Javert, cétait le Fampoux dune conscience rectiligne. [À Fampoux, sur la ligne de chemin de fer du Nord, sétait produit, le 8 juillet 1846, un déraillement qui souleva dans le public une émotion dautant plus vive quil survenait moins dun mois après linauguration de la ligne], la mise hors de voie d'une âme, l'écrasement d'une probité irrésistiblement lancée en ligne droite et se brisant à Dieu. Certes, cela était étrange. Que le chauffeur de l'ordre, que le mécanicien de l'autorité, monté sur l'aveugle cheval de fer à voie rigide, puisse être désarçonné par un coup de lumière ! que l'incommutable, le direct, le correct, le géométrique, le passif, le parfait, puisse fléchir ! qu'il y ait pour la locomotive un chemin de Damas !» ce qui explique que ce chapitre, V, 4, ait été intitulé Javert déraillé.
- M. Gillenormand se traite lui-même de «momie de la Régence et du Directoire», de «Dorante devenu Géronte». (V, 5, 3).
- Il reproche à Marius : «Ah ! tu prends le hanneton par les cornes.» (V, 5, 3), cest-à-dire «tu prends ladversaire de façon quil ne puisse se défendre».
- Marius, qui a «dans sa mémoire un trou, un endroit noir, un abîme creusé par quatre mois dagonie», sent «le passé tumultueux et vague traverser le crépuscule quil avait dans le cerveau. [
] Lémeute avait tout roulé dans sa fumée. [
] Une chute dans les ténèbres avait tout emporté, excepté lui. Tout cela lui semblait avoir disparu comme derrière une toile de théâtre. Il y a de ces rideaux qui sabaissent dans la vie. Dieu passe à lacte suivant.» (V, 5, 8).
- Lors du repas de noce, «la salle à manger était une fournaise de choses gaies.» (V, 6, 2).
- Jean Valjean est comparé à «Jacob [qui] ne lutta avec I'ange qu'une nuit.» (V, 6, 4).
- Pour Hugo, «les prédestinations ne sont pas toutes droites ; elles ne se développent pas en avenue rectiligne devant le prédestiné ; elles ont des impasses, des coecums, des tournants obscurs, des carrefours inquiétants offrant plusieurs voies. Jean Valjean faisait halte en ce moment au plus périlleux de ces carrefours. Il était parvenu au suprême croisement du bien et du mal. Il avait cette ténébreuse intersection sous les yeux. Cette fois encore, comme cela lui était déjà arrivé dans dautres péripéties douloureuses, deux routes s'ouvraient devant lui ; I'une tentante, l'autre effrayante. Laquelle prendre? / Celle qui effrayait était conseillée par le mystérieux doigt indicateur que nous apercevons tous chaque fois que nous fixons nos yeux sur I'ombre. / Jean Valjean avait, encore une fois, le choix entre le port terrible et I'embûche souriante.» (V, 6, 4).
- Pour Jean Valjean, «Cosette, cette existence charmante, était le radeau de ce naufragé. Que faire? Sy cramponner ou lâche prise? / Sil sy cramponnait, il sortait du désastre, il remontait au soleil, il laissait ruisseler de ses vêtements et de ses cheveux leau amère, il était sauvé, il vivait. / Allait-il lâcher prise? / Alors, labîme. [
] Une tempête, plus furieuse que celle qui autrefois lavait poussé vers Arras, se déchaîna en lui. [
] Une fois lécluse des larmes ouvertes, le désespéré se tordit. [
] Le premier pas nest rien ; cest le dernier qui est difficile. [
] Ô première marche à descendre, que tu es sombre ! Ô seconde marche, que tu es noire !» (V, 6, 4).
- Jean Valjean gît «les bras étendus à angle droit comme un crucifié décloué quon aurait jeté face contre terre. [
] Il était immobile comme un cadavre pendant que sa pensée se roulait à terre et senvolait, tantôt comme lhydre, tantôt comme laigle.» (V, 6, 4).
- Le titre de V, 7, 1, «Le septième cercle et le huitième ciel» fait, dune part, allusion à un des cercles de lEnfer de Dante, où sont punies toutes les sortes de violents, et, dautre part, à celui des cieux où, pour les astronomes de lAntiquité, étaient accrochées les étoiles.
- Marius, après la révélation de Jean Valjean, se pose une question quil «sentait comme une tenaille» (V, 7, 2).
- Le titre de V, 9, 2, «Dernières palpitations de la lampe sans huile», indique la résignation de Jean Valjean à la réclusion.
- Tandis que «dans le danger, le porc-épic se hérisse, le scarabée fait le mort, la vieille garde se met en carré ; cet homme [Thénardier] se mit à rire.» (V, 9, 4).
- Hugo statue : «Un cur, cela veut un os à ronger.» (V, 9, 5).
À la suite de cet ensemble impressionnant, on peut quapprouver Baudelaire, qui considéra (dans Lart romantique) que Hugo offrit un «magnifique répertoire danalogies humaines et divines [
] puisées dans linépuisable fonds de luniverselle analogie».
Personnifications :
Sont personnifiés des objets, des réalités matérielles :
- Alors que Jean Valjean est entré dans la chambre de M. Myriel endormi, «le crucifix semblait leur ouvrir les bras à tous les deux, avec une bénédiction pour lun et un pardon pour lautre.» (I, 2, 11).
- Un «verger est sensible comme un autre au mois de mai.» (II, 1, 2).
- «Le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé.» (II, 1, 9).
- Alors que Cosette affronte lobscurité, «Le tragique masque de lombre semblait se pencher vaguement sur cet enfant.» (II, 3, 5).
- «Les haillons de Cosette rencontrèrent et étreignirent les rubans et les fraîches mousselines roses de la poupée» (II, 3, 8).
- «Le regard des femmes» est un rouage qui, «tout à coup», «vous tient, le regard vous a pris. [
] Un enchaînement de forces mystérieuses sempare de vous.» (III, 6, 6).
- Hugo décrit «un souffle de vent, plus en gaîté que les autres, et probablement chargé de faire les affaires du printemps.» (III, 6, 8).
- «La nature hérissée et fauve seffare à de certaines approches où elle croit sentir le surnaturel. Les forces de lombre se connaissent, et ont entre elles de mystérieux équilibres. Les dents et les griffes redoutent linsaisissable. La bestialité buveuse de sang, les voraces appétits affamés en quête de la proie, les instincts armés dongles et de mâchoires qui nont pour source et pour but que le ventre, regardent et flairent avec inquiétude limpassible linéament spectral rôdant sous un suaire, debout dans sa vague robe frissonnante, et qui leur semble vivre dune vie morte et terrible.» (IV, 8, 5).
- «La grande ville sentit quelque chose qui était peut-être plus fort quelle. Elle eut peur.» (IV, 10, 5).
- La «vaillante et chaste» épée du colonel Pontmercy «avait bien fait de lui échapper et de sen aller irritée dans les ténèbres ; que si elle sétait enfuie ainsi cest quelle était intelligente et quelle prévoyait lavenir ; cest quelle pressentait lémeute, la guerre des ruisseaux, la guerre des pavés, les fusillades par les soupiraux des caves, les coups donnés et reçus par derrière ; cest que, venant de Marengo et de Friedland, elle ne voulait pas aller rue de la Chanvrerie, cest quaprès ce quelle avait fait avec le père, elle ne voulait pas faire cela avec le fils.» (IV, 12, 3).
- «Lénorme barricade le [Gavroche] sentait sur sa croupe.» (IV, 12, 4).
- Le bruit de la troupe qui savance vers la barricade «sapprochait lentement, sans halte, sans interruption, avec une continuité tranquille et terrible. [
] Cétait tout ensemble le silence et le bruit de la statue du commandeur [allusion au célèbre épisode final du Dom Juan de Molière], mais ce pas de pierre avait on ne sait quoi dénorme et de multiple qui éveillait lidée dune foule en même temps que lidée dun spectre.» (IV, 14, 1).
- Sur la barricade, «le faubourg Saint-Antoine avait poussé là à sa porte d'un colossal coup de balai» «le haillon dun peuple» On y trouve «tout ce que la guerre civile peut jeter à la tête de la société» - «Le faubourg et sa redoute se prêtaient main-forte. Le faubourg sépaulait à la redoute, la redoute sacculait au faubourg. [
] Ses cavernes, ses excroissances, ses verrues, ses gibbosités, grimaçaient , pour ainsi dire, et ricanaient.» (V, 1, 1).
- «Les balles couraient après lui.» [Gavroche] (V, 1, 15).
- «Lagonie de la barricade allait commencer» (V, 1, 20).
- «Le progrès marche ; il fait le grand voyage humain et terrestre vers le céleste et le divin ; il a ses haltes où il rallie le troupeau attardé ; il a ses stations où il médite, en présence de quelque Chanaan splendide dévoilant tout à coup son horizon ; iI a ses nuits où il dort.» (V, 1, 20).
- «Le canon avait commencé le rugissement.» (V, 1, 21).
- «Lutopie insurrection combat, le vieux code militaire au poing ; elle fusille les espions, elle exécute les traîtres, elle supprime des êtres vivants et les jette dans les ténèbres inconnues. Elle se sert de la mort. chose grave. Il semble que lutopie nait plus foi dans le rayonnement, sa force irrésistible et incorruptible. Elle frappe avec le glaive.» (V, 1, 20).
- «La barricade escaladée eut une crinière déclairs. [
] elle secoua les soldats ainsi que le lion les chiens ; et elle ne se couvrit dassiégeants que comme la falaise décume.» (V, 1, 21).
- «Une âme damnée [
] volerait éperdument avec le moignon de ses ailes brûlées vers la porte radieuse.» (V, 3, 7).
- Le crime a des «pas de loup» (V, 3, 8).
- «Légout est traître, et vous dénonce.» Il «était évidemment en complicité avec quelque bande mystérieuse.» (V, 3, 8).
- «Cette grille taciturne était une recéleuse.» (V, 3, 8).
- «La nuit» est «la grande libératrice, lamie de tous ceux qui ont besoin dun manteau dombre pour sortir dune angoisse.» (V, 3, 9).
- Dans la salle à manger, lors du repas de noce, «tout étincelait et se réjouissait.» (V, 6, 2).
- «Jean Valjean [est] saisi corps à corps dans les ténèbres par sa conscience et [lutte] éperdument avec elle ! [
] Combien de fois cette conscience, forcenée au bien, lavait-elle étreint et accablé ! Combien de fois la vérité, inexorable, lui avait-elle mis le genou sur la poitrine ! Combien de fois, terrassé par la lumière, Iui avait-il crié grâce ! Combien de fois cette lumière implacable, allumée en lui et sur lui par lévêque, lavait-elle ébloui de force alors quil souhaitait être aveuglé ! Combien de fois sétait-il redressé dans le combat, retenu au rocher, adossé au sophisme, traîné dans la poussière, tantôt renversant sa conscience sous lui, tantôt renversé par elle. Combien de fois, après une équivoque, après un raisonnement traître et spécieux de légoïsme, avait-il entendu sa conscience irritée lui crier à loreille : Croc-en-jambe, ! misérable ! Combien de fois sa pensée réfractaire avait-elle râlé convulsivement sous l'évidence du devoir ! Résistance à Dieu. Sueurs funèbres. Que de blessures secrètes, que lui seul sentait saigner ! Que d'écorchures à sa lamentable existence ! Combien de fois s'était-il relevé sanglant, meurtri, brisé, éclairé, le désespoir au coeur, la sérénité dans l'âme ! Et, vaincu, il se sentait vainqueur. Et, après l'avoir disloqué, tenaillé et rompu, sa conscience, debout au-dessus de lui, redoutable, lumineuse, tranquille, lui disait : Maintenant, va en paix ! [
] Sa pensée se roulait à terre et senvolait, tantôt comme lhydre, tantôt comme laigle.» (V, 6, 4).
- «Un crime et une innocence peuvent être camarades de chambrée dans le mystérieux bagne des misères.» (V, 7, 2).
- «Beaucoup dhommes ont ainsi un monstre secret, un mal quils nourrissent, un dragon qui les ronge, un désespoir qui habite leur nuit. Tel homme ressemble aux autres, va, vient. On ne sait pas quil a en lui une effroyable douleur parasite aux mille dents, laquelle vit dans ce misérable, qui en meurt. On ne sait pas que cet homme est un gouffre. Il est stagnant mais profond. De temps en temps un trouble auquel on ne comprend rien se fait à sa surface. Une ride mystérieuse se plisse, puis sévanouit, puis reparaît ; une bulle dair monte et crève. Cest peu de chose, cest terrible. Cest la respiration de la bête inconnue.» (V, 8, 2).
- «Pardonné» par Marius et Cosette, Jean Valjean a «une de ces grosses larmes, qui sont les sombres perles de lâme.» (V, 9, 5).
Sont personnifiées aussi des qualités ou défauts, des notions abstraites :
- «Les hypocrisies effarées se dépêchent de protester et de se mettre à couvert.» (I, 1, 4).
- «Lignominie a soif de considération.» (I, 2, 3).
- «La destinée peut donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cur humain.» (I, 7, 3).
- «Demain fait irrésistiblement son uvre, et il le fait dès aujourdhui. [
] le progrès. Pas de mauvais outil pour cet ouvrier-là. Il ajuste à son travail divin
» (II, 1, 17).
- Au ridicule lieutenant Théodule, qui est impressionné par son passage dans un cimetière, «la mort apparut avec de grosses épaulettes, et il lui fit presque le salut militaire» (III, 3, 8).
- Pour Hugo, «La grandeur de la révolution, cest de regarder fixement I'éblouissant idéal et d'y voler à travers les foudres, avec du sang et du feu à ses serres.» (III, 4, 1).
- «Les révolutions ont le bras terrible et la main heureuse ; elles frappent ferme et choisissent bien. Même incomplètes, même abâtardies et mâtinées, et réduites à létat de révolutions cadettes, comme la révolution de 1830, il leur reste presque toujours assez de lucidité providentielle pour quelles ne puissent mal tomber. Leur éclipse nest jamais une abdication. [
] les révolutions, elles aussi, se trompent, et de graves méprises se sont vues. [
] 1830, dans sa déviation, eut du bonheur.» (IV, 1, 3).
- «Ces unanimités mystérieuses qui grondent sourdement sous les trônes.» (IV, 1, 3).
- «Les pensées apparurent sur les visages ; ce moment fut épouvantable ; des démons visibles à masques tombés, des âmes féroces toutes nues.» (IV, 3, 8).
- «Ainsi la paresse est mère. Elle a un fils, le vol, une fille, la faim.» (IV, 7, 1).
- «La colère emporte lémeute comme le vent emporte le feu.» (IV, 10, 3).
- «Ce qui avait réellement pris la direction de lémeute, cétait une sorte dimpétuosité inconnue qui était dans lair. Linsurrection, brusquement, avait bâti les barricades dune main et de lautre saisi presque tous les postes de la garnison.» (IV, 10, 4).
Symboles souvent prétentieux :
- «la grande lumière» évoquée en I, 7, 11, et qui est celle de Dieu.
- Le passage de Jean Valjean par deux «lieux dexpiation», le bagne et le couvent, est vu comme «un symbole de sa destinée». (II, 8, 9).
- Le «Léviathan» (dans le titre de V, 2, 1), un monstre marin évoqué dans la Bible (Psaumes et Livre de Job), devint pour le philosophe anglais Thomas Hobbes un symbole de l'État. Pour Hugo, il représente la ville.
- La rencontre dans légout du détrousseur de cadavres dOhain et de lex-bagnard est emblématique : cest celle du mal et du bien dans le ventre de la ville, la loi attendant à la porte, avec Javert.
- les «symboles genésiaques» que sont Abel, «celui qui est selon le bien», et Caïn, «celui qui est selon le mal» (V, 7, 2).
Les tableaux de peintre :
- «Lenfant tournait le dos au soleil qui lui mettait des fils dor dans les cheveux et qui empourprait dune lueur sanglante la face sauvage de Jean Valjean.» (I, 2, 13).
- Hugo, peintre de larmée et des batailles
Il mêla savamment la précision technique et les procédés classiques de lépopée.
- quand Mabeuf monte à la mort avec les insurgés derrière lui et devant lui les fusils de lordre public : «Quand il fut au haut de la dernière marche, quand ce fantôme tremblant et terrible, debout sur ce monceau de décombres en présence de douze cents fusils invisibles, se dressa, en face de la mort et comme sil était plus fort quelle, toute la barricade eut dans les ténèbres une figure surnaturelle et colossale.» (Le drapeau Deuxième acte)
Le tableau du jour goûté à la sortie de légout (V, 3, 9).
Il faut accepter de lire Les misérables comme une épopée en prose, et le malaise disparaît.
Il reprit en prose non seulement des thèmes de sa poésie mais le ton et jusquau rythme du vers :
INTÉRÊT DOCUMENTAIRE
Dans Les misérables, qui sont aussi, pour reprendre le vocabulaire balzacien, une «étude de murs», Hugo, qui reprit à son compte le réalisme dEugène Sue, donna une évocation de la réalité qui est pittoresque et, le plus souvent, vraie. Il brossa une fresque sociale complète, entraînant le lecteur au cur de lHistoire, de la politique, de la géographie de Paris, avec une vivacité inégalée.
Dans Les misérables, Hugo déploya un lexique et des références nourris de sa vaste culture. Il fit des emprunts à différents domaines :
LAsie :
- «avatar» (IV, 6, 1) : du sens que le terme a en Inde, où il désigne lincarnation d'un dieu hindou, il prit le sens figuré quil a ici : «transformation», «métamorphose».
- «brahmanisme» (V, 1, 21) : à strictement parler, il sagit de la deuxième des trois phases historiques distinguées habituellement dans le développement de la religion des hindous, mais Hugo lutilise en son sens large de système social et religieux des hindous orthodoxes ; il évoque, non sans un certain pédantisme, «cet enfer du brahmanisme, le plus redoutable des dix-sept abîmes, que le Véda appelle la Forêt des Épées.» Le Veda (mot sanskrit signifiant «vision» ou «connaissance») est un ensemble de textes qui auraient été révélés aux sages indiens ou brahmanes.
- «talapoin» (II, 7, 3) : pour les Européens des XVIIe et XVIIIe siècles, «prêtre bouddhiste de Birmanie ou du Siam».
La Bible :
- «Apocalypse» : livre du Nouveau Testament intitulé Apocalypse de Jean qui évoque une fin du monde violente, «période de bouleversement total» ; doù la mention du «formidable char fulgurant de lApocalypse» (IV, 3, 8) et dune «apocalypse» (III, 4, 1), tandis que «Les forêts sont des apocalypses» (II, 3, 5).
- «géhenne» (V, 3, 7) : nom dune vallée étroite et profonde située près de Jérusalem, lieu où de longue date se célébraient des cultes idolâtres, qui devint dans la littérature juive un lieu de terribles souffrances, la demeure des pécheurs après leur mort. Ce nom, sous l'influence de la pensée grecque, se confondit avec les Enfers dans la pensée chrétienne, puis musulmane.
- «flamboyant glaive darchange» (V, 1, 12) : dans la Bible, à plusieurs occasions, sont mentionnés des anges ou des archanges fermant le passage de leurs épées enflammées.
- «Goliath» (III, 8, 20) : géant qui se battit avec David (chapitre 17 du premier livre de Samuel).
- «Jacob» et sa lutte avec lange (V, 6, 4) : épisode du chapitre 32 de la Genèse, dont le sens est mystérieux mais quon peut interpréter comme un combat avec Dieu, Jacob ayant été surnommé Israël, nom qui signifie «Que Dieu lutte, se montre fort».
- «limbes» (III, 1, 5) : venant du latin «limbus» («marge», «frange»), le mot désigne, dans lÉvangile, un séjour situé aux limites du paradis et réservé aux enfants morts sans baptême, ainsi quaux justes de lAncien Testament» ; par extension, le mot désigne un «lieu vague aux frontières indécises».
- «le prophète [
] dans le ventre du monstre» (V, 3, 1) : cest Jonas (dans le Livre de Jonas) qui fut recueilli dans le ventre dun grand poisson (souvent vu comme une baleine) durant trois jours et trois nuits.
- «Sinaï» (V, 1, 1) : montagne de la péninsule du Sinaï surtout célèbre dans la tradition biblique pour avoir été le lieu où Moïse reçut les Dix Commandements (Exode, 3 et 19).
- «statue de sel» (I, 2, 11) : allusion à lépisode de la Genèse où la femme de Loth, se retournant dans sa fuite, est changée en statue de sel.
LÉgypte :
- «Isis» : «déesse protectrice et salvatrice de la mythologie égyptienne» ; il est fait allusion à sa robe sacrée» (III, 6, 8).
- «sphinx» (IV, 10, 2) : «le sphinx sur son piédestal» est ici le monument égyptien.
La Grèce :
- «acropole» (V, 1, 1) : du gec ºÁÌÀ¿»¹Â / akrópolis, signifiant «ville haute», citadelle construite sur la partie la plus élevée et la mieux défendue d'une cité de la Grèce antique, servant de refuge ultime aux populations lors des attaques.
- «amphore» (III, 1, 4) : «vase à deux anses, au col mince, de forme allongée et terminé en pointe».
- «Antée» (V, 1, 15) : «géant fabuleux qui avait la particularité d'être pratiquement invincible tant qu'il restait en contact avec le sol, car sa mère, la Terre, ranimait ses forces chaque fois qu'il la touchait».
- «Antinoüs» (III, 4, 1) : jeune homme originaire de Bithynie ayant vécu au IIe siècle apr. J.-C., qui fut le favori et amant de l'empereur Hadrien, et mourut âgé de vingt ans environ, noyé dans le Nil, dans des circonstances qui restent mystérieuses ; divinisé par Hadrien, il fut représenté par un grand nombre d'uvres d'art qui en firent l'un des visages les plus célèbres de l'Antiquité.
- «béotien» (III, 1, 4) : «personne lourde, peu ouverte aux arts et aux lettres, de goûts grossiers», et son contraire : «ionien» (III, 1, 4), «personne gracieuse, de culture raffinée, de goûts délicats».
- «Busiris» (IV, 8, 6) : roi légendaire d'Égypte célèbre pour ses cruautés, qui immolait à Zeus tous les étrangers qui abordaient ses États.
- «Charybde» et «Scylla» (titre de V, 1, 1) : deux monstres marins de la mythologie grecque, situés de part et d'autre d'un détroit traditionnellement identifié comme étant celui de Messine. La légende est à l'origine de l'expression «tomber de Charybde en Scylla», qui signifie «aller de mal en pis».
- «chimère» (III, 4, 1 - V, 1, 5) : dabord monstre mythologique («la triple Chimère antique» [V, 1, 5])., puis «illusion», «projet irréaliste», «billevesée», «fantaisie» (III, 4, 1).
- «démos» (V, 1, 1) : «le peuple».
- «Diogène» (III, 8, 17) : philosophe grec présenté tantôt comme un philosophe «clochard», débauché, hédoniste et irréligieux, tantôt comme un ascète sévère, volontaire, voire héroïque.
- «dithyrambe» (III, 3, 1) : «louange enthousiaste, et le plus souvent excessive».
- «élégie» (III, 3, 1) : «poème de ton plaintif» ; il est particulièrement adapté à lévocation dun mort ou à lexpression dune souffrance amoureuse due à un abandon ou à une absence.
- «éleusiaque» (III, 1, 8) : «propre à Éleusis», ville de Grèce où se tenaient des rites secrets, les mystères dÉleusis.
- «épiphonème» (I, 7, 3 - V, 3, 2) : «exclamation sentencieuse qui termine un développement».
- «faunes de Théocrite» (III, 6, 8) : «dieux champêtres figurés avec des oreilles de chèvre ou du moins des oreilles plus grandes qu'à l'ordinaire, et, à lendroit où finit lépine du dos, une petite queue» ; ils furent évoqués en particulier par Théocrite, poète bucolique grec.
- «gorgone» (I, 5, 8) : les Gorgones étaient, dans la mythologie grecque, des créatures fantastiques malfaisantes et d'une telle laideur que quiconque osait les regarder en plein visage mourait pétrifié.
- «hippanthrope» (II, 1, 9) : mot forgé par Hugo qui signifie «homme-cheval», «centaure».
- «histrion» (III, 3, 6) : mauvais comédien, personnage qui se donne en spectacle en usant deffets outranciers.
- «hydre» (V, 6, 4) : «serpent fabuleux».
- «ochlocratie» (V, 1, 1) : venu du grec ancien («okhlos», foule et «cratia», pouvoir), le mot désigne une forme de gouvernement dans lequel la multitude, la populace, a tous les pouvoirs, et peut imposer tous ses désirs.
- «Olympe» (II, 1, 9 - III, 1, 3) : la plus haute montagne de Grèce, qui était traditionnellement le domaine des dieux de la mythologie grecque.
- Oreste et Pylade, amis exemplaires de la mythologie, évoqués dans Oreste à jeun et Pylade ivre, titre de V, 1, 23, tandis que «Grantaire était un Pylade point accepté.» (III, 4, 1).
- «Ossa sur Pélion» (V, 1, 1) : montagnes que, dans la mythologie grecque, les géants et frères jumeaux Otos et Éphialtès, voulant escalader le ciel, entassèrent lun sur lautre et sur l'Olympe, avant dêtre foudroyés par Zeus.
- «Panathénées» (III, 1, 8) : «festivités religieuses et sociales de la cité d'Athènes».
- «pandémonium» (IV, 3, 8) : ce mot, formé à partir du grec ancien «À¶½» / «pân À¶½» («tout»), et «´±¯¼É½» / «daímôn» («démon»), apparut en 1667 sous la plume de l anglais John Milton dans Le paradis perdu pour désigner la capitale imaginaire des enfers où Satan invoque le conseil des démons. Depuis, ce mot fut également utilisé pour désigner un lieu où règne corruption, chaos et désordre.
- «polype» (II, 1, 9) : «organisme animal en forme de sac ou de bourse dont louverture est entourée de tentacules» (sans doute ce que Hugo appela des «anneaux»).
- «polytechnique» (III, 4, 1) : au sens propre : «qui possède des connaissances de tout ordre».
- «Sisyphe» (V, 1, 1) : Personnage de la mythologie qui, raconte lOdyssée, pour avoir osé défier les dieux, fut condamné à faire rouler éternellement, dans le Tartare, un rocher jusqu'en haut d'une colline dont il redescendait chaque fois avant de parvenir à son sommet.
- «sphinx» (IV, 1, 1) : ici, cest, dans la mythologie grecque, la fille de Typhon et d'Échidna, représentée avec un buste de femme, un corps de lion et des ailes d'oiseau, qui, à la suite du meurtre du roi de Thèbes, Laïos, commence à ravager les champs et à terroriser la population, lui posant une énigme, tuant quiconque échouant à la résoudre, déclarant qu'elle ne quitterait la province que lorsque quelqu'un y serait parvenu.
- «Styx» (I, 5, 5) : «fleuve des Enfers chez les Grecs» ; il faut remarquer que, pour eux, les Enfers étaient le séjour des morts en général et non des damnés seulement.
- «thébaïde» (III, 1, 5) : du fait de la Thébaïde, région de la Haute Égypte où vécurent de nombreux ermites, le mot désigne ici «un lieu écarté où l'on peut se retirer».
- Thermopyles (IV, 12, 3 - V, 1, 5) : bataille où, le 11 août -480, une armée des cités grecques (7 000 fantassins et aucun cavalier, avec une flotte de 271 trirèmes en soutien) tenta de retenir, à l'entrée du défilé des Thermopyles qui commande l'accès de la Grèce centrale, le long de la mer Égée, la grande armée perse de Xerxès Ier (500 000 fantassins, 50 000 cavaliers et 1 200 trirèmes). Cest l'un des plus célèbres faits d'armes de l'histoire antique.
- «les Titans» (II, 1, 9 - V, 1, 21) : dans la mythologie grecque, divinités primordiales géantes, fils d'Ouranos et de Gaïa, qui ont précédé les dieux de l'Olympe.
- «Troie» (V, 1, 21) : ville contre laquelle les Grecs menèrent une lutte de dix ans, quils assiègèrent et prirent finalement.
Le monde latin à travers des mots ou des phrases (souvent des citations) :
- «Acarus» (II, 8, 3) : parasite de lordre des acariens (et non «ver de terre» comme le prétendit Hugo).
- «ad nutum, ad primum signum» (II, 6, 2) : la traduction est donnée par Hugo : «au geste, au premier signe».
- «Alleluia» (III, 1, 3) : transcription en latin ecclésiastique de lhébreu «Hallelou Yah» («Louez Dieu»).
- «ambubaïes» (I, 6, 1) : du latin «ambubaiae», «joueuses de flûte, courtisanes». Hugo se souvint peut-être du début dune satire dHorace (I, 2, 1) : «Ambubaiarum collegia
».
- «Ambubaiarum collegia, pharmacopolae, mendici, mimae» (III, 7, 4) : «Les troupes de joueuses de flûte, les marchands de drogues, les quêteurs, les actrices de mimes
» (Horace, Satires, I, 2, 1-2).
- «Amor omnibus idem» (I, 3, 8) : «Lamour est le même pour tous» (Virgile, Géorgiques, III, 244).
- «aruspices» (II, 7, 3) : chez les Romains, «ministres de la religion chargés de chercher, avant le sacrifice, des présages dans les mouvements de lanimal, et dans l'inspection de ses entrailles après qu'elle ait été immolée».
- «Asinarium» (III, 1, 10) : mot forgé par Hugo. Mais il y avait à Rome une via Asinaria («voie des ânes»).
- «Barbari et Barberini» (III, 4, 1) : réduction de «Quod non fecerunt barbari, fecerunt Barberini» : «Ce que nont pas fait les Barbares, les Barberini lont fait.», un des leurs, le pape Urbain VIII, sétant vu reproché davoir pris danciennes poutres de bronze du Panthéon pour les utiliser pour le baldaquin de la basilique de Saint-Pierre.
- «Bos cretatus» (II, 7, 3) : «buf blanchi à la craie». Souvenir probable de Juvénal : «duc in Capitolia magnum / cretatunque bovem» : «Conduis au Capitole un buf énorme et blanchi à la craie» (Satires, X, 65-66). Les victimes destinées aux dieux du ciel (ici à Jupiter) devaient être de couleur claire ; mais Hugo se trompe : les aruspices, dont la fonction était divinatoire, navaient rien à voir avec cet usage des sacrifices.
- «Brutus» (IV, 14, 1) : Romain qui décida, par fidélité aux principes républicains, de fomenter un coup d'État «légaliste» contre le dictateur quétait César.
- «Castratus ad castra» (III, 4, 1) : «Le châtré au camp».
- «casus belli» (I, 3, 7) : «cas de guerre».
- «Christus nos liberavit» (I, 5, 11) : «Le Christ nous a affranchis» (saint Paul, Gal., V, 1).
- «commensal» (I, 4, 3) : «compagnon de table».
- «Contra Gracchos Tiberim habemus. Bibere Tiberim, il est seditionem oblivisci.» (III, 1, 10) : «Contre les Gracques nous avons le Tibre. Boire le Tibre, cest oublier la sédition.»
- «Currit rota» (III, 1, 4) : «La roue tourne», expression empruntée à lArt poétique dHorace.
- «Deo erexit Voltaire» (II, 7, 8) : «Voltaire a érigé [cette église] à Dieu.» Inscription gravée sur la façade de léglise de Ferney, élevée par Voltaire en 1770.
- «De profundis» (II, 8, 6) : «Des profondeurs». Début dun psaume qui devint un chant funèbre de la liturgie catholique.
- «Ecce Paris, ecce homo» (III, 1, 10) : «Voici Paris, voici lhomme.» Ainsi Paris était assimilé à la fois au Christ et à lhumanité entière.
- «Est modus in rebus» (I, 3, 7) : «Il y a une mesure en tout» (Horace, Satire, 1, 106).
- «Et lux perpetua luceat ei.» (II, 8, 6) : «Et que la lumière sans fin luise pour elle.»
- «facit indignatio» (IV, 10, 2) : «Lindignation fait» (Juvénal, Satires, I, 79).
- «Fex urbis» (III, 1, 12) : «Lie de la ville» (Cicéron, Ad Att., I, 16, 11).
- «Fex urbis, lex orbis» (V, 1,1) : «Lie de la ville, loi du monde.» (saint Jérôme).
- «Fodit, et in fossa thesauros condit opaca, / As, nummos, lapides, cadaver, simulacra, nihilque» (II, 2, 2) : «Il creuse, et, dans une fosse obscure, cache des trésors / Un sou, des pièces, des cailloux, un cadavre, des images et rien». Il sagit de vers de Tryphon, qui écrit en effet un «latin barbare», employant «as» pour «assem».
- «Foliis ac frondibus» (IV, 3, 3) : «De feuilles et de branchages», souvenir de Lucrèce, De rerum natura, V, 971).
- «gémonies» (III, 1, 10 - IV, 3, 8) : «escalier de la Rome impériale, où les corps des suppliciés étaient exposés publiquement» ; doù «gémonies» (IV, 3, 8) : «condamnations».
- «graeculus» (III, 1, 10) : diminutif méprisant de «Graecus», Grec.
- «Gula» (II, 1, 7) : bouche. «Gulax» (I, 3, 7) est un barbarisme de Tholomyès, et peut-être de Hugo.
- «Hanc igitur oblationem» (II, 8, 3) : «Cette offrande donc». Ce sont, au cours de la messe, les premières paroles des prières préparatoires à la consécration.
- «Hercle» (IV, 11, 4) : «Par Hercule». Mais Bahorel prétend que «Cela veut dire sacré nom dun chien en latin.»
- «Hic jaceo, vixi annos viginti et tres» (II, 6, 11) : «Je gis ici, jai vécu vingt-trois ans.»
- «Hoc erat in fatis» (II, 1, 13) : «Cela était dans les destins» (à peu près inspiré de la formule dHorace : «Hoc erat in votis» (Satire, II, 6, 1).
- «Homo et Vir» (III, 4, 1) : «Être humain et mâle».
- «Homuncio» (III, 1, 1) : Petit être. On trouve lexpression chez Pétrone, Juvénal, Cicéron, et, alors que Hugo ajouta : «dirait Plaute», celui-ci (dans Captifs, 51, Rudens, 66), employa plutôt «homunculus».
- «Hortus conclusus» (II, 6, 11) : «Jardin fermé», expression empruntée au Cantique des cantiques (IV, 12) : «Cest un jardin fermé que ma sur fiancée
».
- «Immortale jecur» (titre de V, 6, 4) : «Foie immortel». Début dun vers de Virgile (Énéide, VI, 598) dans un passage où il évoque le supplice de Tityos, condamné aux enfers à avoir le foie sans cesse rongé par «un monstrueux vautour». Pour les Anciens, le foie était, comme notre cur, le siège des passions. On pourrait donc traduire : «cur immortel».
- «Imparibus meritis pendent tria corpora ramis : / Dismas et Gesmas, medis est divina potestas ; / Alta petit Dismas, infelix, infima Gesmas. / Nos et res nostras conserver summa potestas. / Hos versus dicas, ne tu furto tua perdas.» (II, 6, 6) : «De mérite inégal, trois corps sont pendus à des arbres (des croix) : Dismas et Gesmas, au milieu deux la divine puissance ; Au ciel aspire Dismas, à lenfer linfortuné Gesmas. Nous et nos biens, que nous garde la suprême puissance. Dis ces vers pour quun vol ne te fasse pas perdre tes biens.»
- «incitatus» (III, 4, 4) : «lancé au galop».
- «Inferi» (III, 7, 1) : «Les enfers».
- «in-folio» (I, 2, 11) : «livre obtenu par une feuille dimpression pliée en deux, formant quatre pages» (dimensions : un mètre par quatre-vingt centimètres).
- «Ingens» (IV, 1, 5) : «Énorme», terme avec lequel Virgile, dans lÉnéide, décrivit Polyphème.
- «Initium sapientiae» (III, 4, 3) : «Commencement de la sagesse» : fin dune formule de lÉcriture : «La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse» (Proverbes, I, 7 - Ecclésiaste, I, 14).
- «in-pace» (II, 7, 3) : cachot, prison dun couvent où on enfermait à perpétuité certains coupables scandaleux.
- «inter pocula» (I, 1, 8) : «au milieu des coupes», cest-à-dire «tout en buvant».
- «Invenerunt parvulum pannis involutum» (V, 1, 16) : «Ils trouvèrent un tout-petit enveloppé de langes.» (saint Luc, II, 12 et 16).
- «legere vel scribere non addiscerit sine expressa superioris licentia» (II, 6, 2) : Hugo, qui a commis un barbarisme («addiscerit»), donna aussi une mauvaise traduction : «ne pouvant lire ni écrire quoi que ce soit sans permission expresse» ; il faudrait plutôt : «quelle napprenne à lire ni à écrire sans permission expresse de la supérieure».
- «Lux facta est» (III, 6, 2) : «La lumière fut» (Genèse, I, 3).
- «Magnates mulieres» (II, 6, 5) : «Les grandes dames».
- «Mortuus pater filium moriturum expectat» (titre de V, 1, 17) : «Le père mort attend son fils qui va mourir.»
- «Nemo regulas, seu constitutiones nostras, externis communicabit» (II, 6, 5) : «Personne ne communiquera nos règles ou nos constitutions à des étrangers».
- «Nil et Ens» (I, 1, 13) : «Le Néant et lÊtre».
- «Nil sub sole novum» (I, 3, 8) : «Il ny a rien de nouveau sous le soleil» (Écclésiaste, I, 9).
- «Non licet omnibus adire Corinthum» (IV, 11, 3) : «Il nest pas permis à tous daborder à Corinthe». Souvenir dun proverbe latin, traduit du grec et cité par Horace : «Non cuivis homini contingit adire Corinthum» (Épitres, I, 17, 36). Corinthe était, à lépoque romaine, un grand port de commerce et une grande ville de plaisir, où négociants et matelots engloutissaient leurs gains ou leurs soldes.
- «Non pluribus impar» (II, 1, 18) : légère déformation de la devise de Louis XIV, «Nec pluribus impar», «non inégal à plusieurs», litote pour «supérieur à tous».
- «Nunc te, Bacche, canam !» (I, 3, 7) : «Maintenant, cest toi, Bacchus, que je chanterai» (Virgile, Géorgiques, II, 2).
- «nymphes de Virgile» (III, 6,8) : «divinités secondaires qui peuplent la campagne, les bois et les eaux, sont les esprits des champs et de la nature, dont elles personnifient la fécondité et la grâce» ; elle furent souvent évoquées par le poète latin Virgile dans lÉnéide.
- «para bellum» (IV, 11, 4) : «Prépare la guerre», fin de ladage «Si vis pacem, para bellum», «Si tu veux la paix, prépare la guerre.»
- «Parvulus» (III, 1, 1) : «Tout petit».
- «Pigritia» (IV, 7, 1) : Paresse.
- «Post corda lapides» (II, 6, 8) : «Après les curs les pierres».
- le «potier latin» auquel Hugo fait allusion dans : «Lesprit de Paris, ce démon qui crée les enfants du hasard et les hommes du destin, au rebours du potier latin, fait de la cruche une amphore.» (III, 1, 4) est une référence à lÉpître aux Pisons dHorace où le poète latin met en garde lartiste contre léchec de ses intentions : «Tu as commencé à tourner une amphore : la roue tourne ; pourquoi ne vient-il quune cruche?»
- «prompte, hilariter, perseveranter et caeca quadam obedientia» (II, 6, 2) : la traduction est donnée par Hugo : «tout de suite, avec bonheur, avec persévérance, avec une certaine obéissance».
- «punique» (II, 1, 6) : «relatif aux colonies phéniciennes dAfrique et spécialement à Carthage» ; en parlant du «travail punique» que firent les Anglais à Waterloo, tendant un «piège», «leur artillerie étant en embuscade sous les broussailles», Hugo évoqua la ruse, la perfidie attribuées aux Carthaginois, en particulier à Hannibal.
- «Quadrifons» (III, 8, 3) : «Qui a quatre fronts, quatre visages», épithète de Janus.
- «quasi cursores» (III, 4, 1) : «comme des coureurs» (Lucrèce, II, 79).
- «quasi limam in manibus fabri» (II, 6, 2) : la traduction est donnée par Hugo : «comme la lime dans la main de louvrier».
- «quia multum amavit» (I, 1, 13) : «Parce quelle a beaucoup aimé» : fin dune parole du Christ sur la pécheresse repentie : «Ses nombreux péchés lui sont pardonnés parce quelle a beaucoup aimé.»
- «Quia nominor leo» (III, 4, 5) : «Parce que je mappelle lion.» (Phèdre, Fables, I, 6).
- «Quid divinum» (V, 1, 12) : «Quelque chose de divin.»
- «Qui dormiunt in terrae pulvere evigilabunt ; alii in vitam aeternam, et alii in opprobrium, ut videant semper.» (II, 8, 6) : «Ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront ; les uns pour la vie éternelle, et les autres pour la honte, pour quils voient toujours
»
- «Quid obscurum, quid divinum» (II, 1, 5) : «Quelque chose dobscur, quelque chose de divin».
- «Quis properantem me prehendit pallio?» (III, 1, 10) : «Qui me prend par mon manteau, alors que je me hâte?». Réplique de Thesprion, au premier vers de lÉpidique de Plaute.
- «Quot libras in duce» (II, 1, 16) : «Combien de livres dans le général», cest-à-dire : «Que pèse le général». Souvenir de Juvénal qui écrivit : «Expende Hannibalem ; quod libras in duce summo invenies» («Pèse Hannibal : combien de livres trouveras-tu à ce grand général?», Satires, X, 147 -148).
- «Regia ac pane Tyrannica» (V, 1, 2) : «Des choses de roi et presque de tyran», traduction, que venait de donner Hugo, dEutrope (Abrégé de lhistoire romaine, VII, 20).
- «Requiem aeternum dona ei, Domine» (II, 8, 6) : «Donne-lui, Seigneur, le repos éternel.»
- «Requiescant» (III, 3, 3) : «Quils reposent».
- «Res angusta» (III, 4, 6) : «Létroitesse» (de la vie domestique). Dans Juvénal (Satires, III, 164-165).
- «Resquiescat in pace.» (II, 8, 6) : «Quelle repose en paix.»
- «Ridet Caesar, Pompeius flebit» (II, 1, 7) : «César rit, Pompée pleurera.»
- «Scabra rubigine» (II, 1, 7) : La «rouille rugueuse», dont Virgile dit, dans Les géorgiques (I, 495), quelle ronge des javelots.
- «Sic vos non vobis» (II, 1, 19) : «Ainsi ce nest pas pour vous
», début fréquemment cité dune épigramme de Virgile.
- «sinite parvulos» (I, 1, 10) : début de la phrase du Christ : «Sinite parvulos ad me venire» : «Laissez venir à moi les tout-petits» (Marc, X, 14).
- «Si volet usus» (III, 4, 4) : «Si lusage le veut» (Horace, Art poétique, 71).
- «Solem quis dicere falsum audeat?» (V, 1, 16) : «Qui oserait accuser le soleil de mensonge?» (Virgile, Géorgiques, I, 463-464).
- «Solus cum solo, in loco remoto, non cogit abuntur orare pater noster» (III, 8, 13) : «Seul à seul, dans un lieu écarté, on ne pensera pas quils disent le Notre-Père».
- «Stat crux dum volvitur orbis.» (II, 8, 3) : «La croix demeure tandis que tourne le monde.»
- «Sylvae sint consule dignae !» (III, 2, 6) : «Que les bois soient dignes dun consul !» (Virgile, Les bucoliques, IV, 3).
- «Tibère» (IV, 8, 6) : empereur romain célèbre pour sa cruauté.
- «Timbraeus Apollo» (IV, 12, 2) : Jeu de mots sur lun des surnoms dApollon : «Thymbraeus Apollo» (Virgile, Géorgiques, IV, 323).
- «Tu es Petrus et super hanc petram» (III, 4, 1) : «Tu es Pierre et sur cette pierre
»
- «Turris eburnea» (V, 5, 2) : «Tour divoire». Cest lune des invocations des litanies de la Vierge.
- «Urbi et orbi» (V, 2, 1) : la traduction de cette formule de bénédiction du pape est donnée par Hugo : «À la cité et à lunivers».
- «Urbis amator [
] ruris amator, comme Flaccus» (III, 1, 5) : «Amant de la ville [
] amant de campagne» (adaptation dun passage dHorace [Épitres, I, 10, vers 1-2]).
- «ut voci Christi» (II, 6, 2) : la traduction est donnée par Hugo : «à la voix du Christ».
- «Vade retro» (V, 7, 2) : Début des paroles de Jésus au tentateur : «Vade retro me, Satana.» , «Retire-toi de moi, Satan» (Évangile de saint Marc, VIII, 33).
- «Vae victis !» (IV, 12, 2) : «Malheur aux vaincus !» Souvenir de Tite-Live (Histoire romaine, V, 48).
- «vermis sum» (I, 1, 10) : «Je suis un vers» (Psaumes, XXII, 7).
- «Vitaï lampada tradunt» (V, 1, 20) : «Ils se transmettent le flambeau de la vie» (Lucrèce, De rerum natura II, 79).
- «Volaverunt» (II, 6, 11) : «Elles se sont envolées.»
Le monde musulman :
- «fakir» (III, 3, 8) : «ascète musulman de lInde», qui vit daumônes, pratique le jeûne et les mortifications.
- «hammal» (III, 1, 10) : «porteur turc».
- «odalisque» (II, 7, 2) : Hugo, comme beaucoup décrivains, employa improprement ce mot au sens de femme appartenant au harem dun sultan.
- «santon» (II, 7, 3) : «ascète musulman», «marabout».
LItalie :
- «larlequin des guenilles» (IV, 3, 8) : le personnage de la «commedia dellarte» quest Arlequin porte un costume qui est fait de losanges multicolores qui représenteraient ses multiples facettes, ainsi que sa pauvreté (vêtements rapiécés).
- Dante (II, 6, 6) : poète, homme politique et écrivain italien du XIVe siècle, auteur de La divine comédie, dans la première partie de laquelle on trouve la mention de «cercle de lenfer» (V, 3, 1), du «septième cercle» (V, 7, 1), zones où sont punies toutes les sortes de violents. Dante chanta Béatrice à laquelle est implicitement comparée Cosette.
- «Faccia gialluta, fa o miracolo» (I, 3, 2) : «Face jaune, fais ton miracle !» (traduction donnée par Hugo).
- «in petto» (IV, 10, 3) : «en secret».
- «lazzarone» (III, 1, 10) : de Lazzaro, le Lazare de lÉvangile, ressuscité par le Christ, nom donné à un lépreux, puis, péjorativement, à un homme de peu, une fripouille.
- Pétrarque (II, 6, 6) : poète et humaniste italien du XIVe siècle, qui chanta Laure à laquelle est implicitement comparée Cosette.
- «postulatore di santi» (III, 3, 3) : Avocat des saints (traduction donnée par Hugo).
- «transtévérin» (III, 1, 10) : «du quartier populaire de Rome qui se trouve de lautre côté du Tibre».
LEspagne :
- «descamisados» (II, 2, 3) : «sans chemise», surnom des révolutionnaires espagnols.
- «el rey neto» (II, 2, 3) : «le roi pur et simple».
- «Fueros y fuegos» (III, 4, 1) : «Franchises et foyers», formule de ralliement des libéraux espagnols.
- «hombre» (III, 4, 1) : «homme».
- «majo» (III, 1, 10) : «jeune homme qui cherche à se faire valoir».
LAllemagne :
- «rencontrer Faust sur le Brocken» (IV, 6, 12) : réunion imaginaire de deux grandes figures de la mythologie allemande : le docteur Faust, le héros d'un conte populaire, qui a contracté un pacte avec le diable qui lui offre une seconde vie, et la montagne du Harz où les sorcières étaient censées se réunir pendant la «nuit de Walpurgis».
- «thalweg» (V, 3, 4) : formé des mots allemands «Thal» («vallée») et «Weg» («chemin»), le terme désigne la «ligne de collecte des eaux».
- «tugendbund» (III, 4, 1) : «ligue de la vertu», nom dune association patriotique fondée en Allemagne vers 1809.
- «Werther» (III, 3, 6) : Héros du roman épistolaire de Goethe Die Leiden des jungen Werthers (Les souffrances du jeune Werther), publié en 1774, que sa sensibilité et son amour sans espoir conduisent au suicide. Aussi Hugo fait-il cette antithèse : «La gaîté de Géronte choque et exaspère la mélancolie de Werther.» (III, 3, 6).
LAngleterre :
- «boys» (II, 1, 6) : «garçons» indiqua Hugo entre parenthèses.
- «cockney» (III, 1, 10) : «Londonien de la classe ouvrière et habitant l'est de la ville».
- «cotton is king» (III, 4, 4) : «le coton est roi.»
- «Henri VIII» (IV, 8, 6) : roi dAngleterre célèbre pour sa cruauté.
- «high life» (V, 9, 4) : «vie mondaine», «grande vie».
- «iron-duke» (II, 1, 16) : «duc de fer» (surnom de Wellington).
- «iron-soldier» (II, 1, 16) : «soldat de fer».
- «keepsake» (II, 1, 3) : «livre-album, généralement illustré de fines gravures» ; à lépoque romantique, il était de mode de loffrir en cadeau, comme souvenir.
- «mob» (III, 1, 12) : «populace».
- «Please adjust your dress before leaving» (II, 1, 2) : «Prière darranger votre vêtement avant de sortir».
- «railway» (II, 4, 1) : «chemin de fer».
- «time is money» (III, 4, 4) : «le temps, cest de largent».
- «water-closets» (II, 1, 2) ou «W.C.» : «lieux daisance».
- «Windsor-soaps» (IV, 6, 2) : «savons parfumés».
- «workman» (II, 1, 16) : «travailleur».
La France du Moyen-Âge :
- les «vieux poëmes de Gestes», que montrent les «anciennes fresques murales» (V, 1, 21) : on parle plus communément de «chansons de geste», longs poèmes relatant des épopées légendaires mettant en scène les exploits guerriers de rois ou de chevaliers.
La France de lAncien Régime :
- citation, donnée en respectant lancienne orthographe, du discours prononcé en mai 1588 par Guillaume du Vair, prélat, homme politique et écrivain moraliste français, garde des sceaux sous Louis XIII (IV, 1, 1).
- «cordon bleu» (III, 2, 4 - III, 3, 1) : «insigne de lordre du Saint-Esprit».
- «dragonnades» (I, 1, 10) : «opérations dapostolat brutal menées, sous le règne de Louis XIV, en pays protestant, et où les dragons jouèrent un rôle terrible».
- «faux saulnier» (IV, 10, 2) : «celui qui fabriquait et vendait du sel en fraude».
- «gabelle» (IV, 10, 2) : «taxe sur le sel prélevée en France».
- «manant» (II, 8, 1) : «paysan». Hugo, en qualifiant Fauchelevent de «demi-bourgeois, demi-manant», cite La Fontaine (Fables, IV, 4) ; aussi se trompe-t-il quand il prétend que cette expression est du «vocabulaire impertinent et léger du dernier siècle».
- «queue-rouge» (III, 8, 14 - IV, 6, 2) : «clown portant une perruque dont la queue était nouée dun ruban rouge».
- «Régence» (V, 5, 3) : «période pendant laquelle, à la suite de la mort de Louis XIV, son neveu, Philippe d'Orléans dit le Régent, gouverna la France.
LAmérique du Nord :
- «wigwam» (II, 7, 1) : «habitation, tente ou hutte, des Amérindiens», et non, comme le crut Hugo, un sanctuaire.
Hugo fut animé du souci dune information documentaire dune exactitude presque constante, un souci de la couleur locale et du détail vrai, des «choses vues» dans la rue (on le constate en particulier dans le chapitre Origine de Fantine) ou les assemblées politiques, non sans cesse mêler au vrai lidéal, à lobservation, lépopée. Comme Balzac, il ne répugna pas à rendre compte avec précision des réalités économiques, indiquant même des chiffres. Ainsi quand, en I, 1, 1, on a droit à la «Note pour régler les dépenses de ma maison» dressée par M. Myriel ; quand, en IV, 1, 1, est indiqué la recette pour la confection de balles ; quand, en V, 5, 4, il est annoncé que «Mademoiselle Euphrasie Fauchelevent a six cent mille francs», soit environ cent soixante millions deuros.
Mais ce souci fut souvent quelque peu maniaque.
Ainsi, Les misérables offrent un tableau précis de Paris au XIXe siècle (II, 5, 1, 2, 3 - II, 6, 1 - III, 1, 10), certains commentateurs se vouant dailleurs surtout à gloser sur mille détails de topographie, situant chacune des rues ou des monuments cités sur un plan exact, nous informant des suppressions ou des changements de noms, signalant quau contraire le Petit-Picpus est un quartier imaginaire où Hugo, qui, par ailleurs, se montra intéressé à lurbanisme, transposa les caractéristiques du quartier Saint-Victor. Il se plut à exploiter le pittoresque des «égouts de Paris». On constate quil eut le sens des ensembles populaires : faubourg Saint-Marceau, faubourg Saint-Antoine, ayant senti quil y avait là comme une ville nouvelle où les immigrants sentassaient aux portes de la ville ancienne. Il nota le jour «où Paris était entré dans le faubourg Saint-Marceau» (II, 4, 1).
Il tint aussi à insérer dans le texte de II, 8, 9 le «fac-similé exact» du «papier monnaie royaliste» qui ornait le mur de la chambre occupée par Fauchelevent et Jean Valjean au couvent du Petit-Picpus, ce qui est tout à fait inutile ! dans le texte de IV, 1, 1, figure un autre papier qui, au contraire, témoigne des activités de groupes révolutionnaires en 1830, dont, Hugo indique, «nous reproduisons la configuration à cause de lintérêt historique ce ces étranges documents»
Pour écrire le paragraphe de III, 8, 19 où «Jondrette» déclare à «M. Leblanc» avoir «voulu faire apprendre à [s]es deux filles le cartonnage demi-fin, le cartonnage des boîtes détrennes», il recueillit des renseignements sur cette industrie : «six pages serrées» de documentation !
Pour Lintestin de Léviathan, il puisa sa documentation dans une Statistique des égouts de Paris, publiée dans les années 40.
Il emprunta lidée du chapitre (V, 2, 1) intitulé La terre appauvrie par la mer à une brochure de Pierre Leroux, Aux États de Jersey sur un moyen de quintupler, pour ne pas dire plus, la production agricole du pays.
Il fut intéressé par le progrès technique :
Si les Détails sur les fromageries de Pontarlier, «une industrie toute patriarcale et toute charmante» (I, 2, 4), une possibilité de travail ultérieur proposé par M. Myriel à Jean Valjean mais qui ne sera jamais adopté, sont tout à fait superfétatoires, si le chapitre intitulé Histoire dun progrès dans les verroteries noires (I, 5, 1) nest guère plus utile (mais, en 1829-1830 déjà, Hugo se documentait sur elles, qui feront à Montreuil-sur-mer la fortune de M. Madeleine), on lit que «Combeferre croyait à tous ces rêves : les chemins de fer, la suppression de la souffrance dans les opérations chirurgicales, la fixation de limage de la chambre noire, le télégraphe électrique, la direction des ballons.» (III, 4, 1). Or tous ces rêves furent réalisés entre 1830 et 1860 : construction des grands réseaux de chemin de fer de 1837 à 1848 ; anesthésie en 1847 ; première ligne télégraphique Paris-Rouen en 1844 ; procédés chimiques pour fixer limage de la chambre noire en 1840 par Fox Talbot ; dirigeable de Giffard en 1852. Et Enjolras sexalte : «Nous avons dompté lhydre, et elle sappelle le steamer ; nous avons dompté le dragon, et il sappelle la locomotive ; nous sommes sur le point de dompter le griffon, nous le tenons déjà, et il sappelle le ballon. Le jour où cette uvre prométhéenne sera terminée et où lhomme aura définitivement attelé à sa volonté la triple Chimère antique, lhydre, le dragon et le griffon, il sera maître de leau, du feu et de lair, et il sera pour le reste de la création animée ce que les anciens dieux étaient jadis pour lui.» (V, 1, 5).
I'habile conduite commerciale de M. Madeleine est décrite avec le même enthousiasme et la même précision que dans les romans de Balzac.
Il fut préoccupé par les questions sociales, passa en revue les misères sociales.
Il envisagea plusieurs classes sociales. Mais il y a peu daristocrates parmi ses personnages, sinon M. Myriel et sa sur, créatures dexception qui gardent néanmoins la marque de leur classe. Le milieu bourgeois est représenté surtout par M. Gillenormand, Hugo ayant indiqué dans une note préparatoire : «La poésie na pas le droit de dédaigner le bourgeois heureux. Le bourgeois heureux a son rythme. Le canard sur la mare est une harmonie comme le cygne sur le lac, comme laigle sur lOcéan.» Sont plus nombreux les étudiants aux tendances libérales. Le peuple est représenté par des immigrants provinciaux qui, en ces années, sombraient dans la misère ; ainsi Fantine, ouvrière venue du Nord, qui se perd dans labîme parisien où elle devient une prostituée ; ainsi les Thénardier, dont le romancier analysa avec précision les causes de leur passage du petit commerce au crime ; aussi peut-on considérer que le peuple quil montra mendie ou se vend trop, et ne travaille pas assez pour être le vrai peuple. Mais il y avait en France, sous Louis-Philippe, des millions dindigents. Cette vérité des statistiques, il la rendue sensible, inoubliable. Il accorda beaucoup dintérêt à la pègre avec la bande de Patron-Minette. Enfin, il suscita ces deux êtres inclassables parce que tous deux aux marges de la société : Javert et Jean Valjean. On a pu critiquer Les misérables pour leur simplification caricaturale de la société.
Cet intérêt, il le transmit à son personnage de Jean Prouvaire, qui «approfondissait les questions sociales : le salaire, le capital, le crédit, le mariage, la religion, la liberté daimer, léducation, la pénalité, la misère, lassociation, la propriété, la production et la répartition, lénigme den bas qui couvre dombre la fourmilière humaine.» (III, 4, 1).
Le chapitre Les mines et les mineurs (III, 7, 1) est une digression où il se lança dans un tableau de lorganisation de «la construction sociale» qui est «minée» d«excavations de toutes sortes» : «Il y a la mine religieuse, la mine philosophique, la mine politique, la mine économique, la mine révolutionnaire.»
Il opposa à «lhistorien des événements», qui «a la surface de la civilisation, les luttes des couronnes, les naissances de princes, les mariages de rois, les batailles, les assemblées, les grands hommes publics, les révolutions au soleil, tout le dehors», «lhistorien des murs et des idées» qui «a l'intérieur, le fond, le peuple qui travaille, qui souffre et qui attend, la femme accablée, I'enfant qui agonise, les guerres sourdes d'homme à homme, les férocités obscures, les préjugés, les iniquités convenues, les contre-coups souterrains de la loi, les évolutions secrètes des âmes, les tressaillements indistincts des multitudes, les meurt-de-faim, les va-nu-pieds, les bras-nus, les déshérités, les orphelins, les malheureux et les infâmes, toutes les larves qui errent dans I'obscurité. Il faut qu'il descende, le coeur plein de charité er de sévérité à la fois, comme un frère et comme un juge, jusqu'à ces casemates impénétrables où rampent pêle-mêle ceux qui saignent et ceux qui frappent, ceux qui pleurent et ceux qui maudissent, ceux qui jeûnent et ceux qui dévorent, ceux qui endurent le mal et ceux qui le font.» (IV, 7, 1).
Il semble bien sêtre désigné lui-même quand il parla de «lobservateur des maladies sociales» (V, 1,1).
On peut donc distinguer dans Les misérables :
Un tableau de lenfance malheureuse : À travers les cas du Savoyard quest Petit-Gervais, des enfants des Thénardier et de Cosette, Hugo traita le thème de la maltraitance physique et psychologique envers les enfants au XIXe siècle, cette réalité nouvellement perçue parcourant alors la littérature populaire.
Ce sont les sept petits frères affamés de Jean Valjean qui déclenchent lintrigue car cest pour eux quil vole un pain. Mais, au bagne, il les perd de vue ; au bout de quatre ans, il les a presque oubliés ; il ne les revoit jamais, car ils se sont fondus dans la nature, ont disparu, sont morts ou sont devenus des vagabonds pendant son incarcération. Le destin de Fantine est obéré par son enfance : étant sans parents, elle est vouée à être abusée. Et sa fille, Cosette, serait condamnée au même destin si elle nétait sauvée par Jean Valjean. Les Thénardier manipulent leurs filles, vendent ou abandonnent leurs garçons, et, si Gavroche recueille ses petits frères, ils sont ensuite perdus et disparaissent eux aussi.
Il dénonça le travail des enfants (en 1841, il était de huit heures par jour pour les 8-12 ans, de douze heures pour les 12-16ans)
Hugo le martèle dans son roman : lenfant nest rien, tout au plus une chose quon vend, quon échange, quon perd ou quon oublie, quon martyrise gratuitement, pour se venger de la vie, comme cest le cas de Cosette. Lenfant devint ainsi le symptôme du malaise civilisationnel des sociétés en mutation.
Un tableau de l«hideuse contre-société occulte qui vit sous la société publique» (IV, 6, 1) : Hugo, qui montra toujours de la curiosité pour les bas-fonds, fit des enquêtes dans les bouges, constata dans Les misérables : «Les villes, comme les forêts, ont leurs antres où se cachent tout ce quelles ont de plus méchant et de plus redoutable. Seulement, dans les villes, ce qui se cache ainsi est féroce, immonde et petit, cest-à-dire laid ; dans les forêts, ce qui se cache est féroce, sauvage et grand, cest-à-dire beau. Repaires pour repaires, ceux des bêtes sont préférables à ceux des hommes. Les cavernes valent mieux que les bouges.» (III, 8, 6). Mais il se pencha sur les causes sociales des comportements criminels, nous fait réfléchir et nous inciter à ne pas condamner systématiquement certains agissements.
Mais il considéra que parfois la foule soppose au peuple. Il le fit en particulier dans son jugement sur «la fatale insurrection de juin 1848» où se manifesta «la sainte anxiété du travail réclamant ses droits» (V, 1, 1) : «Il arrive quelquefois que, même contre les principes, même contre la liberté, légalité et la fraternité, même contre le vote universel, même contre le gouvernement de tous par tous, du fond de ses angoisses, de ses découragemets, de ses dénûments, de ses fièvres, de ses détresses, de ses miasmes, de ses ignorances, de ses ténèbres, cette grande désespérée, la canaille, proteste, et que la populace livre bataille au peuple. / Les gueux attaquent le droit commun ; lochlocratie sinsurge contre le démos. / Ce sont des journées lugubres ; car il y a toujours une certaine quantité de droit même dans cette démence, il y a du suicide dans ce duel ; et ces mots, qui veulent être des injures, gueux, canaille, ochlocratie, populace, constatent, hélas ! plutôt la faute de ceux qui règnent que la faute de ceux qui souffrent ; plutôt la faute des privilégiés que la faute des déshérités.» (V, 1, 1). Auparavant, il avait déjà noté : «Quelquefois le peuple se fausse à lui-même. La foule est traître au peuple.» (IV, 10, 2)
Un tableau de la prison : Hugo fit aussi des enquêtes dans les prisons qui lui inspirèrent, dans le livre IV, 2, intitulé Éponine, le chapitre intitulé : Formation embryonnaire des crimes dans lincubation des prisons (IV, 2, 2) où, à propos de la détention de Thénardier et de ses complices, Hugo décrivit ce monde dune façon assez saisissante.
Un tableau du bagne. Hugo fit encore des enquêtes sur les bagnes de Brest et de Toulon, ce qui lui permit de le faire évoquer dabord à M. Myriel par Jean Valjean, qui est marqué à jamais à cause du «livret jaune» qui ne permet pas de retrouver du travail à la sortie, et condamne à tomber ou retomber dans le crime. Et «les trois lettres T.F.P.» (I, 7, 11) pour «Travaux Forcés à Perpétuité» sont imprimées au fer rouge sur lépaule droite du condamné.
Puis le tableau du bagne réapparaît dans Tempête sous un crâne.
Le chapitre IV, 3, 8, La cadène montre le passage des condamnés de tout le pays partant des prisons pour rejoindre leur lieu daffectation, et traversant la France : «Sept voitures marchaient à la file sur la route [
] Sur ces échelles étaient traînées détranges grappes dhommes. Dans le peu de jour quil faisait, on ne voyait pas ces hommes, on les devinait. Vingt-quatre sur chaque voiture, douze de chaque côté, adossés les uns aux autres, faisant face aux passants, les jambes dans le vide, ces hommes cheminaient ainsi ; et ils avaient derrière le dos quelque chose qui sonnait et qui était une chaîne et au cou quelque chose qui brillait et qui était un carcan. Chacun avait son carcan mais la chaîne était pour tous ; de façon que ces vingt-quatre hommes, s'il leur arrivait de descendre du haquet et de marcher, étaient saisis par une sorte d'unité inexorable et devaient serpenter sur le sol avec la chaîne pour vertèbre à peu près comme le mille-pieds [...]. La troupe d'escorte maugréait ; les enchaînés ne soufflaient pas ; de temps en temps on entendait le bruit d'un coup de bâton sur les omoplates ou sur les têtes [...]. Une vieille femme dans la foule les montrait du doigt à un petit garçon de cinq ans, et lui disait: "Gredin, cela t'apprendra."», cette dernière note suggérant la visée sans doute «pédagogique» pour la population des villes et des villages quon voulait donner à ce spectacle terrible.
Enfin, Jean Valjean dresse un tableau du bagne pour le «truand Montparnasse qui a tenté de le voler et de le tuer» : «Tu boiras de l'eau, tu mangeras du pain noir, tu dormiras sur une planche avec une ferraille rivée à tes membres dont tu sentiras la nuit le froid sur ta chair ! Tu briseras cette ferraille, tu t'enfuiras, c'est bon. Tu te traîneras sur le ventre dans les broussailles et tu mangeras de I'herbe comme les brutes des bois. Et tu seras repris. Et alors tu passeras des années dans une basse-fosse, scellé à une muraille, tâtonnant pour boire à ta cruche, mordant dans un affreux pain de ténèbres dont les chiens ne voudraient pas, mangeant des fèves que les vers auront mangées avant toi. Tu seras cloporte dans une cave [. . .]. Tu seras tondu ras, avec une casaque rouge et des sabots. Tu veux une bague au doigt, tu auras un carcan au cou. Et si tu regardes une femme, un coup de bâton. Et tu entreras là à vingt ans, et tu en sortiras à cinquante ! Tu entreras jeune, rose, frais, avec tes yeux brillants et toutes tes dents blanches, et ta belle chevelure d'adolescent, tu sortiras cassé, courbé, ridé, édenté, horrible, en cheveux blancs !» (IV, 4, 2).
Hugo, comme dautres romanciers du XIXe siècle, condamna le bagne, mode dincarcération qui était une survivance de lAncien Régime ; qui entraînait une déshumanisation progressive, les mécanismes à l'oeuvre dans le processus de réclusion visant à anéantir l'individu, réduit à un numéro, pouvant oublier jusquà son nom ; qui ne permettait en rien une rééducation. Ce fut la disproportion entre les conditions de détention qui tuaient les hommes à petit feu et la minceur de leurs délits initiaux (un vol de pain pour Valjean) qui attira son attention.
Un tableau de la condition ouvrière : en 1848, les adultes travaillent en moyenne douze heurs par jour.
Un tableau du couvent auquel Hugo consacra deux livres : II, 6 (Le Petit-Picpus) et II, 7 (Parenthèse), certainement pour faire une bonne place aux informations qui lui avaient été données par Juliette Drouet, qui avait été pensionnaire au couvent Saint-Michel des Dames du Saint-Sacrement. Il décrivit donc la vie au jour le jour du couvent de bernardines du «Petit-Picpus», le faisant d'ailleurs avec un tact et même une relative compréhension qui sont tout à son honneur.
Cependant, il fut encore porté à réfléchir sur la vocation contemplative par lentrée au Carmel de sa cousine, Marie, qui avait pris le voile en 1858. Doù son acharnement à défendre, contre léditeur Lacroix qui eût voulu le supprimer ou du moins labréger, le livre Parenthèse où il exposa ses idées sur la vie monastique. Le couvent nétait pas seulement pour lui une «idée abstraite» ; cétait une réalité présente, vivante dans sa propre famille.
Par contre, le rituel de linhumation quil inventa pour le pseudo enterrement de Jean Valjean est fantaisiste, comme le prouvent surtout les mots «De profundis» quil fit dire à lenfant de choeur ; ils sont en fait le début du psaume 230, et ne peuvent constituer à eux seuls une réponse ayant un sens.
Dans cette fresque sociale, Hugo récusa à la fois le réalisme conservateur de Balzac et le socialisme paternaliste d'Eugène Sue qui, dans Les mystères de Paris, exposa à plusieurs reprises des programmes dassistance sociale.
Si Hugo privilégia «lhistorien des murs et des idées», il fut aussi un «historien des événements», devant montrer, dans ce roman conçu et composé de part et d'autre de 1848, les changements de la société française de 1815 à 1833 qui expliquaient la déchéance, la stérilité ou lascension de ses personnages. Affirmant en III, 4, 1 : «Nous faisons ici de lhistoire.», il fit ainsi des Misérables un roman historique retraçant lHistoire du XIXe siècle, à travers différents éléments :
Des allusions à la Révolution :
- «la Carmagnole» (V, 1, 1) : chanson révolutionnaire anonyme et très populaire créée en 1792 au moment de la chute de la monarchie (journée du 10 août 1792), qui devint un hymne des sans-culottes.
- «Condorcet» (III, 4, 1) : Philosophe et homme politique qui combattit la peine de mort et lesclavage, et lutta en faveur de légalité des droits.
- «Danton» (III, 4, 1) : Avocat et un homme politique français qui fut un homme dÉtat généreux, un ardent démocrate, un patriote indéfectible.
- «Robespierre» (III, 4, 1) : Avocat et homme politique qui fut le chef du parti extrémiste des «Montagnards», voulut la mort du roi et de la reine, et létablissement dune dictature.
- «93» (III, 4, 1 - IV, 14, 2) : cest la désignation abrégée de lannée 1793 qui fut la plus dramatique de la Révolution car elle vit les exécutions du roi et de la reine, la guerre de la France contre une coalition, la répression contre linsurrection en Vendée, le début de la domination de la Convention par les «Montagnards».
- «un 93» (III, 4, 1) est une reprise de ce qui sétait passé dans lannée 1793. Hugo allait écrire en 1874 un roman intitulé Quatrevingt-treize.
- Quand le père Mabeuf va replacer le drapeau rouge de la barricade, «on croyait voir le spectre de 93 sortir de terre, le drapeau de la terreur à la main.» (IV, 14, 2).
Une évocation de lEmpire à travers celle du «comte H.» (III, 3, 6), son propre père, le général comte Hugo, qui aurait été un des «généraux sous lesquels Georges Pontmercy avait servi» ; à travers la carrière de celui-ci, «un si fier soldat, qui avait gardé sous la République la frontière de France et touché sous lempereur la frontière dAsie, qui avait vu Gênes, Alexandrie, Milan, Turin, Madrid, Vienne, Dresde, Berlin, Moscou» (IV, 13, 3), qui était devenu «chef descadron de cuirassiers», avait combattu héroïquement à Waterloo où Napoléon lui avait crié : «Tu es colonel, tu es baron, tu es officier de la Légion d'honneur» (III, 3, 2).
«Marengo et Friedland» (IV, 12, 3).
Un tableau de la bataille de Waterloo. Hugo se défendit : «Il va sans dire que nous ne prétendons pas faire ici lhistoire de Waterloo», ne voulant pas concurrencer la «pléiade dhistoriens» qui lavaient déjà faite et dont il indiqua les noms dans une note : «Walter Scott, Lamartine, Vaulabelle, Charras, Quinet, Thiers.» (II, 1, 3) ; en fait, il navait pu utiliser les livres de ces deux derniers ; il révéla par ailleurs que sa source principale avait été le livre du lieutenant-colonel Charras : Histoire de la campagne de 1815. Waterloo (1858)]. Et il fit ce reproche : «Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle» (II, 1, 5).
Lui-même se prépara avec un grand soin puisquil tint à visiter soigneusement sur le champ de bataille, ce qui fait quil nourrit abondamment son texte de ses observations personnelles. Et II, 1, livre intitulé Waterloo, est écrit par un narrateur qui se promène en 1861 sur lancien champ de bataille. Il sagit donc dune longue digression dont la finalité narrative nest donnée quà la fin : introduire la rencontre entre Thénardier, sergent et pillard nocturne qui vole le colonel Pontmercy ; celui-ci croyant avoir affaire à son sauveur, fera promettre à son fils de retrouver Thénardier, pour laider, cette méprise du colonel étant lune des clés du roman.
Comme lexistence du «fossé» (II, 1, 7) avait été contestée, il constitua même un dossier justificatif : Waterloo. Chemin creux dOhain. Les paroles quil prêta à Ney furent contestées confirmées par un historien ; au sujet de ce maréchal dEmpire, il faut remarquer que la dernière phrase de I, 1, 12 évoque le fait que, après sa condamnation par la Chambre des pairs où siégeaient plusieurs soldats de lEmpire, il a été fusillé, le 7 octobre 1815. De même fut mise en doute lauthenticité du «Merde !» de Cambronne, et Hugo réunit un dossier justificatif (des divers témoignages, il semble ressortir que si le général na jamais dit : «La garde meurt et ne se rend pas», il a bien hurlé le mot célèbre !). Sil écrivit, au sujet de la déroute, «Pour Napoléon, cest une panique» (II, 1, 16), cest que, comme il lindiqua dans une note, il sappuyait sur lempereur lui-même qui confia, dans ses Dictées de Sainte-Hélène : «Une bataille terminée, une journée finie, de fausses mesures réparées, de plus grands succès assurés pour le lendemain, tout fut perdu par un moment de terreur panique.»
Comme Hugo pratiqua des raccourcis, condensa le temps, il prétendit par exemple que «le duc dEnghien était mort dans le mois même où Napoléon avait été couronné.» (II, 1, 18), par souci volontaire daccentuer un contraste.
Un tableau de la France de la Restauration, à travers des mentions de détail comme celles de :
- «Lauberge des Adrets» (III, 6, 6) : célèbre mélodrame créé en 1823, joué sur le boulevar du crime, et où «Frédérick», cest-à-dire Frédéric Lemaître, jouait le rôle du bandit Robert Macaire.
- «Cartouche» (III, 8, 17) : célèbre brigand du début du XIXe siècle.
Surtout, dans IV, 1, livre intitulé Quelques pages dHistoire, Hugo se voulut historien, affirmant : «Cette remarquable époque est assez circonscrite et commence à s'éloigner assez pour qu'on en puisse saisir dès à présent les lignes principales.» (IV, 1, 1). Sous la Restauration, était imposée aux Français la «Charte constitutionnelle» du 4 juin 1814 qui se voulait un texte de compromis, conservant de nombreux acquis de la Révolution et de l'Empire, tout en rétablissant la dynastie des Bourbons, en accordant un rôle fondamental au roi. Ainsi, larticle 14, dont il est question en III, 4, 4, était un article de la Charte qui lui réservait le pouvoir de faire des ordonnances «pour la sûreté de lÉtat», termes vagues qui suscitaient la méfiance des libéraux ; qui fut invoqué en 1830, lors de la rédaction des ordonnances qui provoquèrent la Révolution de Juillet. Deux Chambres étaient instituées : la Chambre des pairs, composée de nobles nommés par le roi (à vie et héréditairement) et la Chambre des députés des départements élus au suffrage censitaire (les députés devaient payer plus de 1 000 francs dimpôts directs, les électeurs plus de 300) ; ainsi être électeur était un indice daisance et de dignité sociale, ce qui explique que, dans laffaire de Fantine, «monsieur Barnatabois» apparaît à Javert respectable parce quil est «électeur» (I, 5, 13).
Alors que le pouvoir avait réduit des militaires comme Pontmarcy à la demi-solde, les ultra-royalistes considéraient le roi trop pusillanime, et la Charte trop libérale, position que Hugo présenta avec une verve satirique : «Être ultra, cest aller au-delà. Cest attaquer le sceptre au nom du trône et la mitre au nom de lautel. [...] Cest insulter par excès de respect ; cest trouver dans le pape pas assez de papisme, dans le roi pas assez de royauté.» (III, 3, 3). Dans ce milieu, qui «semble étrange comme un monde antédiluvien», évolue M. Gillenormand, qui, dans son affrontement avec Marius, rejetant les révolutionnaires et Napoléon, vilipende les uns et lautre : «C'étaient tous des bandits qui ont servi Robespierre ! Tous des brigands qui ont servi Bu-o-na-parté ! » (III, 3, 8), affectant d'épeler le nom de l'empereur en l'italianisant, comme beaucoup de royalistes pour qui il était : «Logre de Corse, - lusurpateur, - le tyran, - le monstre qui était lamant de ses surs, - lhistrion qui prenait des leçons de Talma, - lempoisonneur de Jaffa, - le tigre, - Buonaparte» (III, 3, 6).
Mais ce milieu fut aussi celui de Hugo dans sa jeunesse, et il indiqua : «Dans le cours de ce récit, lauteur de ce livre a trouvé sur son chemin ce moment curieux de lhistoire contemporaine ; il a dû y jeter en passant un coup dil et retracer quelques-uns des linéaments singuliers de cette société aujourdhui inconnue. Mais il le fait rapidement et sans aucune idée amère ou dérisoire. Des souvenirs affectueux et respectueux, car ils touchent à sa mère, lattachent à ce passé. Dailleurs, disons-le, ce même petit monde avait sa grandeur. On en peut sourire, mais on ne peut ni le mépriser ni le haïr. Cétait la France dautrefois.» (III, 3, 4). Il remplit le chapitre III, 3, 3 de souvenirs de sa jeunesse ultra, en particulier du Conservateur et du Conservateur littéraire. Le drapeau blanc, quil évoqua en I, 8, 5, était un journal ultra qui parut de 1819 à 1827.
Un tableau de la Monarchie de Juillet poursuivi dans Quelques pages dHistoire. On y trouve :
- des considérations quelque peu emphatiques, mais généreuses, sur le peuple et sur I'esprit révolutionnaire de Paris ;
- un portrait de Louis-Philippe marqué par un accent de sympathie (lanecdote de laide quil apporte à un gamin de Paris pour quil achève la poire quil dessinait, reproduction dune caricature devenue célèbre [III, 1, 8]) et un souci déquité (Hugo était devenu un de ses familiers, et le roman évoque ces tête-à-tête du Prince et du Poète) ;
- des réflexions qui plantent le décor politique, qui dénoncent une triste monarchie constitutionnelle. Pour Hugo, par un mouvement d'accélération de l'Histoire, et de dévoilement des conflits, après l'immense engagement de l'été 1830 commença une période où chacun reprit son souffle, avide de repos. Mais, tandis que cette pause représentait une fin en soi pour les gouvernants, qui cherchaient, selon Hugo à «couper les angles et les ongles, ouater le triomphe, emmitoufler le droit, envelopper le géant peuple de flanelle et le coucher bien vite». (IV, 1, 2), celui-ci, déçu, aspirait secrètement à une reprise du mouvement. Et ce fut ainsi quEnjolras et ses amis commencèrent à conspirer pas tant contre le roi que contre un principe : «Ce qu'ils voulaient renverser en renversant la royauté en France, nous l'avons expliqué, c'était l'usurpation de l'homme sur l'homme et du privilège sur le droit dans l'univers entier.» (V, 1, 20).
Le rythme changea dans les années 1831 et 1832. L'attente laissa place à une «fermentation» qui devint «fièvre» et «bouillonnement» vers avril 1832. Puis arrivèrent le 4 juin et le matin du 5, dont l'atmosphère est décrite par Hugo en un long paragraphe situé juste avant l'évocation des funérailles de Lamarque (IV, 10). L'ébullition était parfaitement perceptible : aux premières colères, ténébreuses et mystérieuses, se substituèrent les préparatifs menés au grand jour. La «révolution possible», et plus loin «l'événement possible» (IV, 1, 6) : autant d'expressions qui placent précisément l'insurrection à mi-chemin entre hasard et nécessité.
Le désaccord entre le régime et le peuple s'approfondit, et conduisit à cette convulsion de l'Histoire, à ce basculement fondamentalement imprévisible, impossible à enserrer dans un réseau de causalités, qui survint lors des funérailles très politisées de Jean-Maximilien Lamarque, général républicain et député de l'opposition, cest-à-dire linsurrection des 5 et 6 juin 1832, Hugo tenant à établir que ce ne fut pas une émeute : «La guerre du tout contre la fraction est insurrection, lattaque de la fraction contre le tout est émeute.» (IV, 10,2).
Linsurrection est un événement historique, mais, le plus souvent, les historiens, enclins à une traditionnelle méfiance vis-à-vis des oeuvres littéraires, oeuvres de fiction, oeuvres trompeuses, considèrent avec une pointe de mépris la façon dont Hugo le traita. Sil poursuivit, à certains moments du moins, l'objectif d'écrire minutieusement l'histoire des 5 et 6 juin 1832, à leurs yeux, il pencha outrageusement vers l'imaginaire et l'affabulation.
Selon lui, dans le climat psychologiquement étouffant du printemps 1832, la «fermentation» des idées républicaines, du fait de la mort du général Lamarque qui, ayant «bien servi lEmpereur» et tenu «haut la liberté», était «aimé du peuple», se mua en «bouillonnement». Son cortège funèbre mena à travers Paris une «multitude innombrable» où dominait «un enthousiasme mêlé daccablement». Le gouvernement avait mobilisé «vingt-quatre mille soldats dans la ville et trente mille dans la banlieue». Il y eut une «minute fatale» où «les dragons et la foule se touchaient», et où «la tempête se déchaîne». «En moins dune heure, vingt-sept barricades sortirent de terre» dans le centre de Paris où s'édifie une «sorte de citadelle inextricable, tortueuse, colossale.» (IV, 10, 4). Et Hugo choisit den inventer et den privilégier une, celle de la rue de la Chanvrerie, alors quen fait, celle de la rue du cloître Saint-Merry fut réelle et plus importante. Aussi allait-il indiquer que ses insurgés en entendent, tout au long des combats, le tocsin (quatre références directes y sont faites), et imagina-t-il que «Les deux barricades, quoique matériellement isolées, communiquaient.» (V, 1, 3)
Seulement, ses insurgés avaient, sur leur route, été à la dernière minute, apostrophés par Bossuet, qui les détourna vers rue de la Chanvrerie (IV, 12, 2).
Dune part, annonçant : «Nous allons donc mettre en lumière, parmi les particularités connues et publiées, des choses qu'on n'a point sues, des faits sur lesquels a passé l'oubli des uns, la mort des autres.» (IV, 10, 2), mobilisant de rares souvenirs personnels (il s'était trouvé pris entre deux feux le 5 juin 1832, dit-il, au passage du Saumon : en le traversant, il entendit les balles siffler autour de lui), il se voulut précis, son récit étant remarquable par les indications de la topographie (Hugo, en exil, se plaisant à recréer, des rues et un quartier disparus), les détails déquipement militaire, les multiples petits faits, dont beaucoup sont authentiques, alternant avec les tableaux densemble, létablissement, minute par minute, de la chronologie du déroulement. Cependant, pour la construction de la barricade de la rue de Chanvrerie, il accumula des détails qui tendent à donner à lévénement un air de génération spontanée. Les forces armées qui cernent le quartier insurgé, et qui finissent par prendre d'assaut la barricade de la Chanvrerie sont précisément celles de juin 1832 : sixième légion de la garde nationale, 5e régiment de ligne. Hugo rapporta quune partie des munitions aurait été fournie par un nommé Pépin (IV, 12, 4) ; or ce personnage est bien connu : c'est l'épicier et marchand de couleurs à la Bastille, capitaine de la garde nationale, qui fut effectivement accusé de participation active à l'insurrection des 5 et 6 juin, mais relâché faute d'élément décisif. Le romancier mentionna aussi les «blouses» (les policiers provocateurs) qui échauffaient les «classes dangereuses» (terme apparu en 1840), tisonnaient lémeute, montaient des barricades. Son Fannicot, «capitaine de la garde nationale» (V, 1, 12), «bourgeois impatient et hardi, espèce de condottiere de lordre» (V, 1, 12) est un nom authentique, cité dans le procès-verbal de linstruction judiciaire de laffaire des 5-6 juin 1832. Ce projet de validation le conduisit même parfois à un travail de critique sur les sources dont il disposait : «Les journaux du temps qui ont dit que la barricade de la rue de la Chanvrerie, cette construction presque inexpugnable, comme ils l'appellent, atteignait au niveau d'un premier étage, se sont trompés.» (IV, 12, 5).
Dautre part, avouant que, pour ces «temps incomplets», il serait probablement vain de rechercher une quelconque synthèse («Dans les conditions du livre que nous écrivons, nous ne montrerons qu'un côté et qu'un épisode [ ... ] des journées des 5 et 6 juin 1832 ; mais nous ferons en sorte que le lecteur entrevoie, sous le sombre voile que nous allons soulever, la figure réelle de cette effrayante aventure publique.» (IV, 10, 2), pour s'approcher de l'essence de l'événement, Hugo mêla réel et imaginaire, bribes d'Histoire et morceaux de fiction, dans un jeu de transpositions parfois déconcertant. Ainsi, il construisit sa barricade partiellement sur le modèle de Saint-Merry : structure générale, place stratégique du café qui fait office de fonderie, d'ambulance, de cantine et de bastion ultime, phases du combat et caractéristiques de l'assaut final. Mais il la situa rue de la Chanvrerie pour préserver sa liberté d'écrivain. Et il sassura quaprès la fin des combats, elle ne soit plus que débris, que, le temps ayant accompli son uvre, il soit devenu impossible au début des années 1860 (période de rédaction finale du roman) de se faire une idée de l'emplacement qu'elle occupait : la rue Rambuteau avait creusé en 1845 une trouée profonde dans le petit labyrinthe des rues de la Chanvrerie, Mondétour, des Prêcheurs. Il évoqua des traces difficiles à retrouver, des empreintes sur la pierre et sur le pavé, des traces de balles et de sang : «On déposa les morts en tas dans la ruelle Mondétour dont on était toujours maître. Le pavé a été longtemps rouge à cet endroit.» - «Feuilly employa ces deux heures à la gravure de cette inscription sur le mur qui faisait face au cabaret VIVENT LES PEUPLES ! Ces trois mots, creusés dans le moellon avec un clou, se lisaient encore sur cette muraille en 1848.» (V, 1, 2).
Surtout, Hugo, du fait de ce quil avait vécu jusquen 1862, inséra dans son récit de linsurrection de 1832 des éléments de février 1848, de la «guerre civile» de juin 1848, dramatique «révolte du peuple contre lui-même» (V, 1, 1), des éléments de décembre 1851, parce qu'il souhaitait ébranler l'évidence d'une Histoire linéaire, marquée du sceau de la continuité, montrer au contraire le drame d'une Histoire menacée par la répétition et les convulsions. Il mit en relation «la mort sur la barricade» et «la tombe dans l'exil» (V, 1, 20).
Les défenseurs de la barricade furent défaits dans un massacre final, noyés dans le sang en quelques heures par ceux-là mêmes qui sétaient soulevés en 1830 : les bourgeois de la garde nationale. Les chiffres réels du bilan varient du simple au quadruple. Ce fut un coup porté aux républicains et une victoire pour le régime qui, cependant, fut incapable den tirer profit, et se déconsidéra car, au mépris des lois. il plaça Paris en état de siège, se lança dans une répression disproportionnée, invita les médecins à dénoncer les blessés quils avaient soignés. De son côté, lopposition républicaines hésita à prendre position parce que l'événement, qui lavait prise de cours, qui avait souligné son impuissance, était perçu comme un triste gâchis.
Linsurrection des 5 et 6 juin 1832, nayant en définitive pas servi à grand-chose, elle apparaît aujourdhui comme un épisode mineur entre les deux révolutions de juillet 1830 et de février 1848.
Tandis que la version officielle donnée par les vainqueurs est assez pauvre, fondée sur les rapports de l'armée et de la garde nationale ; il est difficile d'imaginer lévénement autrement que Victor Hugo le décrivit, car il porta son attention à certaines des caractéristiques les plus fondamentales de l'événement. Il reprit à sa façon et sous un angle inédit un important travail d'élucidation ; il imprima à l'Histoire de l'insurrection une marque décisive pour les temps à venir. Progressivement effacés dans l'Histoire, les 5 et 6 juin 1832, qui, au moment où parurent Les misérables, avaient perdu le peu de substance qui leur restait encore, retrouvèrent alors une place très particulière, à la fois profonde et diffuse, par le biais de la littérature.
Hugo ne fut donc pas moins observateur que Balzac. Mais il fut incapable de rester sur ce plan. Sil offrit un tableau hallucinant de la société française du premier demi-siècle, l'intérêt majeur de son uvre n'est pas d'ordre documentaire.
Lévolution des personnages est étroitement liée à une situation historique et sociale.
INTÉRÊT PSYCHOLOGIQUE
Pour Hugo, les personnages étaient primordiaux.
Pourtant, se montrant plus apte à manier des masses que des individus, à évoquer des actions plutôt que des sentiments, il serait un mauvais psychologue. Ses personnages sont plutôt des types que des êtres vivants ; ils manquent de nuances, sont dun bloc, absolus, nont pas de sang ni dépaisseur. En un mot, ils sont invraisemblables. Ils sont construits par succession dantithèses. Il ne les analyse pas, les oppose, traduisant leur caractère à coups dimages qui tirent leur vivacité du contraste. Il se soucia moins de psychologie que dimages, et souligna celle-ci à gros traits. Son monde peu complexe grouille de vie, de gestes et de couleurs.
Sans doute sa psychologie demeure-t-elle assez sommaire, mais cest quHugo avait le don de faire vivre par la rapidité du récit et non par lanalyse ; chez lui, lhomme passionne par la vitalité, les événements quil déclenche ou auxquels il participe, les coups de théâtre, il ne faut pas chercher les détails de sa vie intérieure, ni trop prendre garde à ses discours, mais le regarder vivre et agir au long du flot des phrases, dans le halètement de la description, linépuisable jaillissement des mots.
Il est vrai que le roman, sil est très complexe, est manichéen. Aussi peut-on étudier les personnages en distinguant simplement les bons et les méchants.
Les «méchants» :
- Félix Tholomyès est l'un des nombreux étudiants de province du XIXe siècle venus se débaucher dans la capitale, principalement pour échapper à la férule de pères notables de province. Cest un de ces êtres de plaisir auxquels sont davance sacrifiées de pauvres filles. Dans son cas, cest Fantine à laquelle il donne un enfant illégitime quil ne prend pas au sérieux. Dans sa lettre de rupture, il affirme la supériorité d'avoir un nom et des parents. Et, comme ses congénères, fait une fin très honorable en revenant chez lui pour se marier sagement et prendre la position que la société bourgeoise lui assurait.
- «Patron-Minette», quatre bandits qui «formaient une sorte de Protée, serpentant à travers la police et sefforçant déchapper aux regards indiscrets de Vidocq sous diverse figure, arbre, flamme, fontaine, sentre-prêtant leurs noms et leurs trucs, se dérobant dans leur propre ombre, boîtes à secrets et asiles les uns pour les autres, défaisant leurs personnalités comme on ôte son faux nez au bal masqué, parfois se simplifiant au point de ne plus être quun, parfois se multipliant au point que Coco-Lacour lui-même les prenait pour une foule. / Ces quatre hommes nétaient point quatre hommes ; cétait une sorte de mystérieux voleur à quatre têtes travaillant en grand sur Paris ; cétait le polype monstrueux du mal habitant la crypte de la société.» (III, 7, 4). Est allié à cette «hideuse contre-société occulte qui vit sous la société publique» Thénardier.
- Les Thénardier : Cette famille occupe un rôle clé dans le roman, incarnant les méchants, tout ce qui les concerne étant dépeint avec un sens de lénorme qui, sil ne réussit pas à leur donner beaucoup de profondeur, fait du moins deux dadmirables images dÉpinal.
Comme dans la plupart des uvres de ce genre, la grossièreté morale est dabord traduite par la grossièreté physique : la Thénardier est donc une hideuse mégère rousse, charnue, «à la carrure de colosse ambulant [
] le type de la femme-à-soldats [
] lidéal dun fort de la halle habillé en fille», qui se vante décraser une noix dun coup de poing, et fait trembler vitres, meubles et gens dès quelle ouvre la bouche car elle ne parle qu'en hurlant, jure splendidement. Et elle boit ! Très souvent accroupie comme une femelle animale, elle semble, quand elle se redresse, une de ces sauvagesses qu'on exhibe dans les foires ; elle boit. Thénardier, par contre, est un homme «petit, maigre, blême, anguleux, chétif», il a un regard de fouine, un rire sardonique, un animal sournois et malfaisant.
Mais sa femme, malgré son apparence autoritaire et gigantesque, est toute soumission à son malingre de mari, car il est très intelligent ; il est lesprit et elle, la matière ; il crée et elle exécute, «montagne de chair et de bruit» qui se meut «sous le petit doigt de ce despote frêle». «Il avait des prétentions à la littérature et au matérialisme. Il y avait des noms qu'il prononçait souvent, pour appuyer les choses quelconques qu'il disait, Voltaire, Raynal, Pamy, et, chose bizarre, saint Augustin. Il affirmait avoir "un système". Du reste fort escroc. Un filousophe. Cette nuance existe. On se souvient qu'il prétendait avoir servi ; il contait avec quelque luxe qu'à Waterloo, étant sergent dans un 6e ou un 9e léger quelconque, il avait, seul contre un escadron de hussards de la Mort, couvert de son corps et sauvé à travers la mitraille un général dangereusement blessé.» (II, 3, 2). Lucide sur lui-même, ce causeur habile, cet escroc plus habile encore, sait qu'il avait toutes les qualités pour devenir un honnête commerçant, mais que le dessous de son être l'a poussé aux scélératesses, quil prépare avec une ruse minutieuse, ce qui ne les empêche pas davorter régulièrement.
Tous les deux sont «de ces natures naines qui, si quelque feu sombre les chauffe par hasard, deviennent facilement monstrueuses. Il y avait dans la femme le fond d'une brute et dans l'homme l'étoffe d'un gueux. Tous deux étaient au plus haut degré susceptibles de l'espèce de hideux progrès qui se fait dans le sens du mal. Il existe des âmes écrevisses reculant continuellement vers les ténèbres, rétrogradant dans la vie plutôt qu'elles y avancent, employant l'expérience à augmenter sans cesse leur difformité, empirant sans cesse et s'empreignant de plus en plus d'une hideur croissante. Cet homme et cette femme étaient de ces âmes-là.» (I, 4, 2).
Pour Hugo, «ce sont des figures louches», quil observa de loin, comme s'ils étaient là malgré lui. Ils napparaissent que pour commettre un mauvais coup montrer leur brutalité, leurs activités se bornant à la scélératesse, leur présence annonçant toujours un malheur Mais, dapparitions en métamorphoses et changements de nom, Thénardier, dont les masques successifs visent toujours à duper pour voler ou exploiter, qui, pour survivre, nhésite pas à recourir à toutes sortes de moyens criminels, du plus léger au rédhibitoire (exploitation éhontée de la pauvreté, vols, cambriolages, agressions, voire assassinat), à côtoyer différents milieux interlopes (banditisme, prostitution), navigue si intimement dans les sentiers de l'abjection qu'il en devient symbolique. Dès le début, le couple s'avère être menteur et fourbe ; on pourrait penser que c'est un effet de la misère, mais Hugo le rend antipathique alors qu'il s'apitoie sur leurs enfants exploités sans vergogne.
Cest un couple ambigu :
C'est en rampant comme une larve crépusculaire sur le champ de bataille de Waterloo, dans la nuit du 18 au 19 juin 1815, quil pénètre dans le livre. Rôdeur près de la fosse dOhain pour, au risque d'être fusillé, détrousser les cadavres, il dépouille Georges Pontmercy, officier gravement blessé. Qui est ce charognard? Hugo n'en sait rien. Ni anglais, ni français, ni paysan, ni soldat, moins homme que goule, il est attiré vers les morts par son flair. D'où arrive-t-il? Peut-être de Hollande, où il aurait étudié pour être aubergiste. Il est marié. Sa femme I'attend à l'ombre des arbres dans un petit fourgon de vivandier. Où se sont-ils connus? Quand se sont-ils mariés? Peu importe. Ils sont dès I'origine et à jamais les Thénardier, sans prénom qui les distinguerait l'un de l'autre.
En mai 1818, Fantine, la mère de Cosette, passe devant leur auberge Au sergent de Waterloo à Montfermeil (I, 4) où ils soccupent à vider les bourses et à tirer profit de tout ce qui passe à leur portée. Leurs affaires sont cependant médiocres, leurs dettes toujours croissantes ; ils ont beau dépouiller les gens, ils sont condamnés à la chute. Le premier crime quils commettent sous nos yeux, c,est de capter la confiance de Fantine qui remet sa fille, Cosette, à leur garde. Le second crime, cest, une fois quils sont «écorché» la mère, cest dêtre pour Cosette dimpitoyables bourreaux. La Thénardier est pourtant pleine damour pour ses propres filles, Éponine et Azelma, dun amour de «mammifère» qui, dailleurs, ne sétend pas au reste de sa progéniture puisquelle abandonne ses trois fils à la rue.
Plus tard, quand nous les retrouvons réduits à la misère, leur principale occupation consiste à escroquer les personnes charitables, tout en préparant des coups de plus grande envergure avec «Patron-Minette», les meneurs de la pègre parisienne. Cest ainsi quils attirent Jean Valjean dans un guet-apens, et le tueraient si Javert nintervenait à temps.
La Thénardier meurt en prison. Le Thénardier, après une évasion rocambolesque, pourra fuir aux États-Unis grâce à la générosité de Marius de Pontmercy ; il sy fera négrier, finissant ainsi ses jours dans la pire des déchéances
Ils apparaissent cinq autres fois, mais à de si longs intervalles que Hugo semble les avoir oubliés. En fait, tout au long du roman, ils ne cessent de croiser les destins de Jean Valjean, de Cosette, de Marius, jouant, en mal ou en bien, un rôle essentiel dans leurs vies.
Thénardier, qui est né en 1773, mais
On les retrouve propriétaires dune gargote à Montfermeil, Au sergent de Waterloo, nom que le père affiche comme une gloire car il se vante davoir alors obtenu ce grade et davoir été médaillé pour son prétendu rôle de bon samaritain. Comme Fantine ne peut pas garder son enfant, car elle retourne à Montreuil-sur-Mer, sa ville natale, pour y chercher du travail, et quen 1818 une mère célibataire était rejetée par la société, après avoir aperçu la Thénardier se montrer attentionnée avec ses fillettes (elle ne peut avoir de tendresse que pour elles), elle leur «confie» un peu trop rapidement Cosette, quils acceptent de prendre en pension moyennant le paiement de 7 francs par mois, en promettant de bien s'occuper delle. Mais, jaloux de voir cette petite toute fraîche et jolie, ils l'asservissent et la maltraitent. Elle ne connaît plus que la tristesse tandis que le couple daffreux exploiteurs sans coeur ni loi, déployant tout un arsenal de perversité, de cruauté et de mensonges, réclame des sommes de plus en plus élevées à Fantine qui, pour continuer à leur verser une pension mensuelle devenue exorbitante, est acculée au désespoir. Puis, en 1823, ils vendent Cosette à Valjean, occasion où Thénardier ne manque pas de surenchérir.
Ils nen font pas moins faillite en 1828, et, exaspérés par la misère, sétablissent à Paris dans la masure Gorbeau. On les y retrouve en 1830, devenus alors d'assez sordides personnages, à demi-mendiants, à demi-brigands, escrocs à la fourberie venimeuse, qui se sont défaits, moyennant finances, de leurs deux plus jeunes fils, et ont changé de nom. Ils sont la «famille Jondrette», avec leurs enfants Azelma, Éponine et Gavroche. Ils vivent d'expédients, Thénardier usant encore dautres pseudonymes (comme Fabantou) pour se livrer à lactivité souterraine dun intrigant, dun comploteur. Marius «comprenait que son voisin Jondrette avait pour industrie dans sa détresse dexploiter la charité des personnes bienfaisantes, quil se procurait des adresses, et quil écrivait sous des noms supposés à des gens quil jugeait riches et pitoyables des lettres» (III, 8, 4). Il apitoie ainsi Jean Valjean, quil ne reconnaît pas car, celui-ci aussi se dissimule sous un autre nom, tous deux étant aussi comédiens lun que lautre. Il lattire chez lui où il lui tend un guet-apens pour le piéger, montrant la «joie d'un nain qui mettrait le talon sur la tête de Goliath, joie d'un chacal qui commence à déchirer un taureau malade, assez mort pour ne plus se défendre, assez vivant pour souffrir encore», mais dévoilant aussi sa véritable identité, quapprend Marius (III, 8, 20). Il rançonne le vieil homme, et le vend à Javert. Leurs malversations les conduisent en prison, Thénardier à la Force, où Marius lui envoie incognito cinq francs par semaine sans vouloir témoigner à son procès, la Thénardier et ses filles aux Madelonettes. Elle y meurt en 1832. Lui s'évade.
Il réapparaît rue Plumet, alors que, devenu un des pires malfrats acoquiné avec la bande de la pègre parisienne «Patron Minette», quil dirige dune main de fer, il essaie, avec ses complices, de cambrioler la maison de Jean Valjean.
Il surgit encore dans les égouts où, avec Jean Valjean, il «était hagard, fauve, louche, un peu menaçant, pourtant amical» (V, 3, 8).
À partir de là, il se masque, porte un faux nez et des lunettes vertes pour tenter de tromper Marius, et de lui vendre ce quil sait du passé de son beau-père, dans une ultime tentative de faire enfin fortune. Mais le jeune homme la reconnu, et règle ses comptes (et ceux de son père) avec lui, lexpédiant en Amérique, «muni dune traite de vingt mille francs sur New York». Il allait là-bas, sa misère morale étant incurable, sous un autre faux nom, se faire négrier.
Tel est le parcours de ces êtres de proie, égoïstes et cupides, indifférents au monde qui Ies entoure, qui ne cherchent jamais, au-delà de toutes les misères, qu'à dépouiller les autres, quels qu'ils soient, leur cupidité, qui les oppose bien sûr au généreux Valjean, étant une constante. Ils sont des incarnations de la misère morale, voire du mal,
Ces malfrats de la pire espèce ont cinq enfants, deux filles d'abord, Éponine et Azelma, prénoms découverts par la Thénardier dans de mauvais romans (où a-t-elle appris à lire?). Hugo constate : «Certaines natures ne peuvent aimer dun côté sans haïr de lautre, la mère Thénardier aimait passionnément ses deux filles à elle, ce qui fit quelle détesta létrangère» (I, 4, 3). Puis il y a trois garçons, Gavroche et deux autres plus jeunes dont on ignorera toujours les prénoms, garçons qu'ils jettent à la rue pour ne plus avoir à les nourrir (ils en louent» deux, et en abandonnent un). Père indigne, Thénardier «en était là quil risquait ses filles ; il jouait une partie avec la destinée et il les mettait au jeu» (III, 8, 4) : il leur faisait porter les lettres, à leurs risques et périls.
Hugo donna un grand rôle à deux de ces enfants : Éponine et Gavroche, qui, sans l'avoir voulu, sans même le savoir, rachètent leurs parents.
Éponine : Cette aînée des enfants des Thénardier, qui a le même âge que Cosette, toutes les deux étant nées vers la fin de l'année 1815, est étonnante car elle est à demi corrompue, à demi sublime. Ayant un coeur, étant capable d'aimer, elle tombe secrètement amoureuse de Marius qui est son voisin dans la misérable masure Gorbeau où elle habite avec sa famille en 1832. Il ne la jamais remarquée jusquau jour où, envoyée par son père pour mendier, elle fait irruption dans sa chambre. Il est ébranlé par cette figure emblématique de la faim ou, plus précisément selon Hugo, celle de «la misère de lenfant». Mais elle devine quil est surtout intéressé par la «belle demoiselle», quil n'aimera jamais que Cosette. Aussi connaît-elle la douleur de la jalousie, mais, partagée entre ce sentiment et le désir de plaire à l'élu de son cur, elle accepte toutefois de l'aider à retrouver l'adresse des inconnus, et surtout sa dulcinée du Luxembourg. Elle épie ensuite les amoureux à leur insu, est tentée, après avoir pourtant facilité leur rencontre, de les éloigner l'un de l'autre lorsque l'occasion se présentera. Mais, même manipulée par son père, elle protège Marius à plusieurs reprises, se fait aussi la «chienne de garde» de la maison rue Plumet en en défendant l'accès à son père et à la redoutable bande de «Patron Minette» venus une nuit dans le but de la cambrioler. Finalement, incapable de voir Marius malheureux, elle n'hésite pas, après l'avoir attiré puis suivi, habillée en garçon, jusqu'à la barricade de la rue de la Chanvrerie, à s'interposer entre lui et le soldat qui le visait pour mourir à sa place, lui remettant, avant dexpirer, en un geste d'amour désespéré pour lui, une lettre de Cosette (IV, 14, 6).
La peinture de son amour sans espoir montre lart de Hugo analyste des passions. il réussit à émouvoir.
Gavroche devait dabord sappeler Grimebodin, puis Chavroche. Il fait l'objet d'une longue présentation dont le rôle est d'inscrire l'histoire dans l'Histoire, dans le chapitre Paris étudié dans son atome (III, 1), le fourmillement de la capitale et son histoire étant vus à travers cet enfant dont Hugo a fait le représentant des gamins du pavé parisien qu'il affectionnait tant, ainsi quun des personnages français les plus emblématiques de la souffrance enfantine. Il représente tous ces enfants qui, pour avoir été abandonnés à la rue, ont fini par devenir les enfants de la ville, et en sont comme autant de véritables petites incarnations. Le gamin de Paris avait été décrit par Balzac et peint par Delacroix dans son tableau La Liberté guidant le peuple.
Il mériterait à lui seul une étude. Il fait lobjet de longues digressions, les pages qui lui sont consacrées formant, à l'intérieur du roman, une sorte d'épopée de la jeunesse jetée au pavé, et qui trouve le moyen de survivre en s'intégrant à l'existence de la ville, à son rythme et à son esprit, cela à force d'astuce et d'intelligence.
En effet, «ses parents lavaient jeté dans la vie dun coup de pied. Il avait tout bonnement pris sa volée.» (III, 1, 13). Il fit alors de la rue sa maison, son école. Mais, sil est seul, sans amour, sans gîte, sans pain, il demeure courageux malgré le poids de la misère, généreux, malicieux, effronté, spirituel, et gai, car il est libre. En effet, le «joyeux petit va-nu-pieds», dans sa famille, «trouvait la pauvreté, la détresse, et, ce qui est plus triste, aucun sourire ; le froid dans l'âtre et le froid dans les curs. Quand il entrait, on lui demandait : - D'où viens-tu? Il répondait : - De la rue. Quand il s'en allait, on lui demandait : - Où vas-tu? Il répondait : - Dans la rue. Sa mère lui disait : Qu'est-ce que tu viens faire ici? / Cet enfant vivait dans cette absence d'affection comme ces herbes pâles qui viennent dans les caves. Il ne souffrait pas d'être ainsi et n'en voulait à personne. Il ne savait pas au juste comment devaient être un père et une mère.» (III, 1, 13).
- Gavroche a «lair vivace et maladif» (III, 1, 13).
À la fois enfant malingre et homme fait par la maturité que lui donnent la misère et la nécessité de subvenir à ses propres besoins, tour à tour tendre et brutal, «c'était un garçon bruyant, blême, leste, éveillé, goguenard, à l'air vivace et maladif. Il allait, venait, chantait, jouait à la fayousse, grattait les ruisseaux, volait un peu, mais comme les chats et les passereaux, gaiement, riait quand on l'appelait galopin, se fâchait quand on l'appelait voyou. Il n'avait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas d'amour ; mais il était joyeux parce qu'il était libre.» (III, 1, 13). Sur la barricade, Gavroche «allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. [
] On le voyait sans cesse, on lentendait toujours. Il remplissait lair, étant partout à la fois. [
] Il gênait les flâneurs, il excitait les paresseux, il ranimait les fatigués, il impatientait les pensifs, mettait les uns en gaîté, les autres en haleine, les autres en colère, tous en mouvement, piquait un étudiant, mordait un ouvrier, se posait, sarrêtait, repartait, volait au-dessus du tumulte et de leffort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout lattelage.», ce dernier trait semblant une allusion à la mouche du coche de La Fontaine (IV, 12, 4).
Sa liberté payée de misère n'a cependant rien de noir. Sil est «béant» (III, 1, 4) parce quil regarde et écoute, bouche bée, et quainsi en lui samasse peu à peu une redoutable expérience, il est plein de verve, se montre spirituel, gouailleur, railleur, effronté, impertinent, insolent, malicieux, ses plaisanteries démystifiant et démythifiant l'autorité. Aucune situation ne mettant dans l'embarras, ce petit voyou des rues a réponse à tout par de bons mots, par des jeux de mots, sa meilleure arme étant le langage.
Ami de Montparnasse, il nest pas toujours très honnête, puisquil casse les réverbères, collabore à l'évasion d'un prisonnier. Son esprit frondeur serait celui même de la ville, qui, semblait-il, le porte et le protège, à moins qu'elle ne lait doté d'une sorte de sixième sens, apte à lui faire découvrir très naturellement la juste valeur de toute chose. Il a une saine horreur du bourgeois, qu'il critique pour son égoïsme, et se moque du gendarme.
Et ce «gamin-fée», cet archange aux cheveux blonds, est généreux, aussi généreux que son père est égoïste et cupide. Il ne commet que de bonnes actions, vole une bourse à un voleur pour aider un pauvre, partage son pain, recueille des enfants perdus (dont il ne sait pas quils sont ses frères) et les héberge dans l«éléphant de la Bastille», suffit à situer lenfant. Il sert aussi de messager, comme sa sur, Éponine.
Quand éclate l'insurrection de juin 1832, révolté et révolutionnaire en herbe, il se trouve, évidemment, du côté des hommes libres qui dressent des barricades : il les anime de sa présence vif-argent, les aide et, dirait-on, communique à leur action meurtrière cette innocence et cette dimension d'avenir qui sont le lot naturel de son extrême jeunesse. Au moment où les balles viennent à manquer, débrouillard et inventif comme il est, il sort à découvert pour aller en ramasser sur les cadavres des gardes nationaux, et, comme inconscient du danger, cest en chantant quil se fait tuer à son tour, en héros qui touche le lecteur qui voit à regret s'envoler «cette petite grande âme». Ayant à peu près douze ans, il est alors figé dans lenfance par la mort trop tôt venue, ne grandira jamais, et incarnera éternellement linnocence foudroyée, comme de cette partie la plus vivante du peuple quaimait Hugo.
Railleur, spirituel, généreux, Gavroche représente le génie même de la rue.
Sur la barricade, «Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on lentendait toujours. Il remplissait lair, étant partout à la fois. Cétait une espèce dubiquité presque irritante ; pas darrêt possible pour lui. [
] Le mouvement perpétuel était dans ses petits bras et la clameur perpétuelle dans ses petits poumons.» (IV, 12, 4).
Dans son héroïsme suicidaire, il montre une virilité généreuse.
Sil n'existe pas en vertu de la profondeur de l'analyse psychologique, sil faut faire la part de lobservation et celle de lidéalisation, la part du réalisme et celle de la transposition épique, si, pour certains critiques, il nest quun type abstrait, un héros sans humanité (pour Alain, il est «tout dans ses mots de théâtre et dans ses chansons»), Gavroche qui est le personnage le plus populaire du roman, dont le nom devint bientôt un nom commun, sélargit en symbole du génie de la rue, en personnification de l'irréductible esprit de liberté dans le peuple, de son «avenir latent», ce qui était une conception chère au romantisme social.
On devrait considérer comme ni bon ni méchant Javert qui pourtant devient bien le méchant de I'histoire, celui qu'on aime détester. Cest quen lui «se montrait ce quon pourrait appeler tout le mauvais du bon» (). Mais cest un homme complexe, profondément exigeant, attachant.
Rien que son origine, déjà, plaide pour lui. Né en 1780 dans une prison, d'une tireuse de cartes et d'un galérien, il porta dès l'enfance les germes de son destin. C'est tout naturellement que son premier emploi le maintint en contact avec les geôles, à Toulon, où il officia en tant que garde-chiourme. Puis le voilà «espion comme on est prêtre», membre de la Grande Maison. Autant dire que
la police I'a choisi plus qu'il ne l'a choisie, elle. Pas la moindre ambition personnelle chez lui, de volonté d'assouvir une quelconque soif de pouvoir ou de reconnaissance. Simplement, il ne peut pas y échapper : il vénère la vérité, il abhorre «tout ce qui a franchi une fois le seuil légal du mal», toute son existence se cale entre ces deux pôles.
Car ce n'est ni un jouisseur, ni un profiteur, mais un homme austère guidé avant tout par le sens du devoir dont il est même lincarnation. Cette gravité dont il ne se départ jamais se remarque en premier lieu dans son apparence, puisqu'il n'a «rien dans l'âme», qu'il n'ait «aussi sur le visage» ; il ne sait pas tricher. De haute stature, vêtu en permanence d'une longue redingote «gris de fer» choisie sans doute pour que nul ne le remarque, la main massive prolongée par une grosse canne pour ne pas perdre contact avec la terre, et le chef coiffé d'un chapeau rabattu, le visage mangé par d'énormes favoris, le nez camard terminé par deux profondes narines pour mieux laisser parler I'instinct, la bouche pincée et redoutable, cet homme-là se moque pourtant de ses caractéristiques physiques. Partisan de l'être plutôt que du paraître, il se contente d'assumer ce pour quoi il a été créé : il est policier comme on respire, apporte une rigueur dans lexercice de ses fonctions qui rejoint un certain idéal militaire, moins par respect du métier que par dévotion à la stricte observation des lois. Pour lui, lhumanité se divise en deux groupes : ceux qui obéissent aux lois et ceux qui les violent ; ;a ces derniers, il se considère de les appliquer de force.
C'est dire si tout le reste l'indiffère. Aucun loisir, aucune distraction, à part peut-être la lecture. Comme seul vice, on lui connaît «une prise de tabac de temps en temps». Il cultive la privation, l'isolement, l'abnégation et la chasteté. Il est sévère avec lui-même, faute de quoi tout ce qu'il a «fait de juste deviendrait injuste». Cest quil est un juste. Il y a «une grandeur bizarre à cet étrange honnête homme».
Ainsi que le montrent ces quelques citations, Victor Hugo éprouva, sinon une affection, du moins un profond respect pour son personnage. Qui n'est pas pour rien dans le succès populaire que rencontrèrent dès leur parution, en avril 1862, Les misérables. Si un homme se juge avant tout par le nombre et la qualité de ses ennemis, Jean Valjean tire toute sa substance, sa puissance, son énergie, des rapports ambigus noués avec celui qui le traque. Il se réfléchit dans lui, il s'étalonne à son aune, sans que I'un soit néanmoins le négatif de l'autre, comme leurs patronymes respectifs I'indiquent (Javert est presque I'inverse de Valjean). À force de se croiser sans vraiment s'affronter, de se jauger sans se narguer, ils ont fini par se ressembler. En effet, leurs différences (la générosité, I'altruisme, I'humanitarisme et le doute d'un côté, les certitudes, le puritanisme forcené, la froideur et le refus de la vie de l'autre côté) sont de peu de poids par rapport à ce qui les réunit : laconiques, peu enclins à l'épanchement, réfractaires à toute liaison sentimentale, ils aiment tous les deux se cacher, se sentant peut-être l'un et l'autre parias. Et, surtout, ils ont en commun ce quelque chose en plus qui les fait avancer, et qui s'appelle la foi (en Dieu pour le forçat, en la loi et l'ordre pour le policier).
Lorsque naquit et grandit en lui le sentiment confus que le monde quil se créait, tout en traits accusés, sans nuances ni demi-teintes, ne correspondait pas à la vraie nature des humains quil appréhendait, considérant que sa mission ne saurait tolérer de moyen terme, il essaya dabord de se retrancher dans son intransigeance. Quand il paraît dans le roman, il est à ce point de son évolution, encore quil nen ait pas très nettement conscience, et refoule autant que possible son «humanité» dont nous ne percevons que lécho à travers son besoin de justice. Lexercice de ses fonctions le conduit alors à la nécessité tragique dannihiler en lui tout sens de lhumain pour conserver son intransigeance. Ainsi le voyons-nous se faire le persécuteur de Fantine et de Jean Valjean, faute de pouvoir adapter son besoin de justice à la situation individuelle . Sa vie sécroule quand il ouvre les yeux sur cette réalité, et, pour la première fois, il manque à son devoir en laissant Jean Valjean libre de s'enfuir au moment précis où il pourrait enfin l'arrêter. Incapable, cependant, de modifier ses principes en fonction de la réalité quil vient de découvrir, il ne peut que rédiger, en bon serviteur, «quelques observations pour le bien du service» destinées à ses supérieurs, puis va se jeter dans la Seine. Par cette inaptitude tragique à se soumettre à la «dualité» dont il vient de prendre conscience, il figure un type hugolien très caractéristique. Ayant découvert que lêtre humain devait, en lui, tempérer le policier, il ne peut Faire la part harmonieuse de lun et de lautre, et se tue faute de pouvoir continuer à se fier à lintransigeante rigidité qui réglait sa vie.
Lorsque cette foi s'ébrécha, Javert n'eut d'autre choix que de quitter la partie. Mais, Ébranlé par la grandeur de Valjean qui non seulement lui sauva la vie, mais encore se livra à lui, comprenant qu'il s'était fourvoyé durant des années en poursuivant cet homme intègre, il se trouva face à un problème insoluble : soit trahir la société, soit être infidèle à sa conscience. Il opta pour la mort, dans une scène qui est sans doute le point d'orgue de l'oeuvre. Un enquêteur opiniâtre, un honnête homme ne peuvent que mal finir, telle semble être, à travers Javert, la morale à retenir. Si, comme lui, chacun de nous traîne une misère qui le guide et le bride à la fois, celle-ci devient insupportable à l'heure où, sans préavis, tombent les masques.
Limmense limier qui poursuit Valjean est le plus souvent décrit comme un chien en chasse, et y gagne une force comparable à celle de sa proie.
Javert semble incarner en littérature le changement qui se dessine dans la profession de policier. On peut le comparer aux policiers de Balzac. Il reste avant tout un homme de devoir, mais, au contact de lintègre et droit Valjean quil traque sans relâche, il séveille à la notion de Justice, est traversé par le doute sur la justesse de sa tâche et le bien-fondé des valeurs du pouvoir quil défend et auquel il obéit. Cependant, il nest pas encore prêt à assumer la remise en cause du système dont il un des rouages, ni son appartenance à une époque révolue. Au doute, il préfère la mort.
Javert : «Il ne voyait dans tout cela quune immense difficulté dêtre» (V, 4).
Il «était né dans une prison dune tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa quil était en dehors de la société et désespéra d'y rentrer jamais. Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d'elle deux classes d'hommes, ceux qui I'attaquent et ceux qui la gardent ; iI n'avait le choix qu'entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d'une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. / Il y réussit. À quarante ans il était inspecteur. / Il avait dans sa jeunesse été employé dans les chiourmes du Midi.» (I, 5, 5).
Physiquement, cest «un homme formidable» (I, 5, 5), qui inspire la crainte, est redoutable, terrible. Son visage présentait deux aspects tout aussi inquiétants lun que lautre : «Javert sérieux était un dogue ; Iorsqu'il riait, cétait un tigre.» (I, 5, 5). Au moment où Jean Valjean sort de légout, il lui apparaît comme «un homme dune haute stature, enveloppé dune longue redingote, les bras croisés, et portant dans son poing droit un casse-tête dont on voyait la pomme de plomb» (V, 3, 9). Il montre «la rage patiente du chien darrêt.» (V, 3, 3).
Moralement : «le guetteur de I'ordre, lincorruptibilité au service de la police, la providence-dogue de la société.» (V, 4).
- «Cet homme était composé de deux sentiments très simples, et relativement très bons, mais qu'il faisait presque mauvais à force de les exagérer : le respect de I'autorité, la haine de la rébellion ; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes n'étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans I'État, depuis le premier ministre jusquau garde champêtre. Il couvrait de mépris, d'aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n'admettait pas d'exceptions. D'une part il disait : Le fonctionnaire ne peut se tromper ; le magistrat n'a jamais tort. D'autre part il disait : Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon n'en peut sortir. Il partageait pleinement l'opinion de ces esprits extrêmes qui attribuent à la loi humaine je ne sais quel pouvoir de faire ou, si l'on veut, de constater des damnés, et qui mettent un Styx au bas de la société. Il était stoïque, sérieux, austère ; rêveur, triste ; humble et hautain comme les fanatiques. Son regard était une vrille. Cela était froid et cela perçait. Toute sa vie tenait dans ces deux mots : veiller et surveiller. Il avait introduit la ligne droite dans ce qu'il y a de plus tortueux au monde ; il avait la conscience de son utilité, la religion de ses fonctions, et il était espion comme on est prêtre. Malheur à qui tombait sous sa main ! Il eût arrêté son père s'évadant du bagne et dénoncé sa mère en rupture de ban. Et il l'eût fait avec cette sorte de satisfaction intérieure que donne la vertu. Avec cela une vie de privations, l'isolement, I'abnégation, la chasteté, jamais une distraction. C'était le devoir implacable, la police comprise comme les spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq.» (I, 5, 5).
Ce portrait est fait dune part dobservation et dune part de construction abstraite. Il est marqué par lagrandissement épique. On note les alliances de mots, la concision lapidaire des formules.
- «Javert était un caractère complet, ne laissant faire de pli ni à son devoir, ni à son uniforme ; méthodique avec les scélérats, rigide avec les boutons de son habit.» (I, 8, 3).
- «Il personnifiait, lui Javert, la justice, la lumière et la vérité dans leur fonction céleste décrasement du mal. Il avait derrière lui et autour de lui, à une profondeur infinie, lautorité, la raison, la chose jugée, la conscience légale, la vindicte publique, toutes les étoiles ; il protégeait lordre, il faisait sortir de la loi la foudre, il vengeait la société, il prêtait main-forte à labsolu ; il se dressait dans une gloire ; il y avait dans sa victoire un reste de défi et de combat ; debout, altier, éclatant, il étalait en plein azur la bestialité surhumaine dun archange féroce ; lombre redoutable de laction quil accomplissait faisait visible à son poing crispé le vague flamboiement de lépée sociale ; heureux et indigné, il tenait sous son talon le crime, le vice, la rébellion, la perdition, lenfer, il rayonnait, il exterminait, il souriait, et il y avait une incontestable grandeur dans ce saint Michel monstrueux.»
- «Javert, effroyable, navait rien dignoble. La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, lidée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans lhorreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, lerreur. Limpitoyable joie honnête dun fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable. Sans quil sen doutât, Javert, dans son bonheur formidable, était à plaindre comme tout ignorant qui triomphe. Rien nétait poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce quon pourrait appeler tout le mauvais du bon.» ()
En colère, il sécrie : «Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses.» (I, 8, 1).
Se présentant comme «agent de lautorité» (IV, 12, 7), comme servant de I'Ordre, étant la main armée de l'oppression, lexemple parfait du fonctionnaire zélé, plus respectueux de l'autorité et de la loi, avec leurs éventuels travers, que de la justice, rigide plutôt que rigoureux, obsessionnel tout autant qu'opiniâtre, sorte dincarnation de laspiration à lordre par le culte aveugle du devoir dÉtat, il est symétrique de Valjean. Ne connaissant que l'intransigeance, considérant quil ny a pas de rémission pour un ancien forçat, il le poursuit tout au long du roman, sans répit, ne relâchant jamais ses efforts pour larrêter, ne se laissant même pas attendrir par une femme dans la détresse. Ce qui fait que, quand il veut mettre Fantine en prison, il soppose à M. Madeleine : «avec un son de voix toujours profondément respectueux», il lui déclare : «Je suis au désespoir de résister à monsieur le maire, cest la première fois de ma vie, mais il daignera me permettre de lui faire observer que je suis dans la limite de mes attributions.» (I, 5, 13).
- Les raisons du désarroi de Javert sont détaillées : «Devoir la vie à un malfaiteur, accepter cette dette et la rembourser, être, en dépit de soi-même, de plain-pied avec un repris de justice, et lui payer un service avec un autre service ; se laisser dire : Va-t-en, et lui dire à son tour : Sois libre ; sacrifier à des motifs personnels le devoir, cette obligation générale, et sentir dans ces motifs personnels quelque chose de général aussi, et de supérieur peut-être ; trahir la société pour rester fidèle à sa conscience ; que toutes ces absurdités se réalisent et quelles vinssent saccumuler sur lui-même , cest ce dont il était atterré.» (V, 4).
Finalement, rendu fou par lincompréhensible générosité de Jean Valjean, désespéré d'avoir trahi son devoir, il voit une tempête se déchaîner sous son crâne, et, au lieu darrêter celui qui fut si longtemps sa proie, victime dun fatal déterminisme social, découvrant que «linfaillibilité nest pas infaillible [
] se brisant à Dieu» (V, 4), il rédige, en guise de testament, quelques «observations pour le bien du service», et se jette dans la Seine, ce suicide posant en principe la supériorité d'un impératif moral qui transcende les simples lois humaines.
Un personnage étant toujours chez Hugo, quoi quil lui arrive, en marche vers la meilleure partie de lui-même, même les infâmes, même les maudits, lignoble Javert atteint sa vraie dimension lorsquil se tue, en laissant son «testament spirituel» au préfet de police.
Dans les nombreuses adaptations dont Les misérables firent l'objet, Javert ne fut jamais particulièrement gâté. Par quel hasard de la distribution cet homme longiligne et émacié s'est-il retrouvé incarné par les rondeurs de Charles Laughton, de Bernard Blier ou de Michel Bouquet? Sans nier une seconde le talent de ces immenses acteurs, on aurait mieux vu un Jean-Pierre Marielle, un Jean Rochefort pour le représenter. Ce fut encore John Malkovich, dans une suite pour la télévision réalisée par Josée Dayan, qui sut lui donner les traits ombrageux et torturés qu'il mérite.
M. Gillenormand est un des personnages les plus vivants, les plus réussis de toute luvre. Cest un grand bourgeois voltairien tout droit sorti du XVIIIe siècle, un homme dAncien Régime. Il se qualifie lui-même de «momie de la Régence et du Directoire» (V, 5, 3).
Il avait un «air de supériorité bourgeoise et ricanante qui était quelque chose décrasant» (III, 3, 8). Ce «vieillard frivole» (III, 3, 6) ami du plaisir et, Comique et déplaisant par bien des traits, surtout quand il soppose au mariage de Marius avec Cosette, il émeut quand il est ému : quand lui est ramené le corps de Marius, il pense mourir de chagrin en le voyant dans un tel état ; puis il exulte de bonheur quand il se rétablit. Finalement, il accepte le mariage, et fait tout pour rendre les deux gens gens heureux.
- M. Gillenormand «avait dépassé quatre-vingt-dix ans, marchait droit, parlait haut, voyait clair, buvait sec, mangeait, dormait et ronflait.» (III, 2, 1).
M. Gillenormand, personnage constamment amusant, sinon ridicule, un des plus vivants, les plus réussis de toute l'uvre. Ce «grand bourgeois» est un savoureux vieil homme, voltairien issu tout droit du XVIIIe siècle. Alors quil est très attaché à l'Ancien Régime, quil rejette la Révolution comme lEmpire, il dut, malgré sa répugnance pour «le Bonaparte», laisser sa seconde fille épouser un militaire républicain. Ami du plaisir, il simagine que la boîte qui pend au ruban noir que porte à son cou Marius va révéler le portrait dune femme aimée, alors quelle contient la lettre que lui a laissée son père, le colonel Pontmarcy, et dans laquelle il lincitait à porter son titre de baron. Il est trop amoureux de la bagatelle pour comprendre lamour. Laffrontement entre le grand-père et son petit-fils est tragi-comique (III, 3, 8). Son neveu, Théodule, est, à son image, un militaire pompeux et vaniteux, qui est lantithèse de Marius, Cosette le trouvant «fade, niais, sot, inutile, fat, déplaisant, impertinent et très laid.» (IV, 5, 5).
Parmi les «bons», il faut distinguer ceux qui le sont depuis toujours, presque naturellement, et ceux qui le deviennent.
Sont bonnes depuis toujours ces chrétiennes :
Sur Simplice : Elle rayonne physiquement dune blancheur qui est celle même de son âme : «Elle n'avait jamais menti. [...] C'était le trait distinctif de la soeur Simplice [...] Mentir, c'est I'absolu du mal [...] Voilà ce qu'elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. [...] La sur Simplice était blanche, d'une blancheur de cire [...] Son sourire était blanc, son regard était blanc.» (l, 7, 1).
Mlle Baptistine montre «la beauté de la bonté [
] Sa diaphanéité laissait voir lange. Cétait une âme encore plus quune vierge» [I, 1, 2]). Elle est la sur de M. Myriel,
Mais Enjolras représente un idéal de générosité laïque, en étant le théoricien et le mystique de la Liberté, le «général démeute» aussi. Hugo a certainement pensé à Saint-Just en traçant son portrait car il «avait en lui la plénitude de la révolution», «sortait peu à peu de la forme étroite du dogme et se laissait aller aux élargissements du progrès [
] en était venu à accepter, comme évolution définitive et magnifique, la transformation de la grande république française en immense république humaine» (V. 1, 5). Il «avait cette qualité dun chef, de toujours faire ce quil disait» (V, 1, 2). Cependant, cet homme beau mais insensible manque dhumanité. Et Hugo qui décrète qu«un homme sans femme» est «un pistolet sans chien», que «cest la femme qui fait partir lhomme», comme «Enjolras na pas de femme», qu«il nest pas amoureux», que les deux baisers quil donne au vieillard héroïque quest Mabeuf étaient «les deux seuls baisers quil eût donnés dans sa vie» (V, 1, 22), il sétonne qu«il trouve le moyen dêtre intrépide. Cest une chose inouïe quon puisse être froid comme la glace et hardi comme le feu» (V, 1, 14).
Enjolras «était angéliquement beau [
] sévère dans les joies.» (III, 4, 1), - «froid comme la glace et hardi comme le feu.» (V, 1, 14).
- La justice rendue, «Enjolras était demeuré pensif. On ne sait quelles ténèbres grandioses se répandaient lentement sur sa redoutable sérénité.» (IV, 12, 8).
- Enjolras, qui est «bourreau et prêtre, de lumière comme le cristal, et de roche aussi» (IV, 12, 8).
- De la révolution, «Enjolras exprimait le droit divin, et Combeferre le droit naturel. Le premier se rattachait à Robespierre ; le second confinait à Condorcet. [
] lun eût été le juste, lautre eût été le sage. Enjolras était plus viril, Combeferre était plus humain. Homo et Vir, cétait bien là en effet leur nuance. Combeferre était doux comme Enjolras était sévère. [
] Enjolras était un chef, Combeferre était un guide. On eût voulu combattre avec lun et marcher avec lautre. [
] Combeferre préférait peut-être la blancheur du beau au flamboiement du sublime. Une clarté troublée par de la fumée, un progrès acheté par de la violence, ne satisfaisaient quà demi ce tendre et sérieux esprit. Une précipitation à pic d'un peuple dans la vérité, un 93, I'effarait ; cependant la stagnation lui répugnait plus encore, il y sentait la putréfaction et la mort ; à tout prendre, il aimait mieux lécume que le miasme, et il préférait au cloaque le torrent, et la chute du Niagara au lac de Montfaucon. [
] Tandis que ses tumultueux amis, chevaleresquement épris de l'absolu, adoraient et appelaient les splendides aventures révolutionnaires, Combeferre inclinait à laisser faire le progrès, le bon progrès.» (III, 4, 1).
- Un des émeutiers, Le Cabuc, ayant abattu un habitant de la rue, «dun mouvement souverain le frêle jeune homme de vingt ans» quest Enjolras «plia comme un roseau le crocheteur trapu et robuste et lagenouilla dans la boue.» (IV, 12, 8). - La justice rendue, «Enjolras était demeuré pensif. On ne sait quelles ténèbres grandioses se répandaient lentement sur sa redoutable sérénité.» (IV, 12, 8).
Par contre, M. Myriel, sil est lincarnation des plus authentiques vertus chrétiennes («Il y avait presque de la divinité dans cet homme ainsi auguste à son insu.» [I, 2, 11] est-il dit de ce «vieillard lumineux»), ne fut pas toujours un saint : «La première partie de sa vie avait été donnée au monde et aux galanteries» [I, 1, 1]). Il lest devenu. Nommé évêque pour avoir su répliquer à Napoléon, son premier acte fut de troquer son immense palais épiscopal contre la petite maison qui servait dhôpital ; son deuxième, de verser ses émoluments et son casuel aux bonnes uvres ; il devint ensuite «le trésorier de tous les bienfaits et le caissier de toutes les détresses». Pas une ombre de dogmatisme dans son comportement : il est indulgent et doux, prêche moins quil ne cause, parlant à chacun le langage qui lui convient. Dailleurs, il persuade ses fidèles avec naturel, tant ses propres convictions religieuses relèvent plus de lamour que des livres. «Tout par le cur» aurait pu être sa devise, sil eût, par extraordinaire, cherché à systématiser sa conduite. Lépisode de sa rencontre avec jean Valjean le résume tout entier : layant hébergé à sa sortie de bagne, il nen fut récompensé que par le vol de six couverts en argent ; mais, au lieu de ses plaindre, il se contenta, quand les gendarmes le lui ramenèrent, de le disculper et de le faire libérer en lui disant : «Eh bien, mais ! je vous avais donné les chandeliers aussi, qui sont en argent comme le reste
Pourquoi ne les avez-vous pas emportés avec vos couverts?» Cette simple phrase, où passe toute sa compréhensive bonté et toute son humanité, suffit à «acheter» lâme de Jean Valjean, parce quil vient enfin de rencontrer celui qui méritait quon pardonnât aux humains leurs abus et leurs fautes, le Juste.
M. Myriel, un misérable?
Modèle, M. Myriel I'est par sa place au début du roman dont il n'est pas vraiment un personnage (il disparaît très vite [p. 111]). Son portrait précède I'histoire. Tout le livre I, à I'imparfait descriptif, est hors du temps, I'action ne cornmençant qu'au livre II. Modèle d'une exemplaire charité, ce que montre la composition du livre I en scénettes illustrant sa sainteté à la manière de La légende dorée ou des images d'Épinal, il ouvre à Valjean la voie du Bien et de la Lumière (d'où le rôle symbolique du don des chandeliers). Mais, on I'a vu, cette voie est tortueuse ; les voies qu'emprunte M. Myriel le sont aussi.
C'est en effet un «juste», un «ex-pécheur» selon son mot (p. 15), compromis donc avec le péché qui est la «gravitation à laquelle l'homme ne peut échapper» : «le moins de péché possible», telle est sa maxime. Compromis, il l'est dans son passé obscur (pp. 34 et 57), il l'est dans son présent lumineux. Il est le double de Valjean, son frère (p. 111). Comme lui, il a deux noms, comme lui il a péché et s'est converti, comme lui il s'y connaît en «faux» (voir l'étrange lettre de sa soeur sur la famille des Faux ! p. 36). Comme lui, il vole puisqu'il détourne au profit des pauvres le trésor de la cathédrale rendu par un bandit. Comme lui, il ment pour racheter l'âme de Valjean, entrant dans la contagion de la faute (ce
que fera aussi soeur Simplice (p. 217), preuve que le Bien passe par le Mal. C'est donc bien deux chandeliers qu'il devait donner, deux dont la double lumière éclaire jusqu'à la dernière page I'itinéraire équivoque de Valjean.
Mais, plus grave encore, il n'est pas tout à fait un juste, c'est un homme de parti (p. 5l) «pardonné par le peuple faible», condamné sans réserves sur ce point par Hugo (pp. 5l-52). Prêtre, évêque, il est compromis avec l'ordre social, membre d'une Église qui est pilier de la monarchie.
Symétrique et sans une restriction est la «figure auguste» du conventionnel G. (p. 38), image de la justice dans sa perfection : G. n'a pas voté la mort du roi, n'est pas homme de ressentiment comme M. Myriel ; il veut bien «pleurer sur les enfants des rois pourvu qu'on pleure sur les petits du peuple». À la charité, toujours du côté de I'ordre bourgeois, s'oppose la révolution, «sacre de I'humanité» (p. 43). Le
«discours sur la misère», de Hugo, c'est ici G. qui le tient, G. dans lequel se confondent tous les opprimés dont Ia bouche trop longtemps bâillonnée ou torturée s'ouvre ici de façon prophétique. Hugo le montre à la fin du chapitre en inversant les rôles : l'évêque, enfin conscient de son indignité, demande sa bénédiction à l'athée. G. est donc le véritable modèle, non M. Myriel ; la justice passe par la barricade, non par la charité.
Cependant, il fallait partir de M. Myriel : s'il précède laction, c'est qu'il est le modèle d'une morale religieuse dont on ne peut faire l'économie puisqu'elle fonde I'ordre du siècle, mais dont il faut se séparer, partir dans les deux sens du terme : morale qui est responsable de toutes les misères, celle de la «damnation sociale» et celle de la faute, morale qu'il faut subvertir, détourner comme se détourne M. Myriel devant G., «face à une lumière inconnue».
Dans le long portrait de lui sur lequel souvre le livre, on a pu détecter l'influence du Curé de village et du Curé de Tours de Balzac. Cet évêque de Digne est lincarnation des plus authentiques vertus chrétiennes, de la bonté, de la charité.
Dans une certaine mesure, Hugo lui prêta ses vues et son idéal car «il prenait le sentier qui abrège, lÉvangile» (I, 1, 13). Aussi, cet évêque peu conformiste, face à un conventionnel moribond, exclu de la communauté depuis la Révolution, se démarque du clergé de lépoque, plutôt légitimiste voire ultra, en dialoguant sur les thèmes de la vraie révolution (est-elle liée à léducation? à un éveil spirituel? qui était le tyran dont on a voté la mort? Louis XVI ou lignorance?). Le débat unit les deux hommes plus quil ne les oppose. Les qualités humaines de lévêque apparaissent plus nettement dans ce passage que face à ses ouailles de Digne.
Larrivée dun inconnu confirme cette humanité. Il apporte son aide au forçat.
Surtout, il prononce ses dernières paroles pour commander à Jean Valjean la conduite quil doit tenir, et elles annoncent tout le développement du roman. En lui disant : «Cest votre âme que je vous achète» (I, 2, 12), il apparaît comme un véritable Méphistophélès à rebours.
En fait, il symbolise la grandeur spirituelle. Pour Baudelaire, il «est la charité hyperbolique, la foi perpétuelle dans le sacrifice de soi-même, la confiance absolue dans la Charité prise comme le plus parfait moyen denseignement».
Fantine, qui donne son nom à I'une des cinq parties du roman, personnage type de la jeune femme séduite et abandonnée, est née dun fait divers auquel assista Hugo, et quil rapporta dans Choses vues. Alors quil était pair de France et écrivain reconnu, il se serait interposé pour faire libérer une prostituée agressée par un client, qui, du fait de son honorabilité, avait raison aux yeux de la police. L'anecdote, rapportée dans Choses vues sous le titre Origine de Fantine, fut confirmée plus tard par Adèle Hugo. Cest ainsi quaux débuts de la rédaction du roman entre 1845 et 1848 lui vint l'idée de la mère-prostituée incarnant l'innocence accablée.
Séduite par un étudiant, cette malheureuse jeune fille est abandonnée au moment où va naître un enfant. Elle tente, dès lors, de vivre pour la petite fille qui naît de son aventure, et, pour la nourrir, elle se prostitue. À bout de forces, désespérée, obligée de la confier à un couple de gens louches, elle doit, pour payer les frais d'une maladie inventée par ces derniers, vendre jusqu'à ses dents. Elle meurt enfin, rachetant sa vie ignominieuse par la splendeur de son amour maternel, et elle éprouve la suprême consolation de pouvoir remettre son enfant, la petite Cosette, entre les mains de cet homme de cur quest Jean Valjean.
La tradition romantique avait déjà, notamment avec la Clarisse Harlowe de Richardson, introduit dans la littérature ce personnage de la femme malheureuse et persécutée, mais elle n'avait encore osé la faire descendre si bas, ni permis qu'elle fût à ce point souillée, pour que le le contraste parût encore plus grand entre son angoisse et la lumière à laquelle elle aspire. Au personnage de la vierge, se substitue celui de la jeune mère, et à I'idée d'une pureté toute abstraite, les expressions tragiquement concrètes de la faiblesse féminine mise à mal par l'égoïsme masculin.
Ainsi Fantine donna-t-elle une intensité plus grande au personnage ancien, sans toutefois le rénover ni le sauver du pathétique conventionnel et de la rigidité dune formule. Elle devait néanmoins devenir une sorte de figure de proue, ouvrant la voie à toute une lignée dhéroïnes de la seconde moitié du XIXe siècle, prostituées qui cachent en elles le secret de leur rédemption.
Pour lui, Fantine «était un de ces êtres comme il en éclôt, pour ainsi dire, au fond du peuple. Sortie des plus insondables épaisseurs de I'ombre sociale, elle avait au front le signe de I'anonyme et de l'inconnu. Elle était née à Montreuil-sur-mer. De quels parents? Qui pourrait le dire? [...] Point de nom de famille, elle n'avait pas de famille ; point de nom de baptême, l'église n'était plus là. Elle s'appela comme il plut au premier passant qui la rencontra toute petite, allant pieds nus dans la rue. Elle reçut un nom comme elle recevait l'eau des nuées sur son front quand il pleuvait. On l'appela la petite Fantine. Personne n'en savait davantage. Cette créature humaine était venue dans la vie comme cela.» (I, 3, 2). Fantine est un prénom singulier qui ajoute à la tendresse du faon le suffixe «ine» qui est tout en légèreté et en gaieté.
Et, en effet, si elle sait à peine lire, si elle ne sait pas écrire, si elle ne possède rien, elle apparaît pourtant dabord en «grisette» radieusement belle et pure, innocente et naïve bien qu'enfant de la rue, heureuse de vivre parce que passionnément amoureuse. Elle a succombé aux charmes de Tholomyès. Mais leur bref amour est son seul moment de bonheur. Bientôt, elle est abandonnée par ce fils de notaire qui sest amusé delle, qui labandonne avec insouciance en lui laissant une enfant. Meurtrie, enceinte, mère abandonnée, elle entre alors de plain-pied dans le malheur, est reléguée dans les marges de la société. On peut remarquer lharmonie du physique et du moral dans ses deux états de fille entretenue et de mère abandonnée. Comparer ses apparitions successives permet de sattacher à des signes qui se font écho.
Voulant retourner dans sa ville d'origine, Montreuil-sur-mer, afin d'y trouver du travail, sachant que le statut de mère célibataire pourrait lui nuire, elle confie Cosette, sa fille âgée de trois ans, à l'ignoble épouse Thénardier rencontrée en chemin, et qui lui semble bonne mère. Mais les Thénardier ne cessent d'augmenter le prix de la pension de I'enfant, contraignant Fantine à cumuler un travail de jour à l'usine et un travail de couturière de nuit. Renvoyée de l'usine en raison de la malveillance de commères qui ont appris I'existence de l'enfant caché, elle doit, pour payer la pension, vendre sa chevelure puis ses incisives. Enfin, à bout de ressources, elle, qui est issue du pavé, retourne au trottoir car elle se fait fille publique. Elle y perd sa santé, sa joie et enfin sa liberté. Jean Valjean, devenu M. Madeleine, maire de la ville et industriel, la sauve in extremis des griffes de Javert, en apprenant que son ancienne ouvrière est devenue prostituée par la faute de ses contremaîtres. Et, effrayée par Javert qui vient arrêter M. Madeleine, elle meurt brutalement en février 1823. Ainsi, si le maire lui a promis de lui ramener Cosette, elle ne la revoit pas. La fleur du pavé est jetée à la fosse commune. Mais elle reste révérée par Jean Valjean, qui entretient sa mémoire idéalisée dans l'esprit de sa fille, et sa revanche est la promotion sociale de Cosette, devenue comtesse Pontmercy, riche héritière. Les deux destins antithétiques de ces femmes du même sang sont la preuve de ce que Fantine aurait pu être si la société bourgeoise ne s'était acharnée sur la mère, l'ouvrière et la prostituée.
Le personnage peut sembler un archétype de la prolifique figure de la victime, mise à la mode par le mélodrame et le roman noir en vogue au début du XIXe siècle. Mais, transfigurée par Hugo, portant à la fois la marque de I'infamie et celle du surnaturel car elle n'est pas issue d'êtres de chair, elle devient une incarnation de la sacralité de ce peuple opprimé, rabaissé et humilié que les romantiques se donnèrent pour tâche de réhabiliter. Certains critiques ont vu en elle le double féminin de Valjean, tant le sort s'acharne sur elle, et parce que celui-ci, lié à elle par une promesse mystérieuse, prend sa relève, et devient la mère de Cosette.
Cosette. Elle est sans aucun doute le personnage emblématique du roman alors que sa présence au fil des pages y est beaucoup moins importante que celle de Jean Valjean. Sil est le héros des Misérables, elle en est I'enjeu.
Fille de Fantine, elle n'a pas de patronyme. Son prénom véritable est Euphrasie, littéralement «celle qui explique bien», étymologie qui rend ce prénom byzantin encore plus loufoque car ce personnage n'explique jamais rien. À moins qu'à son insu, elle ne soit elle-même l'explication. Elle est celle qui fonde Fantine (qui se sacrifie pour elle, en vain), qui fonde les parents Thénardier (qui, grâce à elle, peuvent donner toute la mesure de leur sadisme), qui fonde Jean Valjean (qui, grâce à elle, peut donner toute la mesure de son messianisme).
Marius fait d'elle un portrait composite qui réunit tous les arts : «C'était d'admirables cheveux châtains nuancés de veines dorées, un front qui semblait fait de marbre, des joues qui semblaient faites d'une feuille de rose, un incarnat pâle, une blancheur émue, une bouche exquise d'où le sourire sortait comme une clarté et la parole comme une musique, une tête que Raphaël eût donnée à Marie, posée sur un cou que Jean Goujon eût donné à Vénus.» (III, 6, 2)
Le personnage de Cosette a des affinités particulières avec le chant et la musique chantée.
Car elle est dabord lenfant maltraitée, gardée comme servante lorsque sa mère ne peut plus envoyer dargent, seule servante de lauberge et condamnée aux besognes les plus pénibles. Aussi, mal nourrie et rouée de coups, est-elle maigre et blême, a-t-elle les mains «perdues dengelures», les pieds nus dans ses sabots au plus froid de lhiver. Hugo, qui ne négligea rien pour rendre vraisemblable et significatif le tableau de cette misère enfantine (mention des circonstances, référence à des faits réels, indication précise des ressorts psychologiques), la décrivit ainsi : «Le feu qui l'éclairait en ce moment faisait saillir les angles de ses os et rendait sa maigreur affreusement visible. Comme elle grelottait toujours, elle avait pris I'habitude de serrer ses deux genoux I'un contre I'autre. Tout son vêtement n'était qu'un haillon qui eût fait pitié l'été et qui faisait horreur l'hiver. Elle n'avait sur elle que de la toile trouée ; pas un chiffon de laine. On voyait sa peau çà et là, et I'on y distinguait partout des taches bleues ou noires qui indiquaient les endroits où la Thénardier I'avait touchée. Ses jambes nues étaient rouges et grêles. Le creux de ses clavicules était à faire pleurer. Toute la personne de cette enfant, son allure, son attitude, le son de sa voix, ses intervalles entre un mot et I'autre, son regard, son silence, son moindre geste, exprimaient et traduisaient une seule idée : la crainte.» (II, 3, 8). Lorsquil ny a pas de travaux plus urgents, elle doit tricoter, sinstallant alors sous la table, le coin que la Thénardier appelle sa «niche». Privée de toute affection, elle nest entourée que de puissances hostiles ; aussi, par ses gestes, ses attitudes, tout son être exprime-t-il la crainte. Parfois, plongée dans cet abîme de misère, il semble quelle devienne «une idiote ou un démon».
Ce personnage malheureux suscite la pitié. Mais Amélie Nothomb prétend que les lecteurs «croient s'indigner quand en vérité il tressaillent de plaisir avec une volupté sadique», trouvent délectablement douloureuse lhistoire dune enfant victime, l'histoire jouissivement révoltante d'une petite fille martyre, le tableau dune faiblesse, dune innocence, dune pureté bafouées qui exerce un pouvoir obsessionnel, c'est toujours au célèbre portrait de Cosette par Émile Bayard qu'on recourt :
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Cette image de Cosette balayant la salle des Thénardier fait penser à celle de Cendrillon.
Mais Jean Valjean, échappé du bagne, vient la chercher et la sauver pour accomplir la promesse faite à Fantine. Est remarquable le «moment bizarre» où il lui offre une poupée, «les haillons de Cosette rencontrèrent et étreignirent les rubans et les fraîches mousselines roses de la poupée» (II, 3, 8). Linstinct de Cosette cherchait un père comme linstinct de Jean Valjean cherchait un enfant. Et elle lappelle «Père» tandis quil la considère comme sa fille. Élevée au couvent du Petit-Picpus où Jean Valjean a trouvé refuge, avec les années cette Cendrillon moderne devient une belle et pure jeune fille, reflet fidèle de lidéal romantique. Mais peut-être son joli visage gardait-il encore un souvenir de son enfance malheureuse car «la contradiction entre son regard qui était triste et son sourire qui était joyeux donnait à son visage quelque chose dun peu égaré.»
Un jour, au Luxembourg, elle rencontre Marius de Pontmercy, et de léchange de leurs regards naît un grand amour. Mais il faut bien des péripéties pour qu,elle devienne une heureuse jeune mariée qui, tête folle, oublie son père adoptif. Son amour pourrait alors paraître dérisoire. Comme Hugo ne chercha pas à lui donner lardeur brûlante, la grâce dansante dEsmeralda, elle est une statue, un splendide bijou, un bel objet, et lamour des deux jeunes gens est désincarné. Elle est, plus quune femme, une abstraction.
Hugo mêla au portrait de Cosette beaucoup de poésie.
Cosette est celle par laquelle lamour existe pour Jean Valjean.
À Marius de Pontmercy, Hugo donna sa propre jeunesse dont il avait la nostalgie. Il fit de lui le jeune homme quil fut, la ressemblance physique étant indubitable entre lui jeune et Marius étudiant : «Marius à cette époque était un beau jeune homme de moyenne taille, avec d'épais cheveux très noirs, un front haut et intelligent, les narines ouvertes et passionnées, lair sincère et calme, et sur tout son visage je ne sais quoi qui était hautain, pensif et innocent. Son profll, dont toutes les lignes étaient arrondies sans cesser d'être fermes, avait cette douceur germanique qui a pénétré dans la physionomie française par l'Alsace et Ia Lorraine, et cette absence complète d'angles qui rendait les Sicambres si reconnaissables parmi les Romains et qui distingue Ia race léonine de la race aquiline. Il était à cette saison de la vie où lesprit des hommes qui pensent se compose, presque à proportions égales, de profondeur et de naïveté. Une situation grave étant donnée, il avait tout ce qu'il fallait pour être stupide ; un tour de clef de plus, il pouvait être sublime. Ses façons étaient réservées, froides, polies, peu ouvertes. Comme sa bouche était charmante, ses lèvres les plus vermeilles et ses dents les plus blanches du monde, son sourire corrigeait ce que toute sa physionomie avait de sévère. À de certains moments, c'était un singulier contraste que ce front chaste et ce sourire voluptueux. Il avait lil petit et le regard grand.» (III, 6, 1).
Hugo rendit aussi Marius tel qu'il était à vingt ans : idéaliste et ignorant, chaste et passionné. Tout le livre Excellence du malheur (III, 5) est plein de souvenirs autobiographiques : Marius dans la maison Gorbeau, cest Victor Hugo dans son grenier de la rue du Dragon, avant son mariage. Il lui prêta ses amours, les émotions et les rêves des fiançailles entre lui et Adèle Foucher étant reflétés assez fidèlement dans le lyrisme du récit de la première rencontre entre Cosette et Marius : «Tout à coup, elle eut cette impression indéfinissable quon éprouve, même sans voir, lorsquon a quelquun debout derrière soi. / Elle tourna la tête et se dressa. / Cétait lui. / Il était tête nue. Il paraissait pâle et amaigri. On distinguait à peine son vêtement noir. Le crépuscule blêmissait son beau front et couvrait ses yeux de ténèbres. Il avait, sous un voile d'incomparable douceur, quelque chose de la mort et de la nuit. Son visage était éclairé par la clarté du jour qui se meurt et par la pensée d'une âme qui s'en va. / Il semblait que ce n'était pas encore le fantôme et que ce nétait déjà plus I'homme. [
] Cosette, prête à défaillir, ne poussa pas un cri. Elle reculait lentement, car elle se sentait attirée. Lui ne bougeait point. À je ne sais quoi d'ineffable et de triste qui l'enveloppait, elle sentait le regard de ses yeux qu'elle ne voyait pas. / Cosette, en reculant, rencontra un arbre et s'y adossa. Sans cet arbre, elle fût tombée. / Alors elle entendit sa voix, cette voix qu'elle n'avait vraiment jamais entendue, qui s'élevait à peine au-dessus du frémissement des feuilles, et qui murmurait : - Pardonnez-moi, je suis là. J'ai le cæur gonflé, je ne pouvais pas vivre comme j'étais, je suis venu. Avez-vous lu ce que j'avais mis là, sur ce banc? Me reconnaissez-vous un peu? N'ayez pas peur de moi. Voilà du temps déjà, vous rappelez-vous le jour où vous m'avez regardé? c'était dans le Luxembourg, près du Gladiateur. Et le jour où vous avez passé devant moi? C'étaient le 16 juin et le 2 juillet. Il va y avoir un an. Depuis bien longtemps, je ne vous ai plus vue.» (IV, 5, 6). Il s'était aussitôt pris pour Cosette d'un amour où la timidité et le respect se mêlaient à la passion la plus vive. Mais on sétonne, plus loin, de lire quil «navait pas le moindre désir de cette femme ravissante dont il sentait la forme contre sa poitrine. Il était éperdu damour.» (IV, 6, 1) ; on se demande sil nest pas asexuel. Cest quHugo voulut le faire arriver au mariage aussi pur quil lavait été pour le sien ; pourtant, il data la nuit de noces de Marius et de Cosette au 16 février 1833, ce qui était un hommage discutable à Juliette Drouet.
Marius est intéressant par ses rapports son grand-père et avec son père. Il ne retrouve celui-ci, général de lEmpire qui a reçu ses lettres de noblesse de Napoléon à Waterloo, que sur son lit de mort où il lui demande de remercier lhomme dont il pense quil lui a sauvé la vie à Waterloo. Devant le cadavre, il jure fidélité à son idéal. Désormais attaché à la mémoire paternelle, cultivant, au milieu de ses chaleureux sentiments démocratiques, un secret respect pour ce titre nobiliaire gagné par son père sur le champ de bataille et non reconnu après le désastre du régime, il part en quête du bienfaiteur de Waterloo. Il se trouve que cest Thénardier, louche maître-chanteur quil couvre dor mais en lequel il ne peut voir quun exploiteur. Mais, à la fin du roman, il accomplit la promesse, sans avoir jamais pu le confondre, obtenir de lui la vérité sur son attitude au soir de Waterloo.
La rencontre avec son père lui fait connaître le même revirement politique que Hugo. En atteignant l'âge d'homme, il constate que le monde n'est pas tel que le lui a décrit son grand-père royaliste. Un bouleversement idéologique s'opère en lui, et de royaliste il devient un démocrate bonapartiste. Désormais animé par une généreuse aspiration à la justice sociale, par un idéalisme radical, il est amené à rejoindre la barricade tout autant par le désespoir davoir perdu Cosette que par des sentiments républicains qu'il croit être I'héritage sacré de son père. Le 5 juin, il est encore étranger à la fièvre ambiante : tout à ses préoccupations personnelles, il ne comprend pas la proposition faite au matin par son ami Courfeyrac de rejoindre le cortège funèbre de Lamarque ; puis il erre dans Paris toute la journée du 5 sans se rendre compte de ce qui se passe dans la ville ; il se trouve rue Plumet à neuf heures du soir : pour lui, l'insurrection n'a pas encore commencé. Inversement, ses amis de l'ABC et Enjolras à leur tête sont levés dès l'aube du 5, se retrouvent chez Courfeyrac en début de matinée, participent au cortège du début jusqu'à la fin, sont présents au pont d'Austerlitz lorsque la tension devient insoutenable.
Sont intéressants encore ses rapports avec Jean Valjean. On assiste à lopposition classique entre le père et le futur gendre, à la rivalité autour de la même femme. Surtout, saisi de quelque soupçon devant la singulière personnalité de son beau-père qui sest isolé dans une solitude inexplicable, quand il apprend la vérité, il reste figé dans des principes petits-bourgeois qui laveuglent, et condamne, sans lécouter, lex-bagnard.
Marius est, comme le Gauvain de Quatre-vingt-treize une des figures idéales de Victor Hugo, du moins dans la partie où on le voit embrasser la cause du peuple, combattre sur les barricades et payer si généreusement de sa personne que ses pairs le saluent comme lun des chefs et des exemples de la révolution.
Mais, à côté de cet aspect essentiel de son personnage, il y a aussi le Marius épris de la douce Cosette, et vivant, en quête delle, un romanesque et idéal amour sans réussir toutefois à donner des contours personnels à sa passion qui finit par se confondre avec celles des autres amoureux du romantisme.
Les trois aspects de Marius ne se fondent pas en une physionomie unique, mais ne sopposent pas non plus, et peut-être est-ce justement grâce à une certaine discontinuité, qui interrompt le profil du type traditionnel de lidéaliste passionné, que Marius est lun des très rares jeunes gens en lesquels le roman de lépoque romantique ait réussi à incarner un modèle de vie généreuse sans le diminuer par le côté conventionnel dune perfection maniérée. Sans doute sa psychologie demeure-t-elle assez sommaire.
Pour Jean Valjean, Hugo, qui peint ses personnages par succession dantithèses, réussit à créer une antithèse continue, une antithèse incarnée, un être qui, dans la première partie de sa vie, est si violemment soumis au mal, qui, dans la seconde partie, se voue si fermement au bien, que son évolution offre la plus abrupte et la plus frappante opposition dombre et de lumière.
On peut voir une parenté entre lui et le Vautrin de Balzac, le romancier ayant décrit le monde et les coutumes des bagnards dans Splendeurs et misères des courtisanes. Mais il est son envers positif, le roman étant avant tout lépopée, digne de l'épopée cosmique que Hugo esquissa dans ses poèmes, de l'âme de Jean Valjean, personnage à la fois protéiforme et monolithique.
Son nom, aussitôt lu, est retenu, est familier. Cest un nom solide, sonore, campé sur les deux syllabes éclatantes répétées, avec, entre elles, ce «val» si paisible. Cependant, Victor Hugo tâtonna, puisque, sur le manuscrit, le personnage s'appela longtemps Tréjean, puis Vlajean.
Jean Valjean est un héros positif, mais il est double : son histoire, c'est d'abord ses tentatives pour échapper à Ia damnation sociale et obéir au modèle du Bien que lui offre M. Myriel. Le tome I raconte son ascension sociale et morale, qui le distingue de tous les autres misérables du roman, les Thénardier par exemple. Devenu bienfaiteur de Montreuil, patron modèle, il s'occupe de I'hôpital, des pauvres, des enfants, du maintien de I'ordre, du respect de la vertu ; riche, il vit dans la pauvreté. Malgré les risques encourus, il sauve Fauchelevent, il sauve Champmathieu, et se condamne au bagne. Pour respecter la «promesse faite à la morte» (page 382), il doit s'évader, renoncer à jamais à la dignité ouverte.
Il y aurait donc deux étapes dans cet itinéraire vers la vertu : la première (le retour à la dignité) serait dépassée par la conquête, supérieure à la reconnaissance sociale, du véritable Bien : une conscience pure, une âme (page 233). Ce serait alors un personnage christique.
Mais son histoire est plus tortueuse, le personnage est autre.
Les titres infirment l'idée d'une ascension. Sa rencontre avec M. Myriel coïncide avec une «Chute» (page 62) suivie d'une «Descente» (page 163), et sa marche vers la lumière l'oblige toujours à se compromettre avec I'ombre.
Une tempête sous un crâne, chapitre central, révèle que pour Valjean toute démarche est nécessairement un compromis (pages 228 et 241) : «Rester dans le paradis et y devenir démon ! rester dans l'enfer et y devenir ange !» Ainsi la crise, dans ce chapitre et le suivant, dit l'impossibilité de discerner le Bien du Mal, car dans le Bien il y a le Mal. Le chapitre, construit sur un balancement superbement rhétorique, n'aboutit qu'à une plus étroite liaison de l'un et I'autre, dans un dilemme dont la seule issue est la compromission : se faire reconnaître et fuir, s'avouer donc misérable dans les deux sens du terme, un malheureux mais aussi un coupable.
Cette irrémédiable compromission du héros se confirme. Le vol commis aux dépens de Petit-Gervais (pour lequel il est à nouveau jugé et envoyé au bagne) I'inscrit dans le Mal sans qu'on puisse invoquer la misère ou I'injustice sociale. C'est une réitération, une régression incompréhensible après une expérience du Bien qu'on aurait pu croire déterminante. Puis, plus encore, la générosité de M. Madeleine engendre le mal : «sa vertu intolérante» (page 165) entraîne la déchéance de Fantine, renvoyée de I'usine pour avoir un enfant, et condamnée par là à la prostitution. C'est pourquoi elle crache au visage de «ce gueux de maire qui a fait tout le mal». Le mal fait à Fantine ne peut se racheter, Madeleine peut bien la soigner, elle meurt sans avoir revu Cosette.
Toute la vie de M. Madeleine est sous le signe de la fausseté. C'est en fabriquant des verroteries noires, imitation de jais anglais, et pour avoir introduit une substitution dans leur fabrication, qu'il fait fortune, passant en cinq ans d'un avoir de quelques centaines de francs (page 164) à 630 000 francs. Ce représentant de la misère donne bien vite dans le capitalisme. Et, quand il fait la charité, c'est «en se cachant comrne on se cache pour les mauvaises» actions, «à la dérobée», «furtivement» (page 170), comme un «malfaiteur» à Montreuil, mais aussi à Paris, du temps de la masure Gorbeau («le mendiant qui fait I'aumône» [page 450]).
Double est encore son nom, Jean Valjean devenu ensuite Madeleine (du nom d'une femme, et laquelle !). Cette fuite de nom en nom fait de lui au couvent de Picpus le faux frère du vieux Fauchelevent. De même, on voit «Comment Jean peut devenir Champ» (titre de I, 6, 2) ou comment «Le numéro 24 601 devient Ie numéro 9430» (titre de II, 2, 1).
Double est toujours son séjour à Paris. Quel intérêt trouver au long historique de la maison Gorbeau, si ce n'est d'insister sur sa duplicité, sur la coexistence en elle du noble et du vulgaire inscrite dans son numéro double 50-52, masure dont le nom vient de plus d'une substitution de lettre. C'est exposer
en tête de II, 4 l'idée de l'équivocité entre Bien et Mal, Grand et Petit, Beau et Laid.
Duplicité, enfin, dans I'accomplissement de la promesse faite à la morte. Dans cette paternité, il y a de l'ombre, des sentiments obscurs. À la générosité se mêle en effet l'égoïsme (page 444) qui fait de Cosette une recluse, interdite d'amour, gardée jalousement par son faux père, et aussi une ingrate oublieuse de celui qui I'a sauvée. À l'aide matérielle et morale se mêle aussi l'ambiguïté : «Tout en faisant épeler I'enfant, il songeait que c'était avec I'idée de faire le mal qu'il avait appris à lire au bagne» (page 448). Si le mal se «retourne» en bien, le bien ne peut-il se retourner en mal?
Faux père, tel il est dans l'épisode de I'adoption qui ressemble à une page d'histoire sainte, mais fait aussi de lui un voleur d'enfant (pages 480-481). Toute la scène (pages 393-436) est subtilement sous le signe de I'imposture. Le récit édifiant nous montre en Valjean un Père Noël généreux, offrant à Cosette la poupée de ses rêves, sauvant I'enfant-Cendrillon de I'enfer de la misère. La parodie du symbolisme de Noël lui confère aussi l'aspect d'un faussaire. Car c'est en somme à Ia fausse naissance de Cosette que nous assistons, dans une atmosphère qui n'est pas celle, naïve, de la crèche, mais d'une gargote peuplée de rouliers ivres, où l'on marchande un enfant à un couple monstrueux. Le rôle de la Vierge est tenu par une poupée de pacotille nommée Catherine (la pure, la vierge) ou encore la Dame. Mais ce n'est pas la Vierge qui enfante, c'est Valjean devenu père dans une fausse chambre de mariés (page 422), neuf mois (!) après la mort de Fantine, datée du 25 mars 1823 (page 434).
Ainsi, plus qu'un héros déchiré, partagé entre deux pôles dont on nous montrerait I'itinéraire psychologique, Valjean est un personnage emblématique, destiné à montrer l'équivocité de toute quête du Bien, qui est équivoque , de toute quête de la Sagesse, qui fait de I'homme, à I'instar de Thénardier, un «filousophe» (p. 386).
Né en 1769, année où vit aussi le jour Napoléon Bonaparte, fils de pauvres paysans de la Brie, cet homme du peuple analphabète et travailleur, qui est même I'homme du peuple par excellence, un homme qui aurait pu être bon si les circonstances, si la société, le lui avaient permis, mais dont sa vie infernale avait fait I'individu le plus misérable, le moins éclairé.
Son impressionnante vigueur physique se manifeste en diverses circonstances, en particulier quand il soulève la charrette de Fauchelevent, et quand, «avec une force de géant et une rapidité daigle» (V, 1, 24), il porte Marius sur ses épaules à travers les égouts.
Orphelin de bonne heure, il se consacra à la famille de sa sur, qui était restée veuve avec sept enfants. Tour à tour émondeur, moissonneur, manuvre, selon les saisons, il ne réussissait à gagner que quelques sous par jour, juste de quoi empêcher ses neveux de mourir de faim. Un hiver où il n'y avait pas d'ouvrage, il vola un pain ; cela suffit à le faire condamner au bagne. Sa nuit commençait, une nuit qui devait durer dix-neuf ans, et, durant laquelle il allait être en butte à toutes les brimades et à tous les vices. Incapable de comprendre Ia raison du malheur qui s'était abattu sur lui, il se replia sur sa conscience, et réfléchit, si bien que «le malheur, qui a aussi sa clarté, augmenta le peu de jour quil y avait dans son esprit.» Ce travail I'amena à considérer que sil sétait, à I'origine, rendu coupable, son châtiment avait été dune sévérité outrée. Il sen indigna et, concluant quil était victime dune iniquité, il en arriva à cette conviction qu'il n'avait, pour se défendre contre les humains que sa haine car ils ne lavaient chaque fois approché que pour le meurtrir. Aussi était-il, à sa sortie du bagne, lugubre et sombre à faire peur. Le mauvais accueil et les insultes que lui valait son passeport de forçat redoublaient sa colère. Il constatait quil nétait admis dans la société quà condition de rester en marge, quon le considérait comme un paria, comme un pestiféré dont tous sécartent, que la liberté quon lui rendait ne pouvait faire de lui quun criminel.
À Digne, il est repoussé de partout jusquà ce quil fasse la rencontre de M. Myriel, le bon évêque qui le loge quand tout le monde Iui fermait la porte, qui le traite comme un égal sans même sinformer doù il vient et quji il est. Cette confiance lémeut, mais plus encore le trouble et le gêne. Cependant, au cours de la nuit quil passe à lévêché, il est repris par ses hantises, et vole, parmi les rares objets précieux que lévêque conservait, «six couverts dargent». Arrêté, reconduit chez sa victime, il croit à un véritable prodige lorsque M. Myriel le fit libérer en déclarant quil lui avait fait cadeau de ce qu'on I'accusait de lui avoir dérobé. Bouleversé par ce geste pour lui incompréhensible, Jean Valjean commença de souvrir à la lumière du bien.
Pourtant, en quittant Digne, il commet, sans lavoir voulu, un dernier larcin en volant un petit ramoneur. Mais la miséricorde de lévêque fait son chemin dans cette âme obscure : une faible lueur sallume en lui et une singulière métamorphose commence en lui.
Quand nous le retrouvons plus tard, il est devenu, sous le nom de Monsieur Madeleine, une sorte de saint laïc qui fait régner la justice et la prospérité sur toute une petite ville. Grâce à une habile invention, il a fondé une industrie de verroterie ; il est riche mais nuse de sa fortune que pour soulager la souffrance des autres. C'est ainsi quil recueille Fantine maIade, et lui jure, quand elle meurt, de s'occuper de sa fille, Cosette. Cependant, ayant appris par I'inspecteur de police Javert, qui le soupçonne et le guette, qu'on vient d'arrêter un ancien forçat qu'on suppose être Jean Valjean, une
terrible lutte s'engage en lui : doit-il, pour sauver ce malheureux, renoncer à la situation à laquelle il est parvenu et aller se dénoncer? Le souvenir de M. Myriel I'aide à se décider : il se présente devant le tribunal, découvre sa véritable identité, et est condamné au bagne à vie.
Quelques années plus tard, comme il sest évadé, son premier soin est de venir enlever Cosette aux Thénardier qui la martyrisent. Désormais, il se consacre à elle, et lui voue une affection attentive et paternelle. La part de sa fortune qu'il a pu dissimuler avant d'être arrêté lui permet de vivre à sa guise, mais constamment sur ses gardes, il ne sort guère dans Paris que pour faire I'aumône. Bientôt, Javert est sur sa piste ; il lui échappe de justesse, et trouve asile dans le couvent du Petit-Picpus où, sous le nom de Fauchelevent, il exerce pendant des années les fonctions de jardinier tandis que Cosette, qui passe pour sa petite-fille, y bénéficie dune excellente éducation. Heureux parce qu'il est près delle, et se dit que rien ne pourra la lui enlever, il commence, à la longue, à considérer son affection jalouse avec quelques scrupules. Après cinq ans de séjour dans ce cloître, il décide quil n'a pas le droit de retrancher Cosette du monde avant de le lui avoir fait connaître, et c'est ainsi qu'ils quittent le couvent et s'installent en ville. Mais il prend soin de changer souvent de logement pour dépister d'éventuelles recherchee de la police. Cosette a maintenant quinze ans, et est devenue une belle jeune fille. Lui, qui vient datteindre la soixantaine, la couve avec une attention excessive qui s'émeut de voir paraître trop
fréquemment sur leur chemin le même jeune homme. Il veut le bonheur de Cosette mais il veut le faire seul, et considère que quiconque pourrait prendre pa place n'est qu'un ennemi. Sa victoire sur cette jalousie est la dernière étape de son évolution et son plus haut sacrifice : elle se déroule en plusieurs temps, et est marquée dabord par le sauvetage du jeune homme, Marius de Pontmercy, qu'il soustrait, au péril de sa vie, à la répression de l'émeute de 1832 en I'emportant sur son dos à travers le dédale des égouts parisiens ; ensuite par le consentement au mariage de Cosette et de Marius, et, enfin, au lendemain des noces, par laveu à Marius de son ancienne condition de forçat. Par cet aveu qui, il le sait, va lui attirer le mépris de Marius (lequel ignore quil fut son sauveur) et la séparation d'avec Cosette, il entend renoncer à un bonheur qui lui paraît une usurpation parce que son honorabilité n'est qu'une apparenoe, parce qu'il a toujours été I'homme traqué, lhomme «en dehors» qui a besoin du mépris des autres pour se sentir d'accord avec lui-même. Cependant, rongé par I'absence de Cosette, il se meurt bientôt dans la solitude. Mais ses derniers instants sont illuminés par la venue des deux jeunes gens qui, ayant appris avec quelle honnêteté, quelle modestie et quelle «sainteté», il a mené sa vie, lui rend enfin justice, et lui apporte Ia réconciliation et la paix.
Image touchante dune réhabilitation, il est peut-être le symbole dune humanité misérable qui, écrasée par I'ordre social, conserve en lui la force de se libérer de I'asservissement et de I'humiliation, la force d'accéder à sa juste lumière en dégageant peu à peu son esprit des ténèbres de I'inconscience. Ainsi pourrait-on expliquer que, malgré ses côtés mélodramatiques, ses invraisemblances et Ie peu de rigueur de son analyse, ce personnage garde une puissance épique qui, faisant oublier les imperfections de son caractère, le dote d'un extraordinaire pouvoir d'«illustration» : il est un peuple en marche vers la justice, la connaissance et le bonheur.
fut, à lâge de vingt-sept ans, condamné à cinq ans de bagne pour avoir, en 1795, où lhiver ayant été plus rude que les autres, il navait plus eu de travail, navait plus pu donner de pain à ses neveux, avait volé pour eux un quignon, car il était un soutien de famille au cur tendre. La réclusion dans cet espace coupé du monde, dans ce milieu sordide où les meilleurs deviendraient des damnés, favorisa la réflexion sur soi-même et sur la société de cet homme au caractère pensif. Accablé sous les coups d'un destin féroce, aigri, diminué, gâté par d'odieuses promiscuités, le matricule 24601 du bagne de Toulon, surnommé Jean-le-Cric, s'est dabord réfugié dans une inconscience complète. Là-bas, il parla peu, ne rit jamais. Parfois, «il se mettait à penser. Sa raison, à la fois plus mûre et plus troublée quautrefois, se révoltait. Tout ce qui lui était arrivé lui paraissait absurde ; tout ce qui lentourait lui paraissait impossible.» Il «était devenu capable, grâce à la manière dont le bagne lavait façonné, de deux espèces de mauvaises actions : premièrement, dune mauvaise action rapide, irréfléchie, pleine détourdissement, toute dinstinct, sorte de représaille pour le mal souffert ; deuxièmement, dune mauvaise action grave, sérieuse, débattue en conscience et méditée avec les idées fausses que peut donner un tel malheur.» Il éprouvait «la haine de la loi humaine» qui peut devenir «la haine de la société, puis la haine du genre humain, puis la haine de la création, et se traduit par un vague et incessant et brutal désir de nuire, nimporte à qui, à un être vivant quelconque.» (I, 2, 7). Ayant appris à lire, écrire, compter, il eut le temps de se forger un nouveau personnage dur et inflexible, et il sortit du bagne, vingt ans plus tard, sa peine ayant plusieurs fois été rallongée parce qu'il avait plusieurs fois tenté de la raccourcir (sétaient ajoutés «quatorze ans pour avoir tenté de sévader quatre fois» [I, 2, 3]), le cur empli de haine contre cette société qui juge sans comprendre, qui écrase les faibles et protège les forts, cette haine étant la seule force qui demeurait en lui. On découvre alors «un homme de moyenne taille, trapu et robuste, dans la force de lâge», au «visage brûlé par le soleil et le hâle et ruisselant de sueur», à la «poitrine velue», à «la tête tondue et la barbe longue» (I, 2, 1), quadragénaire, La société avait fait d'un être faible une bête brute, et elle entendait le traiter comme tel, ne ladmettait quà condition quil reste en marge, comme un paria, comme un pestiféré, tous s'écartant de lui car «Il était difficile de rencontrer un passant d'un aspect plus misérable.» «Misérable», voilà le premier adjectif dont le romancier qualifie son personnage. Jean Valjean est de ceux qu'on regarde de très haut. «Ces gens-là, quand ce n'est pas de la boue, c'est de la poussière», aux yeux des bons citoyens. Nous le voyons réduit à l'état de bête errante, chemineau farouche et hagard, en colère, repoussé par tous, prêt à devenir un vrai criminel.
Or ce forçat est accueilli à bras ouverts par M. Myriel, devant lequel il est plein de naïvetés face à M. Myriel (I, 1, 3),. Mais, comme la liberté qu'on lui avait rendue ne pouvait plus faire de lui qu'un criminel, il ne put s'empêcher, repris par ses hantises, dérober à son bienfaiteur, au cours de la nuit, «six couverts dargent». Le lendemain, il est ramené par les gendarmes qui ont trouvé les objets volés. Mais M. Myriel affirme avec tranquillité lui en avoir fait présent, y ajoutant même «deux gros flambeaux dargent massif». Jean Valjean, stupéfait par tant de charité, croit à un véritable prodige.
Pourtant, il commit encore un larcin (à légard de Petit-Gervais), mais on sent le combat en lui entre linstinct et la conscience ; après sêtre épuisé à essayer de retrouver lenfant, «ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible laccablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience.» (I, 2, 13). Pour la première fois depuis dix-neuf ans, il se mit à pleurer : «Jean Valjean pleura longtemps. Il pleura à chaudes larmes, il pleura à sanglots, avec plus de faiblesse qu'une femme, avec plus d'effroi qu'un enfant. Pendant qu'il pleurait, Ie jour se faisait de plus en plus dans son cerveau, un jour extraordinaire, un jour ravissant et terrible à Ia fois. Sa vie passée, sa première faute, sa longue expiation, son abrutissement extérieur, son endurcissement intérieur, sa mise en liberté réjouie par tant de plans de vengeance, ce qui lui était arrivé chez l'évêque, Ia dernière chose qu'iI avait faite, ce vol de quarante sous à un enfant, crime d'autant plus lâche et d'autant plus monstrueux qu'il venait après Ie pardon de l'évêque, tout cela lui revint et lui apparut, clairement, mais dans une clarté qu'il n'avait jamais vue jusque-Ià.» (I, 2, 13), Hugo créant un contraste pathétique entre la force physique de lancien forçat et son désarroi intérieur.
Arrêté par les gendarmes, Jean Valjean s'attend à subir les conséquences de sa récidive jusqu'au moment miraculeux où l'homme d'Église non seulement ne l'accuse pas, mais lui pardonne en lui offrant même le butin volé pour qu'il puisse recommencer sa vie du bon pied. Fin du premier acte, fin de la parenthèse noire, du côté pile de l'ombre, et place au côté face lumineux de l'être humain : la bonté
Désormais éclairé et transformé par le geste admirable, le pardon, la charité sublime, de M. Myriel, se transformant sur le plan moral au fil de ses expériences, le paria, qui n'avait connu jusqu'ici que les rigueurs de la loi et la méchanceté des hommes, se rachète par la bonté, le travail et l'abnégation jusqu'à, étant déjà un pur, dune pureté totale, qui semble ignorer jusquaux tentations de la chair, devenir un véritable saint, passant par quatre moments de vérité qui lamènent à des choix.
Mais il doit prendre un masque pour se protéger contre la loi injuste. «Le misérable magnanime» quil est a trouvé «le défaut de la cuirasse de la société.» (V, 4). Il disparaît pour reparaître, homme simple, austère, dévoué, respectable, sous le nom de Monsieur Madeleine (par référence à la pécheresse sauvée par Jésus), en inventeur dun procédé qui lui permet de faire fortune en industriel philanthrope qui abaisse les coûts de production, hausse des salaires, et draine, dans la paix sociale, la force de travail de toute une région. Malgré lui, il devient maire, et se consacre à faire le bien de chacun, est estimé, consulté comme un juge. Il offre sa vie pour sauver l'accidenté Fauchelevent, et est alors reconnu par Javert, témoin néfaste de son passé. Il défend la prostituée contre son tortionnaire, et fait alors à Fantine la promesse de soccuper de son enfant, la malheureuse Cosette martyrisée par les sinistres Thénardier. Montrant, au tribunal dArras, une éloquence émouvante et convaincante (I, 7, 11), il sacrifie sa liberté pour délivrer l'innocent Champmathieu en révélant quil est Valjean, tombant ainsi entre les mains de Javert.
De nouveau arrêté, de nouveau forçat (matricule 9430 sur LOrion, navire de guerre), sévadant et étant donné pour mort, il resurgit en redingote jaune décatie, et, en le «monsieur bienfaisant de léglise Saint-Jacques-du-Haut-Pas», Monsieur Leblanc, rentier parisien habitué du jardin du Luxembourg, nous reconnaissons bientôt sa troisième incarnation. Vouant sa vie à sacquitter de la promesse faite à Fantine, poursuivant son besoin désespéré de rédemption, accomplissant ainsi le voeu initial de M. Myriel, il vit maintenant discret, tranquille, rassuré et heureux, avec Cosette qui passe pour sa fille, et quil éduque. Il découvre des sentiments qui lui étaient inconnus, dont la paternité, ce qui fait dailleurs des Misérables un roman de la paternité comme lavait déjà été Le père Goriot de Balzac. Rendu prudent par ses aventures successives, il se cache, mais n'en poursuit pas moins patiemment cette lente métamorphose de lui-même vers la vertu et labnégation qui commença autrefois à Digne.
Une sorte de bilan est fait dans La masure Gorbeau : «Il venait de voir sous de nouveaux aspects la méchanceté des hommes et la misère de la société, aspects incomplets et qui ne montraient fatalement quun côté du vrai, le sort de la femme résumé dans Fantine, lautorité publique personnifiée dans Javert ; il était retourné au bagne, cette fois pour avoir bien fait ; de nouvelles amertumes lavaient abreuvé ; le dégoût et la lassitude le reprenaient ; le souvenir même de lévêque touchait peut-être à quelque moment déclipse, sauf à reparaître plus tard lumineux et triomphant ; mais enfin ce souvenir sacré saffaiblissait. Qui sait si Jean Valjean nétait pas à la veille de se décourager et de retomber?» (II, 4, 3).
Le vieil homme prouve sa force dancien bagnard en triomphant, sous les yeux de Gavroche, du guet-apens tendu par Montparnasse.
Mais il est toujours pourchassé par Javert, et, pour lui échapper devient encore Ultime Fauchelevent, jardinier au couvent du Petit-Picpus, séjour qui a un effet bénéfique sur lui, même si ce nest pour lui quun refuge où il se sent sauvé, et non un lieu de foi : «Le couvent contribua, comme Cosette, à maintenir et à compléter dans Jean Valjean luvre de lévêque.» (II, 8, 9). Trouvant la lettre de Cosette à Marius, il comprend quil va perdre sa fille.
Il risque ses vieux os sur les barricades de I'insurrection, épargne son ennemi mortel, cette autre grande force contre laquelle il lui fallut sans cesse lutter, sauve lamoureux de sa fille. Mais, depuis qu'il sait que Cosette aime, il est blessé au cur, tout en étant résolu à se sacrifier pour lui rendre son indépendance. Par la peinture de cette jalousie paternelle, Hugo se montra analyste des passions, et réussit à émouvoir.
À la fin, nayant pas révélé à Marius quil lui a sauvé la vie, mais lui révélant sa véritable identité en renonçant à son masque et donc à son abri, nindiquant pas quel est son véritable lien avec Cosette, il facilite leur mariage en se faisant passer pour un vague parent, demande même à la jeune femme de ne plus lappeler «père» mais «M. Jean», réalisant I'affirmation de soi la plus héroïque dans un effacement silencieux. «Il mourut quand il neut plus son ange», sans prêtre.
«vieillard vierge».
Le personnage est analysé à différents moments : I, 2, 13 - I, 7, 3 - II, 4, 3 - II, 8, 9.
Jean Valjean est resté pour la postérité la figure de proue du roman. Paysan, puis bagnard, enfin industriel, cet homme de la deuxième chance, qui échappe au fatal déterminisme social, renvoie au public populaire une image de lui-même valorisante. Doté de cette ambivalence que Victor Hugo souligna bien : «Jean Valjean avait cela de particulier quon pouvait dire quil portait deux besaces ; dans lune il avait les pensées dun saint, dans lautre les redoutables talents dun forçat. Il fouillait dans lune ou dans lautre, selon loccasion.» (II, 5, 5), cest un géant unissant une force physique exceptionnelle et une âme sublime animée dune morale surhumaine. Cette victime exemplaire dun passé qui le vouerait à la haine, victime tout d'abord inconsciente, accablée par les humiliations, et vouée à I'abrutissement, une fois touchée par la bonté, elle s'éveille pour demeurer inébranlable dans sa volonté, son besoin désespéré de rédemption, pour reconquérir sa noblesse morale. Ce juste poursuivi par I'injustice, symbolisant la conscience qui se libère de lasservissement et de lhumiliation, laspiration à Dieu par le sacrifice, devenant la personnification d'une thèse généreuse et exaltée, est un archétype humain, l'Homme par excellence, I'Homme total, dans l'Évangile selon Victor. On peut même voir en lui une manière de Christ qui prend sur lui le péché du monde, et I'expie. Lindiquent :
- Le rapprochement qui est fait entre M. Madeleine en proie à lincertitude de la conduite à tenir, et le Christ au Jardin des Oliviers : «Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, lêtre mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de lhumanité, avait lui aussi, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de linfini, longtemps écarté de la main leffrayant calice qui lui apparaissait ruisselant dombre et débordant de ténèbres dans les profondeurs pleines détoiles.» (I, 7, 3).
- Le rapprochement avec le Calvaire quand il est dit, alors que Jean Valjean porte Marius dans les égouts : «Lui aussi porte sa croix» (titre de V, 3, 4).
- La comparaison avec «Jacob [qui] ne lutta avec I'ange qu'une nuit.» (V, 6, 4).
- La position quil a quand recommence en lui «la vieille lutte formidable» entre le bien et le mal, dans une «rêverie vertigineuse» qui dure «toute la nuit» : «les bras étendus à angle droit comme un crucifié décloué quon aurait jeté la face contre terre» (V, 6, 4).
- Le titre du «livre» V, 7 : La dernière gorgée du calice qui, dans I'immense et continu effort qu'il s'impose pour se racheter, entraîne I'humanité tout entière.
Cette réhabilitation dun forçat victime de la société le fait partir dune trop grande abjection pour parvenir à une trop haute sainteté. Cest un géant terrassé par le destin, une victime exemplaire plutôt quun homme ; il est surtout lillustration , la personnification dune thèse généreuse mais quelque peu primaire.
Alors quHugo écrivit à à Albert Lacroix, le 20 mars 1862 : «Il ny a de drame profond que dans la vérité vivante et avec des personnages étudiés à fond et réels de toute part», on prétend souvent que sa psychologie est sommaire, quhabile narrateur, il serait plus apte à manier des masses que des individus, à évoquer des actions plutôt que des sentiments ; quau théâtre et dans le roman, il naurait créé que des personnages tout dune pièce, stéréotypés et symboliques.
Il faut concéder que cest vrai ici dEnjolras. Mais ses autres personnages ne sont ni des marionnettes ni de purs symboles, mais de réels individus, qui montrent une belle diversité. Il donna un réalisme émouvant à beaucoup de ses portraits. Il fit place à lintrospection, aux états dâme confus et violents de la conscience (où il fut servi par ses dons de poète), aux plongées dans les psychés, aux «effondrements intérieurs», aux «émeutes de l'âme» où les êtres humains accomplissent dans les abîmes leur appartenance à l'humanité.
On pénètre évidemment surtout dans la psyché de Jean Valjean :
- lorsquil est devant lévêque endormi ;
- lorsquil est accablé après la fuite de Petit-Gervais ;
- lorsquil traverse la «tempête sous un crâne», épisode où :
- il fait ce rêve significatif : «Il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant, reculant en vain, sur le bord extrême dun abîme. Il entrevoyait distinctement dans lombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelquun y tombât, lui ou lautre.» (I, 7, 3).
- il ressent «une sorte de convulsion de la conscience [
] quon pourrait appeler un éclat de rire intérieur.» (I, 7, 3).
- le désordre de lesprit se porte sur le nom de «Romainville» (I, 7, 3), sur «le bouton de cuivre de la porte» du tribunal» (I, 7, 8).
Ainsi court, dans Les misérables, comme une seconde action, une action invisible, qui explique et reflète les péripéties de laction visible.
Si, dune part, on peut voir dans le roman dHugo, qui est parsemé d'innombrables allusions à sa propre expérience mais distribuées sur plusieurs personnages, parfois évidentes mais souvent secrètes, qui affichent son image de I'auteur et la dissolvent, une autobiographie fictionnelle, allusive et cryptée, on peut, dautre part, considérer que le grand personnage est, en fait, le peuple de Paris, dont Hugo retraça avec une chaleur communicative, une force émouvante et un incontestable talent épique, les petites misères et les heures glorieuses. Il représente lhumanité souffrante, misérable, mais toutefois pleine de grandeur. Et c'est même dans la mesure où les personnages se mêlent, participent à cette humanité, qu'ils attirent la sympathie dHugo, et qu'ils nous émeuvent et nous captivent.
On peut donc apprécier léquivocité et la duplicité de nombre des personnages des Misérables, ou continuer à les trouver artificiels, dotés dune psychologie sommaire, ressortissant tous plus ou moins à cette forme simpliste de manichéisme quinconsciemment Hugo cultivait et qui sous-tend toutes ses uvres.
INTÉRÊT PHILOSOPHIQUE
Hugo, comme beaucoup décrivains du XIXe siècle, se voulut éducateur et prophète, et même démiurge, autant que romancier. Les misérables, même sils sont un roman d'accès aisé, comme ils présentent des significations nombreuses et riches, ne le laissent pas réduire à un sens, ni même à un objet unique. Ce roman de quelques misérables est devenu une illustration et une explication de la misère, qui, pour Hugo, est tout ce qui défigure I'existence humaine (la détresse historique, la pauvreté, la corruption de Ia conscience, les «effondrements intérieurs»). Avec à la fois cordialité et grandeur, il y montra son pouvoir de s'indigner et d'imposer ses indignations, il y proposa une idéologie généreuse.
- Pour Hugo, «La philosophie ne doit pas être un encorbellement bâti sur le mystère pour le regarder à son aise, sans autre résultat que dêtre commode à la curiosité.» (II, 7, 6).
- «Le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, cest, dun bout à lautre, dans son ensemble et dans ses détails, quelles que soient les intermittences, les exceptions ou les défaillances, la marche du mal au bien, de linjuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour, de lappétit à la conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité au devoir, de lenfer au ciel, du néant à Dieu.» (V, 1, 20).
- Hugo prétend : «La logique de la révolution [
] peut conclure à la guerre, tandis que sa philosophie ne peut aboutir quà la paix.» (III, 4, 1).
- Les misérables se résumeraient ainsi : «Point de départ : la matière, point darrivée : lâme. Lhydre au commencement, lange à la fin.» (V, 1, 20).
Est remarquable la forte propension dHugo aux maximes qui sont souvent des définitions paradoxales, des formules laconiques et creuses où il entendait résumer sa pensée.
Maximes :
- «Vrai ou faux, ce quon dit des hommes tient souvent autant de place dans leur vie et surtout dans leur destinée que ce quils font.» (I, 1,1).
- «La nature mêle quelquefois ses effets et ses spectacles à nos actions avec une espèce dà-propos sombre et intelligent, comme si elle voulait nous faire réfléchir.» (I, 2, 11).
- «Lâme des justes pendant le sommeil contemple un ciel mystérieux.» (I, 2, 11).
- «Le monde moral na pas de plus grand spectacle que celui-là : une conscience troublée et inquiète, parvenue au bord dune mauvaise action, et contemplant le sommeil dun juste.» (I, 2, 11).
- «Le mariage est une greffe ; cela prend bien ou mal.» (I, 3, 7).
- Confier, cest quelquefois livrer (titre de I, 4).
- «Il ne suffit pas dêtre méchant pour prospérer.» (I, 4, 3).
- «Certaines natures ne peuvent aimer dun côté sans haïr de lautre.» (I, 4, 3).
- «La souffrance sociale commence à tout âge.» (I, 4, 3).
- «Tous les animaux sont dans lhomme et chacun deux est dans un homme. Quelquefois même plusieurs dentre eux. Les animaux ne sont autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices» (I, 5, 5).
- «Cest surtout aux heures où lon aurait le plus besoin de les rattacher aux réalités poignantes de la vie que tous les fils de la pensée se rompent dans le cerveau.» (I, 7, 8).
- «Le propre des spectacles sublimes, cest de prendre toutes les âmes et de faire de tous les témoins des spectateurs.» (I, 7, 11).
- «Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes.» (I, 8, 4).
- «La mort, c'est l'entrée dans la grande lueur.» (I, 8, 4).
- «Il y a des instincts pour toutes les rencontres de la vie.» (II, 3, 5).
- «Qui cherche le mieux peut trouver le pire» (II, 3, 10).
- «Les enfants acceptent tout de suite et familièrement la joie et le bonheur, étant eux-mêmes naturellement bonheur et joie.» (II, 4, 2).
- «Deux malheurs mêlés font du bonheur.» (II, 4, 3).
- «Les meilleurs ne sont pas exempts dune pensée égoïste.» (II, 4, 3).
- «Une pièce de cinq francs qui tombe à terre fait du bruit,» (II, 4, 5)
- À chasse noire, meute muette (titre de II, 5).
- «Toutes les situations extrêmes ont leurs éclairs qui tantôt nous aveuglent, tantôt nous illuminent.» (II, 5, 5)
- «À ces chiens toujours en chasse, le loup daujourdhui fait oublier le loup dhier.» (II, 5, 10).
- «Le propre de la vérité, cest de nêtre jamais excessive.» (II, 7, 3).
- «La philosophie ne doit pas être un encorbellement bâti sur le mystère pour le regarder à son aise, sans autre résultat que dêtre commode à la curiosité.» (II, 7, 6).
- Les cimetières prennent ce quon leur donne (titre de II, 8).
- «Il ne suffit pas dêtre ivrogne pour être immortel.» (II, 8, 5).
- «La joie que nous inspirons a cela de charmant que, loin de saffaiblir comme tout reflet, elle nous revient plus rayonnante.» (II, 8, 9).
- «Il est certain quun des côtés de la vertu aboutit à lorgueil. Il y a là un pont bâti par le diable.» (II, 8, 9).
- «Quest-ce que lidéal? Cest Dieu. / Idéal, absolu, perfection, infini ; mots identiques.» (II, 7, 6).
- «Labsolu, par sa rigidité même, pousse les esprits vers lazur et les fait flotter dans lillimité.» (III, 4, 1).
- «Rien nest tel que le dogme pour enfanter le rêve. Et rien nest tel que le rêve pour engendrer lavenir. Utopie aujourdhui, chair et os demain.» (III, 4, 1).
- «Larrière-pensée du pouvoir rencontre dans la sape larrière-pensée du peuple. Lincubation des insurrections donne la réplique à la préméditation des coups détat.» (III, 4, 1).
- «La logique de la révolution [
] peut conclure à la guerre, tandis que sa philosophie ne peut aboutir quà la paix.» (III, 4, 1).
- «Un incendie peut faire une aurore sans doute, mais pourquoi ne pas attendre le lever du jour? Un volcan éclaire, mais laube éclaire encore mieux» (III, 4, 1).
- «Il faut que le bien soit innocent» répétait Combeferre. (III, 4, 1)
- «Si Ia grandeur de la révolution, cest de regarder fixement I'éblouissant idéal et d'y voler à travers les foudres, avec du sang et du feu à ses serres, la beauté du progrès, c'est d'être sans tache.» (III, 4, 1).
- «Un sceptique qui adhère à un croyant, cela est simple comme la loi des couleurs complémentaires. Ce qui nous manque nous attire. Personne naime le jour comme laveugle. La naine adore le tambour-major. Le crapaud a toujours les yeux au ciel ; pourquoi? Pour voir voler loiseau.» (III, 4, 1).
- «La rêverie nempêche pas un cabriolet de passer, et le songeur de remarquer le cabriolet.» (III, 4, 2).
- «La jeunesse est la saison des promptes soudures et des cicatrisations rapides.» (III, 4, 3).
- «Lâme aide le corps, et à de certains moments le soulève. Cest le seul oiseau qui soutienne sa cage.» (III, 5, 2).
- «On jugerait bien plus sûrement un homme d'après ce qu'il rêve que d'après ce qu'il pense.» (III, 5, 5).
- «Les invalides eux-mêmes peuvent être heureux.» (III, 6, 8).
- «Les sociétés humaines ont toutes ce quon appelle dans les théâtres un troisième dessous. Le sol social est partout miné, tantôt pour le bien, tantôt pour le mal. Ces travaux se superposent. Il y a les mines supérieures et les mines inférieures. Il y a un haut et un bas dans cet obscur sous-sol qui seffondre parfois sous la civilisation, et que notre indifférence et notre insouciance foulent aux pieds.» (III, 7, 1).
- «Les volcans sont pleins dune ombre capable de flamboiement. Toute lave commence par être nuit.» (III, 7, 1).
- «Détruisez la cave Ignorance, vous détruisez la taupe Crime.» (III, 7, 2).
- «La première élégance, cest loisiveté ; loisiveté dun pauvre, cest le crime.» (III, 7, 3).
- «Jamais parmi les animaux la créature née pour être une colombe ne se change en une orfraie. Cela ne se voit que parmi les hommes.» (III, 8, 4).
- «Ce bonheur de se vanter de quelque chose, auquel nulle créature humaine nest insensible.» (III,8, 4).
- «Lhomme, à létat rêveur, est naturellement prodigue et mou ; [
] Il y a, dans cette façon de vivre, du bien mêlé au mal, car, si lamollissement est funeste, la générosité est saine et bonne. Mais lhomme pauvre, généreux et noble, qui ne travaille pas, est perdu. Les ressources tarissent, les nécessités surgissent. Pente fatale où les plus honnêtes et les plus fermes sont entraînés comme les plus faibles et les plus vicieux, et qui aboutit à lun de ces deux trous, le suicide et le crime.» (IV, 2, 1).
- «Lâme qui aime et qui souffre est à létat sublime.» (IV, 2, 1).
- «Il y a de ces congélations subites dans létat rêveur quun mot suffit à produire.» (IV, 2, 1).
- Secours den bas peut être secours den haut. (titre de IV, 4).
- «Blessure au dehors, guérison au dedans.» (IV, 4,1).
- «Qui sait si l'homme n'est pas un repris de justice divine?» (IV, 7, 1).
- «Les petits détails [ ... ] sont, pour ainsi parler, le feuillage des grands événements.» (IV, 10, 2).
- «Le dix-neuvième siècle est grand, mais le vingtième sera heureux.» (V, 1, 4).
- «De toutes les choses que Dieu a faites, le cur humain est celle qui dégage le plus de lumière, hélas ! et le plus de nuit.» (IV, 8, 1).
- «Cest une erreur de croire que la passion, quand elle est heureuse et pure, conduit lhomme à un état de perfection ; elle le conduit simplement, nous lavons constaté, à un état doubli. Dans cette situation, lhomme oublie dêtre mauvais, mais il oublie aussi dêtre bon. La reconnaissance, le devoir, les souvenirs essentiels et importuns, sévanouissent.» (IV, 8, 3).
- «La nature hérissée et fauve seffare à de certaines approches où elle croit sentir le surnaturel.» (IV, 8, 5).
- «Quelquefois le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple.» (IV, 10, 2).
- «Parole enchaînée, cest parole terrible. Lécrivain double et triple son style quand le silence est imposé par un maître au peuple. Il sort de ce silence une certaine plénitude mystérieuse qui filtre et se fige en airain dans la pensée. La compression dans lhistoire produit la concision dans lhistorien. La solidité granitique de telle prose célèbre nest autre chose quun tassement fait par le tyran. La tyrannie contraint lécrivain à des rétrécissements de diamètre qui sont des accroissements de force. [
] Moins denvergure dans la phrase, plus dintensité dans le coup. [
] Lhonnêteté dun grand cur, condensée en justice et en vérité, foudroie.» (IV, 10, 2).
- «Rien nest tel que la main populaire pour bâtir tout ce qui se bâtit en démolissant.» (IV, 12, 3).
- «Les grands périls ont cela de beau quils mettent en lumière la fraternité des inconnus.» (IV, 12, 4).
- «Les attroupements, comme on sait, font boule de neige et agglomèrent en roulant un tas dhommes tumultueux.» (IV, 12, 8).
- «Il y a une dilatation de pensée propre au voisinage de la tombe ; être près de la mort, cela fait voir vrai.» (IV, 12, 3).
- «La guerre civile? quest-ce à dire? Est-ce quil y a une guerre étrangère? Est-ce que toute guerre entre hommes nest pas la guerre entre frères? La guerre ne se qualifie que par son but. Il ny a ni guerre étrangère, ni guerre civile ; il ny a que la guerre injuste et la guerre juste. Jusquau jour où le grand concordat humain sera conclu, la guerre, celle du moins qui est leffort de lavenir qui se hâte contre le passé qui sattarde, peut être nécessaire. Qua-t-on à reprocher à cette guerre-là? La guerre devient honte, lépée ne devient poignard que lorsquelle assassine le droit, le progrès, la raison, la civilisation, la vérité. Alors, guerre civile ou guerre étrangère, elle est inique ; elle sappelle le crime. En dehors de cette chose sainte, la justice, de quel droit une forme de la guerre en mépriserait-elle une autre? [
] Flétrira-t-on, sans sinquiéter du but, toute prise darmes dans lintérieur de la cité? [
] Guerre de buissons? guerre de rues? Pourquoi pas? [
] La monarchie, cest létranger ; loppression, cest létranger ; le droit divin, cest létranger. Le despotisme viole la frontière morale comme linvasion viole la frontière géographique. [
] Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie il faut laction ; la vive force achève ce que lidée a ébauché. [
] Les multitudes ont une tendance à accepter le maître. Leur masse dépose de l'apathie. Une foule se totalise aisément en obéissance. Il faut les remuer, les pousser, rudoyer les hommes par le bienfait même de leur délivrance, leur blesser les yeux par le vrai, leur jeter la lumière à poignées terribles. Il faut qu'ils soient eux-mêmes un peu foudroyés par leur propre salut ; cet éblouissement les réveille. De là la nécessité des tocsins et des guerres. Il faut que de grands combattants se lèvent, illuminent les nations par l'audace, et secouent cette triste humanité que couvrent d'ombre le droit divin, la gloire césarienne , la force, le fanatisme, le pouvoir irresponsable et les majestés absolues ; cohue stupidement occupée à contempler, dans leur splendeur crépusculaire, ces sombres triomphes de la nuit. À bas le tyran ! Mais quoi? de qui parlez-vous? Appelez-vous Louis-Philippe tyran? Non ; pas plus que Louis XVI. Ils sont tous deux ce que I'histoire a coutume de nommer de bons rois ; mais les principes ne se morcellent pas, la Iogique du vrai est rectiligne, le propre de la vérité, c'est de manquer de complaisance ; pas de concession donc ; tout empiètement sur l'homme doit être réprimé ; il y a Ie droit divin dans Louis XVI, il y a Ie parce que Bourbon dans Louis-Philippe ; tous deux représentent dans une certaine mesure la confiscation du droit, et pour déblayer I'usurpation universelle, il faut les combattre ; il le faut, la France étant toujours ce qui commence. Quand le maître tombe en France, il tombe partout. En somme, rétablir la vérité sociale, rendre son trône à la liberté, rendre le peuple au peuple, rendre à I'homme Ia souveraineté, replacer la pourpre sur la tête de la France, restaurer dans leur plénitude la raison et l'équité, supprimer tout germe d'antagonisme en restituant chacun à lui-même, anéantir lobstacle que la royauté fait à I'immense concorde universelle, remettre le genre humain de niveau avec le droit, quelle cause plus juste, et, par conséquent, quelle guerre plus grande? Ces guerres-là construisent la paix. Une énorme forteresse de préjugés, de privilèges, de superstitions, de mensonges, d'exactions, d'abus, de violences, d'iniquités, de ténèbres, est encore debout sur le monde avec ses tours de haine. Il faut la jeter bas. Il faut faire crouler cette masse monstrueuse. Vaincre à Austerlitz, c'est grand, prendre la Bastille, c'est immense.» (IV, 13, 3).
- «ll nest personne qui ne l'ait remarqué sur soi-même, lâme, et c'est là la merveille de son unité compliquée d'ubiquité, a cette aptitude étrange de raisonner presque froidement dans les extrémités les plus violentes, et il arrive souvent que la passion désolée et le profond désespoir, dans lagonie même de leurs monologues les plus noirs, traitent des sujets et discutent des thèses. La logique se mêle à la convulsion, et le fil du syllogisme flotte sans se casser dans lorage lugubre de la pensée.» (IV, 13, 3).
- «On se rassure presque aussi follement quon sinquiète ; la nature humaine est ainsi.» (IV, 15, 1).
- «La divination du désespoir est une sorte darc mystérieux qui ne manque jamais son coup.» (IV, 15, 1).
- «Les grandes douleurs contiennent de laccablement. Elles découragent dêtre. Lhomme chez lequel elles entrent sent quelque chose se retirer de lui. Dans la jeunesse leur visite est lugubre ; plus tard, elle est sinistre. Hélas, quand le sang est chaud, quand les cheveux sont noirs, quand la tête est droite sur le corps comme la flamme sur le flambeau, quand le rouleau de la destinée a encore presque toute son épaisseur, quand le coeur, plein d'un amour désirable, a encore des battements qu'on peut lui rendre, quand on a devant soi le temps de réparer, quand toutes les femmes sont là, et tous les sourires, et tout l'avenir, et tout l'horizon, quand la force de la vie est complète, si c'est une chose effroyable que le désespoir, qu'est-ce donc dans sa vieillesse, quand les années se précipitent de plus en plus blémissantes, à cette heure crépusculaire oir I'on commence à voir les étoiles de la tombe !» (IV, 15, 1).
- «Il nest pas de penseur qui nait parfois contemplé les magnificences den bas.» (V, 1, 1).
- «Cette facilité de prophétie triomphante qui est une des forces du français combattant.» (V, 1,3).
- «La parole étant souffle, les frémissements dintelligence ressemblent à des frémissements de feuilles.» (V, 1, 5).
- «Doù poussera-t-on le cri de lamour, si ce nest du haut du sacrifice?» (V, 1, 6).
- «Un homme sans femme, cest un pistolet sans chien ; cest la femme qui fait partir lhomme» (V, 1, 14).
- «Cest une chose inouïe quon puisse être froid comme la glace et hardi comme le feu» (V, 1, 14).
- «Toute épée a deux tranchants ; qui se blesse avec lun se blesse à lautre.» (V, 1, 20).
- «La victoire, quand elle est selon le progrès, mérite lapplaudissement des peuples ; mais une défaite héroïque mérite leur attendrissement.» (V, 1, 20).
- «Lacceptation de lagonie en pleine jeunesse et en pleine santé fait de lintrépidité une frénésie.» (V, 1, 21).
- «Il ny a pas de plus violent prodigue quun avare qui prend le mors aux dents ; il ny a pas dhomme plus effrayant dans laction quun songeur.» (V, 1, 21).
- Lintestin de Léviathan (titre de V, 2).
- «Pour le sable comme pour la femme il y a une finesse qui est perfide.» (titre de V, 3, 5).
- «Quelquefois on échoue où lon croit débarquer» (titre de V, 3, 7).
- «La destinée a de certaines extrémités à pic sur limpossible, et au-delà desquelles la vie nest plus quun précipice.» (V, 4).
- «Les prédestinations ne sont pas toutes droites ; elles ne se développent pas en avenue rectiligne devant le prédestiné ; elles ont des impasses, des coecums, des tournants obscurs, des carrefours inquiétants offrant plusieurs voies. Jean Valjean faisait halte en ce moment au plus périlleux de ces carrefours.» (V, 6, 4).
- «Lobéissance de la matière est limitée par le frottement ; est-ce quil ny a pas une limite à lobéissance de lâme? Si le mouvement perpétuel est impossible, est-ce que le dévouement perpétuel est exigible?» (V, 6, 4).
- «Le martyre est une sublimation, sublimation corrosive. Cest une torture qui sacre.» (V, 6, 4).
- «Dans ce défilé de condamnés quon appelle la destinée humaine, deux fronts peuvent passer lun près de lautre, lun naïf, lautre formidable, lun tout baigné des divines blancheurs de laube, lautre à jamais blémi par la lueur dun éternel éclair?» (V, 7, 2).
- «Beaucoup dhommes ont ainsi un monstre secret, un mal quils nourrissent, un dragon qui les ronge, un désespoir qui habite leur nuit. Tel homme ressemble aux autres, va, vient. On ne sait pas quil a en lui une effroyable douleur parasite aux mille dents, laquelle vit dans ce misérable, qui en meurt. On ne sait pas que cet homme est un gouffre. Il est stagnant mais profond. De temps en temps un trouble auquel on ne comprend rien se fait à sa surface. Une ride mystérieuse se plisse, puis sévanouit, puis reparaît ; une bulle dair monte et crève. Cest peu de chose, cest terrible. Cest la respiration de la bête inconnue.» (V, 8, 2).
- «Ce quon appelle beaucoup trop durement, dans certains cas, lingratitude des enfants, nest pas toujours une chose aussi reprochable quon le croit. Cest lingratitude de la nature [qui] regarde devant elle. La nature divise les êtres vivants en arrivants et en partants. Les partants sont tournés vers lombre, les arrivants vers la lumière. De là un écart qui, du côté des vieux, est fatal, et, du côté des jeunes, involontaire. Cet écart, dabord insensible, saccroît lentement comme toute séparation de branches. Les rameaux, sans se détacher du tronc, sen éloignent. Ce nest pas de leur faute. La jeunesse va où est la joie, aux fêtes, aux vives clartés, aux amours. La vieillesse va à la fin. On ne se perd pas de vue, mais il ny a plus détreinte. Les jeunes gens sentent le refroidissement de la vie ; les vieillards celui de la tombe. Naccusons pas ces pauvres enfants.» (V, 9, 1).
- «Le sépulcre peut avoir son éblouissement.» (V, 9, 5).
pour prendre un nouvel élan et affirmer : «Le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, cest, dun bout à lautre, dans son ensemble et dans ses détails, quelles que soient les intermittences, les exceptions ou les défaillances, la marche du mal au bien, de linjuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour, de lappétit à la conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité au devoir, de lenfer au ciel, du néant à Dieu. Point de départ : la matière, point darrivée : lâme. Lhydre au commencement, lange à la fin.» (V, 1, 20).
Réflexion sociale : la dénonciation des misères
Réflexion politique : la revendication républicaine
Réflexion morale : lascension vers la conscience
Dans ce roman historique, Hugo se livra à une réflexion sur lHistoire, se posant les questions : quest que lHistoire? qui donc la crée? à qui arrive-t-elle? quel rôle joue lindividu dans de tels évènements car il sattacha à la manière dont les vies individuelles se mêlent aux évènements historiques qui marquent une époque?
Se penchant en particulier sur ce trou où I'Histoire était tombée en 1815, il décréta que Napoléon ne pouvait être vainqueur à Waterloo car : «Il était temps que cet homme vaste tombât. / Lexcessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait léquilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau dun homme, cela serait mortel à la civilisation si cela durait. Le moment était venu pour lincorruptible équité suprême daviser. Probablement les principes et les éléments, doù dépendent les gravitations régulières dans lordre moral comme dans lordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre dune surcharge, de mystérieux gémissements de lombre, que labîme entend.» (II, 1, 9). Et, plus loin, il se demanda : Faut-il trouver bon Waterloo? (titre de II, 1, 17) et constata la Recrudescence du droit divin (titre de II, 1, 18).
Le pouvoir monarchique ayant été restauré et subissant, au cours du XIXe siècle, une opposition libérale et républicaine, sinon socialiste, il y vit une maturation. D'abord sur un plan stratégique et technique, la comparaison entre la barricade de la Chanvrerie et les deux grandes barricades de juin 1848 (La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple [V, 1, 1]) lui permettant de conclure à une «éducation de l'émeute». En effet, en 1832, la barricade avait été largement improvisée, construite de bric et de broc avec ce qui tombait sous la main des insurgés, sans cesse refaite par petits bouts ; aussi était-elle suicidaire, et lémeute fut-elle rapidement étouffée. En 1848, au contraire, la barricade était devenue un ouvrage de professionnels de la guerre civile.
Les positions politiques dHugo se radicalisèrent au cours de la rédaction du roman, qui, commencé en 1845, fut repris en 1860. Il passa des prudences louis-philippardes aux âpretés de la parole exilée. Aussi, finalement, si les 5 et 6 juin 1832 représentèrent pour lui ce moment particulier de l'Histoire où la violence resta maîtresse, il considéra que construire la barricade, c'était en définitive, «élever, échafauder et entasser un monceau de misères, de douleurs, d'iniquités, de griefs, de désespoirs, et arracher des bas-fonds des blocs de ténèbres pour s'y créneler et y combattre.» (V, 1, 20). Mais il opposait à «cette barricade» qui était «le hasard, le désordre, leffarement, le malentendu, linconnu», «lassemblée constituante, la souveraineté du peuple, le suffrage universel, la nation, la Rébublique.» (V, 1, 1). Et il voyait la souveraineté de la violence déjà appelée à s'effilocher.
Les misérables sont un énorme réquisitoire contre la société. Hugo, dominé par une thèse humanitaire, animé dun désir dapostolat, y proposa véritablement un évangile social.
Il lavait annoncé dans lAvant-propos, bref texte écrit à Guernesey en 1862, qui venait après les discours à lAssemblée. Définissant son projet, lintention qui préside à lensemble, il affirma : «Tant quil existera, par le fait des lois et des murs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant dune fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de lhomme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l'atrophie de lenfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, lasphyxie sociale sera possible ; en dautres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.» Lemploi du futur et de la conjonction «tant que», reprise par quatre fois, montre quHugo donna une dimension politique et prophétique à cette oeuvre, qui est dabord constat de la misère faite aux êtres humains.
Sil parla de «l'atrophie de l'enfant par la nuit», cest que celui-ci était la principale victime d'une société injuste et égoïste, le bonheur de la petite enfance durant peu, et la misère venant vite en ternir la gaieté et l'insouciance.
Il dénonça des maux quil évoquait déjà à la fin de Claude Gueux, la misère et lignorance. Pour lui, savoir lire est le meilleur moyen déchapper à cette «nuit» quest la pauvreté.
Il se donna pour but de dénoncer toutes les «formes de la damnation sociale» : le crime, le bagne, l'échafaud, la prostitution, le travail des enfants, montrant la peine profonde des pauvres, décrivant une misère qui réalisait l'unité des confins de la société (bagnes, barrières et égouts). Il constata : «Il y a un point où les infortunés et les infâmes se mêlent et se confondent dans un seul mot, les misérables», et demanda : «de qui est-ce la faute?» (llI, 8, 5).
Il entendait lutter contre ce quil considérait comme le fatal déterminisme social. Car il faut remarquer que ce roman, publié la même année que Souvenirs de la maison des morts de l'ancien bagnard Fiodor Dostoïevski, 1862, soit à peine cinq ans avant Le capital, fut le dernier à pouvoir prétendre décrire le monde tout en ignorant l'existence du marxisme. Pour Hugo, la condition prolétarienne quil dépeignit n'était pas la conséquence historique d'un mode de production transitoire, mais une manifestation de la fatalité et du mal attaché à la condition humaine depuis le fond des âges. Dailleurs, les revendications quil exprima dans Les misérables, les situations de conflits qui jalonnent le roman, étaient déjà présents dans ses uvres précédentes, quelles évoquent le Moyen Âge, l'Italie de la Renaissance, l'Angleterre du XVIe siècle, ou le Paris de Louis XI.
Il livra un plaidoyer en faveur de la justice sociale.
Il poursuivit sa protestation contre «la question pénale et sur la damnation par la loi» déjà commencée dans Claude Gueux, comme il le signala dans une «courte parenthèse» (I, 2, 6), paragraphe ajouté en 1861.
la ruse impitoyable par laquelle la justice et la charité fabriquent et se renvoient les coupables et les secourus dont elles ont besoin pour construire la société sur I'exclusion des «misérables» : criminels et malheureux ;
Il dénonce en particulier le système judiciaire :
- «Les galères font le galérien.» (I, 7, 11)
La misère sociale était, pour lui, la faute de I'injustice et de I'indifférence, parfois d'un système répressif impitoyable. Le jugement qui avait condamné Jean Valjean symbolise l'oppression qu'impose une société injuste à une population écrasée. M. Myriel était «indulgent pour les femmes et les pauvres sur qui pèse le poids de la société humaine. Il disait : Les fautes des femmes, des enfants, des serviteurs, des faibles, des indigents et des ignorants sont les fautes des maris, des pères, des maîtres, des forts, des riches et des savants.[
] La société est coupable de ne pas donner linstruction gratis ; elle répond de la nuit quelle produit. Cette âme est pleine dombre, le péché sy commet. Le coupable nest pas celui qui y fait le péché, mais celui qui y fait lombre.» (I, 1, 4).
Pour Hugo, seules I'instruction, la justice sociale et la charité évangélique empêcheraient les «infortunés» de devenir des «infâmes». Animé despoirs généreux, il ne désespéra pas de sauver, à force de patience et d'amour, même les criminels endurcis. Il déploya une pensée tout ensemble optimiste (le progrès finit toujours par se frayer un chemin) et pessimiste (c'est au prix de sang et de larmes) et même fataliste (Waterloo fut «la journée du destin. La force au-dessus de lhomme a donné ce jour-là» ; on sentait «dans lombre une présence terrible. Hoc erat in fatis.» [II, 1, 13] - au début de l'épisode qui prélude à la «tempête sous un crâne», on lit : «Nous avons beau tailler de notre mieux le bloc mystérieux dont notre vie est faite, la veine noire de la destinée y reparaît toujours» [I, 6, 1]). Il affirmait : «Les éléments sociaux entraient en lutte, en attendant le jour où ils entreront en équilibre.» (V, 1, 12). Il distingua «cette grande chose humaine quon appelle la loi et cette grande chose divine quon appelle la justice.» (I, 7, 9).
Les problèmes constatés et dénoncés par Hugo nont pas vieilli, sont toujours dactualité. Si lon ne va plus au bagne pour un pain volé, notre justice est toujours une justice de classe. Il y a toujours un problème de lenfance malheureuse. Le XXe siècle connut et le XXIe siècle connaît encore le cycle infernal des soulèvements et des répressions.
De ce fait, il reconnut dans la barricade le progrès en marche.
Enjolras proclama que «la barricade n'est faite ni de pavés, ni de poutres, ni de ferrailles ; elle est faite de deux monceaux, un monceau d'idées et un monceau de douleurs.» (V, 1, 6).
Dans le grand discours quil fait aux insurgés, il prévoit des «lendemains qui chantent» dans une profession de foi exaltée : «Citoyens, le dix-neuvième siècle est grand, mais le vingtième siècle sera heureux. Alors plus rien de semblable à la vieille histoire ; on naura plus à craindre, comme aujourdhui, une conquête, une invasion, une usurpation, une rivalité de nations à main armée, une interruption de civilisation dépendant dun mariage de rois, une naissance dans les tyrannies héréditaires, un partage de peuples par congrès, un démembrement par écroulement de dynastie, un combat de deux religions se rencontrant de front, comme deux boucs de lombre, sur le pont de linfini ; on naura plus à craindre la famine, lexploitation, la prostitution par détresse, la misère par chômage, et léchafaud, et le glaive, et les batailles, et tous les brigandages du hasard dans la forêt des événements. On pourrait presque dire : il ny aura plus dévénements. On sera heureux. Le genre humain accomplira sa loi comme le globe terrestre accomplit la sienne ; lharmonie se rétablira entre lâme et lastre ; lâme gravitera autour de la vérité comme lastre autour de la lumière.» (V, 1, 5). La prédiction révèle un fulgurant idéal progressiste. Elle ouvre des perspectives inédites. Dans un avenir pacifié, les vecteurs de la violence, et l'événement en fait ici partie, n'auraient plus lieu d'être.
On lit encore un long développement sur le progrès en V, 1, 20 : «Le progrès est le mode de lhomme. La vie générale du genre humain sappelle le Progrès.» Il haussa la plus mince affaire au rang de symbole éternel : dans une émeute dun jour, étouffée au cur dune grande capitale, il reconnut le Progrès en marche.
- on peut comparer cette vision utopique au développement de la réalité historique de 1830 à nos jours.
Déjà auparavant, dans le livre intitulé Le 5 juin 1832, on pouvait lire : «Le suffrage universel a cela dadmirable quil dissout lémeute dans son principe, et quen donnant le vote à linsurrection, il lui ôte larme. Lévanouissement des guerres, de la guerre des rues comme de la guerre des frontières, tel est linévitable progrès. Quel que soit aujourdhui, la paix, cest Demain.» (IV, 10, 2).
Hugo manifesta particulièrement dans Les misérables le manichéisme simpliste quil cultivait inconsciemment et qui sous-tend toutes ses uvres. Pour lui, I'individu et I'humanité sont constitués par ce mouvement mystérieux qui est celui de la conscience de soi et du bien. Il sattacha à souligner l'opposition fondamentale entre le bien et le mal, qui fut montrée dans létude des personnages, lincompatibilité radicale entre les intentions et les actes, entre les causes et leurs conséquences, entre le beau et lhorrible. On lit dans une note marginale des manuscrits des Misérables : «Ce livre [...] c'est la marche du mal au bien [...], de l'appétit à la conscience.» Il se fit le romancier de la conscience. On la voit apparaître lorsquaprès avoir volé Petit-Gervais, Jean Valjean sépuise à essayer de le retrouver : «Ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible laccablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience.» (I, 2, 13). Tandis quil sétait présenté à M. Myriel comme «un homme malheureux» (I, 2, 3), «il cria : je suis un misérable.» (I, 2, 13). Et Hugo le qualifie encore ainsi quand il voit passer «la Chaîne» (IV, 3, 8).
Il proclama, de façons qui peuvent paraître parfois naïves, son espoir dans la domination progressive du bien sur le mal. Le roman est marqué par loptimisme moral, social et politique de celui qui était un romantique. En poursuivant sa longue méditation sur les misères de son siècle, Hugo suggéra une possible rédemption au-delà d'un abîme de souffrances, affirma la possibilité de la régénération morale, en dépit du fatal déterminisme social que représente Javert dont le suicide pose en principe la supériorité d'un impératif moral qui transcende les simples lois humaines.
Les étapes de sa régénération morale, son itinéraire spirituel étant symbolique, expriment la foi de lécrivain dans une victoire progressive du bien sur le mal. Il ne concevait cette victoire que dans I'expiation, la rédemption ne pouvant sobtenir que par la souffrance et la mort consenties. Et cette rédemption peut nêtre pas seulement individuelle mais sociale, lhistoire de la conscience de son héros étant celle même de la conscience humaine. Il avait dailleurs exprimé cette ambition démesurée : «faire le poème de la conscience humaine».
Hugo osa se placer sur le plan métaphysique, se livra à des méditations sur lunivers :
- «Napoléon avait été dénoncé dans linfini, et sa chute était décidée. / Il gênait Dieu. / Waterloo nest point une bataille ; cest le changement de front de lunivers.» (II, 1, 9).
- «Ce livre est un drame dont le premier personnage est l'infini. / L'homme est le second.» (II, 7, 1). Il se demanda : «Y a-t-il un infini hors de nous?» (II, 7, 5).
On trouve tout au long des pages des évocations détournées ou directes de Dieu :
- M. Madeleine, en proie au tourment, se demande : «Y a-t-il quelquun ici?» Hugo commente : «Il y avait quelquun ; mais celui qui y était nétait pas de ceux que lil humain peut voir.» (I, 7, 3).
- Le narrateur parle de «lêtre mystérieux en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de lhumanité» (I, 7, 3).
- Napoléon naurait pu gagner la bataille de Waterloo «à cause de Dieu.» (II, 1, 9) - «Dans la bataille de Waterloo, il y a plus que du nuage, il y a du météore. Dieu a passé.» (II, 1, 13).
- Cosette rencontrant Jan Valjean «sentait en lui quelque chose qui ressemblait à de lespérance et à de la joie et qui sen allait vers le ciel.» (II, 3, 7).
- Quand Jean Valjean portant Marius dans légout bute devant la grille fermée, Hugo commente : «Cétait fini. Tout ce quavait fait Jean Valjean était inutile. Dieu refusait.» (V, 3, 7).
- Javert, découvrant que «linfaillibilité nest pas infaillible [
] se brisait à Dieu [
] Dieu, toujours intérieur à lhomme, et réfractaire, lui la vraie conscience, à la fausse, défense à létincelle de séteindre, ordre au rayon de se souvenir du soleil, injonction à lâme de reconnaître le véritable absolu quand il se confronte avec labsolu fictif, lhumanité imperdable, le cur humain inamissible,, ce phénomène splendide, le plus beau peut-être de nos prodiges intérieurs.» (V, 4).
- Alors que, après le mariage auquel il nassista pas, Jean Valjean demeure prostré dans sa chambre de la rue de LHomme-Armé, et que recommence en lui «la vieille lutte formidable» entre le bien et le mal, «on voyait qu'il vivait. Qui? on? puisque Jean Valjean était seul et qu'il n'y avait personne là? Le On qui est dans les ténèbres.» (V, 6, 4).
- Sur son lit de mort, se soumettant totalement à la volonté de Dieu, il affirme lui devoir la joie qui lui est donnée de revoir Cosette : «On compte sans le bon Dieu. Le bon Dieu dit : Tu timagines quon va tabandonner, bêta ! Non, non, ça ne se passera pas comme ça. Allons, il y a là un pauvre bonhomme qui a besoin dun ange. Et lange vient ; et lon revoit sa Cosette» - «La preuve que Dieu est bon, cest que la voilà». Puis il affirme : «Dieu sait mieux que nous ce quil nous faut.» - «Parce que les choses déplaisent, ce nest pas une raison pour être injuste envers Dieu.» Plus loin, il accepte les malheurs subis par Fantine : «Ce sont les partages de Dieu. Il est là-haut, il nous voit tous, et il sait ce quil fait au milieu de ses grandes étoiles.» Enfin, à sa mort, le romancier imagine : «Sans doute, dans lombre, quelque ange immense était debout, les ailes déployées, attendant lâme.» (V, 9, 5)..
La «voix du peuple [
] ressemble à la voix de Dieu» (V, 1, 1).
Les misérables sont non seulement un roman à thèse, mais une oeuvre passionnément engagée, un énorme pamphlet indigné plutôt que satirique, plein de naïvetés et de déclamations, mais toujours puissant et généreux. Il avait la conviction que la victoire du bien ne serait pas assurée par des victoires individuelles, mais seulement par le triomphe de I'humanité dans son ensemble. Et sa réflexion, loin de se limiter au sort de la France du XIXe siècle, offre un message universel et intemporel.
DESTINÉE DE LOEUVRE
Dans une lettre à son éditeur, Lacroix, du 23 mars 1862, Victor Hugo écrivit : «Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal de mon uvre.» Cétait juste avant la publication.
En effet, Les misérables parurent à Bruxelles chez Lacroix, Verboeckhoven et Cie, et, à Paris, chez Michel Lévy et Pagnerre, en dix volumes et en trois étapes : Fantine, le 3 avril, Cosette et Marius le 15 mai, L'idylle rue Plumet et lépopée rue Saint-Denis et Jean Valjean le 30 juin, cette publication ayant été étalée selon une obstétrique éditoriale soigneusement calculée, et une campagne publicitaire monstre.
Le résultat fut prodigieux. Le roman eut un succès immédiat et énorme, reçut un accueil triomphal, qui dépassa toute attente. Le public, qui s'amassait dès 6 heures du matin devant les grilles des librairies, fut vite alimenté en éditions illustrées ou bon marché, et en produits dérivés. En six ans, les éditeurs réalisèrent un profit de 517 000 francs.
Les misérables sitôt parus que célèbres (Baudelaire et Barbey d'Aurevilly entre autres chapeaux bas !),
C'est alors que le nom de Hugo s'installa dans l'ensemble de la population, comme en témoignent la presse, les correspondances et les mémoires de l'époque. Les misérables furent demblée son uvre la plus célèbre et la plus lue. Signe irrécusable de gloire : «Cosette» et «Gavroche» devinrent rapidement des noms communs.
Le phénomène est d'autant plus impressionnant que, si Hugo eut pour lui le grand public et cette partie des lettrés que lâge ou lidéal politique rapprochaient de lui, il eut contre lui des critiques sévères :
Dans une des premières critiques du roman, Armand de Pontmartin reprocha à Hugo ses digressions.
Cuvillier-Fleury, dans Le journal des débats, organe officieux du régime, le 29 avril 1862 : «Inspiré par une pensée honnête, adroitement couvert d'un vernis religieux, plein des chaleureuses suggestions de la philanthropie moderne, habile à répéter par instants les plus doux accents de la charité chrétienne, le livre de M. Victor Hugo, en dépit de tout, par sa tendance trop avouée, n'est pas seulement oeuvre d'écrivain ; c'est I'acte d'un homme, j'allais dire l'acte d'un parti, une véritable démonstration de 1848. C'est bien tard. [
] M. Hugo n'a pas fait un traité socialiste. Il a fait une chose que nous savons par expérience beaucoup plus dangereuse
Il a mis la réforme sociale dans le roman ; il lui a donné la vie qu'elle n'avait pas dans les fastidieux traités, où s'étale obscurément sa doctrine, et avec la vie, le mouvement, la couleur, la passion, le prestige, la publicité sans limites, la population à haute dose, l'expansion à tous les degrés et à tous les étages. Non seulement, il a mis le plus vigoureux talent au service de ses idées, mais il les a couvertes cette fois, pour tenter le respect des hommes, d'un manteau religieux.»
Les conservateurs royalistes et catholiques reprochèrent à Hugo les libertés quil avait prises avec son modèle de M. Myriel, Mgr Miollis, en amenant son évêque à shumilier devant un vieux conventionnel (I, 1, 10), en le tirant du côté de sa philosophie personnelle.
Certains se déclarèrent même partisans d'une censure de l'ouvrage. A. Grenier, dans Le constitutionnel (1862) : «Les misérables sont la négation des principes sur lesquels repose la société, des expériences qui confirment ces principes, des institutions qui les traduisent et les sauvegardent.»
Barbey d'Aurevilly (Le pays, 1862) : «Le dessein du livre de M. Victor Hugo, c'est de faire sauter toutes les institutions sociales, les unes après les autres, avec une chose plus forte que la poudre à canon qui fait sauter les montagnes, avec des larmes et de la pitié... Conception, je I'ai dit, méprisable, mais rendue formidable par I'exécution... Chez M. Victor Hugo, Ie talent est surtout le style, c'est l'expression, c'est I'invention dans le verbe, c'est enfin toute cette matérialité enflammée de mots et d'images qu'on peut ne pas aimer, mais dont on ressent la puissance. Eh bien, c'est par là qu'il est encore aujourdhui Victor Hugo et par là qu'il échappe au triste destin de n'être plus que I'imitateur d'Eugène Sue.»
Louis Veuillot (Revue du monde catholique, 1862) : «Nous avons ici plus et mieux que I'erreur vulgaire ou rajeunie : on y sent un souffle de justice, un souffle de foi chrétienne et catholique, par conséquent ; souffle court et mêlé, mais brillant, parfois sublime... Ô témoignage d'une âme naturellement chrétienne ! J'étonne sans doute le lecteur, et peut-être l'auteur lui-même. Je lui montrerai que j'ai pourtant raison et que ses plus belles et plus saines aspirations sont catholiques.»
Adolphe Thiers : «On ne peut lire sans un dégoût invincible, tous les détails que donne M. Hugo de cette savante préparation des émeutes de la rue Transnonain [sic], et du cloître Saint-Merry. Pour l'honneur de la race humaine et [...] de la France, nous voulons croire que le poète a cédé une fois de plus à son imagination.» ;
Louis Veuillot ayant, animé par sa malignité contre Hugo, prétendu (dans Le pays, 1862) que Jean Valjean, après sêtre dénoncé aux assises dArras, naurait pas trouvé «un jury pour le condamner et peut-être pas même un avocat général pour requérir contre lui». Pour établir que sa réintégration au bagne, Hugo (dans une lettre à M. de Biéville, du 21 janvier 1863), cita Lesurques (affaire du Courrier de Lyon) et le cas dune certaine Rosalie Doise qui, aux assises dAmiens, en 1862, bien que reconnue innocente dun parricide, se heurta à lobstination hargneuse de lavocat général ; affirma être resté en-deçà de la réalité telle quelle ressortait de sommiers juridiques quil pouvait présenter, et se réserva de faire plus tard cette démonstration.
L. Gauthier, dans Le monde du 17 août 1862, exprima son aversion pour la quatrième partie du roman, et argumenta :
Les tenants de lart pour lart se détournèrent dun roman qui grossit jusquà loutrance tous les défauts quils abhorraient, trouvant un caractère anachronique à cette uvre si passionnément engagée, se montrant méfiants à légard de la vision et du style incurablement romantiques de Hugo.
Hugo eut aussi contre lui les partisans de lobservation impassible.
Flaubert ne trouvait au roman «ni vérité ni grandeur» tant il lui paraissait écrit «pour la racaille catholico-socialiste». Il sen moqua en particulier dans une lettre à Mme des Genettes : «À vous je peux tout dire. Eh bien ! notre dieu baisse. Les misérables m'exaspèrent et il n'est pas permis d'en dire du mal, on a I'air d'un mouchard. La position de I'auteur est inexpugnable, inattaquable. Moi qui ai passé ma vie à l'adorer, je suis présentement indigné, il faut bien que j'éclate cependant. Je ne trouve dans ce livre ni vérité ni grandeur. Quant au style, il me semble intentionnellement incorrect et bas. C'est une façon de flatter le populaire. Hugo a des attentions et des prévenances pour tout le monde : Saint-Simoniens, Philippistes et jusquaux aubergistes, tous sont platement adulés. Et des types tout dune pièce comme dans les tragédies !... Ou y a-t-il des prostituées comme Fantine, des forçats comme Valjean, et des hommes politiques comme les stupides cocos de I'A B C? Pas une fois on ne les voit souffrir dans le fond de leur âme. Ce sont des mannequins, des bonshommes en sucre, à commencer par monseigneur Bienvenu... Quant à leurs discours, ils parlent très bien, mais tous de même... Toujours des pointes, des farces, le parti pris de la gaîté et jamais rien de comique... Décidément ce livre, malgré de beaux morceaux, et ils sont rares, est enfantin. L'observation est une qualité secondaire en littérature, mais il n'est pas permis de peindre si faussement la société quand on est le contemporain de Balzac et de Dickens. C'était un bien beau sujet, pourtant, mais quel calme il aurait fallu, quelle envergure scientifique. Il est vrai que le père Hugo méprise la science et il le prouve.» (Croisset, juillet 1862).
Réalistes et naturalistes lui firent écho. Les Goncourt écrivirent : «Le manque dobservation éclate et blesse partout. Situations et caractères, Hugo a bâti tout son livre avec du vraisemblable, et non avec du vrai.» (Journal manuscrit, avril 1862). Ils navaient lu que le premier tome. Quand ils eurent lu le second, ils comparèrent le romancier à ces prédicateurs anglais qui, le dimanche, haranguent les badauds dans les parcs.
Portèrent des jugements mitigés :
- Sainte-Beuve (Mes poisons [1863]) : «Victor Hugo est un homme qui a des facultés extraordinaires et disproportionnées. Son roman des Misérables est tout ce qu'on voudra, en bien, en mal, en absurdités ; mais Hugo absent et exilé depuis onze ans, en a fait acte de présence, de force et de jeunesse. Ce seul fait est un grand succès. Il a, au suprême degré, la faculté de réalisation. Ce qu'il invente de faux et même d'absurde, il le fait être et paraître à tous les yeux.»
- Baudelaire, comme toujours ambivalent, dune part, jugea le livre trop sentimental, «immonde et inepte», dautre part, dans L'art romantique (1863), écrivit : «Il est bien évident que l'auteur a voulu dans Les misérables créer des abstractions vivantes, des figures idéales, dont chacune, représentant un des types principaux nécessaires au développement de sa thèse, fût élevée jusqu'à une hauteur épique. C'est un roman construit en manière de poème et où chaque personnage nest exception que par la manière hyperbolique dont il représente une généralité. [
] Les misérables sont un roman construit en manière de poème».
Dans le camp opposé, les enthousiasmes furent tout aussi marqués : madame Hugo rapporta en mai 1862 (l'expression qu'elle choisit est très caractéristique) que de «hautes murailles de livres qui eussent pu servir de barricades» encombrent les locaux de l'éditeur Pagnerre
Pendant la guerre de Sécession, des combattants prirent le surnom d'Enjolras ou de Bossuet.
Furent favorables :
- Albert Glatigny : «Analyser Les misérables, je n'y songe pas. Une fois que d'eux on a dit : C'est beau ! on n'a pas assez dit encore. Il est des uvres qu'il est impossible de raconter, tant elles nous dépassent
Malgré leur divine harmonie, Les misérables dépassent la portée de l'il. Il en est d'eux comme de ces montagnes qui vous écrasent et vous anéantissent par leur effrayante grandeur; devant elles, on tremble, on a peur et on s'agenouille.» (Diogène, 1862).
- Schérer (Le temps, 1862) : «Le roman de M. Hugo n'est pas moral en ce sens qu'il veut nous inculquer une leçon, il l'est dans ce sens, bien plus élevé, que les principaux événements dont I'action se compose sont des luttes de la conscience humaine aux prises avec le devoir, la tentation et le remords. Voilà ce qu'il y a de tout à fait caractéristique dans l'oeuvre de M. Hugo. L'action se passe dans les profondeurs de l'âme.»
- Paul de Saint-Victor : «Ce qui frappe justement dans cet amoncellement de misères si hardiment exposées, c'est l'impartialité qui domine, la sérénité qui y règne, la puissante intelligence qui les observe et qui sait au besoin, absoudre la cause de l'effet.» (La presse, 1862).
- Lamartine, dans le Premier entretien de son Cours familier de littérature (1863) : «Moi-même, à peu près vers le même temps où Hugo concevait son épopée des Misérables, ce retentissement du gémissement des choses humaines résonnait dans mon coeur, et j'écrivis aussi non un livre entier, non un livre dogmatique, mais un épisode de toutes ces misères résumées en moi. Puis le besoin de venir en aide à mon pays, ce grand misérable, m'enlevait le loisir nécessaire à mon oeuvre... Je comprends très bien que Victor Hugo, plus libre, plus plein de loisirs que moi, ait été tenté par ce seul sujet véritablement digne de l'homme, par ce poème, terrible et touchant à l'invraisemblable, de la misère des êtres humains ; seulement je ne comprends pas autant pourquoi il fait de cette souffrance universelle des êtres un sujet d'amertume, de critique acerbe, d'accusation contre la société... Belle oeuvre d'imagination, mauvaise oeuvre de raison. Semer I'idéal et limpossible, c'est semer la fureur sacrée de la déception dans les masses. Les misérables de Victor Hugo seraient beaucoup mieux intitulés Les coupables ; quelques-uns même Les scélérats, tels que Valjean.»
Au début de l'année 1870, ce fut partiellement par le biais des Misérables que juin 1832 refit surface avec une étonnante netteté. L'assassinat du journaliste Victor Noir par le prince Pierre Bonaparte entraîna la mobilisation des républicains contre le régime impérial. On craignit, dans l'entourage de l'empereur, la réitération des affrontements qui avaient ensanglanté la capitale près de quarante ans plus tôt. Lorsque tout danger fut écarté, on put lire dans la presse impériale des articles comme celui-ci, de Flavigny, dans Le peuple français du 18 janvier 1870 : «Avouez que cela manque de nouveauté et d'invention. Le corps de Lamarque en 1832, le cadavre du boulevard des Capucines en 1848, [...] ce corps de Victor Noir promené en effigie, faute de mieux, dans les feuilles républicaines, quels recommenceurs, quels rabâcheurs du répertoire Hugo, quels monotones croque-morts révolutionnaires.»
Dès 1875, les colporteurs vendaient le roman dans les campagnes avec les uvres de balzac, de Dumas et de
Stendhal.
En 1900, Renouvier, dans Victor Hugo. Le philosophe condamna l'Idéalisme de Hugo : «En présence de ces vues partout et souvent exprimées sur la tristesse de la destinée, sur l'illusion du bonheur, la méchanceté de l'homme et la fatalité des passions, et avec cette manière d'admettre les actions mauvaises dans le but du progrès, - ce qui ne permet pas logiquement de comprendre dans le but du progrès la défaite du mal moral - on ne peut attribuer qu'à la contagion de la sottise ambiante cette idée familière d'un progrès qui va de lui-même et d'une marche qui marche toujours... Et comme si ce n'était pas assez de sacrifier à cette idole commune du siècle, Victor Hugo s'est vu forcé d'en encenser une autre pour laquelle on ne lui aurait pas supposé tant de faiblesse ; il a pu se laisser persuader que de rendre les hommes heureux, cétait I'office de la Science. Ce n'est pas qu'il ait rien changé à ses jugements pessimistes ; au contraire, ils sont allés s'assombrissant et s'inspirant des doctrines antiques de la descente de l'être et de la métempsycose. Seulement, à l'optimisme voulu que, de tout temps, dans chaque pièce de vers où s'exhalaient ses plaintes, il faisait apparaître, avec un appel religieux à Dieu, pour finir sur la note la plus élevée de I'espérance, il a joint cet optimisme d'une autre espèce, qui met son fondement dans les forces humaines et dans la destinée naturelle. De là est résultée une contradiction intime dont il ne s'est pas aperçu... Victor Hugo, en dépit des thèses qu'il a défendues sur lignorance cause du crime et sur l'éducation morale par la lumière, a admis I'existence des méchants par pure volonté mauvaise, gens fort éclairés et pervers... Il a ouvert les vues fantastiques que nous savons sur le rapport de la méchanceté de I'homme avec celle des êtres et des forces de la nature et le désordre des éléments. Il a de tout temps paru bien pénétré de l'impossibilité humaine d'échapper aux pièges tendus à l'âme en son assujettissement à la chair ; ses drames et ses romans sont pleins de I'idée de la fatalité des passions, la grande voix de la conscience ne guidant que les personnages exceptionnels... On se demande alors comment il a pu croire que, dans un avenir prochain, cet être malheureux et mauvais se trouverait soudainement heureux et bon.»
- Paul Bourget (Victor Hugo romancier, 1902) : «... Un artiste littéraire est toujours récompensé de sa bonne foi, même lorsqu'il se trompe. C'est ainsi qu'avec ces simplifications inacceptables, ces partialités violentes, et, iI faut avoir le courage de l'écrire, ces surprenantes ignorances, I'auteur des Misérables a pourtant réussi... à composer un livre qui restera comme une oeuvre infiniment significative, et, au demeurant, documentaire au même degré que la Madame Bovary de Gustave Flaubert ou Lassommoir d'Émile Zola, les deux romans peut-être où l'esthétique réaliste a trouvé chez nous sa formule la plus accomplie. Il est aisé de montrer par quel détour le conteur épique du martyre de Jean Valjean s'est trouvé devenir un témoin quand il croyait être un apôtre. C'est précisément que cet effort pour simplifier à I'extrême les caractères de ses personnages l'a conduit à les absorber tout entiers dans quelques idées très générales ; et comme il était d'autre part et par définition un poète lyrique, c'est-à-dire un instrument d'expression, il a tout naturellement recueilli ces idées parmi celles qui flottaient dans l'air de son époque.»
Bellessort (Victor Hugo, 1933) observa non sans malice, à propos des Misérables, que les personnages de Hugo «ont toujours peur de nêtre pas assez sublimes.»
- A. Thibaudet (Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours [1936]) : «Les misérables n'eussent pas plus existé sans la production romanesque de la monarchie de Juillet que Notre-Dame de Paris sans Walter Scott. C'est que Hugo est porté par le siècle. Mais ces créations ne ressemblent aux créations de personne, pas même à celles de la nature. Que ses personnages soient tout d'une pièce, nous n'en sommes pas choqués ; leur vie hors le temps est une vie. Et c'est en partie grâce à ce procédé que Hugo a obtenu cette réussite unique dans le roman : créer un saint... Autre paradoxe : le succès des romans est fait par les femmes. Or Les misérables sont un roman sans femmes : je veux dire sans amours autres qu'épisodiques et conventionnelles, comme celles de Marius et de Cosette. Le génie mâle de Hugo pense ici du roman ce que Corneille pensait du théâtre. Le roman héroïque est un roman viril.»
- Pour Jacques de Lacretelle, le roman fut «le drapeau noir de la révolte brandi contre la société».
En 1935, Romain Rolland, à l'occasion du cinquantenaire de la mort de Hugo, évoqua l'influence qu'avait exercé sur lui le «chantre de la Révolution - et des Révolutions - l'évocateur des barricades de 1832 et de Quatrevingt-treize.» (Le vieux Orphée, Europe, juin 1935).
Les misérables ont exercé une profonde influence sur l'évolution du roman français. Roman sur le peuple, cest aussi un roman pour le peuple, dont le succès ne s'est pas démenti jusqu'à nos jours.
Les misérables constituèrent l'un des moments marquants du développement du roman historique, au même titre que Guerre et paix de Tolstoï.
Les misérables sont l'un des rares romans pouvant aspirer au statut de classique international, lun des rares à jouir d'une telle popularité longtemps après leur première parution. Si, aujourdhui, le roman, uvre édifiante, centrée sur un héros positif, trrop manichéenne, peut faire sourire et parfois rebute, il nen est pas moins considéré comme le plus grand roman du XIXe siècle, apparaissent comme ce «livre unique» dont rêvait celui-ci.
L'engouement n'ayant jamais faibli, Les misérables étant, du fait de leur portée immense, lun des rares romans à jouir dune telle popularité longtemps après leur première parution, à atteindre le statut de classique international, étant devenus une oeuvre mythique. ils donnèrent lieu à d'innombrables adaptations, de tous types :
Les illustrateurs s'en emparèrent, le théâtre, la comédie musicale, le dessin animé, un jeu vidéo. Et le cinéma, bien sûr, dès les frères Lumière.
- Versions condensées, réécritures. On vit aussi paraître des suites.
Ainsi, en 2001, François Cérésa publia deux livres, Cosette ou Le temps des illusions (où il redonnait vie à Javert, désormais sur la voie de la rédemption) et Marius ou Le fugitif. Les héritiers de Victor Hugo déposèrent une plainte, dénonçant «une contrefaçon purement commerciale, portant atteinte à lintégrité de luvre», et réclamait 4, 5 millions de francs de dommages et intérêts, avec linterdiction des livres. En 2004 un premier arrêt de la Cour dappel de Paris leur donna raison, jugeant «quaucune suite ne pourrait être donnée à une uvre telle que Les misérables sans porter atteinte au droit moral de Victor Hugo», qualifiant luvre de «véritable monument de la littérature mondiale [
] et non pas un simple roman en ce quelle procédait dune démarche philosophique et politique». Cependant, le 30 janvier 2007, la Cour de cassation estima «inopérants» ces arguments, soulignant que la Cour dappel navait pas à juger «le mérite de luvre ou son caractère achevé», mais quelle devait constater si les uvres contestées avaient «altéré loeuvre de Victor Hugo» ou fait naître «une confusion sur leur paternité». Le 20 décembre 2008, la Cour de cassation jugea donc qu«un auteur ne peut, en se fondant sur les attributs du droit moral qui nest pas un droit absolu, interdire que son uvre fasse lobjet de toute adaptation et spécialement de toute suite du même genre» et ses héritiers encore moins ; si elle na pas souhaité faire «une analyse littéraire», elle conclut cependant qu«on ne peut faire grief» à François Cérésa «de ne pas avoir respecté la construction savante de luvre première qui joue sur plusieurs registres par des digressions philosophiques et historiques» ; elle estimait aussi que lauteur est «libre de faire évoluer dans des situations nouvelles les personnages quil ranime».
- Pièces de théâtre. Peu de temps après la publication du roman, en 1863, Charles Hugo et Paul Meurice en tirèrent une pièce de théâtre, qui fut créée en 1878 au Théâtre Royal des Galeries, de Bruxelles.
- Films pour le cinéma ou la télévision. On en compte plus de cinquante :
- En 1897, une Vue Lumière proposa Victor Hugo et les principaux personnages du roman.
- En 1907 sortit une version de quatre minutes attribuée à Alice Guy et intitulée Sur la barricade qui s'inspirait librement du personnage de Gavroche : pris à tort pour un émeutier, il est miraculeusement sauvé par sa mère au moment où il va être fusillé par l'armée.
- En 1912, Albert Cappellani donna la première adaptation complète du roman de Victor Hugo et le premier grand film français de réputation internationale. Le film, de 6h18, fut tourné en quatre époques : Jean Valjean, Fantine, Cosette, Cosette et Marius, avec Henry Krauss (Jean Valjean), Henri Étievant (Javert), Léon Bernard (Marius), Marie Ventura (Fantine), Mistinguett (Éponine).
- En 1925, Henri Fescourt tourna un film de 6 h., avec Gabriel Gabrio (Jean Valjean), Sandra Milowanoff (Fantine / Cosette), Jean Toulout (Javert), Georges Saillard (Thénardier), Renée Carl (la Thénardier), Suzanne Nivette (Éponine), François Rozet (Marius), dont une version restaurée fut montrée en 2014.
- En 1933, Raymond Bernard tourna Les misérables, un film de 5h05, avec Harry Baur (Jean Valjean), Charles Vanel (Javert), Jean Servais (Marius), Florelle (Fantine), Charles Dullin (Thénardier), Marguerite Moreno (la Thénardier), Émile Genevoix (Gavroche). tone (1952). Arthur Honneger composa une musique où le personnage de Jean Valjean occupe naturellement une place centrale ; mentionnons en particulier quelques épisodes : celui où il chemine à travers Ia campagne, accompagné par une nostalgique mélodie du saxophone ; Ie passage des forçats ; la progression dramatique de la course à travers les égouts, enfin sa mort.
- En 1935, Richard Boleslawski sortit Les misérables, un film de 1h49, avec Charles Laughton (Jean Valjean), Fréderick March (Javert), John Beal (Marius), Rochelle Hudson (Cosette).
- En 1946, lItalien Riccardo Freda donna I miserabili (L'évadé du bagne), avec Gino Cervi (Jean Valjean), Valentina Cortese (Fantina / Cosetta), Hans Hinrich (Javert), Aldo Nicodemi (Marius), Luigi Pavese (Thénardier) Jone Romano (la Thénardier).
- En 1949 fut produite au Japon, par Z. Itoh, une adaptation dans un cadre japonais, sous l'ère Meiji : Re Mizeraburu : Kami To Akuma, avec Sesue Hayakawa (Jean Valjean).
- En 1952, lAméricain Lewis Milestone fit voir Les misérables (La vie de Jean Valjean), un film de 1h45, avec Michael Rennie (Jean Valjean), Debra Paget (Cosette), Cameron Mitchell (Marius), Sylvia Sidney (Fantine), Robert Newton (Javert).
- En 1958, Jean-Paul Le Chanois produisit Les misérables, un film de 3h47, avec Jean Gabin (Jean Valjean), Giani Esposito (Marius), Danièle Delorme (Fantine), Bernard Blier (Javert), Serge Reggiani (Enjolras), Bourvil (Thénardier), Béatrice Altariba (Cosette).
- En 1972, Marcel Bluwal tourna pour la télévision La masure Gorbeau et L'épopée de la rue Saint Denis, deux films de 3h35, avec Georges Géret (Jean Valjean), Bernard Fresson (Javert), François Marthouret (Marius), Micha Bayard (la Thénardier).
- En 1978, Glenn Jordan avec Christopher Guard (Marius).
- En 1978 fut produite une adaptation égyptienne : Al Bo'asa .
- En 1979 fut produit au Japon un autre film d animation : Re Mizeraburu ShMjo Kozetto .
- En 1982, Robert Hossein réalisa Les misérables, un film de 3h00, avec Lino Ventura (Jean Valjean), Michel Bouquet (Javert), Frank David (Marius), Jean Carmet (Thénardier), Évelyne Bouix (Fantine), Christiane Jean (Cosette), Emmanuel Curtil (Gavroche).
- En 1995, Claude Lelouch tourna une variation intitulée Les misérables, un film de 2h54, avec Jean-Paul Belmondo (Henri Fortin / Jean Valjean), Michel Boujenah (André Ziman), Alessandra Martines (Elise Ziman), Philippe Léotard (Thénardier, 1942), Annie Girardot (La Thénardière, 1942), Clémentine Célarié (Catherine / Fantine), Philippe Korsand (le policier / Javert). Orphelin, Henri Fortin devient champion de boxe puis se convertit en déménageur. C'est la guerre. Il rencontre une famille juive, les Ziman, et accepte de les conduire à la frontière suisse pour les sauver avec son camion. Le temps passe. Les membres de la famille Ziman, séparés par les nazis, se retrouvent des années plus tard dans une guinguette tenue par Fortin reconverti depuis peu dans la restauration. Mais il est rattrapé par son passé de gangster, avant la boxe, et se retrouve accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Ziman va assurer sa défense.
- En 1998, le Suédois Bille August donna Les misérables, un film de 2h14, avec Liam Neeson (Jean Valjean), Geoffrey Rush (Javert), Hans Matheson (Marius), Uma Thurman (Fantine), Claire Danes (Cosette).
- En 2000, Josée Dayan produisit pour la télévision Les misérables, avec Gérard Depardieu (Jean Valjean), Enrico Lo Verso (Marius), Christian Clavier (Thénardier), John Malkovitch (Javert), Virginie Ledoyen (Cosette).
- Comédies musicales : En 1980, fut lancée à Paris, par Robert Hossein, une comédie musicale basée sur le roman, avec des paroles d'Alain Boublil et Jean-Marc Natel, une musique, se situant quelque part entre la chanson et lopéra, signée Claude-Michel Schönberg. Ce spectacle coûteux, de plus de trois heures, aligne trente-sept comédiens-chanteurs, entre vingt et trente musiciens, deux douzaines de techniciens et machinistes qui sagitent sur et autour une construction scénique à la fois subtile, léchée et spectaculaire. On assiste à une suite de tableaux dont la beauté plastique est saisissante ; on remarque en particulier la désolation après la bataille, Enjolras gisant dans son linceul rouge étant accroché à la barricade qui trourne lentement. La comédie musicale connut un énorme succès, tenant trois mois à guichets fermés au Palais des sports. En 1982, Cameron Mackintosh commença à travailler sur une version anglaise de Herbert Kretzmer intitulée Les miz qui, le 8 octobre 1985, fut créée à Londres, au Barbican Theater, reçut un accueil enthousiaste de la critique et du public, resta longtemps à l'affiche. Les auteurs surent éviter le piège de la retraduction littérale, surent endiguer la perte de sens fréquente dans une telle entreprise, surent surmonter la difficulté quil y a à accommoder le rythme dune langue à un support musical et scénique élaboré pour une autre. Le 12 mars 1987, elle fut présentée à Broadway, et, trois mois plus tard, remporta trois «Tony awards». De cette pièce en anglais fut faite une adaptation en français, les textes étant toujours les originaux d'Alain Boublil et de Jean-Marc Natel, mais fusionnés avec la traduction des textes anglais d'Herbert Kretzmer ! Ce spectacle parvint à Montréal en janvier 1991. Puis, traduit en vingt et une langues, il fut joué dans quarante pays, et vu par plus de cinquante-cinq millions de spectateurs au total, étant l'un des «shows» musicaux les plus représentés depuis trente ans sur les scènes internationales. En 2010, il fut donné au Théâtre du Châtelet à Paris dans une mise en scène de Trevor Nunn et John Caird. Mais le «show» est plus efficace en français parce que la langue est celle des rues de Paris.
En 2012, le réalisateur britannique Tom Hooper sinspira largement du «show» pour un film tourné avec une distribution hollywoodienne : Hugh Jackman (Jean Valjean), Russell Crowe (Javert), Anne Hathaway (Fantine), Amanda Seyfried (Cosette), Eddie Redmayne (Marius), Sacha Baron Cohen et Helena Bonham Carter (les Thénardier).
Ces adaptations, en élevant «I'histoire mélancolique de Jean Valjean» à la valeur d'un mythe, vivant et universel, ont ratifié et accompli le statut que le livre recherchait auprès de ses lecteurs. Elles se sont ainsi substituées à lui : pour les avoir vues, beaucoup croient avoir lu le livre. Comme, en fait, peu de gens ont lu le roman en entier, tout le monde (ou presque) le connaît à cause de ces nombreuses adaptations par lesquelles se fixent dans les mémoires quelques grandes scènes (l'accueil du forçat par l'évêque, la libération de Fantine arrêtée par Javert, la «tempête sous un crâne», Cosette chez les Thénardier ou dans la forêt, l'éléphant de la Bastille habité par Gavroche, sa mort sur la barricade, Ia fuite dans l'égout de Paris). Jean Valjean, Cosette, Gavroche, sont maintenant des personnages connus de chaque lycéen et lycéenne.
En un siècle, plus d'une cinquantaine de Jean Valjean ont traîné leurs chaînes sur les écrans, grand et petit, français, mais aussi américains, russes, japonais, mexicains, égyptiens, italiens, brésiliens... Citons, plus ou moins crédibles, Harry Baur, Jean-Paul Belmondo, Gino Cervi, Gérard Depardieu, Jean Gabin, Fredric March, Liam Neeson, Lino Ventura.
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COMMENTAIRES DE PASSAGES
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La rencontre entre M. Myriel et le conventionnel
(I, 1, 10)
Passage allant de «Il y avait près de Digne» jusquà «cest Dieu.»
En ce début de roman, le narrateur présente un «juste», lévêque de Digne. La rencontre avec Jean Valjean est précédée par celle de M. Myriel avec le conventionnel G. On y découvre ce qui différencie lévêque de ses paroissiens. Dun point de vue historique, cette rencontre permet à Hugo de faire un court bilan de la Révolution française, à travers une sorte de débat entre deux hommes de la même génération quapparemment tout oppose. Cest aussi un moyen pour Hugo, écrivain républicain, mais imprégné dun certain mysticisme, de concilier ses divers idéaux. Toutefois, on peut sattacher pour lessentiel à la dimension historique de la scène, qui montre ce qui restait de la Révolution en 1815.
a) Limage du conventionnel G. G. est un homme à lécart. Sans doute rejeté par la population de Digne, il vit «en solitaire» dans la campagne, «loin de tout hameau, loin de tout chemin». Les Dignois, désignés par un «On» qui sapparente à la rumeur, voient en lui un «monstre», habitant la «maison du
bourreau». Il est lobjet de commérages : «Il navait pas voté la mort du roi mais presque.» Un bruit le dit mourant ; lévêque se rend à son chevet, à l«endroit excommunié».
Ce début de chapitre fait du conventionnel G. une figure honnie, à la fois sur le plan politique et sur le plan moral ou spirituel.
M. Myriel ne voit pas en lui le «vieux scélérat» : «Devant la porte [...] il y avait un homme en cheveux blancs qui souriait au soleil». Limage du septuagénaire tranche avec celle que la rumeur en colportait. On songe plutôt à celle du citoyen romain, véhiculée par la geste républicaine : sobre, austère, solide comme ses convictions.
b) Débat sur la Révolution française
«La révolution française est le plus puissant pas du genre humain depuis l'avènement du Christ.» (I,1, 10) déclare le conventionnel auquel M. Myriel vient rendre visite.
Le conventionnel tend la main à lévêque qui, curieusement reste un temps sur ses gardes avant dengager le débat. G. justifie ses choix politiques, ses engagements passés. Cest un homme des Lumières : «lhomme a un tyran, lignorance. [...] Lhomme ne doit être gouverné que par la science». Au mot de «conscience», formulé par son interlocuteur, G. précise, conception rousseauiste, que cest la «quantité de science innée en nous».
Ce bref exposé philosophique devient concret lorsque le conventionnel explique pourquoi il a voté la fin du tyran. On retrouve alors les termes employés par Hugo dans son avant-propos dHauteville House en 1862 : fin de la prostitution, fin de lesclavage, fin de la nuit. La République est lécroulement dun vieux monde, lavènement dun monde meilleur, comparable à celui que le Christ a annoncé. Pour le conventionnel, «elle a calmé, apaisé, éclairé ; elle a fait couler sur la terre des flots de civilisation». Il explique par le caractère réactionnaire de la population le fait que la Révolution soit restée inaboutie : «nous avons démoli lAncien Régime [...] modifié les moeurs».
Il ne sagit pas de prendre à la lettre cette apologie de la Révolution (laquelle, dailleurs? celle de 1789? celle de 1793?). Le conventionnel expose une vision très partagée de lidéal révolutionnaire, telle quil a été diffusé ensuite dans lEurope, mais il omet loeuvre napoléonienne, et la façon dont lont perçue les peuples espagnol ou allemand, quelle prétendait affranchir. Reste lidée de progrès, lidée que lhumanité évolue, même si cette évolution se fait dans la violence.
Nous savons aujourdhui ce quil en est. Et on peut réfléchir sur cette notion ambiguë, dont les techniques, la science ou la médecine nous montrent chaque jour les limites.
1. Montrez que G. se distingue des autres habitants de Digne. Où vit-il? Comment les Dignois le désignent-ils? Comment apparaît-il au lecteur en réalité?
2. En quoi lattitude de M. Myriel tranche-t-elle sur celle de ses paroissiens?
5. Quest-ce que le conventionnel appelle le «tyran»? Quel sens les révolutionnaires de 1793 donnaientils à ce mot? Quappelle-t-il «science»? «conscience»?
6. Pourquoi a-t-il voté la République? Rapprochez son idéal de celui que Hugo exposa dans lavant-propos du roman.
7. Que sest-il passé en 1814? Pourquoi, selon G., la Révolution est-elle inaboutie ?
8. En quoi sa vision du progrès soppose-t-elle à celle de M. Myriel ?
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La scène entre M. Myriel et Jean Valjean
(I, 2,)
un découpage «cinématographique» La sobriété de la mise en scène (un lieu unique, léclairage diffusé par le feu, le silence qui entoure les personnages) explique quaucune adaptation cinématographique ne sen soit privée. Le passage est découpé en paragraphes qui sont autant de plans.
La scène se déroule en intérieur nuit, dans la maison de lévêque. La servante, Mme Magloire, se livre aux gestes habituels du soir. Elle a mis le couvert après avoir pris largenterie dans le placard près du lit, dans la chambre où travaille le prêtre (ce détail est important : les couverts en argent disparaîtront). Tout se déroule en silence, et M. Myriel, comprenant quon lattend, se rend dans la salle à manger. Ce sera le lieu de laction.Tout est perçu par les habitants de la maison. Un «on» impersonnel qualifie celui qui arrive. Il frappe «un coup assez violent». Ladjectif reviendra plus loin pour qualifier lexpression du regard de linconnu, dont la rudesse sexprime aussi dans sa voix haute, puis un monologue sous forme parataxique.
c) Les points de vue successifs. Lattitude de lévêque est paisible. Un simple « Entrez ! » répond au coup frappé à la porte. M. Myriel intervient peu dans ce passage, sinon pour rassurer. Deux courts paragraphes (une phrase à chaque fois) marquent lentrée de linconnu. Cette brièveté met en valeur le silence et le malaise qui vont sensuivre, une fois lhomme décrit. Le portrait est éclairé par le feu qui brûle dans la cheminée, et renforce leffet de contraste. Notre regard est celui de la soeur et de la servante de lévêque : «Il était hideux. Cétait une sinistre apparition». Leffet sur les deux femmes est profond ; elles sont prises de stupeur : « Mme Magloire neut pas même la force de jeter un cri. Elle tressaillit et resta béante. » La soeur de lévêque éprouve le même sentiment de frayeur, mais le jeu des regards est important : « [Elle] se retourna puis elle se mit à regarder son frère et son visage redevint profondément grave et serein. » Le personnage central nest plus linconnu, mais lévêque, qui rassure les deux femmes par sa seule attitude. Son oeil tranquille lui suffit pour jauger (ou juger) linconnu.
d) Le monologue de Valjean. Lhomme dont nous ignorons encore le nom est impatient : on lui savait «lexpression rude, hardie, fatiguée». Son monologue tout dune pièce, sans mot de liaison, commence après quil a pris la parole sans laisser parler lévêque. Il se nomme et se présente. Notons quil ne se dit pas libéré mais emploie le verbe « être » et le présent : « Je suis un galérien ». De Toulon à Digne, il a mis quatre jours, et ce jour-là, il a marché environ cinquante-quatre kilomètres, ce qui dit assez sa force («Sa force qui était prodigieuse, on le sait, et fort peu diminuée par lâge, grâce à sa vie chaste et sobre, commençait cependant à fléchir.» V, 3, 4), sa rapidité, mais aussi sa fatigue.
Le monologue se déroule en termes simples, mais il est construit. En témoigne sa progression : un même « on » ou « chez lun chez lautre » désigne des habitants hostiles à létranger dont le parcours
se résume à « jai été ». Paradoxalement, ce bagnard ne trouve pas davantage place à la prison, où le guichetier garde porte close. Même lespèce animale le rejette, puisque le chien le mord quand il entre dans sa niche. La nature lui est hostile. Il veut coucher à la belle étoile, mais « il ny avait pas détoiles ». Ce trajet sachève dans un pessimisme total, puisque la pluie menace et que Valjean songe qu« il ny [a] pas de bon Dieu pour empêcher de pleuvoir ». Totalement exclu, résigné à dormir
dans le renfoncement dun porche, il est « sauvé par une femme qui lui désigne une porte ». Lignorance fruste de Valjean est perceptible dans les questions qui terminent son monologue : « ici », désignant la pièce, a quelque chose de péjoratif ou de méfiant. Comme sil tenait à effacer limpression négative donnée au début, il fait allusion à sa « masse » (environ 3 300 francs de nos jours, pour dix-neuf années de bagne). Sa dernière question contraste avec son impolitesse, puisquil a coupé la parole à son hôte.
La réponse de lévêque fait écho à son « Entrez ! » du début du passage. Il ne répond pas à Valjean,
mais donne un ordre à sa servante, façon généreuse daccueillir le nouveau venu sans lui faire sentir quil est un étranger. Lattitude de M. Myriel soppose une fois de plus à celle de ses fidèles. Il nest guère plus loquace, mais accueille létranger, sachant ce quil est. Il a la sérénité et lassurance qui manquaient à sa soeur et à sa servante. On sait limportance de cet homme dans le roman. Grâce à lui, Valjean connaîtra sa métamorphose, deviendra le juste que seul lévêque figurait jusque-là.
Les jeux du regard entre les trois habitants de la maison excluent puis accueillent létranger.
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Une tempête sous un crâne
(I, 7, 3)
Apprenant qu'un nommé Champmathieu, qu'on prend pour lui, va comparaître aux Assises, Jean Valjean se trouve, dans ce long chapitre, placé devant «ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : - rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans lenfer, et y devenir ange !» Va-t-il retourner au bagne ou laisser condamner un innocent à sa place? Au cours d'une nuit d'agonie, dans une angoisse qui va parfois jusqu'au délire, il envisage tour à tour les deux solutions sans parvenir à une décision.
Cédant un moment à la tentation de ne pas se dénoncer, il se dit : «Après tout, sil y a du mal pour quelquun, ce nest aucunement de ma faute. Cest la providence qui a tout fait. Cest ce quelle veut apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce quelle arrange? Quest-ce que je demande à présent? De quoi est-ce que je vais me mêler? Cela ne me regarde pas. Comment ! je ne suis pas content ! Mais quest-ce quil me faut donc? Le but auquel jaspire depuis tant dannées, le songe de mes nuits, lobjet de mes prières au ciel, la sécurité, je latteins ! Cest Dieu qui le veut. Je nai rien à faire contre la volonté de Dieu.»
Hugo nous peint avec autant de puissance que de précision la torture morale qu'endure le malheureux ; il vit ce drame, et nous le fait vivre avec une extraordinaite intensité.
On remarque le rôle des facteurs physiques (la fatigue, la sueur à la porte du tribunal), le mélange dans lesprit de Jean Valjean de la confusion et de la lucidité, où est montré le mécanisme des associations didées («Ce nom de Romainville» qui lui revient est un souvenir obsédant mais insignifiant et sans rapport avec la situation : «Il se rappela que quelques jours auparavant il avait vu chez un marchand de ferrailles une cloche à vendre sur laquelle ce nom était écrit : Antoine Albin de Romainville. [
] Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes amoureux vont cueilir des lilas au mois davril.», évocation machinale et même absurde qui forme un amer contraste avec le drame de Jean Valjean).
- Alors que M. Madeleine est en proie à lincertitude, ses idées «passaient comme des ondes». (I, 7, 3).
- Il envisage de laisser «sceller sur la tête de ce Champmathieu cette pierre de linfamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais». (I, 7, 3).
- Il ressent «une sorte de convulsion de la conscience [
] quon pourrait appeler un éclat de rire intérieur.» (I, 7, 3).
- «Il marchait comme un petit enfant quon laisse aller seul.» (I, 7, 3).
- «Il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; il accomplissait une agonie, lagonie de son bonheur ou lagonie de sa vertu.» (I, 7, 3).
- «Il marchait comme un petit enfant quon laisse aller seul.» : sens symbolique de cette comparaison.
- Le mot «agonie» annonce la comparaison de M. Madeleine avec le Christ : «Dix-huit cents ans avant cet homme, lêtre mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de lhumanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de linfini, longtemps écarté de sa main leffrayant calice [le Christ sétait écrié : «Mon Père, sil est possible, que ce calice séloigne de moi.»] qui lui apparaissait ruisselant dombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines détoiles.»
Caractère dramatique de ce débat de conscience. On doit remarquer quaucune décision nest prise.
Les détails réalistes par lesquels sont dépeints la vie actuelle et léventuelle vie future au bagne, dont lévocation est nourrie des souvenirs quil a laissés, ont un grand intérêt psychologique.
Hugo a élevé à la grandeur épique le drame de Jean Valjean en lui donnant une valeur symbolique.
On peut se demander si cest une scène de tragédie (à comparer avec IV, 2 de Cinna) ou de mélodrame.
où on remarque le rôle des facteurs physiques (la fatigue, la sueur à la porte du tribunal), le mélange dans son esprit de confusion et de lucidité, où est montré le mécanisme des associations didées («Romainville»).
«lescalier-échelle du bagne flottant» : à cette époque, les forçats étaient à Toulon détenus sur des pontons
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La bataille de Waterloo
(II, 1)
Hugo, qui avait réuni une importante documentation, puis avait visité longuement le champ de bataille, enfin, donnant lessor à son imagination, termina sur place, en juin 1861, la rédaction de son roman, consacra à la bataille de Waterloo tout un «livre» des Misérables, épisode qui na quun lien assez lâche avec laction du roman (le soir du 18 juin 1815, Thénardier a sauvé le père de Marius, le baron Pontmercy,; en fait, il la fait involontairement car, occupé à dépouiller les morts, il se souciait fort peu de secourir les blessés).
Mais le romancier mesurait toute limportance historique de cette journée : «Waterloo nest pas une bataille ; cest le changement de front de lunivers».
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Napoléon à Waterloo
(II, 1, 3)
Passage allant de «Sil navait pas plu» à «gai à Waterloo»
Ce passage, écrit par un romancier visitant les sites de la bataille plus de trente ans après la bataille, permet de découvrir une autre dimension de Hugo, celle de lanalyste. Ces pages offrent un raccourci
pour comprendre le mythe de Napoléon.
a) Une affaire de météorologie
Selon Hugo, la pluie, qui empêcha la manoeuvre de lartillerie, retarda le moment de livrer la bataille : elle commença à onze heures et demie au lieu de six heures du matin. Or lessentiel de la tactique napoléonienne résidait dans son usage du feu : «Faire converger lartillerie sur un point donné, cétait là sa clef de victoire». En outre, ce jour-là, les Français avaient davantage de canons que leurs ennemis (deux cent quarante contre cent cinquante-neuf).
Ce retard permit aux Prussiens darriver sur le champ de bataille, sous la conduite de Blücher, alors que Napoléon attendait Grouchy (voir Lexpiation dans Les châtiments : «Soudain, joyeux, il dit Grouchy ! Cétait Blücher.»).
b) Portrait de lempereur
Hugo historien semble sappuyer sur des sources diverses pour affirmer que la stratégie de lempereur fut la bonne : «Son plan de bataille était, de laveu de tous, un chef-doeuvre». Il prévit, comme à son habitude, de rompre les lignes adverse, de couper en deux les forces anglo-prussiennes.
Le portrait équestre que dressa Hugo rappelle ce que le roman doit à la peinture (on peut penser à certains portraits de Géricault ou de David) : il montre un chef serein, maître de lui. Son calme et sa bonne humeur (il était curieusement moins sombre que le jour où il remporta la victoire dAusterlitz) contrastent avec une pluie qui transforme en bourbier la plaine belge. Si le stratège ne commit pas derreur, seule la Providence peut expliquer l«écroulement dun monde» : un nuage «traversant le ciel à contresens de la saison» aura suffi.
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Le début des paragraphes précise à quel endroit se trouve celui qui voit.
Le narrateur omniscient : il est en haut, assistant au «spectacle formidable» de la cavalerie descendant la colline de la Belle-Alliance.
Nous sommes dabord du côté français : le mouvement de cette masse est décrit pendant deux paragraphes.
Puis le point de vue anglais est présenté (« Derrière la crête du plateau [...] muette, immobile, attendait »).
Lépisode de la fosse dOhain est lun des moments forts de la bataille.
Pour Hugo, la défaite de Waterloo sexplique par limpossibilité dans laquelle sest trouvé Napoléon de
faire manoeuvrer très tôt son artillerie. Mais, comme le récit le suggère, le mauvais sort est aussi de la partie.
Un récit géométrique. On peut relever lopposition entre la troupe statique, silencieuse dans lattente de laffrontement, et la masse en mouvement. La guerre napoléonienne implique le mouvement, lélan dune masse contre une autre.
Le corps des cuirassiers forme un ensemble compact : « Toute cette cavalerie [...] toujours compacte et serrée » ; « Cela traversa la bataille... » ; « il semblait que cette masse neût quune âme». Les images employées renforcent cette sensation de compacité : la troupe se déplace « avec la précision dun bélier de bronze » ; « deux immenses couleuvres dacier » ; « comme un prodige » ; « devenue monstre» ; «comme un anneau du polype». La troupe française prend donc des dimensions mythiques, elle ressemble à un dragon couleur de feu ou de métal.
Face à elle, linfanterie anglaise se caractérise par son ordonnancement rigoureux, puisquelle est formée en treize carrés, deux bataillons par carré. Cette disposition soppose à celle, toute en longueur, de la cavalerie en marche. Mais un point commun lie les armées adverses : « vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. » Un autre parallélisme est mis en valeur jusque dans la phrase en miroir : « Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas ».
Un spectacle visuel et sonore
On a souvent glosé sur linhumanité des guerres modernes dans laquelle on tue des soldats (ou des civils) qui ne se voient pas, ou que lon ne voit pas. En ce sens, le récit de Hugo est prophétique : ces deux masses aveugles ne peuvent que saffronter violemment.
La cavalerie avance dans une lumière incertaine : « [Elle] disparut [...] une vaste fumée déchirée çà et là. » Le paysage se réduit à ce paysage vallonné qui se soustrait à la perspective, et sest transformé en « lépouvantable pente de boue » que la troupe gravit. Ladjectif annonce un fait bien plus horrible, à venir. Dans ce sombre tableau quon dirait peint par Géricault, où le piétinement colossal des chevaux semble impulser le rythme, les individus sont dabord réduits à quelques signes : « casques, cris, sabres ». Mais surtout, le moment qui précède laffrontement est affaire de bruit. Les consonnes sentrechoquent mais aussi les perceptions dans une sorte deffet synesthésique : « bondissement orageux [...] discipliné et terrible». Cest à la fois lordre militaire et le désordre dune violence qui va éclore. La phrase nominale semble à elle seule résumer le mélange. Larrivée de la cavalerie, perçue du côté anglais, est essentiellement un bruit : « Elle écoutait monter cette marée dhommes [...] le cliquetis des sabres ». Le narrateur met en valeur le caractère musical de lépisode, et met en relation cette rumeur humaine et animale avec un événement extraordinaire, puisquune sorte de grand souffle farouche accompagne cette troupe, peu avant lassaut. Celui-ci sapparente à l« entrée dun tremblement de terre ». Les hommes entrent en scène puisque lon voit, outre les attributs guerriers (sabres, casques, trompettes et étendards) « une longue file de bras et [...] trois mille têtes à moustaches grises ». Le cri poussé par ces vétérans est la seule phrase de « dialogue » de ce passage narratif. Poussé par des soldats aguerris, des fidèles de lEmpereur, il donne une indication supplémentaire sur la tragédie qui va suivre. La troupe qui va tomber à Ohain est lélite de larmée napoléonienne. Sa perte sonne le glas du régime...
Une scène épique
Un adverbe de temps annonce lévénement perturbateur au terme dune longue cavalcade (ou attente, selon le point de vue que lon adopte).
« À notre droite » (ce qui montre de quel côté se situe le narrateur), « une clameur effroyable » répond au cri de « Vive lEmpereur ! » qui résonnait peu avant. Un verbe à linfinitif précédant une courte phrase annonce ce qui va suivre : « tout à leur furie [...] une fosse » ; « Linstant fut épouvantable ». La course cadencée (on avançait au grand trot) est devenu galop vers labîme : « toute la colonne [...] écrasa les Français ». Le tumulte de la troupe en mouvement revient pour créer un chaos dimages sanglantes, hommes et animaux mêlés. La fosse devient fosse commune, ses deux toises (environ quatre mètres) forment un « gouffre » qui se comble dhommes vivants. Lhorreur du combat tient en deux propositions : « on marcha dessus et le reste passa ». Qui est ce « on »? Qui est ce « reste »? Chacun le devine, mais limpersonnalité du pronom et du nom commun disent lessentiel.
On peut rapprocher cette scène de celle que raconte le colonel Chabert , dans le roman éponyme de
Balzac. Lenfouissement sous les cadavres est semblable ; lintérêt réside dans le changement de point de vue. Chez Hugo, le narrateur est omniscient, chez Balzac il est acteur.
La dimension épique est affaire dimages et de rythmes.
On peut également comparer cette scène avec lassaut contre la barricade.
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La charge des cuirassiers
(II, 1, 9 et 10)
LE SPECTACLE DE LA VIOLENCE
1. trois moments de ce «spectacle».
2. le narrateur sintéresse au mouvement des deux masses, selon une vision géométrique. Relevez
les termes qui le soulignent.
3. les sonorités dans la phrase «Pêle-mêle de casques [...] tumulte discipliné et terrible.» Quest-ce qui caractérise cette phrase sur le plan grammatical?
4. Ce spectacle est à la fois visuel et sonore. Pour ce qui touche au visuel, on peut distinguer ce qui concerne le décor de ce qui concerne les êtres humains.
5. Des métaphores ou comparaisons définisset la cavalerie. Quelles dimensions cette troupe prend-elle ?
6. laffrontement entre la cavalerie et linfanterie est absurde.
b) dans le dernier paragraphe, on peut relever ce qui rend le sort des cavaliers particulièrement affreux. Il faut commenter les deux dernières propositions («on marcha dessus et le reste passa»).
Hugo discerna le parti que son génie épique pouvait tirer de cette mêlée gigantesque :
- «Cétaient des hommes géants sur des chevaux colosses».
- La «puissante deuxième aile [
] avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.»
- «Les escadrons énormes sébranlèrent.»
- «Alors on vit un spectacle formidable», ce mot ayant son sens latin : «qui inspire la crainte, redoutable, terrible».
- «Toute cette cavalerie [
] descendit, dun même mouvement et comme un seul homme, avec la précision dun bélier de bronze qui ouvre une brèche.»
- «Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables.» Leffet de la succession des trois épithètes est remarquable. La phrase rappelle ce que Hugo écrivit dans son poème Lexpiation : «Puis à pas lents, musique en tête, sans fureur, / Tranquilles, souriant à la mitraille anglaise, / la garde impériale entra dans la fournaise.» (Les châtiments).
- «On entendait ce piétinement colossal.»
- «On croyait voir [
] deux immenses couleuvres dacier.» Limage sera reprise plus loin avec «polype», «hydre».
- «Cela traversa la bataille comme un prodige.»
- «Il semblait que cette masse était devenue monstre et neût quune âme.»
- «Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype.»
- «Pêle-même de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles de lhydre.»
- «Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada lOlympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.»
- «Linfanterie anglaise [
], calme, muette, immobile, attendait.» : nouvelle succession de trois épithètes.
- «Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche.»
- «
et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises [
] toute cette cavalerie déboucha sur le plateau.»
- «Ce fut comme lentrée dun tremblement de terre.»
- «La tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable.»
- «Linstant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic.» : autre succession de trois épithètes.
- «Cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant quune chair dans ce gouffre.»
- «Ventre à terre, brides lâchées, sabre aux dents, pistolets au poing, telle fut lattaque.» (II, 1, 10).
- «Il y a des moments dans les batailles où lâme durcit lhomme jusquà changer le soldat en statue, et où toute cette chair se fait granit.» (II, 1, 10). Dans Lexpiation, Hugo écrivit : Napoléon voyait «en cet horrible gouffre, / Fondre ces régiments de granit et dacier.»
- «Toutes les faces des carrés anglais furent attaquées à la fois. Un tournoiement frénétique les enveloppa.»
- «Le front du carré souvrait, laissait passer une éruption de mitraille.»
-«Leurs grands chevaux [
] tombaient, gigantesques, au milieu de ces quatre murs vivants.» Dans Lexpiation, Hugo écrivit : «Gouffre où les régiments comme des pans de murs, tombaient.» (Les châtiments).
- «Les bayonnettes senfonçaient dans les ventres de ces centaures. De là une difformité de blessures quon na pas vue peut-être ailleurs.»
- «Les carrés [
] inépuisables en mitraille, faisaient explosion au milieu des assaillants.»
- «La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés nétaient plus des bataillons, cétaient des cratères ; ces cuirassiers nétaient plus une cavalerie, cétait une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage ; la lave combattait la foudre.» Dans Lexpiation, Hugo écrivit : «un gouffre flamboyant, rouge comme une forge [
] la fournaise [
] des jets de soufre [
] Comme fond une cire au souffle dun brasier.» (Les châtiments).
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Les Gillenormand et les Pontmercy : trois générations au fil de lhistoire
Passages étudiés : «Lorsque M. Gillenormand [...] sans les lire»
et «Marius fut trois jours absent [...] Quallait devenir Marius?»
Ces quelques pages, à travers lesquelles le narrateur présente Marius, son grand-père et son père (entraperçu à la fin de lépisode de Waterloo), présentent de multiples intérêts.
Sur le plan de lintrigue, elles permettent de faire connaissance avec Marius, et de mieux saisir ce qui lunit à son père, de comprendre limportance de la promesse à accomplir : retrouver Thénardier, pris pour un sauveur par Georges Pontmercy à lissue de la bataille.
Ces pages ont également un caractère autobiographique : Hugo sy projeta, nomma son oncle, évoqua un épisode de la bataille dEylau célébré dans un poème de La légende des siècles (Le cimetière dEylau). Enfin, la stature romantique de Marius, de même que son évolution politique, sont des échos de lexistence de Hugo à cette période de sa vie.
Mais cest la dimension historique quil faut mettre en valeur. Questce qui distingue les trois générations? En quoi lHistoire, puis la mémoire, transforment-elles leur existence en même temps que celle de leurs contemporains?
a) M. Gillenormand
Ce personnage est le premier nommé dans ces pages. Mais la place qui lui est accordée est mince :
«il hantait plusieurs salons très bons et très nobles», y était reçu bien que «bourgeois». Cest un voltairien dont «la gaieté et le cynisme» froissent son petit-fils. Mais ce personnage dAncien Régime ne partage pas avec le célèbre philosophe tous les idéaux des Lumières. Il na pas aimé la Révolution, moins encore lEmpire, synonymes pour lui de désordre... Son gendre est la «honte de sa famille». Conservateur, il donne à Marius un précepteur «de la plus pure innocence classique». Nul doute quHernani lui aurait déplu, et quil ne serait pas trouvé du côté de Gautier et de son gilet rouge.
b) Pontmercy
Il avait été, pour Marius, «un si fier soldat» (voir tout le passage en IV, 13, 3). Il est, pour M. Gillenormand, un «brigand de la Loire», lun de ces soldats de Davout, resté fidèle à lEmpire en 1815, lorsque larmée en déroute sest repliée vers le sud. Le narrateur atteste de son existence en citant des documents dépoque, parmi lesquels Le moniteur et les bulletins de la Grande Armée. Ses faits darmes sont fameux, et pour accréditer encore plus lidée que Pontmercy a vécu, lécrivain cite Louis Hugo, son oncle. Les noms de bataille senchaînent, de la campagne de Russie aux combats de 1814. À Waterloo, le chef descadron allie courage et désinvolture en remerciant lempereur au nom de sa future veuve. Il tombe dans la fosse dOhain, mais il est «sauvé»
par Thénardier, et bat en retraite jusquà la Loire. Loin dêtre gratuite, cette énumération met en valeur la dimension épique des années napoléoniennes, que les générations romantiques évoquèrent avec nostalgie. Quon lise Les confessions dun enfant du siècle, de Musset, Le colonel Chabert, de Balzac, ou La chartreuse de Parme, de Stendhal, et lon comprendra à quel point les romanciers ont pu se sentir orphelins et petits, face à une Histoire dont ils héritaient sans pouvoir la transformer.
La Restauration, qui mit Pontmercy en demi-solde, neut quun projet : effacer lépopée napoléonienne des mémoires. Le mot «Restauration» annonçait un retour de lAncien Régime ; ce fut dabord la volonté de briser ceux qui avaient accompagné Napoléon. Doù la solitude de lexil pour lempereur, mais aussi, à une autre échelle, celle de Pontmercy, devenu veuf, dans sa petite maison de Vernon. Il ne sen échappe, tel un «repris de justice», que pour se rendre à léglise Saint-Sulpice, et voir son fils à linsu des Gillenormand et de lenfant lui-même.
c) Marius et son père
Le parcours de Marius est donc celui dun orphelin. Enfant, il est éduqué par une «prude» (sa tante) puis un «cuistre» (le professeur à «la plus pure innocence classique»). Le narrateur accumule les adjectifs pour le qualifier : «ardent et froid», «noble», «généreux», «religieux», «exalté», «digne jusquà la dureté», «pur jusquà la sauvagerie». Chaque terme a son poids, et annonce le héros des barricades que sera Marius, une fois ses convictions bonapartistes affirmées. Celles-ci naquirent de ses lectures à la bibliothèque de lÉcole de droit. «Il dévora tout», écrit le narrateur. Marius apprend qui était le père quil vient de perdre. À la mémoire officielle soppose celle que le jeune homme se forge. «La république, lEmpire, navaient été pour lui que des mots monstrueux» : la première, «une guillotine dans un crépuscule» ; le second, «un sabre dans la nuit». Marius «venait dy regarder», et il avait vu «étinceler des astres». Lénumération des figures révolutionnaires, et lenchaînement avec Napoléon perçu comme un «soleil» rappelle le catéchisme républicain propre au XIXe siècle. Lhéritage de 1789 et de lEmpire est embelli par Marius : «il vit sortir [...] la grande figure de la France» ; «La souveraineté du droit civique [...] imposée à lEurope».
Marius et son père ressemblent un peu au conventionnel G. dans la mesure où lun connaît la solitude
après avoir été déshérité par son grand-père, et où lautre, «pestiféré», vit à Vernon loin de sa famille. Ces pages montrent aussi le conformisme régnant à cette époque : en parallèle, le portrait dun Bamatabois et de ses semblables montrerait quelle image de la jeunesse la Restauration acceptait ou valorisait, celle du petit-bourgeois désoeuvré, sans conscience morale ou sociale, ce que Marius ne sera jamais.
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Le traquenard de Jondrette
(III, 8, 5)
Passage allant de «Cette jeune fille» jusquà «il se remit à rire.»
1. Le regard de Marius
Ce long passage mélodramatique, quon peut découper en cinq actes si lon considère le lieu de laction centrale, débute dans la chambre de Marius, à côté de chez Jondrette. Égaré dans ses rêveries de jeune homme pauvre, Marius comprend quavec la fille Jondrette, il côtoie la « nuit ». Une comparaison définit le pouvoir du regard en ce moment de sa relation avec ses voisins, quil croit miséreux : « il considérait le mur [...] réchauffer ces malheureux ». Marius se fait alors voyeur, remarquant un trou vers le haut. Mais cet espionnage a une justification morale : « La commisération a et doit avoir sa curiosité». Marius veut savoir « ce que cest que ces gens-là ». Sa curiosité nest cependant pas celle quil manifestera une fois quil aura vu M. Leblanc et la jeune inconnue dans la masure. « Il escalada la commode », écrit le narrateur. Au retour de Jondrette, il « bondi[ra] » en entendant parler delle. Le lecteur est censé voir avec les yeux du jeune homme. Mais ce quil apprend dépasse de loin ce que Marius, ébloui par lapparition de la jeune fille, peut saisir. Le narrateur omniscient relaie donc le jeune amoureux, puisque « Marius navait rien perdu de toute cette scène, et pourtant en réalité il nen avait rien vu ».
2. Lattitude de Jondrette
Larrivée de la Jondrette aînée annonçant le « philanthrope », déclenche le branle-bas de combat. Toutes les phrases de ce passage, dans lequel un dialogue bref alterne avec le récit, montre Jondrette préparant la salle et les personnages pour la venue du bienfaiteur. Le mot « père » revient sept fois avant larrivée des étrangers. Il donne des ordres, distribue les rôles. Notons au passage que sa brutalité effraie sa fille cadette, dont les réactions rappellent celles de Cosette face aux Thénardier dans lauberge de Montfermeil. Il crie beaucoup (le verbe est répété trois fois). À la fin, il vérifie « comme pour sassurer quil navait rien oublié ». Lorsquon frappe à la porte, lattitude de Jondrette change ; il devient obséquieux : il se précipite à la porte « avec des salutations profondes et des sourires dadoration ». Cette attitude excessive se retrouve dans le dialogue, où les adjectifs abondent : « respectable », « charmante »... Tout au long de léchange, ces adjectifs reviendront (« mon digne monsieur », « mon respectable monsieur », « mon bienfaiteur», « mon auguste bienfaiteur »), couplés à des paroles ou attitudes forcées (« Je fonds en larmes », « cria Jondrette éperdu »...).
Cette scène évoque le théâtre mélodramatique. Jondrette-Thénardier met en scène la pauvreté, et joue le rôle du pauvre. On remarque la dissimulation dun Jondrette obséquieux en même temps que sa violence physique et verbale.
3. Mélodrame et romantisme. Jusque-là, le lecteur voit avec les yeux de Marius. Rien ne vient troubler cette vision, aucun mouvement de colère ou dindignation, aucun jugement sur ce voisin aux façons brutales. On pourra sarrêter sur cette intelligence du narrateur ; il noublie pas que Marius veut avant tout connaître ses voisins. Le basculement se produit peu après : « ce quil éprouva en ce moment échappe à la langue humaine ». On entre dans la catégorie de lindicible lié à léblouissement (on pourra ici songer au « Ce fut comme une apparition » de lÉducation sentimentale, bien que Marius ait déjà vu Cosette au Luxembourg). Un pronom répété huit fois désigne linconnue reconnue : « Cétait Elle ». Les mêmes verbes reviennent aussi : « être » et « reparaître ». « Toujours la même », « toujours accompagnée », témoignent également de ce vertige dans lequel semble pris Marius. Du mélodrame, nous sommes passés à la scène romantique, puisque tout se passe dans le regard de lamoureux prisonnier dune image.
4. La scène principale. À partir de là, la narration est effectuée par un narrateur omniscient, grâce à qui on sait ce quil advient des protagonistes de cette scène ; et dabord de lexclue, la Jondrette aînée, en qui on a reconnu Éponine, qui se fige dans une attitude voisine de celle de Marius derrière sa cloison : « [Elle] regardait dun il sombre [...] ce charmant visage heureux ». Si sa fille se tient à lécart, Jondrette se livre quant à lui à des apartés hostiles aux hôtes, tout en se livrant à des courbettes. Il regrette que ses invités lui apportent des « nippes », enjoint par deux fois à sa femme de bien observer leur bienfaiteur. Laparté est bien sûr prononcé à voix basse, mais comme on le sait, Marius ne voit plus rien, et donc nentend rien. M. Leblanc reste silencieux et discret. Il se contente dêtre concret : abandonnant sa redingote au dos dune chaise, il sengage à revenir avec de largent après avoir raccompagné sa fille. Il est aussi sobre et efficace que Jondrette est dans le registre du jeu. La sortie des invités et de Jondrette nous ramène à Marius qui na rien vu : « Ses yeux étaient restés fixés sur la jeune fille ». Le narrateur ajoute cependant que Marius nest pas resté indifférent au caractère sordide de la scène : « au milieu de ces êtres immondes [...] un colibri parmi des crapauds». Le contraste entre loiseau et les batraciens nous ramène enfin à la perception du jeune homme. Mais il oublie aussitôt la scène principale pour ne plus songer quà retrouver la jeune inconnue.
La scène suivante lamène à rencontrer la fille Jondrette dans le corridor. Cette fois-ci, cest le regard « morne » de la jeune fille qui séclaire, puis séteint. Seul le comportement dÉponine permet de savoir ce quelle éprouve pour Marius. Son oeil morne, puis joyeux, sombre enfin, dit les états par lesquels elle passe lorsque Marius lui demande de retrouver la jeune inconnue. Elle est celle qui porte les lettres, celle qui suit, et cest là sa fonction. On sait ce quil en sera lors de lépisode de lémeute.
5. Les perceptions auditives
De retour chez lui, Marius est « arraché à sa rêverie » par la « voix haute et dure de Jondrette ». La vue est ici remplacée par louïe, et le simple emploi du pronom personnel « l » suscite le trouble. On sait que Marius brûle den savoir plus. Le « Je lai reconnu » de Jondrette sème le trouble. Sagit-il dun féminin? Dun masculin? Seul le lecteur, qui a suivi la scène, avec laide du narrateur omniscient, sait quil sagit de M. Leblanc-Valjean. Marius retrouve sa position de voyeur, et note les quelques changements apportés après le départ de M. Leblanc. Les personnages se sont changés, on a sorti deux couvertures neuves.
Obnubilé, Marius interpète le « l » comme désignant tout le temps la jeune fille (« Il écoutait [...] dans ses oreilles »). La vue ne sert plus à rien, mais Marius, attentif, nentend pas tout. Pourquoi Jondrette parle-t-il bas à sa femme? Le narrateur ne le précise pas. On peut supposer quil se méfie de son voisin ou quil est sur le qui-vive par nature. Les termes échangés entre époux sont violents : un « ça » méprisant désigne la jeune inconnue. Elle est aussi « cette gueuse » à qui la Jondrette voudrait « crever le ventre à coups de sabot ». Le jugement du jeune voisin sur la mégère nest pas suspendu (« Elle parut à Marius [...] le regard dune tigresse »). Et le narrateur file la métaphore en la qualifiant de « femelle ».
La fin de ce « cinquième acte » rend linitiative au mari, qui prépare un guet-apens pour celui quil a reconnu. Son rire et ses gestes sont éloquents. Il ignore que Marius a tout vu et entendu de sa machination, se gausse de sa propre «barbiche romantique», sorte de clin doeil de Hugo à un théâtre quil a honoré de ses pièces, et qui tourne ici au spectacle de grand-guignol.
En conclusion, lintérêt de cette scène, dans laquelle on est avant tout attentif aux perceptions visuelles et auditives, résulte de la diversité des attentes et des pensées. Jondrette, son épouse ou leur fille aînée ne veulent pas les mêmes choses. Les deux inconnus (en qui le lecteur a reconnu Valjean et Cosette) ne savent pas quils sont vus par celui que Valjean perçoit comme un ennemi ou un rival, et que la jeune fille aime. Le lecteur, comme dans toute bonne situation à suspense, est complice de Marius et des deux bienfaiteurs. Au moment où il lit, il espère quune issue favorable permettra au forçat évadé déchapper au piège tendu par Jondrette.
Cette scène ressemble à du théâtre mélodramatique. Jondrette est le metteur en scène, et il organise lespace et le décor. Il est aussi lacteur principal, jouant un personnage face à M. Leblanc, comme le montre le vocabulaire quil emploie. En vérité, il est
.
À certains moments, nous voyons avec les yeux de Marius, à dautres avec ceux du narrateur, qui doit intervenir. Dans un bref passage du texte, il justifie sa narration. Il ne reste pas neutre, comme le prouvent les images définissant la famille ou plus particulièrement la Jondrette.
On remarque les diverses attitudes de la Jondrette aînée qui révèle les sentiments quelle éprouve à légard de Marius, de la jeune inconnue.
Louïe joue dans ce passage un rôle aussi important que la vue. Le fait dentendre (ou de ne pas entendre) a pour Marius des conséquences.
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La mort de Gavroche
(V, 1, 15)
Passage allant de «Courfeyrac tout à coup aperçut» à «quinze coups à tirer»
Le 5 juin 1832, une manifestation républicaine organisée à loccasion des funérailles du général Lamarque se termina en émeute. Hugo groupa derrière la barricade de la rue de la Chanvrerie, dans le quartier des Halles, les principaux personnages du roman : Jean Valjean, Marius, Javert, et le petit Gavroche, fis des Thénardier, type du gamin de Paris, gai, impertinent, spirituel et débrouillard, mauvaise tête et grand cur. Il est sorti de la barricade, étant ici un détrousseur de cadavres, mais, contrairement à son père, il ne vole que des cartouches, pour venir en aide à ses compagnons insurgés.
Courfeyrac le voit «dehors, dans la rue, sous les balles», la hiérarchie des compléments de lieu établissant léchelle des dangers. Il est muni dun panier à bouteilles quil ne délaissera jamais : le geste consistant à vider les «gibernes» («boîtes à cartouches») dans son panier est répété à cinq reprises, signe de son obstination, dont témoigne aussi son refus de perdre une seule cartouche utilisable.
Le trait le définissant au mieux étant la désinvolture, on constate quau début de lépisode, il est «paisiblement occupé» à son affaire. Puis, dans un paragraphe qui ressemble à un long travelling où il bondit dun cadavre à lautre, en quête de cartouches, est soulignée son agilité : «Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait dun mort à lautre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix», ces verbes qui se succèdent rapidement étant à limparfait, temps dune durée qui contraste ici avec les vains efforts de ceux qui veulent labattre. On retrouve cette agilité et cette audace souriante plus loin : «Il se couchait, puis se redressait, seffaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez.»
Comme il trouve «une poire à poudre», il dit la prendre «pour la soif», jouant donc sur lexpression «garder une poire pour la soif» qui signifie «avoir des moyens, des ressources, en réserve, pour un emploi futur», alors quici lavenir est très limité !
Il est remarqué par «les tirailleurs de la ligne», qui appartiennent à «l'infanterie de ligne» (qui combattait en formant une ligne) et par «les tirailleurs de la banlieue», les gardes nationaux venus de la banlieue, où on est traditionnellement conservateur par rapport aux habitants du centre de Paris car y réside une bourgeoisie hostile au peuple de la capitale, toujours bouillonnant et prompt à lémeute. Et, en bon Parisien, il ne peut que les mépriser, dautres passages du roman nous ayant appris quil ne peut concevoir ce qui se passe en dehors de lenceinte de la ville (Hugo avait écrit auparavant, à propos des enfants de Paris : «Ils ne peuvent pas plus sortir de latmosphère parisienne que les poissons ne peuvent sortir de leau. Pour eux, à deux lieues des barrières, il ny a plus rien.» [III, 1, 5]).
La première balle nentame en rien son ironie : «Fichtre ! (vieille expression marquant la surprise, le désarroi, parfois ladmiration) Voilà quon me tue mes morts» (le pronom personnel et ladjectif possessif marquent son humour). Il réagit avec sang-froid et défi face aux soldats qui tirent sur lui, se moquant deux en leur faisant des pieds de nez. Et même : «Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'oeil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta», répondant à chaque décharge, par un couplet, jouant sa vie en quelques mots.
La chanson de Gavroche :
Comme les soldats qui l'ajustaient venaient de la banlieue, il sut à leur intention, avec sa faconde coutumièr, improviser des vers sur ceux bien connus quen 1817 Béranger composa pour railler les doléances des ennemis de la Révolution qui pensaient quen étaient responsables les deux grands philosophes du XVIIIe siècle quon sest toujours plu à opposer, et à bon droit :
«Tous nos maux sont venus
D'Arouet et de Jean-Jacques
... Ève aima le fruit nouveau,
C'est la faute de Rousseau ;
Caïn tua son frère,
C'est la faute de Voltaire.»
Hugo, qui, dans IV, 10, 4, avait indiqué que les troupes de banlieue venaient de Courbevoie, Saint-Denis et Vincennes, choisit donc ici «Nanterre» et «Palaiseau» pour que ces noms riment avec «Voltaire» et «Rousseau». Et il rendit les formulations «Cest la faute de
» plus populaires par lutilisation du complément dattribution construit avec «à».
Dans le premier couplet, Gavroche attribue aux banlieusards la laideur et la bêtise. Dans le deuxième, il oppose le «notaire», qui exerce une fonction sérieuse, symbole de lesprit conservateur, parce quon y compte les sous, au «petit oiseau», symbole depuis lévangile («Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit.») de pauvreté et de liberté heureuses. Dans le troisième, dans un autoportrait improvisé, il sidentifie justement à loiseau en affirmant : «Joie est mon caractère» et «Misère est mon trousseau» (le trousseau, ensemble de linge qu'un enfant emporte lorsqu'il entre à l'internat ou part en colonie de vacances, qu'une jeune fille emporte lorsqu'elle se marie ou entre au couvent, étant lemblême même de laisance de la bourgeoisie). Dans le quatrième, qui reste inachevé, il constate sa défaite sans perdre sa fantaisie et son audace.
La chanson de Gavroche est devenue lair le plus fameux de la comédie musicale adaptée des Misérables.
En fait, la chanson, où Gavroche rend compte des évènements quil subit tout en les commentant avec la verve insolente du titi parisien, est interrompue par un tableau où Hugo recourt à ses plus beaux effets littéraires :
- lantithèse : «Le spectacle était épouvantable et charmant» - «La barricade tremblait ; lui, il chantait.» - «il y avait de lAntée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, cest comme pour le géant toucher la terre.» - «petite grande âme».
- la répétition expressive : «Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade.»
- la comparaison : «On eût dit le nain invulnérable de la mêlée.» - «Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort».
- la métaphore : «Cétait le moineau becquetant les chasseurs.»
- la gradation : «Ce nétait pas un enfant, ce nétait pas un homme ; cétait un étrange gamin fée.» Cette dernière expression est une autre manifestation du goût quavait Hugo daccoler deux noms (ailleurs, «le pâtre promontoire», «le vautour aquilon» ; plus loin ici, «lenfant feu follet»).
- la personnification : «Les balles couraient après lui.» - lune est «plus traître que les autres» - «la face camarde du spectre» qui est celle de la mort.
- lhyperbole : «chaque fois que la face camarde du spectre sapprochait, le gamin lui donnait une pichenette», ce qui est aussi un trait dhumour car, une «pichenette» se donnant souvent sur le nez dune personne, comment en donner une à qui nen a pas?
On peut noter aussi que, si diverses images caractérisent le personnage, les premières le comparent à des êtres de petite taille, dotés certains de pouvoirs magiques, tandis que, quand il est atteint, il est comparé au géant Antée, combinant donc alors la puissance du géant et ladresse du nain.
En effet, malgré son audace et son agilité, Gavroche est tout de même atteint par une balle. Il continue encore sa chanson avec toujours son remarquable sens de là-propos. Cependant, une autre balle lachève. Mais, par opposition avec lattention accordée à ses exploits, sa mort ne tient quen trois phrases dun paragraphe rédigé au passé simple. Avec «Cette petite grande âme venait de senvoler», la finale de Hugo la renvoie à ce monde aérien qui semble son véritable domaine.
On peut considérer quavec la mort de Gavroche, c'est le peuple qu'on avait assassiné.
Alain a pu dire que Gavroche est «tout dans ses mots de théâtre et dans ses chansons».
«tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'oeil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient». Les balles le manquent. Une, deux, trois, quatre, il continue à chanter. Le spectacle est à la fois «épouvantable et charmant».
Gavroche, fusillé, taquine la fusillade. Il a l'air de s'amuser beaucoup. À chaque décharge, il répond par un couplet. La barricade tremble, lui, il chante. Gavroche n'est plus un enfant. C'est un gamin fée, un enfant feu follet. La mort de Gavroche, c'est le peuple qu'on assassine.
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La barricade Saint-Antoine
(V, 1, 1)
«La barricade Saint-Antoine était monstrueuse ; elle était haute de trois étages et large de sept cents pieds. Elle barrait d'un angle à I'autre la vaste embouchure du faubourg, c'est-à-dire trois rues ; ravinée, déchiquetée, dentelée, hachée, crénelée d'une immense déchirure, contre-butée de monceaux qui étaient eux-mêmes des bastions, poussant des caps çà et là, puissamment adossée aux deux grands promontoires de maisons du faubourg, elle surgissait comme une levée cyclopéenne au fond de la redoutable place qui a vu le 14 juillet. Dix-neuf barricades s'étageaient dans la profondeur des rues derrière cette barricade mère. Rien qu'à la voir, on sentait dans le faubourg I'immense souffrance agonisante arrivée à cette minute extrême où une détresse veut devenir une catastrophe. De quoi était faite cette barricade? De l'écroulement de trois maisons à six étages, démolies exprès, disaient les uns. Du prodige de toutes les colères, disaient les autres. Elle avait I'aspect lamentable de toutes les constructions de la haine : la ruine. On pouvait dire : qui a bâti cela? On pouvait dire aussi : qui a détruit cela? Cétait limprovisation du bouillonnement. Tiens ! cette porte ! cette grille ! cet auvent ! ce chambranle ! ce réchaud brisé ! cette marmite fêlée ! Donnez tout ! jetez tout ! poussez, roulez, piochez, démantelez, bouleversez, écroulez tout ! Cétait la collaboration du pavé, du moellon, de la poutre, de la barre de fer, du chiffon, du carreau défoncé, de la chaise dépaillée, du trognon de chou, de la loque, de la guenille, et de la malédiction. C'était grand et c'était petit. C'était I'abîme parodié sur place par le tohu-bohu. La masse près de l'atome ; le pan de mur arraché et l'écuelle cassée ; une fraternisation menaçante de tous les débris ; Sisyphe avait jeté Ià son rocher et Job son tesson. En somme, terrible. C'était I'acropole des va-nu-pieds. Des charrettes ren versées accidentaient le talus ; un immense haquet y était étalé en travers, l'essieu vers le ciel, et semblait une balafre sur cette façade tumultueuse ; un omnibus, hissé gaîment à force de bras tout au sommet de I'entassement, commme si les architectes de cette sauvagerie eussent voulu ajouter la gaminerie à l'épouvante, offrait son timon dételé à on ne sait quels chevaux de I'air. Cet amas gigantesque, alluvion de l'émeute, figurait à I'esprit un Ossa sur Pélion de toutes les révolutions ; 93 sur 89, le 9 thermidor sur le 10 août, le 18 brumaire sur le 21 janvier, vendémiaire sur prairial, 1848 sur 183o. La place en valait la peine, et cette barricade était digne d'apparaître à I'endroit rnême où la Bastille avait disparu. Si I'océan faisait des digues, c'est ainsi quil les bâtirait. La furie du flot était empreinte sur cet encombrement difforme. Quel flot? la foule. On croyait voir du vacarme pétrifré. On croyait entendre bourdonner, au-dessus de cette barricade, comme si elles eussent été là sur leur ruche, les énormes abeilles ténébreuses du progrès violent. Était-ce une broussaille? était-ce une bacchanale? était-ce une forteresse? Le vertige semblait avoir construit cela à coups d'aile. Il y avait du cloaque dans cette redoute et quelque chose d'olympien dans ce fouillis. On y voyait, dans un pêle-mêle plein de désespoir, des chevrons de toits, des morceaux de mansardes avec leur papier peint, des châssis de fenêtres avec toutes leurs vitres plantés dans les décombres, attendant le canon, des cheminées descellées, des armoires, des tables, des bancs, un sens dessus dessous hurlant, et ces mille choses indigentes, rebuts même du mendiant, qui contiennent à la fois de la fureur et du néant. On eût dit que c'était le haillon d'un peuple, haillon de bois, de fer, de bronze, de pierre, et que le faubourg Saint-Antoine lavait poussé là à sa porte d'un colossal coup de balai, faisant de sa misère sa barr23MNOPXYZ[lms÷å÷á÷Û÷Ãå¨w\C\+.h8B:5B*CJOJQJ^JaJmHphsH1h8B:56B*CJ0OJQJ^JaJ0mHphsH4haoh8B:5B*CJ0OJQJ^JaJ0mHphsH.h8B:5B*CJ0OJQJ^JaJ0mHphsH1hXÅh8B:B*CJOJQJ^JaJmHphsH4hXÅh8B:5B*CJOJQJ^JaJmHphsH.h8B:5B*CJ$OJQJ^JaJ$mHphsH
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