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1 juil. 2003 ... Il existe au sein de l'Education Nationale, un débat sur ce sujet qui peut nous
aider sur ce point. .... du type de production finale qui concrétise les objectifs du
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exemple, le jour où nous leur donnons leurs morceaux d'examen.
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Claire HARANGER-SEGUI
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LE TRAVAIL EN EQUIPE :
Intervention de Vincent Magnan
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DEBATS :
A la suite de la présentation précédente
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INTRODUCTION
Depuis un an, lAssociation des Musiciens Enseignants a organisé des groupes de réflexions sur plusieurs sujets pédagogiques. Ces groupes ont eu pour but la rencontre denseignants de différentes écoles de musique, la discussion dans un lieu où la parole est libre, le partage des idées avec des échanges de pratiques et de conceptions sur la musique et lenseignement.
Depuis le début, nous avions envisagé que les réflexions menées puissent être partagées avec lensemble des collègues en organisant des rencontres. Cest ce que nous avons voulu concrétiser en organisant deux journées à Vénissieux ces 30 juin et 1er juillet 2003.
Lors de ces journées, nous avons décidé dassocier aux comptes-rendus des groupes de réflexion diverses interventions, de professeurs concernant la profession et des projets effectués, mais aussi dun intervenant extérieur (cette année, un sociologue) qui nous a apporté des éclaircissements sur un domaine qui nous concerne doublement, la notion de temps, et nous apportant par ailleurs un éclairage neuf et pertinent lors de nos débats.
Notre priorité de rencontre et d'échange entre professionnels se double de l'importance donnée à la mise par écrit des expériences et des informations afin de diffuser celles-ci au plus grand nombre et afin de permettre l'émergence des conditions favorables à un vrai débat dans la profession autour des questions fortes qui nous semblent se dégager aujourd'hui. Pour cette raison, nous avons décidé de diffuser ce compte-rendu des deux journées le plus largement possible.
Nous espérons que ces textes qui parlent de nos préoccupations, de notre pratique de tous les jours, vous intéresserons. Nhésitez pas à nous écrire pour nous faire part de vos remarques.
pour lA.M.E.
Vincent MAGNAN
Nous rappelons à nos lecteurs que la vocation de lAME est de diffuser tous les témoignages de projets, de la vie professionnelle
nous sommes à ce titre intéressés par vos témoignages
Nos orientations pour cette année semblent se diriger vers la constitution de groupes de travail sur diverses thématiques, professionnelles (les compétences des enseignants..), pédagogiques (l'évaluation). Nous tenterons aussi d'instituer des groupes de réflexions sur la pratique au travers d'études de cas comme cela se fait dans diverses professions, notamment dans le social et la santé.
A.M.E. GROUPE DE TRAVAIL 2003 SUR LAUTONOMIE
Présentation par Joëlle GAUDIN, professeur de Clarinette
Introduction :
Lautonomie est une notion à la mode
Nous la trouvons souvent que ce soit dans les textes pédagogiques (livres, IPMC
), dans les directives ministérielles, ou même dans les différents projets détablissements. Et pourtant nous avons parfois du mal à bien voir en quoi elle se matérialise dans lécole de musique. Cest pourquoi lassociation avait proposé aux enseignants intéressés de se pencher sur cette question. Une équipe sest ainsi rencontrée à 5 reprises au cours de lannée 2003 et a travaillé à partir de mémoires, de livres sur la question.
Il faut bien avouer quau début de notre réflexion, nous navons pas eu trop de mal à nous accorder sur la nécessité de faire accéder nos élèves à lautonomie ! Une des qualités et pas la moindre de cette notion est quelle dégage un consensus absolu. Comme lindique Daniel Hameline :
« Sauf à se vouloir réactionnaire, il est très difficile dêtre contre. Ainsi, ce serait aller à linverse des idées en faveur que dassigner explicitement à léducation la finalité de diminuer lautonomie des éducables, même si la réalité donne tous les jours la preuve que, si un tel effet négatif nest ni recherché ni prescrit, il est souvent obtenu. »
En effet, nous ne voyons personne revendiquer lendoctrinement de ses élèves, ni le flétrissement de ceux-ci ! Aussi cette notion a-t-elle le mérite de relever un grand consensus tout en permettant de ne pas trop se poser de questions. Elle fait partie de ces notions qui permettent une cohésion du groupe tout en le dispensant de grandes explications. Au risque de rentrer dans le débat, nous aller pourtant tâcher ici daller un peu plus loin.
Car cette notion savère être une parfaite enthymème. En effet, exhorter une éducation à et par lautonomie est de lordre de lévidence partagée. Il peut sembler à certains que lautonomie est toujours et a toujours été une des données qui aille de soi dans le processus déducation.
Or létude des sociétés primitives nous montre déjà que la relation entre autonomie et éducation ne va pas toujours de soi. Par exemple, dans certaines sociétés, le rite initiatique qui pourrait faire croire à laccès dune certaine autonomie des jeunes qui pourront enfin décider de leur sort ne relève en fait que de linscription de ceux-ci dans un cadre traditionnel prédéfini par les anciens et quil ne sagit pas de remettre en cause. En effet, on pourrait voir dans linitiation, un passage qui permette la sortie de la dépendance de lenfance et la signification de la légitimité de sa libre circulation dans le groupe, de son appartenance au monde adulte. En y regardant de plus près, il savère que dans les sociétés communautaires traditionnelles, linitié na pas gagné en autonomie sauf à la réduire à la signification de simples allées et venues. Car la loi na pas changée et reste celle reçue des ancêtres et, sil va et vient à sa guise, cest dans le pas, dans les traces des anciens. Cette conception va à lencontre dune définition classique de lautonomie que lon trouve dans tous les dictionnaires, comme « capacité de se donner ses propres lois ».
Ainsi, cette notion qui nous apparaît donc aujourdhui une sorte dattribut universel concernant léducation ne se laisse pas facilement appréhender. Nous pouvons voir au travers de cet exemple que la définition de cette notion savère mouvante, dautant plus quelle glisse souvent vers dautres termes proches comme, lindépendance, lémancipation, linitiative, la responsabilité, laccomplissement de soi
, ce qui brouille quelque peu notre réflexion.
Mais notre perplexité devant les résultats obtenus, notre interrogation devant les moyens à mettre en uvre et notre désir, notre détermination darriver à la faire émerger chez nos élèves nous obligent malgré tout à pousser la réflexion un peu plus loin.
Plan du propos :
Pour éclairer un peu ce sujet très vaste qui paraît rejoindre toutes les problématiques de léducation, nous allons donc essayer dans un premier temps de débroussailler un peu et détudier la nature de lautonomie tout en observant les différentes définitions, les différentes facettes de la notion. Nous nous intéresserons ainsi aux notions de Poïesis et Praxis qui permettent déclairer un peu le débat.
Nous poursuivrons, plus pragmatiquement en étudiant différents questionnements qui peuvent permettre de la favoriser quand nous élaborons nos dispositifs denseignement. Nous nous intéresserons ainsi au transfert des connaissances, à la question du sens, aux moyens de responsabiliser les élèves et enfin à la manière de permettre lémancipation des élèves.
Nous nous poserons enfin la question de lévaluation de lautonomie, évoquerons les différents enjeux que nous avons pu dégager, et enfin résumerons rapidement nos propos.
Sources :
Pour alimenter notre réflexion, nous sommes allés voir chez divers auteurs qui ont traités de près ou de loin des sujets qui nous intéressaient. Citons notamment : Philippe Meirieu, Olivier Reboul, Michel Develay
Une bibliographie vous sera proposée à la fin de ce document.
La nature de lautonomie et ses différentes définitions
Tâchons donc dans un premier temps dy voir plus clair et de discerner avec Daniel Hameline deux composantes de la notion actuelle dautonomie :
La première consiste en la capacité de se mouvoir à son gré dans un environnement. Nous retrouvons lidée dune moindre dépendance des élèves vis-à-vis des enseignants ou autres tutelles.
Nous pouvons examiner cette idée en la comparant à la situation des personnes porteuses dun handicap. On parle ainsi dautonomie concernant tous les gestes de la vie quotidienne.
Pour nos élèves, elle peut porter aussi sur les méthodes, lorganisation, la technique
Malgré tout on saperçoit vite que chaque terme de cette définition doit lui-même être défini et il nest pas évident de dire exactement de quelle liberté il sagit, ou même de quel environnement il sagit. La notion de dépendance est aussi complexe. Il existe différents types de dépendance. De plus, la psychanalyse a montré son ambivalence en notant les cas de personnes qui veulent rester dépendantes, ainsi que des personnes qui ont une tendance possessive vis-à-vis des autres. Il serait intéressant pour nous daller un peu plus loin sur ce sujet car les apports de la psychanalyse ont des choses à nous apprendre dans la relation entre élèves et professeurs. (cf Meirieu, Imbert, Cifali)
Le second sens courant de lautonomie réside dans la capacité à sériger en juge des ses propres actions. Cette vision balance cependant entre deux extrêmes :
le solipsisme, lidée que chaque être est son propre maître. Ces partisans mettent en premier et comme un absolu, lindividu et restent sceptiques face aux valeurs réputées universelles. De lautre côté, nous retrouvons périodiquement des appels à la responsabilité.
Si lon examine maintenant certains textes dans le domaine de la musique, on saperçoit que la référence à lautonomie est souvent présentée comme une finalité de lenseignement musical. Cette notion survient quand les élèves arrivent en fin de cursus. Ainsi, les épreuves de fin de cycle comporte parfois une "épreuve dautonomie".
Lautonomie serait une finalité, un objectif de lenseignement artistique que les enseignants sont exhortés à former chez leurs élèves. Or, un certain nombre de questions nous viennent à ce propos.
Après réflexion, comment peut-on parler dachèvement dans lautonomie, comment peut-on parler dune compétence maîtrisée une bonne fois pour toute ? Si lon examine la situation dans bien des domaines, on saperçoit que personne nest jamais complètement autonome à proprement parler.
Sylvia Klimczyk dans son mémoire sur lautonomie fait ainsi référence à dautres professions et montre comment lautonomie peut être relativisée :
« En ce qui concerne lentretien de ma santé, il convient que je sache précisément jusquoù je peux me débrouiller toute seule et à partir de quel moment il est absolument nécessaire que je fasse appel à un spécialiste et lui abandonne dans ce domaine ma part dautonomie.
Dautres part, si je suis à peu près autonome financièrement, je crains de ne pas lêtre vraiment sur le plan affectif, ni sur le plan intellectuel
Et dailleurs, cette autonomie ne nintéresse pas, convaincue que je suis quelle basculerait vite dans la suffisance ».
Etre totalement autonome, au sens de totalement suffisant, indépendant des autres, nest-ce pas la définition même dune personne associable. Linscription dans la société ne nécessite-t-elle pas en elle-même le partage des tâches et une certaine forme dinterdépendance. Durkheim, le père de la sociologie, ne dit-il pas que cest le besoin des autres, la division du travail qui permet de faire société ? Ainsi prôner lautonomie complète dune personne nest-elle pas préconiser lassociabilité dune personne ?
Pour essayer de dépasser ces contradictions, nous allons faire appel aux notions de poiesis et de praxis. Voyons ce que nous dit Francis Imbert à ce propos :
Nous voyons donc que notre activité pédagogique allie à la fois les 2 types daction.
Pour certaines acquisitions, techniques notamment, nous pouvons presque concevoir un résultat, pour beaucoup dobjectifs qui touchent aux représentations des élèves, sur toutes les notions musicales (par exemple, ce quest le style romantique), nous voyons mal comment nous pourrions avoir une totale maîtrise de ce qui se passe dans la tête des enfants. Nous agissons pour faire évoluer les représentations quont les élèves sur tous les sujets mais nous nen sommes pas maître, dautant plus que lélève apprend bien des choses en dehors de nos cours
Pour tous ce qui concerne les objectifs éducatifs, réduire léducation à un Poiesis serait considérer les élèves comme une cire molle à modeler, une pièce de bois quil sagit de tailler pour arriver au modèle
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La Praxis fait au contraire des élèves, des acteurs, des sujets singuliers.
A la lumière de lopposition entre la Praxis et la Poïesis, il nous apparaît que lautonomie comme finalité nest pas pertinente. Comme le propose Sylvia Klimzcyk, nous devrions plutôt parler de « processus dautonomisation ».
Il nous semble même utile de lutter contre lillusion dune autonomie comme état définitif qui ne peut quamener lenseignant à se mettre dans la position du créateur de sa chose, une sorte de « Frankenstein pédagogue » comme le dit Philippe Meirieu. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
Lautonomisation pourrait ainsi être considérée comme un principe régulateur de laction des enseignants au sens kantien de cette notion. Sylvia Klimzcyk nous résume rapidement la distinction kantienne entre principes constitutifs et principes régulateurs :
« On sait, en effet, que Kant distingue les « principes constitutifs » qui renvoient à des réalités dont on peut attester lexistence, et des « principes régulateurs » qui ne correspondent pas à des réalités que lon peut rencontrer « à létat pur » mais servent de guide pour laction et lorientent opportunément. Ainsi, personne na jamais rencontré « le beau » et pourtant tout artiste le recherche. « Le beau » nest pas, dans ce sens, un principe constitutif mais bien un principe régulateur de lactivité artistique
Comme « le juste » est un régulateur de laction judiciaire,
comme « lautonomie » peut-être un principe régulateur de lentreprise pédagogique. »
Nous considérons donc lautonomie comme un processus dans lequel les enseignants engagent leurs élèves depuis le premier cours et tout au long des études ; et comme un principe de régulation de lactivité pédagogique.
Reste à savoir comment la faire surgir pratiquement chez nos élèves et par quels moyens.
Les grandes questions autour de lautonomie
Cest bien évidemment cette question qui est au cur de notre recherche sur le sujet.
Au cours de nos discussions, nous avons pu dégager quelques pistes non exhaustives :
A) LA QUESTION DU TRANSFERT DES CONNAISSANCES
Il est important de pouvoir favoriser le transfert des connaissances acquises. Celui-ci passe par la nécessité dune réflexion sur la chose apprise permettant de pouvoir discerner une ressemblance dans les situations et par la capacité à réinvestir des savoirs appris dans une nouvelle situation.
Il existe au sein de lEducation Nationale, un débat sur ce sujet qui peut nous aider sur ce point. Michel Develay, dans son livre « Parents, comment aider vos enfants », nous fait part des réflexions qui existent entre deux courants de chercheurs en sciences de léducation : Il existerait un courant appelé "didacticiens" qui soutient que lapprentissage est spécifique aux disciplines et aux contenus spécifique de ces disciplines. Ceux-ci pensent que nous ne pouvons apprendre que dans un contexte précis et quil sagit ensuite de favoriser les liens avec les autres disciplines pour faciliter le transfert. Lautre courant, les "méthodologues" pensent quil existe des capacité cognitives indépendantes des contenus disciplinaires (la sériation, les classifications, les relations de transitivité ou dinclusion,
) quil sagit de développer.
On peut penser que la demande qui nous est faite de travailler en équipe en multipliant les activités transdisciplinaires vise en partie le but de favoriser le transfert de savoirs musicaux essentiels, communs à toutes les disciplines présentent dans lécole.
Le transfert dune connaissance nest pas automatique. On rencontre tous les jours des situations où nous pensions que lélève avait compris une notion alors quil lavait simplement mémorisé dans son contexte particulier. La mémoire à laquelle nous donnons une grande importance, peut aussi savérer un moyen de contourner un apprentissage.
B-M BARTH dans son livre "lapprentissage de labstraction" nous conseille de faire expliciter les élèves pour vérifier leur cheminement dans leur recherche de la compréhension des notions que lon veut leur faire apprendre. La solution tient donc dans le fait de ne pas oublier que nous assurons aussi une formation intellectuelle. Nous enseignons un contenu mais aussi des processus mentaux quil sagit de connaître un minimum.
Favoriser la réflexion et le lien entre les notions, les concepts ? Il sagit là aussi dune capacité mentale : la dialectique. Philippe Meirieu étudie dans son livre « Apprendre, oui mais comment » différentes opérations mentales demandées aux élèves dans différentes situations. Il nous donne ici des moyens et situations qui peuvent favoriser le développement de la dialectique, de la liaison entre les idées chez nos élèves. Le premier est le jeu de rôle « où chacun incarne tour à tour un personnage ou une force sociale ou politique ». On peut utiliser aussi le jeu de tâches où chacun investi un type de discours. Il existe aussi le jeu dopposition, chacun défendant une position. Il existe encore dautres possibilités : le jeu de structure, le jeu économique
Limportant dans le jeu est quil met « en théâtre » un système conceptuel et permet, par la rotation des places, daccéder à lappréhension de celui-ci.
Pour quun processus de transfert dune compétence puisse être possible, il nous semble important que les élèves acquièrent non seulement des savoirs, mais aussi une compréhension de ce quils apprennent :
B) LA QUESTION DU SENS
Liée à la question du transfert, nous trouvons la question du sens.
Nous pensons quil est absolument nécessaire pour les enfants de comprendre ce quils apprennent. Tout dabord pour cause defficacité, mais aussi parce que cest le moyen de favoriser la motivation, le désir dapprendre.
La compréhension donne la possibilité à lélève dadhérer à ce quon lui demande mais aussi de sy opposer, de pouvoir résister. Cela pourrait à priori nous faire un peu peur, mais en fait, cest un moteur essentiel de lapprentissage. Cest aussi le seul moyen de lui donner la possibilité de pouvoir un jour se diriger par lui-même, de pouvoir décider de ce dont il a besoin (et même de changer de professeur si le besoin sen fait sentir
) Cette question peut amener à procéder dans le cadre de la démarche, à lélaboration dun véritable contrat entre lenseignant et lélève qui limplique totalement dans les choix pédagogiques.
Un exemple de cette question est le retour perpétuel au débat « ancestral » du solfège et de la fausse opposition entre la théorie et la pratique. Les connaissances théoriques ne ferait pas sens et les élèves ne verraient pas à quoi elles servent pour la pratique instrumentale. Le mémoire de Stéphanie Vouillot nous montre que nous devons nous interroger sur limage que nous avons de la construction du savoir et de nos connaissances. Ainsi une vraie théorie pour un enfant résiderait dans la représentation que celui-ci sest faite des choses au travers des situations vécues et non dans un savoir théorique ordonné quon lui imposerait de mémoriser. Ne nous étonnons donc pas quun élève se retrouve dans la situation doublier un fa# alors quil vient de nous dire que nous sommes en Sol Majeur, si celui-ci na pas compris la signification du moyen mémo-technique de lordre des dièses ou encore de ce quest un gamme majeur.
Il sagit donc pour les enseignants de mettre aussi souvent que possible les élèves dans une situation qui leur permet de découvrir une notion, tout en en intégrant la signification, lintérêt. Cette démarche nous semble permise par ce que lon appelle la situation problème. Celle-ci ne doit pas être prise comme le seul mode denseignement, dautant plus quelle demande un gros travail de préparation pour les enseignants, mais nous devrions réfléchir plus souvent à linstallation dun tel dispositif.
C) LA RESPONSABILISATION
Une autre mesure qui nous parait favoriser lautonomie est la mise des enfants dans des situations qui les responsabilisent peu à peu. Le but est évidemment daller contre une sorte dassistanat. Voyons avec Michel Develay dans son livre « Parents, comment aider votre enfant », les moyens quil nous propose pour parvenir à responsabiliser les élèves.
1. Sa première proposition pour responsabiliser lenfant est que lenseignant adopte une posture de Médiateur.
Apprendre, cest parfois accepter une transformation de son identité. Accepter la réussite peut sembler évident pourtant cela ne va pas de soi. Chacun appartient à une certaine catégorie sociale et chacun défend ou rejette les valeurs de cette appartenance culturelle.
Ainsi lenseignant est parfois amené à conduire un élève à accepter de réussir, « de devenir autre et plus que les images parentales en laidant à se mettre à distance ».
« Lenseignant doit montrer à lélève, sans pression, quil est non seulement concerné par ce quil fait, mais aussi fier de ses réussites ». Lenseignant doit donc être capable de valoriser sans juger, davoir une écoute active, accueillante.
Il doit aussi être capable danticiper et non dantécéder, « en laissant advenir ce quil voit surgir ». Tout préparer à lavance nest pas toujours la solution. Il faut parfois savoir accepter le contraire de ce que nous attendons quand nous entrevoyons la possibilité que cette « erreur » puisse être formative. Michel Develay nous dit aussi que lenseignant doit être « capable de réguler sans régulariser », de tenir compte de limprévu.
Pour favoriser la responsabilité, il est aussi possible de passer un contrat entre lenseignant et lenseigné.
Le contrat, comme nous lindique H. Przesmycki (1994), « se préoccupe du type de production finale qui concrétise les objectifs du contrat, les moyens pour la réaliser, les aides auxquelles lélève fera appel, léchéance finale et les échéances intermédiaires, la forme de lévaluation finale et les indicateurs de la réussite, de sa diffusion éventuelle ».
Cet auteur propose plusieurs types de contrats suivant les circonstances. Dans tous les cas, « lidée du contrat conduit à valoriser le rapport à la loi en précisant les possibles, les souhaitables et les interdits ».
2. Sa deuxième proposition est daider lenfant à découvrir lenvironnement et les conditions qui facilitent ses apprentissages.
Tout dabord au niveau de la gestion quil fait de son temps. Chacun sest aperçu que les élèves ont chacun un rythme propre qui fait quils réagissent très différemment. Il y a les gros dormeurs, les petits dormeurs, les élèves qui travaillent mieux le matin, les autres le soir
Or rares sont les élèves qui sont capables de savoir combien il leur faut de temps pour monter un morceau
Il est important de travailler avec eux pour leur permettre de prendre conscience de la durée que cela prend, afin quils soient bien entraînés par exemple, le jour où nous leur donnons leurs morceaux dexamen.
Pour les aider à se fixer des repères, faisons les prendre conscience :
du moment de la journée où ils aiment mieux faire de la musique, sont-ils du matin, du soir ?
de la durée quil leur faut pour faire leur travail. Ont-ils besoin de beaucoup de temps ou non ?
de la planification de leur travail. Pour un examen, par exemple ou plus simplement pour préparer le prochain cours. Ont-ils besoin de commencer très tôt dans la semaine ou travaillent-ils plus sous le coup du stress
Ont-il besoin dun planning de travail à long terme pour ne pas se sentir pris par le temps ?
Il serait aussi utile détudier un peu les conditions qui facilitent lapprentissage chez un élève. Cest ce quon appèle le style cognitif. Il existe beaucoup de livres qui essaient de déterminer les différents styles cognitifs à laide par exemple, de questionnaires. Un exemple des plus connues concerne les différentes mémoires, auditive, visuelle, kinesthésique qua étudié La Garanderie.
Les informations qui peuvent apporter aux élèves sont relatives :
au contexte émotionnel : la motivation personnelle ou lattente des adultes
à lenvironnement humain : une préférence pour travailler seul, ou à plusieurs, ou encore accompagné
aux matériaux de travail : préfère-t-il travailler avec des matériaux sonores, visuels, tactiles, esthétiques.
Au moment de la journée :préfère-t-il travailler le matin, le soir
Le but est de mieux connaître les circonstances qui sont facilitatrices pour apprendre.
Sans vouloir classer à tout prix les élèves dans des styles cognitifs précis, cette réflexion facilite chez lélève une meilleure connaissance de sa manière de se comporter ou encore de laider à modifier son environnement de travail lui permettant davoir prise sur son contexte, dagir et de ne plus subir.
(Ces remarques ont toutefois des limites. Il nest pas toujours possible dassouvir une préférence. Sil préfère faire du violoncelle le matin alors quil a école, ou encore sil préfère jouer la matin alors que les auditions sont le soir
Par ailleurs, ces préférences ne renseignent pas vraiment sur la manière dont il apprend. Cela montre simplement quil existe des circonstances et un environnement qui leur facilitent les apprentissages, ce qui nest déjà pas une information négligeable.)
3. Sa troisième proposition est damener lélève à discerner comment il procède quand il apprend, notamment en exposant ses représentations.
« Dans lesprit des élèves cohabitent dune part le savoir verbal (la définition, la théorie, la loi, le principe, la règle, le fait) quil a appris par cur et qui correspond à ce quil considère quil lui faut savoir et dautre part, la représentation qui constitue son savoir, à lui ». Sa représentation correspond en fait à la manière dont lélève mobilise ses connaissances antérieures.
Ce qui est intéressant, cest « de faire expliquer les représentations des élèves afin den comprendre la logique, et en dernier ressort, les obstacles quelles recèlent » nous dit Michel Develay.
Ainsi Jean-Pierre Astolfi dans son livre « Lerreur, un outils pour enseigner » nous montre quil existe différents types derreur et quil importe de sen saisir pour comprendre la logique de la représentation de lélève. Lenseignant peut ensuite trouver une situation capable de lever lerreur quelle renferme. Il nous invite alors a faire de bon diagnostic en amenant lélève à expliquer ce quil a compris, ce quil simagine afin de « pouvoir lui montrer ses contradictions, les questions non résolues par son système explicatif ».
4. Par ailleurs, nous pouvons aider lélève à se mettre à distance de la manière dont il apprend. Cest ce quon appelle la Métacognition.
Avec les styles cognitifs ou encore la découverte de ses propres représentations, nous opérons chez les élèves une première mise à distance. Pour aller plus loin encore, Michel Develay nous propose de garder des temps pour analyser la manière même dont ils ont procédés, la façon dont ils ont pu apprendre. Ces séquences permettent à lélève de prendre conscience de son activité de penser.
Pour résumer cette partie nous dirons que sil est important de comprendre ce que lon apprend, on peut aller plus loin en faisant comprendre à nos élèves comment ils apprennent. Chaque élève est en ce sens différent et une méthode bonne pour un élève savérera moins pertinente pour un autre.
Cette question nous semble primordiale dans la mesure où une des caractéristiques de notre profession est le peu de temps passé en face-à-face avec lélève et limportance de fait que nous donnons au travail accompli à la maison. Il est très important que celui-ci ait les outils et les compétences pour les utiliser à bon escient quand il rentre chez lui avec nos consignes, mais également la conscience des conditions qui lui permettront deffectuer un bon travail. Et ceci passe par un travail intellectuel de recul vis-à-vis de ce qui est vécu.
D) LAPORIE : CONTRAINTES / LIBERTE DE LELEVE
Nous ne pouvions parler de lautonomie sans évoquer lune des tensions fondatrices de la réflexion pédagogique : lopposition entre notre volonté de domestiquer et celle daffranchir. Autrement dit, nous agissons, nous exerçons une contrainte sur lélève tout en revendiquant lémergence de sa liberté, de son autonomie. Cette contradiction traverse toutes les réflexions sur léducation.
Sil y a bien quelque chose qui caractérise bien lhomme cest la nécessité quil a dapprendre. Le nouveau-né est celui qui par nécessité a tout à apprendre
Ainsi, laction des adultes est éminemment nécessaire et légitime car cest elle, seule qui peut émanciper un jour lenfant.
Pour autant, éduquer nest pas fabriquer un objet. Philippe Meirieu évoque longuement ce sujet dans son livre « Frankenstein pédagogue », et la tentation quont les enseignants de faire de leur élève leur chose, leur objet, même sils sen défendent
Comme nous lavons déjà évoqué, léducation navigue entre la Poïesis et la Praxis, entre une activité où lon sait à lavance le résultat et une activité où il se construit au fur et à mesure. Cest pour cette raison que lenseignant ne peut jamais être soumis à une obligation de résultat. Léducation nest pas contractuelle
Une des conditions de léducation est de poser que toute personne est éducable. Poser cette exigence éthique est pour nous important. Cest avoir la conviction que lautre peut comprendre, y arriver. Même si certains élèves nous font parfois désespérer, cest le seul moyen de ne pas tomber dans lexclusion, du type « il nest pas doué pour la musique ». Dautant que de nombreux exemples dans lhistoire ou même dans notre entourage risqueraient bien un jour de nous donner tord
De plus, peut-on toujours dire que nous avons épuisé toutes nos ressources et que nous ne pouvons plus donner sa chance à lélève ?
Le principe déducabilité en lequel nous croyons ne va pas cependant sans poser quelques dangers que nous devons déjouer au mieux.
A vouloir éduquer à tout prix, nous risquons de basculer dans une forme de violence. Ce fût par exemple le cas dItard qui se piqua de vouloir éduquer coûte que coûte lenfant sauvage recueilli dans une forêt de lAveyron. Léducateur risque de tomber dans la folie de léducation. A vouloir tellement la réussite de lautre il risque de briser la liberté de lautre. Ce peut être par exemple le cas de ce professeur qui coach un élève jusquau CNSM et le fait « réussir brillamment » et létudiant de sapercevoir un jour quil na jamais désiré se retrouver là.
Ce qui peut permettre déviter cet écueil, cest de poser damblé le principe de liberté de lautre, de reconnaître que lautre à une liberté, que sa conscience échappe à notre pouvoir. Même si lélève montre des signes extérieurs de soumission, ne nous y trompons pas, nous ne savons presque rien de ce qui se passe dans sa tête.
Par ailleurs, cest toujours le sujet qui apprend et lui seul. Même sil a le meilleur professeur du monde, si lélève ne veut pas apprendre, il napprendra pas. Lenseignant ne peut finalement quaccompagner lélève, lui donner envie mais la décision dapprendre ne peut être prise que par lui seul.
Cependant, ne tombons pas pour autant dans lexcès inverse qui est de se retrancher derrière la liberté complète du sujet pour ne rien faire. Attendre le désir de lautre ne reviendrait finalement comme le dit Bourdieu quà entériner des inégalités. Les bons réussirons, les nuls échoueront comme toujours.
Ainsi nous voyons que le principe de liberté poussé à lextrême peut devenir une forme de violence qui reviendrait au refus déduquer. Finalement, il ny a pas de liberté possible sans une forme dinstrumentation. Quest-ce que la liberté de sexprimer, sans vocabulaire ?
Nous conclurons donc ce point en affirmant que la pédagogie doit articuler des deux principes que sont léducabilité et la liberté. Léducation sans respect de la liberté de lautre est du dressage, et le respect de celle-ci sans une volonté forte déducation risque de nous faire tomber dans une forme de fatalisme passif.
Ainsi, le professeur est à la fois acteur et respectueux de la liberté de lautre. Cest cette contradiction avec laquelle nous devons travailler tous les jours.
Sans nous attarder trop longtemps sur ces points, nous voudrions aborder aussi quelques réflexions importantes et qui nécessiteraient en elle-mêmes plusieurs journées de réflexion
Lendoctrinement : Nous nous en défendons évidemment, mais où est le curseur entre contrainte et liberté ? Il existe un ouvrage dOlivier Reboul consacré à cette question qui permet de cerner un peut mieux ce sujet. Nous vous y renvoyons.
La question de comment respecter ce savant dosage est très difficile. Par exemple, les relations entre élève et professeurs est une alchimie complexe. Nous pensons que la connaissance de quelques notions psychanalytiques peuvent nous être dun précieux recours. : Par exemple, il existe ainsi parfois des personnes qui veulent rester dans la dépendance
De la même manière, une réflexion des enseignants sur le "narcissisme", la "séduction", sur le "transfert" opéré par lélève ou encore sur le "contre-transfert", réaction de lenseignant, peut être un levier de compréhension des situations de cours et peut permettre de ne pas tomber dans des situations relationnelles éprouvantes.
Une autre réflexion touchant à ce problème est faite par Olivier Reboul dans son "Que sais-je ? " sur « la philosophie de léducation » : Pour qui léducation est-elle faite, pour la société ou pour lenfant ?
« Les doctrines empiristes ou culturalistes, qui rejettent la nature humaine, diront quon éduque lenfant pour la société, en fonction des valeurs propres de celle-ci. Les partisans de la nature exigeront au contraire que lon éduque lenfant pour lui-même, pour lui permettre de sépanouir selon sa propre nature ».
Cette réflexion peut nous amener loin : Sur la nature humaine, sur limportance de la culture... Nous nirons donc pas plus loin aujourdhui.
Lévaluation de lautonomie et lautonomie de lévaluation
Nous vous avions promis daborder un point sur lévaluation.
Cette réflexion nous apparaît utile dautant plus quil existe dans certaines écoles une « épreuve dautonomie » et que sa réalisation nous amène à nous poser des questions quant à sa pertinence et sa réalisation.
Il sagit bien dévaluer lautonomie des élèves dans toutes les activités musicales, que ce soit délaborer un programme, de monter un projet
Mais nous pensons que toutes ces activités ne peuvent sélaborer sans quils aient acquis eux-mêmes la compétence de sauto-évaluer. « Faire appel à lauto-évaluation pour développer lautonomie de lapprenant » écrivent messieurs Pillonel et Rouiller. Aussi en vient-on a poser la question : « Comment évaluer que les élèves savent sauto-évaluer ? ».
La question de « comment faire advenir lauto-évaluation » est un peu contenue, nous lespérons, dans nos propos précédents. Comment vérifier quelle est présente chez les élèves, voilà une nouvelle difficulté qui nous est posée.
Il nous est apparu que cette évaluation pouvait se faire de deux manières :
- Lévaluation continue :
Soit en utilisant une multitude dindices qui nous donnent des précisions chaque semaine sur les capacités des enfants et nous aident alors à élaborer de nouvelles situations stimulantes et permettant daller plus loin dans les connaissances musicales mais aussi dans la prise de conscience de celle-ci. Nous parlerons alors dévaluation continue. Il nous apparaît important encore une fois de dire que dans ce processus, il faut favoriser une prise de conscience afin que le jugement vienne de plus en plus de leur part, jusquà parler de véritable auto-évaluation.
- Une évaluation à linstant t :
Nous pensons quune évaluation de lautonomie à un moment donné est possible mais quelle revient presque à une évaluation « tout court » prenant en compte la part dauto-évaluation des élèves dans leur réalisation.
Le groupe a réfléchi ici une situation possible pour procéder à cette évaluation :
Lidée est de proposer quelques courts morceaux de difficultés différentes à un élève avec les consignes suivantes :
1. Classe ces morceaux du plus simple au plus difficile. Explicite ce choix (on lui demande de faire un diagnostic, une analyse des partitions et de les juger).
2. Choisis les 2 morceaux qui te paraissent à ton niveau. Explique pourquoi (là, on lamène à faire un diagnostic de ses capacités).
3. Choisis un de ces 2 morceaux que tu devras jouer. Explique ce choix (il doit décrire un goût, une facilité quil sait posséder
).
Cette première étape peut nous apporter énormément dinformations sur les capacités de lélève à percevoir les difficultés et dévaluer ses propres compétences.
On peut imaginer de poursuivre lexpérience avec une formule plus proche de ce que lon appelle couramment « lépreuve dautonomie ». Mais plusieurs réflexions se posent à nous concernant cette épreuve :
La première concerne les ressources dont on espère que lélève se servira. Par exemple, un dictionnaire de la musique, un enregistrement quil est aller chercher à la médiathèque
Or chaque élève puise dans son environnement qui est différent selon les familles. Ne favoriserions-nous pas ceux qui ont des ressources plus nombreuses ?
La seconde est : « Quest ce que la performance permet dévaluer » et avec comme corollaire « ce que nous cherchons véritablement à évaluer ». Or il semble que la performance permette peu dévaluer ce que nous cherchons, à savoir :
La compréhension des informations, des signes sur la partition
La compréhension du contexte musical, des infos sur lauteur, lépoque
La compréhension du style, ses choix dinterprétation,
La conscience de comment il a planifié son travail et de quelles méthodes il sest servi,
Nous tenons à affirmer que lautonomie nest pas la débrouillardise et à ce titre nous aimerions rappeler ici un principe pédagogique de poids : Le principe déconomie contre lequel seffectue un apprentissage des enfants. Il nest pas rare dans les projets de sembarquer dans une situation de type productive telle la création dun spectacle de fin dannée autour dune uvre musicale, par exemple. Loin de nous lidée de vouloir mettre des « bâtons dans les roues » des élèves mais certaines conditions sont nécessaires à lapprentissage et notamment lobligation par lélève de faire lui-même lapprentissage, même si cela peut nécessiter plus de temps. Alors que la débrouillardise est lillusion que lapprentissage a été fait.
Ainsi, imiter linterprétation dun « grand maître » par le moyen dun disque est-il un preuve dautonomie, (car lélève a au moins été écouter un disque ?); ou au contraire un moyen de ne pas se poser de questions et de passer à côté des apprentissages, des problématiques dinterprétation, de style
Une autre question tient dans la manière dont nous allons pouvoir faire part de notre évaluation à lélève. Déjà létablissement dune note nous apparaît absurde : quelle serait la signification dun 12/20 en autonomie ? Cela nécessiterait la possibilité détablir une norme en la matière ce qui nous semble difficilement envisageable mais aussi peu souhaitable
Pour ces raisons, cette « épreuve dautonomie » nous semble aujourdhui peu pertinente et devra, nous lespérons, peu à peu sadapter, notamment en faisant sexprimer soit verbalement, soit par écrit lélève sur ce quil sait et fait.
Nous avons conscience que notre réflexion sur ce sujet reste limitée. La question de lévaluation est un vaste débat. Nous vous appelons à poursuivre la réflexion sur ce thème et à faire savoir les initiatives que vous avez pu découvrir ou même expérimenter sur ce sujet.
Conclusion Générale :
Les enjeux :
Une dernière question nous semblait utile dêtre abordée. En définitive, pourquoi lautonomie ? ; quels enjeux peuvent se cacher derrière cette notion ? ; et pourquoi arrive-t-elle aujourdhui dans notre profession ?
Si nous pouvons considérer que cette volonté dautonomie peut partir dun bon sentiment qui est de « faire accéder tous les élèves à la Liberté », il ne faut pas non plus oublier dautres facteurs et notamment le facteur économique. Si cette idée dautonomie est si présente dans la société, cest parce quelle sapparente aussi à lidée dadaptation, de souplesse des futurs travailleurs capables de faire face à toutes les situations de changement.
Dailleurs, nous avons nous aussi des débouchés professionnels à entretenir et nous devons ainsi préparer « des élèves autonomes » pour quils puissent avoir la possibilité un jour de poursuivre leur carrière dans les métiers de la musique.
Par ailleurs, cette mise en avant systématique de lautonomie par nos tutelles semble montrer une certaine méfiance vis-à-vis de lécole de musique. Le constat que les élèves, une fois leur passage dans lécole effectué, ne sortent plus jamais leur instrument de leur étui est souvent fait. Même si cette vision, qui ne considère que laspect instrumental, est plutôt restrictive, il peut être tiré comme conclusion que lécole génère une "pratique scolaire", spécifique, déconnectée des pratiques sociales. Ainsi, cette prescription dautonomie sonne aussi à nos oreilles comme un rappel à se préoccuper de laspect social de notre travail et de tenir compte des formes de pratique présentent dans la société.
Conclusion :
Nous avons voulu éclaircir un peu le sujet, dépasser certaines contradictions et ainsi tenter de voir quels moyens peuvent permettrent de faire survenir lautonomie chez nos élèves.
Résumons rapidement nos propos :
Elle nest pas une finalité mais un principe de régulation,
elle est partagée par laporie Liberté/contraintes imposées, endoctrinement/laissez-faire,
elle passe par une prise de conscience par les élèves des savoirs et des outils permettant leurs acquisitions,
elle doit faire face au principe déconomie qui permet le contournement de lapprentissage réel par les élèves.
Nous ne prétendons pas avoir fait le tour de la question, loin de là, et les membres du groupe de réflexion aurons plaisir à pouvoir continuer à en discuter avec vous cet après-midi autour de la table ronde prévue à cet effet.
Le groupe de travail était constitué de :
BERTRAND Serge, professeur de percussions africaines
COUSIN Philippe, professeur de piano
GAUDIN Joëlle, professeur de clarinette
MAGNAN Vincent, professeur de violoncelle
REBOUILLAT Marie-christine, professeur de piano
Animateur, Vincent MAGNAN
BIBLIOGRAPHIE
( non exhaustive
)
proposée pour aller plus loin
Jean-Pierre ASTOLFI, Lerreur, un outils pour enseigner,
ESF Editeur, Paris, 1997.
Britt-Mari BARTH, Lapprentissage de lAbstraction, Editions RETZ, 1987.
240 pages (N° ISBN : 272562124-0) dernière édition 2001
Michel DEVELAY, Donner du sens à lécole. Edition ESF. 1996
120 pages ( N° ISBN : 2 7101 1174 8) 2ème édition 1998.
Michel DEVELAY, Parents, commet aider votre enfant. Edition ESF. 1998.
124 pages ( N° ISBN : 2 7101 1292 2)
Daniel HAMELINE, Lautonomie. Dans J. Houssaye (éd.), Questions pédagogiques, Paris, Hachette. 1999.
Francis IMBERT, Linconscient dans la classe. Edition ESF. Paris, 1996.
ESF Editeur, paris, 1996.
Sylvia KLIMCZYK, La notion dautonomie dans lapprentissage dautrui . Létude critique dune optique pédagogique. Mémoire du Cefedem Rhône-Alpes. Promotion 1997-1999.
Philippe MEIRIEU, Apprendre, oui, mais comment. Edition ESF. 1997. 194 pages.
( N° ISBN : 2 7101 0877-1) 16ème tirage 1997.
Philippe MEIRIEU, Le choix déduquer. Edition ESF. Paris,1991
Philippe MEIRIEU, Frankenstein pédagogue. Edition ESF. Paris, 1996
Olivier REBOUL, Lendoctrinement, Edition PUF, 1977.
Olivier REBOUL, La philosophie de léducation, Edition PUF, 1989. Que sais-je ? 8ème édition : 1997.
Stéphanie VOUILLOT, La formation musicale : trop théorique ? Mémoire du Cefedem Rhône-Alpes. Promotion 1997-1999.
(disponible sur le site : http://www.cefedem-rhonealpes.org)
DEBAT A LA SUITE DE LINTERVENTION
SUR LAUTONOMIE
- Vincent Magnan :Donnons-nous quelques minutes pour réagir à ce qui vient dêtre exposé. Est-ce quil y a des questions ?
Est-ce que le sociologue (Alain Matoug) veut réagir sur les aspects "sociologiques" de la question ?
- A.Matoug : Moi, ma première réaction, cest que je suis inquiet pour vous ! (Rires
)
Parce que sil faut savoir tout ça avant daccueillir un élève
!
- Bien, cest justement, on ne le sait pas !
- A.M. : Non, mais cest pour ça que je dis que je suis inquiet : dans le sens où, effectivement, on doit se sentir drôlement démuni après un inventaire pareil ! Et, deuxième chose, je dirais finalement que derrière votre question sur lautonomie de lélève, je pose la question ou jentends, moi, la question sur lautonomie de lenseignant.
Alors, de quelle nature est votre autonomie, quels sont les critères dévaluation de cette autonomie, etc.
Et je constate finalement une certaine solitude de lenseignant dans ce statut autonome, et on peut se demander si cest une autonomie forcée, et sil ny a pas dautres registres, dautres questions à poser autour de
Mais cest un autre thème. Je veux dire quil y a là un train qui en cache peut-être un autre. (
) Ca a lavantage de dire que finalement, vous êtes gestionnaires dune situation et dun système extrêmement complexes, dans lequel il y a énormément denjeux qui ne sont pas visibles et avec lesquels vous traitez de façon empirique ou même avec une certaine cécité.
- Oui, tout à fait.
- A.M. : Donc, comment y voir plus clair puisquon parle de cécité, comment avoir un peu de clarté dans cette complexité ? Cela pose aussi la question de vos instruments à vous, pour parler de votre travail. Enfin, cest comme ça que je lentends (
) Et lautre question qui vient par rapport à lautonomie, cest, effectivement le Ministère qui narrête pas de nous dire « faites-nous des amateurs qui pratiquent », mais qui pratiquent où ? Est-ce que la société de maintenant a , pour les amateurs qui pratiquent, des poches, des lieux pour ça, qui seraient autres que les écoles de musique ?
- Parce quactuellement, les amateurs qui pratiquent, pratiquent dans les écoles de musique. Et alors, il y a des adultes quon reçoit plus ou moins, ou plus ou moins pas, les associations musicales qui sont mortes parce que les écoles de musique, cétait mieux
. Mais on na plus de fanfare, ce nétait pas forcément bien les fanfares, mais enfin, elles tenaient leurs rôles. Il y a tout ça aussi sous le thème de lautonomie. Quand on parle au Ministère de lautonomie de lélève, ce nest pas forcément pour quil devienne professionnel, mais cest parce quon a une impression déchec énorme, parce que 80 % des élèves qui sortent des écoles de musique ne pratiquent plus.
- A.M. : Vous avez des statistiques là-dessus, vous avez des choses précises ?
- Ce nest pas un chiffre scientifique
- A.M. : Oui daccord, mais globalement, lidée que vous vous en faites, cest à peu près 80 %.
- Mais cest à ce point-là ? Cest déprimant ! Ils ne font plus rien ? Mais cest très difficile à savoir tout de même.
- Ils ne font plus dinstrument, ça ne veut pas forcément dire quils nont pas pris goût à la musique. Ca ne veut pas forcément dire non plus que lenseignement musical ne leur a rien apporté, parce queffectivement, lenseignement musical apporte le goût de leffort, dun tas de trucs, quon pourrait citer si on voulait
Et donc, on peut faire un bilan qui est très diverse par rapport à ça. Mais par rapport à une pratique instrumentale qui socialement transparaîtrait dans je ne sais pas trop quoi, et bien, ce nest quand même pas génialissime ! Mais cest aussi parce que peut-être, il ny a vraiment pas de lieu pour ça, que les écoles de musique restent des écoles de musique, plutôt que des « lieux de musique », je ne sais pas.
- Mais ce qui persiste, ce sont tout de même les écoles qui sont parties dassociations avec des groupes dharmonie. Quand lharmonie existe depuis un demi-siècle, voire un siècle, les amateurs qui terminent leur cursus en école de musique, continuent à avoir une pratique musicale. Moi, je pense à des écoles bien précises sur la région : beaucoup continuent, mais cest parce quau départ il y avait une harmonie qui est là depuis des générations, et que le grand-père était à lharmonie
- Oui mais ni les pianistes ni les cordes ne sont concernés
- Et oui, voilà.
- Dans une harmonie, il y a quelquun qui dirige. Alors est-ce une autonomie dans le sens où on la demanderait ? Cest une question.
- Non, mais cest la continuité dune pratique, cest déjà ça.
- Absolument, mais quand les écoles de musique accueillent les adultes, les adultes viennent pour des pratiques densemble, dans le cadre dune activité entre guillemets « dirigée ». Alors, est-ce que cest de lautonomie ? Enfin, il y a deux discours. Un discours dit « rendez les élèves autonomes pour quils puissent continuer à pratiquer ». Dans la réalité des faits, les élèves pratiquent sils ne sont pas autonomes, sils sont encadrés, je veux dire. Voilà, il y a une espèce de paradoxe.
- Ils ont une demande de cet encadrement, parce que souvent, quand ils sont dans la vie active, dans le monde du travail, ils nont pas le temps de pratiquer tout seuls.(
)
- Mais je ne suis pas sûre que le but vraiment soit lautonomie totale. Ce nest pas forcément ça. Cest important davoir une certaine autonomie dans la gestion de sa vie et de son travail etc.
Mais une autonomie absolue, cest ce quon disait tout à lheure, cest lassociabilisation aussi.
- Non, mais dans les discours sûrement des directeurs politiques, ce quon on nous dit cest : « formez vos élèves pour quaprès, quand ils sortent de lécole, ils puissent jouer en petits groupes, en musique de chambre
»
- Mais cela suppose davoir acquis déjà un certain niveau !
- Ca non. Mais cest plutôt : où ?
- Pour moi, la question est posée. Dans les écoles, où est-ce que tu as des salles par exemple ? Est-ce que tu as des salles pour que les élèves puissent sentraîner pendant les vacances par exemple ? Cest vrai que ce nest pas pris en compte ça ! On pourrait tout de même imaginer que pendant toutes les vacances scolaires, les enfants, les adultes, puissent venir répéter. Cest vraiment une dimension qui nest pas prise en charge. Mais, moi, ce qui me paraît crucial, une question qui mintéresse beaucoup, cest lhistoire de la dépendance quon vient dévoquer de lélève par rapport au prof. Moi, à voir la réaction de mes collègues, jai quand même un gros souci : la plupart de mes collègues, que jai pu rencontrer dans différentes structures ne sont pas intéressés. Enfin, cest aussi pour répondre à ce que vous disiez tout à lheure : on est solitaire mais le prof de musique aime ça ! Cest à dire que cest vraiment un des seuls métiers je dis ça par rapport à lEducation Nationale - , où on nest pas ou peu inspecté, où on a très très peu finalement de sanction et dévaluation justement par rapport à notre travail.
- Et parfois de direction
- Pour moi, on est complètement autonome dans un certain sens ! Mais trop à mon sens. Et la profession est vraiment contente que ce soit comme ça quand même. Parce que les profs préfèrent faire ce quils veulent
- Sans quon vienne les « embêter » en fait .
- A.M. : Ce que vous dîtes finalement, cest que perdre son autonomie ce serait accepter une logique de contrôle, logique de contrôle qui permettrait lévaluation. Mais en même temps, le risque dêtre évalué, cest aussi de rendre compte. Donc il y a une ambivalence à vouloir être reconnu, mais sans céder son autonomie, sans être visible. Donc vous êtes finalement dans un paradoxe.
- En plus la profession est jeune tout de même. On est dans la fonction territoriale depuis 1991 et, pour moi, on nest vraiment pas encore sorti de la logique du cours particulier. Cest à dire quavant, la musique sapprenait par cours particulier.
- A.M. : Oui, cest un modèle aristocratique.(
)
- Mais cest aussi la demande du public qui est parfois de navoir que des cours particuliers.
- A.M. : Oui, mais on sait que le modèle dominant influence toujours les choix individuels. Cest à dire quon a tendance à vouloir shabiller plutôt « Cardin » que « Kiabi ». Vous voyez ce que je veux dire. Donc, on désire ce que porte lélite ou le système de valeurs de lélite.
- Dun autre côté, il y a des profs qui ont rendu compte de leur travail en groupe et qui le présentent aux parents. Et cela marche ! Cest à dire que quand les parents sont devant le travail, ils trouvent ça bien, donc après, ils sont partants pour dautres formules que celle du cours particulier.
- A.M.: Mais cest vrai quon est dans une crise des valeurs où la notion de groupe est franchement disqualifiée en bourse. Il est vrai que la relation individuelle, avec le modèle du psychologue ou de lanalyste, en terme de privilégié ou de privilège, est une représentation quon a dans la tête. Et cest vrai que cela tue la notion de groupe. Cela tue une certaine cohésion du groupe et ça contraint chacun à devenir individualiste de façon forcenée. Cela conduit donc à un isolement qui va jusquà la solitude. Il y a une crise de la solitude dans la société actuellement.
- Oui mais pourtant nous avons des directeurs. Cest vrai que nous navons peut-être pas été formés pédagogiquement, mais nos directeurs nont pas non plus été formés à la direction. Dans nos écoles, sil y en a qui devraient initier ce genre de réflexion de groupe, ce sont quand même eux.
- A.M. : Vous avez une représentation dominante de linnovation. Cest à dire que vous pensez que les choses nouvelles doivent être énoncées par le haut. Or, on sait que les idées nouvelles sont portées par des minorités, par des gens tout seuls. Linnovation dans les institutions, linnovation dans les sociétés, a toujours été portée dabord par des gens tout seuls.
- Cest intéressant à entendre, je suis daccord.
- A.M. : Non, mais je le dis parce quil y a souvent justement, la position attentiste de dire « mais que font les chefs ! », alors que finalement les chefs ne font que signer en bas dune page ce que dautres ont écrit bien souvent.
(
)
- A.M. : Bien souvent les innovateurs, même dans leur propre groupe face à leurs pairs, sont tout seuls. Ils sont même moqués ou mis au ban des accusés, où lon se jette sur ce qui na pas marché pour dire « de toute façon, cela ne servait à rien », et on éteint ce qui a un peu fonctionné. La problématique de linnovation dans les organisations est un vrai problème aussi. Le statut de linnovateur dans la société est aussi est vrai problème. En général, cest dabord marginalisé, après toléré et ce nest quau bout de cinq ou six ans que quelquun qui porte un projet innovant va avoir du crédit, de lespace etc. Donc il y a un « parcours du combattant » de linnovation.
(
)
Cest une logique de groupe. Le groupe est au départ très conformiste. Cest important. Cest important que les choses ne changent pas comme ça de façon magique. On a besoin dune certaine stabilité de linformation et de la réalité. Mais en même temps, les choses nouvelles sont toujours des choses émergentes qui avancent très progressivement. Cest un parcours solitaire. Dailleurs souvent les innovateurs sont connus pour avoir une énergie considérable, mais à aller jusquà lépuisement, à payer deux-mêmes, de leur temps libre, de leur argent, de leur espace. Souvent, ils portent longtemps tout seuls les idées nouvelles. Donc cela suppose aussi un changement de regard sur ceux qui ne rentrent pas forcément dans les bonnes cases.
- Et je pense quen plus, la discipline que nous enseignons, la musique, satisfait, développe tout de même quelque part un certain narcissisme.
(
)
- A.M. : Il y a vraiment le modèle implicite du maître et des disciples. Il est certain quil y a une mise en scène, vous avez raison. On est dans la mise en scène des logiques de distinction, qui fait quon récite sans sen rendre compte un modèle dominant, puisque cest le modèle standard. Mais en même temps, ça montre aussi quon est inquiet. Quand on sappuie sur un modèle et quon ne cherche pas plus, cest parce quon est fragilisé, quon est inquiet et quil ny a pas dautre type de réponse non plus. On ne change pas comme ça non plus. On ne lâche pas une branche pour le vide. Donc, cela suppose que dautres choses poussent aussi par ailleurs, qui donnent envie peut-être de changer darbre, ou de bouger un peu. Mais cela suppose aussi que ce qui se développe par ailleurs soit entendu. (
)
Mais pour revenir à la notion de modèle sur lequel on sappuie pour répondre aux situations quon ne connaît pas, on fait tous ça. Cest à dire quon fait dabord comme on a vu faire. Et pour aller plus loin, il faut voir que ce quon a vu faire, ça ne marche plus. Il faut en avoir assez aussi. Il y a un moment où peut-être que vous, vous en avez marre, dautres pas. Vous comprenez ce que je veux dire ? Donc, il faut user le modèle et se rendre compte que ce nest quun modèle, qui ne répond pas forcément aux besoins qui sexpriment, puisque vous dîtes quil y a de nouveaux besoins, et quil y a une fuite des réponses ou de linvestissement des jeunes que vous soudez.
- Un des moteurs pour ça, cest lidée que « toute personne est éducable ». Cest très nouveau dans les écoles de musique, de dire « on ne jette pas tout le monde et on garde même ceux qui ne sont pas doués ». Maintenant, service public oblige, un « pas doué », normalement, on est censé en faire quelque chose.
- A.M. : Oui, il y a une théorie du don, qui sous-tendait un peu la représentation, le modèle.
- Ca le sous-tend encore énormément. Mais enfin, disons quun des moteurs des gens qui se posent plein de questions, cest quen face de quelquun qui narrive à rien, si on se dit que finalement il faut arriver à quelque chose, on est bien obligé de se bouger !
- Moi, ça ne me pose pas vraiment de problème . Mais cest au moment des examens, des évaluations. Là, cest très délicat, parce quune note, ça peut tout dire et rien dire à la fois
(
)
- On a quand même maintenant dautres systèmes dévaluation que la note. Nous, en tout cas, à Vénissieux, nous utilisons le système dévaluation continue par cycle. Nous ne sommes pas coincés par les examens, et nous avons toujours possibilité de contourner lexamen. Si vraiment on estime quun élève court à léchec, on contourne. En tout cas personnellement cest ce que jessaie de faire, je contourne lexamen dune façon ou dune autre. Je crée des statuts, je dirais, pour ces élèves-là.
- Oui mais voilà ! Est-ce que linstitution organise vraiment ces statuts ?
- Ca repose la question du niveau. Quest-ce que le niveau ? Cette question-là est centrale par rapport à la question du don, à la question que tu poses, et à la question de contourner aussi.
(
)
- A.M. : Vous êtes en train de dire quon vous a fait une commande nouvelle, avec des instruments qui nont pas changé. Et donc, entre les deux, vous êtes, vous, un acteur ou des actrices, qui allez adaptez les cas entre la nouvelle commande et les instruments anciens. Finalement, vous allez interpréter la règle, interpréter la partition en essayant de la rendre la plus compatible avec les instruments disponibles. Cest ça, grosso modo, ce que vous dîtes.
On retrouve cela dans toutes les organisations. Cest-à-dire que bien souvent, en bout de ligne, il y a ceux qui ont commandé, et puis il y a celui qui est en situation, qui va adapter et créer une réponse singulière, particulière pour untel. Dailleurs, vous le disiez : chaque situation est particulière, vous ne pourrez pas la reproduire. Vous êtes en train de dire que vous êtes dans du tellement singulier que cest très inquiétant ! Parce que finalement, on a limpression quon est dans le cadre, mais que dune certaine façon, on nest plus dans la règle, donc quon sort de ce que font les autres. Cest très ambigu comme position et cest vrai que cest insécurisant. Je pense que ça, dun point de vue du vécu de lenseignant, cest un sentiment dinsécurité et de fragilisation, même de risque, parce quà la limite, si vous ne respectez pas les règles, on peut vous sanctionner. Donc, on retrouve ça dans toutes les organisations. Les innovateurs sont ceux qui vont plus loin que ce décrit la règle. Tant que ça arrange lorganisation, elle ne voit pas. Et si ça dérange : « bing », ça tombe ! Vous voyez ce que je veux dire ? Ou je vais suffisamment loin, ou je ne vais pas trop loin. Et donc vous demandez finalement de façon informelle : « mais y a-t-il un pilote dans lavion ? » Et deuxièmement, où est-ce que vous parlez de ça entre vous ? Puisque finalement, jappellerais presque ça de la prise de risque. Vous voyez ce que je veux dire ?
(
)
- A.M. : Mais cest le propre des idées nouvelles et de lévolution dune structure que de commencer à exister de façon informelle, avant de prendre une nouvelle place. A mon avis, vous êtes dans un temps de mutation entre le modèle ancien et le nouveau. Vous êtes en train de quitter la tradition musicale, jai envie de dire, pour aller vers quelque chose dun peu plus
Maintenant le modèle est à créer, cest très inquiétant aussi. Donc vous êtes en train de « booster » la tradition.
- La tradition de lenseignement, parce que la tradition musicale restera.
- Non, pas complètement, parce quil y a aussi limage du musicien qui est en train de bouger, avec les musiques actuelles et traditionnelles qui entrent dans les écoles de musique. Cela bouge limage de linstrumentiste et du musicien. (
) Il y a un changement de ce quest que le musicien, de ce quest que le rapport à linstrument, qui se fait quand ces musiques-là arrivent dans les écoles. Et elles sont en train darriver dans les écoles, et cela va faire un bouleversement beaucoup plus profond que ce que lon imagine actuellement. Parce que nous sommes complètement remis en cause.
(
)
- A.M. : Alors peut-être aussi quon a des représentations du changement qui ne sont pas tout à fait au clair. Cest à dire que lon aimerait que les choses changent à la vitesse de nos envies, de nos représentations ou de nos besoins. Or les changements dans les organisations se passent sur dix, quinze, vingt ans ! Donc la vitesse à laquelle ça va, ce nest pas à vitesse humaine, cest à vitesse institutionnelle !
- En plus, au-delà de ça, il y a vraiment des compétences nouvelles qui sont apparues pour les profs maintenant. Pour moi, un truc concret, ce sont les musiciens du secteur « classique » du CNSM que tu vois jouer maintenant dans les groupes de musique actuelle. Il y a dix ans encore cétait impossible ! Dans le schéma, cétait inimaginable ! Maintenant cest ça. Ca veut dire aussi que pour les profs de classique maintenant en école de musique, ça devient quand même à peu près vital de savoir lire une grille. Il y a des compétences maintenant minimum quon ne demandait pas. Donc il y a aussi ça : cest assez douloureux pour les profs qui ne sont pas passés par-là.
- Moi, je crois quil faut aussi être lucide. On sait déjà le temps que ça prend dacquérir le niveau quon nous demande pour pouvoir enseigner dans une école et pour obtenir les diplômes quon a. Cela demande tout de même une pratique musicale, à moins dêtre surdoué, rien que dans le domaine précis qui nous intéresse. Nous avons quand même tous passé des heures et des heures sur notre instrument !
- Je ne parle pas davoir des connaissances supers en tout.
- Je crois quil y peut-être aussi une croyance que le fait davoir des connaissances un peu plus générales se fait au détriment dune spécialité. Moi, pour avoir justement au Cefedem côtoyé des nouvelles connaissances par rapport à dautres esthétiques, ça a bien plus enrichi ma pratique classique que si je ne lavais pas fait du tout, ou alors que si javais passé le même temps à travailler mon instrument Cest peut-être personnel mais je crois quil y a une espèce de « croyance » à ce niveau-là.
- A.M. : Oui, lopposition entre le spécialiste et le généraliste.
- Je pense quil y a aussi une question de gestion du temps. Ce nest pas toujours possible au quotidien de tout faire.
- Cest beaucoup une question de représentation de limage de soi quon a en tant que musicien aussi. Est-ce quon se vit en tant quinstrumentiste spécialisé, ou est-ce quon se vit dabord en tant que musicien ? Ce nest pas tout à fait la même chose. Ca a lair dêtre très très énorme, mais ce nest pas la même chose. Et suivant ce quon se choisit comme représentation
(
)
Je dis que ça fait partie de la douleur du débat actuel, et que chaque fois que je touche quelque chose de paradoxal dans ce que je vis dans mon enseignement, je retourne sur ce dilemme-là. Est-ce que les personnes sont venues écouter mes élèves dans le jury en tant quélèves instrumentistes avec des compétences instrumentales, ou est-ce quils sont venus les écouter en tant que musiciens ? Est-ce quils ont écouté leur phrasé ou leur technicité ? Et suivant là où les gens se sont positionnés et là où je me suis positionnée pour les faire travailler, nous sommes en conflit ou pas. Et ce conflit-là existe de façon très forte. Le Cefedem a opté très franchement pour musicien généraliste, et la formation ancienne avait opté très franchement - les conservatoires sont entièrement dedans-, pour spécialiste instrumentiste. Et nous sommes au cur de ce conflit-là. Mais plus on en a conscience et plus cest facile à gérer quand même.
- A.M. : Finalement vous dîtes : ce qui compte nest pas tant ce que lon fait à côté ou en plus. Madame évoque lidée du temps, du manque de temps pour faire un tas dautres choses. Ce nest pas tant la quantité de ce qui est fait ou de louverture que lon a sur dautres types de musiques, quune question de positionnement, de regard sur soi-même. Quelle idée je me fais de moi en tant que prof de musique ? Est-ce que je suis un des moyens qui sont mis à la disposition dune école ? Et comment va-t-on faire ensemble ? Ou bien est-ce que je vais mettre en scène mon statut, ma capacité à transmettre et finalement la performance, que vous disiez tout à lheure, à lexamen de mon « petit chéri », ou de celui qui porte finalement de façon indirecte mon image, est vecteur de mon Moi, de ma réussite à travers lui. Donc, est-ce quil sagit de mettre en scène sa réussite à travers celle de lélève ? Quelle position ai-je, quel est mon désir par rapport à cet élève, et donc quelle distance faut-il apprendre à regarder ? Quelle image ai-je de moi dans lécole, par rapport à mes collègues ? Je pense aussi que comme vous nêtes pas reconnus, puisque vous êtes seuls et voulez défendre une certaine autonomie, il faut tout de même que cette reconnaissance fonctionne. Donc nétant pas officielle, vous linstituez de façon informelle en terme de registre de compétition informelle ou de taux de réussite à lexamen etc. Tous les groupes fonctionnent comme ça. Si vous nêtes pas reconnu par linstitution, vous créez vos propres critères de reconnaissance, qui vont être informels. Mais ils vont fonctionner, ils vont organiser de façon informelle vos relations avec vos collègues, les dispositifs et les stratégies que vous allez mettre en place, pour tirer de toute façon une évaluation concernant votre performance et non pas celle de lélève ; celle de lélève nétant que le prétexte ou le miroir de la vôtre. Il faut aux stratégies dévaluation de votre travail qui vont vous permettre de vous dégager de cette auto-évaluation que vous évoquiez chez lélève. « Il faut que lélève soit capable de sauto-évaluer. » Jentendais moi : « Il faut que je sois capable de mauto-évaluer en tant quenseignant». En fin de compte, cest un système un peu fou, puisquon ne peut pas être juge et partie. Il y a un moment où on peut évaluer des choses, mais il y a un moment où on ne peut pas. Au-delà dun certain nombre de critères, heureusement que cest le groupe qui va me le dire ! Vous comprenez ce que je veux dire ? Donc ce nest pas de lauto-engendrement ! Cest un engendrement avec un partenaire, qui est le restant du collectif, mes collègues. Il y a peut-être aussi pénurie dans vos critères dévaluation, qui fait que vous êtes dans des logiques de survie au niveau de votre reconnaissance, ce qui engage nécessairement des comportements limites. Vous évoquiez le narcissisme, oui, mais quaviez-vous comme alternative ? Quest-ce quon a comme autre alternative, puisque le modèle nexiste pas ? La question de lévaluation de votre travail, mais partagée avec les autres, mise en place avec vos collègues, va dégager ce poids qui pèse dans votre relation pédagogique à lélève. Moi, je pense quil y a des choses de cet ordre qui tournent dans votre questionnement.
INTERVENTION SUR LE TEMPS DE LEDUCATION ET
LEDUCATION AU TEMPS
Par Alain MATOUG, sociologue et formateur dans le domaine social
Introduction
Pendant plusieurs années, jai été éducateur et jai travaillé avec des enfants qui souffraient de trisomie mais aussi avec des cas sociaux, des polyhandicapés. Jai rencontré beaucoup de profils de gens qui avaient besoin daide. Il y a une constante qui ma frappé très rapidement, cest que derrière toute cette aide, il y en avait une qui était incontournable, que ce soit pour le cas social, le polyhandicapé, cest la problématique du rapport au temps. Ce qui explique que pendant plusieurs années, je me suis posé la question de ce quest ce rapport au temps, comment ça marche, comment mettre les mots, comment transmettre cette réalité du rapport au temps.
Très vite, je me suis rendu compte, cest ce que je dis souvent, de "notre aquarium". Si nous étions des poissons, le temps serait notre eau. Je ne vois pas comment dun côté, cest lenvironnement constant de la totalité de nos réalités et de lautre, on en parle pas. Cest une matière qui est peu énoncée, y compris dans les formations, que ce soit dans le secteur social ou dans la musique. La notion de temps est une notion extrêmement volatile sur laquelle finalement peu de gens ont pris le temps de sarrêter. Il faut savoir que cest une matière difficile. Mais il commence à y avoir pas mal de gens qui se focalisent dessus. Depuis 10 ans, il existe des publications qui sont intéressantes. Je vous ferai passer une bibliographie, sachant que je vous conseillerai plutôt des livres "lisibles", car tout ne lest pas forcément.
Voici le plan de travail que je me suis donné en fin de compte pour lintervention de ce matin.
linstant et linstinct
Lespace et lespèce
Laffranchissement de linstant
La conquête de linvisible
Linstant et linstinct
Je suis parti de la notion dinstinct parce que très rapidement je me suis rendu compte que la différence entre lhomme et lanimal, cest le rapport au temps. Et nous allons voir comment. Je suis parti de lanimalité. Quest-ce qui spécifie lanimalité dans son rapport au temps ? On se rend très vite compte que lanimal a une compétence particulière qui sappelle linstinct, ou les instincts. On peut dire que linstinct ou les instincts sont un ensemble de compétences biologiques qui lui permettent de traiter avec linstant. Ca cest nouveau. Cest-à-dire que je ne lai pas trouvé dans la littérature dauteurs qui disent que linstinct permet de traiter avec lunité de temps qui est linstant. Linstinct de fuite, si je vois un prédateur, je suis en danger, je fuis. Cela se joue sur lunité de temps qui est linstant. Les liens sont très forts entre la notion dinstinct et celle de compétences à traiter avec linstant.
Mais cela ne suffit pas. Il faut se poser la question de ce quest linstant. Là, on commence à rentrer dans un problème plus difficile. Ce problème ma été très difficile à résoudre pendant longtemps et un jour je suis tombé sur un auteur qui a dit
. « lespace est du présent visible » ; pour notre propos nous avons ajusté cette proposition en définissant « le présent comme lespace visible ». Ainsi lanimal traite les conjonctures du présent selon ses compétences sensorielles spécifiques.
Jessaie de vous faire comprendre que la logique animale traite pour lessentiel avec les injonctions perçues dans lespace visible. Le poisson rouge ne traite pas le même espace que laigrette. Ils ne sont pas sensoriellement disposés à être réactifs aux mêmes informations sensorielles. Donc les compétences animales, par linstinct seraient de traiter immédiatement les informations fournies par lenvironnement perçu.
A propos du mot "visible", nous sommes daccord que le fauve ou le chien peuvent percevoir une odeur apportée par le vent à plusieurs kilomètres de distance. Pour lil, ce fait nest pas visible, mais sensoriellement, cest visible. Le mot visible a ici un sens élargi. Que ce soit visible par lodorat ou par la vue, de toute façon, cest de linformation immédiate, la compétence de linstinct, cest de prédisposer les animaux à traiter avec lespace visible, avec lurgence sensorielle. Ce qui compte, cest surtout que vous aillez bien conscience que par exemple, si vous dites à un chien : « debout, coucher ! », vous ne lui dites pas « tu iras te coucher, tout à lheure. »
Nous avons complètement acquis lidée que lanimal va réagir tout de suite et ne peut que réagir en temps réel. Quand vous voyez un oiseau senvoler, vous cherchez autour sil ny a pas un danger pour lui, un chat par exemple. Car, sil vient de senvoler, cest quil réagit à quelque chose qui vient de lenvironnement immédiat. Il ne senvole pas parce que, tout à lheure, un chat risque de venir
Cet exemple doit vous faire sentir que lanimal est assigné, asservi à linstant. Il na pas dautre dimension à traiter que dans lespace visible. Il est incompétent à traiter dans la durée.
Jexagère, parce que finalement, il y a bien eu une évolution entre lanimal qui nétait que dans linstant pour arriver à lhomme qui est dans la durée. Donc, il y a eu dans les espèces une évolution qui a permis quà un certain point, et cest comme ça que les auteurs le disent, lanimal soit desserti de cette dictature de linstant. Linstinct a pris du jeu ! Alors où est-ce que lon voit ce jeu ? Par exemple dans les réflexes conditionnés. Si lon a habitué un chien à avoir de la nourriture en même temps que de la lumière, quand on ne lui met que la lumière, il va se mettre à saliver. Il y a bien quelque chose de lordre de lanticipation. Celle-ci a été explorée par exemple, quand on cache un aliment dans une boîte et que lon montre à lanimal quelle est dans celle-ci et pas dans lautre à côté. Quon mette lanimal en face immédiatement ou quon le lâche au bout dun certain temps, on voit que certains animaux, au bout de trois à quatre secondes, ont perdu linformation et vont chercher au hasard alors que dautres pourront aller très loin : peut-être connaissez-vous le chimpanzé Kanzi. Elle a des compétences particulières : on dit à Kanzi, au téléphone : « Je tamènerai un ballon demain. » Le lendemain, lorsque la personne arrive, Kanzi demande le ballon en langage des signes et aussi à laide de tout un système de signaux électroniques. Elle veut le ballon ! Quand on sait à quel point lanimal était asservi à la logique de linstant, ce passage vers la durée, vers la capacité à garder en mémoire linformation et à réclamer à terme un certain nombre de choses est particulièrement remarquable. Et le passage de lanimal à lhomme, cest cette capacité danticipation.
Si lon rentre maintenant dans la problématique de lanticipation, on peut se demander comment sest mise en place cette capacité. En regardant les félins, par exemple, on se rend compte que finalement un des éléments majeurs des grands prédateurs, cest ce que je considère personnellement comme la brique fondamentale, ce que jappelle, "la capacité à attendre". Lanimal a faim, il a ciblé une proie à proximité. Il se produit chez lui des mécanismes dinhibition qui lui permettent dattendre. Et cette capacité à attendre, cest le fondement de lhumanité. Cest le passage extrêmement étroit de lanimal à lhomme. Par cette toute petite potentialité à attendre avec comme résultat immédiat, la satisfaction alimentaire qui est un besoin primaire, il aura fallu des dizaines et des dizaines de générations, dAustralopithèques, de Néandertaliens puis Homo Sapiens pour arriver à ce que jappelle "la conquête de linvisible". Pourquoi ?
La conquête de linvisible
Nous avons vu tout à lheure que nous fonctionnons à niveau sensoriel comme les animaux. Nous traitons de lespace visible. Mais, si je prends cette chaise, que je la mette dehors et que je referme la porte, sensoriellement, cette chaise naurait plus dexistence. Pourtant elle continue à avoir une existence parce que nous la poursuivons mentalement dans linvisible ; puisque ce nest plus sensoriel, cest donc invisible. Invisible na pas ici un sens ésotérique, magique ou religieux mais plutôt le sens de non perceptible, défiant la perception. Lhomme a été à la conquête de linvisible puisquil a dû apprendre à traiter progressivement avec des indications informationnelles qui navaient rien à voir avec sa perception. Donc la question nest plus : « Je vois un bison, on va le capturer» mais « Il va y avoir des bisons, et on va les capturer».
Cest laccès à la pensée symbolique, la capacité à poursuivre lobjet bien que sensoriellement, il nait plus dexistence. On retrouve chez le très jeune enfant ce stade de la pensée symbolique.
Là, on touche à des choses très importantes puisque cela suppose la capacité à attendre. Et plus lenfant va élaborer cette capacité à attendre, plus il va pouvoir se projeter. Autrement, je ne peux pas avoir de projet, je ne peux pas attendre un résultat. Ou bien je le veux tout de suite et lon sait comment les enfants sont dit capricieux
En fait ils ne sont pas capricieux, ils ont une capacité à attendre qui est à un niveau très élémentaire, qui est en cours délaboration. On ne se rend pas bien compte mais souvent léducation consiste à apprendre à attendre.
Et là, ça renvoie à certains élèves qui ont un problème, qui semblent immatures dans leur capacité à différer, à attendre. Et donc, la question est : comment peut-on acquérir la capacité à attendre ? Et là, on rejoint un peu les recherches en ethnologie qui tentent de comprendre comment les choses se sont mises en place. Et on se rend compte que, par exemple dans les tribus primitives, la notion dindividualité nexiste pas. Se distinguer, cest prendre le risque dêtre exclu. Le groupe primitif na pas besoin dindividualité. Il a besoin au contraire dun conformisme exacerbé. Actuellement, dans certains groupes extrémistes, le conformisme est même physique, par exemple, tous barbus... Ce déni montre combien le groupe écrase lindividualité. La question nest pas de savoir si une femme est une femme, elle doit seulement être voilée. La question nest pas de savoir qui elle est. Elle doit seulement être conforme au modèle. Les objectifs prioritaires ne sont pas les valeurs individuelles.
Les hommes primitifs étaient très peu aptes dans la capacité à attendre puisquau départ, ils étaient aussi des apprenants. Quand je parle de la conquête de linvisible, ça renvoie aux fantômes, aux esprits, à cette représentation de ce qui se passe à travers la nuit, et la mort
Linvisible était vraiment une dimension réelle avec laquelle il fallait traiter. Pour expliquer que lindividualité avait moins dimportance, il faut comprendre que la vie primitive était exposée à des degrés dincertitudes extrêmement forts, à des niveaux dangoisses extrêmement importants qui faisaient que tout changement était vécu comme dangereux. Cest pour cela quil existait des rites. Il ne fallait pas faire ceci, pas marcher là
bien effacer ses empreintes quand on avait été à tel endroit. Il y avait des rites extrêmement durs et sévères pour justement éviter de toucher à lordre des choses. Il fallait que ce que lon savait soit prévisible. Or comme on avait peu de ressources et que langoisse était facilement évocable, le groupe était par conséquent très tyrannique vis-à-vis des comportements singuliers.
Ne retrouve-t-on pas ce comportement à ladolescence ?
Bien sûr, ladolescence nest pas que laccès à la sexualité. Cest aussi le moment où la maturation du rapport au temps sélabore. Elle arrive un peu à terme et continue de se consolider mais laccès au temps devrait arrivé aussi à maturité à ladolescence. Or il semble, quactuellement, il y ait une grosse perturbation
Le groupe sert de sécurisation ?
Le groupe demande des comportements prévisibles. Pourquoi ? Parce que le fondement de toute société, cest de rendre lenvironnement prévisible. La culture est bâtie sur ce que jappellerais un ordre des prévisions. On parle aussi denseignement traditionnel. Les enseignants ont intériorisé la norme des prévisions, un modèle prévisionnel auquel ils ne peuvent pas renoncer sinon en perdant toute sécurité. Plus lenvironnement est prévisible, plus je suis rassuré ! Si je suis assuré de ma paye à la fin du mois, je suis plus tranquille
Si en plus, jai une rente, je vais être extrêmement tranquille
Mais linverse est aussi vrai. Si je suis au chômage, ma visibilité, mon horizon temporel sont limités. Il va y avoir une montée de langoisse.
Lhomme est un animal anticipateur. Il na plus le choix ! Cest à un tel point que quand il regarde lanimal, il ne le comprend souvent pas. Lanimal vit dans linstant. Or nous ne savons plus retourner dans linstant. Pour nous, chaque instant est consigné entre ce qui va arriver et ce qui est arrivé. Nous avons du mal à penser ce quest la vie dans linstant. Cest le même problème auquel nous sommes confrontés devant certaines pathologies. Par exemple, lautisme. On peut dire que lautiste est quelquun qui possède les organes mais dont il manquerait lhorlogerie. Il vit dans linstant sensoriel. Il reçoit des informations mais elles ne sont pas configurées dans leur signification par lavant et laprès. Doù notre difficulté à les comprendre. Doù langoisse que cela peut provoquer de dialoguer avec quelquun qui nest pas dans la durée.
La mémoire introduit des catégories à lintérieur desquelles nous rentrons les choses, elle sinscrivent dans la durée et la répétition. Grosso modo, il existe toujours un fond de choses que nous avons repérées comme étant constantes, comme répétitives ; quand il arrive un événement inhabituel parmi toutes ces répétitions, on le repère tout de suite. Si le trajet que vous faites toutes les semaines pour aller au boulot est modifié par des travaux, tout de suite vous le remarquez. Alors que si vous ne connaissez pas le lieu, il ny a pas de changement particulier
Chez lautiste, on est dans le cas de figure où chaque instant est nouveau ; celui-ci naccumule pas un fond dexpérience et de fait, il ne peut se référer à rien. Ces personnes ont des comportements imprévisibles
Pour nous, elles deviennent imprévisibles. Cest la différence entre le sage et le fou. Le fou est imprévisible et nous inquiète. Le sage accroît nos prévisions et nous rassure. Entre les deux, il y a toutes les configurations de personnalités possibles
Souvent quand on interroge les gens, on voit vite lécart entre ce quelles ont lintention de faire et ce quelles réalisent ; elles ne sont pas gestionnaires de leur temps, ni des ressources à mettre en place.. . Il y aurait une incompétence temporelle à être gestionnaire de ce temps qui nous permet de faire aboutir nos projets.
Je voulais juste vous faire voir le passage de lanimalité à lhomme en mettant en évidence limportance de la capacité à attendre. On peut dire quune société, par léducation, transmet à ses enfants cette aptitude à attendre. Mais quest-ce que cette aptitude à attendre exactement ? Cest ce que lon retrouve dans ce quon appelle les règles. Sur ce point, je suis en désaccord avec quelques psychologues, je ne trouve pas que les problèmes avec les règles doivent obligatoirement supposer des problèmes avec la Loi. Il faut au contraire bien faire la différence. La loi, cest par exemple linterdit de linceste, cest un interdit permanent. Cest quelque chose de fondamental dans lorganisation dune société. Alors que la règle est différente. Cest un interdit momentané. Par exemple pour lheure du repas, on ne dit pas "Non, tu ne manges pas maintenant". Mais plutôt "Oui, tu vas manger tout à lheure". Pour moi, une règle ne dit pas non : elle dit « oui tout à lheure ». Elle institue lattente mais aussi la fin de cette attente. Un des grands problèmes dans léducation de nos enfants réside dans le fait que nous leur disons trop souvent non, sans pour autant leur dire quand le non va cesser ! on insiste beaucoup sur le non privatif alors que finalement cest un oui de satisfaction, mais différé. Bien souvent, il faut dire non, mais aussi quand va cesser lattente. Alors, évidemment, cest plus compliqué pour les adultes, parce que si ils disent quand va cesser lattente, cest quils prennent date et quils simposent à eux-mêmes une limite. Ils perdent un peu de leur pouvoir
Il faut donc bien comprendre lécart qui existe entre une loi et une règle. La loi est un interdit permanent. La règle est un "oui tout à lheure". Et, lorsque quon ne donne pas de limite à lattente, on peut dire que lon est dans une forme de violence symbolique. On est dans la toute puissance puisquon assigne lautre, on le rend totalement dépendant de notre bon vouloir
Alors quel lien pouvez-vous faire dans votre pratique ? Jai envie de dire que ça pourrait être intéressant pour vous, darriver à prévoir ce qui va se passer avec le jeune et que vous puissiez lui dire « la semaine prochaine, on fera ci, on fera ça », de manière à ce que dans sa tête, il sorganise et construise son rapport au temps. Il faut prendre conscience que les jeunes sont en formation de leur rapport au temps. Vous devez les soutenir
Vous pouvez aussi les questionner pour voir comment ils se projettent. Et bien souvent, vous verrez quils ne se projettent pas !
Ce quil faut voir aussi, cest que les règles évoluent. Elles sont un artefact culturel. Quand vous dites « il y a cours à 18h », la part darbitraire est très importante alors que souvent, par erreur, on associe règle et vérité. Une règle est un arbitraire. Nous nous sommes mis daccord pour que les cours aient lieu à 18h et ça devient la règle. Mais cela aurait pu être 17h
Un autre exemple : on ne regardera pas la télé après 22h mais cela aurait pu être 22h30. Et deux ans après, cela sera 22h30
Une règle évolue alors que souvent, les lois non.
Tu ne tueras pas
tu ne mentiras pas. Pourquoi ? Cest plus une loi quune règle ? Fondamentalement, quand quelquun ment, les informations à partir desquelles vous allez travailler sont fausses et vos projets qui sappuient dessus vont être erronés. Cest donc une atteinte aux besoins de prévisions, aux stratégies danticipation que vous avez mis en place. Transgresser les lois, cest porter atteinte aux stratégies danticipation qui sont fondamentales au fonctionnement des sociétés. Dire la vérité, cest permettre à lautre de sappuyer sur des informations fondées qui lui permettent de consolider ses projets. Mentir, cest fragiliser ses projets. Cest un délit datteinte à la prévision.
Lidée que lhomme est un animal anticipateur est fondamentale pour moi. Plus un individu va aller bien, plus il va vous demander ce que vous faites demain
et, sil va mal, moins il vous le demandera et plus il va avoir du mal à sorganiser. Dans le milieu social, vous prenez un rendez-vous pour une jeune chez le médecin trois jours à lavance. Si vous ne lui rappelez pas le matin même, elle nira pas. Parce que trois jours dans sa logique de projection constituent une durée mal gérée.
Il y a des expériences qui ont été faites dans les milieux sociaux et culturellement défavorisés. On proposait à la fin dun jeu de payer les jeunes de façon différée dans les jours qui venaient. Dans les milieux défavorisés, les jeunes préféraient être payés tout de suite, parce que demain nétait pas sûr
Il y a un rapport au temps qui sélabore ou pas, une valeur de la durée qui sélabore ou pas selon léducation.
La façon dont la famille va élaborer ses propres prévisions va avoir une incidence sur la façon dont lenfant va construire les siennes.
Et une personne qui change souvent davis ?
- Lorsquune personne change davis souvent, cela ne veut pas dire quelle narrive pas à sinscrire dans le temps. On peut même imaginer linverse, que cette personne tienne particulièrement compte de lévolution des informations
Il faut prendre en compte dautres indicateurs
Est-ce que cette incapacité à gérer le temps est au départ affective ou matérielle ?
- Globalement, les parents ont un rôle de par-excitation, décran contre lexcitation venant de lincertitude. Les parents ont à charge dabsorber les incertitudes de lenvironnement pour le rendre prévisible : « Ca ce nest pas grave ; tiens, on va aller là
». Vous comprenez bien que pour un très jeune enfant, nous sommes des géants de lanticipation. Prendre le bus, aller chez une personne
cest magique. Il ny a pas de mode demploi et vous ne vous trompez pas ! Vous êtes des Dieux du temps ! Et lenfant est complètement dépendant de la capacité que vous avez de prévoir pour lui. Or son sentiment affectif dêtre protégé, cest davoir peu dincertitude à affronter parce que les parents sen chargent. Or, un des problèmes avec certains enfants, cest justement que ce par-excitation quaurait dû jouer la famille ne va pas fonctionner, la famille étant elle-même trop exposée. Quand vous êtes au chômage, que vous navez pas de logement
On est dans le temps comme on nous a mis dans le temps
et on peut dire quaujourdhui, il y a beaucoup dadolescents qui ne vont pas bien sur ce plan.
Dune manière plus fonctionnelle, il faut savoir que le temps est une matière volatile qui sélabore relativement tardivement. Et qui se perd très tôt. Grosso modo, on est mature dans son rapport au temps vers 12-13 ans, on apprend lheure vers 7-8 ans. Vers 13-14 ans, on arrive à circuler dans le temps.
Cest le carrefour avec la maturation sexuelle qui pour moi renvoie aussi à une forme de prévision biologique, sachant que la maturité sociale renvoie aux prévisions sociales. Notre héritage en terme de prévision biologique à nous reproduire, en tant quorganisme, croise notre capacité sociale à reproduire lorganisme social et être compatible avec les prévisions de la société. Une cabine de téléphone, cest fait pour téléphoner, pas pour casser
La société met en place des cabines pour que les gens puissent communiquer et pas pour les empêcher de communiquer. Cest une atteinte aux prévisions sociales. On enferme des gens parce quils portent atteinte aux prévisions sociales. Si je vole une voiture, je porte atteinte aux prévisions de celui auquel appartenait cette voiture.
Lhomme en tant quanimal anticipateur devient donc mature à ladolescence. Enfin, on lespère.
La crise des prévisions
Un des problèmes que lon peut constater, cest une crise des prévisions. Par exemple, à laprès-guerre, les parents qui avaient vécu une période historiquement très frustrante se sont dit : « Nous, nos enfants, on va tout leur donner, ils ne seront privés de rien ». Dune certaine façon, on a habitué les gens à vivre dans la satisfaction immédiate. On sest montrés incapables de leur dire non. Or le non, cest ce qui permet délaborer la capacité à attendre. Donc, on a créé une génération dadultes impatients
Il suffit de discuter deux minutes avec une caissière pour sen apercevoir
Il leur arrive dêtre agressées.
Une seconde dimension peut avoir renforcé notre incapacité à attendre. Cest le crédit à la consommation. Il a institué en effet lincapacité à attendre. Il ny a plus besoin dattendre, je signe des chèques sans avoir les moyens de payer.
On peut aussi identifier une troisième source deffondrement de laptitude à attendre : la crise économique a joué un rôle important. Lhorizon temporelle de lEtat et des entreprises sest effondré ; personne ne savait ce qui allait arrivé dans les années à venir. Les projections politiques et économiques aujourdhui pilotent à vue sur 6 mois. La précarisation naide pas à la projection. La société elle-même est dans un effondrement de ses projections.
Nous pouvons donc dire quil y a une crise des prévisions dans léducation des enfants, dans les compétences à attendre des adultes et dans la crise temporelle des sociétés. Il y a une crise du temps ! Tout ces facteurs font quactuellement, nous sommes tous dans une logique de lurgence. Il ny a plus quune manière de traiter linfo, cest dans lurgence. Peu de gens sont encore capable de différer. Dire non, cest presque passer pour un tyran, ce nest plus admissible.
Nous sommes dans une société hédoniste. Puisquon peut satisfaire nos besoins tout de suite, pourquoi attendre ? On est à lexact opposé de la démarche qui a bâti le passage de lhomme vers lhumanitude. On est dans une logique où la capacité à attendre est presque disqualifiée. Dailleurs, pour un commercial, le client na pas dincapacité à attendre. Il est simplement exigeant. Il existe maintenant des plateaux téléphoniques. Vous pouvez commander votre maillot de bain 24h/24. Il y aura quelquun qui ne dormira pas afin de vous répondre en pleine nuit. On est dans une mise en scène du client qui na plus à attendre. On est dans une incompétence structurelle. Pour les adultes aussi bien que les adolescents, lordre du temps seffondre. Il y a donc une montée de langoisse et même de la violence. Puisque la violence, cest le passage à lacte, immédiat, de quelquun qui traite une information dans lespace visible. Tout cela nous montre que nous ne sommes plus capables de différer et que nous devons tout traiter en temps réel.
On se confronte ici à beaucoup de problèmes. Vous comprenez bien que ce nest pas en envoyant les parents discuter avec un psy ou un juge quon va refaire leur autorité puisquil y aune crise de toutes les autorités
Si vous sentez une crise de lenseignant, rendez-vous compte que vous nêtes pas dans un vide social et historique mais dans un tout qui est fragilisé. De nos jours, le policier est un éducateur, le juge est un psychologue, il y a un brouillage des compétences où chacun cherche à tout faire. Tout le monde devient porteur de tout parce que finalement, on ne sait pas par quel bout rattraper laffaire.
Cest pour cette raison que jai essayer de dégager cette problématique du rapport au temps qui nest enseigné nul part. Le temps nest pas conçu aujourdhui comme la matrice de quelque chose qui va plus loin que les apparences.
Jimagine que vous êtes souvent confrontés à des individus qui ne se projettent plus
Et je conçois la difficulté que vous devez avoir aussi. Si on se pose la question de fond, vous voyez que la solution nest pas non plus que de votre ressort
Quand vous dites « pour la semaine prochaine,
», vous attendez une compétence, mais êtes-vous sûr que lélève la détient ?
Alors comment soutenir cette élaboration ? Parfois contre vent et marées. Vous êtes là avec votre petite écuelle à écoper le navire alors que par ailleurs
la société le rempli par vagues entières !
Je pense quil faut aussi expliquer aux gens ce quest une règle et à quoi elle sert. Si cest une règle pour une règle
Mais quand on comprend que ça aide lautre à attendre, ce nest plus pareil. Ce nest pas le priver, cest lui apprendre à vivre une situation privative mais qui fera de lui demain, un humain au sens fort du mot.
Bibliographie proposée :
- AMADO E. et LEVY-VALENSI, Trois Visions du Temps, Centurion Mars, 1993.
- BOUTINET J.-P., Limmaturité de la vie adulte, PUF, 1998.
- LE BRETON D., Passion du risque, Paris Matailié,1995.
- LIPOVETSKY G., L'Ere du Vide, Folio, Essais, n°121.
- PIAGET J., Le jugement morale chez lenfant, PUF, 1985.
DEBAT A LA SUITE DE LINTERVENTION SUR LE TEMPS DE LEDUCATION ET LEDUCATION AU TEMPS
Animé par Alain MATOUG
Cest vrai que les gens nattendent plus beaucoup avant dacheter des choses. Il faudrait peut-être leur montrer que lattente peut aussi être une source de jouissance. Quand les enfants viennent faire les courses, ils veulent acheter quelque chose systématiquement. Personnellement, jai institué un système de bonus. Quand à la maison, il a effectué telle tâche, il a son bonus et pourra avoir ce quil avait souhaité. Je trouve que ce simple système a permis darranger les choses en peu de temps.
A.M. Vous avez établi un cadre qui ne repose pas sur votre arbitraire. Bien sûr, on ne peu pas rediscuter tout le temps de ce cadre si on sest mis daccord
Dans lécole, il y a le même problème. Si chacun a son cadre, on ne peut pas continuer durablement comme ça. Ca pose la question de la mise en commun dun champ dans lequel on va pouvoir parler, se déterminer et se mettre daccord sur un consensus. Jai limpression que dans les écoles de musique, vous êtes dans une période de transition entre le modèle traditionnel et quelque chose qui est en train de naître et ça doit être difficile à gérer, surtout tout seul.
Cest sûr quon est parfois surpris de voir des élèves qui ont oublié de venir au spectacle !
Alors quon leur a donné les dates quinze fois dans lannée. On a parfois limpression quils ne savent plus où ils en sont.
A.M. Cest symptomatique dun temps qui ne sélabore pas. Pour moi, cette crise du temps dépasse votre propre responsabilité. Il y a un effondrement de ces compétences. On ne prévoit plus, on ne sait plus
En plus, entre vous, vous ne communiquez pas forcément vos modèles, alors vous êtes un peu dans une logique de survie. Chacun construit un peu sa bulle qui lui permet de passer au mieux le déséquilibre de la structure. Il faut savoir que cette question de lindividualité est terrible. On est dans des logiques où lindividu a été mis en valeur. Chacun est unique
Si bien quon finit par se retrouver seul. On devient de moins en moins compatible avec lautre et dune certaine façon, de moins en moins durable
Il faut savoir quon nest pas passé dun coup dun groupe tyrannique qui cassait toute individualité à la promotion exaltée de lindividualisme. Au XIX° siècle par exemple, avec lère industrielle, il était indispensable que les personnes soient mobiles dans lindustrie et par conséquent, lindividualité a été une nécessité économique.
Mais du coût, la détresse des gens est grande aujourdhui
A.M. Absolument, la détresse est énorme. On a tellement dévalué le groupe
Il y a un livre de Lipovetsky Gilles intitulé « lair du vide » qui pose bien cette question.
Il existe une crise du temps mais je voudrais montrer quil y a en parallèle, une crise de lengagement. On la retrouve par exemple dans la crise des vocations dans les églises
mais cest pareil dans les syndicats et les partis politiques. Regardez aux dernières élections, labsentéisme a été maximum et navait pas cessé de monter les années précédentes. Il y a un désengagement. Pour moi, ce désengagement est un symptôme de la chute des compétences à se projeter. Jai été amené lors de mes études à luniversité de Rouen à faire une enquête. Mon idée était de montrer comment le temps influence lengagement. Javais lu dans un compte-rendu de recherche que dans les années 35-36, une usine avait été fermée. Or celle-ci employait une très grande partie des habitants de la ville qui se sont ainsi retrouvés au chômage. Dans cette enquête, le chercheur avait observé que dans la bibliothèque de la ville, le nombre de prêts de livre avait chuté de 45% en trois ans. Or, emprunter un livre est un acte qui se fait bien souvent indépendamment de son travail. On peut penser que si on aime lire, quand on est au chômage, on aura plus de temps pour lire. Augmenter le temps libre devrait accroître les activités en tant que loisirs. Mais on peut dire aussi que comme ils étaient chômeurs, ils étaient inquiets. Il y a donc plusieurs critères qui entrent en jeu. Par exemple que la bibliothèque était payante, or dans ce cas précis, la bibliothèque était gratuite pour les chômeurs. Lengagement consistait à prendre un livre et le rendre. La question était de comprendre pourquoi le chômage faisait que les personnes ne pouvaient plus sengager dans le simple fait de prendre un livre et de le rendre. Cela peut paraître simple, mais cest un engagement à part entière. Mon hypothèse était que le temps est quelque chose de très fragile; le fait de travailler dans une entreprise consoliderait la notion de temps. On est obligé darriver à lheure
Le temps contraint de lorganisation développe une compétence, une aptitude un peu plus élaborée qui nous rend gestionnaire non seulement de notre temps professionnel mais aussi personnel. Comme si lentreprise nous permettait de prendre de la vitesse nous permettant dêtre aussi gestionnaire de notre temps ensuite. Aussi, si nous ne travaillons plus, notre capacité à gérer notre temps libre seffondre aussi. Cétait mon hypothèse. Jai donc essayé de voir auprès détudiants si mon hypothèse était juste. Jai donc pris trois groupes détudiants. Un groupe détudiants en sociologie qui avait 20 heures de cours par semaine, des étudiants du génie mécanique qui avaient 30 heures de cours par semaine et des étudiants de prépas qui avaient plus de 35 heures par semaines. Mon idée était que ceux qui avaient le moins dheures de cours (peu de temps contraint) seraient aussi ceux qui auraient le moins dactivités dans leur temps de loisirs. Par questionnaire, Jai donc interrogé ces étudiants sur leurs activités à lextérieur et curieusement, cétait les personnes en prépas qui avaient le plus dengagement dans la vie associative et ceux qui étaient en sociologie en avaient beaucoup moins. Certains avaient même renoncé aux activités quils menaient en Terminale !
Les résultats mont donc conforté dans mon idée que le temps contraint nous rend plus ou moins compétent de la gestion de notre temps libre : plus on est engagé, plus on sengage. Cette compétence à être gestionnaire de son temps personnel est indispensable ! En prépas, les exigences de la formation leur permettent dêtre dautant mieux gestionnaires de leur temps libre.
Par rapport à tout ce que nous avons dit précédemment, on peut dire que si la société est percutée dans son rapport au temps et que les individus sont perdus dans leurs prévisions, ils perdent aussi leur capacité à sengager. Il y a donc une crise de lengagement qui nest que le symptôme dune très sévère crise du temps.
Dans notre travail, nous navons pas vraiment de temps contraint, chacun choisit un peu son plan de travail en fonction de ce quil veut.
A.M. Cela mintéresserait de savoir comment vous êtes gestionnaires de votre temps libre
On retrouve aussi cette idée chez les femmes qui travaillent à mi-temps et qui se plaignent souvent de ne pas pouvoir faire grand chose de leur temps personnel. Il y a le sentiment de ne pas avoir plus de temps alors quil y a une compétence qui ne prend pas suffisamment de vitesse
Si on prend les élèves qui arrivent à lécole de musique, il serait intéressant de voir de quelle nature est leur engagement.
Vous semblez mettre en avant la capacité à utiliser son temps libre, mais chez les enfants qui arrivent chez nous cest presque une tare
Je veux dire que les enfants qui arrivent sont surchargés ! Le lundi tir à larc, le mardi judo. Leur emploi du temps est hyper chargé
A.M. Je pense quil est évident quon ne peut pas non plus tout faire de son temps libre sans risquer le surmenage. Souvent, ça nous renvoie aux désirs des parents de vouloir faire de leur enfant un petit dieu. Lenfant est souvent porteur du désir de ses parents qui ont bien du mal à laccompagner dans son choix. Du coup, ils veulent tout et on se retrouve dans la performance
Au niveau de lengagement, ce que vous décrivez, cest plus pour des adultes ?
A.M. Bien sûr.
Parce que lenfant en construction à besoin de temps, de soutien
A.M. Il lui faut un soutien pour quil ait une visibilité de ce qui va lui arriver. Le questionner sur ce quil a fait et ce quil va faire, pourquoi, quand tu as été interrogé, ce que tu avais prévu nest pas arrivé
Comment lenfant gère ses incertitudes.
Mais est-ce que lenfant, par exemple quand il est dans ses jeux, na pas besoin quon le laisse un peu gérer son temps tout seul ? Ne serait-ce quune heure ou deux. Jai limpression que cest ce que nont plus les enfants aujourdhui.
Ca dépend beaucoup des enfants.
A.M. On pourrait presque dire quil y a aussi une crise de lennui. Puisquon est dans le remplissage, le remplissage ne remplit plus. Parce que pour lenfant, les activités ne renvoient plus à rien
Par rapport à mon livre, je vous laisse si vous le voulez lire les autres idées que jy développe. Mais jaimerais pour finir vous parler dun autre aspect de la réalité et qui a à voir avec le rapport au temps. Notre génération est confrontée à un nouvel instant qui nexistait pas précédemment.
Cest ce que jappelle linstant fictif. Tout ce qui se rapporte aux médias. Que ce soit chez les tribus primitives ou lenfant dun certain âge, la distinction entre le rêve et la réalité est un travail. Cela nous a demandé des millénaires pour en arriver là. La distinction entre le vrai et le faux. Quest-ce qui est vrai ? Les esprits, les fantômes ? La distinction du vrai et du faux chez lenfant nest pas évidente. Cest quelque chose que lenfant a toujours dû acquérir. Or depuis trente ans, il y a avec laudiovisuel ce que jappelle linstant fictif qui est une autre forme dinstant qui nest ni vrai ni faux
Il contient des données vraies. Si on prend un film, ce sont des vrais acteurs, un vrai scénario, mais ce nest pas non plus la réalité. Tout ça renvoie à quelque chose que nous, adultes, nous arrivons à discriminer. Mais il nest pas certain que dans lévolution de lenfant, il ny ait pas compétition entre linstant sensoriel et linstant fictif. Lenfant est obligé de discriminer les informations qui lui arrivent et ça peut augmenter pour lui la difficulté. Le problème du rapport de lenfant au game boy, aux films
ce nest pas tant que ce soit violent ou pas, cest que cest ambigu
Cest sûr que parfois les enfants ont du mal à comprendre si cest un film ou un documentaire
A.M. Lidée est de dire quactuellement, il existe quelque chose chez les enfants qui nous échappe complètement, qui confronte lenfant à un travail de discrimination entre linstant fictif et linstant réel. Cest une ambiguïté que les générations antérieures nont pas vraiment eue. La violence de limage nest alors pas celle du contenu mais celle qui renforce lambiguïté. Les enfants passent souvent 5 heures devant la télévision par jour ; linstant fictif est vraiment en prise direct avec linstant réel. Dans le temps, les hommes avaient à discerner la réalité du rêve. Il faut savoir que pendant très longtemps, on a pensé que ce qui était rêvé était vrai ! Pendant longtemps, lambiguïté entre le rêve et la réalité a empêché lhomme de sortir de la pensée magique, des explications magiques. Je voulais juste aujourdhui vous sensibiliser sur cette fiction de linstant qui vient percuter linstant réel et qui est le fondement de laction au temps. Cest une de mes inquiétudes dautant quon nen entend pas vraiment parler
Cest sûr que lenfant me dit quun personnage dun dessin animé existe puisquil le voit
Le dragon existe bien
A.M. A un certain âge, ils ont besoin délaborer une distinction
Pour résumer, je suis parti de la notion dinstinct et dinstant. Jai voulu vous montrer que lhomme est un animal anticipateur, quil existe aujourdhui dans notre société une crise du temps qui se répercute dans une crise de lengagement et une certaine forme de solitude (on est seul mais on a peur de sengager). On est obliger de gérer cette crise alors que les contenus ne sont pas bien définis, que ce problème est peu traité
Comme dernière contribution, je voulais ajouter à cette présentation, une réflexion qui peut concerner votre profession. Il faut savoir que lenfant dans son rapport aux règles quand il commence à acquérir le langage en primaire est extrêmement respectueux. Cest important pour lui et cela peut être intéressant dutiliser le groupe. Pour deux raisons : parce que le groupe, cest toujours le porteur de la règle. On peut ainsi utiliser le groupe comme support dune certaine conformité quon na pas a traiter soi-même. On accepte plus facilement la règle quand tout le monde fait pareil. Une règle quon applique seul nest pas vraiment une règle
La deuxième, cest que lenfant a beaucoup de mal à assumer une relation duelle avec lenseignant et que le groupe peut permettre à lélève de se protéger et de mieux vivre ces situations. Pour ces deux raisons, il me semble que les écoles de musique peuvent essayer de sappuyer plus sur le groupe avec les élèves.
Je remercie Alain MATOUG pour son intervention et vous donne rendez-vous cette après-midi pour poursuivre les débats.
DEBAT GENERAL A LA SUITE
DES INTERVENTIONS DE LA MATINEE
Animé par Alain MATOUG
Il me semble que ce matin, après lintervention sur lautonomie des élèves nous avons vite dévié sur lautonomie des professeurs
Nous avons été un peu poussés
Javais noté quil existe une certaine ambiguïté vis-à-vis de lautonomie en tant que professeur. Nous avons une certaine autonomie mais nous en voulons toujours plus tout en rechignant à accepter la responsabilité qui va avec. Quand on parle de professionnalisation du métier, de la haute image du métier que lon entend défendre, il faut aussi que nous soyons capables dassumer les responsabilités qui en découlent
Par exemple, si on nous demandait des comptes lors de projets, serions-nous prêts à les donner ?
Le problème est que lon ne nous demande jamais de comptes. Finalement, on est en demande de comptes, de cadres
Ce serait effectivement bien que lon puisse tirer des conclusions dun projet, quon puisse y réfléchir après, tous ensemble
Dans notre école, on nous a demandé de remplir les formulaires dévaluation de fin dannée un petit peu plus tôt. Cest vrai que lannée dernière, un parent qui avait eu un problème a trouvé la porte de lécole close. Pendant 3 mois, il na pas compris ce qui était indiqué sur le bulletin
Personnellement, quand je remplis ce genre de formulaire, jindique des choses que jai dites et redites tout au long de lannée, ça ne tombe pas du ciel comme ça
Tu les as dit à lélève, mais parfois, cest les parents qui se présentent
Non, jen ai parlé aux parents sil y avait besoin
Je crois que les responsabilités
on est prêt à les prendre mais est-ce quon nous laisse cet espace-là
de pensée ? Je ne crois pas que lon aura à rendre compte sur un projet, par contre on aura à en faire le bilan ensemble, ça oui, ça serait intéressant. Est-ce que dans vos écoles de musique, il y a des bilans des choses ?
Non
et puis, on ne fait pas vraiment non plus de véritable présentation de projets. Ils sont lancés comme ça au cours dune réunion pédagogique, mais il ny a pas une réelle discussion pédagogique sur un projet
même si cela se fait par écrit, quil existe un pré-projet et que tout est noté noir sur blanc
Il ny a eu aucun prof qui a souhaité le consulter
On en parle plutôt de bouche à oreille, «Tiens, si on faisait ça
? ». Et dans les couloirs
Oui, mais qui dit bilan, dit réunions supplémentaires
(rires)
Oui, mais si elles apportent
si dun seul coup, elles nous donnent la dimension de ce quon fait.
Daccord, mais ce qui membête un peu, cest que la plupart des réunions ne sont pas très constructives
Pour le moment, elles ne le sont pas, donc on nen a plus envie
Et même si elles ont le titre de réunions pédagogiques
Cest des réunions de planification, dinformation, cest plutôt administratif
on ne parle jamais de pédagogie
On essaie de faire changer, en même temps cest difficile
Mais lautonomie, elle serait où alors ? Dans lélaboration des projets ?
Quand on parlait de lautonomie des professeurs, jentendais plus dans la pratique
Tu disais ce matin que cela devait être plus facile pour les personnes qui ont suivi une formation au Cefedem. Cest vrai que dans cette formation, on peut nous donner ou plutôt nous aider à construire quelques moyens, mais cest très peu. Souvent ces formations nous servent surtout à nous remettre en question, à réfléchir sur notre parcours, notre passé, pour pouvoir être différents après et ce après, il est tout à faire, tout à construire
et parfois, on se sent encore plus seul, on a encore plus conscience des problèmes qui existent. Pour ceux qui nont pas eu de formation, ils ont appris à enseigner sur le tas, tous seuls, ils sont autonomes. On ne leur a pas donné dinformations sur comment apprend un enfant
Tu le découvres mais tu mets deux fois plus de temps. Ce que tu as vu en deux ans, moi, jai mis quinze ans à y arriver
peut-être que je suis particulièrement lente aussi
Ce nest pas quune formation cest mieux ou pire
je suis contente de lavoir fait, mais ça a été difficile
On culpabilise beaucoup parce quon prend conscience de plein de choses qui ne vont pas. On se réveille en quelque sorte
mais comment on fait ensuite ? Je pense quon nous met le doigt sur bien plus de problèmes en deux ans que lon ne peut en découvrir en quinze
Oui, mais tu te poses les questions avant de massacrer les gamins, cest déjà pas mal. Quand tu te les poses après le massacre
tu vois
Mais il faut le construire le métier. Ce nest pas parce que tu te poses des questions que tu as des réponses. Jai encore des réflexes davant. Je vois bien que je dois apprendre à reconstruire mon métier
et je suis autonome là-dedans. A la suite de la formation, on nous demande souvent si celle-ci nous a apporté des moyens. Et les étudiants répondent souvent que non
ils restent à construire
Et pourtant la représentation de beaucoup vis-à-vis de la formation, cest le moule
Alors que finalement, ça me semble être linverse du moule puisque elle consiste en une critique du modèle et laisse ensuite les enseignants dans la nature, mais libres de construire leur propre manière de faire.
Au début, on est un peu en colère que lon ne nous donne pas de moyens, de recettes. « On est démunis, on ne sait rien. En plus, avant, on nen était pas conscient, mais maintenant, on sait quon ne sait rien ! ». En même temps, je trouve que cest une liberté
par rapport à lautonomie, la formation nous rend autonomes, elle nous permet de construire notre métier nous-mêmes.(
)
A.M. Souvent dans le social, on dit que certains prônent lautonomie parce quils sont incapables dêtre dépendants. Lautonomie comme incapacité à dépendre de lautre. Lautonomie ce nest pas forcément une capacité, cest aussi une incompétence
Il me semble que dans vos discours, on peut dégager une demande, une demande de contrôle et de régulation.. par le biais du groupe, par le biais de léquipe. Finalement, il y a un manque dinstrument qui est le retour de léquipe, la mise en commun, quelque chose qui nest plus autour du fonctionnel, mais du sens, du « quest-ce que jy mets » et qui vous accompagne dans les incertitudes avec lesquelles vous traitez. Grosso modo, je dis que les éducateurs sont des techniciens de lincertitude mais finalement, vous aussi. Puisque vous devez produire des réponses qui ne sont configurées quune fois pour tel élève et qui ne se répéteront pas la fois suivante où vous devrez recréer une réponse en fonction de ce qui sera engagé. Vous êtes aussi des techniciens de lincertitude. Mais vous nêtes pas accompagnés face à cette incertitude. Or, il semble que le travail en équipe cest justement daccompagner dans les zones où il ny plus de repères, de référentiels, où il ny a plus de mode demploi et où il faut quand même répondre.
Parce que les éducateurs, par exemple, ont des réunions de travail
?
A.M. Parfaitement. Toutes les semaines, il y a des études de cas, des études de situations, où lobjet nest pas de prendre des décisions, daméliorer lorganisation, mais de savoir ce que lon fait, ce que lon ne fait pas, pourquoi on le fait, pourquoi on ne le fait pas, le but nétant pas de couper des têtes ou de sappuyer sur des erreurs pour stigmatiser lun ou lautre mais juste pour essayer de se familiariser avec lincertitude parce que cest une matière particulièrement difficile à appréhender, à tolérer quand on est exposé en permanence à ce type de situations.
Mais on se réunit aussi pour avoir laval des collègues dans les orientations que lon peut prendre. Comme il ny pas de rationalité de linformation. « Deux et deux font quatre » est une information rationnelle. « Mozart, cest beau ». Peut-être
Alors, faut-il dire oui à tel élève, faut-il le prendre, laccepter ou non, faire plus, faire moins, ce nest pas toujours très rationnel, alors il faut que vous puissiez dans les cas difficiles pouvoir renvoyer au groupe, quil vous dise « moi, je ferais ça », quitte à ce que la décision vous revienne à vous seul. Mais vous avez eu des échos
Et même, le fait dentendre parler son collègue, de ce quil vit, de ce quil ne vit pas, de ce qui lui est difficile, finalement, vous vous rendez compte très vite que vous nêtes pas différent.
Les musiciens ont beaucoup de mal à parler de ce quils font
parce que cest tabou depuis de longues années. Quand on demande à un collègue « comment tu enseignes ça ? », il ne dit trop rien
A.M. Cest paradoxal. Cest parce que vous êtes fragiles que vous narrivez pas à en parler et cest en en parlant que vous serez plus solides. Cest un cercle pervers. Si jen parle, je risque de me mettre en danger, mais si je nen parle pas, je suis en danger ! Cest pour ça que vous êtes un peu bloqués
En même temps, je pense que vous avez besoin dune mise en route et de la vérification que ça marche. Vous devez faire lexpérience de lintérêt quil y a à travailler en groupe, pour ensuite prendre confiance dans ce groupe et ensuite avancer. Cest-à-dire que vous ne pouvez pas désirer ce que vous navez pas vérifié. « Je nai pas vérifié que le travail en groupe mapporte quelque chose ». Tant que je ne lai pas vérifié, je ne peux pas my engager. En même temps, il faut quand même bien un démarrage
Ce qui suppose peut-être une prise de risque
mais calculée. Dire : « Voilà, ça, on la jamais fait, ça nous permettrait peut-être den sortir
». Je pense que vous êtes en train de prendre conscience de votre besoin de travail en équipe avec linquiétude que cela éveille. Mais il y a des choses qui vous poussent de ce côté-là. Vous êtes en train de faire ressortir le besoin de sortir dun isolement, dune logique dans laquelle vous ne vous sentez pas trop gestionnaires non plus
Il y a aussi le fait que pour les professeurs dun même instrument, on a peur de communiquer parce que nous sommes en concurrence. Pourquoi ? Parce que, comme nous le disions ce matin, lévaluation de notre travail se fait sur le résultat de nos élèves, donc, celui qui a les « meilleurs élèves », cest le meilleur prof. Cest donc difficile de se parler
Et en plus, ça nest pas dit. Cest encore pire car cest sous-entendu.
A.M. Finalement, vous êtes en train didentifier deux choses, cest que pour débloquer un peu la situation, il serait bien dinstaller une structure de type travail déquipe ET une grille dévaluation hors performance de lélève. Cette double disposition permettrait de vous dégager de ce qui bloque. Vous avez raison, cest probablement les deux registres qui doivent être envoyés dans le même temps parce quils sont interdépendants, ils se conditionnent lun lautre
Par contre, une grille dévaluation, cest très contraignant. Jen ai proposée une au début de lannée avec des choses très précises mais pas trop longue, mais cest contraignant tout au long de lannée
On ma dit « oui, cest bien
mais bon
on ne pourra pas
». Il en a fait un résumé où il ne restait pas grand chose et à la fin de lannée, il a encore changé. Finalement, il ne restait presque plus rien, quune appréciation.
A.M. Vous dites « Il ». Vous évoquez quelquun qui serait maître duvre de la grille dévaluation ?
Là, il sagit du directeur
Mais tout à lheure, on parlait de lévaluation de soi-même et pas des enfants
A.M. Il sagit dévaluer votre activité, dune co-évaluation. Mais peut-être est-ce à vous de déterminer la grille de façon à rester maître duvre, de vous familiariser avec ce qui vous fait fantasmer, cest-à-dire la peur dêtre disqualifiés ou dêtre jugés
et en même temps la nécessité de lêtre.
Mais ça reste quelque chose de contraignant que les enseignants ne sont pas toujours prêts à faire
A.M. Bien sûr. Mais linverse est très très contraignant aussi ! Faire porter aux élèves quelque chose qui finalement vous concerne.
Je me demande si finalement, nous ne devons pas réapprendre ce que cest que dêtre évalué. Lors de nos études au conservatoire, il ne sagissait pas dune évaluation mais dun jugement, « oui/non », « bien/mal », et aujourdhui nous avons peur que nos collègues nous disent « bon/mauvais ». On pourrait réapprendre à dire, « ça, jai bien aimé, ça aussi, là peut-être pourrait-on réfléchir sur ça » et que ça ne devienne pas un jugement personnel, ou même un règlement de compte
A.M. Donc, quil ny ai pas de juge.
Oui, mais pour réapprendre ça
ça parait difficile dans notre profession
A.M. Oui, mais sachant que ce que vous ne faites pas là, vous le faites porter à lélève, cest lui qui va être porteur de
Cest sûr que cest les élèves qui récoltent tout ce que nous ne réglons pas.
A.M. Je crois que vous avez tout à fait conscience de ce quil vous faut, et pourquoi. Alors après, cest le comment. Et avec qui ?
Parce que vous avez raison, la question du juge est importante. Vous me dites, et le directeur là-dedans
?
Il impulse
Il devrait, mais ils ne sont pas formés
Jai limpression que si ce nest pas le directeur qui dit « on va faire une réunion ce jour-là », jamais ça se mettra en place
Ce nest pas toujours vrai. Il y a quelques années, javais dit au directeur : on va faire ce que lon appelait à ce moment-là un groupe de recherche pédagogique et celui-ci a été accepté
Si ce nest pas le directeur, il faut quelquun qui fédère ça.
Oui, mais après tout, on est tous là
On pourrait se dire « Tiens, est-ce que jai le droit dans mon école de créer un groupe de recherche pédagogique ?»
Cétait un des premiers groupes déchange de paroles sur nos expériences pédagogiques et cest vrai que quand notre nouveau directeur est arrivé en disant « non, ça , cest le conseil pédagogique » et cest devenu une réunion de type administratif. Il y a eu beaucoup déchos disant « mais ça nous manque, il ny a plus de parole pédagogique dans lécole ». Il va falloir quon y revienne de toute façon parce que lon en crève ! Mais on peut très bien initier ça. Les directeurs ne vont pas nous taper dessus parce que lon fait de la recherche dans lécole
A.M. Vous devez finalement faire linventaire de ce que vous souhaitez et pourquoi. Après, il y a la question du comment en notant les ponts par lesquels vous ne voulez pas passer, qui vous semblent des écueils par rapport à votre démarche. Visiblement, vous exprimez ce que lon appel dans les théories de groupe, un besoin. Un besoin dêtre évalués mais aussi dans une logique déquipe, dans une logistique, non pas dévaluation erreur/bien/mal, noir/blanc mais avec passage à la couleur, en disant, « est-ce que jai atteints les objectifs ou pas, quest-ce qui a posé problème, comment je peux avancer ? », ce qui est la réalité dun tas de professionnels dautres secteurs
En fait, il faudrait dédramatiser lévaluation. Considérer quil sagit dun instrument qui doit permettre lannée suivante de faire mieux, daméliorer
Ce matin, on parlait de confiance, et il en faut beaucoup en soi et en les autres..
A.M. Ca va avec
Vous êtes fragilisés par votre rapport à lincertitude. Vous êtes isolés et vous savez quen fait, ce que vous faites, cest critiquable par tous les bouts ! Ceux qui travaillent dans les groupes savent que ce quon fait tout seul, il ny a pas plus critiquable. Ce nest régulé par rien, ça ne renvoie à rien, ce nest pondéré par rien
. Structurellement, vous naviez pas le choix.
Je voulais dire quon est très fragile car on manque de compétences. Je vois, lors des réunions
il y a parfois un professeur qui veut dire quelque chose mais il va être super agressif envers ses collègues. Et si quelquun nest pas là pour réguler, pour tempérer, ou pour recentrer un débat, la communication est difficile. Parfois tout le monde parle en même temps, ou encore certains se tapent dessus alors quils ne parlent pas de la même chose
Et moi, je ne suis pas la directrice, je nose pas intervenir pour dire « excusez-moi, mais vous êtes en train de dévier
». Je ne me sens pas cette autorité. Et les directeurs, qui ne sont pas formés, nont pas non plus cette compétence-là, ou je nen connais pas beaucoup qui lont et du coup, ils laissent faire. Et du coup, un professeur ne peut plus voir un de ses collègues, et ça dure pendant des années
Il faudrait un régulateur de parole, quelquun qui gère la réunion ?
A.M. Je pense que vous avez besoin dun intervenant extérieur pour prendre de la vitesse et fonctionner après tous seuls, ça me semble clair.
Na-t-on pas un peu peur aussi du jour où cet intervenant viendra ?
Je ne crois pas pour ma part.
A.M. Vous avez déjà eu affaire à quelquun de lextérieur ?
Non. Ca vient à peine à lidée même en lévoquant ici
On entend souvent « il nest pas du secteur, pourquoi tu veux aller écouter un sociologue. Il ny comprend rien au métier ».
« Ils ny connaissent rien ». Cest toujours comme ça. Quand on dit, « on va faire venir quelquun sur tel sujet dont cest le travail de base », on nous dit : « il nest pas musicien, il ne peut pas comprendre », « parce que nous, on est dans lartistique et cest pas pareil
»
A.M. Votre difficulté de communication nest pas dans la partie rationnelle dans laquelle vous avez des compétences, mais justement dans la partie irrationnelle
Et là, jai envie de dire, il faut des compétences particulières
Il faut connaître lAutre Musique
Personnellement, jaurais envie dacquérir quelques compétences qui me permettent un peu plus de recul, je me sens un peu limitée ! et même après un passage de deux ans au Cefedem
A.M. Tout à lheure, on parlait dautonomie mais lautonomie, cest pour moi, laptitude à choisir ses dépendances. Je ne suis ni autonome pour mon pain ni pour mes ufs par contre, je suis libre daller les chercher où je veux.
Nous avons un peu soulevé ce matin la question de lautonomie de la pratique amateur. Cela maurait intéressé dy revenir un peu.
A.M. Oui. Ce que je voulais juste dire, cest quil me semble quil faut que vous fassiez lexpérience de la dépendance les uns des autres, pour peut-être éventuellement réclamer ensuite une autonomie. Vous êtes arrivés, on vous a dit : « Soyez libres », mais la liberté ne se donne pas, elle se prend. Or, vous ne lavez pas prise, on vous la donnée. Et il ny rien de plus insupportable que de prendre ce que lon a pas encore demandé ! Vous êtes un peu dans des injonctions paradoxales. Je pense quil vaut mieux faire lexpérience de la dépendance et de dire ensuite où, dans cette dépendance vous pensez, vous, pouvoir prendre un peu de distance. Mais cest vous qui prenez cette distance et non pas linstitution qui institue la distance fondamentale qui fait quà la limite, on met en scène son incapacité à être ensemble
A propos de lintervenant extérieur, jentends aussi la question de la place du directeur dont la représentation est celle de quelquun qui a une compétence supplémentaire et en particulier une compétence de gestion dun groupe. Mais où a-t-il acquis cette compétence ? Et sil ne la pas, il faut au moins quil admette quil ne la pas pour permettre à quelquun dextérieur de venir. Quand vous évoquez que lextérieur ne peut pas venir à lintérieur, cest exactement ce qui se produit au niveau de chaque enseignant. Lextérieur ne peut déjà pas venir au niveau de la cellule enseignant-enseigné et dans la structure, lextérieur ne peut pas venir non plus. On est dans une symbolique qui fonctionne à tous les niveaux
Oui, mais les directeurs sont eux-mêmes fragiles. Parce quils sont devenus directeurs comme ça, parce que, je ne sais pas
Ils ont leurs propres souffrances personnelles
Ils narrivent pas à lavouer et ils gardent un peu leur vitrine
comme nous, en fait.
A.M. Ils rejouent le scénario en quelques sortes.
Cest super lent
Cest super lent mais ce nest pas pour autant que cest statique.Ca fait vingt ans que je rame mais je trouve que lon avance tout de même. Tout doucement, mais on avance
Par rapport à la formation du Cefedem, il est vrai que les étudiants ont deux ans où enfin, on leur dit quenseigner est un métier. Quand jai commencé, on ma dit « enseigner, cest un don. Tu las ou tu las pas. Si tu las, tant mieux pour toi
». Et moi, sur le terrain, jai appris quenseigner, cétait un métier parce que javais le don mais en plus je lai drôlement amélioré
Jai donc bien compris que ça sapprenait. Nous avons nos dix, quinze, vingt années dexpérience et on réfléchit par-dessus et ça donne des choses qui nous motivent très fort. Les étudiants eux, ont une grosse réflexion à la base et vont mettre quinze ans à la digérer
et cest normal aussi. Finalement, on se retrouve si nous, on a effectué une réflexion tout au long de notre expérience. Je pense quil ne faut pas sopposer entre les différents professionnels, entre ceux qui ont eu une formation et les autres. Ce nest pas que lon regrette quoi que ce soit, cest comme ça
De toute façon, il y a vingt ans, les formations nexistaient pas, donc on na pas eu le choix
Mais même par rapport à toi qui dit, « jarrive dans le métier, finalement, on ne sait pas le faire », ben oui, nous non plus quand on est arrivé on ne savait pas le faire. Tu as plus doutils que nous, mais tu vas aussi mettre du temps à les digérer et cest dans la norme des choses
A.M. Finalement, vous êtes daccords. Vous avez une vraie demande, demande dapprendre à travailler ensemble. A partir de là, quels moyens vous pouvez vous donner et comment convaincre ? Cest autre chose. Comment formuler cette demande collégialement et arriver à la communiquer ?
Souvent le fait de reconnaître soi-même ses propres limites permet aux directeurs de se sentir moins exposés puisquils sont aussi face à des gens qui leur ressemblent
Je pense un peu à Colombo qui dit « Ah ! ma voiture aussi tombe tout le temps en panne et la votre ? Ah ! moi aussi
»
Ca me fait penser à une fois où jétais dans la salle des profs. Jétais en train de faire part de la sensation que javais datteindre parfois mes limites. Je nétais embauchée que depuis le mois de septembre, cela faisait un an à peine que je travaillais là. Et quelques jours après, jai une collègue qui vient me voir et me dit « Tu sais, tu devrais pas dire ça dans la salle des profs
». Je lui dit « ah bon, pourquoi ? ». « Mais parce que tout le monde va penser que tu es une mauvaise prof
». Tout le monde a peur
En plus, je ne disais rien dextraordinaire, jexprimais un doute, un doute sur ce que je faisais avec un élève
et je leur demandais ce quils en pensaient. Et on me dit quil ne faut pas dire ça sinon tout le monde va me juger.
Cest vraiment là où on en est
A.M. Cest curieux car jai une expérience un peu différente qui est que quand quelquun parle de ses propres difficultés, lautre se sent en écho alors quil nen parlait à personne, quil était un peu tout seul et puis il va venir vous voir et finalement vous dire « moi aussi
»
Ce nest pas toujours comme cela que ça se passe
Je pensais aussi que ça pourrait les rassurer, quils allaient voir que même si je suis une jeune étudiante, jai aussi des doutes
Jaimerais bien savoir comment ça se passe par exemple chez nos collègues de lEducation Nationale.
Bien, déjà, ils ont des réunions déquipes, cest obligé, alors que nous, rien du tout. Que des réunions dinformation
Je me demande quelle est la part du fait que dans notre formation, on nous a « cultivé » notre ego en plus
beaucoup plus quun instituteur. Pour ceux qui ont fait une formation classique, on nous a toujours éduqués à être les meilleurs, à ne pas se plaindre, à aller droit au but, à écraser le voisin sil le faut
Jaimerais bien savoir quelle est la part de ça dans notre difficulté à communiquer aujourdhui, ou si cest simplement difficile de parler éducation les uns avec les autres.
Je pense quil y a un peu de ça. Avant, il fallait être le meilleur étudiant, maintenant, il faut être le meilleur prof, enfin que nos élèves soient les meilleurs, entre guillemets.
Quand tu dis quon nous apprend à être le meilleur, je ne dirais pas que ça nous construit un gros ego mais plutôt un gros Narcisse. Mon sentiment, cest que sur vingt ans détudes musicales où on nous fait croire quon nous construit un ego en nous disant « cest bien, bravo, tu as réussi ton examen ! », je sens que je nai pas dego, je me sens plutôt un peu détruite. Finalement, je ne suis plus grand chose parce que je nai plus le regard de mon prof qui nest plus là
Je ne trouve pas que les études nous fabriquent un ego en tout cas
on nous fait croire que lon est quelquun parce quon joue du piano et parce quon joue Chopin
(
)
Et peut-être que ça joue aussi car il faut déjà avoir pris confiance en soi pour faire confiance en les autres.
A.M. Tout ça se tient. Il y a une fragilité en soi qui fait quon ne parle pas et qui fait quon reste fragile parce que cest dans léchange que les choses se démêlent
et tout ça, chapoté par une institution qui conforte cet idéal-là mais qui ne le remplit pas. Vous ne faites pas le plein. A mon avis, vous donnez beaucoup, mais où est-ce que vous vous remplissez ?
Et cest comme ça quon peut finir par suser
Souvent, on se remplit avec le public quand on joue, mais bon personnellement, jai trouvé un échappatoire parce quen tant que pianiste classique pour trouver à jouer
Alors tu vas jouer dans léglise sans chauffage en janvier, bénévolement car tu narrives pas à te faire payer. Tu ne te sens pas professionnelle. Je ne suis pas musicienne en fait
A.M. Mais cest prétexte à échange, prétexte à ne pas être toute seule.
Cest pareil dans lenseignement parce que si on se considère en train de remplir lélève den face, on se vide, mais si on se conçoit comme étant en train déchanger avec le gamin, on se rempli au fur et à mesure que lon se vide.
A.M. Oui, mais un échange dans un système clos, est-ce bien un échange ? Il faut aussi quil respire. Lextérieur doit aussi pénétrer dans cette bulle.
Oui, mais même si on réussit à avoir cet échange avec nos élèves, on manque encore dair, finalement, on a quand même besoin de lextérieur.
A propos de la définition du musicien, je me sens musicienne aussi par le côté convivial qui peut exister. On partage plein de trucs quand on joue mais aussi par tout ce quil y autour. Cest ça aussi que jaime dans mon métier, les échanges, la convivialité
parce que je trouve que cest structurant. Un de mes objectifs en tant quenseignante avec les enfants, cest quils puissent connaître cette construction sociale, discuter autour dune partition, sils sont daccords ou non
Cest peut-être parce que tu es pianistes. Nous ne vivons pas les choses de la même façon. Pour les instrumentistes à vent, on est dans le social tout le temps puisque dès que lon sait trois notes, on joue dans un orchestre, on fait partie de groupes alors je pense que cest une souffrance particulière aux pianistes. On ne connaît pas cet isolement de la même façon.
Et cest aussi difficile à cause de linstrument. Dès que lon veut jouer quelque part, il faut quil y ait un piano
Alors quavec les instruments à vent tu peux arriver à te produire un peu partout
Dailleurs, on nous la assez répété que le piano se suffit lui-même
vous êtes des pianistes, vous pouvez tout faire
A.M. Ce serait lextrême de lautonomie, le Dieu qui na besoin de personne
parce quil ny a que Dieu qui na besoin de personne. On est dans un fantasme puisquon a besoin de laccordeur pour le piano, du public qui écoute, des transporteurs
donc on est très dépendants tout de même
Est-ce quon peut revenir à la question de la pratique amateur que nous avions un peu évoquée ce matin. Le but affiché est de former des musiciens qui soient autonomes, une fois sortis de lécole, mais à quoi ça peut correspondre dans la pratique. On a vu ce matin que dans le meilleur des cas, ceux qui continuent à pratiquer ne sont jamais totalement autonomes puisquils intègrent des structures existantes
Ils ont choisi leur dépendance.(rires)
Quest-ce quon peut imaginer pour eux. Quest-ce que lécole de musique propose de faire pour eux. Parfois, elles peuvent accueillir les adultes mais ce nest pas toujours le cas. Peuvent-ils alors continuer une pratique dans une structure existante ?
Je pense quils peuvent déjà avoir des idées en sortant de lécole de musique, par exemple, de former un groupe. On nest pas obligé aussi dêtre toujours là
Bien sûr, mais pour quelles circonstances de rencontre
Pour certaines musiques, ça fonctionne parce quil existe des endroits traditionnels, comme par exemple le Jazz, de rencontre avec la musique
Se rencontrer pour faire du trio, dans son salon, cest bien, mais ça ne dure jamais très longtemps. Pourquoi ? Cest une question que je me pose encore, socialement, ça correspond à quoi cette pratique musicale ? Est-ce quelle continue à avoir un sens ? Dans le temps, on jouait parce quon navait pas la radio ni de disque, alors si on voulait entendre de la musique, il fallait la faire. Maintenant, si on veut entendre de la musique, on tourne le bouton. Et donc, il y a toute une problématique là, qui est peut-être une des raisons pour laquelle les gens ne jouent pas en groupe.
Cest justement toute la convivialité quil y a autour quon napprend pas à développer. A la réunion de fin dannée de notre école, un professeur a demandé que soient organiser des auditions réservés aux adultes car cétait une demande des adultes de ne pas jouer à laudition des enfants alors que des gamins de 10 ans jouent le même morceau trois fois mieux queux
Ce qui est ressorti de la réunion, cest quon verra si on a le temps. Ce qui est le plus important, cest de soccuper déduquer les enfants. Et les adultes, ma foi
Ils ont déjà bien de la chance dêtre là.
Voilà. Et ça, je trouve ça véritablement choquant. Et pourtant, on est dans une école associative, donc on nest pas là pour former des professionnels
Je trouve que la logique dune école associative, ce nest pas ça
On est là, il me semble, pour quil y ait une vie musicale dans la ville et quil y ait un plaisir partagé
Jai été surpris de la manière dont ça a été mis de côté
Je trouve que ce nest pas rendre les adultes non autonomes que de leur proposer une structure où ils vont pouvoir se rencontrer et jouer, et le public, ça peut tout à fait être les adultes entre eux. Rencontres conviviales où on échange là où on en est. Et sans couperet ou jugement extrême. Comme il ny a pas dexamen, on fait des auditions. Combien de fois je dois dire aux enfants et aux adultes, on vient là pour partager le travail que lon a fait. Si on réussit bien, tant mieux. Sil y a un ratage, la terre ne va pas sarrêter de tourner.
A.M. Vous décrivez exactement ce qui se passe quand on perd un monopole. Pour les premières voitures, le client est venu choisir mais la voiture devait être obligatoirement noire, faire 4 chevaux et avoir 5 vitesses
Le client fait ce quil veut mais elle sera noire avec 4 roues et 5 vitesses
Avant, il me semble quil y avait un monopole de ceux qui diffusait la musique et qui diffusait lenseignement de la musique par conséquent le client était un client captif qui ne pouvait que rentrer sur les autoroutes quon dessinait den haut. Petit à petit, la structure qui avait le monopole découvre quil y a des voix concurrentes, qui viennent faire du bruit dans le système qui font que nous navons plus le monopole et que dun seul coup, il faut peut-être aussi écouter les besoins du client. Ce que beaucoup dentreprises ont compris avec le développement des enquêtes sur ce que vous voulez, ce que vous aimez
toutes les entreprises font ça. Puisquelles ont réalisé quelles ne pouvaient avancer quen tenant un petit peu compte, quand même, du goût et des couleurs qui conditionnent les comportements dachat ou de consommation. Or là, il me semble que vous êtes dans une logique de consommation de la musique ou de lenseignement musical donc vous êtes obligés de faire attention. Quand il y a un client qui dit à une entreprise « moi, jaimerais ce type de chose », cest de lor. On met vite ça dans la boite et on va vite faire une réunion pour en parler. La question est de savoir quelle idée on a du monopole de la musique dans cette école-là, qui fait que ce besoin-là, on se demande si on va lécouter. Vous vous rendez compte de lécart ?
Il y a lidée que moi, jappartiens à un monopole et je peux me permettre de dire non à lidée du client. Donc il na pas dautre choix que de se conformer à ce que je produis. Il y a là peut-être des choses qui sont en train de se perdre. Vous êtes semble-t-il à un carrefour de plusieurs choses. Leffondrement dun monopole, dun statut un peu mystificateur, je suis musicien
On revient un peu à la réalité : moi, je sais faire/moi, jai besoin, et on va essayer déchanger et de se mettre daccord, une logique où lun nest pas complètement démuni par rapport à lautre. Il y a des jeux qui évoluent, des positions dacteurs qui sont bien différentes qui font queffectivement quand vous entendez un besoin, vous ne pouvez pas ne pas lécouter. Il y a là quelque chose qui interroge énormément.
Et les pratiques de références évoluent aussi. Peut-être reste-t-on trop dans un idéal, du temps de la société traditionnelle où finalement, la musique était complètement inscrite dans la vie. On aimerait que ce soit aussi comme ça, que les élèves sortent leurs instruments, de manière amateur, à nimporte quel moment pour jouer. Or cela ne se fait pas aujourdhui. La musique ne se fait plus comme cela, elle est devenue un loisir. Elle a une place séparée des autres activités. Du coup, par rapport aux pratiques de référence, jai limpression quelles nous échappent. Quand vont-ils faire de la musique ? Alors, on reste sur des modèles anciens. Même les amateurs restent sur des modèles comme le gros orchestre qui va faire son concert, les modèles professionnels, valeurs sûres que lon peut encore bien identifier
Le gros orchestre, ce nest pas forcément quelque chose de professionnel
Normalement non
Il y a toujours eu des grands rassemblements instrumentaux, au départ, ce nétait pas forcément des cordes, qui drainaient et qui servaient mêmes décoles de musique à la pratique amateur. Daccord, on les a tués mais peut-être serait-il bon de les réinterroger un peu.
Mais ne tombent-ils pas parfois dans la logique professionnelle ?
Cest la seule image que lon a du musicien. Quelquun qui joue quelque chose de compliqué devant un public, si possible dans un costume blanc et noir.
A.M. Et dans une position sidérée si possible
On pourrait imaginer que lécole de musique soit un lieu où les gens puissent continuer à jouer, et avoir une pratique amateur
et alors sans professeur ?
Avec professeur. Il serait possible quils intègrent des pratiques densemble où on les mélangerait avec des élèves en cours détudes
.
Jessayais de relier lidée de pratique amateur à lautonomie
Si on forme des amateurs, ils faut bien quà un moment donné, ils arrêtent de prendre des cours. Admettons quils ne prennent plus de cours, la question est : où vont-ils jouer ?
Dans les pratiques densemble.
Mais où ?
Il y a quand même des écoles qui accueillent les adultes dans leur pratique densemble.
Je narrive pas à menlever de lidée dautonomie. peut-être quau bout dun moment, ils voudront faire un bout de chemin tous seuls, daller jouer ailleurs quà lécole.
Jai lexpérience dun ensemble mixte entre des élèves de lécole et des adultes qui viennent jouer au même ensemble depuis des années. Jai donc des élèves dans le cursus, des anciens élèves qui continuent et des élèves de lextérieur que je nai jamais vu dEve ni dAdam et qui intègrent lensemble. Jai tout ce public-là à la fois, et les adultes ne me disent pas au bout de 3 à 4 ans, jai pris mon autonomie, je me barre, cest leur pratique et ils espèrent bien que ça va perdurer pendant 20 ans ! Cest leur pratique amateur au même titre quune chorale ou autre chose. Leur autonomie consiste dans leur travail de la partition, de la gestion de leur temps
Et pourquoi les écoles de musique nacceptent pas ? Ca ne coûterait pas cher du tout puisque lensemble, il existe déjà pour les élèves. Cest juste ouvrir la porte à une autre image de la pratique.
Cest une autre école de musique quil faudrait alors construire
Il faudrait, dans lidéal, dire aux gens qui ont envie de faire de la musique, que lon peut les mettre en contact. Quils viennent à lécole pour rencontrer dautres personnes. Ensuite, ils sont autonomes et à la limite, ils peuvent avoir besoin dun prof de temps en temps. Ca devrait pouvoir sorganiser
alors que cest rarement le cas pour linstant.
Toutes les cordes des ensembles symphoniques souffrent et disent quils ont trop de choses à faire, la musique de chambre
Je dis toujours à mes collègues : et vos anciens élèves, vous les connaissez, ils viennent juste de sortir, ils sont désemparés parce quils nont plus rien à faire, pourquoi nauraient-ils pas le droit de venir pour ne faire que lorchestre ? Ca allègerait ceux qui sont en cours détudes et qui nont pas le temps de tout faire. Ca cest très difficile à faire entendre. Où est le nud ? que lon puisse le défaire
Ils ne vont plus travailler leur instrument et alors ils vont baisser le niveau
Ce nest pas possible car pour avoir le droit de jouer, on doit être toujours au top ?
Cest donc limage de linstrumentiste de haut niveau qui doit faire 5 heures de violon par jour
A.M. Cest la logique de la distinction, ce que Bourdieu appelle la distinction.
Moi, je trouve ça un peu abusif de dire que les élèves sont obligatoirement obligés de passer par lécole de musique pour leur pratique amateur. Je trouve que cest même un peu dommage
Non, ce serait lidée que lécole puisse loffrir.
Ce nest pas le cas dans toutes les écoles effectivement, mais il y aussi quelques structures, chorales et harmonies qui permettent ce genre de chose. Maintenant, faut-il en inventer dautres ?
Je ne suis pas persuadé
Je pense que cest mieux quil se déterminent eux-mêmes. Lautonomie, cest quils fassent le choix de ce quils ont envie de faire.
Oui, cest aussi ce quon dit mais que ce soit une nouvelle possibilité.
Jentends bien ce que vous dites mais on peut aussi imaginer que certains naient pas envie dêtre dans un cadre contraignant comme lécole de musique. Peut-être sagit-il, lors de la formation, que nous leur donnons plus les moyens de sen sortir une fois seuls.
Par exemple, peut-on imaginer que les adultes qui souhaitent faire une audition entre adultes puissent eux mêmes organiser cette audition sans forcément le soutien de lécole de musique. Il suffit peut-être de trouver quelquun qui ait une maison et puis faire le concert entre adultes. Il me semble que ce nest pas très compliqué à concevoir. Est-ce que lon ne va pas maintenir finalement une sorte dassistanat en pensant que lécole de musique va tout apporter. Ces personnes-là peuvent aussi essayer de sorganiser
Moi, je me demandais dans quelle mesure cela ne sapprend pas. Je travaille avec des jeunes. Je vais les faire jouer dans une salle de spectacle. Ceux qui font de la pop et qui sont sonorisés doivent aussi monter leur matériel, brancher les câbles, parler aux techniciens pour la balance. Ils ne savent pas faire tout ça dans lécole de musique
Et quand il faut chercher à jouer
déjà les profs quand ils doivent trouver des endroits pour jouer, cest difficile
.Il faut se vendre, parfois faire une maquette
A lécole de musique, on fait jouer, lors dauditions dans les salles de lécole ou du coin. Le jour où ils doivent se débrouiller tous seuls, ils ont tout à apprendre
On na peut-être pas donné assez de sens à tout ça. Cest un peu pour ça aussi quon a des élèves qui ont un concert le lendemain et qui au dernier moment « je ne peux pas venir »
Ou pire « est-ce que cest grave si je ne viens pas ? ». (rires)
Cest là quon saperçoit que nous navons peut-être pas donner assez de sens à la place réelle que chacun avait dans la pratique. Du coup, ils nont pas pris conscience de la responsabilité quils ont et qui pourrait après leur donner envie den prendre dautre.
Je pense que ce nest pas uniquement notre rôle à nous. Je crois que lon ne peut pas non plus tout porter. Si un ado arrive en me disant ça, cest grave, mais je ne peux pas tout faire
A.M. Et puis par définition, il est ado, alors ça ne peut quarriver à loccasion
A propos de la pratique amateur au sein de lécole de musique , je comprends bien quon puisse la voir comme pour une chorale, que ça devienne leur pratique amateur.
Mais ils sont aussi nécessaires à lécole, ce nest pas quun bonbon quon leur donne, ce sont des gens qui sont moteurs aussi
Ils font des concerts ?
Bien sûr.
Et qui les organisent ?
Cela se passe dans le cadre de lécole.
Peut-être que les gens de cette formation pourraient se dire quils ont envie de jouer tous seuls, par exemple sur la place des Terreaux à Lyon.
Cela nempêche rien
Mais est-ce quon leur donne cette impulsion pour avoir lidée daller ailleurs ?
On ne va pas leur donner dimpulsion quand ils sont adultes, ils ont la liberté de choisir ce quils veulent. Simplement, on leur offre un possible. Dailleurs, ceux-ci choisissent souvent dautres activités dans lécole de musique, ils souvrent vers dautres ensembles, des stages
Ca fait des mélomanes extrêmement actifs dans la vie musicale. Ils vont aux concerts, ils achètent des disques
Je ne les reçois pas personnellement comme des gens assistés, mais comme des gens moteurs. Je pense que ce nest peut-être pas La réponse mais une réponse possible
Je pense quil faut les diversifier. Ne pas se contenter de donner la possibilité aux adultes dintégrer un ensemble dans lécole de musique mais comme nous disions tout à lheure, de leur faire acquérir les compétences nécessaires pour savoir organiser un concert. Ca paraît bête mais on ne lapprend pas.
Est-ce que finalement, il ne faut pas plus de compétences aux amateurs quaux professionnels ! Finalement, aux professionnels, on leur téléphone et on leur dit « venez à 9h00 » et il ne reste plus quà jouer les notes
Alors quil existe énormément de compétences qui sont complètement indispensables à lamateur sil veut pouvoir jouer avec dautres
Je me rends compte que je norganise pas les auditions avec mes élèves
Je leur organise tout, les programmes
Et je me dit que peut-être, je pourrais envisager de faire autrement
On rêve tous du jour où ceux-ci nous appelleront en nous disant « tu peux venir nous écouter à tel endroit
»
Il faut peut-être commencer à partager avec eux au plus tôt le travail du programme, des enchaînements
A.M. Au niveau de lengagement, je pense quil y aurait alors plus dadhésion de leur part que si cest télécommandé
Le problème, cest quavec lécole, ils ne sont pas habitués. Personnellement, quand je leur demande leur avis, on dirait quils sont paniqués. Ils ne parlent pas, ils ne répondent pas. Ils ont peur
A.M. Cest très important. Cest un comportement stratégique. On observe ça dans les comportements de groupe. Quand on démarre les groupes, que ce soit pour les adultes ou les enfants, les premières séances, ils nous disent : « on ne peut pas, on ne sait pas
» La parole ne vient pas, les échanges ne se font pas. Les professionnels des techniques de groupes pensent que cest une façon de mettre à lépreuve le vrai désir du responsable de ce groupe quant à vraiment laisser la parole. Parce que, soit on va réagir en se disant « ça ne sert à rien, donc annulons », soit on va se donner les moyens dy arriver. Et on sait quau bout de 3-4 séances, ça va se mettre en route. Cest une manière de questionner le désir de celui qui a lancé laffaire. Ou il ny croit pas, cétait de la manipulation et il va vite semparer du fait que ce nest pas possible pour annuler ou faire autre chose. Ou alors, il va dire non. On se donne les moyens dattendre jusquà ce que ça arrive. Les 2-3 premières séances ne peuvent donc pas servir à mesurer leffet produit. Souvent, ceux qui sont contre disent « vous voyez, ça ne sert à rien », ils vont se jeter sur loccasion. Il faut laisser venir et savoir que cest pour eux une façon de dire « est-ce que vraiment jai le droit à la parole ? ». Par contre les conditions du groupe sont aussi très importantes. On parlait tout à lheure de jugement, dévaluation
Il faut des gardiens du groupes qui disent « ça, tu nas pas à le dire à ta collègue
ça na rien à faire là ». Cest très important. Les conditions du groupe sont très importantes
Lors de ma dernière audition, jai eu limpression dêtre très moralisatrice mais jai eu deux trois élèves qui ont commencé à parler dans le fond de la salle, eux avaient joué et sen foutaient un peu des autres qui suivaient
Il faut bien être là pour poser des cadres
il ne faut pas non plus avoir peur davoir ce rôle-là non plus. Si tu ne le fais pas, qui va le faire ?
Je pense que cest notre rôle aussi.
A.M. Il existe aussi des techniques de groupe
On ne dit pas « un tel, tais-toi » ou « un tel, ça ne va pas ». On ne nomme pas les personnes directement, on dit plutôt, « il me semble que dans le groupe, on ne sécoute pas ». Ce nest pas nominatif
On pourrait aussi les préparer mieux en expliquant bien que ça risque de se passer comme ça, mais que ce nest pas une raison pour que chacun discute. Peut-être que lon nanticipe pas assez dans notre pédagogie. Préparer une audition, cest peut-être préparer à comment laudition va se dérouler, dans quelles circonstances
A.M. Donner les règles du jeu
Et quil faut écouter les autres qui jouent. On sait bien quil y en aura toujours qui vont parler, mais on doit pouvoir les préparer mieux à cette occasion.
Ca nous manque de savoir gérer ce type de situation
A.M. Vous ne participez pas à des logiques déquipes donc la formation en groupe vous manque.
La première fois que jai parlé à dautres instrumentistes, cétait au Cefedem. Lors de la première discussion, cétait la première fois que jentendais un saxophoniste parler de ses problèmes !
A.M. Vous dites bien que cest un énorme besoin que de travailler ensemble
Peut-être que ça pourrait faire partie des stages que nous pourrions demander à la formation continue.
Pourquoi pas. Je ne sais pas ce que chacun tirera des deux journées mais je pense que nous pouvons creuser plusieurs pistes. Comment organiser une réflexion, un partage sur lexpérience. On parlait de lintervenant extérieur tout à lheure. Comment faire venir cet intervenant ? Est-ce quon va aller voir notre maire pour réclamer de laide
Chaque école a un budget formation continue, plus ou moins gros
Jai aussi relevé personnellement dans nos propos le fait de faire admettre aux directeurs quils nont pas la compétence afin de pouvoir faire venir un intervenant extérieur
(rires)
Je crois que présenté comme cela, ton directeur va être content
Ou peut-être soulagé ?
Pour la formation continue, je pense quil serait bien de pouvoir travailler sur des logiques de groupes, de travail de groupe, savoir mener un groupe
A.M. Il pourrait y avoir des interventions autour de la pédagogie institutionnelle.
Mais ça correspondrait à un travail avec tout un groupe dans une même école ? Parce quaujourdhui, nous sommes un représentant par école
Je pense que ce nest pas grave. Si au moins, ça fait partie de la formation continue offerte à tous
Sauf quaprès, tu ne peux pas forcément mettre des choses en place dans ton école
Tu pourrais déjà gérer les groupes délèves un peu mieux.
Cest vrai.
Finalement, on en arrive à la conclusion que si on attend tous les collègues pour faire des choses, on risque dattendre longtemps. Il veut mieux avancer soi-même et peut-être cela aura-t-il un impact un jour sur les autres
A.M. Il ne faut jamais oublier à ce propos que linfluence sur le changement de norme, cest linfluence minoritaire. Cest-à-dire que ce sont les minorités qui sont les normes de demain.
Le problème que nous évoquions aussi, cest quon peu aller jusquà lusure
A.M. Oui, mais lusure, je lentends déjà très très forte dans ce que vous engagez pour tenir
Il y a déjà usure dans les conditions dans lesquelles vous êtes
Cest donc une sorte dusure contre une autre
et il me semble quil y a quand même plus dissues de secours dans la deuxième proposition que dans la première
Parce que jentends un fort discours autour de lusure
je suis en vase clos
Je vois, même pour lAME. Certaines personnes ont lâché dun coup lassociation tellement elles étaient usées. A faire des gazettes, jusquà minuit tu plies, alors que cela ne sera peut-être même pas lu
parfois même pas distribué. Tu appelles des gens pour venir en prendre un paquet
et personne ne vient. Et toi, tu as passé trois nuits à photocopier les gazettes et tu vois que ton paquet de photocopies reste bien sagement dans un coin
Au bout dun moment, les gens susent
A.M. Mais en fait, le pire qui puisse arriver, cest
rien. Il vaut mieux suser à tirer quelque chose
Il y a des choses qui aboutissent et dautres non, mais globalement, on sait que linnovation, elle est là derrière, les choses changent, le monde avance, les idées nouvelles émergent
Quand Freud est arrivé en disant que les enfants avaient une sexualité, je peux vous assurer quil était tout seul
au milieu dun colloque de médecins, ça a été lhilarité générale
Quand on porte quelque chose, on choque les normes, on choque les modèles et on est confronté parfois à des formes de répression, dintimidation
Je ne sais pas si tout le monde est capable de supporter cette pression. Quand je mexprime sur un sujet et que personne ne comprend ce que je veux dire, je ninsiste pas
Je narrive pas a supporter dix regards qui me disent « quest-ce que tu dis ? ».
Il y a peut-être un grand pas à franchir
Oui, mais ici, aujourdhui, on est avec des gens qui sont aussi en recherche, on nest pas en face de gens qui sont complètement dans une autre logique
Parfois, on parle et cest un long monologue
A.M. Il nest pas facile dêtre minoritaire
Jai réalisé dernièrement qualors que je pensais que les remarques que javais faites à mon directeur lui passait à mille lieues au-dessus, il avait repris certaines
Je me suis dit que cétait déjà une avancée
Ca prend parfois des trajets qui ne vont pas droit, mais si ça peut faire un peu avancer
Mais est-ce que ce nest pas non plus un peu dans notre culture « scolaire » de vouloir ne prendre la parole que pour dire des choses intéressantes, sans avoir le droit de se tromper. On ne sait pas se dire des choses en groupe
On pourrait aussi discuter juste pour lancer des idées. Il me semble que cest assez typique aussi de la France, où on ne donne pas la parole aux enfants dans un groupe
Je sais quau Canada, les gens sont plus ouverts de ce côté-là et les gens peuvent parler dans un groupe même si ce quils ont à dire nest pas forcément génial.
Ce nest pas que javais eu peur que ce que je disais nétait pas bien, mais cest que dun seul coup, ils te regardent tous et ne te comprennent pas
Apparemment ce que tu dis, cest assez compréhensible
tu ne parles pas une autre langue
Ca veut peut être dire que les gens nécoutent pas vraiment
Je pense quil y a surtout des représentations qui viennent pourrir les discussions.
On écoute avec des a priori et du coup, on nentend pas ce que tu dis.
Le problème, cest que quand Freud a parler, on a ri. Mais lui, il a insisté, parce que quelque part, il sest dit que cétait important de le faire savoir
A.M. Il a été consistant.
alors que moi, jai du mal à être consistante. Même si je parle dun truc et que jai eu le mérite dy réfléchir. Et, quand je pose mon doute et que je vois que personne ne lentend
A.M. Vous affirmez que lautre na pas entendu
Mais selon quels critères ? Quelle est la mesure de lécoute de lautre ? Que savez-vous de leffet que produit une parole sur la durée ? Personnellement, jai pu constater que ce que lon dit à lautre, si ça a du sens, de toute façon, à un moment ou à un autre, ça va faire grincer dans les rouages
Il y a une certaine impatience dans votre position. Cest cette impatience de changements qui vous fait perdre un peu courage. Je ne suis pas sûr du tout que les gens nentendent pas. Au contraire même. Quand vous arrivez en disant que vous avez des difficultés et que les autres vous disent « moi, pas », je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce qui se passe. Comment lautre peut-il décemment rester cohérent en disant officiellement « moi pas » ?
Il ne dit pas « moi pas », mais « tu ne devrais pas dire ça ! ». (rires)
Ce qui prouve quen fait, il est mal à laise
et que quelque part, il a bien entendu
A.M. A mon avis, leffet voulu est le bon
Mais vous le sous-estimez
il est beaucoup plus important quil ny paraît. Lautre est obligé davoir une certaine prestance, de garder la face quoi quil arrive. Même si derrière
Jai parfois du mal à accepter que les autres se cachent comme ça, quils ne disent pas les choses directement. Jaimerais quils me disent aussi « moi non plus, je ne sais pas »
Ca me rassurerait
(rires)
Je pense que cest une question de temps
Ca a parfois besoin de mûrir
Oui, daccord
Mais il y en a marre aussi dattendre
Tu vois sil est possible de faire quelque chose autrement, parfois, il vaut mieux changer de structure !
Cest sûr quon arrive à rester dans une structure assez longtemps, et on ne sent pas non plus un mouvement énorme. Même sil se trouve que jai effectué des remplacements dernièrement et que jai vu que dans les autres écoles ça nétait pas tellement mieux. Ca a été pour moi une révélation. Je me suis dit alors « lidéal nexiste pas » et quil fallait sadapter et faire bouger où on était
En même temps, aujourdhui, après avoir essayé, jai limpression que plus rien nest possible et que je vais exploser.
Il y aussi une chose qui nexiste pas dans notre métier, cest un véritable projet détablissement. Cest un truc qui se met doucement en place, mais, ce que je souhaite, cest de pouvoir faire un jour un entretien dembauche où on me dise « voilà, dans cette école, les choix qui ont été faits. Vous prenez ou pas ». Je suis désolé, mais à chaque fois, jai été trompé sur "la marchandise"
Ca nétait pas en adéquation
En même temps, ça ne laisse pas non plus beaucoup de champ libre. Quelquun qui te dit dans cette école, « ça se passe comme ça et comme ça
». Personnellement, ça ne me fait pas non plus très envie.
Cest pour les finalités, pas pour les moyens
Et puis, on peut le renégocier un peu de temps en temps
Mais, ça peut aussi être bien darriver et dapporter ses idées.
Oui, mais si tu arrives et quon te dit « ici, le but est que nos élèves aillent au CNSM, ici, cest ce qui compte », au moins tu sais où tu vas
Je ne pense pas quil y ai beaucoup décoles aujourdhui où tu puisses entendre ce genre de discours
Pourtant, ça peut être écrit, même sur le règlement intérieur dune petite école de musique de campagne
Le problème aussi, cest que cest rarement dit mais malheureusement parfois appliqué
Ca prouve bien que souvent, les finalités ne sont pas réfléchies
Jai vu dans un règlement intérieur dune association les finalités suivantes : jouer dans lensemble de lécole pour répondre aux besoins de la ville et poursuivre ses études dans les établissements supérieurs.
Au moins, cest clair
Cest peut-être un règlement qui na pas été revu depuis vingt à trente ans ?
Si
ça a peut-être le mérite dêtre clair, mais ce nest pas parce quil y a un projet détablissement, quelque chose décrit que cest une garantie.
A.M. Le projet doit éclaircir les objectifs, quon atteindra ou pas, mais il doit aussi indiquer les moyens que lon va mettre en uvre. Cest aussi un inventaire des moyens. Ce qui a été évoqué, cest la nécessité de temps déquipe et de travail de groupe permettant de fédérer un peu tout le monde et de mettre à plat les difficultés rencontrées, les solutions, les expériences. Jentends ce matin cette demande. Ca vous inquiète parce que vous nen avez pas vraiment fait lexpérience et en même temps, ça paraît incontournable
A partir du moment où il y a un travail déquipe qui se fait, on peut arriver à un projet qui ne soit pas celui du directeur. Quest-ce que cest quun projet quon fait tout seul ? Quelle est sa validité ?
Par exemple, au Canada, ils avaient de super appareils pour gérer les mouvements de la police à Toronto. Les policiers travaillaient par deux à laide de radios et on les prévenait quil se passait quelque chose ici et là par radio. Toute cette organisation avait pour but daméliorer la sécurité des populations. Mais quand on signalait un problème, les policiers choisissaient là où ça les arrangeait. Ainsi, quelque soit la qualité du dispositif en haut, il y a les interprètes en bas qui font un peu comme ils veulent. Ils ont toujours une marge de liberté et ils vont choisir plutôt ça que ça. Ce que je veux dire, cest quil existe une interprétation, une polarisation qui fait que si on nest pas porteur du projet, on va aller du côté où ça nous arrange. Donc, quest-ce quun projet qui est décrété den haut sil nest pas un peu lécho de ce que lon sait faire plus loin ?
Je crois que le travail de base, cest pouvoir se réunir, se parler. Quitte à mettre un ou deux ans pour commencer à construire quelque chose en commun et ensuite seulement on pourra arriver à un projet collectif. Là, ça aura du sens à la fois en termes dobjectifs, de moyens et dévaluation.
Malheureusement, le consensus sur un projet est très difficile à obtenir. Cest ce qui se passe dans mon école où le directeur, dans le projet détablissement, pousse beaucoup dans une direction novatrice mais ça explose à la base où les professeurs ne suivent pas
Et la seule solution pour que la vie soit sereine serait de ne pas trop bouger, ce qui nest probablement pas non plus une bonne solution. Mais je ne connais pas beaucoup décoles de musique où on pourrait avoir un projet détablissement vraiment consensuel
A.M. Je vous rassure, dans les établissements de lenfance inadaptée ou du handicap où travaillent des équipes, celles-ci sont toujours en travail, en recherche. Mais au moins, il existe des instances qui permettent de réguler ça, de pouvoir parler. Ce qui fait que les gens peuvent travailler ensemble et restent gestionnaires de quelque chose. Ils se sentent impliqués, engagés dans un dispositif et peuvent se projeter. Mais cest aussi un moyen de se protéger ! Dans tout ça, il y a aussi tout ce quon engage de soi-même dans des réponses incertaines quand on fait un projet tout seul dans son coin. Alors quil peut exister une solidarité de groupe. Et les collègues peuvent donner leur avis « moi, dans cette situation, je nirais pas aussi loin
» Ce qui fait que quand il y a un conflit avec une famille ou un usager, on ne se retrouve pas tout seul et démuni, mais porteur et représentant du tout, de lorganisation. Cest à la fois un garde fou et en même temps, ça réchauffe de se dire que les autres sont là et quon peut se parler.
Quest-ce quon peut faire concrètement quand on va rentrer dans nos écoles ?
On peut déjà se rencontrer par les réunions de lAME. Ou même donner un coup de main pour diffuser les gazettes, ça permet déjà de faire avancer un peu le débat. Ma deuxième réponse est quon peut agir dans nos écoles. On veut bien être souple mais il y a des limites et parfois, il faut aussi dire les choses.
Il serait peut-être bien aussi de mettre par écrit les questions que lon se pose de manière à ce que les autres sachent un peu quelles questions nous semblent importantes. Et même pour les collègues de son école.
Cest ce qui est fait dans les gazettes de lAME et parfois, on se demande si ça a un impact
Je pense que si. Ne serait-ce que sil y a une seule personne par école qui la lit
elle va peut-être y trouver son compte et continuer à y réfléchir
A.M. On ne peut pas attendre un rapport qualité/prix, des résultats immédiats avec ce genre de choses, on sait bien que ça vient petit à petit. Par exemple, prenons le droit de vote des femmes. Quand on pense au temps quil a fallu pour le faire admettre
Ca a été du travail !
On ne fait pas changer les normes comme ça. Par contre, quand elles changent, cest presque instantané. Il faut que la minorité évolue et que tous ceux qui étaient hésitants, qui avaient peur de mal faire, basculent. Ceux qui sont radicalement contre sont en général une petite minorité. Il faut souvent faire un travail auprès des hésitants, qui se mettent souvent du côté "du plus fort"
Il y a toujours une part de conformisme
On est tous un peu conformistes.
Ce qui est bien avec les écrits, cest que parfois on lit un article et on se dit que ça traduit exactement quelque chose que lon ressentait et que lon narrivait pas bien à formuler. Cest comme si quelque chose séclairait. Et du coup, cest aussi plus clair quand on veut discuter avec les collègues sur ce sujet.
Les résumés de livre aussi sont à ce titre très intéressants
Mais cest dur de se pousser pour le faire.
Peut-être le Forum présent sur le site de lassociation pourra-t-il aussi permettre ces débats.
Pour en revenir sur la parole, jai limpression que parfois, chez nos collègues, ce nest pas bien vu de parler. Cest un peu comme si le musicien est là pour jouer et non pour parler. A partir du moment où il va tenir un discours sur la musique ou sa pratique pédagogique, on va vite lui demander où il joue et si cest un grand musicien. A la limite, il ny aurait que les grands musiciens qui auraient la légitimité pour parler. Il y a aussi cette représentation qui complique ou même interdit le débat.
Dans le même ordre desprit, on va dire aussi quil est un "intellectuel" et quil ne peut donc ni bien jouer, ni bien enseigner. Ce serait des pratiques qui se font mais ne se réfléchissent pas. On serait uniquement dans lordre de linstant, de lintuitif. On ne pourrait pas alors avoir de discours convainquant à leur propos. Ca se rapproche de la conception romantique de la musique qui voit la musique comme un médium dexpression qui va au-delà des mots.
On a un grenier plein de vieilles conceptions quil faudrait interroger et changer un peu. Mais ce nest pas facile. On a beau connaître et être daccord avec plein de bonnes idées, on se voit encore utiliser des vieilles pratiques qui ne rentrent pas vraiment en adéquation. Le fait den prendre conscience fait tout de même quon essaye quand même des petites choses
Cela dit, je pense quil est nécessaire quon prenne tout de même la parole. Quand par exemple, il se passe une chose qui nous illumine sur notre pratique et nous fait avancer dans notre questionnement sur ce sujet, quand quelquun sexprime et réussi à mettre les mots sur une chose que tu ressentais et que tu as limpression que ça la légitime, la justifie, il serait dommage de ne pas en faire part aux collègues et de faire évoluer le groupe en entier.
Cest vrai que cest ce qui se passe aujourdhui
Cest sûr que de voir que les autres se posent les mêmes questions, ça rassure énormément
et que quand jai un problème, ce nest pas que ma faute
A.M. Cest la norme...
Et cest vrai que quand quelquun arrive à mettre des mots sur les problèmes, ça permet davancer
On peut aussi lire les nombreux livres de pédagogie
mais comme ils ne sont pas spécifiques à la musique, les profs ont peur que cela ne les intéressent pas. Personnellement, jai rarement appris de livres écrits par des musiciens du genre instrumentistes internationaux, mais souvent de livres écrits par des enseignants ou chercheurs de lEducation Nationale qui prenaient de la hauteur et dont javais parfois limpression quils écrivaient pour notre profession tellement je trouvais que les propos étaient pertinents, pour notre profession autant que pour la leur...
Et puis, on ne peut pas dire quil existe beaucoup de livres pour notre profession
A.M. Dans ce que vous dites, jentends le besoin dêtre rassurés. Je pense que vous serez rassurés dans votre pratique quand vous aurez fait collectivement lexpérience de la relation à lincertitude. Le problème reste la relation à lincertitude et comment la gérer et non comment léviter parce que lon en a peur. Il y a matière à travail. Lincertitude est une réalité comme une serrure dans une porte, une poignée dans une fenêtre. Lincertitude est constituante de la réalité. Ce nest donc pas un élément quil faut taire quand on y est confronté, mais qui doit être matière à travail. Or, cest dans ces moments-là que lon a tendance à se replier, à garder pour soi et à se dire « il ne vaut mieux pas que jen parle sinon ça va me retomber dessus ». Ca me fait penser au livre dont vous parliez tout à lheure « Lerreur, un outils pour enseigner » dAstolfi. Je ne connais pas ce livre mais je sais quaujourdhui, lerreur a changé de statut. Avant, cétait la faute
Alors quaujourdhui, par exemple avec la "démarche qualité", lerreur doit permettre de voir là où ça nest pas allé pour améliorer la qualité
Il faut bien que les gens puissent dire quil y a erreur sinon on ne peut pas travailler sur la qualité.
Il ne faut pas penser quon apprend aux élèves comme un maçon fait un mur avec des briques et que sils nont pas "les bases" et se trompent, ce nest pas la catastrophe. Et les erreurs peuvent être constructives, ils ne faut pas les dramatiser.
A.M. Oui. On nest plus dans un rapport au savoir qui serait « lélève est quelquun de vide que je vais remplir », mais plutôt « on marche ensemble vers quelque chose qui ressemble à du savoir, qui est plus ou moins construit, dont on va voir le fond mais aussi la superficialité, le sens que ça a quand ça se produit
».
Il faut dire que dans notre métier, on a un problème particulier avec les notions de savoir-faire et de savoir. Il me semble pourtant quon peut comprendre quune pratique instrumentale mobilise à la fois des savoirs et des savoirs-faire. Mais cest tout un héritage dun débat ancien sur la pratique et la théorie... Cest vrai aussi quentre les savoirs-faire, les objectifs, les tâches
on peut vite tout mélanger
Est-ce que savoir enchaîner des cadences est un objectif ?
A.M. Ce sont des sujets qui pourraient intéresser un groupe qui voudrait établir une grille dévaluation. Vous apporteriez chacun vos critères, les indicateurs que vous avez choisis. Lessentiel est darriver à un compromis qui ferait sens à la fois dans la formulation et les critères de base pour une évaluation. Ce qui est important dans ce type de grille, ce nest pas quelle soit personnelle à lélève, mais quen croisant avec les exigences des collègues, on fasse apparaître les régularités. On pourra ainsi discuter ensemble du pourquoi on trouve que certaines choses sont régulières ou pas. On questionnera ainsi sa capacité à lire la grille et on verra les écarts qui peuvent survenir suivant les différentes manière de lappliquer. Le but nétant pas de dire si on lapplique bien ou non mais dadmettre que ces écarts font partis de la pratique. Ces questions pourraient être traitées par un groupe de réflexion sur une grille dévaluation et détablissement des critères servant à lévaluation. Et la question des savoirs et des savoirs-faire est à ce titre une question de base. Mais vous nallez pas à vous tout seul réinventer tout ce qui se pense
Vous pouvez aller vous inspirer de la démarche qualité, par exemple
Il existe pas mal de livres sur les compétences. Mais quand on se met daccord sur une grille, il y a forcément des écarts qui existent et il convient den parler sans dire quil y a un bon ou un mauvais écart. On se doute bien que les pratiques de chacun sont différentes. Limportant, cest davoir la possibilité de pouvoir mettre ça aussi en commun.
A propos des savoirs-faire, je me demande parfois si ce que lélève réussit à me faire dans un morceau, il saura le refaire dans un autre contexte. Est-ce quil a suffisamment de savoir pour le refaire ?
A.M. Je pense que ça peut être un autre indicateur sur ses compétences
En tout cas, cest sûr quen temps quenseignante, je mattache surtout aux savoirs-faire. On présente aux élèves des choses et cest eux qui se lapproprient ou pas. Mais pour ce qui est des savoirs, je me sens tout de suite moins à laise. Du coup, quand on parle denseigner aussi des savoirs, jai limpression de perdre un peu de ma légitimité
A.M. Ce que je vois aussi, cest que vous utilisez parfois des termes où vous ne mettez pas les mêmes choses, le même sens derrière. Vous touchez à des formulations qui portent des significations différentes suivant les personnes. Et lintérêt pour sortir de cette boucle, où vous êtes seule finalement, cest de se confronter à ce que les autres vont vous dire. Il faut en même temps renoncer à un idéal du mot qui définirait tout en acceptant la limite des termes. En général, dans la définition dune grille, les items sont assez modestes. Des petits savoirs, mais bien précis.
Cest aussi ça qui est tant décrié dans le domaine artistique. Jutilise personnellement une grille mais je la cache parce que quand je lai montrée à des collègues, ils mont dit : « Quest-ce que cest que ça, ce nest pas de lart ! ». Le savoir-faire artisanal qui est compris dans le métier dartiste nest pas reconnu en tant que tel.
A.M. Vous voyez bien que ça pourrait être le sujet dun groupe de travail où chacun ramènerait des situations quil a vécues comme mesurant le savoir-faire de son élève. En essayant dexpliquer pourquoi aux autres. Ce travail de formulation est très important.
Il y a aussi le fait que cest très différent avec chaque élève. Je lisais un texte de Philippe Meirieu qui traitait de la pédagogie différenciée. Il rapportait le travail exceptionnel des professeurs de gymnastique qui avaient élaboré un tableau des compétences techniques visées mais qui finalement ne correspondait plus à rien par rapport aux élèves quils avaient en face deux, qui ne rendait plus compte de la réalité. Alors, classifier nest peut-être pas la solution au problème.
A.M. Il faut rester modeste
Mais si je fais une recherche sur les objectifs, cest pour moi, je ne le montre pas aux élèves
Moi, je le montre.
A.M. Ca montre bien quil y aurait encore matière à dialoguer
Cest sûr que la question des objectifs intéresse aussi bien lélève qui doit savoir vers quoi il doit aller, que le prof pour quil sache un peu orienter les situations quil va mettre en place.
A.M. Il faudrait systématiser lobservation.
Parce que jenseigne quoi, au juste ? linstrument
mais aussi la musique
Mais jaimerais bien être capable aussi de définir plus clairement les savoirs noyaux qui doivent être appris et qui sous-tendent la pratique des gestes instrumentaux et des choix musicaux.
Il y a quelque chose qui ma toujours paru bizarre dans lévaluation. Cest que lon puisse donner un diplôme à partir de 10/20. Je ne confierais pas ma vie à un médecin si je savais quil est à 10/20 des capacités nécessaires. Cette évaluation ne devrait donc pas être utilisée quand on parle de capacités. La notation pour évaluer un savoir-faire me paraît inadaptée. On la acquis ou pas
A.M. Sans vouloir arrêter le débat, je voudrais vous faire remarquer que vous êtes en train de faire un inventaire sur ce que seraient ces items qui vous permettraient de forger une grille. Il y a une vraie demande autour de la question « Comment on évalue ? ».
Cest vrai que si on pouvait avec tous mes collègues arriver à se mettre daccord
Je ne sais pas si on peut arriver dans une école à mettre tout le monde daccord. Et puis, lhistoire de lécole fait quon arrive à une situation et pas une autre
A.M. Ce qui se passe, cest que la rationalité de la grille contient aussi lirrationalité des choix qui sont faits et qui est difficile à porter tout seul. La question nest donc pas « Est-ce que vous êtes daccord ? », mais de voir que lon partage le fait que nous ne soyons pas daccord et que malgré celui-ci et le fait que chacun sache quil y a une part darbitraire, chacun accepte de façon consensuelle le fonctionnement. La grille dévaluation restera de toute façon injuste car on ne pourra jamais tout prendre en compte. Par ailleurs, le juge qui mesure par rapport à la grille a aussi sa propre subjectivité. Donc, même si la grille est parfaite, la mesure restera injuste. Lidée est donc de mettre en commun ses peurs, ses inquiétudes, ses limites. Mais cette perte de lidéal de justice, on essaye de la pondérer par lavis de lautre, par une régulation. Il sagit plus de régulation que de vérité ou de justesse.
Est-il vraiment possible alors détablir une grille valable ?
A.M. Cest important tout de même. Cest vrai quune grille est quelque chose dinaccessible, jamais totalement satisfaisante, mais derrière la grille, il y a la parole de gens et on peut tout de même sy rapporter, sy référer. Elle est le résultat des subjectivités mais au moins, elle est partagée. Il y a cette idée du partage de quelque chose quon aurait pas fait tout seul. Une des difficultés de ce métier denseignant cest tout de même davoir à faire avec sa subjectivité tout seul. Découvrir celle de lautre, les mettre en commun, ça rassure et ça aide à laccepter. Nous sommes porteurs dincertitude.
Est-ce quil serait possible davoir un peu plus de détails sur le travail en équipe qui est fait dans le milieu social ?
A.M. Je crois quune intervention est prévu demain sur le thème du travail en équipe. Ce que je peux dire de mon expérience, cest quà coup sûr on doit admettre quil ny a pas de vérité, que nous sommes des techniciens de lincertitude et que cette incertitude est un des éléments essentiels avec lesquels nous traitons. Etre compétent quand la situation est facile et que la réponse est préétablie, ça va
Est-ce que lincertitude rejoint un peu le doute ?
A.M. Cest autre chose. Le doute, cest par exemple, quand vous hésitez entre plusieurs réponses possibles. Lincertitude, cest quand vous navez pas de réponse et que vous devez la générer. Par exemple, jai un étudiant qui me demande si une personne peut sortir. Il est tout seul, il ne connaît pas la règle. Dois-je dire oui ou non ? ll va falloir sengager puisquon ne connaît pas le modèle. Ou alors, par exemple, dans les situations nouvelles. Si je rencontre un de mes gamins qui fait du stop. Puis-je le prendre dans ma voiture privée sur un temps privé ? Ou est-ce que je fais semblant de ne pas le voir ? Dans les deux cas, il y a quelque chose qui ne colle pas. Si je le prends, je lencourage à faire du stop ; si je ne le prend pas, je suis en dissonance aussi
On est dans un cas de figure difficile où quoi quon réponde, on est à côté, mais en même temps il faut répondre. On doit donc sans cesse modéliser, mettre en place des réponses qui nexistent pas. Et la question est « Comment gérer les réponses quon produit en permanence ? Comment on est accompagné en cas de problème par léquipe ? ». Or si on nen a pas parlé avec les autres, quand une maman nest pas contente, on est tout seul. Quand on est accompagné, quon discute de ce qui nous arrive et que chacun dit ce quil en pense, je peux vous assurer que le groupe va toujours plus loin que les compétences individuelles.
Et au niveau de lorganisation, comment cest géré ?
A.M. Les équipes ont à peu près trois heures de réunion par semaine au minimum. Souvent, parce quelles ont des logiques durgence comme vous, il sagit de réunions dorganisation pour régler les histoires de planning, de 35 heures
Ce qui leur prend beaucoup de temps. Mais il y aussi des réunions de synthèse. Pour résumer, on prend un cas ou une situation, et pendant deux heures tout le monde va pouvoir donner la position quil a. Lanalyste, lintervenant extérieur ou des collègues témoignent quils lont déjà vu à tel endroit, que ça sest passé comme ça, quils voient ça plutôt comme ça. A force, on apprend à explorer une situation, à repérer ce qui est commun, comment auraient réagi les autres et du coup à identifier les normes implicites du groupe avec lequel on travaille. Léquipe elle-même dégage ses propres normes ce qui fait que petit à petit, on élabore des repères
Il y a des personnes qui vont vous dire « Est-ce que je peux prendre mon enfant ? » alors que jai lordonnance du juge qui ma interdit de leur confier le gamin. Je ne vais pas leur dire non. Je vais leur dire « Ecoutez Madame, jai bien entendu votre demande. Je vais consulter léquipe et en référer au juge. Nous vous donnerons notre réponse ». En fait, jai des stratégies qui me permettent de différer mes réponses. Je ne réponds pas du tac au tac. Japprends à différer, à organiser des temps de réponse, à me donner des délais, parce que je compte sur les gens autour de moi. Létude de cas, de situations peut avoir aussi un effet important au niveau de lécoute.. Le but étant de se familiariser avec lincertitude, avec la complexité, avec les enjeux. Souvent des enjeux nous échappent et ils nous reviennent plus tard dans la figure
Dans notre profession, nous ne sommes pas confrontés à des situations aussi complexes
A.M. Je vous ai répondu en prenant des exemples sur le terrain que je connais, mais daprès ce que jentends, vous êtes aussi des techniciens de lincertitude. Alors de quelle nature est cette incertitude ? Il doit aussi y avoir des spécificités. A coup sûr, quand on mutualise son expérience, on sort de sa solitude Et si on a des orientations à prendre, qui restent subjectives, lorsquelles sont un peu portées par le groupe, elles sont un peu plus consistantes. On évalue différents aspects que lon navait pas vu tout seul et cela permet de se placer dune manière un peu différente, plus stratégique et moins dans lurgence. Que ce soit en tant quenseignant ou éducateur, nous sommes en relation avec les familles, avec les gamins. Parfois on me demande de répondre à des questions difficiles. Si je sais que je compte sur le groupe, je réponds « Je vous rappelle, madame ». Et là, je deviens stratège. On ne peut pas répondre à tout dans lurgence, immédiatement. Différer, ça aide à penser. Et puis, ça renvoie à des logiques déquipes puisque la règle portée par une équipe est beaucoup plus forte, déterminante que si cest une règle que lon a déterminée entre soi et soi en voiture, à un carrefour parce quon a eu lidée à ce moment-là et quon veut voir ce que ça donne
et cest vrai, je ne sais pas si vous en avez fait lexpérience, ce quon arrive à produire en groupe, de façon collégiale sur le plan de la profondeur, du sens et des réponses, ça va beaucoup plus loin que ce quon arrive à concevoir et ce quon à trouver tout seul. Même la personne très intelligente ny peut rien. Le groupe, dans nimporte quelle situation, va aller plus loin, trouver quelque chose de plus élaboré
Je reviendrais bien sur la question du savoir-faire et du savoir. Quand on parlé dautonomie dans la pratique, il ma semblé quelle était présente aussi. Y a-t-il une autonomie qui soit dautre chose que de la pratique ? Souvent, on fait une opposition trop grande entre les savoirs théoriques et la pratique. Dabord, on réduit le mot "pratique" à la signification de pratique instrumentale. Je pense que lon peut imaginer dautres formes de pratiques. Par exemple, si je travaille sur lacoustique et la compréhension de ce quest un phénomène sonore, je peux imaginer des pratiques qui font découvrir ces savoirs autour de lacoustique
Tous ces savoirs qui font la compréhension de ce quest la musique peuvent être abordés par différentes approches de la musique et de manière pratique autant que par des cours magistraux. Donc il existe dautres pratiques qui ne font pas manipuler des instruments mais qui nous aident à comprendre la musique. Ensuite, une pratique nest pas innée, elle est orientée par des connaissances, par toute une représentation du monde et de la musique que lon construit.
Il y aurait une connexion entre savoir et savoir-faire
On construit les savoirs à partir des savoirs-faires
Le problème de ces notions, cest que chacun ny met pas toujours le même sens
A.M. Ce qui est sûr, cest que ce que je sais, je ne peux le savoir quau travers du monde et je ne peux lexprimer que dans lordre du comportement. Or le comportement est un savoir-faire. Le savoir est toujours lisible à travers le comportement.
Est-ce quon ne construit pas le savoir sur lexpérience ? Quest-ce quun savoir livresque qui na pas été vérifié par lexpérience ?
A.M. Actuellement, la définition de la compétence, ce nest pas dêtre compétent quand on sait, mais dêtre compétent quand on ne sait pas. Cest-à-dire dêtre capable de produire des réponses dans lincertitude. Cest ça la vraie compétence. Quand jétais chef de service, jattendais dun éducateur quil soit compétent, pas au moment des repas où cest facile, mais dans les moments où la soupe a brûlé ou la cuisinière nest pas arrivée au boulot
Donc de gérer, dêtre opérationnel quand même quand les faits prévus ne sont pas arrivés. Cest davantage la capacité de gérer limprévu. Vous êtes formés à des choses prévues, or, ce qui vous pose problème, cest dêtre confrontés à ce qui nest pas prévu. Lélève qui ne bosse pas
Vous arrivez avec un modèle idéal mais quand il a oublié son instrument, ou encore ses parents ne sont pas daccord
Vous êtes gestionnaires de ce qui ne rentre pas dans les savoirs
Mais ça, ce nest pas du savoir, cest savoir sadapter
A.M. Là est la vraie compétence
Il ny a pas de prêt-à-penser, de prêt-à-répondre, il ny a pas de modèle
Un agrégé de musicologie qui a fait pas mal dannées détudes et a pas mal de savoirs a-t-il pour autant des compétences pour enseigner ?
Sil a fait lI.U.F.M., il a plus de chance
A.M. Sil nest compétent que quand le modèle est conforme à ses savoirs, il va être mal
Mais la compétence nest pas le savoir ?
A.M. La compétence, cest laptitude à gérer ses savoirs.
On apprend pas à jouer dun instrument en lisant un livre
A.M. On ne fait pas du vélo sur la photo dun vélo...
Il y a peut-être différents savoirs
Moi, je voudrais savoir si connaître la vie de Beethoven pour jouer une sonate est nécessaire, si cest un savoir, en quoi ce savoir peut un jour entrer dans la pratique instrumentale
Jai limpression quon ne considère le savoir que parce quil est au service dune pratique instrumentale. A quoi ça sert de savoir que Bach utilisait le nombre dor puisque ça ne change rien quand je joue cette oeuvre ? Je trouve dommage, dans une éducation musicale, de dire quun savoir nest accepté que parce quil va me servir dans une pratique instrumentale
Ca motive plus quand tu es musicien
ça alimente ta pratique
plutôt que de lire un livre
En même temps, pourquoi se refuser tout ce qui peut aider à comprendre le monde, une époque, un contexte au nom de la primauté de la pratique instrumentale
Là, on retombe sur la question des savoirs quon veut enseigner.
A.M. Ensuite, il y aura aussi la question du feed-back. Quel retour avez-vous sur les effets produits ? Comment savez-vous que lautre sait ?
Je voudrais apporter un témoignage. Pendant des années, on ma dit aux examens que jinterprétais bien mes morceaux. Alors que je ne comprenais rien. Je jouais en serrant les fesses en me disant « Ca passe ou ça casse ! ». Javais un sentiment dinsécurité terrible, le sentiment de ne rien savoir, de ne rien pouvoir prévoir. Je me disais juste quil fallait que je me donne à fond. Et peut-être que je suis passée à cause de quelque chose qui navait rien à voir avec la musique, la capacité de transpirer sans avoir lair de transpirer
Ce que je vois cest limportance quil y a de comprendre un peu ce que lon fait pour être un minimum acteur
et devenir autonome
A.M. A propos des examens, on est daccord que tout critère va être subjectif. On est dans de linformation qui nest pas rationnelle, on nest pas dans les mathématiques. Tout critère va avoir une part de subjectivité. Par exemple, il y a eu une étude qui a été faite sur "le beau". On a pris un jury et on lui a demandé de choisir sur deux cents photos lesquelles pour lui étaient belles. On estimait la beauté définie par les critères de ce jury. Ensuite, on a demandé à des sujets "naïfs" de définir ce qui était beau ou pas et on a confronté les résultats du jury pour voir sils étaient dans la norme ou pas. Au niveau de la grille, des critères de compétence que vous allez élaborer, on sait que cest subjectif, mais celle-ci va être pondérée par la régulation de léquipe. Vous vous rendez bien compte que quand on décide quun gamin peut rentrer chez lui alors quil naura peut-être pas à manger, quil dormira dans le couloir, arrivera en retard à lécole mais quil est important quil soit avec sa maman, les critères sont dune subjectivité terrible. Mais ces critères sont mis à plat et dun point de vue consensuel, on dit plutôt oui ou plutôt non. On gère ces incertitudes mais on prend position.
Nous sommes peut-être trop rationalistes. Cest « oui ou non » mais dans le sens de « cest juste ou cest faux »
Il nous reste du travail pour établir ces critères consensuels mais il faut bien créer ce cadre, quand on voit les commentaires donnés aux élèves après un examen
Quand on va à un examen, on génère nos propres critères tout en étant à lécoute de ceux des autres membres du jury ce qui fait une sorte de critère commun. Quand on arrive dans une nouvelle école de musique en tant que jury la phrase rituelle cest « Et chez vous, cest comment ? ». Comme on na plus de norme globale, que cest différent dans chaque école, on vérifie dabord les normes.
Parfois on reçoit à lavance un certain nombre de critères prédéfinis.
A.M. Au bac, cest ce qui se passe.
Mais ça restera toujours plus facile de juger les copies de maths que de philo.
A.M. Justement, en philosophie, les correcteurs prennent un certain nombre de copies et se mettent daccord sur ce qui va et ne va pas et chacun repart dans son coin avec une certaine norme informelle du groupe.
Et puis les études montrent que les notes en philo pour une même copie allaient de 2 à 18. Et en maths de 4 à 16. On nen est pas très loin. En tout cas, ça fait réfléchir au mythe de lobjectivité.
A.M. Il y a aussi à prendre une position dadulte en disant que nous sommes subjectifs mais que notre subjectivité est cogérée.
Et donc dire aux élèves que lappréciation dun autre jury serait peut-être différente mais quon assume notre décision. Il ny a pas de vérité par rapport à cette prestation à linstant t.
Et avec les petits ?
Cest peut-être plus délicat mais ils sont peut-être aussi moins en danger pour les résultats
A.M. Ce qui est terrible, cest dadmettre que ce ne sera ni une vérité, ni juste
il ne peut y avoir régulation que par léquipe.
Je vois bien ce qui est dit, mais pour lélève, ça va être très difficile. Est-ce que ça ne risque pas de les empêcher davancer ?
Ca dépend des critères. A mon avis, les élèves doivent connaître les critères. Cest ce qui leur permet alors de comprendre.
Le problème, cest que le prof a les siens, le jury dautres et les élèves ont bon dos
Ca crée des situations conflictuelles
Peut-être peut-on imaginer de préparer ça à lavance ? Ou que le jury ait la grille préparée par les prof et les élèves ?
Il y a un métier de jury en fait
On ne peut pas non plus faire deux heures de réunions du jury avant de faire chaque examen
En même temps, ce sont les élèves qui paient les pots cassés
Cest terrible parce que les examens prennent une place énorme dans la vie des écoles et que nous ne sommes pourtant pas très compétents
En plus, ils arrivent presque à nous faire oublier que le plus important, cest quon est là pour leur faire apprendre.
Lun nempêche pas lautre
Ils peuvent aussi apprendre et avoir des examens de temps en temps.
Oui, mais en attendant une professionnalisation du métier, on ne sait même pas les gérer correctement
Tout dépend aussi de comment on fait vivre cet examen, ce quon y met derrière. Si on leur dit « cest bien, cest pas bien »
Cest souvent comme ça
(brouhaha)
A.M. Visiblement, il y a des enjeux derrière cette question...
Dans le fonctionnement par cycle, on est censé présenter un élève qui est prêt. Logiquement, on ne le met pas en situation déchec.
Donc, ce nest pas la peine davoir des examens !
En plus ça va être parfois la seule fois où lélève va rater son exécution et il ne va avoir sa fin de cycle
En général, il n y a problème que quand il y a une mauvaise préparation
Ca veut dire que lexamen ne se fait pas pour lélève, pour juger des compétences de lélève mais est plutôt un regard extérieur dont le professeur a besoin épisodiquement pour évaluer son travail. On se demande parfois pour qui est fait lexamen !
On retombe sur le besoin dévaluation des professeurs dont nous parlions tout à lheure
On peut voir aussi cet examen non comme un couperet qui clôt le cycle mais comme un des moyens dune évaluation qui se fait sur tout un cycle.
Il me semble que ce discours est lié à lidée dun niveau à acquérir par lélève. Et le regard extérieur est considéré dans ce cas comme un regard plus objectif que celui du professeur qui travaille avec lélève depuis des années.
En même temps, cest peut-être structurant pour lenfant de savoir quil a fini son premier cycle
Dans une certaine logique dapprentissage, oui..
Mais peut-on les sortir complètement de ce système alors quils sont dans un système scolaire qui fonctionne comme ça. Je ne pense pas que ça puisse se faire comme ça aussi rapidement.
Je vois personnellement quil existe de plus en plus de cursus alternatifs dans les écoles de musique et qui vaudraient le coup dêtre réellement évalués pour savoir quels sont les problèmes posés mais aussi les réussites trouvées par ceux-ci.
Pour moi, ce qui compte, cest de mettre lélève en situation réellement pratique. Jinstaure un contrat qui dit « dans ton programme de lannée, tu auras à faire une prestation musicale sur tel projet ». Après, on fera ensemble le bilan de ce qui sest bien ou mal passé. En fait, je ne vois pas trop lintérêt dun examen devant un jury
Cest davoir un regard extérieur sur un élève que lon a depuis longtemps
Ca dépend de ce quon met dedans
Moi, je pense que le plus grand danger de labsence dexamen est pour le professeur
On a déjà suffisamment dincertitudes et cest bien de pouvoir avoir aussi de temps en temps des choses sur lesquelles on peut sappuyer
A.M. Dans ce que jentend, il ny aurait quune seule forme dévaluation qui serait lexamen ?
Non. Il y a des U.V., de lévaluation continue, il y a les auditions. Cest un moyen parmi les autres
A.M.
qui vient pondérer la moyenne du travail rendu.
A la suite de lexamen, on dit si lélève passe dans le cycle supérieur mais ça tient compte aussi de leur travail en musique de chambre, formation musicale
A.M. Mais lexamen est présenté comme une performance à un moment donné. En exagérant, on demande de courir un 100 mètre en moins de 10-12 secondes
On évalue la performance mais aussi quelques autres critères lorsquon leur donne les morceaux à choisir
Le problème survient quand un jury vient vous dire « cet enfant na pas les bases pour passer dans le cycle supérieur ». Si on ne suit pas son avis, il pourra légitiment se poser la question de pourquoi on la payé pour venir
Il donne son avis sur ce quil vient dentendre mais pas sur la décision du passage
Il faut quil accepte de ne pas être là pour avoir le rôle de couperet.
Cest une bonne question
mais parfois, on se sert de nous pour être ce couperet justement, par exemple dans les examens départementaux.
A.M. Si jai bien compris, à lexamen de fin de cycle, il y a un jury extérieur. De combien de personnes est-il composé ?
Normalement, il y a trois personnes extérieures
Jen ai rarement vu plus dune
A.M. Il y a deux épreuves. Une sur la restitution dun travail effectué en amont et un autre préparée en 10 semaines. Ce que jaimerais comprendre, cest comment se prend la décision du passage ou pas, qui décide ?
Il y a une moyenne qui est faite tenant compte des différentes évaluations.
A.M. Daccord, mais si cette moyenne, cest 9/20, comment ça se passe ? Parce quil existe inévitablement une forte subjectivité dans la notation, et qui décide en bout de course
Sil a 9, il ne passe pas
A.M. Ce nest pas discutable ?
Ca dépend. Il y a des écoles où, pour les cas difficiles, il y a discussion avec les profs dinstruments, de musique densemble
et il y a une décision en collégiale.
Dans beaucoup décoles, ce nest pas une décision prise en collégiale
Mais pour revenir sur le prof extérieur, je pense que le mieux cest quand il y a un échange qui enrichit et le prof et lélève. Lidéal, cest même que celui-ci ait pu voir un peu les élèves avant
Cest sûr que la présence dun prof qui explique un petit peu différemment ou qui insiste lui aussi sur un point, ça fait réfléchir les élèves
Cest comme les stages à lextérieur
En fait, on est daccord sur lutilité dun enrichissement par lextérieur mais il reste la question de la prise de décision.
Je voudrais conclure sur ce point. Cette année dans les deux groupes de travail de lA.M.E. il y a déjà eu beaucoup de questions touchant à lévaluation. Il semble quelle passionne et cristallise beaucoup de problèmes quil nest pas facile de démêler. Je propose donc la création dun groupe de travail ouvert à tous sur ce sujet pour lannée prochaine. Je vous remercie pour votre attention et vous donne rendez-vous demain pour la suite du programme.
A.M.E. GROUPE DE REFLEXION SUR LHARMONIE EN 1ER CYCLE
Présentation par Nelly LACHISE, professeur de piano
Introduction :
Le texte présenté ce matin est le fruit de la réflexion dun groupe qui sest réuni à 6 reprises pendant 6 matinées depuis janvier 2003.
La volonté des participants était de ne pas se limiter à une recherche dune perception verticale de plusieurs sons joués ensembles, mais de voir comment aller plus loin avec nos élèves.
Même si la capacité à percevoir plusieurs sons en même temps est déjà un acquis non négligeable. On sera bien content si un élève instrumentiste connaît un peu la partition de piano qui laccompagne ; et lécoute pendant lexécution.
Le problème est que lon peut entendre toutes les notes dun morceau et son accompagnement sans pour autant avoir conscience de lharmonie. Cest le cas pour bien des pianistes, par exemples, qui jouent une myriade de notes sans savoir quels accords sont présents ou sous-tendus. Ils ont essentiellement une conception de la musique comme mouvements coordonnées entre les deux mains. Pourtant le piano est un des instruments harmoniques par excellence
Mais le problème est aussi valable pour tous les instruments dits « monodiques ».
Certains diront que cela ne les empêchent pas de jouer. Nous compléterons alors en disant « tant quils ont une partition ». Car dès que lon sort du cours, et que nous les retrouvons dans des situations musicales dans la vie, comme arranger une partition trop dure, accompagner une chanson, on saperçoit quils nont pas en main tous les outils pour être vraiment autonome dans toutes les situations musicales.
Même les enseignants font aujourdhui reproche à lécole de musique de ne pas pouvoir jouer sans partition, de ne pas savoir accompagner au pied levé, ou composer des petits morceaux, ce que font parfois mieux certains autodidactes
Par ailleurs, la connaissance de lharmonie, tributaire de son contexte, est nécessaire pour faire des choix purement instrumentaux.
Nous voyons alors que la notion dharmonie mérite aujourdhui un meilleur traitement de notre part et nous allons essayer de voir par quels moyens.
Plan du propos :
Nous allons dans un premier temps réfléchir sur la notion dharmonie elle-même.
Nous allons ensuite interroger un certain nombre de notions globales qui nous permettrons de mieux comprendre dans quoi sinscrit notre réflexion. Notamment les notions de « registre de conceptualisation » et de « Zone proximale de développement ».
Nous étudierons pour finir des situations de cours que nous avons imaginés et présenterons la démarche qui a été choisie pour leur conception.
1. Réflexion sur la Notion dharmonie, elle-même et définition des attributs principaux de lharmonie.
Nous allons maintenant essayer dy voir plus clair sur la notion dharmonie. Cette tentative a été difficile pour le groupe car elle touche à beaucoup dautres notions par glissement, qui sont parfois elles-mêmes imprécises et tous les participants navaient pas les mêmes représentations sur celles-ci. Si bien quil nous a fallu passer du temps pour se mettre daccord.
Selon la définition dun dictionnaire (Université dOxford) lharmonie se caractérise ainsi :
« Si lon définit le contrepoint comme lélément de désaccord entre les voix ou les parties dune uvre, lharmonie peut-être considérée comme lélément d accord entre ces parties.
Ainsi, dans cette définition, lharmonie est présentée comme la présence dune certaine cohésion qui favorise une écoute verticale de lensemble. Notons quelle définie le " concept comme relatif ", cest-à-dire qui nexiste que par opposition à une autre notion, ici la polyphonie (et pas conjonctif ou disjonctif)
Or il se trouve bien souvent que les notes ne sont pas jouées ensemble et ainsi la perception des accords peut se faire de différentes manières. Pour compliquer le tout, lon peut avoir affaire à une harmonie, ou musique harmonique sans avoir toutes les notes de laccord. Le meilleur exemple peut-être tiré des 6 suites de BACH pour violoncelle.
Ainsi, lHARMONIE peut être considérée comme une période de temps où un certain nombre de notes peuvent sonner ensemble ou pas (conjointes), comme dans une sorte de réservoir, au gré de linterprète et des contraintes stylistiques. Lorganisation rythmique ou la disposition nont pas dincidence sur la nature de lharmonie.
Il nous semble important que les élèves comprennent que parfois, jouer à la suite DO, MI, SOL, est la mise en mouvement dune harmonie, manifestation linéaire, horizontale dun espace sonore harmonique (mélodie ou accompagnement
) et quils comprennent ainsi les liens existant entre une mélodie et son accompagnement, voire 2 mélodies
Se limiter à cette notion dharmonie serait priver les élèves dautres éléments indispensables et notamment pour comprendre nombre de styles (et dont la musique classique et variété).
Nous trouvons indispensable de traiter de la notion de FONCTION HARMONIQUE.
Cette notion complexe nécessite de prendre en compte dautres notions et dexaminer un peu les liens qui existent entre elles :
Accords (harmonie où les sons sont simultanés) "tout ensemble de notes jouées simultanément" (dictionnaire) Ils comprennent les accords en tierces ainsi que les agrégats.
Degrés (rôle de chaque par rapport à une échelle)
Tonalité (qualité de léchelle choisie)
Cadence
Toutes ces notions ont des liens entre elles et il est intéressant détudier quelque peu celles-ci ainsi que leur lien avec la notion de fonction harmonique :
- les degrés organisent les accords sur une échelle. La nature des harmonies et leur enchaînement diffèrent selon lépoque et le style.
- les fonctions harmoniques organisent les degrés, hiérarchisés en degrés forts et degrés faibles.
- les fonctions harmoniques sont définies grâce au système tonal.
- les cadences sont des enchaînements harmoniques particuliers.
Les fonctions harmoniques sorganisent dune manière verticale mais aussi tiennent compte dune logique horizontale. Il nous semble impossible de dissocier les deux.
Quelques remarques :
Selon notre définition, il nexiste pas de fonctions pour la musique modale. La musique de variété qui utilise des accords et des enchaînements harmoniques moins "conventionnels" nous semble sinscrire tout de même dans le système tonal.
La notion de tonique nimplique pas forcement une harmonie et des enchaînements harmoniques. Ainsi la recherche dune note pilier risque daboutir à un bourdon sur le V° degré qui est encore plus intéressant que le I° degré. Cest par ce que cette note est présente à la fois dans laccord I et V.
La notion de fondamentale est importante. Un accord ou une harmonie ne sonne pas de la même manière suivant la note qui la supporte. La fondamentale est une sorte de centre de gravité dans le sens vertical , le pendant du centre de gravité horizontal quest la tonique.
Conclusion :
Ainsi, comprendre les fonctions harmoniques présuppose un certain nombre de connaissances, ce qui en fait une notion bien complexe.
Il convient alors pour accéder à elle de voir dès le plus jeune âge à ce que les élèves acquièrent les notions daccords, de degrés
Cette complexité vient aussi du "niveau de validité". Le contexte est important car il influe sur le niveau de consensus que peuvent atteindre les enseignants sur la définition dune notion. Il savère ainsi que la plupart des concepts musicaux, qui comportent un aspect historique, sont toujours difficiles à définir. Il est compliqué de définir les attributs principaux qui sont valables pour toute situation. Ce travail de didactisation, de clarification des idées, peut paraître à certains réduire la réalité, mais il est pourtant indispensable pour les enseignants, pour laction denseigner car cest sur ces données qui font lobjet dun relatif consensus que lenseignant va pouvoir sappuyer.
2. Réflexion sur le registre de conceptualisation.
Arrivés à ce stade de la réflexion sur ce quest lharmonie et avant de voir des exemples de situations que nous avons créé pour développer cette notion avec nos élèves, nous voulions rappeler quelques notions plus globales qui concernent chaque discipline et qui vont nous permettre de bien comprendre dans quoi sinscrit notre démarche.
En effet, si chaque discipline a ses spécificités, il existe aussi certaines caractéristiques présentent quelque soit la discipline. Ainsi, pour les différentes disciplines musicales comme pour les disciplines scolaires, il existe :
Des tâches : Une des disciplines musicales qui est la plus riche en tâches est bien la formation musicale qui est particulièrement définie par un ensemble de tâches qui organise le déroulement des cours : dictée de rythme, lecture de notes, chant, théorie musicale
Des objets : Une discipline existe par les objet quelle utilise et il nest pas rare que celle-ci crée ses propres objets. Dans nos disciplines, il sagit de tout ce qui est utilisé en cours. Nous pensons bien évidemment en premier lieu à des objets pédagogiques mais il faut aussi penser à tous les objets nécessaires lors de nos cours. Si un pupitre ou une méthode avec CD peut être bien utile, que serait un cours de violoncelle sans violoncelle, ou sans colophane
Des connaissances procédurales : Ces connaissances sont celles qui sont de lordre du savoir faire. Aussi, un élève connaît-il les méthodes qui lui permettront de résoudre un problème, par exemple, arriver à bout dun trait technique en double-croches. Ou encore, connaît-il les différents moyens de faire la nuance piano. Dans tous les cas, ces connaissances concernent les savoirs faire des élèves.
Des connaissances déclaratives :
Ces connaissances sont celles qui sont de lordre du discours. Par exemple, il ne sagit plus de savoir comment faire une appoggiature, mais de savoir ce quest une appoggiature.
Notre réflexion sinscrit aujourdhui dans ce cadre et il nous restera à voir comment les faire émerger mais continuons à réfléchir un peu sur les connaissances déclaratives
Tout dabord, il faut noter que les enseignants de musique ont une fâcheuse tendance à mettre ces connaissances au second plan, à les dévaloriser. A quoi sert de savoir que Bach utilisait le nombre dor quand ça ne change rien à ma manière de jouer. (Là, cest notre manie de tout ramener à linstrument qui ressort) Ou encore, pourquoi connaître lharmonie quand il sagit de lire une partition déjà écrite ?
Nous pensons quant à nous que lacquisition de ces notions est un des moyens importants conduisant à lautonomie des élèves et qui contribue grandement à ce que ceux-ci donnent du sens à ce quil sont en train de faire, ce qui nest pas sans lien avec leur motivation
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Il faut comprendre que les connaissances déclaratives se composent de plusieurs éléments :
Des faits : « le sacre du printemps fait scandale lors da sa première représentation le 29 mai 1913 ». Cette affirmation est un fait, comme « la prise de la bastille le 14 juillet 1789 » est un fait.
Des notions ou concepts : Cest une représentation générale dun objet ou dun ensemble dobjets. Ajoutons, une représentation partagée par un groupe. Elle est un minimum stabilisée même si on sait que toute connaissance est toujours en évolution
Les notions sont caractérisées par un certain nombre dattributs. Un piano est une notion. Il en existe de toutes les sortes et de plusieurs types mais nous sommes capables de définir malgré tout ce qui est un piano et ce qui ne lest pas en dégageant quelques caractéristiques communes à la notion « piano ».
Des concepts intégrateurs : Il sagir de concepts de concepts. Tous les concepts ne sont pas à mettre sur le même plan. Ainsi, le concept de « table » est bien différent de celui de « démocratie ». Dans notre domaine, le concept de « piano » natteint pas le même niveau de complexité que celui d « harmonie » ou d « accentuation ». On devrait dailleurs sinterroger beaucoup plus aux trois ou quatre concepts intégrateurs qui caractérisent à eux-seuls chacune de nos disciplines musicales.
Un champ notionnel : Il sagit dun réseau que nous tissons entre les notions que nous connaissons. Car les connaissances se relient entre elles les unes les autres. Et cest ça dailleurs qui nous a posé des problèmes lors de notre réflexion pour dégager une définition de lharmonie. En effet, nous avions limpression que nous retombions sur toutes les notions et que toutes étaient dans toutes
Par exemple, la notion dornementation est aussi très liée à lharmonie.
On peut donc essayer de construire une sorte darbre, darborescence qui permette de visualiser les différentes notions et les liens qui existent entre elles.(voir diapositive 2)
Lidée est que, pour comprendre, pour construire la notion dans sa complexité, il faut aussi pouvoir lier les notions entre elles. Il faudra donc être vigilant lors des cours, à favoriser les questions qui permettent aux élèves de confronter les notions et les relier entre elles.
Par ailleurs, nous devons aussi savoir quelles notions doivent être maîtrisées par lélève pour que celui-ci puisse comprendre celles que nous voulons leur apprendre. Ainsi, comprendre lharmonie ne peut se comprendre sans connaître précédemment les notions de tonique, fonction, consonance
Le registre de conceptualisation :
Il nous faut maintenant aborder un point qui nous semble primordial dans notre recherche puisque celle-ci a pour objet dintroduire ce concept dharmonie avec des élèves de premier cycle. Il sagit du registre de conceptualisation. Derrière ce terme technique ce cache un élément essentiel dont nous tenons compte tous les jours sans vraiment y penser mais quil peut être intéressant dinterroger un moment.
Chacun sait quune notion peut être aborder à des « niveaux différents » selon les connaissances que possèdent déjà les élèves. Et cest là que réside la difficulté pour les enseignants : identifier différents registres. En effet pour la construction des cours, la définition de la notion nest pas très utile sans, dans le même temps, définir le registre de conceptualisation choisi.
Un exemple peut être pris dans lEducation Nationale avec le concept de nombre qui dans un premier temps comprend les nombres entiers (1 ;2 ;3..), puis on intègre les nombres décimaux (1,1 ; 1,2
). On introduit ensuite les nombres négatifs. Ainsi de suite, jusquen terminale où certaines classes travaillent sur les nombres complexes, racine carré de 1
. Ainsi, une même notion peut être reliée à différents registres quil nest pas inintéressant détudier.
La difficulté pour nous réside aussi dans notre capacité à identifier le « niveau actuel » de lélève et de savoir quelle représentation il a de notre idée pour pouvoir choisir ensuite à bon escient le bon registre. Car si nous prenons un registre trop simple, lélève connaîtra déjà ce que nous voulons lui apprendre. Dans le cas inverse, si nous choisissons un registre trop élevé, celui-ci naura pas les outils nécessaires pour réussir à comprendre.
Il est important davoir à lesprit les 3 modes de représentation qui existent pour appréhender de linformation proposées par Jérôme Bruner :
le mode enactif ou sensori-moteurs. Lenfant perçoit le monde par laction, la manipulation. Ainsi connaître, cest dabord agir. La représentation est en quelque sorte inscrite dans nos muscles.
Le mode iconique ou visuel. Il sagit de se représenter une chose sans lavoir sous les yeux. Dans ce mode, limage mentale ainsi crée est en fait un résumé de laction.
Le mode symbolique : Le système symbolique représente les choses par des symboles qui sont déconnectés et en quelque sorte arbitraires. Cest ce qui permet entre autre de pouvoir communiquer.
Nous avons voulu rappeler ces différents modes de la perception pour bien montrer quun apprentissage peut évoluer à travers ces trois modes de représentation : par le geste, par limage du geste et par lexplicitation verbale des gestes. Il faut noter aussi que cette évolution ne va pas de soi. On peut très bien en rester au premier mode et certains apprentissage ne vont pas plus loin. Notons cependant que pour des notions intellectuelles comme lharmonie, la présence dun enseignant est indispensable pour favoriser le passage du mode sensori-moteurs aux autres car ces modes ne sont pas des étapes de développement au sens des stades de Piaget et ne sont pas automatiques.
La Zone proximale de développement :
Cette idée rejoint le travail de Vygotsky avec sa définition de la « Zone proximale de développement ». Cherchant à développer lintelligence, il montre comment lenseignant ne doit pas se contenter dattendre, comme le pensaient certains, comme Rousseau par exemple, que lélève se développe « naturellement » ou encore comme Piaget que lenfant soit arrivé à des stades de maturation, mais que les interactions sociales avec lextérieur (et notamment les enseignants) sont primordiales dans le développement de lenfant et quil faut donc que les enseignants soient volontaristes et provoquent le développement des enfants.
Il propose ainsi la notion de « Zone proximale de développement » (ZPD) « il la définit comme la distance entre deux niveaux : celui du développement actuel, mesuré par la capacité qua un enfant de résoudre seul des problèmes, et le niveau de développement mesuré par la capacité qua lenfant de résoudre des problèmes lorsquil est aidé par quelquun.» Appliquant ce principe, beaucoup de pédagogues ont proposé de mettre lélève dans une situation qui soit toujours en avance sur ce quil sait faire. Mais dans le même temps, comme lindique le terme « proximale », il ne faut pas être trop en avance non plus
La situation proposée doit être assez facile pour que lélève puisse imaginer quil va la réussir mais assez neuve pour quelle lui permette dapprendre quelque chose de vraiment nouveau.
Là réside tout le travail de lenseignant et sa capacité à analyser ce que lélève sait déjà et jusquoù il peut aller.
Notre réflexion sur les différents registres de conceptualisation nous a montré une nouvelle fois la nécessité dune réflexion poussée sur les différents savoirs que nous voulons transmettre, autant sur les connaissances déclaratives que procédurales pour pouvoir bien identifier où en est lélève.
Dautre part, la Zone proximale de développement nous montre limportance de la situation créée par lenseignant pour favoriser lapprentissage. Cest donc sur ces situations elles-mêmes que nous devons faire porter maintenant notre réflexion.
3. Exemple de séquences de cours mises en uvre.
Un exemple
Nous allons voir dans un premier temps un exemple de situation que nous avons élaborée pour faire construire par les élèves la notion dHARMONIE.
La notion daccord est restrictive car elle concerne des notes jouées simultanément. Le problème est de faire comprendre la possibilité dutiliser certaines notes dans un temps donné (celui de lharmonie). Cest ce qui fait que lon parle de rythme harmonique ou encore denchaînement harmonique.
La situation qui nous paraît la plus complexe dans ce domaine nous semble être celle de « trouver lharmonie à partir dune mélodie ». Un des exemples les plus connus est les 6 suites de J.S. BACH pour violoncelle seul où dune écriture essentiellement linéaire, on pourra chercher lharmonie sous-jacente.
La situation créée :
Nous avons donc voulu, dans un premier temps, placer les élèves devant une partition qui superpose différentes voix utilisant chacune une manière de mettre en mouvement un accord. Après leur avoir fait jouer le morceau ensemble, on leur donne la consigne suivante : "Trouvez ce que les différentes voix ont en commun."
Voici le premier exemple (n°1) sur lequel nous sommes partis pour préparer cette séquence de cours. Nous avons choisi de vous exposer notre démarche pour fabriquer les exemples plutôt que de vous présenter le résultat tout fait, car nous pensons quil est souvent plus intéressant de comprendre comment sest construit un outils plutôt que davoir loutils lui-même
Lidée était de faire prendre conscience dun réservoir de notes possibles. A la réflexion, un certain nombre déléments sont apparus. Nous avons été ainsi amener à construire dautres exemples :
Le premier problème qui nous est venue concerne la densité, le nombre de sons possibles dans chaque réservoir. Il nous est ainsi apparue quil pouvait être intéressant de créer un autre exemple (exemple n°2) qui comporte des réservoir de 4 sons. Ainsi que dautres qui comportent des harmonies à 3 et 4 sons (exemple n°3)
Par ailleurs, nous avons noté que toutes les partie ne comporte pas forcement les 3 notes dans chacune des voix (cf la mesure 4). Nous avons donc choisie de corriger ce premier exemple (exemple n°3 bis) et den créer dautres qui ne comportent eux, pas toutes les notes du réservoir dans chaque partie. (exemple n°4)
La mesure 4 de lexemple 1 nous a posé un autre problème. Il y a en effet 2 harmonies dans la mesure, nous avons donc créer un autre exemple plus simple avec une harmonie par mesure (exemple n°5) ainsi que dautres plus complexes qui comportent différents « rythmes harmoniques » (exemples n°6)
Lidée est de faire découvrir les caractéristiques de lharmonie est les confrontant à tous ces exemples. Les consignes et questions sont importantes.
Nous imaginons, après avoir dégager ces attributs principaux, de faire construire individuellement aux élèves dautres exemples ; Individuellement, car il faut vérifier si chacun à compris ce quils ont pu trouver ensemble.
La démarche proposée par Britt-Mari BARTH
Pour construire notre séquence de cours nous sommes partis dun livre de Britt-Mari BARTH qui sinterroge sur les liens entre la perception et lapprentissage des concepts.
Voici présenté dans ce tableau sa démarche. Celle-ci sapproche aussi de lidée de situation problème que lon rencontre parfois dans certains livres..
Tout passe dans un premier temps par la perception et les sens. Entendre les sons est donc un premier pas
Or la perception est aussi un choix. On nentend pas tous la même chose bien quécoutant la même musique suivant sa culture, son histoire. Cest donc léducation qui construit la perception. La notion dharmonie et le plaisir que nous pouvons avoir à la percevoir est ainsi un pur produit de notre culture. Une autre culture se focalisera sur dautres subtilités
On voit bien daprès ce schéma que percevoir les sons ne suffit pas à avoir conscience de lharmonie. Comment faire comprendre à un élève que cest une harmonie en sol alors quil ny a pas de sol ?
La démarche présentée part dexemples et de contre-exemples pour faire définir aux élèves les particularités de la notion à étudier. A force dexemples, ceux-ci vont finir par cerner les attributs essentiels de ceux qui ne le sont pas. Abandonner des hypothèses quils auraient pu émettre et quils ont du revoir.
On voit bien que cela ne peut se faire sans une idée précise de la notion par le professeur et une préparation minutieuse des exemples quil va présenter aux élèves au fur et à mesure de la séquence de cours.
Conclusion :
Cette réflexion en groupe ne sest pas faite facilement. En dehors du problème de se réunir ensemble, la principale difficulté à été de se mettre daccord sur les termes car nous ne mettions pas les même choses sur les mêmes mots. La notion dharmonie relevant aussi du contexte, il a fallu se mettre un minimum daccord pour circonscrire un peu notre sujet.
Nous sommes conscients que la réflexion sur ce sujet peut-être encore poussée plus loin mais nous avons voulu partager notre réflexion de manière à connaître vos interrogations vos remarques. Nous serons contents cette après-midi de pouvoir continuer à discuter avec vous de lapprentissage de la notion dharmonie et de la démarche que nous avons voulu vous présenter.
BIBLIOGRAPHIE
BARTH Britt-Mari, Lapprentissage de labstraction, Edition RETZ, 1987. 2001 pour la nouvelle édition.
( ISBN : 272562124-0)
BERTRAND Yves, Théories contemporaines de léducation, Editions Nouvelles AMS, Montréal 1998. 4ème édition. Collection « Education » (ISBN : 2-921696-41-X)
SIRON Jacques, La partition intérieure, Jazz, musique improvisées, Outre mesure, collection théorie, Paris, 1992 ; 5ème édition revue, corrigée et augmentée, 2001.
(ISBN : 2-907891-03-0)
GAGNEPAIN Xavier, du musicien en général
au violoncelliste en particulier, Diffusion Europa Music, cité de la musique, 2001. (ISBN : 2-914147-04-X)
Le groupe de travail était constitué de :
CALM Alice, professeur de piano
COUSIN Philippe, professeur de piano
HARANGER-SEGUI Claire, professeur de formation musicale
LACHUISE Nelly, professeur de piano
MAGNAN Vincent, professeur de violoncelle
REBOUILLAT Marie-christine, professeur de piano
Animateur, Vincent MAGNAN
ANNEXES
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DEBAT A LA SUITE DU COMPTE-RENDU SUR
LHARMONIE EN 1ER CYCLE
Dans la première partie de la présentation, vous dites que la notion dharmonie ne se résume pas à la notion de verticalité, daccords et que les notions de degrés et de fonctions sont aussi importantes, mais je ne les retrouvent pas dans les exemples.
Effectivement, nous nous sommes restreints. Le but visé était de faire comprendre quil existe un réservoir de notes dans un temps donné. Pour leur faire comprendre, on fait donc varier la durée, le réservoir, en fait la densité. Ensuite, si ça se fait sur une mesure ou deux. La notion de fonction nest pas prévue dans cette séquence. Je pense que faire comprendre la notion de réservoir est déjà important. Bien sûr, nous aimerions quils aillent aussi un peu plus loin.
Comme nous disions hier, à propos du transfert, je me demande si par la pratique, à force den faire, ils ne finissent pas par le savoir
Est-ce que ce nest pas mieux de faire manipuler plutôt quessayer de leur faire reconstruire la notion de fonction ?
A ce propos, je trouve que vous considériez la notion dharmonie comme théorique. Il me semble que cest quelque chose dénormément pratique. Pour moi, dans le geste du pianiste en train deffectuer sa cadence, il y a la notion dharmonie. Ce nest pas pour moi quune connaissance déclarative. Comme vous le présentez, ça ne paraît quune notion théorique. Il me semble que le geste instrumental fait aussi partie du concept dharmonie.
Et pour un violoncelliste ?
Pour un violoncelliste aussi. Quand il joue sa basse continue, le geste, sa position participe de la notion dharmonie.
Lors de notre réflexion, léclairage fait entre la perception et labstraction nous a permis de débroussailler un peu le problème. Un geste ou plutôt la perception de quelque chose se construit. Elle est une forme de reconnaissance par rapport à son expérience, par rapport à sa propre culture. Du coup, il me semble que la perception elle-même passe par un processus intellectuel. Il ny a donc pas contradiction
On pourrait ajouter à la notion dharmonie quelle est aussi liée au geste instrumental ? Cest vrai que pour un pianiste, quand tu fais telle position, tu fais de lharmonie
Oui, je suis daccord, mais je pense que la réflexion sest engagée en partie à cause du constat inverse. Les élèves effectuent des gestes mais comprennent-ils vraiment ce quils font ? Cest pour cette raison que la réflexion sest orientée vers la manière de faire prendre conscience aux élèves de leurs gestes et de leurs sens.
Mais, ce serait aussi une dérive de ne voir quune notion théorique. Ca rejoint la discussion dhier sur le savoir et le savoir-faire. Or il se trouve quen musique tout particulièrement, les deux sont liés en permanence. Il me semble que le but de notre enseignement consiste à faire prendre conscience aux élèves de la musique en chaque geste.
Le geste instrumental et le geste musical est le même, en fait
Il me semble quil peut aussi exister une représentation de lharmonie qui empêche certains dy consacrer un peu de temps. Lharmonie ne serait pas quelque chose de pratique, mais une connaissance théorique sur le papier. Je suis donc daccord sur la prise de conscience mais je voudrais dire quil ne faut pas donner aussi limpression aux gens quil sagit de quelque chose de déconnecté. Et les exemples sur papier me semblent aller un peu dans ce sens
Ils peuvent aussi les jouer
Oui, mais, on peut donner limpression quil sagit dune démarche où le geste est absent.
Cest intéressant. La démarche présentée en vaut une autre. Les jazzmen fonctionnent principalement sur le système des grilles harmoniques et la plupart du temps sans partition. Pour traiter de lharmonie, des logiques de travail sans partitions peuvent aussi être intéressantes. Le fait que tout soit écrit a parfois pour conséquence quon ne réfléchit pas à ce qui est écrit. Mais nexagérons pas non plus, pourquoi se priver parfois de partitions
En tout cas, nous sommes daccords sur le fait quil ne faut pas dissocier abusivement la théorie et la pratique. Ce nest pas, dans une pratique qui manque de théorisation, en en faisant à part que ça va fonctionner. Mais plutôt en pratiquant de manière théorique.
Ca me paraît plus facile pour les pianistes. En abordant une partition, même avec les plus jeunes, on peut aborder les toniques et les dominantes à la main gauche. Même en commençant par lobservation. Mais pour les autres professeurs, je me demande comment vous pouvez laborder ?
Personnellement avec mes élèves violonistes, jai repris une mélodie de variété avec sa grille de 5 accords différents. Jai essayé de faire un travail global qui met en lien plein de notions. Par exemple, je leur ai donné la mélodie sans barre de mesure et dans une tessiture quils nont pas toujours explorée comme ça je travaille plusieurs choses à la fois. Je leur ai demandé de mettre les barres de mesures, ce qui joue sur leurs connaissances de laccentuation qui vient aussi de lharmonie. Puis je leur ai demandé de trouver un accompagnement à partir de la grille. Déjà avec une seule note par mesure, ça a été difficile. Et puis cétait à partir daccords américains donc il a fallu expliquer ce quétait un accord et la signification des signes.
Je trouve que cette situation qui passe par la manipulation des éléments pour faire construire un accompagnement est intéressante. Le choix qui a été fait lors de la construction des exemples proposés aujourdhui était de remonter au plus haut dans la compréhension des notions musicales autour de lharmonie. Souvent, les situations que nous utilisons tous les jours pour travailler avec nos élèves supposent implicitement des pré-requis, quils connaissent le nombre de notes constituant un accord
Notre but étant ici de leur faire comprendre des éléments de bases souvent considérés comme acquis. Il se peut aussi que certains aient aussi intégré ces notions à la longue et que la situation ne soit pas pertinente pour certains élèves mais cest le cas pour toute situation qui doit tenir compte de là où en est lélève, ce qui est une difficulté pour les profs.
Il ne faudrait pas aussi donner limpression quil faut dabord connaître toutes les notions, les accords, les degrés avant de pouvoir parler enfin de lharmonie. Ce qui repousse toujours son apprentissage
Ce que nous avons voulu dire, ce nest pas quil faut beaucoup de pré-requis pour parler de lharmonie et notre objet est bien de la faire développer au plus tôt. Par contre, lacquisition de la notion dharmonie est un pré-requis pour accéder au plus tôt à la notion de fonction harmonique
Je ne suis pas daccord. Cest encore une fois avoir une conception de lapprentissage comme empilement des connaissances
Je vois ce que tu veux dire mais il me semble que nous avons pris soin dintroduire la notion de registre de conceptualisation. Je suis daccord quil ne faut pas croire que lapprentissage se fait par blocs, telle notion en première année puis telle autre en seconde
On peut faire les choses en simultanée en tenant compte des différents registres de conceptualisation, mais ça ne retire pas toute idée de progression.
Peut-être mais quand je lis « il convient pour accéder à elle (la compréhension de la fonction harmonique) de veiller dès le plus jeune âge à ce que les élèves
». Je ne suis pas daccord. Jentends quil faut dabord voir les choses tôt et dans un ordre. Justement pour moi, la notion dharmonie est une notion complexe, et pas compliquée, comme on le voit sur votre tableau « le réseau notionnel ». Il sagit alors daborder tout ça en même temps en utilisant plusieurs portes dentrée
Apprendre les accords tous seuls na pas beaucoup de sens. Ca nen a que si justement, cest fait en lien avec lharmonie. Je sais bien que cest ce quon fait malheureusement en F.M. actuellement
Je voudrais faire remarquer que nous avons opéré une diminution dans la définition de lharmonie. Je ne sais pas si tout le monde sera daccord mais nous lavons définie comme une sorte de réservoir pour un temps donné dun nombre non défini de notes et qui ne sont pas forcément en tierces
Un agrégat en est ainsi une forme particulière. Mais de part cette définition, lharmonie est une notion simple, dun registre beaucoup plus simple que la notion de fonction harmonique que nous avons dissociée et qui nest pas incluse dans la notion dharmonie. Ca nécessite notamment une réflexion complexe sur les enchaînements des accords.
Peut-être que ça donne aussi du sens à la notion dharmonie
peut-être quon simagine aussi que cest beaucoup trop compliqué. En utilisant deux accords en première année, ça marche très bien
tonique-dominante
Là où nous sommes daccords, cest de ne pas laisser ces notions de côté, ce qui est encore bien trop souvent le cas. Mais je vous pose tout de même la question des registres de conceptualisations. Comme on ne peut pas envisager de leur faire accéder à des représentations hyper complexes en première année, comment définiriez-vous les différents registres dans la scolarité ? On voit bien que cette question a été bien réfléchie dans lEducation Nationale grâce à la didactique où en sixième , on napprend pas la même notion de respiration quen troisième ou en terminale
Les représentations auxquelles les enseignants veulent mener les enfants ne sont pas les mêmes en fonction de lâge. Dans un cas, il sagit de faire comprendre quil existe un échange de gaz, dans un autre, une oxydation des éléments nutritifs
On aborde la notion de respiration par des entrées différentes tout en complexifiant les représentations. On ne construit pas une représentation dun bloc comme le fait la « théorie » de Danhäuser. Il me semble que le problème est, ce que nous navons pas réussi à faire lors de nos réunions, de dégager dans les notions musicales ou les concepts intellectuels liés à la pratique, les différents registres qui seraient autant de guides dans notre pratique pédagogique. Au niveau de lharmonie, comment sy prendre autrement que par un apprentissage par le tout ou rien.
Nous sommes daccords sur le fait que registre nest pas la même chose que niveau. On peut faire de lharmonie à partir de deux accords. On fait de lharmonie sans analyser un quatuor de Schumann...
Lors de nos discussions, nous avons par exemple discuté dautres pratiques possibles pour faire apprendre les différentes notions liées à lharmonie. Par exemple nutiliser que des accords de types tonique-dominante et puis ensuite faire évoluer en intégrant dautres éléments. La question dune pratique avec des élèves de 1er cycle reste un peu en suspens. Comment, sans tomber dans le découpage classique dun apprentissage en blocs de savoirs, permettre la présence dune progression. Il me semble que la notion de registre de conceptualisation peut le permettre et que la poursuite dune réflexion didactique que nous avons entamée pourrait permettre de dégager les différents registres.
On tient compte du registre mais on tient compte de lâge de lélève ?
Limportant cest que le professeur sadapte à la représentation qua lélève, ce quil a déjà dans la tête pour créer les conditions pour aller plus loin, pour apprendre.
Je pense que la réflexion a aussi été menée parce que les enseignants constitutifs du groupe ont senti quil nétaient pas très à laise avec cette notion et quune réflexion didactique leur permettrait de ne pas oublier des éléments qui a posteriori leur aurait paru importants.
En même temps, je pense quil y a un fantasme de vouloir tout maîtriser. Et puis lharmonie en elle-même nexiste pas. Elle est différente suivant que cest une sonate de Mozart ou de la variété
Personnellement je suis partisane de faire confronter les élèves directement avec la matière
une situation globale qui ait du sens pour eux.
De vivre les trucs avant de les théoriser
Je crois quil faut faire aussi attention parce que nous sommes capables de conceptualiser mais est-ce le cas de tous les enfants ?
Il est vrai quil faut faire attention aux stades de développement de lenfant mais je te rassure sur ce point, même les tous jeunes enfants sont capables de conceptualiser. Les expériences menées par B.M. Barth se passent en primaire
Ensuite, je voulais réagir sur ce que tu disais à propos de confronter les enfants à la matière. Daccord, mais peut-on imaginer une autre matière que le son ? Il me semble quil existe différentes matières
Un bout de papier, un livre, cest aussi de la matière
Ne loublions pas. Il existe des classes où il ny a même pas de tables ou de feuilles disponibles pour écrire, ça en dit long sur nos représentations de lécriture. De toute manière, tout part au début de la perception autant visuelle, tactile, quauditive. Celle-ci sorganise dès le début par rapport à ce que lon connaît déjà. Mais le professeur peut évidemment lorienter, doù limportance des situations que nous créons et dans lesquelles nous mettons les élèves.
Mais on ne peut jamais vraiment savoir ce qui se passe dans la tête de lélève ?
Cest sûr quon peut toujours reprocher à une démarche de ce type dêtre un peu illusoire. Ca se trouve, les élèves ont déjà appris ce que lon pense voir avec eux ! Et ta situation tombe à plat. Mais alors, tu continues, tu fais autre chose. Le tout est de savoir saisir les informations qui passent de temps en temps et qui te servent dévaluation sur ce que sait lélève. Ce nest pas pour autant impossible. Mais il est aussi sûr que nous devons aussi nous prémunir dune volonté de tout rationaliser. Il faut que nous abandonnions lillusion de tout savoir sur ce qui se passe dans la tête des enfants et de vouloir maîtriser complètement leur manière de penser, ce qui est dailleurs, heureusement impossible. Philippe Meyrieu nous la bien montré dans son livre Frankenstein pédagogue. Pour autant, nous ne devons pas abandonner lidée dagir sur leur représentation, même de manière modeste. Ne tombons pas aussi dans lexcès inverse de certains profs qui disent quils ne faut rien préparer, de toute manière tout va se faire à lintuition
Je voulais juste intervenir pour dire que dans le tableau proposé, il me semble quil manque les idées de rythme et de carrure. Je pense que la notion dharmonie nest pas dissociable de ces deux-ci.
Oui, mais tout est dans tout
Mais cest bien, que ce soit comme ça ! Je trouve quon a du mal à se détacher de lélémentarisation. Or, la musique est quelque chose de complexe avec beaucoup de choses qui interagissent ensemble. La difficulté tient dans le fait de concevoir limbrication de toutes ces notions avec les élèves.
Le but, cest que les élèves réussissent à fabriquer un accompagnement, ou une mélodie, bref, des choses concrètes. Je préfère quils aient un savoir-faire plutôt quils sachent que cest une septième majeure ou un accord de sol
Le savoir-faire ne se fait pas non plus sans mobiliser des savoirs, quoi quon en dise
La question reste de pouvoir faire prendre conscience aux élèves de la complexité des choses tout en renonçant à découper lapprentissage en morceaux.
Je serais tenté de répondre : « en faisant comprendre les liens qui existent entre chaque notion »
On devrait peut-être plus mettre laccent sur les liens
Je pense que cest une opération qui doit se faire dans un deuxième temps et quil faut dabord partir de la globalité
Dans le groupe de réflexion, certains avaient déjà fait lexpérience dautres pratiques comme faire ornementer une mélodie ou retrouver lharmonie à partir dune phrase très simple
Mais ces pratiques pré-supposaient un certain nombre dacquis. Je rappelle que nous avons choisi de créer une situation qui sensibilisait à la notion dharmonie telle que nous lavons définie en la réduisant à une poche de notes, dont le nombre est indéfini, dans un temps donné. Et juste ça ! Le reste nest pas présent dans cette situation. Mais cela permet déjà de faire comprendre quune formule daccompagnement nest pas créée au hasard mais suit une logique particulière. Mais on pourrait imaginer des situations qui poursuivent le travail. Si un quatrième instrumentiste arrive et quon veut lintégrer avec le groupe, comment procède-t-on ?
Il na pas toujours été facile dans notre groupe de se mettre daccord. Par exemple, est-ce que la polyphonie de la renaissance était de lharmonie ? Cest pour ça que notre définition est un compromis : un potentiel de note dans un temps donné. Cest notre représentation que nous vous proposons. Cela permet dorganiser les questions que nous nous sommes posées. Autre exemple, faute de réponse satisfaisante nous avons été obligés de dissocier harmonie et fonction harmonique.
Je pense que la situation proposée nest pas encore tout à fait ce quon appelle une situation problème
La réflexion nous a pris beaucoup de temps. Le but était de créer des situations concrètes que nous pourrions tester mais il nous était aussi difficile de créer des situations sans savoir ce que lon met dedans ! Sans savoir sur quoi nous voulions exactement faire travailler les enfants
Est-ce que dans votre situation, vous présupposez quà un moment donné, il faut leur expliquer ou faire sentir que dans la gamme de Do, il y a des degrés plus importants que dautres ? ou ils vont le constater par la suite ?
La situation proposée ne parle même pas des degrés. Ni des enchaînements daccords. Le but nest pas celui-ci et ça ne veut pas dire que nous nenvisageons pas de le faire ailleurs ! Il peut sagir de nimporte quel regroupement de notes et pas forcément à la tierce. Le but est de voir que lon retrouve ces notes dans un temps donné. La relation entre les harmonies nest pas abordée dans cette situation.
Parce que je pense que lon peut aborder la notion de fonction assez tôt. A partir du moment où on la constate dans les premiers morceaux , elle va vite devenir quelque chose dévident
par exemple en employant un bourdon dans une chanson populaire. Du coup, ce sont des choses quils ont dans loreille. Ensuite, on va chercher quelle basse peut aller avec cette chanson et construire des accords sur ces basses. Du coup, ils ont tellement utilisé des toniques et des dominantes que je ne sais pas exactement quand ils prennent conscience de ces notions.
Oui, mais certains, après des années, ne vont pas te trouver les accords que tu veux comme ça. Ils sarrêtent sur une note. On leur demande « cest beau ? » Il te dise « oui » et sont contents alors que cest une seconde mineure. Il y en a qui nont pas du tout envie daller sur la tonique !
Sur cette question, nous avons aborder deux points lors de nos discussions. Le premier est le fait de partir de chansons populaires. Après réflexion, nous avons trouvé que ce nétait pas lidéal puisque certaines chansons populaires ne sont pas particulièrement harmoniques
Du coup, on est parti sur autre chose. Le deuxième point, à propos du bourdon. On sest aperçu quil y avait un problème. Il nous apparaît quil est ce qui sonne le mieux avec le reste justement parce quil nest pas la tonique, mais parce quil est la quinte ! et que cette note est présente dans les deux harmonies. Du coup, on fait confiance, avec les risques que ça comporte, à une certaine imprégnation pour trouver les « bonnes » notes mais ça ne donnent pas aux élèves vraiment dindications sur lharmonie
Personnellement, je pense quils faut quils tâtonnent aussi un peu et puis, ça va saffiner avec le temps. Déjà, on peut leur demander de trouver des accords sous une mélodie. Ca marchera tout le temps parce que, de toute façon, il ny a pas de « bonne » basse. Cest arbitraire la notion dharmoniser. Ce qui compte, cest quils essayent
il ny a pas quune bonne solution
Mais alors, il ny a jamais de « fausse » harmonie, dincohérence ?
Après, quand tu es dans un style, lharmonie de Bach nest pas la même que celle de Schumann, ni Stravinsky
Tu leur donnes bien des consignes à un moment donné ?
Tu ne veux pas leur demander dharmoniser dans un style donné tout de même !
Si !
Autrement ça na pas de sens, cest du nimporte quoi
Je crois quil ne faut pas vouloir faire trop tôt rentrer les trucs dans les cases
On ne va pas leur demander de composer du Stravinsky
Ca nous pose la question du cadre que lon pose, tout de même
Comment peut-il y avoir du sens dans la situation si on transforme ça en exercice et on décontextualise ? Dans un morceau sans style, quelle signification ont les éléments sur lesquels on travaille ?
Au contraire il faut bien quils comprennent le contexte pour un jour pouvoir généraliser un peu. Et donc que si on leur fait composer, il ne sagit pas de manipuler pour manipuler les éléments mais quil existe un certain nombre de contraintes cohérentes, qui aient du sens, justement.
Mais le cadre dune chanson populaire, il ny a pas vraiment de cadre stylistique
Je pense que cest notre soucis de rationaliser qui revient
Je ne crois pas. Ca pose juste la question des critères que lon va leur poser.
Sur une petite chanson populaire en do majeur, en faisant placer un do et un sol pour accompagner comme ça leur plaît, jespère leur faire développer la conscience de comment sonnent deux voix
Ce nest pas lharmonie alors
Cest un prélude, le début de la polyphonie
ce nest pas que je sois contre, je fais aussi cela avec mes élèves mais cest autre chose
Personnellement, je demande à mes élèves de me faire des petits accompagnements pour la semaine daprès sans consignes précises. Il y a des enfants qui vont mamener un accompagnement très harmoniques et dautres où ça va être complètement dissonant, bizarre. A la limite, si cela leur plait
Et puis ensuite on peut en comparer pour avancer, cest tout un cheminement
Je voudrais revenir sur lélémentarisation. Pour avoir suivi des cours dharmonie au conservatoire, je trouve que cest très présent dans notre fonctionnement intellectuel. On faisait des trucs très figés sans vraiment se confronter à des textes dauteurs, et du coup hors contexte
Personnellement, jai découvert lharmonie comme un gigantesque cours de maths ! On peut faire ci, on peut faire ça
Ca navait aucun sens et aucun lien avec la musique
Le but de cette séquence nétait pas de faire un traité dharmonie
Je pense que quand on veut initier les enfants au sens harmonique, on passe par ce quils vont entendre et comprendre petit à petit, à leur vitesse
Jai limpression dun puzzle quon assemble. Et on va mettre des pièces plus ou moins vite selon certains et je ne sais pas si on peut rationaliser cette étude pour tout le monde
Bien sûr que non. Ce nétait pas lobjet de la présente présentation mais je pense queffectuer une différenciation entre les élèves ne nous empêche pas davoir une réflexion collective sur la notion elle-même et dimaginer des situations possibles. Mais jentends bien le fait que tu penses que cest différent avec chaque élève et que chacun va à son rythme
COMPTE-RENDU DU PROJET :
« Quand la réalisation dun concert en autogestion devient un prétexte pour apprendre »
Par Claire HARNGER-SEGUI
Intervention préliminaire de Claire HARANGER-SEGUI
Le cours de formation musicale incarne à lui seul, depuis des décennies, toute la problématique de l'enseignement musical en France. Il est aujourd'hui le symptôme d'un enseignement en crise, qui se cherche, autrefois basé sur des valeurs qui ne sont plus d'actualité dans une société où la réussite pour tous est la valeur essentielle. L'élitisme et l'excellence par la sélection ne sont plus de mise dans les écoles de musique, destinées à former des musiciens amateurs qui n'ont nul désir de devenir des solistes internationaux, mais souhaitent en revanche une formation musicale avérée et surtout adaptée à leurs besoins réels, c'est-à-dire qu'elle soit essentiellement pratique, ou plutôt, applicable immédiatement à leur pratique musicale. Bref, les élèves veulent des outils au service de leurs envies, et non plus un enseignement uniforme, où la seule manière d'avancer soit de se couler dans un moule, au demeurant celui du musicien professionnel classique, soliste de préférence.
Il est vrai que l'enseignement musical français est un exemple incomparable de pensée unique. Le consensus sur la manière d'enseigner ou d'apprendre est si fort, qu'il est très difficile de l'énoncer et encore moins d'en imaginer d'autres. Il est « évident » que, pour devenir un bon musicien, il faut commencer très tôt. Il est « évident » qu'on est (qu'on naît ?) bon musicien ou pas, ça ne s'apprend pas vraiment ça, soit on l'a, soit on ne l'a pas. Il est « évident » qu'il faut faire du solfège, le plus tôt possible et beaucoup, pour devenir un bon lecteur. Il est « évident » qu'il faut faire beaucoup de technique, pour pouvoir ensuite servir la musique au mieux. Il est « évident » que le cours d'instrument doit se prendre seul avec le professeur. Il est « évident » qu'un instrumentiste à vent doit jouer à l'harmonie, et un instrumentiste à cordes à l'orchestre. Il est « évident » qu'il faut savoir solfier avant de pouvoir jouer. Il est « évident » qu'il faut d'abord ressentir la musique dans son corps avant de la jouer. La liste serait infinie. Ces choses-là ne sont pas à mettre en débat, elles sont simplement évidentes. Voilà sans doute le premier écueil de l'enseignement musical. Ces conceptions, ces représentations de la manière dont un élève apprend (et donc de la manière dont un professeur doit enseigner) sont l'objet d'un consensus si fort qu'il n'est même pas besoin de les dire.
Pourtant, si l'on examine ces évidences à la loupe des valeurs qui en émergent, nul besoin d'être fin analyste pour s'apercevoir qu'elles sont toutes basées sur la même croyance : la musique ne s'apprend pas, tout au plus on en révèle le talent, on aide le jeune prodige à exploiter son art, mais quoi qu'on en dise, quoiqu'on en pense, être musicien est un don.
Nul doute que cette croyance ait entravé quelque peu la recherche pédagogique, ou tout au moins l'ait faussée au point que les différentes recherches menées depuis plus d'un siècle par les éducateurs n'ont quasiment pas pénétré dans ce domaine « sacré ». Les théories de Piaget sur la psychologie de l'apprentissage, se heurtent à l'inévitable progression solfégique du tout jeune enfant. Quant au concept de l'élève « actif » développé en son temps par Freinet, il trouve son écho dans la locution « méthodes actives » au sein de l'enseignement musical, où il est totalement dévoyé, vidé de son parti pris pédagogique. Aujourd'hui, les tentatives de repenser l'enseignement au travers d'objectifs au sens pédagogique du terme, se heurtent à une difficulté à concevoir l'apprentissage musical de manière globale. Il semblerait que les savoirs musicaux, trop longtemps enseignés de manière décontextualisée, aient acquis comme une autonomie en devenant des savoirs d'école, n'existant et ne trouvant leur sens qu'au sein de l'école. Les enseignants, malgré tous leurs efforts, ont parfois bien du mal à leur redonner un sens. Que signifie, en effet, « sau-te noire » dans un exercice de lecture solfégique, pour un élève qui en dehors de l'école passe son temps à râper à merveille, ou bien pour celui qui prend beaucoup de plaisir à tenir sa partie à l'orchestre ? On peut parier qu'ils utilisent tous deux ce rythme sans problème, sans jamais faire le lien avec le fameux « sau-te noire » de Martenot. Les élèves, visiblement, n'arrivent pas à faire le lien entre les différentes disciplines abordées pendant leurs études musicales. Les savoirs restent cloisonnés dans l'enceinte du cours où ils sont étudiés. Tout se passe comme si les élèves ne pouvaient pas réactualiser ces savoirs au moment où ils en ont besoin, comme si ceux-ci ne prenaient sens que dans le milieu fermé de l'école et de ses examens, et pas dans celui de la réelle pratique musicale.
Comment apprendre à l'élève à jouer tout en donnant un sens à ce qu'il joue, c'est bien là la question centrale de l'enseignement musical. Certes, on peut interpréter très bien par « intuition », au «feeling», mais est-ce là le seul but de l'enseignement ? Ne serait-ce pas plutôt de former des musiciens capables d'effectuer et d'argumenter un choix d'interprétation ? Des musiciens maîtrisant «théoriquement», au moins en partie, le langage musical qu'ils interprètent ? Malheureusement, le constat est souvent le même, on peut être professionnel, sortir des cursus avec des diplômes supérieurs en poche, tenir sa place en orchestre, et même enseigner, sans savoir vraiment appréhender un langage musical dans sa complexité, ni extraire les éléments essentiels d'un style. La gageure est de taille et la question reste posée : qu'est-ce que l'enseignement musical ?
Quand la réalisation dun concert en autogestion devient un prétexte pour apprendre
Ce projet est né à la suite de mon embauche à l'école de musique de Miribel, embauche subordonnée au fait de pouvoir « arrêter l'hémorragie des élèves de 2eme cycle ». En effet, les élèves de 2eme cycle ne veulent plus de cours de FM, et d'autre part, ne sont pas impliqués dans la vie de l'école. Le souhait de la directrice est de les voir prendre plus en charge leur participation aux concerts (être à l'heure, écouter les autres prestations, voire même aider à l'installation du plateau, distribuer les programmes, bref : s'impliquer...).
Cette demande vient alors se superposer à un souhait que j'ai depuis plusieurs années : concevoir un projet de concert autogéré par les élèves. Cela me semblait, en effet, être la seule manière de permettre à des adolescents de s'impliquer : réaliser eux-même un projet, leur laisser carte blanche sur le contenu du concert. Cela permettrait enfin d'échapper au sentiment d'être obligé (déjouer, de bien se tenir, de ne pas se tromper, de rester jusqu'à la fin...) qui émane des concerts d'école habituellement. D'autre part, je suggère que ce projet soit l'occasion de tenter de travailler autrement dans les classes de 2eme cycle : il s'agit de penser les cours sous formes d'ateliers au cours desquels les élèves seraient « actifs » au sens de Freinet, et notamment pensés autour de situation-problèmes (cf Meirieu et Develay). L'idée est que ce projet de concert soit un prétexte pour apprendre : que les cours de FM ne soient pas vidés de leur contenu au profit de la seule production, mais mettent bien enjeu une autre manière d'apprendre, voire même d'autres contenus de cours. Je tente alors de définir les objectifs d'apprentissage qui me paraissent fonder le 2ème cycle : je propose 6 axes de travail : le repiquage, l'écriture-composition, l'arrangement, le jeu d'ensemble, le déchiffrage, cerner la notion de style.
Nous travaillons avec les 5 profs concernés pour chercher ensemble comment penser le cours de FM autour de ces nouvelles « compétences », et non plus autour d'objectifs solfégiques tels que des rythmes compliqués ou de la lecture en 5 clés.
Voici quelques objectifs définis ensemble :
Jouer ensemble :
- Arriver à donner le départ
- Trouver un tempo commun
- Avoir un « son » d'ensemble
- S'accorder
- Trouver une justesse globale au cours du morceau
- Savoir se repérer dans la pièce, en fonction des autres parties
- Savoir se rattraper en cours de morceau
Arranger une musique :
- Savoir repérer les éléments fondamentaux d'un morceau, et les repiquer (basse, mélodie, grille, rythmique)
- Faire sonner au mieux ces éléments avec les instruments présents
- Connaître l'organologie(qui peut jouer quoi)
- Arriver à improviser dans un style
- Comprendre la notion de grille et ses enjeux harmoniques
- Comprendre le rôle des voix selon les styles (rôle de la rythmique dans la musique cubaine, rôle de la walking-bass en jazz, rôle de la basse continue dans la musique baroque, interactions mélodie-harmonie, etc...)
Repiquage :
- Repérer les éléments essentiels d'un morceau
- Savoir les repiquer (les jouer et les écrire)
Nous listons d'autre part des situations possibles de cours :
- Réinstrumenter une partition
- Inventer un contrechant
- Trouver une basse au départ d'une mélodie
- Improviser sur une grille
- Improviser sur une basse
- Inventer une mélodie sur une grille
- Faire des variations
- Simplifier une mélodie ornementée
- Ornementer une mélodie simple
- Trouver un accompagnement rythmique
- Interprétation : faire un choix, l'expérimenter puis en changer
- Repiquer un CD à l'écoute
Cette première réunion nous a permis d'échanger sur nos manières de procéder avec les élèves, c'était une réunion très riche après laquelle il était très agréable de partir sur une base commune de travail. Les cours de FM 2ème cycle sont rebaptisés pour l'occasion : ateliers.
Nous partons donc sur ces idées nouvelles, en élaborant une stratégie de « guidage » sur l'année qui doit permettre aux élèves d'apprendre tout ce qui concerne la mise en place d'un concert. Il est convenu que nous « montons » des pièces chacun dans nos cours puis que nous ferons une rencontre en janvier avec tous les élèves pour s'écouter, dresser le contenu définitif du concert, et organiser la suite du travail pour tout ce qui n'est pas la musique elle-même (gestion du plateau, etc...). Le concert est fixé au 16 mars. Le thème de l'année pour l'école est « les musiques de film », ce sera donc le sujet du concert.
1ère étape :
Nous lançons l'idée auprès des élèves et recueillons leurs propositions, idées, remarques. Je leur demande d'amener des musiques de film pour le cours prochain. Au cours suivant, nous écoutons tout ce qui a été apporté, et les élèves choisissent 2 pièces qui leur semblent accessibles : « le jour le plus long » et « mission impossible ».
2ème étape : Repiquage.
Nous définissons ensemble les éléments constitutifs du morceau, ceux qu'il nous semble incontournable de repiquer : la mélodie, la basse, et la grille. Je les envoie travailler en deux groupes pour repiquer la mélodie et la basse, à l'aide des instruments qu'ils veulent (le leur, le piano, les carillons...). C'est un peu laborieux et surtout ils n'entendent que la mélodie : nous finissons le travail en grand groupe pour la mélodie jusqu'à pouvoir la chanter avec les notes et la jouer à l'unisson. Sachant qu'ils ont du mal à entendre la basse, je propose un travail de reconstruction d'une basse, avant de faire le repiquage précis : au cours suivant, ils travaillent par deux à chercher une basse qui utilise 1 et V. Chaque binôme joue sa version, on commente ce qui sonne le mieux. Puis ils passent au repiquage proprement dit en petits groupes, et cela semble mieux fonctionner. Jeu tous ensemble des deux voix repiquées.
3ème étape : arrangement
Nous listons les éléments qui vont nous permettre de prendre des options pour l'arrangement : les tessitures des instruments, les différentes voix, la forme de la pièce, sa dynamique
Travail d'analyse auditive pour déterminer ces éléments.
Partage des rôles en fonction des instruments.
Repiquage de la forme d'après écoute AABABA... Au moment du partage des rôles, il est décidé que le piano jouera les accords, il faut donc repiquer la grille. Ils repartent en sous-groupes effectuer ce travail (avec un pianiste dans chaque groupe).
On aborde la notion de style (il s'agit d'une marche)
Jeu de la mélodie + basse + accords au piano en tutti.
4ème étape
Travail autour de la notion de contrechant
Définition de ce que c'est en analysant d'autres partitions
Ecriture d'un contrechant au départ d'une grille, mélodie et basse
Repérages de ceux du « jour le plus long », et repiquages de ceux-ci.
Jeu de la mélodie+basse+accords+contrechants (clarinette) en tutti.
5ème étape
Définition du style : qu'est-ce qu'une marche ?
Je leur fournit plusieurs partitions de marches et leur demande, par groupes, de lister les éléments constitutifs d'une marche : c'est binaire 2/4 ou 4/4, très rythmé (rythme pointé) et
pulsation affirmée, grille assez simple, les voix sont homorythmiques.
Analyse précise d'une marche militaire de Schumann.
Ils en extraient la grille.
Au départ de cette grille, je leur demande de composer une marche avec une mélodie, une basse et un contre-chant, pour trois instruments. Cela leur tiendra lieu d'évaluation, avec la prestation du concert du 16 mars.
AME : LE TRAVAIL EN EQUIPE : NATURE, OBJECTIFS, ENJEUX
Intervention par Vincent Magnan, professeur de violoncelle.
Introduction :
Depuis des années, nous parlons déquipe pédagogique, de travail en équipe. Or cette dénomination me gène parfois et plusieurs situations de travail rencontrées mont amené à réfléchir sur ce quest vraiment une équipe. Est-ce lensemble des professeurs dune école, ou une petite partie qui partage un projet ? Comment se crée une équipe efficace ? Qui dirige les opérations ? Pourquoi sennuie-t-on souvent aux réunions pédagogiques ? Le directeur fait-il partie de léquipe ? Le découpage en départements favorise-t-il vraiment la transdisciplinarité ?
Ces interrogations mont incité à chercher des réponses dans la littérature spécialisée. Aussi, la courte intervention de ce matin némane pas dun spécialiste, dun expert du travail en équipe, même si je peux revendiquer comme tout le monde une certaine expérience mais elle sappuiera surtout sur deux ouvrages qui vont nous permettre de mettre des mots sur nos pratiques :
- le premier : « 10 compétences pour enseigner » du sociologue, Philippe PERRENOUD (ESF éditeur, Paris, 1999),
- le second : « Travailler en équipe » de Pierre MAHIEU, docteur en sciences de léducation et professeur déducation physique (Edition Hachette, Paris, 1992).
Par ailleurs, jessayerai autant que possible de relier cette question au cadre et à la situation de lécole de musique. Je me permettrai aussi de tirer quelques exemples des groupes de réflexion qui se sont réunis cette année dans le cadre de lassociation (AME) ou encore de léquipe qui gère lassociation. Il est important de dire ici que la question du travail en équipe et de ses problématiques sest posée à léquipe de lAME à propos de son propre fonctionnement ainsi que lors de son souhait de promouvoir lexistence des groupes de réflexion.
Cette présentation nest évidemment pas un travail exhaustif, mais permettra, je lespère, de poser quelques questions qui vous aideront à comprendre ce quest un groupe et à mieux comprendre nos pratiques dans nos écoles.
Plan du propos :
Mon intervention va sarticuler en sept points :
Typologie des équipes
Comment et pourquoi se forme une équipe et avec qui ?
Lorganisation
Lanimation dune équipe
La gestion des crises
Le « travail sur le travail »
Le groupe de réflexion sur lexpérience
Quest-ce quune équipe ?
On peut aborder la définition de ce quest une équipe par plusieurs approches. Nous verrons dans un premier temps avec Pierre Mahieu une approche psychosociale. Ensuite nous verrons avec Philippe Perrenoud une typologie en fonction du niveau dinterdépendance des enseignants.
A) Pierre Mahieu, reprenant la classification des groupes des psychosociologues propose de distinguer les équipes en 3 catégories :
- Le groupe primaire renvoie plus spécifiquement au groupe de copains, au clan. Les relations affectives y sont très importantes et permettent une cohésion du groupe. Elles permettent à chacun de se reconnaître. Il existe une sorte de connivence entre ses membres, une fusion entre les individus en un tout commun, de sorte que le but du groupe devient celui de chacun.
- Le groupe secondaire dont lactivité est particulièrement tournée vers la tâche à accomplir. Il nécessite une organisation qui permette à ses membres de travailler à la réalisation de cette tâche. Les rapports entre les participants sont plus impersonnels, contractuels et formels.
- Le groupe large (entre 25 et 50 personnes) se caractérise par la difficulté quont les membres de sidentifier entre eux. « Limportance numérique peut être source de craintes qui réactivent les angoisses les plus archaïques et provoquent lémergence dattitudes régressives ».
Cette approche nous permet de nous interroger sur le climat affectif qui existe dans un groupe mais aussi nous pose la question du fonctionnement des grosses structures denseignement comme les CNR qui ont parfois plus dune centaine de professeurs.
B) Philippe Perrenoud nous propose une autre approche. Il distingue les différents types déquipe en fonction des niveaux dinterdépendance, de ce qui est partagé par les enseignants. Voici le tableau quil propose :
Partage de ressourcesPartage
didéesPartage de pratiquesPartage
délèvesPseudo équipe =
Arrangement
matériel
*Equipe lato sensu =
Groupe déchange
*
*Equipe stricto sensu =
Coordination de pratiques
*
*
*Equipe stricto sensu =
Coresponsabilité délèves
*
*
*
*
Commentaires :
1er niveau : Le partage de ressources matérielles nécessite déjà certaines compétences afin que celui-ci seffectue avec un minimum de JUSTICE, déquité. Lors de la distribution des salles, des fonds, déquipements, la question se pose de savoir comment seffectue ce partage. Selon les besoins, les mérites de chacun, lancienneté, les affinités, ou par projet
On voit que ce premier niveau nécessite déjà une bonne gestion si on ne veut pas que léquipe éclate
2ème niveau : Dans ce genre de groupe, on discute des pratiques et des idées qui sont posées, mais sans rien décider. Ce nest pas un organe de décision et chacun des participants est libre de faire ce quil veut dans sa pratique.
Ce type déchange est déjà difficile à mettre en uvre puisquil demande aux enseignants qui se retrouvent une forme déquité dans la prise de parole. Il nest pas question que ce soient toujours les mêmes qui prennent la parole, qui racontent leur expérience, qui critiquent les autres
Par ailleurs, de tels échanges ne se font pas sans risques. Cette prise de risque ne peut seffectuer que si les enseignants se sentent un minimum en confiance et ne craignent pas des « représailles » à la suite des échanges
pour cette raison, il est indispensable que ceux-ci se regroupent en dehors de la présence des supérieurs hiérarchiques ou toute personne qui prenne des décisions.
Ce genre de groupe peut être un peu difficile à vivre car il demande aux enseignants de sexposer et cela met parfois à mal limage quont deux-mêmes les praticiens. Pourtant , si chacun se protège et nose dire son point de vue, les échanges sont creux et tout le monde sennuie. Et finalement, tout le monde préfère abandonner ces réunions. Parfois, certains enseignants sexpriment ouvertement mais si le débat est mal conduit, il peut entraîner de graves blessures si une personne sest sentie incomprise, jugée négativement et désavouée. Ce genre dexpérience amène alors les acteurs à une certaine méfiance et à ne pas renouveler lexpérience de si tôt.
Il est donc nécessaire de mettre en place dès le départ une organisation qui permette de gérer ces problèmes. La question de la gestion du groupe et de sa régulation doit absolument être posée par le groupe lui-même pour mettre les choses au clair.
3ème niveau : Ce mode de fonctionnement demande une grande capacité de communication de la part des acteurs car il fonctionne comme un collectif où chacun, à la fois apporte aux autres, mais aussi, où chacun se prive dune part de sa liberté professionnelle. « Coordonner des pratiques » relève dune grande diversité de cas allant des « deux jours de stage à la Toussaint » au projet qui concerne plusieurs enseignants sur toute une année. Ainsi en cas de problème, il est plus facile de surmonter la première situation que la seconde
4ème niveau : La coresponsabilité délèves demande un grand travail de coordination et une grande maîtrise des enseignants car dans ce cas de figure, il ne sagit pas de se séparer en cas de problème en cours dannée
Philippe Perrenoud considère la COOPERATION comme une nouvelle compétence importante pour les enseignants, mais aussi comme une VALEUR professionnelle.
Car compétence et valeur sont liées. On dévalorisera facilement ce que lon ne maîtrise pas. On comprend facilement notre méfiance vis-à-vis dune compétence que nous ne maîtrisons pas toujours très bien
Si nous nous installons dans ce genre de travail, saurons-nous vraiment nous en sortir, et ne serons-nous pas mangés par le groupe ou un leader
Dun autre côté, ceux qui sont pleins de bonne volonté vis-à-vis de la coopération déchantent souvent en découvrant que dans leur école, on narrive pas à fonctionner de manière coopérative, que cela prend du temps, que ça peut générer des conflits, des situations stressantes quil est parfois dur de gérer
Quand le ministère de la culture nous exhorte à travailler en équipe, il ne nous prévient pas de la difficulté de la tâche. Aussi, ne soyons pas non plus idéalistes vis-à-vis de cette pratique, et constatons quelle demande un vrai travail.
Cette approche de léquipe a le mérite de montrer quil ne suffit pas dêtre ensemble pour former une équipe et quil faut uvrer pour passer le cap dune « pseudo équipe » à une « vraie équipe ».
Nous pouvons voir ensuite que suivant le type de travail à effectuer, il sagit de créer des équipes adaptées. Certains problèmes demandent une coopération intense. Par exemple, se mettre daccord sur une position à adopter vis-à-vis des parents sur un point précis. Mais il existe aussi des moments où le travail en équipe ne se justifie pas. Comme le dit très bien Philippe Perrenoud, « savoir travailler en équipe, cest aussi, paradoxalement, savoir ne pas travailler en équipe lorsque le jeu nen vaut pas la chandelle ».
Le travail en équipe nest pas un principe mais un moyen. Le tout est de savoir discerner les situations qui le nécessite des autres, le faire à bon escient en mettant en balance les avantages et les inconvénients
Je vais poursuivre mon propos en évoquant quelques questions essentielles pour la création et le fonctionnement dune équipe.
Comment et pourquoi se forme une équipe,
et avec qui ?
Plusieurs occasions peuvent être à lorigine dinitiatives dun travail en équipe :
- Leffet boule de neige. Plusieurs profs commencent à travailler ensemble, dautres rejoignent le projet.
- A la suite dune demande externe, dun centre de formation, certains acteurs sengagent .
- Quand une menace se fait sentir (on pense à léternel remise en question par les mairies des vacances scolaires), la solidarité joue et des équipes peuvent émerger. Mais cette cause ne doit pas suffire étant donné les remises en cause et le peu déquipes réellement constituées.
- Des « militants » proposent des projets « innovants »
Souvent le travail en équipe avorte à cause de maladresses, par manque de préparation ou à cause dun manque dorganisation. Philippe Perrenoud constate que les enseignants qui ont déjà eu des expériences associatives ou de militants ont généralement plus les moyens et laudace de créer un mouvement collectif. Limportant est de ne pas être paralysé par la crainte davoir lair en quête de pouvoir, ou encore pire, dune promotion, dêtre bien vu
- Dans certains cas, des équipes sont constituées par la hiérarchie. Leurs membres ne se sont pas choisis et cela peut amener des effets pervers. La plupart du temps dans lécole de musique, les équipes se constituent autour dun projet plus ou moins bien défini.
Je ne métends pas trop sur les circonstances qui peuvent favoriser linitiative dun projet déquipe car elles sont nombreuses et très personnelles. Ce qui me paraît plus intéressant, cest les deux caractéristiques que doit avoir un projet au départ pour avoir une chance de fonctionner :
Celui-ci doit être assez mobilisateur pour quil puisse intéresser les autres, et assez ouvert pour ne pas donner limpression que tout est déjà ficelé davance
Ainsi une équipe qui veut durer devra être capable de donner une marge de manuvre à ses membres dans la réalisation des projets. Nous naccepterions pas que nos collègues soient tout le temps sur notre dos quand nous donnons nos cours
Avant de réfléchir aux moyens de travailler en équipe, je voudrais vous faire part de quelques réflexions sur les acteurs qui peuvent travailler en équipe dans le cadre de notre métier.
Travailler avec qui ?
On nous incite depuis plusieurs années à une certaine transversalité, à une collaboration entre nos différentes disciplines. Cette volonté est aussi très présente dans les établissements scolaires. Son but étant de relier un peu les différentes disciplines afin de susciter plus de sens chez les élèves, afin de favoriser le transfert des connaissances dune discipline à une autre.
Outre la collaboration avec nos propres collègues dans lécole, nous avons développé des liens avec les écoles des environs, pour partager les moyens, et je ne pense pas seulement aux timbales et aux grands élèves, mais aussi dans des projets de diverses ampleurs qui mutualisent les compétences des enseignants et apportent beaucoup aux élèves quand ils ne se résument pas à une simple vitrine pour les élus.
Dans plusieurs réunions professionnelles, jai eu loccasion dentendre la voix de représentants des élus et leur demande ma paru révélatrice et intéressante. Ceux-ci nous demandent dêtre plus en lien avec les autres institutions culturelles de la ville. On comprend leur souci doptimiser, de rentabiliser au mieux largent dépensé par la municipalité, on comprend moins leur volonté de faire de lécole un des pôles de la diffusion culturelle en marginalisant sa particularité d "école", détablissement denseignement.
Toujours est-il que cette demande peut nous permettre de nous rendre compte des possibilités qui nous sont offertes et que nous nexploitons pas toujours dans la création de projet. Je pense quà lavenir, nous ne devrons pas négliger ces ressources.
Et les parents délèves ?
Par ailleurs, nous oublions souvent les parents délèves. Ceux-ci sont souvent laissés un peu à lécart. Il existe vis-à-vis deux une certaine méfiance de la part des enseignants, une peur que ceux-ci ne prennent trop de place dans la vie de lécole.
« Il doit être possible de considérer les parents non plus comme des rivaux, mais comme des partenaires à part entière » nous dit Pierre Mahieu.
Lassociation des parents aux projets peut permettre des échanges constructifs. Et là je ne pense pas seulement au règlement intérieur de lécole mais aussi dans des projets pédagogiques
Et les élèves
Pour finir je voudrais faire le constat avec vous que lors des projets, les élèves ont parfois peu de marge de manuvre. Il ne serait pas inutile que ceux-ci ait loccasion de simpliquer plus en réservant des temps (et des lieux) de "confrontation", de régulation. Ceux-ci peuvent dailleurs seffectuer en présence ou non des enseignants. Cette implication des élèves, si généreuse soit-elle, ne doit pas nous faire croire quil suffit de dire aux élèves de simpliquer pour quils le fassent ! Les tenants de la pédagogie institutionnelle qui appliquent depuis longtemps des dispositifs de ce genre nous montrent bien les difficultés rencontrées, notamment pour trouver un cadre de fonctionnement accepté par lensemble des partenaires impliqués. Pour autant, il me semble important aujourdhui de considérer de plus en plus les élèves comme les collaborateurs des projets.
Voyons à présent comment une équipe peut fonctionner :
3. Une nécessaire organisation :
Lerreur souvent commise par les enseignants est de se réunir sans préparation, à la bonne franquette, et souvent quand les premiers problèmes surviennent, léquipe nest pas préparée à faire face et préfère abandonner. Dailleurs, une façon quont souvent les enseignants dabandonner est simplement de se taire
Il est donc nécessaire de mettre en place dès le départ une organisation qui permette de gérer ces problèmes. La question de la gestion du groupe et de sa régulation doit absolument être posée par le groupe lui-même pour mettre les choses au clair. Nous examinerons plus loin des dispositifs proposés pour encadrer des réunions.
Une équipe ne peut pas vivre de la spontanéité ou lintuitif. Pour mener à bien leur action, les membres dune nouvelle équipe ont à créer les conditions dune véritable interaction entre tous les partenaires. Ainsi, il est essentiel pour tous lorsque nous nous réunissons « de connaître clairement les divers points à traiter, de garder des traces des actions à entreprendre, de favoriser lexpression de chacun (Pierre Mahieu) ».
La structuration est capitale pour la réussite du travail en équipe. Comme le dit J.C. Paul : « On sait très bien que le flou génère la loi de la jungle ou du moins la pérennisation des situations où le pouvoir est confisqué. La démocratie nécessite surtout de la rigueur dans lorganisation, de la transparence dans le fonctionnement et surtout la recherche et une explication du sens des choses ».
A ce moment, jaimerais dire que la question de la structuration sest aussi posée dans notre association (AME). Celle-ci est en cours afin dobtenir une plus grande efficacité, afin que la parole puisse être prise par tous mais aussi pour la sortir dune opacité qui la rendait suspecte aux yeux de lextérieur. Nous espérons que les efforts engagés cette année permettrons cette transparence.
Pierre Mahieu situe lorganisation sur 3 plans :
celui des relations entre les acteurs, conduite de réunions de travail, répartition des tâches à accomplir,
celui des actions, de leur mise en uvre, des échéances, de leur déroulement dans le temps (court, moyen, et long terme),
celui de la formulation et de la formalisation de ces actions, de leur identification (pédagogique, didactique, éducative
).
A) Des représentations communes
Une des nécessités de léquipe est de sinterroger sur ses objectifs et les moyens de les mettre en oeuvre mais aussi sur les motivations de chacun dans le projet.
On peut définir le travail en équipe comme un groupe réuni par un projet commun. Or il existe plusieurs sortes de projets. Philippe Perrenoud en distingue de deux types :
Les projets qui se nouent autour dune activité pédagogique précise. Quand, par exemple, nous montons un spectacle de Noël en commun, quand on organise une journée sur la lutherie, quand on propose des activités décloisonnées comme le théâtre instrumental, la coopération permet de réaliser ce que nous navons pas la capacité ou même la force de mettre en uvre seul. La coopération sarrête au moment où le projet se termine.
Les projets dont la coopération elle-même est lenjeu et qui nont pas déchéances précises, puisquils visent à instaurer une forme de professionnalité interactive qui sapparente à un mode de vie et de travail plutôt quà un détour pour atteindre un but précis.
Dans le premier type de projet, il est relativement facile didentifier le produit visé. Il reste à mettre en place le calendrier, la division des tâches
pour que chacun puisse sengager. Dans le second type de projet, les raisons de la coopération sont beaucoup plus difficiles à formuler. Alors que le premier projet à une action délimitée, le second type « sétend aux relations professionnelles quotidiennes, manifeste le besoin de partager, de rompre la solitude, de faire partie dun groupe (
) ».
La plupart du temps, la genèse dun projet est une question de représentations partagées de ce que les enseignants veulent faire ensemble. Si ce travail nest pas fait au début, il est à craindre quà la première crise, léquipe explosera. Il est donc nécessaire de réserver un espace de libre parole où chacun peut exprimer ses idées et expliciter ses désirs, chercher un compromis, expliciter finalement ce qui fait tenir les membres de léquipe ensemble. Ce nest pas quelque chose de facile et on comprend que les acteurs sautent parfois ces étapes difficiles
Lexemple des réunions :
Dans notre profession, nous avons une attitude mitigée vis-à-vis des réunions. Elles nous semblent à la fois trop peu nombreuses pour avoir le temps de se parler vraiment et quand il y en a beaucoup, nous dénonçons vite la nouvelle maladie de la direction « la réunionite », ce qui montre que chacun ny trouve pas son compte et que les enseignants ont le sentiment que celles-ci ne servent à pas grand chose.
Nous allons voir rapidement avec Pierre Mahieu une typologie des réunions qui a le mérite de dépasser lapproche numérique ( 0,3,6
réunions par an) pour pouvoir discerner la nature des réunions, den définir lorganisation et den accroître lefficacité.
Les réunions apparaissent parfois comme une organisation figée, suivant un modèle invariable. Le schéma donné par Mahieu permet dimaginer une différenciation des pratiques :
Commentaires :
Les objectifs dune réunion sappuient sur des besoins initiaux. Ils doivent tenir compte des objectifs fonctionnels de la réunion, cest-à-dire ce à quoi on veut aboutir et quel "produit" on veut élaborer exactement.
Les modalités dorganisation dune réunion outre la gestion des relations humaines, regroupent les moyens, les méthodes et les procédures :
Dans les moyens, nous retrouvons les documents préparatoires (joints aux convocations
), tous les types de supports (tableaux, rétroprojecteurs
), la répartition des tâches ou encore la disposition spatiale dans les salles
Il existe différentes méthodes, « techniques ou dispositifs susceptibles dêtre introduits et adaptés à un moment de la réunion afin de gagner en efficacité ou de favoriser lexpression de tous » : le brainstorming, lalternance réflexion individuelle, confrontation en sous-groupes, synthèse en grand groupe
Les procédures mettent les moyens et les méthodes en cohérence. Elles précisent les rôles de chacun, le déroulement de la réunion ; favorisent aussi les prises de paroles
Elles sont évidemment différentes en fonction du type de réunion et des objectifs visés.
Pour en savoir plus sur lorganisation dune réunion vous pouvez vous reporter au livre de P. Mahieu ou la fiche 11 en annexe.
4. Lanimation dune équipe :
Dans un groupe, tous les membres sont collectivement responsables du fonctionnement. Le respect des horaires, de lordre du jour, la répartition des tâches, leur planification, lévaluation du fonctionnement du groupe concernent tout le groupe. Chacun participe donc à la fonction danimation du groupe.
Chacun a intérêt que le groupe fonctionne malgré le fait que chacun soit pris dans des enjeux de pouvoir, de projets à défendre, des jeux relationnels compliqués
Aussi chacun doit faire un effort pour ne pas ajouter à la divergence et au désordre dans le fonctionnement du groupe.
Cependant, il serait un peu utopique de penser que le groupe peut sauto animer tout le temps. Quand le groupe est nombreux, quil est déséquilibré, ou que les enseignants ont du mal à prendre de la distance par rapport à ce qui leur arrive, il est utile, sans que le groupe se décharge de ses obligations, de faire appel à un animateur. Celui-ci peut être désigné pour une seule réunion ou pour toute une année. Son rôle, sa responsabilité tient dans le suivi des réunions, dans lorganisation et la préparation de la réunion suivante.
Ainsi, pour prendre un exemple dans des professions qui touchent aussi à lhumain, les psychanalystes, qui se regroupent chaque mois en Cartels de réflexion de 5 personnes, font appel à un intervenant extérieur à la profession chargé de diriger les débats, de lenrichir par son regard externe. Chez les éducateurs spécialisés, les groupes de réflexion sur les pratiques dune équipe sont animés par un professionnel externe à léquipe et qui leur permet de prendre du recul sur le groupe lui-même et sur ce quil est en train de vivre.
Ce rôle danimateur demande des compétences qui font malheureusement souvent défaut aux enseignants mais aussi aux directeurs si bien que je me demande si nous ne devrions pas faire appel parfois à des intervenants externes. Il peut tout de même être assumer par un membre de léquipe mais celui-ci doit avoir conscience de la difficulté :
Celui-ci doit pouvoir se décentrer, ce que nous faisons difficilement, pris que nous sommes dans les débats, dans nos soucis. Il doit faire fi de ses points de vue personnels pour favoriser la communication et une prise de décision efficace et équitable. Sa priorité est lanimation de la réunion, sa conduite, aussi il ne se contente pas de distribuer la parole !
- Il doit observer et pouvoir interpréter ce qui se passe au cours de la réunion : les interactions, les conflits
Il doit pouvoir intervenir pour faciliter la communication et permettre lorganisation des tâches.
Après la question de la conduite, il est absolument indispensable de sinterroger sur la question du leadership.
la question du leadership :
Voici ce quécrit Philippe Perrenoud à ce propos :
« (
) il faut que chacun trouve sa place, protège sa part de fantaisie, voire de folie (Perrenoud, 1994 f, 1996 c). Même dans une équipe démocratique, composée dégaux, certains exercent une forte influence sur les décisions de léquipe et ont donc peu de mérite à y adhérer, alors que dautres ont limpression de subir « la loi du groupe » ou de son leader. Sans compétences de régulation, permettant dexprimer de telles impressions et de proposer un meilleur équilibre, léquipe éclatera ou ira vers une coopération. »
Il est donc nécessaire déchanger sur ce que nous vivons ensemble, de sorganiser pour ne pas laisser un trop grand déséquilibre sinstaller dans le groupe.
Une première chose est de ne pas confondre le leadership avec lautorité administrative. Il sagit bien dune relation entre pairs.
Ensuite, il faut noter lexistence dune ambivalence des enseignants vis-à-vis de lanimateur :
les enseignants se plaignent beaucoup de la manière dont se passent les réunions : tout le monde parle en même temps, quelques personnes monopolisent la parole, dautres émettent des opinions qui coupent toute discussion
En même temps, dès quun semblant dorganisation se met en place, on raille, « on se prend au sérieux », dès quune personne prend un peu les choses en main, on lui fait vite comprendre quil ne faut pas quelle aille trop loin. « oui, chef »
En fait, nous faisons tout pour que lorganisation soit la moins contraignante possible et nous culpabilisons ceux qui voudraient sen occuper
Car la personne est alors suspecte. Pourquoi fait-elle tout ça, pour quelle bénéfice ? Il doit bien y avoir une raison cachée. Nest-il pas dangereux de lui donner trop de pouvoir ? Et si la situation vient à être conflictuelle, lanimateur est la personne idéale pour devenir le bouc émissaire
.
Autant dire quil faut être un peu fou pour vouloir endosser ce rôle dans notre profession
Lidéal pour un groupe est de dépasser ce problème de leadership, de comprendre que le groupe à besoin dune force de REGULATION, et que ce pouvoir doit être mis en place par léquipe et ne doit pas être « saboté » à peine apparu.
Pour une amélioration du fonctionnement des équipes dans lécole de musique, nous devons nous poser la question de qui, parmi nos pairs aura les compétences (notamment en psychosociologie des groupes) pour pouvoir prendre du recul et avoir cette intelligence des situations. Ou ne faudrait-il pas revendiquer auprès de nos services, de faire appel à un intervenant extérieur, spécialisé ou non, qui ne rentre pas dans les enjeux spécifiques à lécole mais qui soit à même de démêler les problèmes qui peuvent exister dans le groupe ?
Etudions rapidement comment peut se gérer les conflits dans léquipe qui ne manquent pas de survenir.
La gestion des crises :
Alors que le discours sur la nécessité du travail en équipe est présent partout, il faut cependant ne pas sillusionner avec des discours « sur la paix et lharmonie ».
Le travail en équipe nest pas de tout repos parce quil implique à un moment ou à un autre la gestion des conflits. Le conflit nest pas recherché sauf par ceux qui mettent de lhuile sur le feu, mais il doit être considérer comme une capacité de refuser, de diverger.
Comme le dit Philippe Perrenoud « Une société sans conflits serait, soit une société de moutons, qui sinclinent sans résistance devant lautorité du chef, soit une société dans laquelle nul ne pense, ce qui exclut la divergence, donc aussi le progrès, qui naît de la confrontation sur laction à entreprendre (page 87). »
Ainsi, il faut voir le conflit comme une composante de laction collective et voir comment on peut sen servir de manière constructive
Pourtant, chaque personne réagit à un conflit de manière différente selon son identité. Chacun nen est pas au même point dans sa volonté de se soumettre ou de se rebeller au pouvoir, dans son besoin de reconnaissance, de se démarquer ou non du groupe. Si bien que pour réagir de la manière la plus sereine à un conflit, un minimum de travail sur soi, de capacité dauto-analyse de ses propres comportements est nécessaire.
Or cette capacité se développe dautant mieux dans un groupe quelle est perçue comme normale, quelle nest pas raillée et considérée comme un état de faiblesse.
Dune manière générale, dailleurs, le débat ne peut sinstaurer que si les personnes perçoivent quelle peuvent souvrir en toute confiance.
Dune manière pratique, les efforts nécessaires à un fonctionnement harmonieux consistent selon Philippe Perrenoud à « apaiser les conflits qui proviennent du « maillon faible de la chaîne », par exemple un coéquipier qui a peur de tout, qui ne fait jamais de concession sur les principes ou qui manifeste un perfectionnisme sans limites ».
« Dans un groupe réel, les conflits viennent en partie des agacements que provoquent quelques-uns des membres du groupe, ceux par exemple qui nont jamais assez de place, de reconnaissance, de certitudes pour être bien dans leur peau et qui du coup, introduisent des demandes très égocentriques ».
Or il y a dans chaque groupe des MEDIATEURS. Des personnes qui anticipent et atténuent quelque peu les affrontements. On peut espérer que chaque groupe dispose de plusieurs médiateurs, qui sans être des spécialistes désignés, font office et empêchent le groupe den arriver à des situations bloquées.
Notons que notre attitude peut varier en fonction du groupe dans lequel nous nous trouvons.
Cette approche psychologique de lapparition des conflits ne doit pas nous faire oublier que les conflits sont parfois provoqués par des événements externes :
Le choix pour une grosse dépense, (par exemple un gros investissement), une demande des parents (comme préciser le règlement intérieur), une menace de la mairie sur lemploi, ou tout simplement lors de la définition du projet pour lannée suivante, « Chaque fois quil faut décider, on court le risque de nêtre pas daccord. Selon lenjeu, si les points de vue diffèrent et si chacun est déterminé à défendre le sien, le désaccord peut se transformer en conflit (page 82 )».
La solution lors de ces situation est alors de modérer les acteurs et de se centrer sur la tâche à accomplir. Encore faut-il quil existe dans le groupe des personnes assez compétentes pour restructurer les débats et qui permettent délaborer un compromis. Il sagit de construire le problème, de le circonscrire afin déviter de dramatiser inutilement les oppositions. A ce moment, les jeux de pouvoir, de concurrence, les petites alliances, les règlements de compte peuvent parasiter la discussion.
Le difficile rôle des médiateurs est dempêcher les divergences de dégénérer en conflit en clarifiant ce qui sépare et ce qui réunit, en permettant à tous de prendre conscience, dêtre lucides sur les véritables enjeux du conflit en question. La vie dune équipe est faite de petits conflits qui font avancer le groupe si ceux-ci sont gérés avec humour et respect des autres.
Je conclurai ce point avec Philippe Perrenoud en disant que dans tous les cas « une équipe avertie en vaut deux. La connaissance ne permet pas de maîtriser tous les événements, mais elle aide à les anticiper, à les nommer, à les dédramatiser, à comprendre quils sont inhérents à la dynamique dun groupe restreint, ce qui dispense de la recherche dun bouc émissaire et guérit du mythe de la bonne équipe comme paradis relationnel
»
Voyons maintenant sur quoi doit porter le travail en équipe afin de favoriser son propre fonctionnement : nous avons vu tout à lheure que léquipe doit mener une réflexion sur le groupe lui-même, mais elle doit surtout travailler sur le travail lui-même.
Le « travail sur le travail »
Une difficulté peut entraver le bon fonctionnement dune équipe : beaucoup dénergie peut en effet être déployée à se plaindre du système, des élèves, des parents
alors que le véritable travail ne commence que dans laction, en « utilisant toute la zone dautonomie disponible et toute la capacité de négociation dun acteur collectif qui est déterminé, pour réaliser son projet, à repousser les contraintes institutionnelles et à obtenir les ressources et les soutiens nécessaires ».
Pourtant à vouloir faire tout le temps des projets ambitieux qui laissent peu de place à la réflexion et à lévaluation, ceux-ci risquent de tomber dans lactivisme. Et dieu sait si les écoles de musique tombent dans ce travers, avec une multitude de projets toujours plus mobilisant et regroupant toujours plus de monde. Et qui bien souvent sont très peu préparés et se font dans lurgence. On peut se demander si ce genre de projet nest pas quune fuite en avant, qui dispense de prendre le temps de se parler de ce que nous faisons vraiment. Une manière déviter les réflexions sur notre pratique et les problèmes que nous rencontrons. Notons quil ny a presque jamais de véritable bilan effectué à la suite des projets. Et quand celui-ci est fait il nen reste jamais aucune trace
On passe vite à autre chose, « tout le monde était très content du concert », « il était juste un peu long, il faudra faire attention la prochaine fois » et maintenant « passons vite au problème demploi du temps ». Quand prenons-nous le temps de dire aux autres ce que nous faisons, ce que nous croyons, ce que nous sentons ? Alors que nous parlons souvent de ce quil reste à faire pour préparer la prochaine audition, le spectacle de fin dannée, nous névoquons jamais les problèmes vécus, les joie et les déceptions
Pourtant léchange sur les pratiques me paraît indispensable. Nest-ce pas ce manque qui transparaît quand nous parlons de solitude dans nos écoles ?
Je ne résiste pas à ce propos au plaisir de vous présenter les boucles dapprentissage proposées par Argyris et Schön. Ces trois boucles nous montrent sur quoi peut sopérer notre réflexion afin de tirer du savoir de lexpérience : (tableau tiré du livre : « construire les compétences individuelles et collectives » de Guy Le Boterf.)
Ces schémas peuvent nous aider à voir les différents niveaux sur lesquels nous pouvons exercer notre réflexion. Il nous confirme aussi que la réflexion sur nos pratiques est un perpétuel apprentissage.
Par ailleurs, des dispositifs existent dans dautres professions qui pourraient nous inspirer :
Les visites mutuelles,
Le récit croisé de fragments dhistoire de vie,
Lanalyse de situations complexes,
Des moments décriture professionnelle.
Il est temps pour nous, si nous voulons pouvoir affronter la complexité des situations de travail, dinventer des dispositifs de réflexion sur le travail, sur notre pratique et les problèmes professionnels.
Comme me disait un ami qui travaille dans le domaine social. « Une fois que tu as vécu un groupe de réflexion sur la pratique, tu ne peux plus ten passer. Les réflexions du groupe y sont toujours plus intéressantes et plus poussées que quand tu te fais une analyse personnelle. Tu en ressors toujours plus riche ».
Exemple de dispositifs : le groupe de réflexion sur lexpérience :
Je voudrais donc terminer cette intervention en témoignant de lexpérience que jai faite il y a un an avec deux collègues dautres écoles que les miennes. Nous nous sommes réunis une fois par mois, les uns chez les autres pour parler de situations que nous rencontrions et savoir ce que les autres en pensaient. Jai pu constater que notre analyse des situations permettaient, non détablir une vérité sur ce qui sétait passé, mais démettre plusieurs hypothèses. Cette séance nous rassurait sur certains points que nous partagions ou permettait de mettre à jour des différences. « Moi, je pense que je rentre pas mal dans un jeu de séduction ». Nous nous sommes surpris à penser lors de nos cours: « Tiens, il faudra que je parle de ce quil vient de se passer dans ce cours avec mes collègues pour voir ce quils en pensent ou parce que cela semble apporter une continuation à nos réflexions ».
Cette expérience nest pas sans incidence sur mon intervention daujourdhui. Et je me suis posé la question de savoir comment de tels groupes peuvent être un peu plus "institutionnalisés".
Je reviendrai donc sur deux points qui me paraissent essentiels :
Le premier est que la confiance a pu sinstaller dans notre groupe car notre discussion avait lieu en dehors de lécole, et hors de la présence des directeurs ou personnes hiérarchiques. Nous étions entre PAIRS, conscients de vivre les mêmes situations et prêts à écouter les expériences de chacun. Mais aussi, chacun considérait lautre comme un EXPERT, considérant que lautre avait quelque chose à lui apporter.
Jinsiste lourdement sur labsence du directeur dans ce type particulier de groupe (N°2 dans la typologie de Perrenoud) afin de libérer la parole. Je conçois que ceux-ci puissent mal vivre les réunions provoquées en leur absence mais celles-ci ne sont pas une attaque à leur autorité. Mettons les choses au point, il sagit pas dun organe de décision mais déchange et de réflexion. Ce nest pas que la direction na pas un point de vue pertinent à proposer mais que sa présence risque de réduire au silence bien des idées. Cest ce que nous voyons souvent lors des réunions traditionnelles. Les acteurs qui senrichissent de ces rencontres prennent ensuite, les décisions quils veulent et les prennent avec leurs collègues et leurs supérieurs. Il est vrai quils sont alors mieux armés puisquils disposent darguments réfléchis.
Encore un mot rapide sur les chefs détablissements. Ils me semblent que ceux-ci ont un rôle très important en permettant les conditions de la mise en uvre des équipes, puisquils disposent du pouvoir dorganisation. Mais ils ne permettent lexistence des équipes quen leur déléguant un réel pouvoir de décision (organisation de lemploi du temps, occupation des salles, organisation de réunions..). Ils peuvent aussi encourager une équipe en proposant un plan de formation, en favorisant les échanges entre les équipes, en mettant à disposition des moyens matériels et financiers. En un mot, ils sont des MEDIATEURS, qui assurent la mise en relation et la cohérence des diverses actions et des différents acteurs.
Le deuxième point dont je voulais parler concerne la gestion du groupe. Comme tout groupe, ce qui sest passé nous a en partie échappé et je crois quil aurait été intéressant quun intervenant extérieur soit présent.
Plusieurs questions restent ainsi pour moi en suspens :
Comment pouvons nous faire appel à une personne compétente pour gérer une réunion et nous aider à comprendre ce qui sy joue ?
Les personnes compétentes en psychosociologie peuvent aller se chercher dans dautres professions mais quels moyens pouvons nous trouver pour les faire venir ? Faut-il avouer notre problème à nos supérieurs et leur demander de prévoir un financement pour permettre le bon déroulement des équipes ?
Des professeurs peuvent-ils jouer ce rôle difficile et où peuvent-ils acquérir ces compétences, comment peuvent-ils les faire valoir ? Cela ne pourrait-il pas constituer une des compétences qui pourraient différencier les différents statuts existants qui me paraissent aujourdhui artificiels ?
Conclusion :
Je ne prétends pas avoir fait le tour de la question mais jespère avec laide de deux auteurs vous avoir donné quelques pistes, quelques repères pour mieux comprendre la signification du travail en équipe, en espérant que cela vous permette de prendre un peu de recul par rapport à votre pratique et vous aide à lenvisager plus sereinement malgré sa complexité. Ce que je voudrais redire une dernière fois, cest quà propos du travail en équipe il ne faut pas faire de langélisme ni le diaboliser, mais être conscient de ce quil apporte et des difficultés quil implique. Par ailleurs, je crois pouvoir dire que nous devrions nous inspirer des pratiques qui fonctionnent dans dautres professions et qui permettent léchange sur les pratiques, une meilleure organisation. Une telle organisation ne va pas sans remettre quelque peu en cause lorganisation « traditionnelle » de nos écoles de musique, mais celles-ci ont beaucoup à y gagner.
Comme vous le voyez, jai peu traité des enjeux du travail en équipe pour les différents acteurs, professeurs, parents, institutions, car je propose dorienter la discussion de cette après-midi sur ce thème. Je serais aussi heureux que nous puissions revenir sur votre intérêt ou non pour les groupes de réflexion sur la pratique et aux moyens de leur mise en uvre dans notre profession.
Je voudrais finir en disant que lassociation AME par les moyens de sa gazette et de son site Internet, permet la diffusion de projets qui ont été menés dans certaines écoles. Nous sommes intéressés par les expériences que vous avez pu mener, notamment celles qui vous ont amené à partager votre expérience avec des collègues mais aussi toutes les autres. Nous mettons nos moyens de diffusion à votre service pour participer au partage de nos expériences respectives.
Pour les RENCONTRES DE LAME 2003
Vincent MAGNAN
ANNEXE
DEBAT A LA SUITE DE LINTERVENTION
SUR LE TRAVAIL EN EQUIPE
- Je voudrais revenir à la régulation qui peut exister. La régulation peut intervenir sur beaucoup plus de niveaux que ce quon peut généralement imaginer. Ce nest pas que sur lemploi du temps
et sur ce quil reste à faire pour le prochain concert. Il peut y avoir par exemple, une régulation sur la gestion du groupe. Comment ça se passe ? Est-ce quon se frite les uns les autres et pourquoi ?
- Ce sont des procédés qui sont bien développés dans dautres professions
- Personnellement, pour avoir animé des réunions de travail, je me rends bien compte quen tant quacteur, je ne peux pas tout gérer. Je ny arrive pas parce que moi aussi je suis impliqué par ce qui se passe et je ne peux pas my soustraire
Comment fait-on alors ?
- Pour autant, on na peut-être pas toujours besoin dune personne extérieure. Cest bien den prendre conscience et dapprendre à le faire
Cest un peu comme la vie de couple ! Tu as des temps de régulation en permanence si tu veux que ça dure longtemps
Et parfois, tu as besoin de quelquun dextérieur parce que tu ny arrives plus. Finalement, cest un peu la même chose. Par moment, tu peux y arriver comme ça et parfois, tu as besoin dune aide extérieure pour voir ce qui se passe
A propos des compétences de régulation des réunions, je trouve que celles-ci font malheureusement aussi défaut aux directeurs
Cest sûr quil ne sont pas formés pour ça visiblement, il leur faudrait des stages spécialisés..
Cette année, il y en a eu. Ma directrice en a suivi quelques uns.
Sil commence à y en avoir, tant mieux ! mais bon, ils ny vont visiblement pas tous
- A propos de sa propre attitude en réunion, je pense quil est bien utile de sinterroger sur son propre comportement. Est-ce quon est vraiment médiateur ou est-ce que quon peut envenimer un peu la situation, agacer un peu ou encore mettre de lhuile sur le feu. Il faut en prendre conscience si on veut pouvoir un peu sauto-contrôler.
- Ce qui me frappe à propos des conflits, cest que ça se rapproche énormément de la vie courante. Des conflits, il y en a partout dans ce quon vit. Et plus on fait des progrès pour comprendre comment ça marche, pourquoi on a été en conflit, quel rôle on a joué là-dedans, plus on réfléchit sur soi-même, plus on progresse
Là encore, cest une chose qui ne va pas sapprendre en cours de pédagogie.
Parfois, on est dailleurs content de rentrer chez soi quand il existe un conflit à lécole de musique ou linverse
Mais un conflit nest pas forcément quelque chose de négatif. Mais cest vrai que si on na pas discuté sur qui a le pouvoir, ça peut devenir destructeur
Et je crois que lorganisation même a un rôle important. Le fait de décider de qui dirige les réunions
permet déviter que ça se passe un peu au hasard et quon en arrive à des situations où on en veut à certains pour ce quils ont fait
Il me semble que dans lécole où je travaille, tout le monde adopte une stratégie systématique dévitement du conflit. Et finalement, ça nous mène à des blocages très rapidement
Je fais aussi parti dune association de parents délèves et je crois que je me rends mieux compte maintenant pourquoi il y a des réunions qui marchent et dautres non. Nous sommes réunis souvent pour des raisons qui ne sont pas pédagogiques mais nous avons des intérêts communs. Et cest vrai que selon qui mène la réunion, selon qui est là, cest vrai que ça change
Parfois on se réunit parce quon croit partager un truc en commun et il suffit que ça bouge dun tout petit cran et le groupe va complètement éclater parce que chacun va se rendre compte quil ny venait pas pour la même chose que les autres. Si ce nest pas un peu clair au début, on prend des risques
Je voulais dire que ce dont on parle pour les réunions de professeur, il me semble quon retrouve les mêmes enjeux quand on met les élèves en groupe.
Effectivement. Il existe dailleurs un chapitre du livre de Pierre Mahieu consacré au travail de groupe délèves.
Peut-être que plus on a conscience de soi, dêtre plus médiateur quautre chose, plus on va pouvoir repérer ce qui se passe dans un groupe délèves et sappuyer sur les médiateurs.
Ca me paraît bien difficile
Je trouve que jai bien de la chance dy échapper par rapport aux profs de F.M. De fait, je vois mes élèves un par un
Mais peut-être que cest parce quon a peur du groupe quon ne lutilise pas plus souvent. Je pense que des stages sur ce sujets seraient bien appréciés en tout cas.
Cest sûr que nous avons aussi une attitude ambiguë. Comme cest difficile de travailler en groupe, on le veut sans le vouloir
si déjà on pouvait un peu savoir comment sy prennent ceux qui lappliquent souvent, quelles sont leurs difficultés, les points sur lesquels ils sappuient
A propos de la typologie proposée par Philippe Perrenoud, je trouve que lordre donné est assez étonnant vu que dans notre profession, le partage délèves est quasiment obligé alors que le partage de pratiques est beaucoup moins courant.
Cest vrai quon partage les élèves avec les profs de F.M. mais aussi les professeurs dorchestre, de chorale, éventuellement de musique de chambre
mais on pourrait déjà échanger plus entre nous. « Comment tu fais avec untel ? Quels sont ses points forts ? ».
Personnellement dans mon école, je trouve que nous constituons plutôt une pseudo équipe
On arrive tout de même à échanger parfois sur certains élèves
Il y a une chose instaurée dans lécole à ce propos. On a deux fois dans lannée des fiches dévaluation à rendre et suite à ça, il y a un conseil dorientation. On fait alors le bilan. Le directeur pointe, par ordre alphabétique, chaque élève par rapport aux absences, aux notes données
Par manque de temps, on parle surtout des cas un peu litigieux « Et celui-ci, quest-ce quon en fait ? ». Par exemple, à la suite dun examen de fin de cycle dinstrument, une élève a eu la mention « assez bien » synonyme de « ne passe pas ». On revendique de donner de limportance à lévaluation continue alors nous avons bien discuté. La question étant la suivante : « Est-ce quon recalait à cause de son « assez bien » en instrument ou on tenait compte dautres conditions
Je trouve que finalement, nous navons pas tellement parlé des compétences de lélève alors quil y avait dautres profs qui étaient là, notamment de F.M., mais plutôt du contexte externe, familial. Je nai pas trouvé que nous avons vraiment parlé de pédagogie
Jai limpression que cest mettre un peu un outil en place mais quon ne sait pas gérer
Si on finit par dire « ce pauvre gamin, il a des parents divorcés, il a eu un cours sur deux
». Cest bien sûr important mais ça ne suffit pas
Cest déjà bien den parler
Nous avons évoqué hier le fait que dans lévaluation, il restera toujours une part dinjustice
A nous de gérer celle-ci. Le problème est de ne pas faire ça individuellement mais que ça devienne un travail déquipe. Si léquipe a la responsabilité des décisions, ce sera bien plus facile à supporter que si cest celle dune seule personne, et plus facile à faire accepter
Lors des examens, tout va toujours très bien quand les élèves réussissent et quand il y a un problème, on reporte facilement la responsabilité sur le prof invité, ou même le prof. Mais si cest un groupe qui gère cette subjectivité, car ça restera toujours quelque chose de subjectif, lévaluation sera plus légitimée et se passera mieux.
Dans notre école, lors du passage de fin de cycle de F.M., on ne disait pas aux gamins « Cest bon », mais on leur disait dattendre la décision du conseil dorientation où nous parlerons de toi en collégial, en regardant comment ça se passe en instrument, en musique de chambre, en chorale
Et on va le décider ensemble.
Je ne suis pas bien daccord. Cest bien lidée de départ mais on ny est pas du tout ! Je trouve quon na même pas défini de critère communs. Il y a encore un diplôme pour la F.M. et un pour linstrument alors quon devrait arriver à un diplôme commun pour les deux. On veut se rejoindre, mais on ne peut pas
Par rapport à la subjectivité, plus on aura travaillé sur lévaluation formative, sur les possibilités de remédiation, mieux on avancera. Je pense quen général, on névalue pas bien. Il nous manque des techniques
On fait un petit bilan du type « jai passé une bonne année avec lui
».
Personnellement, jai beau avoir travaillé sur lévaluation formative, sur lévaluation formatrice et même lauto-évaluation, jai beaucoup de mal à mettre en pratique quelque chose dans mes cours
Je pense que si on est seul pour essayer de mettre en place un truc, ça ne marche pas !
parce que lenfant nest pas avec un seul professeur. Alors après, toutes les logiques se télescopent à larrivée et ça na plus de sens
Surtout quand on na même pas défini dobjectifs !
on névalue pas comme ça, et on ne peut pas dire que les objectifs soient bien clairs.
Dans notre école, on a essayé de faire une fiche dévaluation dont lidée est, outre le fait important de donner des nouvelles aux parents, que les élèves sauto-évaluent. Les élèves remplissent des cases pour évaluer un peu où ils en sont. Et les fiches que nous avions faites ne fonctionnaient pas. Dabord parce que les items étaient équivoques. Du coup, lélève ne savait pas trop à quelle question il répondait. Par ailleurs, le prof ne se contentait plus que de cocher des cases et ce nétait pas très satisfaisant pour donner à lélève une idée sur ce quil devait faire. Nous avons donc retravaillé celle-ci
Il en existe aussi une intéressante, sous forme détoiles. Au bout de chaque branche, il y a un petit numéro qui correspond à un objectif. La branche est graduée par dix. Les objectifs sont choisis ensemble, le prof avec lélève. Il y a deux étoiles, une pour le prof et lautre pour lélève. Le moment de lévaluation consiste en le moment où les deux se rencontrent et comparent les résultats des deux étoiles et discutent
Après, il y a la question des objectifs qui est extrêmement difficile si on veut quelque chose qui puisse être vraiment utilisable
Cest vrai que le problème, même avec la formule en deux colonnes, cest la comparaison. Finalement, le moment le plus intéressant, cest le moment où on essaye de comprendre pourquoi les résultats diffèrent.
Il y a aussi le fait que les objectifs ai été déterminés ensembles au départ, qui faisait quils nétaient pas mis devant quelque chose dincompréhensible
Tu veux dire que les objectifs diffèrent en fonction des élèves ?
Je crois que cétait tout de même une trame un peu générale
Parce que le choix des items est aussi très difficile. Pourquoi lune plus que lautre ? Je me souviens dune qui était « présence » ou « compréhension du texte »
Et bien, finalement, ce nétait pas si clair que cela
Cest le cas typique dune formulation équivoque
Après, il y a aussi la question des comportements. A quoi est-ce quon voit quil a compris ? Est-ce que ça suffit quil nous dise « oui » ou faut-il repérer ça autrement ?
Jai acheté dernièrement un livre très clair dAnne JORRO sur lévaluation (« Lenseignant et lévaluation. Des gestes évaluatifs en question ». Edition De Boeck & Larcier, 2000. ISBN : 2-8041-3486-5). elle fait un peu le tour de toutes les pratiques dévaluation et parle notamment de trois nouvelles formes qui sont intéressantes. Le porte folio, qui est une sorte de dossier où lélève accumule ses productions et les retours sur les productions quil fait. Ca serait intéressant dans les écoles de musique. Ca retracerait le parcours de lélève avec ses auditions
Le porte folio est la formule où, me semble-t-il, lenfant est le plus impliqué. Le deuxième est le portefeuille de compétences. Il sapplique dans un champ disciplinaire donné, par exemple, lécriture. Ici aussi on peut mettre les productions de lélève, tout ce qui matérialise un peu les processus dapprentissage
Ce que je trouve intéressant dans cette démarche, cest que ça valoriserait lécriture
Ce qui est bien aussi dans le portefeuille de compétences, cest que ça fait figurer les écrits intermédiaires
La troisième forme est lentretien dévaluation. Cest un moment privilégié en classe entre un élève ou un groupe délève et lenseignant. La réflexion sur une tâche en cours de réalisation permet de revenir par exemple, sur les critères
Ce qui est difficile à propos de lévaluation, cest que cest quelque chose qui doit être décidé par tous les professeurs de lécole et que ça fait lobjet de débats houleux
Je ne suis pas sûr quil faille attendre le consensus avant de te faire ta propre grille dévaluation.
Sur une fiche dévaluation, tu as évidement une petite partie qui te concerne, qui est spécifique à la discipline, mais dans la deuxième partie, les items doivent être absolument les mêmes pour toute lécole. Il y va de la cohérence de lécole
Daccord, mais quand il ny a rien, cest déjà bien
Personnellement, je considère quil y a une évaluation qui se fait au sein de ma classe et jessaye de la rendre formative ou formatrice. Et puis le processus avec toute lécole et je trouve quil faut aussi sy plier.
Dans notre école, nous avons de multiples fiches et notamment la « fiche individuelle » par instrument où il y a plein de points comme « compréhension du texte », « absences », « productions »
Il y a aussi des directives à respecter en six points présentées sous forme de grille. Ce que je trouve dommage, cest quune fois arrivé dans lécole, il ne soit à aucun moment possible de reparler de lévaluation. Et même si quelques points me posent problème et
que je me pose encore des questions vis-à-vis des objectifs et des critères dévaluation
.
Quand tu arrives, on timpose un truc qui a quand même été fait en collégiale
Evidemment, tu arrives juste après
Finalement, cest un peu comme avec les élèves. Si on décide une bonne fois avec eux des objectifs et quun nouveau arrive
ou quon ne revoit jamais les objectifs
Dans le principe même, il faudrait revenir dessus de temps en temps avec tous les profs et les élèves.
Et que ça ne tombe plus den haut, de linstitution
Cest vrai que cest difficile darriver et de sentendre dire que les débats ont déjà été menés et quon ne peut plus y revenir. Quand jai fait un remplacement, on ma dit que la position de compromis après dâpres débats avait été de choisir les morceaux de fin de cycle parmi ceux proposés par la FNUCMU et je nai pu que me plier à la règle ou cela aurait mal tourné. Cela avait déjà été lobjet de conflits et personnes ne voulaient repartir sur ce sujet
Doù limportance pour un directeur qui accueille des nouveaux dans son équipe de bien les informer. Jai été bien souvent, pour les nouveaux, obligé de faire ce travail dinformation sur lhistoire de lécole, de léquipe
et dexpliquer le fonctionnement de base
Cest sûr que quand jai débarqué à C., ça a été lhorreur
Alors que ça devrait être le b.a.-ba
dexpliquer les choix qui ont été faits. Pas forcément en réunion plénière mais tout de même
Jai même dû parfois faire visiter les locaux à un prof qui débarquait
et puis expliquer le fonctionnement pour avoir accès aux locaux, aux autorisations pour faire des auditions
Personnellement, quand je suis arrivée dans mon école, le directeur ma donné des feuilles avec les critères pour lévaluation et le règlement intérieur, un point cest tout.
Cest sûr quil existe une « culture » de léquipe avec son histoire, ses frictions et quand quelquun arrive, il ne comprend souvent pas bien ce qui se passe, ce qui se joue, avant un moment
Il y a une pratique qui a lieu dans certaines écoles, il sagit du contrat entre lélève et le professeur.
Je pense que cest quelque chose dintéressant depuis que nous avons les cycles. Mais il faut que lexamen de fin de cycle reste bien un examen de fin de cycle.
Mais de quel type de contrat sagit-il ? Souvent celui-ci est passé en fonction du temps dont lélève dispose. Après sêtre acquitté de ses obligations vis-à-vis de la FM, on lui rajoute par exemple des trucs
Ou au contraire, on estime que vu son emploi du temps, voire de ses capacités limitées, on va lui consacrer un peu moins de temps !
Mais ce nest pas un contrat
Cest pourtant présenté comme ça, cest quelque chose dimposé
Ce nest pas un contrat.. cest une organisation, un règlement sur lequel on a plaqué abusivement le nom de contrat
Cest là quun intervenant extérieur pourrait nous être bien utile pour nous expliquer les pratiques qui existent déjà
Ce que jentends personnellement par contrat, cest un certain nombre de rubriques, dobjectifs à remplir dans un temps donné. Malgré les difficultés, si tout le monde joue le jeu, les élèves doivent avoir parcouru à la fin dun cycle lensemble des ressources possibles de lécole de musique, en terme de style par exemple
Cest un peu comme des unités de valeur
et il me semble que lon y vient de plus en plus
Ca a lair dun détail dans lorganisation, mais les élèves doivent dinscrire deux-mêmes dans les ateliers et ils ont le choix de commencer par telle ou telle chose, den faire trois dans une année ou de nen faire quun
. Et là, le contrat prend toute son sens.
Je pense à certains élèves qui ont beaucoup de mal à assurer les nombreuses activités que lécole de musique leur demande et qui abandonnent avant davoir eu un diplôme, qui sont recalés aux examens et qui se sentent sanctionnés, qui ont limpression davoir tout raté
Doù lintérêt du contrat
où même sil y a quelque chose qui ne va pas, lélève se rendra compte quil en reste tout de même quelque chose
Ou du « porte folio » dont nous parlions tout à lheure
Je suis dans une association et jai limpression que, quand même, quand il y en a un qui part, il na pas limpression davoir perdu son temps
Ne serait-ce que par lépaisseur du cahier où je leur fais coller des feuilles. Et puis lépaisseur de leur tas de partitions
Cest déjà une trace vivante de leur parcours
Et puis, arrêtons aussi de penser que cest uniquement le diplôme qui donne du poids aux études faites
Ca mintéresse que tu poses cette question, car je ne me létais jamais posée sous cet angle-là !
Et pourtant, je trouve quelle mérite dêtre posée car elle me semble sensible
il y a des gamins qui nacceptent pas une autre logique.
Cest peut-être parce quil existe aussi une dimension rituelle quil faudrait étudier
Il y a peut-être aussi le fait que cela soit une école agréée qui fait quon se sent responsable dun niveau.
Cest vrai que parfois lélève sest tout de même investit beaucoup dans lécole
Et on va lui donner un diplôme de consolation ?
Comment lélève peut-il avoir quelque chose de palpable et ne pas avoir limpression de finir son parcours sur un échec
Je voudrais témoigner dune école où le D.E.M. a été abandonné et où on a remis en place le système antérieur des médailles et autres diplômes justement pour permettre aux élèves qui navaient pas le DEM de pouvoir partir avec quelque chose
A la limite, il me semble plus important quils partent avec des bons souvenirs parce quils ont fait quelque chose qui a eu du sens pour eux, des projets, des concerts
Cest pour ça que lidée du portefeuille est intéressante
Ca résoudrait pas mal ce problème, je crois
en faisant un peu évoluer cette représentation du couperet qui arrive à la fin. Ca peut faire grandir de voir ses premiers jets, de voir lévolution quil y a eu
Personnellement, jai retrouvé quelques brouillons dun mémoire que jai fait et ça ma beaucoup apporté
jai pu retracer le cheminement des idées « tiens, jai eu cette idée- là, à ce moment-là
».
Ca me rappelle un trio de Brahms que celui-ci avait remanié et dont il avait fait une deuxième version. Je métais alors posé la question « puisquil a fait une deuxième version, est-ce que la première est encore valable par rapport à la deuxième ?»
Il y a des compositeurs qui ont écrit quelque chose deux ans auparavant et qui brûlent leur uvre en disant « Ce nest pas moi »
En fin de compte, cest toujours eux !
à un moment donné
Il y a des personnes, un peu honteuses, qui ne veulent pas montrer ce quelles étaient, cest-à-dire en recherche ou nues, faibles et qui préfèrent brûler leurs productions. Personnellement, je regarde certaines de mes anciennes compositions en rigolant, mais je me dis que cétait moi
et notamment une quand javais seize ans, un trio absolument hideux, mais qui me permet de voir quà cette époque, alors que javais déjà jouer pas mal de morceaux, je ne savais absolument pas comment marchait la musique, comment ça pouvait être conçu. Jai fait selon ma conception de lécriture de la musique, une partie de violon, une partie de second violon puis celle du violoncelle. Et quand jai joué, cétait affreux parce quil me manquait des notions et des outils. Mais je garde précieusement cette uvre comme une preuve vivante de ma conception de la musique à cet âge
Ca men apprend sur moi et me montre que je nai pas toujours su ce que je sais aujourdhui
Je te remercie de ce témoignage. Ca rassure dentendre ça parce quon a parfois limpression de jouer le rôle de la personne « invincible » devant les parents, le directeur et même devant les collègues.
A propos des intervenants extérieurs qui pourraient venir encadrer des réunions de réflexion sur la pratique, sur des études de cas, quel est votre sentiment ?
Personnellement, je trouve quil est important que cela se passe dans sa propre école. Je trouve que cest perdre de lénergie que de le faire ailleurs.
Et quand on y arrive pas dans son école ?
cest bien daller voir ailleurs
Personnellement, je préfère des interventions comme dans ces rencontres autour de grands sujets.
Je suis daccord que ce serait bien que cela puisse se passer dans chaque école, mais jai peur quon déchante
Aujourdhui par exemple, nous sommes là volontairement et nous croisons des expériences qui se sont passées dans des lieux différents
Et nous pouvons aussi parler dautant plus facilement que nous ne travaillons pas ensemble demain
et quand on est dans le même lieu, on est forcément impliqué dans les mêmes choses. Du fait que lon se parle dans un lieu complètement décontextualisé, il y a plus de liberté. Par exemple, les réunions de département de mon école se passent hors de la présence de la direction et pourtant nous ne sommes pas libres du tout. Je pense quon déchanterait vite. Alors que dans des réunions à lextérieur, il ny a pas autant de choses qui sont tacites
Dans lécole, il y a des questions quon ne se pose plus mais qui feraient réagir quelquun de lextérieur.
Je pense quon peut imaginer plusieurs types de réunions. Certains pourraient travailler sur lannée sur des sujets précis et dautres qui par exemple travailleraient sur des études de cas
Et tout le monde pourrait se retrouver lors des rencontres de lAME. Et on pourrait inviter un intervenant extérieur qui aurait un regard neuf
On pourrait avoir une journée au milieu de lannée afin que les groupes puissent discuter et choisir un peu les expériences qui ont été les plus significatives.
Ou alors, cette journée peut être publique, avec la présentation de cas
Je pense quil vaut mieux rester sur des groupes de travail et ne se voir quen été
Ca permet en tout cas un travail suivi avec une réunion à peu près tous les mois. En plus, ça a le temps de mûrir entre deux réunions.
Je pense que les groupes de réflexions sur des thèmes ou des notions musicales peuvent aussi nous apporter dans la mesure où dans la musique, les notions sont très mouvantes et quà chaque fois que lon creuse un peu, on saperçoit que le savoir nest pas stable, ce qui ne facilite pas les moyens de lenseigner
De ce côté, je pensais auparavant quavant denseigner, il fallait que je connaisse sur le bout des doigts toutes les notions, que je sache les définir
Jai vite changé davis autrement, je ne ferais rien
En même temps, cela ne peut pas faire de mal de creuser
Mais parfois, cest avec les élèves que lon trouve des choses, que lon apprend à définir mieux ce que lon veut leur dire
Mais cest aussi parce que tu cherches, parce que malheureusement, je pense quil y a des enseignants qui parleront dappoggiatures sans jamais avoir chercher de leur vie à savoir vraiment ce que cest. Parce quévidemment on apprend de lexpérience mais seulement sil existe un minimum de réflexion sur ce qui est fait
Cest valable partout. Il y a des gens qui vont chercher à évoluer et dautres pas
Peut-être peut-on inciter un peu nos collègues à force de montrer que lon sinterroge
Je pense que ce nest pas parce quon part du concret musical, de lexpérience quon ne peut pas arriver à en tirer des choses, à théoriser un peu.
Effectivement, je défends absolument ça... que nous apprenons énormément de lexpérience, quon peut apprendre énormément de lexpérience, mais je pense quil y des situations et même des comportements qui favorisent cet apprentissage. Mais au départ, tout part effectivement de la pratique. Et il existe même des savoirs de la pratique. « Savoir chercher un doigté », cest du savoir pratique
La théorie ne soppose pas à la pratique puisquil existe même des théories de la pratique
Cest finalement une démarche assez scientifique quon adopte puisque dune expérience, on déduit une loi, une règle et puis par une autre expérience, on la confirme ou on la réfute
Jai lu dernièrement dans le livre de G. Malglaive « enseigner à des adultes » un chapitre qui sintitulait « un rapport contradictoire à la pratique » et qui expliquait à quoi servent les savoirs théoriques. Et je nai pas été déçu car alors que jentends souvent un discours qui encense la pratique, lauteur rappelait justement le rôle important des savoirs théoriques vis-à-vis de cette même pratique. Le fait que sans connaissance des conséquences que peuvent avoir nos actions nous serions dans lincertitude totale. Nous ne sauterions pas en lair si nous navions pas la représentation que tout corps jeté en lair est sûr de retomber
Par ailleurs, pour les navettes spatiales, heureusement que lon construit des modèles pour imaginer ce qui peut arriver
Cest une sacrée économie en vies humaines
Il y a aussi un sujet qui me semble important, cest la question du fond et de la forme. Il est important de comprendre que si on change la forme, ça change obligatoirement le fond
et vice versa !
LA.M.E. Remercie :
Virginie MANIN,
Marie-Christine REBOUILLAT,
et Vincent MAGNAN
pour lélaboration de ce compte-rendu
&
lécole de musique de Vénissieux
pour son accueil
(2003)
Daniel HAMELINE, Lautonomie. Dans J. Houssaye (éd.), Questions pédagogiques, Paris, Hachette. 1999.
Sylvia KLIMCZYK, La notion dautonomie dans lapprentissage dautrui . Létude critique dune optique pédagogique. Mémoire du Cefedem Rhône-Alpes. Promotion 1997-1999.
Mémoire du Cefedem Rhône-Alpes de Sylvia KLIMCZYK « La notion dautonomie dans lapprentissage dautrui . Létude critique dune optique pédagogique » Promotion 1997-1999.
Britt-Mari BARTH, Lapprentissage de lAbstraction, Editions RETZ, 1987.
Dernière édition : 2001. 240 pages.
Philippe MEIRIEU, Apprendre, oui, mais comment. Edition ESF. 16ème tirage : 1997. pages 115 et 124.
Stéphanie VOUILLOT, La formation musicale : trop théorique ? Mémoire du Cefedem Rhône-Alpes.
Voir à ce propos : Philippe MEIRIEU, Apprendre, oui, mais comment. Edition ESF. 1997. 194 pages.
Michel DEVELAY, « Parents, comment aider votre enfant » Edition ESF. 1998. Page 76 à 83
Michel DEVELAY, Idem.
Michel DEVELAY, idem, page 92.
Olivier REBOUL, La philosophie de léducation, Edition PUF, 1989. Que sais-je ? 8ème édition : 1997. Page 23
PILLONEL, M. & ROUILLER, J. (2002) Faire appel à lauto-évaluation pour développer lautonomie de lapprenant, Resonnances, ch.7, p.28-31.
(disponible sur le site : http://www.unige.ch/fapse/groups/life/textes/Pillonel_Rouiller_A2002_01.html).
BARTH Britt-Mari, Lapprentissage de labstraction, Edition RETZ, 1987. page 43
BERTRAND Yves, Théories contemporaines de léducation, Editions Nouvelles AMS, Montréal 1998. 4ème édition. Collection « Education » (ISBN : 2-921696-41-X) page 145
Pierre Mahieu (page 51)
Philippe Perrenoud (page 78)
Pierre Mahieu (p.57)
Philippe PERRENOUD
Pour cette question vous pouvez aussi vous reporter à un autre livre de Philippe PERRENOUD :
« Enseigner : agir dans lurgence, décider dans lincertitude », ESF 1996 ISBN : 2710113503 (page 109 et suivantes)
LES RENCONTRES DE LA.M.E. 2003 à VENISSIEUX
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LES RENCONTRES DE LA.M.E. 2003 à VENISSIEUX
POIESIS
Se caractérise par le fait quil sagit dune fabrication qui cesse dès que son but est atteint.
Lobjet quelle se donne pour fin impose la mise en uvre de moyens techniques, de savoir et de savoirs-faire, de capacités et de compétences qui produisent un résultat objectivable et définitif qui se détache de son auteur et auquel celui-ci ne touche plus.
Par exemple, le potier a une représentation en tête du résultat final auquel il veut parvenir.
PRAXIS
Se caractérise par le fait quil sagit dune action, qui na dautres fins quelle-même : il ny a pas dobjet à fabriquer pour lequel on disposerait à lavance dune représentation qui permettrait sa production et lenfermerait en quelque sorte dans son « résultat », mais un acte à accomplir dans sa continuité, un acte jamais véritablement achevé parce quil ne comporte aucune fin extérieure à lui-même et préalablement définie.
Léducation est une praxis car il est impossible davoir présent à lesprit la représentation de son propre achèvement.
STRUCTURE DE GESTION DES REUNIONS
Besoins
BUTS FONCTION(S) TYPE(S) MODALITES
Objectifs transmettre information - moyens
échanger régulation - techniques
confronter élaboration - méthodes de travail
rechercher création - procédures
PRODUIT
Production, décision daction, outils
P. Mahieu (Fiche 12 page 70)
Les boucles dapprentissages dArgyris et Schön
SIMPLE BOUCLE
1. Lapprentissage en simple boucle : le professeur apprend en corrigeant son action par rapport à ses objectifs mais ne change pas fondamentalement ceux-ci, ni ses valeurs ou les "théories daction" qui guident son action.
APPRENTISSAGE EN SIMPLE BOUCLE
APPRENTISSAGE EN DOUBLE BOUCLE
2. Lapprentissage en double boucle : Le professeur apprend en remettant en cause ses objectifs et leurs fondements. Il est amené à faire évoluer ses représentations, à réviser ses théories daction.
SIMPLE BOUCLE
DOUBLE BOUCLE
APPRENTISSAGE DE LAPPRENTISSAGE
3. Lapprentissage en triple boucle : le professeur apprend à modifier ou développer sa façon dapprendre, à tirer des leçons de lexpérience. Il apprend à apprendre. Lapprentissage devient un objet dapprentissage.
OBJECTIFS
THEORIES DACTION
PRINCIPES DIRECTEURS
REPRESENTATIONS
ORGANISATION DU TRAVAIL
ACTIONS
RESULTATS
OBJECTIFS
THEORIES DACTION
PRINCIPES DIRECTEURS
REPRESENTATIONS
ORGANISATION DU TRAVAIL
ACTIONS
RESULTATS
PROCESSUS ET CONDITIONS DAPPRENTISSAGE
OBJECTIFS
THEORIES DACTION
PRINCIPES DIRECTEURS
REPRESENTATIONS
ORGANISATION DU TRAVAIL
ACTIONS
RESULTATS
ORGANISER UNE REUNION
P. Mahieu (Fiche 11 page 69)
Préparation dune réunion
Points de repère pour préparer une réunion et une convocation :
- à élaborer à quelques-uns, en tenant compte des besoins manifestes et/ou implicites ; une réunion peut avoir pour fonction didentifier et/ou dexpliciter des besoins (réunion de diagnostic).
- définir clairement le ou les objectif(s) à atteindre et, par conséquent, la fonction et le type (ou nature) de la réunion (cf fonctions et types de réunions),
- préciser le plan de déroulement, ainsi que les modalités de fonctionnement (méthodes, moyens, répartition des tâches : animateur, secrétaire, observateur éventuel
)
Exemple de convocation
- date, lieu, horaires (début et fin) ;
- fonction et/ou type de réunion (recherche, créativité, information, production
) ;
- thème général et objectif(s) spécifique(s) ;
- déroulement, différentes phases, leur durée ;
- répartition des tâches ;
- éventuellement personnes concernés ;
- documents préparatoires.
Dispositif de réunion
Il se construit à partir des paramètres suivants :
- la fonction de la réunion qui en définit le type est liée aux besoins initiaux et donc aux objectifs et au(x) produit(s) de celle-ci
- les modalités de gestion, méthodes, moyens, procédures et la gestion des relations humaines.
Suivi de réunion
- compte-rendu ou document de travail ;
- application des décisions , répartition des tâches, coordination des actions ;
- analyse de la réunion, en particulier au niveau de lanimation, des participants.
Compte-rendu
Selon les types de réunions, le produit émanant dune réunion prend les formes et appellations différentes.
Les réunions déquipes pédagogiques débouchent selon les cas sur des coptes-rendus (mémoire du groupe), des documents de travail (éléments de diagnostic, pré-projet, échéancier, fiches-outils pour lélève, pour léquipe
), notes dinformation
Pour les réunions déquipes éducatives ou détablissement, on parle plus volontiers de procès-verbal, de rapport de synthèse
TABLEAU SYNOPTIQUE DES PRINCIPAUX DOMAINES
DINVESTRIGATION DES EQUIPES
P. Mahieu (Fiche 1 page20)
Apprentissage Pratiques pédagogiques : Relation (mise en
)
Méthodologie identifier les besoins et Interaction (réseaux
)
Aide au travail des élèves sadapter aux besoins Rétroaction (pouvoir..)
Interdisciplinarité - dispositif dapprentissage Communication
Transdisciplinarité - situation problème - échange
- construction doutils - confrontation
- information
Gestion des groupes : - traitement de linfo
- de professeurs, Gérer les différences :
- réunion délèves, - flexibilité
- concertation, conseil. - souplesse
- groupes plus larges, Réguler :
régulation. - auto-réguler
- inter-réguler
Permettre à lélève de : Prise de décision : Aide à décider :
- construire son savoir - ajustement
- construire sa personnalité - réajustement
- se responsabiliser
Orientation de lEtat Statut professionnel
Politique de létablissement Potentialités disciplinaires
Options individuelles Valeurs Compétences disciplinaires
Ethique
EQUIPE
Domaine fonctionnel
Domaine
stratégique
Domaine
systémique
Acquisition
du savoir
Organisation
Vision globale
Métacognition
Métastructure
Métacommunication
Domaine axiologique
Modulations Tonalité Echelle
Phrasé Cadence Fonctions harmoniques forts et faibles degrés
HARMONIE Renversement/fondamentale
Accords
Mélodie Habillage
densité Consonance/Dissonance
Accompagnement Ornementation
Notes réelles
Diapositive n°2 : Proposition darborescence de la notion dHarmonie
Diapositive 3
Une discipline se caractérise par :
des tâches des connaissances déclaratives des connaissances procédurales des objets
des faits
des notions Le registre de conceptualisation
des concepts intégrateurs
un champ notionnel
Diapositive n° 4
Modèle proposé par B.M.BARTH
perception : donner une signification aux sensations,
distinguer des différences.
distinguer des ressemblances en fonction dun critère
qui est de la même nature et du même niveau dabstraction.
Inférence : tirer une conclusion hypothétique à partir dune abstraction
combinaison constante de ressemblances parmi celles distinguées (si
alors) spécifiante
Vérification de linférence : vérifier la constance de la combinaison
dans les exemples mis à disposition.
Répétition de c et d : en cas déchec de la vérification, modifier la conclusion
et faire une nouvelle vérification.
Abstraction
Généralisation : étendre la conclusion à une catégorie entière, généraliser. généralisante