Td corrigé I ? Présentation de l'auteur : Manfred KETS de VRIES - Lirsa pdf

I ? Présentation de l'auteur : Manfred KETS de VRIES - Lirsa

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 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962301" IV – 4. Les âmes mortes, comprendre ceux qui ne connaissent pas l’émotion  RENVOIPAGE _Toc76962301 \h 8
 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962302" IV – 5. L’inconscience et le fou : l’humour en contre-poids du pouvoir  RENVOIPAGE _Toc76962302 \h 9
 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962303" IV – 6. Le syndrome de l’imposteur  RENVOIPAGE _Toc76962303 \h 11
 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962304" IV – 7. Leadership et abus de pouvoir : au-delà de la complicité  RENVOIPAGE _Toc76962304 \h 13
 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962305" V – Critique de l’œuvre  RENVOIPAGE _Toc76962305 \h 15
 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962306" VI – Actualité de la question  RENVOIPAGE _Toc76962306 \h 18
 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962307" VII - Conclusion  RENVOIPAGE _Toc76962307 \h 21
 LIENHYPERTEXTE \l "_Toc76962308" VIII – Bibliographie complémentaire  RENVOIPAGE _Toc76962308 \h 21

I – Présentation de l’auteur : Manfred KETS de VRIES


Manfred KETS de VRIES est docteur en Economie de l’Université d’Amsterdam et titulaire d’un MBA ainsi que d’un doctorat de Harvard. Au travers de sa carrière, il a toujours souhaité connaître davantage et en profondeur les individus et les organisations d’entreprises par le biais de la psychanalyse, méthode développée comme chacun sait, par les travaux du Professeur Sigmund FREUD.

Il a été formé aux méthodes de la psychanalyse par le Canadian Psychoanalytic Institute. C’est ainsi que dans son ouvrage Leaders, fous et imposteurs il adopte deux approches pour appréhender les hommes et les organisations : une approche d’économiste qui connaît le fonctionnement d’une organisation d’entreprise et une approche de psychanalyste qui cherche à connaître et à comprendre les hommes et leurs sentiments, leurs émotions, leurs comportements.

C’est cette double approche, la maîtrise de cette science (l’économie) et de cet art (la psychanalyse) qui lui a ouvert les portes de carrières diverses mais liées : psychanalyste, consultant d’entreprise et universitaire (Mc Gill University, HEC Montréal, Harvard Business School, INSEAD Fontainebleau).

Actuellement, le professeur Manfred KETS de VRIES est le directeur du « Global Leadership Centre » à l’INSEAD Fontainebleau ce qui regroupe également le pôle de Management des Ressources Humaines.

Après une série d’articles et d’ouvrages consacrés au management et aux organisations, Manfred KETS de VRIES publie en 1995 Leaders, Fous et Imposteurs. Ce dernier recevra même en 2003 le Prix Sciences Po du meilleur ouvrage de management.


II – Intérêts et objectifs de l’ouvrage


A l’heure actuelle où l’on parle et où l’on recherche de plus en plus à déterminer un « profil type de leader » (voir récente une d’un célèbre magazine « d’actualités d’entreprises » : Challenges ), où l’expression « charisme » de Max WEBER est de plus en plus citée comme étant une référence et la caractéristique majeure du comportement de leader, Manfred KETS de VRIES admet et prouve la difficulté et la réduction de ces recherches qui tendent à assimiler le comportement de leader à une « recette miracle ».

« Plus je rencontre des leaders, plus il me paraît difficile de décrire une façon type de diriger efficacement », « Il est évident qu’à différentes situations doivent correspondrent différents types de leadership » écrit-il dans la préface de son ouvrage Leaders, Fous et Imposteurs.

Il situe d’ailleurs clairement la problématique : « Réduire les caractéristiques du leadership à quelques éléments qu’on retrouve toujours est une insulte à l’intelligence du lecteur. C’est pourtant ce que l’on fait trop souvent dans les études sur la question ».

En effet, si l’on ne peut affirmer qu’il y ait une liste définitive des caractéristiques qui peuvent qualifier le comportement de ceux qui dirigent, il y a néanmoins certaines constantes qui peuvent être retrouvées chez chacun d’entre eux.

Manfred KETS de VRIES a l’originalité de traiter le dirigeant avant tout comme un homme, à la rationalité limitée par le cognitif et l’émotionnel, soumis aux contraintes d’un environnement qu’il ne connaîtra jamais suffisamment, soumis également à l’illusion qu’il a de contrôler un univers. Originalité, car l’ensemble des œuvres qui disent traiter de « l’art du management » tentent davantage de dresser un portrait robot du leader, comme une suite de règles et de modèles mathématiques, plutôt que de l’analyser en tant qu’homme réagissant en fonction des situations qu’il rencontre avec son histoire, ses croyances, son passé, son inconscient, sa motivation inconsciente.

Dans Leaders, Fous et Imposteurs, Manfred KETS de VRIES reprend l’approche de Sigmund FREUD afin de nous aider à comprendre les causes du comportement du leader. C’est pourquoi, en tant que psychanalyste, il souhaite nous dépeindre le « théâtre intérieur » des dirigeants qu’il a analysés en consultations ainsi que celui des Grands Hommes au sens hegelien du terme qui sont devenus les archétypes (JUNG) de notre civilisation, celui des hommes qui auront marqué en bien ou en mal notre ère (Hitler, Lyndon Johnson, Reagan, Giscard d’Estaing – leader de charme selon JP Friedman-, Anthony de Angelis, Saddam Hussein…) et notre inconscient (mythe de Narcisse, la loi du Talion, la théorie du bâtisseur…).

Son œuvre a également pour objectif de montrer les interactions des individus dans les organisations, que ce soit au plan politique ou dans la vie de l’entreprise. Au lieu de miser sur une relation mécanique entre les différents acteurs d’une organisation, Manfred KETS de VRIES met l’accent sur une dimension « psychodynamique » qui montre comment des mécanismes intérieurs, conscients ou non, influent sur les décisions de la société. Cette théorie révèle ainsi que les organisations ne peuvent être gérées de manière purement logique car les dirigeants font preuve comme tout homme d’ailleurs, d’une rationalité limitée (au sens d’H. Simon), par leurs émotions, leurs aspirations. Cette conduite irrationnelle peut se répercuter sur la culture entière de l’entreprise et orienter les styles de direction. KETS de VRIES fait donc ici une « approche clinique du management ».

L’intérêt principal de cette œuvre pour le lecteur, est que ce dernier puisse faire preuve d’introspection en analysant son caractère, son histoire et ses émotions de manière parallèle à son comportement lorsqu’il est en position de leader. En analysant son passé et ses réactions à la lumière de cet ouvrage, il pourra essayer de chercher à se définir lui-même. Est-il un tyran organisationnel ? Est-il un narcissique ? Le leader, tout comme chaque individu doit se connaître lui-même afin de donner une morale à ses actes et, dans le cadre du leader, afin d’exercer sainement le pouvoir. En ayant recours à cette analyse de soi, le leader pourra alors mieux se connaître et ainsi se munir de gardes-fous afin de parer à ses carences. Ces gardes-fous lui permettront l’exercice d’un pouvoir sain, sans abus et non-tourné vers l’amour-propre et les intérêts personnels, protégé de toutes flatteries et orienté vers l’objectif commun de la réussite de l’organisation.


III - Postulat et hypothèses


Kets de Vries nous propose un point de vue généralement laissé de côté dans les analyses sur les managers et les organisations : l’apport de la psychanalyse afin de mieux appréhender l’identité et les modèles comportementaux des managers (Postulat). Aussi, par cette approche basée sur la psychanalyse, de nombreux facteurs généralement peu considérés voire même totalement oubliés -comme les troubles infantiles par exemple- sont analysés en tant qu’éléments explicatifs de certaines décisions ou comportements adoptés par la suite (H1).

Si la psychologie est régulièrement utilisée pour analyser les leaders et les organisations, la psychanalyse apporte de nouveaux axes de réflexion. Le point de vue de l’ouvrage se situe donc à un niveau individuel et inconscient (H2). L’univers mental des leaders est en effet un domaine difficile à appréhender mais totalement indispensable pour comprendre plus précisément comment fonctionnent les processus stratégiques, comportementaux et de décision et par conséquent les organisations (H3). Aussi, de nombreux éléments en apparence anecdotiques peuvent s’avérer primordiaux en fonction du ressenti inconscient des dirigeants.

Cette approche est d’autant plus intéressante qu’elle permet de constater que des névroses rencontrées par les leaders peuvent engendrer des conséquences très importantes en raison du pouvoir décisionnel dont ils disposent.

Pour Kets de Vries, le point de départ de ce livre se situe dans la multitude de comportements et de réactions des leaders. Les différentes manières d’appréhender les tensions, de s’adapter et d’affronter les dangers qu’il a observés lui ont ainsi permis de découvrir que l’histoire de chaque dirigeant est unique mais qu’il est également possible d’identifier un certain nombre de similitudes (H4).

Ce livre a donc pour principal objectif de mettre en avant l’importance des mécanismes intérieurs, conscients ou non, sur les organisations elles-mêmes, que ce soit en terme de relations entre les employés, de décisions ou de politiques mises en place. Ces comportements sont donc primordiaux car ils se répercutent à tous les niveaux hiérarchiques de la société (H5). Or, un des premiers constats de Kets de Vries est que contrairement aux apparences, les dirigeants ne sont pas toujours des êtres rationnels car ils sont sous l’emprise de leurs émotions et de leurs aspirations (H6).

Les principaux objectifs et justifications de ce livre sont assez bien résumées par Kets de Vries citant Marcel Proust dans sa préface : « ce sont des névrosés qui sont à l’origine de ce qu’il y a de plus grand, ils ont fondé des religions, fait de grandes œuvre d’art ». Il s’agit donc de tenter de comprendre leurs motivations profondes.


IV – Points clés et présentation de l’approche – conclusions principales de l’œuvre


IV – 1. Le dirigeant comme miroir

Puisque toute communauté a besoin de leaders et que tout homme doit être dirigeant ou dirigé ou parfois les deux selon qu’il se trouve au travail ou dans ses loisirs, Manfred KETS de VRIES nous présente tout d’abord le leader comme un miroir. L’auteur reprend ici la théorie de FREUD indiquant que, lors d’une démarche d’analyse, le patient reproduit avec le thérapeute les « types de relations puisées dans son passé », c’est ce que l’on appelle le processus de transfert. Dans la vie quotidienne, chacun d’entre nous a des réactions de transfert puisque nos réponses à l’instant présent sont un mélange de réactions à la réalité et de notre histoire. Manfred KETS de VRIES nous dit alors que les suiveurs « idéalisent leurs leaders et cherchent à les doter de pouvoirs et de qualités sans rapport avec la réalité », tel un écho, un transfert de notre petite enfance sur le moment présent, de la même manière que l’on souhaite que nos parents prennent soin de nous pendant qu’on les considère comme tout puissants et parfaits.

Ainsi, les suiveurs, comme les enfants, se sentent eux-mêmes tous puissants et protégés par la projection sur eux-même des qualités qu’ils prêtent à leur leader. C’est cette théorie du miroir qui se retrouve dans la mythologie populaire - Blanche Neige, Narcisse, le Portrait de Dorian Gray (Oscar WILDE) – qui implique le renvoi d’image entre le leader et son équipe car les suiveurs vouent une certaine admiration au leader en projetant sur lui leurs fantasmes et le leader perçoit ce que lui renvoient les suiveurs en étant séduit par l’image d’admiration que ces derniers lui donnent. Le risque managérial est ici que l’image renvoyée de part et d’autre soit déformée. Un bon exemple de ce risque fût le mandat de Ronald REAGAN où ce dernier a triplé le déficit budgétaire des Etats-Unis alors que ses électeurs restèrent persuadés que ses comptes étaient équilibrés.

Ainsi, le leader est partiellement déterminé par le désir de ses équipes et le risque de distorsion est grand pour l’organisation lorsque le leader sent qu’il doit agir hors des projections qu’ont ceux qu’ils les suivent. Les organisations ont bien compris ce système de miroir et c’est pourquoi elles font appel à des consultants pour « casser » cette relation et établir la réalité en jouant les « miroirs extérieurs ». C’est ce que l’auteur révèle dans le cas « Roltex » où un PDG « mal préparé et ignorant » avait été choisi pour diriger. Ce dernier avait pourtant pleinement conscience de ses carences. Cependant, le personnel lui vouait beaucoup d’admiration. Des consultants nommés suite à des pertes régulières de parts de marchés, ont mené une conduite de changement afin de briser cette relation. Suite à cela, le PDG a démissionné car il avait bien compris que, comme il le sentait, il n’était pas à sa place. Toutefois, trop souvent, les dirigeants préfèrent continuer à jouer le jeu séduisant du miroir avec leurs subordonnés, ce qui les conduit généralement à terme à de graves erreurs.


IV – 2. Le moi inachevé : le narcissisme et l’exercice du pouvoir


La conception que nous avons du pouvoir est ambivalente : le pouvoir est désirable mais nous éprouvons de la suspicion vis-à-vis de la manière dont s’exerce le pouvoir sur nous ou dont nous l’exerçons sur autrui. Cette ambivalence prend ses racines dans nos contradictions humaines : force et faiblesse, domination et dépendance, contrôle et assujettissent. En effet, le pouvoir de l’un s’exerce aux dépends de l’autre. Ainsi, selon Manfred KETS de VRIES, le leader doit pour exercer le pouvoir posséder en lui, outre ses compétences professionnelles et ses qualités personnelles, un « sentiment de force, le résultat du dépassement en nous des anciennes sensations d’impuissance et de toute-puissance qui nous restent depuis notre première enfance ». C’est ce qu’il appelle, avoir un « sens du soi très poussé », résultat de notre petite enfance, où nos parents doivent trouver un équilibre entre l’encouragement et la frustration rencontrés lors de notre éducation. Une frustration trop importante pourra générer un désir de vengeance et une soif de pouvoir personnel, ce qui peut entraîner pour l’organisation des « effets dévastateurs ».

Par conséquent, on peut légitimement se demander ce qui arrive lorsque le conflit entre le « moi démesuré » et la faiblesse n’est pas résolu dans la petite enfance, et lorsqu’il se produit des abus de pouvoir ? FREUD prenait alors l’exemple de la pièce Richard III de Shakespeare : « Je peux faire le mal, puisqu’on m’a fait du mal ». Cette notion de fatalité se retrouve également chez Hitler dans « Mein Kampf ». Hitler qui voulait devenir peintre et qui en a été empêché par son père, qui était sexuellement impuissant, n’a pas trouvé d’exutoire « normal » à son énergie. Ces frustrations non-dépassées, il les a projetées sur le monde extérieur, avec l’horreur que l’on connaît. Cependant, toute blessure infligée durant l’enfance, ne conduira pas à un exercice du pouvoir aussi violent et totalitaire. Ce fut le cas d’Ingmar Bergman qui su transposer l’antidote qu’il trouva à ses craintes (la projection de lumière) en une force créatrice qui fit de lui un cinéaste reconnu.

Dans le cadre d’une organisation, le narcissique, c’est-à-dire celui dont « la conscience de soi est mal cernée ou dont l’idée de puissance est irréaliste », qui est pourtant admiré pour ses qualités, peut mener l’entreprise à la catastrophe. C’est ce que suggère l’exemple du PDG Langner. Admiré pour sa capacité à travailler en équipe, il fut nommé PDG. Du jour au lendemain, dès lors qu’il eut le pouvoir, il organisa la vie de la société autour de lui, de ses commodités, de son prestige. Il n’écoutait plus les conseils de son entourage et la société subit une grave crise qui le contraint à démissionner. Langner était le portrait type du narcissique. Adulé par ses parents qui l’obligeait constamment à se mettre en valeur et qui l’ont obligé à sauter une classe, félicité par ses professeurs et jouant de son charme lors des entretiens de recrutement, il trouvait alors normal, dans sa vie professionnelle, que ses collaborateurs l’admirent et lui témoignent leur respect envers ses actions alors qu’il ne s’intéressait jamais aux travail des autres.

Dans une organisation, le leader narcissique peut se montrer bénéfique en insufflant à ses équipes son sens du théâtre, son enthousiasme, sa « confiance en lui », sa « nature décidée ». Cependant, avec le temps, les effets s’estompent car bien souvent, pour ces leaders narcissiques, pouvoir et prestige importent plus que les résultats de l’entreprise. « Ils se concentreront sur des projets qui leur sont politiquement opportuns » et empêchent l’organisation de s’adapter à son environnement. De plus, ils ne se soucient pas des membres de leurs équipes et ne jouent plus le rôle de miroir en négligeant l’aspect affectif de leurs subordonnés. Cela aboutit à une forme d’exploitation et à une forme d’étouffement des suiveurs. Evidemment, plus le pouvoir est fort, plus il stimule l’individu à caractère narcissique qui ne peut lui-même se rendre compte de ce qui se passe. De même, l’organisation ne reconnaît généralement le danger du narcissique qu’une fois que le mal est fait.

On comprend donc ainsi que l’exercice du pouvoir pose des problèmes différents tant à l’organisation qu’à celui qui exerce le pouvoir. En résumé, le leader doit avoir une excellente connaissance de lui-même, prendre garde au risque de flatterie important à son niveau et rester pragmatique. « La bonne marche de l’organisation dépendra beaucoup, chez celui qui la dirige, de sa vision saine des choses, de la connaissance qu’il a de lui-même et de son sens personnel de l’équilibre ».


IV – 3. Quitter le pouvoir : le côté émotionnel de la reddition des comptes

Tous ceux qui possèdent le pouvoir à un moment donné doivent le céder. Ce moment est plus ou moins difficile, pour le leader comme pour l’organisation. Le départ peut être souhaité ou subit (démission, retraite). Pour ceux qui ont eu le pouvoir plus jeune dans leur carrière, il est plus facile de se réorienter. En revanche, pour les leaders qui ont eu le pouvoir plus tardivement, qui se sont accoutumés à ce qu’on leur affirme leur importance, à l’influence qu’ils exercent, le départ est souvent redouté par peur de « l’après pouvoir », peur de perdre une position en vue, perte d’influence, perte de confort financier, peur pour la famille qui s’est également habituée aux « à-côtés » de la gloire… Pour ces derniers, le départ est d’autant plus difficile qu’ils ont sacrifié une bonne partie de leur vie personnelle pour obtenir le pouvoir et lorsqu’il faut le quitter, ils s’aperçoivent bien souvent que leurs relations se sont considérablement amenuisées. Le processus de départ est encore plus mal vécu chez les narcissiques qui considèrent le départ comme un déclin et la vieillesse comme une blessure (voir exemple de V. GISCARD D’ESTAING). L’appréhension du départ peut alors inciter les leaders en place dans l’organisation à rester au pouvoir coûte que coûte, même si l’organisation en fait les frais puisque le leader ne considèrera que les flatteries des subordonnés guidés par leur intérêt personnel. Ainsi, le Président JONHNSON faisait-il souvent des cauchemars sur ses collaborateurs se disputant le partage du pouvoir à sa mort. En effet, pour lui, le départ ne signifiait rien d’autre que la mort.

Les leaders craignent également inconsciemment la « Loi du Talion ». Ils ont été contraints dans leur carrière à prendre des décisions pénibles du fait de leur poste. En quittant ainsi leur place, ils ont inconsciemment peur d’éventuelles représailles de la part de leurs « victimes ». Cette paranoïa est renforcée par les organisations recourant au « management par culpabilité ». La crainte du départ est également renforcée par le désir que le leader a de léguer un symbole qui témoignera de sa marque sur l’organisation : le complexe du bâtisseur. Le leader craint alors que son départ soit l’occasion pour les leaders émergents de dénigrer ses idées et de rejeter ses actions. Une certaine rancœur peut aussi s’installer vis-à-vis des jeunes générations de cadres, ce qui va inciter le leader sur le départ à tendre des pièges pour bloquer volontairement la carrière des futurs leaders.

Le leader ne pourra sortir positivement de ce processus que s’il regarde sa carrière de façon positive. Si le leader estime qu’il a atteint ses objectifs, il pourra partir satisfait. On comprend alors l’impact du départ sur les organisations, sur le climat général et sur les résultats. Or, d’après Manfred KETS de VRIES, « les organisations sont notoirement négligentes à cet égard », « l’individu qui va se retirer est réduit à se débrouiller seul, sans être préparé ni aidé par l’organisation ». L’auteur cite alors deux exemples de leaders : l’un a été contraint dans son départ et offusqué qu’on lui propose un départ anticipé, l’autre s’y est préparé cinq ans auparavant. Le premier avait décidé de rester le plus longtemps possible à la tête de l’organisation car il n’avait pas supporté que son équipe songe à le remplacer alors qu’il avait soixante ans. Il s’est senti trahi, est parti en de très mauvais terme. La nouvelle direction n’a bénéficié de sa part d’aucune passation. Le second, s’était préparé à son départ et s’est mis à travailler à temps partiel. Il a proposé lui-même son départ anticipé et il a formé son successeur comme il pensait le devoir. La plupart des organisations doivent donc revoir leur processus de départ à la retraite en le considérant davantage comme une décision personnelle de la part du leader. L’organisation doit accompagner ce processus notamment par des retraites anticipées et des temps partiels qui permettent également de réduire les coûts et de rajeunir la pyramide des âges. Au niveau personnel, le leader devra apprendre à se méfier des effets du pouvoir sur lui et à sauvegarder sa vie personnelle afin de faciliter l’acceptation de passer le pouvoir.


IV – 4. Les âmes mortes, comprendre ceux qui ne connaissent pas l’émotion

De nombreux travaux des années 50 présentent l’homme d’organisation type comme « insipide, ennuyeux, sans imagination » et craignant de prendre des décisions. Cette description est opposée à l’entrepreneur, au bâtisseur d’empire. La vie de cet homme d’organisation serait réduite à une série d’actes mécaniques : son travail, sa vie privée, ses loisirs et rencontres. Il évolue dans une organisation appelée le « palais de cristal » où tous les autres hommes sont identiques à lui, n’extériorisant aucune émotion : c’est l’alexythimie (Peter SIFNEOS). Est-ce que ce sont les organisations qui génèrent ces comportements ? Les organisations constituent-elles un refuge pour ces personnes ? Les « alexythimiques » n’arrivent pas à décrire leurs émotions et ne savent pas les distinguer. Ils se fondent également dans un conformisme social marqué, ils sont dits « normopathes ». Ils sont donc très peu créatifs, très froids avec leurs collaborateurs et indifférents à ce qui les entoure. De même, ils ne sont pas sensibles aux traits de l’esprit, préférant de loin tout ce qui présente un aspect concret. L’alexythimie serait due à une éducation où la mère n’aurait elle-même pas été à l’écoute des besoins affectifs de son enfant. Pour exprimer ce qu’ils ressentent, ils ont besoin de leurs collaborateurs qui vont servir de miroir. Si l’alexythimie peut être primaire (développée par l’éducation) ou secondaire (développée suite à un événement particulier), elle est assez répandue dans la population : 8 % des hommes et 2 % des femmes.

Il reste néanmoins à savoir si l’alexythimie est réellement une constante comportementale ou si elle est une adaptation du collaborateur à l’organisation. Manfred KETS de VRIES nous dit que s’il n’y a pas de réponse claire à cette question, la gravité de l’alexythimie varie « selon la position de l’individu sur l’échelle de la connaissance et de l’expression cognitive-affective ». Max Weber faisait également le même constat avec sa thèse du « bureaucrate », formaliste et impersonnel, sans haine ni passion donc sans affection ni enthousiasme. Les grandes organisations sont un système idéal pour les alexythimiques qui peuvent se fondre dans le groupe. Le danger pour des organisations aux leaders alexythimiques est de finalement devenir à leur tour alexythimique et de sombrer dans la médiocrité et l’apathie, à force de ne rien vouloir risquer. Les deux organisations les plus sujettes à l’alexythimie sont les organisations compulsives (centrées sur elles-mêmes, conformité exigée aux règles et procédures, aversion pour le risque, changement extrêmement difficile : IBM, General Motors) et les organisations dépressives (pas de stratégie claire, entreprise à la dérive, protectionniste, organisation impersonnelle). Ces deux types d’organisation se caractérisent par un manque chronique de leadership car elles ne tolèrent pas les réactions affectives et brident l’esprit de création et d’innovation.

A l’inverse, d’autres entreprises – l’auteur prend ici l’exemple de Disney, qui du reste depuis l’édition de l’ouvrage a montré ses limites – veulent gérer les émotions du personnel afin de donner l’illusion aux clients d’une réelle émotion exprimée par les agents d’accueils et les collaborateurs. Pour ceux qui ne sont pas alexythimiques, ce type d’organisation les amènent à devenir étrangers à eux-mêmes puisqu’ils ne reconnaissent pas leurs émotions personnelles à travers celles qu’on leur impose de simuler. Il leur devient alors difficile de reconnaître leurs vraies émotions de celles qu’ils doivent avoir. Ils deviennent ainsi de « faux-alexythimiques » à leur tour.

En résumé, un leader et notamment un PDG alexytimique peut avoir de graves conséquences sur l’organisation. C’est l’exemple du PDG distant qui ne joue pas le rôle de miroir des émotions et affections de ses subordonnés. Ses collaborateurs qui perçoivent la distance que le PDG leur impose, se détachent également de ce qui se passe autour d’eux afin de mieux protéger leur fonction et leur fief, ce qui aboutit à une désorganisation complète de l’entreprise et à un individualisme qui peut être dévastateur. Afin de remédier à cela, l’organisation peut proposer des changements culturels afin d’encourager participation, créativité et flexibilité. En effet, pour être stimulés, les collaborateurs ont besoin de savoir que l’action, la passion, le courage d’affirmer ses émotions par des actions hardies, l’initiative seront valorisés par l’organisation et en aucun cas sanctionnés sur le plan carriériste. Une organisation efficace doit donc passer par l’acceptation et l’expression des émotions, que les leaders redécouvrent leur spontanéité et qu’ils cessent de s’enfermer dans des normes pré-conçues, ce qui nécessite bien sur un climat de confiance certain dans l’entreprise. Les leaders, comme les Grands Hommes de Hegel, doivent se montrer « passionnés » car ce sont eux qui feront avancer l’Histoire et ici, l’organisation.


IV – 5. L’inconscience et le fou : l’humour en contre-poids du pouvoir

« Une trop grande confiance en soi de la part d’un patron, son orgueil excessif ou son arrogance, tout cela peut avoir des conséquences dévastatrices pour l’organisation », même si ces caractères vont de pair avec le pouvoir. C’est l’exemple de Ratner, PDG d’une chaîne de bijouteries de basse qualité qui annonça lui-même, lors du congrès annuel de l’entreprise, sous la forme de la dérision et de l’humour que ses produits sont de « la pure camelote ». Le mépris du patron face à ses produits a entraîné le mépris de la clientèle envers ses bijoux. L’acte d’inconscience du PDG, son style d’humour et son amour de soi trop prononcé l’ont mené à sa perte. Son rôle était en effet celui d’incarner la sagesse, pas celui de jouer le fou. Cette inconscience est la caractéristique des leaders narcissiques qui pensent qu’il leur est permis de transgresser les règles imposées aux suiveurs. Quel contre-pouvoir pourra faire prendre conscience au leader de l’organisation qu’il montre des signes d’inconscience ? Selon l’auteur, la solution est l’adaptation moderne du rôle du fou, c’est-à-dire celui qui sert d’intermédiaire entre le leader et son entourage, qui transmet l’information en allant plus loin « que ce qui est directement observable » et qui recherche « la signification profonde des évènements ».

Le fou joue alors le rôle de stabilisateur, « il devient le gardien de la réalité et empêche la poursuite d’une action folle », il occupe alors en filigrane une position de sage. En effet, sous prétexte de la folie ou de la bêtise, il peut dire ce qu’autrement, on n’aurait pas pu ou oser dire. Le fou est nécessaire au leader afin que celui-ci puisse exercer son pouvoir et comme le montre l’exemple de Ratner, le leader ne peut pas jouer son propre fou sous peine de ruiner son image. Le fou, sage de par son rôle, est le seul à pouvoir aider le leader narcissique à rester réaliste en montrant sous la forme de la dérision que des décisions prises sans disposer de tous les éléments n’ont pas de sens. Le fou permet la critique qui n’aurait pu s’exprimer autrement car comme le souligne FREUD « L’humour est rébellion ». Il joue donc également un rôle dangereux en disant parfois des choses déplaisantes au leader.

Dans l’organisation en général, l’humour permet de gérer les conflits, de communiquer d’une façon plus profonde et de rabattre l’orgueil. Il est le meilleur indicateur des signes d’inconscience. Il permet de rompre et d’enfreindre temporairement les conventions habituelles. Un « fou » aurait donc sa place au sein de l’organisation. Il serait l’homme capable de tenir tête au patron et qui lutterait contre l’anti-démocratie de l’organisation où toutes les décisions sont prises en petit comité. Toute personne révélant des scandales, osant aborder des questions hautement sensibles est en ce sens un fou, avec les risques que cela comporte. Un cadre supérieur de confiance, un consultant interne, un conseiller de la Direction Générale peuvent généralement occuper cette fonction de fou auprès du leader. Ils sont là justement pour détendre l’atmosphère avec leur humour et faciliter les échanges entre leader et subordonnés. Les consultants extérieurs peuvent également tenir le rôle du fou et cela leur est même plus facile dans le sens où ils ne ressentent pas la pression directe du leader et qu’ils sont donc plus indépendants. Les consultants peuvent alors recourir à de courtes scènes satiriques afin de faire passer un message difficile à la direction. Leurs méthodes consistent également souvent à poser des questions naïves qui prêtent à sourire mais qui facilitent la communication et la remontée d’information. Ils sont d’ailleurs utilisés parfois comme brise-glace lors de réunions. (voir à ce sujet l’utilisation répandue du « théâtre d’entreprise », où des acteurs professionnels caricaturent les travers de l’organisation lors des grandes conventions d’entreprises)

Ils ont alors pour objectifs de faire remonter tous les symptômes sous-jacents à la surface de l’organisation. Leur rôle est donc primordial. C’est de cette manière qu’ils peuvent être vecteurs d’analyse et de changement. Préalablement à ces actions, le patron doit être « éclairé ». Il doit avoir conscience « des désagréments qu’entraîne un manque de confiance » et être déterminé à faire fonctionner les circuits de communications afin de rendre les problèmes plus évidents. Le fou est donc un contre-pouvoir important au leader et leur complémentarité, peut contribuer à instaurer un climat de confiance dans l’organisation. En bref, dans une organisation, le fou contribue à la maintenir sur les rails, à la garder en prise avec la réalité et, ce qui est le plus important, à mettre en échec cette force dévastatrice qu’est l’orgueil inconscient.


IV – 6. Le syndrome de l’imposteur

Les imposteurs jouissent tout au long de l’histoire d’une certaine popularité du fait qu’au fond de soi, chacun d’entre nous est un imposteur dans la mesure où il existe un décalage entre l’image que nous donnons et ce que nous estimons être. Dans ce chapitre, Manfred KETS de VRIES donne deux définitions du nom « imposteur » :
1) « Quelqu’un qui trompe, commet des escroqueries, pratique une fraude »
2) « Une personne qui usurpe l’identité d’une autre et qui se fait passer pour quelqu’un qu’elle n’est pas ».
Il arrive parfois que des imposteurs cumulent les deux définitions, généralement à la recherche d’un certain plaisir psychologique, davantage qu’à la recherche de satisfactions matérielles. L’auteur cite ici l’exemple de Ferdinand Waldo Demara qui a emprunté tout au long de sa vie des métiers et des postes des plus divers et de Anthony de Angelis qui a causé la faillite de deux brokers en spéculant sur des milliers de litres d’huile qui n’ont jamais existé. Dans les deux cas, le désir de croire et l’appât du gain des personnes qu’ils côtoyaient leur firent oublier le sens des réalités et les imposteurs purent s’épanouir en toute quiétude. Si après coup, on peut se demander comment tous ont pu être dupes, il semble en réalité que l’imposteur exerce un charme magique que « les gens sont heureux de suivre ».

Les premières études psycho-dynamiques sur le phénomène de l’imposture montrent que ce type de personnage s’est senti mal aimé durant son enfance et, arrivé à l’âge adulte, il « a en lui le besoin de se montrer à tous digne d’amour et de se prouver, à lui-même et aux autres, combien il est indigne de cet amour ». C’est notamment le cas pour les enfants qui imaginent que leurs parents ne sont pas les vrais, qu’ils sont eux-même des imposteurs. L’enfant essaie alors de se créer une compensation narcissique, un mythe personnel, en devenant alors un imposteur. D’autres auteurs estiment que c’est parce qu’ils leur semblent impossible de se réaliser eux-mêmes que les imposteurs se croient contraints d’usurper une identité qui leur semble mieux correspondre à leur moi, ou encore, parce que durant l’enfance, la mère aurait dévalorisé le père et l’enfant, aux yeux de sa mère, devrait prendre la place de son père, situation oedipienne qui aboutit à un sentiment d’imposture. A l’âge adulte, ces imposteurs ont acquis un art de connivence avec le public afin de lui paraître supérieur à ce qu’il est. Ils jouent alors d’un goût prononcé pour l’exagération, le mensonge, la manipulation par le langage. Pour le public, l’imposteur est celui qui le comprend, qui exprime ses besoins et s’occupera de lui, ce qui stimule d’autant plus l’imposteur en retour. C’est pourquoi l’imposteur et son public sont étroitement liés par les mêmes intérêts. C’est ainsi que Adolf Hitler fut l’imposteur le plus mégalomane et le plus dévastateur du siècle dernier, jouant un mythe auquel d’ailleurs il ne croyait plus lui-même. Sa force de conviction et la crédibilité que lui offrit ses partisans provenait essentiellement de ses talents d’orateur et de ses dons pour la mise en scène. C’est seulement lorsque son abus de confiance et son cynisme apparurent au grand jour, « Si la guerre est perdue, ça sera aussi la perte du peuple » dira t-il, que sonna l’heure de sa chute.

Il faut cependant nuancer les imposteurs. En effet, les vrais imposteurs n’ont rien acquis eux-même, leur succès est basé sur l’imitation. A l’inverse, bon nombre de personnes, souvent névrosées, ne veulent pas reconnaître leurs succès et ont en permanence le sentiment d’avoir dupé les collaborateurs qui leurs attribuent autant de qualités. Ces dernières personnes, anxieuses, perfectionnistes et redoutant l’échec social, n’auraient pas correctement pris leur autonomie durant l’enfance. C’est l’exemple des deux enfants, élevés dans la même famille. Le premier enfant, brimé par ses parents disant que le cadet est le plus intelligent, aura tendance à devenir véritable imposteur et voulant dépasser ces brimades et en se valorisant à l’excès. A l’inverse, le cadet, toujours mis en valeur par ses parents, développera un sentiment de culpabilité qui l’amènera à se sentir imposteur alors qu’il ne l’est pas.

Au sein de l’organisation, il est clair que les leaders possèdent bon nombre de caractéristiques communes avec l’imposteur : la volonté de transformer ses rêves en réalité ou le fait de vouloir amener les autres à leurs idées. C’est cet « enthousiasme » à vendre leurs rêves qui est le moteur de l’organisation. Cependant, les véritables imposteurs au sein du monde de l’entreprise n’engendrent pas une dynamique aussi positive.

C’est le cas de Refaat El-Sayed, ancien président de Fermenta, entreprise suédoise de biotechnologies. Il a réussi à éblouir les analystes financiers, l’opinion, les médias et le monde de l’industrie suédoise. Il avait un talent formidable pour charmer son public. Il devint également un héros populaire grâce à son style de vie sans prétention. En 1981, grâce à une ingénieuse présentation de ses finances alors qu’il n’avait pas d’argent, il réussit à racheter l’entreprise Fermenta pour une couronne. Il y eut alors un scandale lorsque le public découvrit que, contrairement à ce que El-Sayed prétendait, il n’avait jamais obtenu de doctorat. Apparemment anodine, cette révélation a mené ceux qui avaient eu des difficultés en affaire avec El-Sayed à se pencher de plus près sur ses affaires. Le mythe El-Sayed s’écroula lorsque les irrégularités comptables, les états financiers truqués apparurent au grand jour. El-Sayed possède tous les traits de l’imposteur : virtuose du verbe et du spectacle, identité incertaine hésitant entre le businessman et le particulier quelconque, mensonges à répétitions, confusion entre réalité et fiction, perte du sens de la réalité. C’est justement à cause de cette confusion entre les problèmes personnels et les problèmes d’affaires que chutent les imposteurs. Leurs défauts finissent un jour par se dévoiler, les promesses non-tenues apparaissent. Pour ne pas se laisser duper par les imposteurs, le défi de chacun est de garder le sens des réalités et de ne pas se laisser emporter par notre émotivité. Lorsqu’on reçoit de belles promesses, il est difficile rester critiques et il est bien plus facile de se laisser emporter par ces « sirènes ». C’est justement là que nous devons écouter nos signaux d’alarme, notre libre-arbitre car c’est en développant notre capacité de réflexion que nous contrerons la force hypnotique de l’imposteur.


IV – 7. Leadership et abus de pouvoir : au-delà de la complicité

L’exemple le plus extrême de l’abus de pouvoir au XXème siècle est bien évidemment la découverte du système concentrationnaire nazi et les interrogations qui en découlent : comment cela a t’il pu se produire ? Quelles sont les responsabilités individuelles de chacun ? Selon l’auteur, les réponses se trouvent au plus profond de la psyché de l’homme, soumis dans ce cas à la tyrannie la plus totale. L’objectif du Reich était alors, sous prétexte d’établir un « Reich Millénaire tout-puissant », d’asservir les hommes. « Les techniques utilisées étaient basées sur la crainte, la menace et une cruelle complicité imposée aux individus, ce qui les conduisait à ne plus croire en leurs propres sens, en leurs émotions et leur intelligence ». C’est ainsi que les prisonniers des camps étaient dépouillés de leurs biens et de leur identité. Le fait que les victimes aient été dégradées physiquement et moralement, rendait vraisemblablement les atrocités plus acceptables aux bourreaux qui les considéraient alors réellement comme des « sous-hommes ». L’adulte était alors inexorablement réduit à l’état d’enfant obéissant. Ce thème a du reste été étudié par la célèbre expérience de Milgram à Yale et repris dans le film « Z » de Costa-Gravas

L’intérêt des déportés était ainsi d’obéir aux nazis afin que leur survie ne soit pas davantage menacée. Cette logique poussait même à une forme d’imitation des nazis de la part des victimes qui revêtaient les uniformes de ces derniers, qui se comportaient même encore plus méchamment lorsqu’ils devaient surveiller d’autres détenus. Les victimes considéraient donc les nazis comme une sorte de « Père Tout Puissant » auxquels ils devaient respect et obéissance. Ce processus d’identification à l’agresseur provient du besoin que nous avons de garder une certaine sécurité psychologique en espérant récupérer une partie du pouvoir de l’agresseur en se montrant obéissant. C’est un cercle vicieux où la victime perd toute autonomie. Les mêmes méthodes ont été découvertes lors de la chute des anciens états soviétiques lorsque leur réseau de polices secrètes a été démantelé. Dans ce système ou chacun espionne et dénonce ses proches et ou chacun vit également dans la crainte d’être livré, les polices secrètes avaient parfaitement atteint leurs objectifs de rendre la population docile et conforme aux désirs de l’Etat.

Un autre exemple est le régime de Saddam Hussein. Là encore, il n’y avait pas de place pour les indépendants qui voulaient se rebeller contre le pouvoir. Les personnes qui se sont soumises au système voulaient ainsi s’intégrer dans cette logique et espéraient secrètement bénéficier des retombées du pouvoir. Ce processus a commencé quelques jours après la prise du pouvoir par Saddam lorsqu’il ordonna à certaines personnes du parti Baas de lire une confession publique de leurs agissements et complots (prétendus ou réels) contre ce dernier. Les autres participants furent stupéfaits et crièrent « Longue vie à Saddam ! », les « confessés » furent exécutés. Le processus d’identification à l’agresseur et de culpabilité était entamé. Cette scène fut filmée et projeté à des cadres du parti Bass et de l’armée, ce qui donna lieu à d’autres « exécutions démocratiques ». La paranoïa chronique de Saddam renforça cette stratégie d’alignement des masses derrière sa personne par la terreur, la propagande, les emprisonnements et les exécutions sommaires. Comme Hitler, il revendiquait un idéal de réunification des nations arabes et se prend lui-même pour Nabuchodonosor, ce qui ne cautionne en aucun cas le culte omniscient de sa personne et la terreur qu’il impose.

Dans le monde des affaires, les abus de pouvoir par de grands patrons sont assez bien représentés par le cas de Robert MAXWELL. Ce dernier avait en effet gonflé les résultats de ses sociétés par des « tours de passe-passe », garanti des emprunts par des actions qu’il savait sans intérêt, faisait passer ses actifs et passifs d’une société à une autre afin de rassurer ses banquiers, etc.… A sa mort, une fois ces « astuces » révélées, tout le monde se demandait comment il avait pu duper tant de monde si longtemps. Dès son plus jeune âge, il était avide de pouvoir et manifestait un ardent désir d’autonomie dans ses actions privées et professionnelles. Il entreprit également une carrière politique en tant que député travailliste, ce qui est en contradiction avec son tempérament capitaliste. Dans le monde des affaires, MAXWELL est très talentueux mais est en réalité un « tyran organisationnel », coupé de la réalité, cherchant essentiellement à satisfaire ses désirs narcissiques, au mépris de l’avis de ses collaborateurs, de la vérité et de la prudence. Dans toutes les sociétés qu’il dirigeait, il s’était même arrangé pour détenir 51 % du capital, de façon à ce que personne ne puisse jamais lui demander de compte. MAXWELL était même défini comme un tyran organisationnel : irrité par les contraintes lorsqu’elles s’imposent à lui, voulant toujours tout contrôler que ce soit au niveau des dépenses ou de la sécurité, extrêmement méfiant vis-à-vis de ses collaborateurs, d’un goût maniaque pour le secret… C’est pourquoi il cachait volontairement des informations à ses collaborateurs qui en avaient pourtant besoin. Paradoxalement, il jouait sur son sens du secret et le talent qu’il avait pour charmer et terroriser. De même, il exigeait de ses salariés et de sa famille le contraire de son propre caractère. Brutal afin de démontrer qu’il arrivait toujours à ses fins, son style de management était le suivant : il payait si bien ses collaborateurs qu’ils étaient pris dans le dilemme de quitter la société ou de faire ce que MAXWELL voulait. Ceux qui restaient ne pouvaient donc survivre qu’en se soumettant à cette organisation : processus d’identification à l’agresseur. Ce type de management répressif a alors « tué » l’esprit de créativité de l’entreprise. MAXWELL, n’écoutant jamais l’avis de ses proches, désirant toujours rester seul à contrôler son empire qu’il savait pourtant vide puisque reposant sur des manipulations comptables, reportant toujours les erreurs sur les autres, a mené son entreprise à sa perte.

Pourtant, lorsque l’énergie du leader est utilisée à bon escient, on arrive à une dynamique d’entreprise considérable. C’est l’exemple d’Alan SUGAR – créateur d’Amstrad - qui ressemblait pourtant en bon nombre de points à MAXWELL : mauvais caractère, ego et culte du moi très développés, besoin de tout contrôler… mais tout en étant très ouvert et disponible. Même si comme MAXWELL, certaines actions de SUGAR furent décriées, s’ils ont eu les mêmes types de succès et d’échec, ce dernier a toujours eu l’honnêteté et la franchise d’être critique envers lui-même et de savoir se remettre en cause. Il s’est toujours montré responsable de ses actes, en prise avec la réalité. C’est pourquoi ses collaborateurs l’appréciaient réellement pour ce qu’il est, trouvaient très stimulant de travailler avec lui et décrivaient son style de management comme étant celui d’un « tyran bienfaisant ».


V – Critique de l’œuvre


Dans cet ouvrage, Manfred KETS de VRIES a très bien su mettre à profit les théories freudiennes et ses techniques de psychanalyste afin de nous expliquer le comportement des leaders que ce soit en politique, en entreprise ou dans la sphère privée. Il mène ici une étude de fonds, très argumentée et regorgeant d’exemples multiples et probants. Finalement, il nous dit dans Leaders, Fous et Imposteurs que si les leaders sont ce qu’ils sont et font ce qu’ils font, c’est grâce ou à cause de ce qu’ils ont vécu durant leur enfance, plus ou moins tourmentée, plus ou moins favorisée. Dans tous les cas, le référentiel Ca – Moi – Sur Moi, théorie constitutive de l’individu développée par FREUD, est omniprésente cette l’œuvre. En effet, ce dernier inscrit toutes ses théories - le miroir, le narcissisme, l’alexithimie, la reddition des comptes, le fou, le syndrome de l’imposteur, l’abus de pouvoir – dans nos religions, nos mythes, nos références et nos légendes plus ou moins inconscientes ainsi que dans le rapport que nous entretenions dès notre naissance avec nos parents et nos pairs.

De nos jours, les théories freudiennes sont suffisamment bien implantées dans nos certitudes pour que tous, nous soyons persuadés du lien évident entre ce que nous avons vécu dans notre passé et ce que nous sommes, ce que nous devenons, ce que nous faisons. Il nous semble ainsi évident qu’un enfant brimé, délaissé, victime de brutalité de la part de ses parents aura tendance à vouloir se « venger » une fois arrivé à l’âge adulte. Cette caractéristique commune est retrouvée chez bon nombre de dictateurs et est à l’origine de bien des abus de pouvoir : Saddam Hussein, Adolf Hitler… Evidemment, cela ne veut pas dire que tous ces enfants deviendront nécessairement des dictateurs mais bon nombre de dictateurs possèdent cette enfance commune. Il en est de même pour les dirigeants d’entreprise qui adoptent des comportements tyranniques et qui ne sont plus en phase avec la réalité. Leur analyse psychique prouve que dans leur enfance ils ont tellement été vantés, mis en valeur, sans la moindre attention de leurs parents qui ne se souciaient au fond que de leur amour propre, qu’ils ont développé un ego surdimensionné qui s’est transformé en narcissisme dangereux pour l’organisation.

Ainsi, on voit clairement que l’auteur pose le leader comme un acteur à rationalité très limitée. Le leader est devenu ce qu’il est – avec ses défauts et qualités – par ce que les autres (ses parents, professeurs, camarades) lui ont fait vivre dans le passé et par ses croyances inconscientes (Loi du Talion, complexe de Narcisse, complexe du Bâtisseur…).

En résumé, le « reproche » que l’on peut faire à Manfred KETS de VRIES est le même que celui qui a été fait à Jean-Jacques Rousseau (Du Contrat Social) et à Sigmund FREUD en leurs temps. C’est à dire que le leader est ici déterminé par l’action de ceux qui ont façonné son histoire, par l’action d’autrui sur sa personne. Par conséquent, n’est-ce pas là une tentative pour défendre, pour « défausser » le leader abusif ou narcissique de sa part de responsabilité dans son comportement ? N’est-ce pas quelque peu facile de poser en vérité absolue le fait que finalement, le leader abusif est abusif car il a eu une enfance difficile ? Le courant existentialiste et son chef de file Jean-Paul Sartre auront cette parole cinglante qui n’accorde aucune place à un quelconque déterminisme : « Vous êtes ce que vous avez fait » (L’Etre et le Néant).

De cette manière, il est bien évident qu’il est nécessaire de faire la part des choses entre déterminisme et existentialisme. Certes, si le leader, comme tout individu est un produit de son passé, il ne faut pas pour autant lui enlever toute part de responsabilité concernant son comportement et lui reconnaître suffisamment de libre-arbitre afin qu’il se rende compte lui-même de ses travers et qu’il puisse se corriger par lui-même, par une introspection personnelle par exemple.

Bien que l’auteur nous informe clairement que ce n’est pas l’objectif premier de cet ouvrage, il ne nous donne qu’une analyse du comportement et de l’état de différents leaders en en recherchant les causes et en recensant les conséquences, sans nous donner ce que l’on pourrait attendre de cet ouvrage : des solutions. Ici, de même que ce que pensait FREUD, le leader ne semble pas pouvoir résoudre seul ses dilemmes internes (tyrannie, narcissisme, alexithimie…) qui rejaillissent sur la vie de l’organisation puisqu’il n’en est pas forcément conscient lui-même. Notons ici, avant de poursuivre sur les solutions, deux grandes critiques sur l’utilisation de la psychanalyse appliquée au Management :

L’approche psychanalytique comme limite

Si ce livre a pour principal intérêt de s’intéresser à l’individu et à la complexité de ses comportements, ceci constitue également une limite dans son champ d’application pratique. En effet, la psychanalyse s’intéresse à des cas uniques et s’applique dans le domaine thérapeutique. Les cas présentés peuvent donc difficilement être utilisés si ce n’est dans une analyse théorique. Comme c’est le cas en psychanalyse, seul le phénomène de transfert entre l’analyste et son patient peut permettre de cerner exactement quel type de manager est à la tête d’une organisation et quelles sont ses motivations réelles et leurs causes. Ce livre a donc pour intérêt principal de présenter des causes comportementales généralement négligées, mais ne peut pas permettre d’en tirer des conclusions générales applicables aux managers des différentes organisations. D’ailleurs, Kets de Vries reconnaît lui-même qu’il n’a pas la prétention d’apporter de solutions mais plutôt des axes de réflexion.

De plus, la psychanalyse répondant à une logique de travail entre le psychanalyste et son patient, les découvertes sur le mode de pensée d’un manager ne peuvent s’effectuer qu’avec son aide et généralement après l’apparition de problèmes pour le managers puisqu’il  fait lui-même la démarche de l’analyse. Il s’agit par conséquent d’une analyse ne pouvant s’effectuer que rétroactivement.

Enfin, il est important de noter qu’il ne s’agit en aucun cas d’une science exacte. Ainsi, comme le souligne Kets de Vries, des managers ayant eu des expériences assez similaires en apparence se les approprient de manière toute à fait différentes. Il faut donc bien se garder d’établir des modèles.


La psychanalyse, une science au degré d’importance discutée


De nombreuses interprétations sont possibles pour des symptômes identiques. Ainsi, de nombreuses critiques sont possible vis à vis de la psychanalyse elle-même. En effet, si la psychanalyse n’est généralement pas remise en cause en soi notamment du fait de ses résultats curatifs tangibles vis à vis des pathologies, certaines analyses demeurent tout à fait discutables dans le sens où l’analyse de l’inconscient répond à des hypothèses et à des postulats indémontrables. Ainsi, des conclusions divergentes peuvent être émises sur les mêmes patients en fonction des symbolismes reconnus par les analystes eux-mêmes (Cf. les divergences en terme d’analyse des rêves entre Jung et Freud). De la même manière, les analyses différeront en fonction de l’importance accordée à la sexualité.

Enfin, la psychanalyse demeure une science humaine dont l’impact est discutable. Ainsi, les actes s’expliquent souvent pour les psychologues par les expériences vécues et les effets engendrés tandis que les psychanalystes accorderont davantage d’importance aux troubles infantiles. La même remarque pourrait être émise vis à vis des neurologues qui considèrent que certains troubles (comme l’alexithymie par exemple) relèvent davantage de l’inné que de l’acquis. L’analyse psychanalytique demeure donc une piste d’analyse pertinente, mais à des degrés différents selon les points de vues.

La principale solution proposée par Manfred KETS de VRIES est le recours à des consultants externes ou à des tiers (Ressources Humaines pour la préparation au départ, cadre de confiance ou consultant pour jouer le rôle du fou, etc…) qui joueront le rôle de ce qu’il appelle « le fou » et le rôle du « miroir » que souvent, le leader néglige. Dans cette lignée psychanalyste, Manfred KETS de VRIES pense donc le recours à des médiateurs externes de la même manière que l’analyse thérapeutique, c’est à dire comme le seul remède à un exercice du pouvoir malsain. Cette logique est cohérente avec le parcours de l’auteur et ses certitudes mais le lecteur peut vraisemblablement être déçu de ne voir qu’une seule solution préconisée. On peut peut-être ici regretter que le recours aux consultants soit présenté comme la seule alternative au rétablissement d’un pouvoir noble et que l’auteur ne fasse pas davantage confiance au leader pour faire sa propre introspection afin de tirer un bilan de lui-même et des axes de progrès. Ainsi, Manfred KETS de VRIES ne fait qu’une seule fois référence à ce type d’analyse interne par le leader lorsqu’il cite l’exemple de Alan SUGAR qui réussit à être un leader efficace car il tenait compte de l’avis de ses collaborateurs et qu’il savait toujours rester en prise avec la réalité.

Toutefois, même si l’auteur ne propose pas d’autres solutions, il semble bien évident que le recours à des consultants extérieurs, neutres, naïfs au sens premier du terme, soient des intermédiaires nécessaires au rétablissement d’un exercice du pouvoir sain, tout comme le psychanalyste est l’intermédiaire nécessaire au recouvrement de l’équilibre mental du patient. Ce sont eux qui vont pouvoir diagnostiquer et mettre un nom sur les méthodes de management du leader, sur ce qu’éprouvent les employés, ce qu’ils ressentent, ce qui freine leur créativité et leur épanouissement dans l’organisation. Ce sont également eux qui vont faire remonter à la surface les maux de l’organisation, ce sont eux qui vont rendre patents les ressentiments latents des hommes de l’organisation : leader comme suiveurs. Ce sont finalement eux qui vont établir et proposer des solutions de conduite du changement afin de rétablir un pouvoir sain, en prise avec la réalité, efficace, soucieux du développement personnel de chacun, vecteur et protecteur de créativité en favorisant l’initiative et les émotions. En résumé, il existe véritablement un parallèle au niveau des méthodes et des objectifs entre les théories psychanalytiques développées par FREUD à l’attention des patients et le recours de plus en plus important que confient les organisations aux consultants externes. C’est en cela que la démarche, les travaux et les conclusions de Manfred KETS de VRIES sont tout à fait légitimes et cohérents. Ainsi, les consultants s’apparenteraient à un psychanalyste et les organisations à des patients, ce que nous allons développer dans la partie suivante.



VI – Actualité de la question

Si la psychanalyse prend aujourd’hui davantage d’importance dans l’analyse des comportements des managers, on peut souligner que son utilisation en entreprise demeure plus que limitée. En effet, la démarche psychanalytique répond par définition à une démarche individuelle et curative. C’est donc toujours la psychologie qui continue d’être à la base des analyses comportementales en entreprises. La psychologie, elle, est présente de manière toujours plus importante dans l’entreprise notamment en raison des applications pour la sélection du personnel et pour la mise en place de structures opérantes qu’elle permet.

La prise en compte de données individuelles dans les analyses des organisations est elle aussi tout à fait d’actualité puisque d’une manière générale, les sciences humaines appréhendent de plus en plus leurs objets d’analyses avec des visions « micro ». En effet, si les analyses « macro » donnent des tendances, ce sont les analyses basées sur des individus qui permettent souvent de donner des explications à ces tendances.

Aujourd’hui, à l’heure de la démocratisation de la psychanalyse et du développement des méthodes de « coaching », l’analyse freudienne des organisations et des leaders qu’effectue Manfred KETS de VRIES reste cependant instructive. En effet, les organisations, petites, moyennes ou grandes, recourent de plus en plus au management par projet et à des consultants externes afin d’analyser l’organisation, de mettre en exergue les dysfonctionnements, de trouver des solutions et de mettre en place une politique de changement afin de remédier aux dysfonctionnements que ce soit d’ordre organisationnel, politique ou managérial.

Finalement, les consultants jouent le même rôle pour l’organisation que les psychanalystes pour le patient. Les objectifs sont les mêmes : guérir et assurer une santé pérenne à l’entreprise, faire remonter à la surface les maux latents, analyser les origines des dysfonctionnements, diagnostiquer ce qui ne va pas, proposer des solutions pour éviter de retomber dans le cercle vicieux du pouvoir et du management narcissisme – orgueil – tyrannie – crainte. Les méthodes utilisées sont d’ailleurs similaires en beaucoup de points. Tout passe par le dialogue, par la conduite d’entretien avec tous les membres du personnel, conduite de jeux de rôle, questions naïves prêtant parfois à sourire, large place accordée au ressenti, à l’émotion …

L’analyse des gens de pouvoir et des leaders a toujours été d’actualité et a intéressé bon nombre d’auteurs, antiques et contemporains. Par exemple, la théorie du « miroir » a déjà été développée par Krishnamurti qui affirmait déjà : « La pouvoir satisfait la soif de puissance de celui qui l’exerce et la soif de certitude et de sécurité de ceux qui le subissent ». Cependant, si généralement les réflexions sur le pouvoir essaient de nous donner une théorie sûre et imparable concernant l’exercice du pouvoir et les leaders, il semble que de plus en plus, les auteurs privilégient une approche moins radicale en mettant principalement en valeur l’analyse de l’homme de pouvoir au lieu d’établir comme trop souvent un catalogue de qualités que sont sensés posséder les leaders. C’est le choix qu’a visiblement fait Manfred KETS de VRIES en nous proposant une analyse originale par les théories freudiennes.

Il semble que cette façon d’aborder le sujet du leadership fasse « école ». Jean-Pierre FRIEDMAN est complètement dans ce courant de pensée. En effet, il explique que les enfants sont tous des narcissiques et des mégalomanes. En grandissant, la plupart perdent ces caractéristiques au fur et à mesure qu’elle se confronte à la réalité mais « les hommes de pouvoir n’ont jamais dépassé ce stade, ils restent donc dans le narcissisme et la mégalomanie à travers l’exercice du pouvoir ».

Ces théories ont l’avantage énorme de faire une belle place à la sensibilité de l’homme et à son histoire afin d’expliquer l’exercice de son pouvoir sur les autres. Si, comme nous l’avons vu précédemment, il faut veiller à ne pas verser dans un déterminisme absolu afin de conserver le libre-arbitre et la responsabilité du leader, c’est en analysant le leader d’un côté dynamique et non mécanique que l’on parvient à trouver des solutions appropriées pour chaque organisation, pour chaque leader. C’est ce qu’ont bien compris Manfred KETS de VRIES et les sociétés de consulting à l’heure actuelle qui axent leurs travaux de conduite du changement en fonction des entretiens qualitatifs menés auprès des leaders et des suiveurs où ils font la part belle à leurs sentiments et ressentiments puisqu’une organisation ne peut réellement être efficace que si les hommes qui la composent se sentent en accord avec le pouvoir exercé sur eux et que chacun puisse y trouver une réponse à ses attentes, quelles soient conscientes ou inconscientes.

Au delà de la théorie, Kets de Vries s’attache à présenter des exemples concrets (certains de ses patients, des personnages emblématiques ou historiques) afin d’étayer ces analyses. Il en ressort notamment un réalisme et une mise en perspective intéressante. Si seuls certains profils sont analysés, les exemples avancés sont très proches de personnes que nous connaissons bien ou que nous avons rencontré. Cela permet de mieux appréhender la logique de la réflexion elle-même et de se « l’approprier » dans une certaine mesure. En effet, si les analyses infantiles sont par définition hors de nos compétences, les conséquences sur les actes des individus et donc sur les organisations sont tout à fait tangibles et symptomatiques. On peut donc se projeter et mieux comprendre dans une certaine mesure les modes de pensées et d’actions de certains managers que nous connaissons. L’exemple le plus frappant est l’ascension de Jean-Marie Messier à la tête de Vivendi Universal, et sa chute vertigineuse.

On peut à la fois parler d’imposture et de patron narcissique. Nous avons vu que les patrons narcissiques disposent généralement d’un grand potentiel, mais que leurs promesses ne sont jamais tenues, et que le prestige importe plus que l’engagement du résultat. Dans le cas de JMM, on peut dire que son seul titre est d’avoir été le patron le plus médiatisé de l’année 2001, ce qu’il regrette du reste aujourd’hui. Il a tenu avec aisance les rôles les plus difficiles. Celui de chanteur : pour la remise de sa légion d’honneur, en Juillet 2001, il s’illustre dans une reprise de Stevie Wonder. Celui de reporter : de New-York, il fait le forcing auprès de France 2 pour témoigner des attentats du 11 Septembre, en direct dans le JT de 20 heures. Celui de chroniqueur : dans la revue littéraire « L’Infini », il s’entretient d’art avec Philippe Solers .

JMM se rapproche également de la définition de l’imposteur que nous présente Kets de Vries. Grâce à son talent, il a su séduire et gagner la confiance de ses salariés, des banquiers et investisseurs. Même lorsque tout va mal, il se veut rassurant et confiant. IL n’a pas hésité non plus à masquer ou éluder certains résultats. Au Zénith, il se réjouit devant 4000 salariés d’être à la tête du « seul groupe à avoir atteind ses objectifs pour 2001 ». Le groupe annonce quelques mois plus tard une perte de 13,6 milliards d’euros pour 2001. Pourtant, le 5 mars, en conférence de presse, JMM assure que Vivendi « va mieux que bien ». Lorsqu’il quitte l’entreprise après avoir été remercié par les actionnaires, Vivendi Universal doit faire face à un endettement et des pertes records.


VII - Conclusion

Manfred Kets de Vries, enseignant médiatique, conférencier habile, réalise dix ans après son succès « l’entreprise névrosée » paru en 1985, une deuxième performance sur un thème qui lui est cher, la compréhension du fonctionnement des leaders par la psychanalyse. Il complète ainsi des analyses telle que celle de Bourdieu où l’on a une définition incomplète de la structure mentale car limitée aux points de vue sociaux et sociologiques, en délaissant l’approche psychique. Est-on fou avant d’accéder au pouvoir, ou est-ce le pouvoir qui rend fou, la réponse n’est finalement pas réellement donnée. Le pouvoir permettrait de révéler cette folie, un angle d’attaque consistant peut être à mettre au pouvoir les personnes qui ne le souhaitent pas. Quoiqu’il en soit, l’auteur réussit ici à développer dans un style facile d’accès (ce qui a pu lui être reproché par certains pairs académiques) des éléments au final pas si nouveaux que cela : la rationalité limitée des leaders fut largement débattu par H. Simon, Crozier et Friedberg, et nombre de thèmes sont des reprises certainement plus lisibles d’auteurs tels que Enriquez (« De la horde à l’état », « l’Organisation en analyse »), Max Pagès, qui se demande si « l’entreprise ne va pas devenir le lien central de l’illusion collective, alors qu’elle était pour beaucoup le lien de l’aliénation individuelle » ou encore E. Jacques. Ces auteurs mettent en évidence que les travailleurs développent des mécanismes de défense face à l’anxiété et la souffrance que l’organisation, à laquelle ils appartiennent, provoque. Il reste que la mouvance « psy » dans les organisations est bien présente en France, à voir les succès de librairie de Marie-Françoise Hirigoyen (« Le harcèlement moral »), ou encore de Christophe Dejours (« Souffrance en France »), réponses des salariés à leurs « leaders, fous et imposteurs »


VIII – Bibliographie complémentaire


« Les Leçons de Management d’Alexandre le Grand ».
Manfred KETS de VRIES, in Le Figaro Entreprises, 3 novembre 2003

Le Psychanalyste et l’entreprise.
Roland Brunner. Professeur à HEC, psychanalyste, chroniqueur pour Libération, Le Monde.
« L’entreprise ne se réduit pas à sa dimension économique, technique ou juridique. Elle est aussi le lieu de phénomènes touchant au pouvoir, à l’affectivité, à l’imaginaire et à l’inconscient. »

Du pouvoir et des hommes. Jaques, Lionel, Jean-Pierre et les autres…
Jean-Pierre Friedman. Professeur, professeur à l’ENA.
« Le pouvoir est une maladie mentale ». Décrit les types de pouvoir et la personnalité de ceux qui l’incarnent ».

Structures de pouvoir et identité de l’entreprise.
Jean-Paul Larcon, Roland Reiter. Spécialistes des relations entre Hommes et Organisations.
« L’entreprise fait à la fois face à un défi économique externe et à un défi sociologique et psychologique interne, liés aux inspirations des individus et des groupes sociaux. L’imaginaire commun est-il possible dans le cadre de l’organisation ? ». Théorie de Narcisse en son miroir.

La sociologie des organisations. Initiation théorique suivie de 12 cas pratiques.
Philippe Bernoux.
« La sociologie irresponsable, incertaine, inutilisable ? Cette image est en train de changer. On découvre que la dynamique d’une institution, d’une entreprise ne dépendent pas seulement du caractère de son chef, de la conjoncture économique mais d’autres principes d’ordre sociologique ».

Le Prince.
Nicolas Machiavel.

Du Contrat social.
Jean-Jacques Rousseau.

L’Etre et le Néant.
Jean-Paul Sartre.

La Phénoménologie de l’Esprit.
Friedrich Hegel. Théorie de la Dialectique du Maître et du Serviteur.


Leaders, Fous et Imposteurs. Manfred KETS de VRIES

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Université Paris – Dauphine – DEA 128 FC 2003/2004
Séminaire « Conduite de la recherche en Contrôle de Gestion et TIC » par Yvon Pesqueux

Juillet 2004